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EPhEP, MTh4-ES14, le 22/03/2022

 Dr RUMEN Bonsoir, Bonsoir à tous, j’ai l’immense chance d’accueillir ce soir, pour nous parler de la spécificité de leur travail et du lien entre psychiatrie et psychanalyse, mes deux collègues de l’ASM 13, le Dr Pascale JEANNEAU-TOLILA, psychiatre psychanalyste à la SPP et responsable médecin chef du Centre de jour et le Dr Nelly GAILLARD-JANIN, psychiatre psychanalyste, de l’APF, qui a un rôle plus de psychanalyste au sein de l’hôpital de jour de l’ASM13. Je leurs laisse la parole et vous aurez aussi des vignettes cliniques puisque vous en étiez demandeurs.

Dr JEANNEAU-TOLILA Merci de nous inviter, pour parler effectivement du travail qu’on fait dans notre hôpital de jour à Paris dans le 13e arrondissement.

Effectivement, nous avons appelé notre intervention « L’écoute analytique au service de l’institution psychiatrique ». Donc, il s’agira de vous parler de la façon dont on travaille dans cette institution psychiatrique, où nous avons la chance d’articuler psychiatrie et psychanalyse depuis longtemps, puisqu’à l’ASM13, on est justement très imprégnés par l’histoire de nos fondateurs, il y a déjà eu, depuis le début, cet adossement de l’une sur l’autre.

Pour introduire notre propos qui sera découpé en trois parties, je vous apporte d’abord une citation : « Un autre visage du psychanalyste est celui qu’il prend en situation psychiatrique. »

C’est une phrase tout à fait simple et concrète, qui est surtout un prétexte pour vous parler d’un ouvrage et d’un psychiatre psychanalyste en particulier, Paul-Claude Racamier, qui a entre autres choses participé à l’écriture de cet ouvrage, que vous connaissez peut être : Le psychanalyste sans divan ; c’est un ouvrage collectif paru en 1970 et qui a été pensé et écrit à plusieurs voix par Paul-Claude Racamier, Philippe Paumelle, Serge Lebovici et René Diatkine, qui sont précisément les fondateurs de l’ASM13 en 1958.

C’est la « Bible » du psychanalyste en institution, et il y est proposé toute une application du savoir psychanalytique, pour le champ de la psychiatrie institutionnelle. Et donc, c’était quelque chose de tout à fait novateur, à l’époque, que d’imaginer le psychanalyste travailler non seulement sans divan mais aussi hors de son fauteuil. La place de la psychanalyse en institution demeure d’une actualité on ne peut plus brûlante, puisqu’il nous faut en ce moment défendre, à la fois, la psychiatrie dont les moyens sont à la baisse chaque année, mais aussi la psychanalyse, qui est elle aussi, bien que d’une autre manière, malmenée ces derniers temps. Et en ces temps où les hôpitaux ont de grosses difficultés de fonctionnement les services de psychiatrie sont particulièrement touchés et avec eux la qualité des soins offerts aux patients dans un souci toujours plus grand pour nos tutelles de résultats rapides et le moins coûteux possible alors même que la temporalité de la maladie mentale n’adopte pas ces critères. De même, la psychanalyse en tant qu’outil théorique est dénoncée comme peu rentable et suspecte quant à son efficacité.

Et donc au fond, un des moyens de défendre ces deux disciplines que sont la psychanalyse et la psychiatrie, c’est de montrer comment elles s’articulent l’une avec l’autre et combien l’outil psychanalytique reste pertinent, reste utile et essentiel dans nos services de psychiatrie. Un outil qui va permettre aux soignants d’accompagner les patients au quotidien sur un temps parfois infiniment long, des patients dont le mode d’être au monde est bouleversé et différent du sujet ordinaire.

Nous allons donc vous raconter comment nous travaillons aujourd’hui avec la psychanalyse adossée à la psychiatrie, dans cet hôpital de jour où nous accueillons, à temps partiel donc, des patients pour la plupart schizophrènes, en tout cas psychotiques, dont la dépendance au quotidien et la régression sont telles qu’un étayage précis doit alors être apporté, chaque jour ou presque, en terme de contenant, d’accompagnement et de présence psychiatrique.

Un mot sur notre équipage Nelly et moi : comme cela vous a été présenté, je suis pour ma part le médecin directeur de cet hôpital de jour et Nelly est la psychanalyste du service. Nous différencions évidemment ces deux fonctions alors même que nous avons des parcours identiques. Je suis psychiatre mais aussi psychanalyste et Nelly est psychanalyste mais aussi psychiatre. Et nous travaillons toutes les deux avec une équipe soignante pluridisciplinaire constituée d’infirmiers et d’ergothérapeutes, de deux psychiatres donc, d’une cadre, d’une neuropsychologue bref une équipe de différentes personnes, de différentes personnalités, différentes fonctions et différents langages aussi parfois, chacun et chacune arrivant avec son équation personnelle. Nous profitons dans cette institution qu’est l’hôpital le jour d’un appareil de soins qui a été façonné par nos prédécesseurs, dans lequel depuis longtemps déjà théorie psychanalytique et pratique clinique psychiatrique s’entrechoquent et se parlent continuellement et de différentes manières.

On va donc partager notre présentation en trois parties, en trois temps. Un premier temps historique où Nelly vous parlera de l’émergence de la psychanalyse dans les institutions psychiatriques, une deuxième partie où je parlerai rapidement de l’histoire singulière de l’ASM13 et de l’hôpital de jour en particulier et enfin une troisième et dernière partie où nous parlerons de la fonction et de la place de la psychanalyse, et de la psychanalyste dans l’équipe soignante assortie de quelques illustrations cliniques. Je laisse la parole à Nelly pour la partie historique.

Dr GAILLARD JANIN Je vais donc vous parler d’histoire, pour expliquer le choix de notre titre, pourquoi « L’écoute analytique au service de l’institution psychiatrique » ? :

Parce que l’institution psychiatrique revient de loin, elle a en effet longtemps entretenu malgré elle, la double aliénation mentale et sociale dont souffrent les malades mentaux.

Je cite François Tosquelles dans un ouvrage remarquable qui s’appelle Psychothérapie institutionnelle : Histoire et actualité de Joseph Mornet.  Un peu d’histoire donc pour rappeler les faits et rappeler aussi combien nos institutions sont tributaires de la société dans laquelle elle se développent. L’idéologie de l’enfermement se développe à partir du XVIe siècle, un édit Royal de 1656 stipule alors que les hôpitaux doivent recueillir les vagabonds, les indigents, les débauchés et les insensés, tous dans le même sac. Vous retrouverez cette histoire dans un ouvrage d’un de nos collègues, Vassilis Kapsambelis, qui s’appelle Le besoin d’asile. Des lieux pour les psychoses. À la fin du XVIIIe siècle, le mouvement des Lumières et de la Révolution française s’accompagne d’une philosophie humaniste et philanthrope, le terme d’« aliéné » remplace alors celui d’« insensé ». Pinel est nommé médecin des aliénés en 1793 à Bicêtre, il s’appuie sur le travail d’un infirmier, Pussin, pour délivrer les aliénés de leurs chaînes et développer ce qu’il appellera « le traitement moral ». En 1795, il est nommé

médecin chef à la Salpêtrière il fait venir Pussin et applique les mêmes réformes qu’à Bicêtre. Il rédige un Traité médico-philosophique des maladies mentales dans lequel il inscrit ces dernières dans une nosographie, donc une classification des maladies mentales. Il supprime les saignées et autres médications inutiles qui affaiblissent les aliénés et préconise le soin par la parole, ce faisant il opère une distinction entre les insensés et les criminels. Le fou devient un malade qu’il convient de soigner. La loi du 30 juin 1838 stipule que l’asile doit soigner et séquestrer, des murs d’enceinte sont alors construits autour des asiles. Cependant dans la réalité, on observe que les asiles deviennent un système fermé dans tous les sens du terme avec peu de guérisons et peu de sorties. Le projet initial de soins se trouve dénaturé, au profit d’un système concentrationnaire et à nouveau lui-même aliénant.

À la fin du XIXe siècle début du XXe, on assiste à la révolution psychanalytique avec la découverte freudienne de l’inconscient à l’œuvre dans le fonctionnement humain. Le soin s’ouvre alors à l’écoute du sens caché des symptômes. La Seconde Guerre mondiale va venir bouleverser les expériences et donc les conceptions de l’institution, on y a trop souffert de l’idéologie totalitaire, de l’absence de liberté, de l’univers concentrationnaire et de l’eugénisme. Je rappelle que 100 000 patients qu’on dit incurables seront assassinés par le régime nazi en Allemagne et que, également en France, on a vu mourir 40 000 malades mentaux, de faim dans les hôpitaux psychiatriques. On a aussi découvert à l’occasion d’évacuation d’hôpitaux psychiatriques bombardés que des patients présentant des troubles du comportement majeur s’avéraient tout à fait adaptés à l’extérieur et développaient des capacités relationnelles riches.

