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EPhEP, MTh1 - CM, le 10/10/2016

Bonsoir. Je vais prendre appui cette année, pour tenter d’éclairer ce que j’ai appelé « la psychopathologie de la vie collective », sur trois références que nous devons à la psychanalyse, où le corps, dans son rapport à la parole et au langage, se trouve engagé. Ces trois références sur lesquelles je prendrai appui sont : l’identification, le symptôme et la jouissance. J’essaierai, au terme de nos rencontres, de vous proposer une définition précise de ce que j’appelle « psychopathologie de la vie collective ». Une telle définition est loin, très loin, d’être simple et évidente, car comme je vous le faisais remarquer la dernière fois, il est bien difficile, et même dangereux, de se référer à ce qui serait une norme de la vie collective et du lien social. L’histoire, jusqu’à aujourd’hui compris, démontre amplement à quels excès monstrueux ce type de références peut conduire.

L’identification : l’identification est un concept freudien, dont je vais essayer de vous montrer ce soir à quel point, dès les premières lettres à Fließ, puis dans la Traumdeutung, le caractère novateur pour rendre compte de la clinique, aussi bien individuelle que collective, et notamment de ce dont il sera question ce soir : l’hystérie collective.

Lacan, certains le savent, reprendra sur le plan structural, dans son grand séminaire de 1961-62 intitulé précisément L’identification, les trois modes selon lesquels elle se décline chez Freud : identification primordiale : au père, première identification. La deuxième identification étant l’identification au trait unique de l’objet, rebaptisé « trait unaire » par Lacan, deuxième identification qui rend compte du phénomène de l’identification au leader, au Führer, au Duce... dans la psychologie des masses. Et enfin, c’est ce sur quoi je vais insister ce soir, troisième modalité de l’identification chez Freud : l’identification consiste en une identification au désir de l’autre, que l’on peut écrire avec un petit a. Identification au désir de l’autre, mais – et j’insiste sur ce point – en tant que ce désir est fondamentalement un désir insatisfait. Je m’attacherai ce soir à vous restituer la formation du concept d’identification chez Freud à partir d’un symptôme hystérique féminin. Freud utilise ce concept (qui fait appel à la dimension de l’inconscient) en l’opposant à celui qui était en vigueur à l’époque : l’imitation, pour rendre compte de ce qui était appelé la « contagion hystérique ».

Qu’est-ce que la « contagion hystérique » ? Ça ne s’appelle plus comme ça aujourd’hui : c’est un phénomène surprenant, qui se produisait régulièrement dans certaines collectivités, notamment hospitalières mais pas seulement, à savoir que lorsqu’une patiente présentait un accès hystérique, une crise de tremblements convulsifs par exemple, plusieurs patientes présentaient peu après, quasi simultanément, le même symptôme. Ce phénomène existe encore aujourd’hui, fort répandu, méconnu : pourquoi ? Parce que beaucoup moins spectaculaire. Je pourrais vous donner des exemples de ce que l’on appelait à l’époque la « contagion hystérique », un phénomène qui s’observait pour l’essentiel dans une collectivité féminine.

Alors, comment le concept d’identification a-t-il émergé dans l’œuvre de Freud ? Nous sommes à l’époque de la naissance de la psychanalyse, et dans la lettre à Fließ – vous êtes au courant qu’il y a eu une longue correspondance entre Freud et Fließ, correspondance qui a été essentielle pour Freud dans son élaboration qui deviendra la psychanalyse – dans la lettre à Fließ en date du 17 décembre 1896 (numérotée 53, puis 113 dans la nouvelle édition), apparaît pour la première fois, à ma connaissance en tout cas, une telle prise en compte de l’identification en tant qu’elle constitue non pas – ça c’est un point très important – non pas le motif qui est à l’origine du symptôme : le motif qui est à l’origine du symptôme, pour Freud, est réservé au fantasme libidinal inconscient ; c’est ça le moteur qui est à l’origine du symptôme. Mais la voie, le moyen si vous voulez, par lequel se forme le symptôme, c’est l’identification. Que dit Freud dans cette lettre à Fließ ? « Je trouve très bien que tu reconnaisses que mon élucidation de l’angoisse est le pivot ». Que veut-il dire par là ? Que dans la clinique qu’il développe à cette époque, c’est l’angoisse qui constitue le pivot de la formation des symptômes de la névrose. Je poursuis : « Je ne t’ai peut-être pas encore communiqué l’analyse de plusieurs phobies. “L’angoisse de se jeter par la fenêtre” est une mécompréhension de la part du conscient, voire du préconscient : elle se rapporte à un contenu inconscient, dans lequel apparaît la fenêtre, et se décompose ainsi : [alors, je vais vous l’écrire au tableau]

