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Sainte Tulle, le 10/10/2015

« L'histoire de la science nous montre que son progrès a régulièrement du lutter contre l'ignorance établie. Est-ce donc que nous cherchons à nous protéger contre la vérité? Et quelle serait la vérité qu'aujourd'hui nous chercherions à éviter? Voilà donc quelques termes: science, ignorance, vérité, que nous pourrions mettre ensemble à l'étude. » Charles Melman 

            Merci donc de m'avoir invité. Lorsque Claude m'a demandé de quoi je pourrais bien parler, il m'est venu, allez savoir d'où, ce thème: aimez-vous la vérité? Vous voyez tout de suite la question, quelle était l'authenticité de cette inspiration qui me venait vous proposer un tel titre qui n'est pas tellement courant après tout, parce que la vérité fait tellement problème que finalement, on se résout à contourner les questions qu'elle pose. Et le fait que cette rencontre survienne à la fin de ces « Fêtes de la science », a paru bien venu parce que finalement c'est vrai, voilà un adjectif, c'est vrai qu'on n'attend plus de la science qu'elle nous révèle la vérité. Les scientifiques eux-mêmes, convenant de ceci, c'est que ce qu'ils proposent ce sont des modèles. Ils ne prétendent plus en rien, dire la vérité de ce qui est, mais nous proposent des modèles qui sont efficaces assurément, qui sont brillants, qui ont des résultats remarquables, et on se satisfait d'avoir ces résultats impressionnants qui bouleversent nos vies, qui modifient notre rapport à la vérité, souvent. Mais en tout cas, c'est une question à laquelle ils ont renoncé puisque l'exactitude, au moins approchée, leur suffit.

Si on se tourne, pour savoir de quelle façon nous pourrions être dans la vérité du côté de la religion, il est certain qu'à cet endroit, un clivage s'opère entre ceux qui l'attendent de leur foi, et puis ce phénomène qui, en occident, est celui d'une sécularisation croissante. Autrement dit le fait que, aujourd'hui, en Occident au moins, pour le plus grand nombre, ce n'est plus du côté de la révélation divine qu'ils vont chercher la vérité, à l'exception, comme nous le savons, de façon très actuelle,  d'un courant d'une des trois grandes religions venues du monothéisme et pour qui, je dirais, la vivacité de la foi et la croyance en la vérité ainsi révélée, s'avère pour eux, première, principale et comme devant s'imposer.

Plus, donc, du côté de la science. Du côté de la religion, que de façon clivante. L'idéologie? L'idéologie, on s'en méfie parce que nous sommes sortis, il n'y a pas tellement longtemps, de grandes idéologies qui ont suscité tellement d'espoirs, idéologies de transformations sociales, et qui n'ont conduit qu'à des déconvenues graves. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui, il y a donc un désinvestissement du côté de l'idéologie.

Néanmoins, il est certain que cette question, pour chacun d'entre nous, de la façon dont il pourrait être dans la vérité, se pose à lui d'une manière très immédiate, très explicite, c'est-à-dire celle de sa souffrance qu'il éprouve à être dans l'inauthenticité. Il est curieux, après tout, que chacun de nous, en général, puisse éprouver une sorte de malaise à se sentir capté dans une représentation de lui-même et qui lui paraît soit imposée par la situation, soit fallacieuse, soit encore le sentiment qu'il ne parvient pas à être dans ce qui serait sa vérité, et ne sachant pas en quoi elle pourrait bien consister. Donc, peut-être est-ce un abord qui peut être intéressant, qui peut être à filer, je vais essayer de le filer rapidement pour nous, d'aborder cette question sous la forme de la souffrance que subjectivement nous éprouvons à parler, à nous produire, à vivre dans ce qui peut nous paraitre le faux-semblant, la dissimulation, le mensonge, l'inexactitude, le travestissement des faits etc. Et pourquoi, alors ça aussi c'est une surprise, pourquoi l'aveu provoque une espèce de soulagement? Ça ne va vraiment pas de soi.

Pour entrer de façon directe dans le sujet, je vous le présenterai à propos de cas que nous ne savons, en général, que mal traiter, et qui sont les problèmes de l'adoption. Il se trouve que je me suis récemment intéressé à ce problème avec un ami et collègue, Nazir Hamad, qui est un spécialiste de ces questions, on a même publié un petit bouquin ensemble là-dessus, et c'était très intéressant de travailler ensemble parce que lui et moi, qui sommes de formations très voisines, la sienne est peut-être davantage du côté de Françoise Dolto, que j'ai bien connue par ailleurs, nous n'étions pas d'accord sur ce qui se produisait dans les cas d'adoption qui aboutissent, dans un pourcentage important, à des résultats défavorables. Défavorables pour l'enfant adopté qui, soit a une enfance manifestement déséquilibrée et malheureuse, et puis qui, à l'adolescence, se révolte, et puis pour les parents qui souvent, avec la meilleure foi et le meilleur amour pour ce gosse, se trouvent désappointés, déconcertés, ont le sentiment d'avoir été trompés, trahis, volés du fait que leurs efforts, que leur amour n'a pas été reconnu. Vous voyez, c'est un défaut de reconnaissance réciproque, chacun ayant donc le sentiment que c'est là, autour de la question de l'authenticité, d'être reconnu authentiquement, que le drame vient se nouer. Et il se noue de la façon suivante, c'est que d'une part les parents adoptifs se croient tenus de dire à l'enfant la vérité sur ses origines, et que dès lors l'enfant, bien souvent, est capté, aspiré par la nécessité de pouvoir retrouver cette vérité originelle. Il m'est arrivé de voir de jeunes adultes ainsi casser avec leur famille d'adoption et repartir vers le lointain pays d'où ils viennent, pour aller constater que même lorsqu'ils retrouvent leur mère, puisque c'est elle qu'il s'agit de retrouver, ils trouvent une femme qui va décevoir leur attente, puisque cet enfant, elle l'a abandonné, et qu'ils vont se trouver dans un drame renouvelé, c'est-à-dire le sentiment d'être condamnés à être orphelins, à être seuls.

Qu'est-ce qui se joue dans ces cas-là? Alors ça, ça nous intéresse en dehors de ce problème très précis. Ce qui se joue dans ce cas-là, c'est un manichéisme qui s'ordonne autour de la question du vrai et du faux, c'est-à-dire comme si notre monde se divisait, se séparait entre le vrai et le faux. Et lorsque les parents viennent révéler à leur enfant que, contrairement à ce qu'il pouvait peut-être jusque là penser, il n'était pas né de ce foyer, ils pensaient que la vérité serait guérisseuse, qu'elle était nécessaire, eh bien elle s'avère au contraire néfaste.

Alors est-ce que c'est le mensonge - ça aurait été mentir sur leur véritable origine que de leur dissimuler l'adoption - est-ce que le mensonge était nécessaire? Est-ce qu'il était la condition du bien-être? Spontanément, bien sûr, une telle solution nous paraitra inconvenante. Mais, elle nous amène à ceci, c'est à concevoir que c'est cette division entre le vrai et le faux qui ne convient pas, que le monde dans lequel nous sommes, et nous-mêmes dans ce monde, nous ne pouvons pas le séparer, le cliver entre ce qui serait d'une part le vrai, et le faux. Et donc, dès lors, il nous faut réévaluer ce qu'il en est de ce que nous appelons la vérité, notre rapport subjectif, personnel, à la vérité, et cette souffrance que nous éprouvons à vivre dans ce que nous ressentons comme inauthenticité.