C’est alors qu’apparaît le mouvement de la psychothérapie institutionnelle qui entend soigner l’institution aussi bien que le malade.  Il faut dire que la deuxième moitié du XXe siècle est riche en découvertes et en avancées dans le domaine du soin. En 1952 arrive le premier neuroleptique, la chlorpromazine découverte par Henri Laborit, et dont le pouvoir apaisant, contenant et sédatif va profondément changer l’atmosphère des services de psychiatrie. Parallèlement à cela, l’école de Palo Alto en Californie développe de son côté les thérapies familiales systémiques, observant qu’un individu présentant des troubles s’inscrit dans un système relationnel plus large : sa famille, son institution, son lieu de travail, et ne peut donc être soigné en faisant abstraction de ce système relationnel, car ce dernier peut être pathogène, et pérenniser les troubles du système relationnel, pas les individus en eux-mêmes bien sûr.

Ainsi à partir de 1945, se développe la psychothérapie institutionnelle où le psychanalyste est investi du rôle de tiers permettant de penser les situations cliniques et les soins qui doivent en découler. Je cite Racamier dans Le psychanalyste sans divan : « le champ institutionnel propose que soient simultanément pris en charge les malades, leurs familles, les soignants et l’institution même en tant qu’ensemble organisé. »

Le cadre institutionnel y est la transposition du cadre analytique, l’écoute analytique y irrigue l’espace de pensée pour les soignés autant que pour les soignants. Les précurseurs de ce mouvement de la psychothérapie institutionnelle sont Georges Daumezon, François Tosquelles et Jean Oury, entre autres. Ces deux derniers fondent en 1960 avec d’autres collègues, le groupe de travail de psychothérapie et de sociothérapie institutionnelle ; deux lieux phares entre autres ont illustré ce courant : Saint-Alban, avec François Tosquelles et Lucien Bonnafé, et Laborde avec Jean Oury, qui avait lui-même été formé à Saint-Alban par Tosquelles. Et c’est dans ce mouvement d’ouverture et de désenclavement, qu’une circulaire ministérielle instaure la création de la sectorisation psychiatrique en 1960. L’idée directrice en est que c’est aux soins de venir vers le sujet dans la cité grâce à une équipe soignante de proximité. On est loin de l’idéologie précédente d’asile éloigné où on enferme les malades. Le secteur psychiatrique s’appuie alors sur une expérience effective depuis 1958, la création de l’ASM13 par Philippe Paumelle. Et je laisse la parole à ma collègue Pascale Jeanneau-Tolila pour décrire la façon dont nos prédécesseurs prestigieux ont pensé une institution où psychiatre et psychanalyste travaillent ensemble, où psychiatrie et psychanalyse se complètent pour aider les patients dans leur trajectoire thérapeutique complexe.

Dr JEANNEAU-TOLILA Effectivement, la politique de secteur a été initiée par une expérience pilote mené par Philippe Paumelle, rapidement rejoints par Serge Lebovici et René Diatkine dans le XIIIe arrondissement, en 1958, avec l’idée de sortir de l’hospitalo-centrisme en déplaçant le lieu de la rencontre et en accompagnant le patient dans la cité, dans son bassin de vie.

C’était là l’idée d’une psychiatrie communautaire et militante, avec un souci humaniste tout à fait appuyé. L’association de ces trois figures de la psychiatrie que sont Paumelle, Lebovici et Diatkine, dit aussi la conviction de la complémentarité de la psychiatrie de l’adulte et celle de l’enfant, comme de celle de la psychiatrie et de la psychanalyse. René Diatkine qui est donc un pédopsychiatre disait à cet égard que selon lui, le sens de la psychiatrie infantile était précisément de prévenir la survenue d’une schizophrénie.

Paumelle commence donc par créer une petite équipe constituée d’un psychiatre, d’une infirmière et d’une assistante sociale dans le XIIIème et il y accueille les patients en consultation, il va en visite à domicile, il gère les urgences etc. Forte de cette expérience, dont le succès est grandissant, en 1960 donc comme l’a dit Nelly, une circulaire ministérielle généralise cette politique de secteur à tout le territoire et le centre médico-psychologique (C.M.P.) devient donc officiellement, le pivot des institutions de soins psychiatrique, avec la formation d’une petite équipe pluridisciplinaire, dite équipe de secteur, à dimension humaine et qui permet des liens privilégiés entre le patient et les soignants, et on sent ici déjà toute l’imprégnation de la pensée psychanalytique.

Toutefois il faut quand même penser des institutions d’accueil variées car désaliénation ne veut pas dire désinstitutionnalisation. Et pour un certain nombre de patients, il est évidemment constaté que ce type d’accompagnement en CMP n’est pas suffisant et que cet accueil ambulatoire doit être complété par des soins à temps complet.  C’est comme ça que dans le XIIIème en tout cas, l’hôpital de L’eau vive, c’est le nom de l’hôpital, voit le jour en 1963 quelques années plus tard donc à quelques kilomètres de Paris pour cette fois-ci accueillir des patients dont les troubles sont plus graves et nécessitent un accueil d’un temps de crise et un traitement plus long, plus contenant avec une surveillance accrue.

Cela étant, il reste que l’hôpital de secteur ne sera qu’un maillon dans la chaîne des soins du patient, et les soins psychiatriques seront déclinés sur plusieurs types de structures et plusieurs types d’institutions, qui peuvent être sollicités à différents moments du parcours du patient, avec l’idée que le lien importe davantage que le lieu ; et que l’hospitalisation doit être un temps du traitement plutôt qu’un espace.

Alors à cette époque les fondateurs avaient créé un certain nombre de lits, mais pas autant qu’il en était demandé, si bien qu’ils avaient fait une économie ce qui a permis de créer des institutions extra-hospitalières et c’est dans ce mouvement que l’hôpital de jour est né, d’abord sur le site de l’hôpital donc à quelques kilomètres de Paris et puis il a été délocalisé, ou plutôt relocalisé à Paris, dans la cité, dans le bassin de vie du patient et il a été dirigé par Jacques Azoulay. Jacques Azoulay, c’était un psychiatre psychanalyste très engagé lui aussi dans le soin institutionnel et particulièrement soucieux des difficultés rencontrées par les équipes soignantes face à la répétition, à la chronicisation et a la destructivité des malades. Tout psychanalyste qu’il était, il restait très attaché à ce que la psychanalyse ne soit pas idéalisée et par là-même déconnectée des soins psychiatriques. Cela me permet là aussi de faire la promotion d’un autre ouvrage biblique c’est Jacques Azoulay, Textes fondateurs : L’engagement d’un psychiatre analyste, un bouquin qui est paru en 2016 et qui est le rassemblement de travaux et d’articles à la fois de Jacques Azoulay et de plusieurs de ses élèves : Victor Souffir, Bernard Odier, Serge Gauthier, Josiane Chambrier-Slama et Dominique Deyon.

Donc en 1965, l’hôpital de jour de l’ASM13 voit le jour avec l’idée de sortir le patient de l’enfermement asilaire délétère qui demeure un des dangers de l’hôpital. L’hôpital de jour devenant à son tour avec le CMP et l’hôpital, un chaînon indispensable de l’équipe psychiatrique, avec comme premier objectif celui d’être psychothérapique, en tirant partie dans un sens dynamique des échanges de la vie quotidienne entre patients et soignants.

Mais alors assez vite Jacques Azoulay repère qu’il faut ici aussi lutter contre les risques institutionnels. Il observe que les attaques destructrices répétées des patients psychotiques viennent attaquer les équipes soignantes, les cadres de soin, et il les met en lien avec le fonctionnement psychotique sur le plan psychopathologique, qui vient lui-même attaquer le processus de penser des soignants ; et c’est là, que l’usage de l’outil psychanalytique prend tout son sens et toute sa valeur, car dans une réflexion portée par la théorie psychanalytique, il va avec son équipe mettre au travail tout ce qui émerge comme conflit en énonçant les risques et en cherchant les moyens d’y remédier.

Ces risques institutionnels, ils sont multiples et ils sont insidieux. Il y a le risque d’emprise, le risque d’aliénation, le risque de l’inséparabilité secondaire, le risque d’idéalisation d’abord et de déception ensuite, le risque du désinvestissement du patient qui en découle, le risque de contre-attitude ensuite, de lassitude, de rejet etc. Donc un certain nombre de risques contre lesquels il faudra lutter. Et on a donc choisi d’extraire de façon assez schématique tout ce qui a pu être pensé pour que l’hôpital de jour, soit et reste, un appareil de soins fonctionnel. En fait on a dégagé, vous allez voir, dans un souci de meilleure compréhension, cinq pistes de travail pour expliquer comment prévenir ces risques et pour remédier à ces risques.

Les cinq axes qu’on a dégagés sont ceux-là : il faut d’abord pouvoir lutter contre la dépendance, il faut pouvoir aussi lutter contre le repli, relancer les investissements, 3ème axe de travail, lutter contre l’emprise et la séduction narcissique et enfin il faut pouvoir mettre une butée à la destructivité.