« Angoisse + . . . Fenêtre . . . »

Voilà comment Freud écrit cette décomposition où le signifiant, le mot « fenêtre », apparaît : il y a entre « angoisse » et « fenêtre » trois points de suspension ; et après « fenêtre » également. Des points de suspension, c’est-à- dire des éléments qui n’apparaissent pas dans le conscient. Ce que le sujet éprouve, c’est de l’angoisse, et de ce qui se rapporte au contenu inconscient, ne surnage dans le conscient que le signifiant « fenêtre ». Cela s’explique ainsi, nous dit Freud : il y a une idée inconsciente. Alors, quelle est l’idée inconsciente ? Eh bien Freud va nous dire… C’est formidable, parce que c’est éminemment natif, c’est – ainsi que je vous le disais – la naissance de la psychanalyse.

Alors c’est Freud qui reconstruit tout ça, ça ne vient pas des associations de la patiente ; c’est Freud qui recompose en quelque sorte la séquence inconsciente à partir de ce qui en surnage, c’est-à-dire le signifiant « fenêtre » pour l’essentiel, et une sensation d’angoisse, angoisse devant la fenêtre. Alors quelle est cette idée inconsciente que Freud avance, mais qui n’est pas – encore une fois je le répète – le produit de ce que va articuler la patiente ? Eh bien – il était quand même assez culotté – pour lui, cette idée inconsciente est la suivante : aller à la fenêtre pour faire signe à un homme de monter, comme les prostituées. Encore une fois, c’est lui qui reconstruit cette séquence. C’est-à-dire que c’est là le fantasme inconscient de ces femmes qui ont cette phobie – phobie d’impulsion dirait-on aujourd’hui – de se jeter par la fenêtre. Et en réalité, Freud parle d’« agoraphobie », : c’est un symptôme typiquement hystérique. Et vous allez voir qu’il est pas complètement à côté de la plaque : il n’est pas certain qu’une femme qui présente ce symptôme – qui consiste à être saisie d’angoisse, n’est-ce pas, devant une fenêtre et d’avoir la crainte de sauter par la fenêtre – soit forcément habitée par un fantasme inconscient de faire comme une prostituée.

Ce qu’il convient pourtant de noter, c’est que une femme, lorsqu’elle se met à la fenêtre, eh bien c’est la métaphore de ceci qu’elle se présente dans la lucarne de ce que pourrait être le fantasme d’un homme : c’est-à-dire qu’elle se prête, n’est-ce pas, à être regardée par un homme, même si ce n’est pas dans le cadre d’une fenêtre réelle : ça peut être un cadre fantasmatique et non matérialisé. Il est certain que ce qui anime un homme, le désir d’un homme, c’est qu’une femme veuille bien apparaître dans le cadre, dans la fenêtre de son fantasme. Donc cette idée inconsciente : « aller à la fenêtre pour faire signe à un homme » (on va dire ça comme ça, on ne va pas ajouter « ...à un homme de monter comme les prostituées »), ça fait signe. Pas toujours ! Mais dans une rencontre entre un homme et une femme, qui relève de la dimension de la séduction, il y a une femme – alors bien sûr, on peut en discuter, mais le plus souvent, c’est une femme qui fait signe à un homme : elle le réveille ! Sinon, pour un homme – enfin je ne sais pas... je parle pour moi peut-être – mais la réalité est un peu grise, un peu neutre. Mais lorsqu’une femme – pas forcément pour que ça prenne des proportions passionnelles – a l’amabilité d’accepter de se montrer, de se présenter et d’être regardée, eh bien tout à coup la réalité est moins neutre ! [rires] Non, mais c’est vrai ! Il y a d’autres éléments... Par exemple on dit : « un beau paysage »... mais le plus souvent un beau paysage, vous savez avec... toutes ces courbes, là, hein... ces collines... [il mime des mouvements d’ondulation avec ses bras] eh bien ce n’est pas moins un corps féminin. C’est pour ça que Freud n’était pas tout à fait à côté de la plaque ; il va un petit peu loin, et vous verrez pourquoi – parce qu’il procède par associations d’idées – en parlant du désir d’aller à la fenêtre, de s’y montrer pour faire signe à un homme, comme les prostituées. Bon, c’est lui qui le dit – comme on le lui a fait remarquer d’ailleurs, et pas tout à fait à tort parce que ce qui vaut après tout, c’est ce que la patiente, le sujet va être amené à articuler.