Cette inauthenticité, il y a deux cas, et ce sont les deux grands cas que je vais vous exposer, deux grands cas, ils concernent notre actualité et c'est sans doute ce qui m'a soufflé ce titre que j'ai proposé. Ce premier cas est justement celui du rapport à l'origine, notre origine, c'est-à-dire le sentiment de malaise, de fausseté, de trahison que nous pouvons éprouver dès lors que des circonstances peuvent nous imposer d'oublier, de trahir, de déguiser notre origine. Il suffit pour cela de très peu de choses. Il suffit par exemple que dans le nom propre, qui est le témoin, qui est l'inscription de l'origine, il suffit que dans le nom propre, on soit amené à changer une lettre. Il y a des erreurs d'ailleurs d'état civil, des fonctionnaires de l'état civil a qui il peut arriver de commettre ce genre de lapsus calami, mais il suffit que volontairement on choisisse de changer une lettre, je n'évoque même pas le fait de venir prendre un pseudo, changer de nom, eh bien cela peut suffire pour provoquer ce sentiment de malaise, de trahir la vérité.

Et vous objecterez tout de suite, comme je vais le faire à votre place, je vais vous donner la voix à ce sujet, mais il y a parmi nous, la moitié de la population, celle des femmes, qui est invitée très normalement à changer de nom dès lors qu'elle entre dans le mariage. Certes aujourd'hui la loi en France, c'est récent, permet que soit accolé le nom d'origine à côté du nom d'adoption, mais néanmoins, il est clair que ce changement de nom la met, à l'égard de sa propre famille, dans un embarras qui se traduit dans la qualité des relations qu'elle va conserver avec ses propres parents, et il faut bien le dire, la relation de ses propres parents vis à vis d'elle. Avouez que c'est quand même étrange. Encore que, je me permets de le dire tout de suite, pour ne pas trop m'appesantir sur ce qui est déjà pesant, encore que cela signifie, ce changement de nom pour une femme, comme si elle avait à oublier ses origines. Eh bien ce qu'une femme, dans ce mécanisme, vient nous rappeler c'est que, par cette acceptation, elle signifie quelque chose d'essentiel, c'est que le nom propre, le nom de famille, n'est au fond que la représentation parcellaire, limitée d'une humanité qui elle, est beaucoup plus large, d'une humanité où la reproduction de la vie joue un rôle essentiel et où elle, en tant qu'agente de cette reproduction, témoigne que par son identité, elle relève d'une autorité qui coiffe toutes ces particularités qui sont familiales et qui s'isolent par leur nom propre et qu'elle est susceptible, donc, en appartenant à cette autorité d'ordre supérieur, qu'elle est propre ainsi à venir assurer, à être déléguée à cette qualité de venir porter l'amour et la reproduction dans ces familles ainsi séparées par leur nom propre. Et que finalement si le nom propre dit l'origine, cette origine qu'il y aurait donc à ne pas trahir, à respecter, eh bien néanmoins, cette origine spécifiée, parcellaire, qui n'est elle-même que la représentation, même si l'on est laïque, la représentation d'une autorité bien supérieure et qui est, je dirais, celle de la faculté de l'humanité, faculté éventuelle qu'elle a, de devoir se reproduire et où donc par cet exercice, la femme, loin d'être infidèle à son origine spécifiée, celle de la famille d'où elle sort, est fidèle à un ordre supérieur.

Il reste que, ce que je vous raconte là et qui est vrai, ça on ne peut pas le nier, néanmoins, ce n'est pas vécu comme tel, de telle sorte qu'une femme sera volontiers dans cette difficulté, dans cette exigence, dans cette réclamation d'être reconnue dans son authenticité, celle qu'elle-même d'ailleurs a de la peine à affirmer, sauf si elle a du caractère. Le caractère, c'est quelque chose de très fort. Les psychologues en général, voire les psychanalystes, sur la question du caractère, ne savent pas dire grand chose. Mais en tout cas, il est certain qu'une femme aura toujours ce sentiment d'être méconnue. Et ce sentiment aussi, cette difficulté à être dans l'authenticité, c'est-à-dire le sentiment que du même coup elle-même est trompeuse vis à vis de ceux qui l'investissent, voire de ceux qui l'aiment, qu'elle n'est pas tout à fait ça. Et donc l'exigence qui est toujours très surprenante, c'est que dans son entourage et dans son couple, elle sache la vérité, la vérité de ce qui se passe, qu'on ne lui cache rien, parce qu'il y a dans ce processus, quelque chose qui fait que tout semble s'organiser autour d'une cachotterie première, il y a quelque chose de caché. Et ce sentiment qu'il y a quelque chose de caché n'est pas seulement paranoïaque. C'est tout à fait ordinaire dans la subjectivité de quiconque d'avoir cette idée que, derrière ce qui se passe, il y aurait quelque chose de caché. Et nous arriverons, je l'espère au terme de ces quelques propos, à mieux préciser de quoi il est question.

Alors, est-ce que le bonhomme, lui, est-ce que le type, du fait d'être un bonhomme, lui, il est dans l'authenticité, il est dans la vérité? Dans la vérité qu'il serait le représentant légitime, tranquille, il n'a pas de doute sur son identité parce qu'il serait le représentant légitime de cette instance qui, pour nous tous, fait autorité. Quand on est un mec, c'est qu'on est là de plein droit, sans avoir nécessairement pour ça à justifier ce droit, c'est comme ça. Et je dirais que dans nos esprits, c'est toujours comme ça. Et donc, cette question d'authenticité pour le bonhomme, elle se pose en des termes tout à fait différents, encore que, il lui faut la bénédiction, c'est-à-dire être dans le registre de la fidélité à l'endroit de l'autorité ancestrale dont il s'autorise, dont il se recommande.

C'est quelque chose qui peut être poussé à l'extrême dans ce que nous vérifions dans l'histoire, dans notre histoire, dans l'histoire de France, c'est-à-dire la façon dont il y a eu dans notre histoire, au cours de la dernière guerre un épisode étrange, malheureux mais étrange, et où on a vu, je l'évoque pour le thème que j'aborde avec vous, et où on a vu des bonshommes qui se spécifiaient pour leur amour exalté de la nation, de la patrie, accepter sans rechigner de se mettre au service d'une puissance étrangère. Les mêmes, comme si finalement ce qui prévalait là, ce n'était pas la nationalité de cette puissance, mais l'expression de sa force. A partir du moment où elle témoignait qu'elle était la plus forte, alors je m'en faisais le fils. C'est ce qu'on a appelé la collaboration. Et je vous assure que, puisque au détriment de l'âge que j'ai par rapport à vous, je ne dis pas au bénéfice, vous voyez, eh bien j'ai pu vivre ce moment. Je peux vous dire, j'étais évidemment encore un enfant, mais un enfant forcément les yeux ouverts, les enfants ont les yeux et les oreilles ouverts, je peux vous dire combien ça a été un choc, une surprise de voir ceux qui étaient les parangons de l'honneur national, du nationalisme, se mettre au service, sans problème, de l'occupant et se faire, je dirais, ses agents publicitaires; un choc, une incompréhension. Et également, s'il faut vous rappeler ce petit épisode historique, ce que fut la difficulté de celui qui, à Londres, était allé chercher à maintenir cet honneur national en maintenant ses forces dans le conflit, la difficulté qu'il eut à se faire reconnaitre et à se faire suivre.