Lutter contre la dépendance justement pour prévenir les risques institutionnels, comment on peut le faire ? Cela peut passer d’abord par la mise en place d’une discontinuité dans la venue des patients, afin de ne pas pâtir pour le soignant d’un sentiment d’envahissement par le patient et pour le patient d’un vécu d’emprise ou d’engloutissement par le soignant. Cela permet de laisser du vide dans l’accompagnement avec une alternance de présence et d’absence et permet de relancer une temporalité qui souvent fait défaut dans la psychose. Cette discontinuité des venues allège considérablement le poids de la dépendance des patients à notre encontre, et elle est à mettre au crédit de la permanence de l’objet, qui reste présent, qui reste disponible et qui permet au patient de profiter à son retour d’un moment de retrouvaille avec l’objet d’étayage. Et en outre cela permet de mettre un accent sur les parties saines du patient, sur les capacités qui lui restent et sur lesquelles il peut encore s’appuyer à l’extérieur.

Deuxièmement, il faut pouvoir aussi lutter contre le repli ; en effet le repli narcissique pour un certain nombre de patients, c’est un temps indispensable, une défense indispensable, une défense anti objectale qui est propre au fonctionnement psychotique puisqu’on sait que la base narcissique est précisément une des défaillances chez les patients psychotiques. Donc ce repli sera un mouvement défensif qui sera à respecter, mais pour un certain temps. Il faudra aussi lui offrir une butée, pour que ce repli ne soit pas permanent, il faut lui offrir une butée à valeur réorganisatrice, c’est-à-dire que le patient malgré tout ne devra pas être laissé dans ce marasme du repli et pour lutter contre ce repli et bien il faudra qu’il se sente l’objet d’un investissement progressif de la part de l’institution, un investissement fiable, continu, grâce à la disponibilité des soignants et à leur façon de l’accueillir à son rythme, de façon très périphérique parfois puis progressivement plus active, en tout cas ajustées aux défenses anti-objectales qu’il a mises en place de longue date et qu’il ne s’agit pas de bousculer. Et ainsi grâce à la persévérance des soignants qui continuent à tour de rôle de parfois aller au contact, le patient pourra sortir de son marasme et de ce repli.

La 3ème manière de lutter contre les risques institutionnels, dûs à la psychose, c’est de pouvoir relancer les investissements.

Relancer les investissements : deux parties, d’abord favoriser la constitution d’un espace tiers et ensuite favoriser la constitution d’un pare-excitation. Pour ce qui concerne l’espace tiers, ce qu’on appelle « l’espace intermédiaire » ou « l’espace transitionnel » au sens de Winnicott, on sait qu’il fait souvent défaut chez les patients psychotiques.

Et, au fond, à l’hôpital de jour comme dans toute institution soignante suffisamment contenante, ce qu’on fait sans le savoir, c’est offrir et rendre disponible au patient un espace transitionnel. C’est donc un espace intermédiaire d’expérience, ni tout à fait dedans ni tout à fait dehors, dans lequel le patient pourra faire ses propres expériences, à cheval entre le registre narcissique et le registre objectal, un espace capable par ailleurs de subir les attaques sans être détruit.

Ensuite, il faut favoriser la constitution d’un pare-excitation. Donc ce que propose aussi l’hôpital de jour, c’est la constitution d’un pare-excitation plus contenant, moins poreux, parce que ce filtre qu’est le pare-excitation lui aussi fait défaut chez les patients psychotiques, chez lesquels toute excitation qui vient de l’extérieur risque d’être effractante, persécutante, intrusive, etc. L’institution devra constituer ce cadre contenant, fiable, protecteur, qui fera office de pare-excitation.

Et en definitive, grâce à ces deux fonctions définitrices que sont l’espace transitionnel d’un côté et le pare-excitation de l’autre et bien l’institution et ces soignants pourront accompagner le balancement entre investissement narcissique, pour préserver le narcissisme donc, et les investissements objectaux qui vont au profit de la relation à l’autre.

Cela donc va aider le patient à se défaire peu à peu, progressivement, de ces défenses anti-objectales qu’il a mises en place comme il pouvait et qui sont souvent très angoissantes au bout du compte. Toutefois là encore il faudra faire avec l’ambivalence du patient parce que l’investissement objectal prenant consistance, il peut risquer de devenir persécutant et, dans ce cas, on s’expose à un mouvement agressif ou un mouvement de rejet de la part du patient ; et donc il faut pouvoir à ce moment-là accueillir à nouveau et l’agir et la destructivité du patient de façon contenante sans vouloir la réduire à tout prix mais en sachant préserver l’institution.

L’équipe et sa diversité permettra de se passer le relai, en se distinguant les uns des autres pour supporter les attaques destructrices du patient. C’est ce qui représente la diffraction du transfert, sa dilution, et c’est ce qui permet d’en atténuer la force où l’impact, qu’il soit positif ou négatif, en le répartissant sur des soignants différents, chacun étant un support d’identification différent, « un ambassadeur de réalité » dit Racamier, qui représente souvent une partie clivée du patient.

4ème axe de travail, lutter contre l’emprise et la séduction narcissique. La séduction narcissique c’est un concept élaboré aussi par Racamier, dans ses travaux sur l’incestuel. Cela désigne cette illusion vécue par le soignant, d’être là pour le patient, pour son patient, tout-puissant, capable de sauver le malade. C’est une illusion, c’est un fait qui est tout à fait utile et important pour pouvoir investir des patients souvent difficiles mais il faut aussi s’en méfier parce que trop pris dans notre idée de toute-puissance à sauver le patient, on risquerait d’enfermer le patient dans une emprise en l’infantilisant par exemple.

Il faut donc garder continuellement en tête pour chaque patient et pour chaque traitement, de ne pas être trop paternaliste, de ne pas être trop maternant, afin que le patient soit davantage sujet et progressivement acteur de ses soins. En effet, ce dernier vient d’abord pour être soigné et tout l’enjeu de notre travail sera de l’amener progressivement à penser son accueil à l’hôpital de jour comme un temps et un espace où il vient pour se soigner, le rendre davantage acteur et moins passif. Dans ce même objectif, on prendra le soin de toujours garder le lien avec le psychiatre et l’équipe de secteur, celle du CMP, pour avoir un regard tiers sur notre travail, pour éviter cette emprise entre l’hôpital de jour et le patient et pour que le patient lui aussi garde un espace tiers différencié de celui de l’hôpital de jour. Ceci pour sortir encore une fois du piège de la relation duelle, trop vulnérable à la séduction narcissique à l’emprise et à la destructivité psychotique.

Jacques Azoulay soulignait ce risque : « celui d’être dans une compréhension complice de la dépendance et de la destructivité du patient ». Ce que soulignait Diatkine lui aussi dans les mêmes années avec des mots différents, en disant « tant que l’on n’a pas renoncé à l’ambition de soigner, on risque toujours d’en vouloir à ceux qui ne se laissent pas guérir ».

Dans ce sens nous devons garder du recul vis-à-vis de notre propre désir de réadaptation sociale pour le patient et de cette visée éducative qui correspond à l’Idéal du Moi du soignant, l’idée étant qu’il ne s’agit pas de réapprendre au schizophrène à penser ou à agir mais de plutôt lui donner la possibilité de retrouver des plaisirs perdus.

Enfin, le 5ème axe : mettre une butée à la destructivité des patients psychotiques. Il faut pouvoir opposer un non inébranlable à la destructivité des patients et prendre soin de l’institution. Ceci avec l’idée de savoir accueillir les mouvements projectifs sans toutefois laisser entamer la bonne santé de l’institution et de ces soignants. L’agressivité destructrice doit être réprimée pour maintenir le lien, l’attaque du cadre de soins ne doit pas être tolérée, le non des soignants qui contient de la vie est à distinguer du non des patients, c’est à dire du refus que sont l’opposition, le déni, l’attaque du soin et toutes formes de négativisme qui contiennent des attaques destructrices.

On pourra ainsi mettre en place ce que Racamier nomme « les actions parlantes » qui consiste à transformer un agir qui tait en une action qui parle, une action porteuse de sens. Voilà comment l’hôpital de jour devient thérapeutique avec des outils qui nous permettront de travailler avec un peu plus de plaisir que de déplaisir, que ce soit pour le patient ou pour le soignant car c’est le plaisir qui permet la créativité et le maintien de la relation.

Nelly va maintenant illustrer nos propos en évoquant plus concrètement en quoi consiste son travail de psychanalyste à l’hôpital de jour.

Dr GAILLARD JANIN : Donc, plus concrètement : en tant que psychanalyste, je travaille à l’hôpital de jour deux demi-journées par semaine, sans intervenir directement dans les soins des patients. Mon rôle consiste globalement en deux types d’écoute analytique : l’écoute analytique des patients et l’écoute analytique de l’équipe soignante.

Donc je vais faire une première partie d’illustration clinique autour de l’écoute analytique des patients et ensuite je parlerai de l’écoute analytique de l’équipe. Tout cela étant évidemment intriqué.