Alors, il ajoute ceci : voilà, ce qui se produit, c’est une « déliaison sexuelle » provoquée par cette idée. Alors qu’est-ce que Freud entend par déliaison sexuelle ? Je vais y revenir. Et il poursuit : « Préconscience ». Alors, qu’est-ce qu’il se passe au niveau du préconscient ? Eh bien, nous dit Freud, le préconscient refuse cette idée inconsciente (de se montrer à la fenêtre comme les prostituées pour faire monter un homme) et, je cite : « refus, d’où angoisse issue de la déliaison sexuelle ». Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est assez simple : ça veut dire que ce qui était une déliaison sexuelle – autre manière pour Freud à l’époque de dire « excitation sexuelle » – cette excitation sexuelle se transforme en angoisse du fait du refus du préconscient d’accepter l’idée inconsciente. C’est-à-dire que l’excitation sexuelle se transforme en angoisse. Et il y reviendra à la fin de son œuvre. Mais pendant très longtemps, il a considéré que ce qui était du registre de l’excitation sexuelle et qui ne pouvait pas trouver, en quelque sorte, les voies habituelles de satisfaction se transformait en angoisse. C’est ça sa conception de l’angoisse : dans Inhibition, symptôme, angoisse, qui date de 1926, il reviendra sur ce point.

« Du contenu de la séquence inconsciente... » – alors, écoutez bien comment Freud travaille sur le fait de langage : « du contenu de la séquence inconsciente, seul « fenêtre » devient conscient. » Et pourquoi est-ce que « fenêtre » devient conscient ? c’est-à-dire a accès au conscient ? Eh bien, Freud nous dit : « parce que cet élément – la fenêtre – est mis en valeur comme résultat de compromis grâce à une idée compatible avec l’angoisse : tomber par la fenêtre ». Est-ce que vous suivez là, à peu près ? Bon, là c’est assez simple. Donc l’angoisse permet au signifiant « fenêtre » d’émerger, seul signifiant qui émerge de la séquence inconsciente parce que « fenêtre » est compatible avec « l’angoisse » (l’angoisse de tomber par la fenêtre). Voyez, le déplacement qui se produit : c’est-à-dire que la séquence inconsciente, du fait de la censure du préconscient, va devenir un symptôme qui est l’angoisse de tomber par la fenêtre. « Surnage donc le signifiant fenêtre, parce qu’il permet un compromis entre l’idée inconsciente aller à la fenêtre pour faire signe à un homme et en même temps tomber par la fenêtre ». Freud fera remarquer un petit peu plus tard qu’il y a dans ce « tomber par la fenêtre » la punition qui pourrait être une punition à l’endroit de cette idée inconsciente de faire signe à un homme.