Donc pour vous montrer, sur cette question de l'authenticité, et il n'y a aucune raison de penser que ceux qui se sont mis ainsi, à ce moment-là, au service d'une puissance étrangère, avaient le sentiment d'être des traitres, pas du tout. Ils avaient le sentiment au contraire, du moment qu'ils reconnaissaient l'autorité supérieure, de devenir les légitimes agents de la petite communauté à laquelle, maintenant, ils s'adressaient. Donc le fait que, à la question du nom propre, qui venait marquer l'origine, venait se substituer cette espèce de désincarnation de cette autorité, pour se réduire en quelque sorte à une représentation unaire, Une, quelque soit le nom qu'on lui donne, et que l'on serait capable de suivre dès lors qu'elle s'avèrerait la plus forte. Ça s'appelle, dans un autre registre que le registre politique, nationaliste, ça s'appelle la conversion.

Je trouve qu'il est dommage qu'une collectivité rejette à ce point le savoir que la psychanalyse, puisque ce sont des données psychanalytiques que je vous donne, ce que la psychanalyse éclaire à propos de mécanismes qui peuvent être essentiels pour notre parcours et notre destinée. Parce que cela veut dire quelque chose de très simple auquel nous sommes confrontés, c'est que lorsqu'un jeune se trouve en déshérence dans son rapport à toute autorité dont il puisse se réclamer, qu'est-ce qu'il va faire? Eh bien il va pouvoir, sans aucunement avoir le moindre sentiment de trahison, aller filer du côté de l'autorité guerrière qui se propose, en toute bonne foi. C'est ça qui est épouvantable, en toute bonne foi. C'est-à-dire que pour s'accomplir comme homme, comme mec, puisqu'on ne lui propose rien qui puisse être recommandable ni valable, il va prendre ce qui passe à proximité, et puis s'en faire l'agent.

Il y a dans cette affaire, outre cet aspect que je me permettrai de qualifier d'anecdotique que j'évoque pour vous, il y a quelque chose d'assez gênant concernant notre aspiration à l'authenticité c'est-à-dire le besoin d'être confirmé dans son identité, par la référence à cette autorité supérieure. Il y a quelque chose de gênant, non seulement évidemment par ce que je viens d'évoquer, mais par le fait que, lorsque vous êtes vraiment dans le souci, dans l'exaltation de cette appartenance, votre parole singulière, votre singularité, votre existence subjective, si tant est que vous y accordiez quelque prix, elle est oblitérée, elle a disparu, c'est fini, vous n'existez plus que comme « un », en tant que membre d'une collectivité bien définie, et votre propos, votre discours n'est plus que celui qui vous vient de ce Un, il ne s'autorise que de lui, vous ne dites que ce qui se trouve en cohérence avec ce qu'il commande, et de telle sorte que, pour me servir de ce terme un peu fort mais juste, vous êtes devenu une marionnette. Ce que vous allez dire est éminemment prévisible, c'est inscrit à l'avance, vous ne faites que vocaliser le programme, il n'y a pas de surprise ni rien à en attendre. Et ça pose donc le problème de la légitimité d'un mode d'aliénation dont le prix est la suspension de toute subjectivité. Vous n'êtes plus devenu qu'un agent, qu'un fonctionnaire. Vous êtes le fonctionnaire de cette autorité.

Il y a, pour ceux d'entre vous qui se sont intéressés à l'histoire, il y a au procès de Nuremberg, un phénomène très curieux, c'est que lorsque les juifs du tribunal s'adressent aux responsables nazis qui sont là, et fait état de ce qu'ils ont pu commettre, ils ne comprennent pas. Ce n'est pas de la simulation. Ils ne comprennent pas ce qu'on leur reproche, ça n'entre pas dans leur espace mental. Ils ne comprennent pas parce qu'ils n'ont fait qu'exécuter des ordres c'est-à-dire être les plus loyaux des serviteurs. Qu'est ce qu'on peut reprocher à un serviteur loyal, si ce n'est sa loyauté? Ah on dira, oui mais c'étaient des ordres criminels. Qu'est-ce que ça veut dire des ordres criminels? Parce que dans un tel système, l'humanité se limite à ceux qui relèvent, appartiennent au même groupe. En dehors de ses frontières, ce n'est plus l'humanité, ce n'est plus qu'un monde d'esclaves, de serviteurs potentiels. Et c'est le problème majeur, et que là encore nous esquivons dans la spéculation collective, dans l'opinion commune, le problème majeur c'est que, ce que nous aimons c'est-à-dire les frontières, a le fâcheux effet de limiter l'humanité à ceux qui sont enclos en leur intérieur. En dehors des frontières, il y a ce que l'on appelle l'étranger, c'est-à-dire celui qui, d'une certaine manière, ne relèverait pas de cette même humanité. Et c'est pourquoi les frontières auxquelles nous sommes attachés les uns et les autres, spontanément, et pour les meilleures des raisons, et c'est pourquoi les frontières sont toujours fautives de guerres, immanquablement. Immanquablement parce que le dialogue est rompu, si c'est un étranger, il n'y a pas de dialogue avec lui, on ne peut dialoguer qu'avec un semblable, c'est-à-dire celui qui se trouve dans le même espace qu'il soit géographique, culturel, moral, éthique.

Il y a chez Hegel, une petite remarque au passage, c'est que entre les Etats, il n'y a pas de droit. Le droit international, ça n'existe pas, parce que chaque état se légitime au nom de son droit propre. Evidemment il existe ce que De Gaulle appelait « le machin », c'est-à-dire l'ONU, ce qui n'est pas rien assurément. En tout cas, nous voyons bien comment les conflits internationaux ne se trouvent pas résolus par le droit international. Nous voyons bien comment c'est chaque fois le droit privé qui va prévaloir.