En ce qui concerne l’écoute analytique des patients, nous proposons aux patients des entretiens d’investigation ou d’exploration psychanalytique ponctuels avec moi, soit au moment de l’admission à l’hôpital de jour, soit à l’occasion d’un événement important dans leur vie ou même d’une décompensation. Et donc, je fais à ce moment-là connaissance du patient, sans information clinique préalable afin de me libérer de tout à priori clinique biographique ou anamnestique.

N’étant pas impliquée dans la prescription du traitement ou des hospitalisations, il s’agit d’un entretien dont la seule finalité et de mettre en place une écoute neutre propice au développement d’un dévoilement personnel du patient. Une écoute du matériel inconscient, c’est-à-dire de ce que le sujet ne sait pas qu’il est en train d’énoncer, dans la tranquillité de cette exploration psychanalytique où l’on prend le temps, où l’enjeu est la rencontre et la découverte du sujet qui se cache derrière le patient.

L’attention aux associations libres, aux lapsus, aux souvenirs familiaux lointains permettent régulièrement d’en apprendre davantage sur l’histoire du patient et sur les soubassements du déclenchement de ces troubles. Je partage ensuite mes impressions, ressentis contre-transférentiels et autres observations cliniques avec l’équipe dans son ensemble et nous réfléchissons les soins, sur la base de ces échanges interdisciplinaires. Ce type d’échange au sein d’une même équipe est parfois appelé réunion d’intervision, réunion de synthèse, réunion clinique etc. Le terme d’intervision est néanmoins intéressant dans la mesure où il souligne l’importance de ces visions multiples, différenciées ; et donc seul le croisement dans le respect des différences permet d’avancer dans l’élaboration de la compréhension du fonctionnement du patient, et dans l’élaboration des modalités thérapeutiques ajustées et en perpétuel ajustement.

Maintenant je vais parler de ce que de ce que j’appelle l’écoute analytique de l’équipe. Nous avons instauré des temps de réunion réservés à l’équipe soignante, afin de préserver un espace de réflexion sur les pratiques. C’est ainsi que j’anime des réunions d’élaboration autour des médiations thérapeutiques d’une part et des réunions de lecture de textes d’autre part. Ces réunions ne doivent cependant pas constituer une bulle fermée intimiste et clivante, le cadre de santé de l’institution y est donc convié et y participe activement. Et si une réunion débouche sur une prise de conscience d’un fait clinique ou institutionnel important à prendre en compte, ce fait sera évoqué lors d’une réunion plus élargie en présence de tous les médecins.

Je vais parler d’abord des réunions d’élaboration autour des médiations thérapeutiques. Les médiations thérapeutiques sont un des outils privilégiés du soin à l’hôpital de jour et plus largement, elles sont un des pivots thérapeutiques au sein des psychothérapies institutionnelles. Il s’agit d’ateliers ou un médium est utilisé pour favoriser la relation entre soignant et soigné, par exemple la terre dans un atelier de modelage, les photos dans un atelier de photo langage, l’écriture dans un atelier d’écriture etc. La liste est infinie, j’imagine que vous avez tous entendu parler des médiations thérapeutiques.

En général, il s’agit d’une pratique groupale, un groupe de patients y participe, les soignants les animent parfois seuls et le plus souvent en binôme et pour qu’une telle pratique prenne une dimension thérapeutique, c’est-à-dire pas seulement occupationnelle ou récréative, il est nécessaire de prendre le temps de penser le dispositif groupal à médiation et de pouvoir parler de ce qui s’y joue dans un espace de type supervision. Alors une écoute de l’écoute permet de décoder les agir des patients, de repérer les répétitions mortifères en action mais aussi de mettre en lumière les remarquables éclairages cliniques que ces ateliers révèlent.

Les patients y parlent en effet d’eux-mêmes indirectement sans s’en rendre compte le plus souvent, à la manière d’un enfant qui dessine lors d’une séance de psychothérapie et jette sur le papier les choses qui le traversent. Le psychanalyste qui anime ces réunions joue là encore un rôle de tiers, il est à l’abri des projections directes des patients car il est extérieur à l’atelier de médiation et ne fait qu’en écouter le récit. Ce qui lui permet de veiller à ce que l’équipe se préserve des écueils de toute relation thérapeutique, ce qui consiste à devenir « une mère trop bonne » ou « insuffisamment bonne », pour reprendre l’expression de WINNICOTT qui avait observé qu’une mère devait être suffisamment bonne. Ni trop, ni trop peu. Je cite Le psychanalyste sans divan : « Il s’agit donc de préserver une relation thérapeutique faite de tolérance sans masochisme, présence sans complaisance, fermeté sans fausse prestance, acceptation et utilisation contrôlée des réactions affectives personnelles, curiosité sans impatience ni intrusivité ».

Lors de ces réunions soit les collègues ont besoin de parler d’une de leur médiation pour une raison ou une autre et c’est ce que nous abordons, soit personne n’a spécialement besoin de parler d’une médiation et nous piochons au hasard une médiation dans une boîte contenant tous les noms des médiations sous forme de petits papiers. Stratagème que nous avons mis en place d’un commun accord avec l’équipe, pour que l’équipe n’ait pas la sensation de devoir préparer un topo à l’avance, au risque de perdre de la spontanéité et d’être hyper-anxieux. C’est alors l’occasion pour les collègues qui ont créé la médiation en question de présenter leur dispositif, son histoire, ses objectifs thérapeutiques, ses caractéristiques :

est-ce que c’est un groupe ouvert fermé ?, la durée, le rythme, le nombre maximum de participants, le devenir des éventuelles productions, les indications et éventuelles contre-indications de l’atelier et, très important, son déroulé, de la préparation de l’espace, à l’accueil des patients, au déroulé de la médiation en elle-même, jusqu’au post-groupe, ce moment de débriefing que prennent les collègues entre eux, en binôme en général, pour débriefer de ce qu’ils viennent de vivre en atelier.

Un exemple récent, il y a quinze jours, une soignante de l’hôpital de jour demande à l’occasion de la réunion médiation de parler de son atelier de théâtre. Je vais l’appeler Charlotte, pour plus de simplicité. Charlotte explique qu’elle est très ennuyée, inquiète et perplexe car les patients font défection les uns après les autres. Ils font part de leur anxiété et ils ne sont plus que deux à rester engagés et à venir régulièrement à l’atelier théâtre, ce qui pose question : d’une part en termes de pérennité de cette médiation mais aussi en terme de réalisation des objectifs initiaux qui étaient de jouer une petite pièce de théâtre à la fin de l’année ; et surtout ça pose question puisque nous sommes dans le champ du soin car cela interroge la pertinence du dispositif thérapeutique. Est-il assez contenant ? Est-il bien pensé ? Est-il thérapeutique ou au contraire plutôt anxiogène ?

Nous reprenons donc comme de coutume l’histoire de cette médiation dans notre institution, hôpital de jour. Charlotte nous rappelle que c’est une collègue désormais partie de l’hôpital de jour qui avait pensé cet atelier. Cette dernière avait eu à cœur de reproduire un dispositif qu’elle avait expérimenté dans son institution précédente et qu’elle avait beaucoup aimé. Il s’agit donc d’un groupe théâtre qui devait être animé par deux soignants, appuyés par la présence d’un metteur en scène non soignant. Le même d’ailleurs que celui avec lequel elle avait travaillé dans l’institution précédente.

Le dispositif visait à terme à mettre en scène une petite pièce de théâtre et à faire troupe entre autres, dans une horizontalité assez différente de notre fonctionnement habituel, puisque le f »aire troupe », comment dire ?, comprenait dans la pratique le fait que les soignants soient sur scène avec les patients avec comme injonction que tout le monde se tutoie et s’appelle par le prénom. Alors qu’à l’hôpital de jour les patients disent Madame untel aux infirmiers aux ergothérapeutes et évidemment tout le monde se vouvoie et inversement.

Le fait est que la soignante à l’origine de cette médiation à elle-même fait défection deux mois après le début de l’atelier ayant trouvé un poste plus près de chez elle dans une autre institution. Notre collègue Charlotte s’est donc retrouvée seule soignante et s’est aperçue petit à petit, qu’elle ne pouvait plus garantir le cadre contenant et thérapeutique de la médiation en étant « dans l’arène au milieu des patients ». Le metteur en scène quant à lui s’est retrouvé tout seul aux manettes de la direction de l’atelier. Et ainsi nous découvrons en l’écoutant que telle que l’a décrite Charlotte, cette médiation ressemble plus à un cours de théâtre qu’à une médiation thérapeutique. Charlotte ne parvenait par ailleurs pas à échanger avec le metteur en scène, aucun temps d’échange n’ayant été imaginé et inscrit dans le déroulé de l’atelier ni avant, ni après la séquence de théâtre. Le metteur en scène arrive une fois que tout le monde est installé et repart après la dernière scène.

Comme vous pouvez l’imaginer, la seule énonciation du déroulé et de l’histoire par Charlotte et de ce qui se joue cliniquement est déjà très éclairante pour elle. L’atmosphère des réunions est avant tout respectueuse et bienveillante comme devrait l’être tout espace de supervision. Le soignant est en effet tout seul aux prises avec une clinique difficile, l’enjeu est de l’écouter penser et de soutenir son processus élaboratif, pas de conseiller et encore moins de juger. A l’issue de cette présentation par Charlotte des échanges ont lieu et Charlotte propose de donner rendez-vous au metteur en scène pour aborder avec lui les écueils qu’elle perçoit dans leur dispositif et les conséquences cliniques qui en découlent : plus de patients et ils sont tous hyper angoissés. Elle a des pistes de modification du cadre afin qu’il reprenne une dimension thérapeutique et soit de nouveau contenant. Une nouvelle collègue devant intégrer l’hôpital de jour la semaine suivante, elle lui proposera de se joindre à elle pour que à nouveau il y ait un binôme soignant, pour garantir la dimension thérapeutique et contenante. Si ses échanges avec le metteur en scène ne parviennent pas à restructurer le cadre de la médiation et à s’assurer d’un meilleur fonctionnement groupal, elle proposera sans doute de mettre fin à l’atelier et prendra le temps de réfléchir à d’autres cadres possibles, sans metteur en scène peut-être, car elle aime beaucoup le théâtre et pense qu’il peut être utilisé sur un plan thérapeutique. C’est un exemple de l’élaboration que ces réunions médiations permettent, et c’est un exemple aussi du fait que ces réunions garantissent que le travail de médiation est pensé et écouté, parce qu’il est très riche mais très complexe.

Je vais maintenant vous parler des réunions de lecture de textes. Je vais faire un peu plus court que ce que je pensais. L’équipe ayant le souhait d’être stimulée et accompagnée dans un travail de lecture de textes, pour améliorer sa culture bibliographique et enrichir sa réflexion, elle a souhaité qu’on mette en place une réunion lecture de textes. Pour vous donner une petite idée : deux fois par mois il y a des réunions médiation, une fois par mois il y a la réunion lecture de textes et le 4ème lundi c’est une autre réunion qui a lieu mais avec des stagiaires. Pensée collégialement, l’équipe a souhaité que le choix des textes émane d’elle et pas de moi et ses réunions ont donc lieu une fois par mois depuis un an. Ce qui est très intéressant, c’est que d’une part le choix des textes se fait d’une fois sur l’autre par le biais d’un travail associatif qui tisse la réflexion sur notre fonctionnement institutionnel et les singularités de notre travail. Ainsi, par exemple, le premier texte choisi avait porté sur la groupalité soignante et ses avatars dans une institution. Le 2nd, par association d’idées, portait sur les ressorts de la contenance dans une institution. Le 3ème sur les différentes façons de concevoir le soin et c’était basé sur une interview de Irvin YALOM. Le 4ème avait porté sur les enveloppes psychiques et on voit qu’il y a vraiment un fil, comme quand on suit un patient d’une séance à l’autre, personne ne s’en rend compte mais c’était frappant ! Cela montre bien le travail élaboratif de l’équipe sur son fonctionnement groupal et sur le sens du travail de chacun.

D’autre part, ce qui est très intéressant aussi, c’est que je me suis rendue compte que ces réunions permettaient indirectement et beaucoup plus facilement que lors d’une réunion, par exemple d’analyse de pratique, de parler de la pratique clinique, parce qu’en fait on ne s’en rend pas compte mais on fait des allers-retours permanents entre le texte et le quotidien avec les patients et finalement on fait de l’analyse des pratiques comme monsieur Jourdain fait de la prose sans le savoir dans Le Bourgeois gentilhomme.

Je vais vous en donner un exemple. Lors d’une réunion, l’équipe avait choisi un texte intitulé Un cadre pour les médiations de Bernard CHOUVIER. Dans cet article sont évoqués entre autres les effets positifs et thérapeutiques d’un cadre bien pensé : l’atelier fédère, les patients s’y fidélisent, le plaisir s’accroît petit à petit, il est partagé par les soignants et les soignés, la créativité s’épanouit etc. Et les effets délétères, au contraire, d’un cadre dysfonctionnel et qui demande à être repensé : les patients ne restent pas, ils expriment de l’anxiété, la créativité s’appauvrit, l’atelier ne parvient pas à recruter de nouveaux patients etc. Vous l’aurez deviné, c’est à l’occasion de cette réunion de lecture de textes que Charlotte a pris conscience du fait qu’il y avait peut-être quelque chose qui clochait dans son cadre de l’atelier théâtre. Elle associe donc à voix haute sur ce que ce passage du texte évoque pour elle, elle dit qu’elle va décanter ses réflexions et a demandé à cette occasion-là, que la prochaine réunion médiation porte sur son atelier théâtre.

J’ai un autre exemple clinique. Lors d’une réunion lecture de textes qui portait sur la contenance institutionnelle et où il était question des effets délétères des contre-attitudes, une soignante, que je vais appeler Mathilde, mentionne un problème auquel elle se confronte à chaque fois qu’elle anime son atelier almanach. Il s’agit d’un atelier ouvert qui se tient dans la grande salle commune et donc plus ou moins au milieu des patients, même si ceux qui s’y intéressent plus particulièrement se regroupent en cercle autour d’elle. Systématiquement, un des patients de l’hôpital de jour, qui est particulièrement apragmatique et n’y participe pas, dérange l’atelier, en faisant du bruit. C’est un patient qui passe le plus clair de son temps, à jouer tout seul aux échecs sur une table, parfois même à dormir, dans un savant retrait schizophrénique qu’on peut penser auto-conservateur et défensif.

Durant l’atelier almanach, il marmonne, bouge sa chaise, manipule les pions bruyamment, ce qui conduit Mathilde à l’invectiver vertement, invectives qui paraissent peu thérapeutiques aux collègues et choque parfois les stagiaires mais personne ne parvient à aborder ce problème d’une manière telle qu’il soit dépassé. Mathilde prend la parole et dit : « Ah, en tout cas moi quand je reprends Monsieur X pour le recadrer pendant l’almanach, ce n’est pas une contre-attitude. Je le recadre parce qu’il attaque mon atelier. »

Nous pouvons alors interroger le dispositif de cet atelier qui d’une certaine façon fait intrusion dans l’espace commun et sans doute dans l’espace personnel de ce patient. Peut-être manifeste-t-il son besoin de voir respecter ses limites ou son angoisse d’être envahi par l’autre, d’être forcé de socialiser. En tout cas ces manifestations sont sans doute des manifestations symptomatiques d’un mal-être car ses défenses sont mises à mal, et ce n’est sans doute pas l’expression pure et simple d’une provocation agressive comme Mathilde le percevait jusqu’à maintenant. Y répondre de manière éducative : « Ça suffit maintenant, Monsieur X, arrêtez de faire du bruit », semble donc être du registre de la contre-attitude et ne pas prendre en compte ce qui se joue chez le patient à ce moment-là et évidemment ça ne marche pas du tout.

Mathilde perçoit tout à coup, le sujet souffrant qui se cache sous le masque du patient ingrat et attaquant et s’exclame qu’elle n’avait jamais songé au fait qu’elle s’installe sur le territoire des patients, en investissant la salle commune lors de l’almanach. Elle n’avait jamais pensé, à ce que Monsieur X pouvait ressentir en termes d’angoisse archaïque, elle dit qu’elle va y réfléchir et nous en profitons pour expliquer la différence entre contre-transfert et contre-attitude. La contre-attitude étant souvent le résultat d’un contre-transfert non analysé. Depuis, Mathilde, sans pourtant modifier énormément le cadre de son atelier almanach nous a rapporté qu’elle ne rencontre plus aucun problème avec Monsieur X. Il semble que le simple fait qu’elle ait une meilleure intuition de ce que peut vivre le patient et donc sans doute une plus grande empathie, ait radicalement changé l’atmosphère de ce moment collectif. Ces réunions lecture de textes sont ainsi l’occasion d’aller et retour incessants et féconds entre passage de texte et questionnement clinique du quotidien. Et dans la réalité, ce dont il est question est essentiellement le travail de terrain, la théorie servant de tremplin inspirant pour aborder et penser nos pratiques.

Dr JEANNEAU-TOLILA J’ai un autre exemple si c’est encore possible [dans notre temps]..., plus institutionnel, celui d’une ergothérapeute arrivée dans le service récemment et qui a eu l’idée de mettre en place un nouvel atelier en fin de journée le vendredi, puisque l’hôpital de jour est ouvert du lundi au vendredi de 9h00 à 17h. Le vendredi étant donc le dernier jour avant les deux jours de week-end où il n’y a pas de soin d’hôpital de jour.

Donc un nouvel atelier, où il s’agirait pour les patients de se dire au revoir avant le week-end sur le même modèle que le temps d’accueil qui existe déjà le lundi matin, où c’est le moment pour les patients et les soignants de se dire bonjour.