Donc, voilà quelque chose qui concerne un élément essentiel de notre rapport à la vérité, celle de l'origine, celle qui est susceptible, si j'ai le sentiment de pleinement l'assumer, de me donner le sentiment de ma légitimité, du fait que j'ai bien le droit d'être là, que je suis vrai et dont nous voyons que ce n'est pas sans effet, sans résultat complexe, que ce n'est pas si simple. Autrement dit, qu'il n'y a pas le vrai et le faux, que nous vivons dans un monde où ces deux évaluations méritent d'être relativisées et quand j'arriverai, dans un bref instant au terme de mon propos, j'espère que je parviendrai à le rendre sensible. Parce que comme je venais de vous le dire, cette authenticité du respect des origines, elle a un effet qui est celui de l'oblitération de toute subjectivité, c'est-à-dire de l'expression de tout désir qui ne viendrait pas s'inscrire dans l'exécution de ce qui est attendu de moi en tant que représentant, en tant qu'agent, en tant que fonctionnaire de cette autorité originelle. Autrement dit, que ce qui m'est demandé, c'est d'être mort à l'avance, d'obéir selon une devise qui fut célèbre pour un grand corps religieux: « obéir comme un cadavre », perinde ac cadaver , d'être déjà mort, subjectivement. Et de telle sorte que si l'on me demande de mourir effectivement, eh bien y'a pas de hiatus puisque je suis déjà dézingué, déjà mort par amour, par fidélité, pour cette autorité. Ce qui fait que si je veux être fidèle, être dans le vrai de ce qui là, est ma subjectivité c'est-à-dire de ce qui serait mon désir singulier, ma petite voix, et qui me met toujours en position marginale et sans légitimité, car elle ne peut pas se référer cette subjectivité à une autorité supérieure, c'est moi tout seul. Et néanmoins, elle semble vouloir également m'imposer le fait que j'y sois fidèle, autrement dit que je ne passe pas mon temps à renoncer à ce qui seraient mes désirs singuliers, pour simplement exécuter ce qui serait attendu de moi. Donc si je veux être fidèle, être authentique, être dans le vrai de ma subjectivité, je suis forcément amené à le cacher à ce que je dois à cette autorité originelle. Autrement dit ne pouvoir exprimer mes désirs à moi, pas ceux dont l'exercice est attendu de moi, mais ce qui seraient mes désirs à moi, je ne peux les exercer que dans l'ombre, une fois que la lumière est éteinte et dans un espace séparé de l'espace légal que j'occupe. C'est étrange, il y a quelque chose de mal foutu là dedans, c'est quand même bizarre. Et c'est d'autant plus bizarre, je me permets de vous le dire, que finalement nous acceptons cette situation. C'est comme ça, ça se passe comme ça pour les uns et les autres, il n'y a qu'à s'en débrouiller. Avec, si l'on retient du même coup, le malaise propre à notre culture, pour reprendre le titre de Freud, qui était Malaise dans la civilisation, le titre allemand c'était Malaise dans la culture, si on reprend donc ce titre, le malaise dans la culture, et où Freud mettait l'accent sur ceci, c'est que si il y a un malaise dans la culture c'est parce que les créatures humaines sont interdites dans l'expression de leur sexualité. Et ça a évidemment des conséquences parce que, ce que Freud a également individualisé comme pulsion de mort, que nous ne sommes pas seulement animés par une pulsion érotique, mais qu'il y aurait à côté ou en même temps à l'oeuvre, une pulsion de mort, alors peut-être bien que cette pulsion de mort, c'est-à-dire le voeu secret, inconscient, que tout cela soit balayé, qu'il arrive le grand tsunami qui va, c'est déjà noté dans l'histoire qu'il y a eu un grand tsunami qui a balayé pas mal de terres émergées et qui en a fait des terres immergées, alors qu'il arrive ce grand tsunami qui mette fin à tout ça, parce que il y en a marre quand même. Et en plus avec le sourire qui socialement est attendu de nous, si on fait la gueule tous les matins, l'entourage n'aime pas forcément ça hein, ça le fatigue à la longue, il faut montrer qu'on est content, que ça va bien.

Et donc, la question qui je dois dire, avec la psychanalyse, moi j'aurais aimé qu'elle ne soit pas la seule discipline à venir remuer ces problèmes, car j'ai l'impression en vous parlant d'être tellement seul quand je viens remuer ces problèmes qui n'ont aucune place dans le champ des médias, et encore moins dans l'opinion commune. C'est terrible l'opinion commune, car aujourd'hui c'est elle qui fait la morale, et l'opinion commune ça peut basculer d'un côté ou de l'autre. Ce qui, hier était répréhensible, peut devenir la règle demain, nous y assistons sans cesse.

Eh bien donc, la question est: est ce que nous avons les moyens, oui ou non, d'être plus confortables et plus vrais dans notre rapport à l'origine et dès lors de sortir de ce manichéisme faux que j'évoquais tout à l'heure et que seule, la mise en place de frontières fermées, celles du vrai et du faux, est susceptible de reproduire dans notre espace, est-ce que nous sommes en mesure de le faire?

Alors, c'est là que survient quelque chose qui après tout concerne, il n'y a aucune raison de ne pas en faire publiquement état comme Freud l'a fait, comme Lacan l'a fait, vis à vis de ses auditoires, est-ce que nous pouvons finalement évoquer ce qui est le moteur d'une cure psychanalytique? Qu'est-ce qu'on cherche dans une cure? Evidemment, quand on vient, dans le meilleur des cas, c'est pour des symptômes. Si on vient en disant « je voudrais mieux me connaitre moi-même », ce n'est pas un bon motif. Non, on ne vient pas pour mieux se connaitre soi-même. Ce n'est pas une modalité de connaissance de soi-même, mais c'est éventuellement une modalité pour résoudre un symptôme. Qu'est-ce que ça veut dire un symptôme? Un symptôme névrotique, phobique, pervers voire même psychotique, ça veut dire que l'on est en défaut vis à vis de sa vérité subjective.

Pour l'illustrer, pour que ce ne soit pas simplement abstrait, on va prendre l'un des cas qui nous paraitra tellement banal, tellement fréquent. Si je suis handicapé et malheureux, c'est parce que j'ai eu un petit frère ou une petite soeur, ou j'avais un grand frère ou une grande soeur qui ont bouffé ma place, parce que c'étaient eux qui étaient les chouchous de ma Maman, et moi, je suis le déshérité, je suis le malheureux de tout ça, comme vous le voyez, je n'en sortirai jamais. Cas tellement banal, tellement ordinaire et cependant ça concerne une erreur, c'est lié à une erreur, simple, c'est que ça attribue l'origine, l'origine de soi-même puisque moi, je ne suis que l'enfant de ce traumatisme, c'est un trauma, et moi, mon origine, c'est ce trauma. Eh bien c'est là qu'est l'erreur parce que mon origine, ce n'est pas un trauma, c'est le fait que Papa et Maman ont fait des choses ensemble, à mon insu, et j'entendais ça de loin. Ils ont fait des choses ensemble et ça a été ça le résultat. Mais mon origine, la vraie, c'est pas la naissance du petit frère ou de la petite soeur, mon origine à moi, c'est ce qu'ils ont fait ensemble, c'est ça la vérité de mon origine. Mais je préfère croire, penser que celui ou celle qui occupe ma place, c'est ça ma vérité, fallacieuse, et qui me laisse sans espoir la vie durant, j'aurai toujours partout le sentiment qu'il y a quelqu'un qui occupe ma place et que je ne trouve jamais la mienne, que je suis toujours lésé, et je m'attache durant mon parcours à répéter ça, à le forcer, à le justifier, à montrer que c'est bien comme ça, « mon patron, il ne me reconnait pas, j'ai beau faire tout ce qu'on veut, mais c'est l'autre qui a de l'avancement, ce n'est pas moi » et ainsi de suite.

La névrose, c'est toujours une méconnaissance de ce qu'est véritablement l'origine et cette origine, telle que je viens de vous l'évoquer, elle est celle du fait que Papa et Maman, de façon fort légitime, pouvaient avoir du désir l'un pour l'autre, on ne peut pas forcément le leur reprocher, et que ce désir il avait une cause, qui leur échappait, ils ne savaient pas ce qui faisait qu'ils avaient de l'attrait l'un pour l'autre. Ce qui fait que l'origine, au départ, c'est cette cause qui leur échappe comme elle m'échappe à moi même. Il y a un objet qui se trouve cause du désir et qui est à l'origine. L'origine, on croit toujours que c'est le Un. Non, ce n'est pas le Un, l'origine c'est un objet qui, à l'un et à l'autre, cause leur désir comme il va causer le mien d'ailleurs, mais je ne sais pas ce que c'est. Et comment être authentique vis à vis de cet objet et de ce désir, je ne sais pas ce que c'est.