Je décris l’atelier de façon tout à fait simpliste, mais il est bien évident que la concrétude de ce moment, au temps où on se dit au revoir, condense implicitement, tout un tas de subtilités, sur le travail de la séparation, celui de la dépendance dont on a parlé tout à l’heure, celui de l’absence à venir etc. tout ce dont on a déjà parlé sur l’alternance présence-absence etc. Et l’atelier se mettant en place, il a été à plusieurs reprises de façon un peu fortuite agrémenté par la distribution d’un gâteau fait le matin-même dans un atelier pâtisserie, ou d’un gâteau à l’occasion du départ d’un soignant pour un autre jour, tant et si bien que cet espace a été rapidement associé à un moment de rassemblement et de partage de nourriture, qui en ravissait plus d’un, que ce soit du côté des patients ou du côté des soignants d’ailleurs. C’était chaleureux, c’était convivial, réconfortant, consolant tout ça très bien avant de se séparer. Et d’ailleurs, un certain nombre de patients du CATTP, qui est un service voisin, mitoyen venaient au temps d’ateliers de fin de journée parce qu’ils savaient qu’il y avait un bout de gâteau et qu’ils pouvaient gratuitement se faire plaisir.

Alors, évidemment, il était devenu impossible de parler de séparation justement, dans un mouvement défensif d’évitement, grâce ou plutôt, à cause de cette avidité orale qui venait combler par anticipation ce qui allait manquer dans les deux jours à venir. Ce moment régressif, réparateur dans un premier temps, avait son lot de désagréments heureusement, parce qu’en effet l’ergothérapeute perdait un certain temps à faire le thé, le café, à servir chacun et puis après il fallait ranger, nettoyer etc. Et donc peu à peu, elle s’est sentie débordée et puis dépossédée de son espace d’élaboration qu’elle avait commencé à penser.

C’est un mouvement qui aurait pu être assez gratifiant que de voir tous ces patients se précipiter vers un nouvel atelier, surtout à ce moment-là de la semaine ou en général les patients partent assez rapidement, mais en fait, elle ne s’en est pas réjouie et elle s’est au contraire sentie assez mal à l’aise avec ce succès. Et le cadre qu’elle avait imaginé risquait en effet d’être perverti, voire attaqué par cette mise en acte orale.

Nous avons donc rapidement évoqué cela en réunion, chacun exposait son point de vue, d’aucuns trouvant le moment agréable, ne comprenant pas pourquoi il faudrait se priver de ce genre de plaisir partagé mais d’autres voyaient qu’on était complètement dépassé par ce pseudo succès. Et donc sous couvert de la difficulté à offrir concrètement chaque vendredi un gâteau, nous avons pu nous poser un certain nombre de questions et ainsi pointer les risques de ce changement de cap dans l’atelier.

Pourquoi avoir besoin de consoler les patients avant de les laisser partir ? Pourquoi avoir besoin de se réconforter mutuellement ? Peut-on s’autoriser en tant que soignant à être heureux d’être en week-end, à être soulagé de quitter les patients ? Que doit-on faire pour contre-investir ce mouvement de rejet ? Les patients eux-mêmes profitent-ils de ce moment de partage convivial ? Ou bien chacun est-il dans son coin à dévorer goulûment son gâteau ? Allons-nous, grâce à ce moment partagé, partir plus tranquillement chacun chez soi ? Et pourquoi ? Et dans tout cela, quand est ce qu’on parle de la séparation ? Nous avons dû à nouveau rappeler les risques de la régression à la dépendance, les risques de l’inséparabilité, les risques de l’agir que nous risquions d’induire nous-mêmes par cet empressement à être dans le trop bon, comme on l’a dit tout à l’heure, d’être dans le maternage et non plus dans l’apprentissage de l’autonomie et de la séparation.

Et c’est bien parce que nous étions adossés à notre pensée psychanalytique que nous avons pu faire émerger ces questions. Nous avons donc ajusté les modalités de cet atelier, dans lequel le goûter ne serait pas associé systématiquement pour redonner une place au verbe, à la parole, à l’énoncé de l’affect si possible ou juste au silence, mais en tout cas avec l’idée qu’il valait mieux un vide et la figuration du psychique plutôt que le comblement par l’oralité. Quitte à ce que certains s’en plaignent d’ailleurs et si exceptionnellement nous devions partager un gâteau il n’en serait que meilleur pour chacun.

Je pense que l’on peut conclure. Nous avons essayé de vous montrer comment notre travail articule l’approche psychanalytique et le soin psychiatrique. Bien sûr notre exposé n’est pas exhaustif, on pourrait continuer à développer ainsi tout un tas d’autres exemples de collaboration entre psychanalystes et psychiatres. Il existe beaucoup de synergies possibles. Je pense que l’on pourra peut-être parler de tout cela de façon plus interactive, merci.

Dr RUMEN Nelly, Pascale, merci beaucoup pour ce topo dans lequel vous êtes en parfaite harmonie pour expliquer la place de chacune et votre collaboration.

Moi j’étais très intéressée parce que cela donne un éclairage finalement à la fois très pratique, très parlant, du travail qui est fait tous les jours et de combien il est précieux. Donc merci beaucoup, je vais permettre aux étudiants de poser des questions à leur tour, je suis sûre qu’il y en aura. Merci beaucoup en tout cas !

Étudiant Merci pour cette présentation très riche et très pratique aussi.

J’avais deux questions. Une question concernant la différence que vous faites entre un atelier en individuel et un atelier en petit groupe. Je voulais savoir ce que vous en pensez, dans votre approche de ce qu’on peut en retirer au niveau de la clinique ? Et, deuxième question, ces ateliers comment faire pour qu’ils soient vivants et qu’ils ne tombent pas dans une routine ?

Dr GAILLARD JANIN Atelier individuel ou en groupe : il y a différentes indications d’atelier en individuel, dans une institution psychiatrique, et en particulier de secteur. On fait en sorte que ce soient en majorité des ateliers de groupe, parce qu’on a un nombre de patients quasi infini malheureusement et qu’un des objectifs de l’institution est de resocialiser les patients qui sont parfois dans un isolement que vous auriez du mal à imaginer.

Néanmoins, il arrive que l’on fasse des ateliers en individuel soit pour des patients qui ne sont pas encore prêts à se confronter au groupe soit pour des patients qui ont vraiment une problématique très singulière. Les enjeux thérapeutiques sont à peu près les mêmes, mais je dirais que dans nos institutions les ateliers individuels sont pour les patients plus fragiles qui ne tiennent pas en groupe, alors qu’en ville vous avez des patients qui font des psychothérapies à médiation, par exemple de l’art thérapie, de la musicothérapie... au contraire parce qu’ils sont pas psychotiques et qu’ils ont envie d’aller un peu plus loin. Là je vous parle des spécificités d’une institution psychiatrique de secteur. Globalement, les objectifs thérapeutiques sont les mêmes, c’est-à-dire que par le truchement d’un médium, la relation soignant-soigné se fait beaucoup plus spontanément et naturellement et il y a plein de choses qui sortent émotionnellement, verbalement, beaucoup plus facilement par le biais du médium, de même que, dans les réunions de lecture de texte, le médium texte permet de parler de la clinique avec beaucoup moins d’inhibitions et de craintes, que sans un support de texte.

Dr JEANNEAU-TOLILA Ce qui est peut être important à ajouter pour les médiations individuelles, c’est qu’on fait quand même en sorte que le soignant ne se sente pas seul avec le patient et que le patient ne se sente pas avoir une place privilégiée par rapport aux autres patients. Je crois que c’est pour cela aussi que toutes les réunions de rencontres, inter-équipes, sont importantes, pour faire ces va-et-vient…

Dr GAILLARD JANIN Et puis, il y a toujours la figure du tiers qui est incarné à un moment donné parce qu’il y a d’abord un entretien avec le médecin ou avec le référent soignant du patient, avant de décider de l’inscription d’un patient dans une médiation, qu’elle soit individuelle ou de groupe.

Dr JEANNEAU-TOLILA Il faut qu’il y ait une fin aussi, que ce soit un cycle d’ateliers pour ne pas que ce soit le début d’une prise en charge indéfinie et infinie.

Dr GAILLARD JANIN Pour les ateliers individuels ou même en groupe ?

Dr JEANNEAU-TOLILA Pour les deux.

Dr GAILLARD JANIN Donc, on rejoint la 2ème question, comment faire en sorte qu’un atelier soit vivant et ne devienne pas routinier ?

Effectivement introduire la temporalité, soit en donnant une durée limitée à la médiation, par exemple un cycle de six mois et puis au bout de six mois les patients peuvent changer et c’est énoncé d’emblée ; soit, pour certaines médiations qui durent beaucoup plus longtemps, de toute façon mettre en place une réunion au moins une fois par an, qui permet de faire un bilan, un état des lieux, de repenser le cadre. Il y a les réunions médiation qui font aussi un peu rupture, pause, pour permettre de penser.

À peu près une fois par an, les soignants expliquent aux patients que l’atelier n’aura pas lieu et ils prennent le temps de l’atelier pour repenser un peu leur dispositif et échanger, donc il y a comme cela tout un tas d’inscriptions, de disruptions temporelles.

Une autre clé pour qu’un atelier soit vivant : que la médiation soit choisie par les soignants en fonction de leurs goûts et couleurs, c’est hyper important parce que le plaisir qu’éprouve le soignant, le patient en bénéficie par ricochet. Et donc il ne faut pas forcer un soignant à faire un atelier gymnastique alors qu’il déteste le sport, s’il adore l’écriture et qu’il veut faire un atelier d’écriture, eh bien banco c’est ça qu’il faut faire. C’est hyper important. Et quand on accueille de nouveaux soignants, on fait toujours très attention, on dit quelles sont les places pour lesquelles on a besoin d’un nouveau soignant, les ateliers qui sont vides de soignants, mais on laisse la possibilité aux nouveaux arrivants de dire : ‘ça, ce n’est pas mon truc je déteste ça’, et de créer autre chose... sinon ça ne peut pas fonctionner.

Dr JEANNEAU-TOLILA Oui, et une autre manière, peut-être casser la routine : faire intervenir un stagiaire de temps en temps, pour qu’il y ait un petit peu une entorse au cadre établi au départ. Du coup, il y a toujours des surprises à ce niveau-là. Les soignants sont un peu frileux mais finalement ça apporte autre chose de plus fonctionnel.

Étudiante Merci, c’était vraiment très intéressant. Vous avez employé ce mot, pour certains psychotiques, vous disiez intéressant d’avoir une dilution du transfert ; et je voulais vous interroger par rapport à vos places de psychiatre et psychanalyste : est ce que le patient à un seul médecin-référent ? Est ce qu’il a un médecin-référent pour les médicaments, un autre pour une thérapie ? Est-ce que ces différents médecins viennent le voir ? Comment ça se passe ? Comment ça s’organise ? Est-ce que c’est différent suivant chaque pathologie ?

Dr JEANNEAU-TOLILA C’est une bonne question. Chaque patient a un psychiatre à l’hôpital de jour et un psychiatre au centre médico-psychologique, un psychiatre référent qui s’occupe en général de son traitement et donc effectivement il y a des espaces différenciés, c’est très important. Après, au sein de l’hôpital de jour, il y a un psychiatre, il y a un référent soignant et puis il y a toute l’équipe autour et c’est cela qui permet la diffraction du transfert et le fait qu’on ne va pas travailler tout seul en tête à tête avec son patient. C’était le sens de votre question ? Je vous réponds ?

Dr GAILLARD JANIN Et moi, je ne suis pas le patient en psychothérapie et encore moins en psychanalyse au sein de l’hôpital de jour. Les entretiens que je fais sont ponctuels.

Dr JEANNEAU-TOLILA Et d’ailleurs, les entretiens que je fais, moi, en tant que psychiatre à l’hôpital de jour, je les fais toujours en présence du référent ergothérapeute ou infirmier. Je ne suis jamais toute seule avec le patient ; c’est possible mais en général on essaie d’être plusieurs, justement pour chacun avoir un peu notre rôle dans l’échange. C’est toujours important d’avoir une fonction un peu différenciée et des supports d’identification différents aussi.

Dr GAILLARD JANIN Et les suivis psychothérapiques ont lieu, soit en ville, soit au centre médico-psychologique, jamais à l’hôpital de jour puisque par définition les patients sont censés y séjourner un temps à durée déterminée, qui est parfois très long, mais c’est important que le suivi ait lieu à l’extérieur, le suivi dans la continuité pour justement leur permettre de se figurer qu’un jour ils vont sortir sans perdre leur psychiatre traitant ou leur psychothérapeute.

Dr RUMEN Et à l’hôpital de jour, ce qui soigne, la thérapeutique, je ne sais pas si vous en êtes d’accord, mais c’est l’activité à médiation, c’est dans ce cadre-là, par ce dispositif particulier, qu’on soigne. C’est là qu’a lieu la thérapie de l’hôpital de jour. Après, en ce qui concerne la psychothérapie du patient, c’est autre chose, c’est un autre dispositif qui n’a pas lieu au même endroit en fait, parce que ce serait assez confusionnant et persécutant et pas pertinent en fait !

Étudiante Est-ce que cet hôpital de jour prend en charge des patients adultes ou est-ce qu’il y a un cadre institutionnel possible pour les patients plus jeunes ? Et si c’est le cas comment cela se passe ?Dr JEANNEAU-TOLILA Effectivement, on ne l’a peut-être pas précisé, c’est un hôpital de jour qui reçoit des adultes, à partir de 18 ans. Les âges des patients qu’on reçoit sont assez variés, depuis jeune adulte jusqu’à plus de 60 ans.

Étudiante Justement, qu’est-ce qu’on pourrait imaginer comme cadre institutionnel et est-ce qu’existe un hôpital de jour pour de plus jeunes patients qui ne sont pas forcément psychotiques, en tout cas pas diagnostiqués ?

Dr JEANNEAU-TOLILA Il existe des hôpitaux de jour pédopsychiatrique, enfin infanto-juvéniles et puis des hôpitaux de jour pour adolescents, il y a plusieurs types de déclinaisons comme cela, d’hôpitaux de jour.

En général quand même les jeunes enfants qui ont besoin d’être en hôpital de jour sont des enfants qui sont assez malades, souvent autistes, qui ont des psychoses infantiles ou des troubles du spectre autistiques, comme on dit maintenant ; en général, ce sont plutôt des enfants qui sont assez en difficulté pour suivre une scolarité normale par exemple.

Dr RUMEN Et cela existe à l’ASM13, mais c’est un département de l’enfance.

Dr JEANNEAU-TOLILA Je voulais juste dire que les patients qui étaient suivis en hôpital de jour pendant l’enfance ne sont pas toujours relayés, parce que ce n’est pas la même pathologie, ce ne sont pas des schizophrénies que l’on reçoit ensuite à l’âge adulte, ce sont différents types de soins.

Étudiante Je vous remercie pour cet exposé toutes les deux, parce que c’est très rassurant ce travail en commun entre la psychiatrie et la psychanalyse. Ce que j’ai compris, c’est que ce qui vous anime c’est toute l’histoire et la pratique de la psychothérapie institutionnelle. Est ce qu’il y a des hôpitaux de jour qui ne fonctionnent pas avec ses outils historiques ? Et comment ça se passe ? Est-ce que c’est possible de travailler sans la psychothérapie institutionnelle ? Je vous remercie.

Dr JEANNEAU-TOLILA Pour nous ce n’est pas possible, mais cela existe effectivement, il y a des hôpitaux de jour qui sont très très axés sur la réhabilitation psychosociale dans un style plus neurocognitif. Nous à l’hôpital de jour, on a une neuropsychologue avec laquelle on travaille très bien et on arrive à trouver un langage commun et avec des outils complémentaires, psychanalyse et neuro-psychologie ; et c’est très intéressant. Mais il y a des hôpitaux de jour où il n’y a que de la thérapie cognitive par exemple avec des choses beaucoup plus concrètes […].

Dr GAILLARD JANIN Des hôpitaux de jour TCC (Thérapie Cognitivo-Comportementale) ou neuropsy.

Dr JEANNEAU-TOLILA Nous, cela nous paraît difficile de travailler. En tout cas, nous, la psychothérapie institutionnelle, c’est quelque chose qui se fait sans trop y réfléchir. On a l’impression de ne pas y avoir réfléchi sauf que visiblement on y a réfléchi quand on regarde notre exposé... Mais enfin je pense que même dans les institutions qui ne sont pas adossées officiellement à la psychanalyse, il y a quand même une façon de penser l’appareil de soins qui se réfère sans le savoir à la psychothérapie institutionnelle probablement, parce qu’on peut difficilement travailler et faire vivre un appareil de soin de façon comme ça vivante et saine sans être adossé à une pensée de ce type-là.

Dr GAILLARD JANIN Je pense que la valeur thérapeutique d’une institution tient beaucoup à l’ambiance et à la qualité de la relation de confiance qui est tissée entre l’équipe d’encadrement et l’équipe de terrain, si je peux m’exprimer comme ça. Et donc je pense qu’avec beaucoup d’autres techniques, du moment qu’il y a un ensemble, un groupe humain un peu harmonieux et qui se fait confiance, il y a déjà quelque chose de l’ordre de la vitalité qui passe et qui réanime beaucoup les patients.

Dr JEANNEAU-TOLILA Oui, c’est la bienveillance de l’écoute de chaque soignant qui je crois est bien utile pour le soin.

Dr GAILLARD JANIN Après, il y a sûrement des structures où les activités sont pensées comme récréatives et occupationnelles et cela ne fait pas mourir les patients ; ce n’est pas tout à fait la même dimension, ce ne sont pas tout à fait les mêmes objectifs thérapeutiques et pour autant il y a de la sublimation au sens de Freud, il y a de la socialisation, il y a plein d’ingrédients qui sont importants. Donc je pense qu’il faut être ouvert, mais c’est vrai que c’est assez confortable d’être comme tu le dis adossé à une pensée du soin aussi organisée et structurée que la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle parce que cela donne des clés d’organisation, de « management » et une cohérence d’ensemble très confortable, je trouve.

Dr JEANNEAU-TOLILA Oui, et cela nous permet souvent de sortir d’ornières de ce type, d’impasses thérapeutiques, et on essaie toujours de penser ensemble, on s’aperçoit que grâce aux outils qu’on a pu travailler précédemment, on retrouve quand même un chemin qui nous permette de sortir d’une impasse avec un patient.