Je vais vous l'illustrer, pour que ce ne soit pas trop abstrait, à propos d'un cas bien ordinaire. Un homme jeune, bien sous tout rapport et dans la meilleure des réussites sociales, dans un domaine qui concerne justement celui du spectacle, de la représentation. Il a tous les succès qu'il veut, aussi bien comme auteur, comme acteur, bel homme, sympathique, intelligent, sensible, qu'est-ce que vous allez lui reprocher? Alors il vient car il était avec une jeune femme, plus jeune que lui et puis, il ne sait pas comment ça s'est fait, finalement elle l'a laissé, pour une raison qui tient à sa soeur à elle. Sa soeur lui reprochait d'être avec cet homme. Elle est partie et il y a quelque chose d'embêtant, c'est que depuis qu'elle est partie, il y pense tout le temps, il ne pense qu'à elle. Elle était là, c'était bien mais il avait un esprit dégagé, il avait des tas d'investissements, mais maintenant qu'elle n'est pas là, elle est tout le temps avec lui, dans sa tête. Avouez que c'est quand même tordu, mais c'est tellement banal. C'est-à-dire que c'est dans la mesure où son objet d'élection est perdu qu'il la désire et qu'il désire son retour. Il faut passer par cette perte pour qu'il puisse pleinement la désirer. C'est pas mal foutu ça? C'est pas absurde?

Il y a, pour ceux d'entre vous qui vous intéressez à la psychanalyse, un auteur anglais qui s'appelait Winnicott, qui s'occupait des enfants. Winnicott, ça veut dire à peu près: « le vainqueur des berceaux », en anglais. Il était fidèle à son origine! Il a décrit un mode de relation à l'objet qu'il a appelé l'objet transitionnel, c'est-à-dire la façon qui va se produire dans l'existence d'un enfant où il va écarter l'objet qu'il a investi, un jouet par exemple, pour pouvoir le faire revenir. Freud avait déjà raconté ça en observant un de ses petits fils, comment il jetait au loin une bobine qu'il faisait revenir avec la ficelle, au moment où sa mère l'avait laissé pour aller travailler. Comme si la condition du désir, ce qui est à l'origine du désir, à l'origine de ce qui faisait que Papa et Maman se retrouvaient dans un lit et que ça allait avoir des conséquences, c'est l'objet qui manque, c'est l'objet perdu.

Il y a des gens qui s'organisent artificiellement pour que ça fonctionne comme ça. Je l'ai évoqué à propos de ce jeune homme. Vous pourriez l'évoquer à propos de ce qui se passe avec les toxicomanes. Ce qui m'a toujours surpris quand je travaillais avec des toxicomanes, c'est qu'ils n'ont jamais chez eux la réserve de drogue qui leur permettrait d'être tranquilles. Ils s'arrangent toujours pour qu'il puisse y avoir un manque, qu'ils soient dans l'état de manque. Je me souviens d'un dimanche matin, à New York, sur la Madison Avenue, il y avait sur une centaine de mètres des drogués en attente du dealer qui allait passer, ils étaient là en train de trembler dans un état épouvantable. Aujourd'hui tout bon foyer passe à l'hypermarché en fin de semaine, on remplit le frigo, il y a toujours de quoi; pourquoi ils ne s'arrangent pas pour que ce soit comme ça? Eh bien justement, le besoin de cet épisode dramatique de manque, et vous avez le sentiment, alors vous allez dire que j'exagère mais tant pis, on a le sentiment que c'est le moment de jouissance suprême, douloureuse, épouvantable, mais de jouissance absolue, bien supérieure au moment où il y a l'affaissement de la plénitude.


Je termine en trois minutes pour vous dire ceci: l'authenticité, c'est d'accepter que dans notre champ des représentations, nous ayons affaire non pas au vrai objet qui fonctionne comme perdu, mais que nous ayons affaire à ses représentations, et que nous soyons nous-même pour autrui une représentation de ce vrai objet, un semblant de cet objet, que la vérité, c'est d'être dans le semblant.

Attention, il y a le faux-semblant. Le faux-semblant, c'est justement affirmer une identité qui n'a rien à voir avec ce semblant-là. Et je crois que dans notre rapport à la vérité, notre difficulté c'est justement cette distinction entre le semblant, qui est le seul véritable mode d'accès à notre vérité, distinguer le semblant du faux-semblant, c'est-à-dire d'une représentation de nous-mêmes qui n'a aucun rapport avec la vérité de notre désir. Et il faut bien le reconnaitre, le faux-semblant nous y sommes si facilement, ne serait-ce que par pudeur, par politesse, par convenance. Et que, en quelque sorte, nous passons un peu une bonne partie de notre existence entre le faux-semblant, celui dont il nous semble qu'il est exigé, et puis le semblant vrai, celui où la représentation de nous-mêmes n'est que celle que nous avons dans notre rapport authentique à ce qui est l'objet de notre désir et le fait que notre parole, c'est de là qu'elle prend son origine, pas dans la convenance.

Pour vous dire encore un mot sur ce qui me semble être l'actualité de ce propos; nous vivons un moment qui, comme vous le savez, on le répète depuis quelqu'un qui l'a théorisé très bien et qui s'appelait Guy Debord, nous sommes dans la société du spectacle, c'est-à-dire du faux-semblant. Ce qu'il faut produire comme image de soi-même, c'est celle supposée séduire et plaire à autrui et donc en retour à soi-même. C'est-à-dire un rapport social où chacun a perdu ce qu'il en est de sa relation aussi bien à l'autorité des origines, le Un originel, celui que j'évoquais tout à l'heure, que le rapport à l'objet perdu et qui est cause de son désir, c'est-à-dire que nous ne sommes plus que des images et qui tachent à être convenables et à se faire accepter. Et c'est pourquoi il y a aujourd'hui des tas de dissertations sur la dimension de l'esthétique. Il faudrait d'ailleurs, ce serait une bonne idée, ouvrir des écoles d'esthétique pour apprendre aux gens à plaire hein! Ce ne serait pas une meilleure idée que la psychopathologie? Je crois que ça aurait bien du succès, ça doit exister, ce qu'on appelle les coachs ou le marketing. C'est abominable parce que aujourd'hui, la suspicion automatique que vous avez à l'égard d'un homme politique, elle est liée à ce processus dans lequel socialement nous sommes tous pris, c'est-à-dire vous le soupçonnez d'être un homme de spectacle. Et le pire c'est que, comme ce qu'il raconte lui est soufflé par des communicants, c'est-à-dire des gens dont le métier est justement de faire que vous soyez convenable pour le spectacle, que vous sachiez, dans ce spectacle, faire le buzz, on va vous voir. Alors vous pouvez venir avec une écharpe rouge, un chapeau tordu, des boucles d'oreilles qui vous tombent aux genoux, enfin quelque chose qui fasse que l'on vous distingue et que vous plaisiez. Et donc l'acharnement des journalistes politiques qui sont eux-mêmes pris dans le même processus, c'est d'aller fouiller la vérité au-delà de l'image, c'est-à-dire procéder à un déshabillage. Et d'ailleurs, il y a une émission qui s'appelle comme ça, sur une chaine parlementaire, vous vous rendez compte, « déshabillons les », autrement dit il faut qu'ils viennent à poil pour être pris dans leur sincérité.

Je termine sur cette petite remarque personnelle: je suis ahuri quand je vois comment il suffit à une personne politique de dernier ordre, vraiment, de venir dans une émission parler de race pour que aussitôt, tumulte médiatique! Evénement! Intérêt! On se clive, on se sépare, y'en a qui sont pour, il y en a qui sont contre, il y en a qui disent « c'est indigne »! Il suffit de venir dire une connerie, mais dans la mesure où elle est inconvenante, c'est-à-dire qu'elle vient rompre ce qu'on attend aujourd'hui de l'image, n'importe quoi pour que aussitôt vous fassiez le buzz et provoquiez, non pas du tout une réflexion, une analyse, un raisonnement, que vous aboutissiez à des conclusions. Mais vous aboutissez à ce manichéisme que j'évoquais tout à l'heure, c'est-à-dire le fait qu'il y a ce qui est admissible et il y a ce qui est inadmissible. Alors on va se séparer sur ce qui est admissible, sur ce qui est inadmissible, et sans jamais proposer à des concitoyens qui pourraient l'attendre et l'espérer, une analyse tellement simple du fait que ceci n'a aucun intérêt, que l'on fait du tumulte à propos de ce qui n'a aucun intérêt pour une raison très simple et qui est connue tout de même, et puisqu'il y a eu les « Fêtes de la science », ça c'est un domaine quand même où la science s'est prononcée, les races ça existe dans le monde animal. A l'intérieur d'une même espèce animale, il y a des races, ça c'est certain. Mais vouloir appliquer à l'homme qui a à se décider, non pas en fonction d'un code génétique, d'une inscription innée de ses conduites, mais en fonction de ce que seront les choix de son intelligence et de sa liberté, s'il en a une, pour cet homme-là, quelle que soit sa couleur, cette liberté, cette possibilité, elle est la même, et cette douleur puisqu'il a à trouver lui-même les valeurs qui vont régir sa vie. Il a à en décider. On n'a jamais vu ça dans le règne animal. S'il y a quelque chose qui distingue l'homme de l'animal, c'est que l'homme ne nait pas avec le savoir inné de sa race; il n'en a pas. Et que ce n'est pas la couleur de la peau qui est suffisante pour disqualifier cette faculté donnée à chacun, dans l'espèce humaine, d'avoir à se décider quant à sa conduite, quant à sa morale, quant à ses choix, c'est ce qu'on appelle sa liberté. Ce qui fait donc que venir parler de race aujourd'hui à la télé, c'est simplement adopter un point de vue vétérinaire, donc il faut savoir si on doit traiter les hommes d'un point de vue vétérinaire. Et c'est vrai que ceux qui se sont servi de ce thème pour exercer un pouvoir, je dirais, déterminant, puisqu'ils étaient capables d'éliminer de la dignité, de l'humanité ceux qui pouvaient lui sembler, par leur race, ne pas en relever. Eh bien ceux-là ont bien montré qu'ils avaient, vis à vis de l'espèce humaine, un point de vue vétérinaire, ils l'ont appliqué, leurs médecins l'ont appliqué dans les camps, ils ont traité chaque être humain qu'ils avaient là sous la main, simplement comme un animal sur lequel on expérimentait.

Ce qui fait que, je dirais que personnellement, ce qui m'ahurit, c'est qu'au lieu que nous ayons le rappel de ce savoir élémentaire, basique et qu'il n'est pas inutile de rappeler aux gens et qui suffit, ça ne mérite pas de faire le buzz, eh bien nous assistons à ce que vous voyez, c'est-à-dire on va se prononcer pour, on va déclarer que l'autre est indigne et puis on va arguer « non moi je suis contre l'idée de race ». Il n'y a pas à être ni pour ni contre l'idée de race, c'est tout simplement que dans l'espèce humaine, il n'y a pas de race, contrairement à ce qui se passe dans l'espèce animale, et que ça mérite tout simplement d'être rappelé, pas plus, et que ceux qui veulent adopter un point de vue vétérinaire, ils le font.

Pardonnez moi si je prends ce petit exemple précis, mais qui n'a soulevé chez le journaliste qui recevait cette confidence, aucune remarque spéciale. C'est une interview du patriarche Le Pen. Le journaliste lui fait remarquer ceci, c'est que finalement son parti ressemble fort à une affaire familiale puisque ça se transmet de père en fille et puis maintenant en petite fille, comme chez les rois. Et le patriarche répond ceci: « eh bien oui, que voulez vous, c'est sans doute parce qu'ils sont de bonne race ». Et le journaliste ne moufte pas, alors que c'était là le problème. Donc tout ça pour vous raconter ceci, et je dois dire que j'admire que vous ayez semblé me suivre avec une relative attention. J'avais préparé dans le train quelque chose, je ne l'ai absolument pas suivi, quelque chose de très abstrait sur la question de la vérité, et puis je me suis dit que au fond, un excès d'abstraction est un mode de défense, pourquoi ne pas y aller directement et d'abord en m'interrogeant sur ce qui moi-même m'avait soufflé ce titre pour vous? Et qui donc me concerne aussi bien moi-même. Quand il y a quelque part un orateur, il faut bien savoir que ce qu'il dit, ne s'adresse pas à une communauté qui lui serait étrangère, il y appartient à cette communauté, le problème se pose forcément aussi bien pour lui. Donc, au fond j'apprécie que vous ayez semblé suivre avec une certaine bienveillance, c'est important.

Questions:

- Dans les manuels scolaires de SVT, il est bien précisé que les races n'existent pas, on parle d'espèce humaine.

-Melman: Il faudrait s'en réjouir alors que c'est simplement la vérité. Mais on est quand même dans une situation où vous vous en êtes quand même réjouie. Vous savez qu'il y a des livres dans les collèges américains où les thèses de Darwin sont récusées.

- « C'est écrit mais il y a encore des enfants qui ne le savent pas ».

-Melman: Ils ne le savent pas parce qu'il ne suffit pas que ce soit écrit. Ça ne suffit pas parce que spontanément, nous avons des réactions spontanées et qui ont tendance à limiter notre sentiment de fraternité à ceux qui nous sont semblables. Ça c'est spontané et nous n'y pouvons rien, c'est comme ça. C'est lié à une dimension chez nous que les psychanalystes qualifient comme étant celle de l'Imaginaire, et dans la mesure où l'Imaginaire est, pour chacun d'entre nous, une dimension psychique très importante. Spontanément, nous sommes ainsi faits que nous ne pouvons reconnaitre comme semblable, c'est-à-dire comme quelqu'un avec qui nous partageons, que quelqu'un qui physiquement a des traits qui ne soient pas trop dissemblables. C'est l'une de nos maladies, mais c'est comme ça. Et donc, ça, il faut le savoir. Donc on a beau écrire que les races n'existent pas, spontanément, instinctivement, il y aura ce type de réflexe.