Dr RUMEN Cela permet de penser les relatifs échecs, quand on est dans une espèce d’impasse, ou dans un sentiment d’échec, je crois que c’est quand même ce qui permet… la thérapie cogitivo-comportementale ne te permettra pas en tant qu’outil théorique de pouvoir dire pourquoi ce patient ne vient plus à cet atelier et ce sera sans doute une prise de conscience très terre à terre. La psychanalyse permet quand même d’avoir quelque chose d’une dimension d’un pas de côté qui est quand même assez fondamentale dans nos métiers.

Dr JEANNEAU-TOLILA Oui, un pas de côté et peut-être aussi le souci de ne pas tout savoir et de ne pas tout comprendre ; et cela, je pense que c’est propre aussi à la psychothérapie institutionnelle, qu’on accepte de ne pas tout maîtriser, de ne pas tout comprendre de ce qui se joue, tout ce qui se passe chez les patients, de comprendre qu’après ou très longtemps après parfois, en tout cas avec l’aide aussi de nos partenaires extérieurs. Je pense que c’est important aussi de ne pas rester dans l’illusion qu’on sait tout sur le patient.

Dr GAILLARD JANIN Je dirais qu’un des pivots de la thérapie institutionnelle, à mes yeux, c’est l’éclairage qu’elle a mis sur l’écoute des soignants, dans quelque chose de beaucoup plus horizontal que ce qui a existé autrefois, où il y avait les grands chefs et les petits métiers ; et à partir du moment où vous avez, dans une institution, un encadrement qui écoute ce que vivent les soignants, leurs paroles, leurs intuitions, leurs ressentis au quotidien, la sauce prend et ça fonctionne.

Dr JEANNEAU-TOLILA C’est ce que Racamier décrit bien d’ailleurs en disant que chaque soignant représente les différentes parties clivées d’un patient. Les patients psychotiques sont faits de plusieurs parties clivées, et, finalement, chaque soignant est porteur d’une des parties clivées. Quand, en réunion de synthèse, chacun s’exprime avec des ressentis souvent extrêmement variés et parfois contradictoires, enfin en apparence, en fait, il n’y en a pas un qui a raison et un autre qui a tort, c’est un ensemble qui vient représenter un patient complètement morcelé ; et c’est grâce à ces réunions de synthèse où chacun évoque et peut dire assez librement comment il ressent les choses sur le plan contre-transférentiel, qu’on peut se faire une idée beaucoup plus précise du fonctionnement du patient et de sa souffrance au quotidien, avec des choses qu’on n’aurait pas imaginées quand un soignant nous parle de son propre contre-transfert alors que nous-même on en a un très différent ; je pense que cela c’est très très enrichissant, et c’est surtout essentiel pour accompagner le patient, c’est ce que tu décris un peu dans le cas de Mathilde.

Étudiante Je voulais vous interroger sur l’objectif de resocialisation des patients, concernant la dynamique intrapsychique de la resocialisation. Qu’est-ce que  vous pouvez en dire par rapport à ce que vous avez évoqué concernant la destructivité, le pare-excitation, quelles sont les évolutions que vous observez dans votre pratique ?

Dr JEANNEAU-TOLILA : Au cas par cas... c’est difficilement.

Dr GAILLARD JANIN C’est toute la difficulté : on est face à des patients dont la défense numéro 1 est le retrait et, du coup, c’est un apprivoisement ultra progressif et un ajustement de la distance avec les patients ultra subtil, qui prend des mois et des années. Mais on voit les patients s’ouvrir petit à petit, commencer à se dire bonjour les uns aux autres, ou pas. On a quand même quelques patients qui se socialisent, pas tellement avec le groupe patients, mais qui petit à petit sont quand même plus dans la relation avec les soignants. C’est vraiment de l’impressionnisme, par petites touches, mais au fil des mois, en général l’apprivoisement fonctionne. On part de tellement loin que ça vous paraîtrait peut être homéopathique à l’œil nu.

Dr JEANNEAU-TOLILA On a l’air de ce contenter de peu mais en fait c’est beaucoup.

Dr GAILLARD JANIN On a des patients que l’on retrouve isolés chez eux depuis des mois, avec un appartement dans un état épouvantable et rien que le fait de venir une fois par semaine à l’hôpital de jour est une victoire incroyable. Le jour où il commence à pouvoir venir manger à l’hôpital de jour, c’est champagne !

Étudiant Bonsoir et merci pour le partage ; à un moment donné vous avez évoqué la constitution d’espace tiers, espace transitionnel, ni tout à fait dedans ou dehors, vous en avez des exemples ?

Dr JEANNEAU-TOLILA Ce sont tous les ateliers.

Étudiant Ce sontles ateliers en question, d’accord !

Dr JEANNEAU-TOLILA Oui c’est cela, mais l’hôpital de jour, lui-même, c’est ce que j’essayais d’expliquer, c’est une interface entre le dedans et le dehors, entre le socius ordinaire ou la maladie mentale. C’est un espace d’expérience qui constitue un espace transitionnel et ensuite dans cet espace transitionnel qu’est l’hôpital de jour, il y a plusieurs vacuoles ainsi, d’espaces transitionnels que sont les ateliers, par exemple, à méditation.

Étudiant Et cela englobe aussi les activités hors hôpital de jour ?

Dr JEANNEAU-TOLILA Bien sûr. Après chacun trouve ses propres aires de jeux en fait, parce que Winnicott décrit l’espace transitionnel, l’aire du jeu pour l’enfant ; donc chacun trouve son espace transitionnel là où il veut.

Étudiant D’accord, merci.

Dr JEANNEAU-TOLILA A l’extérieur bien sûr aussi. C’est vrai que je disais tout à l’heure qu’il est important qu’on laisse le patient garder des investissements à l’extérieur, non seulement pour faire ses propres expériences sans nous, mais aussi pour se prouver qu’il est capable d’avoir une vie en dehors des soins. C’est important de ne pas nous sentir tout puissants et exclusifs pour l’autonomie d’un patient.

Dr GAILLARD JANIN En tout cas, dans l’idée de l’aire transitionnelle, ce qui est intéressant, c’est que c’est une aire partagée entre le soignant et le soigné et cela dit quelque chose de la dynamique d’échange et non pas d’une dynamique uniquement hiérarchique où il y aurait le sachant et le ne sachant pas. C’est une zone de partage et d’échanges et d’expériences entre les soignants et les soignés, et c’est comme cela qu’on pense l’écoute analytique ; un entretien d’orientation psychanalytique, on n’est pas là pour faire un diagnostic, observer, prescrire… On est là pour que la parole advienne, que le sujet advienne et échanger entre êtres humains avec les compétences qu’on a et en gardant notre identité professionnelle, mais c’est un moment d’échange et pas uniquement d’observation d’un expert de loin...

Dr JEANNEAU-TOLILA Je pense que c’est important car ça parle aussi des séances d’un psychanalyste.

Dr GAILLARD JANIN Oui du travail analytique d’une façon plus générale, Winnicott disait : « En y réfléchissant bien, deux personnes en train de communiquer, c’est comme deux personnes en train de jouer », de jouer ensemble avec les pensées, les mots, les émotions. Dans Jeu et réalité.Et quand on n’arrive plus à jouer, cela veut dire qu’on ne va pas bien. Donc les patients hallucinés, persécutés, projectifs, ils ne peuvent plus jouer, leur appareil à jouer, il est cassé.

Étudiante J’avais encore une question, s’il vous plaît, sur la place de la famille à l’hôpital de jour ?

Dr JEANNEAU-TOLILA Dans la mesure du possible, on aime bien pouvoir rencontrer les familles des patients, avec évidemment l’accord du patient lui-même ; mais, très souvent, on travaille avec les familles, un certain nombre de nos patients sont dans des vécus d’inséparabilité très forts avec leur propre famille et le travail de l’hôpital de jour, c’est d’opérer une séparation d’avec la famille. Donc il est important de la rencontrer et puis que chacun connaisse le fonctionnement de l’hôpital de jour, pour pouvoir, par exemple, les familles laisser leur protégé, j’allais dire, venir jusqu’à nous et puis nous faire confiance etc., donc on essaie autant que possible de travailler avec les familles. On les reçoit régulièrement en entretien à leur demande.

Cela me fait penser aux rivalités qu’il peut y avoir justement entre les équipes soignantes et les familles, on est parfois un peu confronté à des familles qui ont du mal à laisser leur enfant par exemple quand ce sont des jeunes adultes, venir jusqu’à nous avec cette angoisse qu’on puisse leur apporter davantage que ce qu’ils peuvent faire eux. Ils sont toujours dans des vécus d’impuissance assez difficile à partager quand même.

Donc on essaie de montrer qu’on est là pour étayer les choses sans remplacer évidemment les familles, sur lesquelles on continue de s’appuyer.

Dr RUMEN Je pense qu’on va conclure, merci beaucoup, merci Pascale, merci Nelly.

transcription : Vanessa Lelièvre

relecture : Anne Videau

Notes