Je vais vous en donner un autre qui relève, lui aussi, du champ de l'Imaginaire. Quand vous avez affaire à quelqu'un qui a été amputé d'un membre, il y a le phénomène du membre fantôme, c'est-à-dire qu'il ne peut pas avoir de représentation de lui-même sans que dans cette représentation, ait sa place le membre qui a été amputé, c'est comme ça. Quand vous avez affaire à quelqu'un qui est hémiplégique, il ne peut pas avoir de lui-même une représentation divisée par deux. Spontanément il n'a de lui une représentation que intégrale. Et ça aussi c'est une dimension qui est le propre de l'Imaginaire, c'est-à-dire que ça nie la réalité comme pour la question des races, mais c'est comme ça. C'est déjà sensible et observable chez les gosses avec la différence des sexes; on se sépare, y'a le groupe des garçons et le groupe des filles. Donc voilà une dimension dans laquelle s'inclut la problématique des races qui, si elle appartenait au savoir commun, ça pourrait peut-être aider. Spontanément, je vais être stupide.

- Question relative à l'histoire de la psychanalyse et des divisions entre les différents groupes.

- Melman: Je crois vous avoir entendu puisque Lundi soir, je commence à Paris une première leçon  sur un thème qui, je crois, n'a pas encore été abordé et qui est: Les maladies professionnelles du psychanalyste. Pour dire ceci, je vous en donne tout de suite la conclusion, c'est que lorsque l'on est psychanalyste, on en arrive à cette conclusion apparente et qui est que finalement, chacun est singulier, autrement dit, a son fantasme qui lui est propre et que dès lors, les spéculations qui s'ordonnent pour lui à partir de son fantasme et qui sont des spéculations singulières, aussi singulières que le fantasme lui-même, ont le même droit à se produire et à se faire valoir que celles du collègue. Sauf que dès lors, il en résulte un conflit de prévalence qui est inévitable dans tout groupe, car il n'y a pas de groupe constitué à ce jour qui ne se distingue entre ceux qui savent et ceux qui ont à apprendre. Donc il va se produire ce qui déjà a causé ce qu'il faut bien appeler le martyr de Freud, c'est-à-dire de voir ses élèves, successivement, venir chacun fonder leur école qui, après tout, aurait pu être la bonne. Après tout pourquoi un de ses élèves n'aurait pas eu, en psychanalyse, des vues plus justes que les siennes? Eh bien, elles ne l'étaient en aucun cas, ça s'est avéré, dans la mesure où elles étaient toutes réactionnelles à ce que l'un de ses élèves, c'est-à-dire Adler, a théorisé en l'appelant la volonté de puissance. Autrement dit, ce que tu racontes c'est très bien, mais moi ce que je raconte, après tout, pourquoi ce ne serait pas mieux? Et avec Jung, ça s'est passé d'une façon pire puisque Jung a dit que l'inconscient de Freud était juif et que ce n'était pas son cas, que ce n'était pas le sien. Voyez le racisme peut également venir se nicher de ce côté là. Quelle est l'issue? Est-ce qu'il y en a une? Oui, il y en a une, c'est de reconnaitre que ce qui fait la communauté de tous ces braves esprits, c'est que l'objet de leur fantasme, qui est singulier, propre à chacun, et du même coup, leurs spéculations, ce qu'il a de commun avec tous les autres, c'est qu'il vient répondre à un même manque. Que ce manque est le même pour tous les parlêtres, et que ce qu'il y a de commun, ce n'est pas un être, mais c'est le manque à être. Et que de vouloir affirmer son être, alors que ce qui caractérise la communauté humaine, c'est le manque à être c'est-à-dire l'incapacité d'affirmer l'essence humaine à partir d'un rassemblement de traits, et de dire, une fois que j'ai rassemblé tous ces traits, tous ces qualificatifs, je sais que je m'accomplis comme homme, ça c'était l'ambition aristotélicienne. Donc de reconnaitre cette affaire que ce qu'il y a de commun à tous, c'est le manque à être et que le reste, c'est du bavardage.

Il se trouve, je ne sais pas si je vous informe en quoi que ce soit en vous le disant, que Lacan a essayé de faire reconnaitre cela, en établissant une procédure, pour que les psychanalystes puissent se faire reconnaitre par leurs pairs, qu'il a appelée la passe. Avec sa faculté à faire des jeux de mots, également se reconnaitre comme pas-se, pas-soi, parce que ce manque à être qui va caractériser le soi, il est à tout le monde. Il a essayé de faire ça, je ne vous raconte pas les huées qui, dans son propre groupe, ont accueilli ce projet, c'était un spectacle live sensationnel. Ça se déroulait dans la chapelle de l'hôpital Sainte Anne parce que la salle était en travaux. Un souvenir qui m'est resté, celui de voir les premiers parmi ses élèves, venir violemment contester une procédure qui allait mettre en cause leur propre affirmation de maitrise, parce qu'être un élève, c'est vouloir devenir un maître. Devenir un maitre, c'est-à-dire être supposé détenteur de l'enseignement qui est le bon, le vrai. Et puis d'autre part, traiter son auditoire comme étant celui de ceux qui ont à être élevés à la maitrise. Il a essayé de faire ça, ça a été reçu par des huées. Il se trouve que j'ai été amené à participer au premier jury de la passe, ça m'a découragé, ce n'était pas bon, et finalement Lacan y a renoncé. Mais du même coup, ça a été l'échec de ce que, très légitimement, vous estimez possible et souhaitable, c'est-à-dire la reconnaissance par les psychanalystes que, quel que soit le biais, les partis pris, les singularités propres à la personnalité de chacun, la névrose qui est restée de chacun et qui oriente son attitude et son propos, s'il est vraiment psychanalyste, il relève de la même pénurie que son copain, ils sont frères en pénurie.

- Une personne qui tient une agence matrimoniale soulève la question de la difficulté de dire la vérité sur les sites de rencontre et dans les agences matrimoniales.

-Melman: C'est dommage qu'on ne puisse pas avoir un récit de vos expériences cliniques. Je vais vous dire, personnellement, si je viens vous voir, je sais que je serais très touché par les mensonges de l'éventuelle partenaire. Ça me toucherait parce que ce souci de plaire et d'être convenable a quelque chose de touchant, au delà de son côté fallacieux. Ça, ce soucis de plaire, c'est du vrai, c'est de la vérité et ça témoigne bien de la faiblesse partagée. Donc vous voyez, c'est sûrement l'un des cas où le faux-semblant - et c'est peut-être sur ce faux-semblant que les couples s'organisent - peut-être que ce faux-semblant est, à cet endroit-là, un élément qui fait partie du package, comme on s'exprime maintenant. Oui, chacun ment parce qu'il croit que c'est mieux pour l'autre, pas seulement pour soi, mais pour l'autre aussi.

Alors maintenant, pour ce qu'il en est en outre de la vie des couples, c'est un tout petit peu plus compliqué. Il y a un jeune homme bien, qui fréquente une famille où il y a deux soeurs. L'une qui a tous les charmes, vraiment chouette, et puis l'autre, celle qui vit dans l'ombre de la première, plutôt disgraciée, plutôt malheureuse. Question que je pose à une spécialiste: qui va-t-il épouser? Vous voyez, c'est pas évident. De même, vous, avec cette situation que vous rencontrez facilement, c'est la jeune fille qui a une première expérience, comme on dit, avec un jeune homme, expérience parfaitement heureuse, épanouissante, accomplie, et ce jeune homme se montre sûr de ses sentiments et désire poursuivre, et vous vous dites, évidemment, ça va bien se passer; c'est pas lui qu'elle va choisir. Surprenant hein! C'est pas animal du tout, ça! Quand j'entends parler les gens qui travaillent en laboratoire et qui expérimentent sur les rats et les souris, on expérimente avec le principe de la récompense, si la souris a appris à appuyer trois fois sur la bonne manette, elle aura son bout de fromage, donc elle sait compter jusqu'à trois, ça marche! Eh bien dans la cas de notre espèce à nous, ça a été parfait et ce n'est pas ce qui sera retenu. Donc il y a là une petite complexité que je pense que vous devez rencontrer dans votre pratique. Ce n'est ni automatique, ni prévisible.

- Evocation du cas d'une femme qui craint d'être attirée par un ex-conjoint violent, et qui s'ennuie avec des hommes « gentils ».

-Melman: Vous nous rapportez une expérience dont l'authenticité est indéniable. Absolument. Ça n'empêchera pas cette femme de venir éventuellement chez un psy pour se plaindre de sa situation maritale, et le psy va en général se rendre compte assez rapidement que, en réalité, elle y tient et n'est pas décidée à s'en séparer. Le problème étant de savoir pourquoi elle doit aussi s'en plaindre, c'est ça finalement la question.

-Question sur la duperie dans le couple. Est-ce que vous pourriez nous faire l'éloge de ce que pourrait être une bonne duperie?

-Melman: Il y a, ça a surtout existé à partir de Mai 68, il y a des couples qui se sont engagés dans le soucis de la transparence absolue de l'un par rapport à l'autre. Autrement dit, on se dit les choses réciproquement, telles qu'elles sont et sans réserve. Ce sont des existence qui ont vite tourné au cauchemar, c'est-à-dire ce soucis de vivre dans la vérité, c'est ça qui est gênant. On va dire le vrai: « ce matin, avec ton bout de dentifrice au bord des lèvres, ça me dégoute, ça m'écoeure, et puis à table, les bruits que tu fais », le cauchemar. Et donc, la vérification pratique du fait que le semblant est une dimension indispensable, même si on le met au compte de la pudeur. Et aussi des couples qui avaient décidé de vivre nus, et pour les enfants, ça a été un problème. Nus parce qu'on n'a rien à se cacher, rien à dissimuler. Donc il semble bien que la condition de relation possible avec autrui repose bien sur un semblant, c'est-à-dire une forme de duperie, puisque c'est pas ça, mais le problème c'est que dans notre vie, comme vous le savez par expérience, c'est jamais ça. Et quand c'est ça, de deux choses l'une, ou bien ça devient dramatique, ou bien vous êtes un con. Quand vous êtes persuadé que c'est ça et pas autrement, vous savez que votre pensée est arrêtée, limitée, et que vous êtes dans la sottise, quand vous n'êtes plus justement dans le semblant. Donc la difficulté est de parvenir à distinguer le faux-semblant du semblant, du vrai semblant, on dit le vraisemblable, c'est un joli terme dans la langue française, il y a du vrai semblant et du faux semblant. Le vrai semblant, c'est le semblant qui est au service du désir. C'est pourquoi le mensonge dans la présentation du couple, aussi étrange que ça puisse paraitre, c'est du vrai semblant, parce qu'il est au service, de la possibilité pour ce couple, de se rencontrer. S'ils se disaient la vérité de leur être, chacun, à l'autre, « tu sais, moi je suis un perdant, je ne suis pas toujours très gai, souvent j'ai peur, je suis un peu phobique, sexuellement ça marche pas toujours », je crois que vous fermeriez rapidement boutique. Donc tout le problème est de savoir si le semblant prend sa vraisemblance du fait d'être mis, non pas au service de l'imposture, de la tromperie sur le désir, mais vraiment du désir. C'est ça qui fait la bonne duperie. Et c'est pourquoi Lacan a pu faire tout un séminaire intitulé Les non dupes errent, dans la mesure où le refus de cette duperie ne vous amène nulle part. Alors c'est ça la difficulté pour traiter de la question de la vérité, c'est-à-dire dans ce qui est sa propre expérience subjective lors d'une cure, c'est ce que Lacan proposait et qui est si difficile à admettre, avoir l'aperçu, la notion de l'objet perdu qui est le vôtre. Il est perdu, comment allez vous en avoir la notion? Justement, grâce à la cure, pour le reperdre à nouveau, parce que si vous y restez, vous ne faites plus rien, il faudra le reperdre à nouveau. Et ce que Freud appelait la résolution du transfert, qui ne va jamais de soi, elle était fondée là-dessus, avec une singulière ingratitude qui reste au psychanalyste, parce que celui qu'il a formé ne vient pas s'inscrire dans une filiation. Nous ne pouvons pas penser de formation en dehors du registre de la filiation, et voilà un exemple où le formateur et le formé n'ont pas à attendre que s'établisse entre eux ce qu'il en sera du registre de la filiation puisque ce sera, en revanche, la mise en abyme, la mise en problème de toute filiation, tout ce que signifie la filiation. Donc, être avec son élève dans une relation qui n'est pas celle de la filiation, qui pourrait éventuellement, peut-être, être celle de la camaraderie, peut-être, ce qui est rare, elle est limitée à des cercles étroits, mais la camaraderie dans ce cas-là n'est possible qu'à la condition de se supporter du sentiment partagé à une oeuvre commune, c'est-à-dire être engagé dans un même effort, dans un même combat. Est-ce que les psychanalystes sont engagés dans un même combat? Lacan, lui, avait bien le sentiment d'être tout seul. Et la question que je vous laisse c'est: quel était son combat? Quel était celui de Freud qui est resté bien seul lui aussi? Vous vous rendez compte, son meilleur élève, son élève chouchou, chéri, son enfant, Ferenczi, a attendu 1925 pour lui planter un couteau dans le dos, il faut le faire! Et puis il faut aussi être costaud pour le supporter. C'était l'année où s'est révélé le cancer de Freud et c'est le moment que Ferenczi a choisi pour, lui aussi, faire de la chirurgie.

Vous allez me dire, vous avez voulu nous parler de la vérité, eh bien voilà bien la vérité de la vie. Oui, c'est ça la vérité de la vie. Alors nous avons aussi à en prendre la mesure, cette sorte de haine et de cruauté.

-Claude Rivet: C'est vrai que la question du désir à l'origine, notamment du travail de Freud, a été de rechercher la vérité dans les origines.

-Melman: Oui, absolument.

-Claude Rivet: Et donc finalement cette question, en elle-même, est difficile puisque dans les origines, enfin ce que je comprends par rapport à la fin de votre propos, si on se revendique d'une vérité, finalement c'est une vérité qui nous échappe puisqu'elle est antérieure à notre conception, à notre venue subjective, et donc la vérité on n'en est pas maitre, on en est peut-être un peu le dépositaire.

-Melman: On n'en est pas maitre, non, mais c'est elle qui nous maitrise.

Le mot que je ne vous ai pas dit et que, Claude, vous me donnez l'occasion de dire: la vérité, c'est un affect. C'est terrible de dire ça, je trouve. C'est un affect, ce n'est pas un signifiant, ce n'est pas une image, ce n'est pas un espoir, c'est un affect. Vous avez le sentiment d'être dans le vrai. Moi, ce matin, vous m'avez donné l'occasion d'avoir le sentiment d'être dans la vérité. C'est une occasion. Merci beaucoup.

-Claude Rivet: Merci à vous Monsieur Melman.

Notes