Alors je poursuis la situation [sic] : « Donc, ce qu’elles perçoivent c’est l’angoisse liée à la fenêtre et elles l’interprètent comme si c’était celle de tomber ». (Voyez, comment Freud est amené à montrer ce qu’il est en train d’élaborer : c’est-à-dire le travail qui se fait dans l’inconscient à notre insu, à l’insu du sujet en tous cas ; c’est ça qu’il essaie de montrer. Nous sommes en 1896. Et il essaie de montrer comment travaille l’inconscient : c’est ce qu’il reprendra évidemment dans Le Travail du rêve.) Il y a donc toute la sémantique qui s’attache au signifiant « tomber » : la chute, au sens littéral, « tomber par la fenêtre » ; mais aussi au sens métaphorique, avec sa connotation morale : la chute, au sens moral du terme.

Alors je reprends, encore une fois, ce que dit Freud dans cette lettre : « ...elles l’interprètent comme si c’était celle de tomber, ce qui là n’est même pas toujours conscient. » C’est-à-dire que ce n’est pas toujours conscient que ce soit l’angoisse detomber par la fenêtre. « D’ailleurs – ajoute-t-il – l’un ou l’autre motif aboutit à la même action : elles ne vont pas à la fenêtre » : c’est ça le point important. C’est ça le point important, et qui est étonnamment juste du point de vue de la clinique de l’hystérique. C’est-à-dire que – pas toujours, mais dans certaines périodes – ce qui caractérise l’hystérique c’est qu’elle ne veut pas aller à la fenêtre. C’est-à-dire qu’elle ne veut pas faire signe à un homme, de sa féminité. Elle s’y refuse. Elle estime que, dans cette position, eh bien, elle est plus mal lotie que celui – l’homme en l’occurrence – qui serait amené à la regarder. Il y a là toute la problématique de l’hystérique dans son rapport à la féminité. C’est-à-dire que le symptôme en quelque sorte, on va le voir, « réalise des motions contradictoires de désir : à la fois un désir inconscient d’aller à la fenêtre, et puis un désir d’être punie pour avoir eu ce désir. » Ce qui fait que se produit cette angoisse, n’est-ce pas, d’aller à la fenêtre de peur de tomber.

Freud ajoute : « Pense à faire de la fenêtre dans Guy de Maupassant. » Dans la nouvelle de Guy de Maupassant à laquelle Freud fait allusion – je vous conseille de la lire, c’est une nouvelle très sympathique, assez coquine il faut bien le reconnaître, mais ça c’est dans le style de Maupassant – dans cette nouvelle qui est intitulée – c’est formidable ! – « Le signe », Freud a traduit « faire de la fenêtre » en français ; en réalité il s’est trompé : l’expression qu’utilise Maupassant c’est « faire la fenêtre ». « Faire la fenêtre », en tout cas dans la nouvelle, c’est faire la prostituée. C’est une femme qui s’aperçoit tout à coup qu’en face de chez elle, il y a une dame qui se montre régulièrement à la fenêtre, et elle s’étonne de voir des hommes qui montent dans l’immeuble. Bon, je vous laisse découvrir la suite, parce qu’encore une fois, elle est assez intéressante et plutôt coquine.

Revenons à Freud qui conclut avec, je dirais, l’aplomb qui caractérise quelqu’un qui est en train de faire une découverte, sans se laisser impressionner – d’accord il s’adresse à son ami Fließ, mais enfin quand même – il conclut : « Ainsi ce que j’avais depuis longtemps supposé sur le mécanisme de l’agoraphobie chez les femmes s’est trouvé confirmé. » « S’est trouvé confirmé », mais il ne donne pas du tout d’exemple clinique ! Il ne fait pas du tout état d’une patiente qui aurait, n’est-ce pas... Aujourd’hui ça serait très très mal vu, ça : ce serait considéré comme étant particulièrement sexiste comme propos. Le fait est que, malgré tout, il repérait quelque chose qui appartient à la clinique de l’hystérie féminine.

Et c’est là qu’il introduit, comme je vous le disais tout à l’heure, le mécanisme de l’identification. C’est-à-dire : c’est par identification – femme amenée à faire signe à un homme en se mettant à la fenêtre – que le symptôme va pouvoir trouver sa voie de passage. Et puis également, grâce à l’identification, une paire contradictoire de désirs se trouve réalisée dans le symptôme. Dans ce cas : désir d’aller à la fenêtre, mais également impossibilité d’aller à la fenêtre (aller à la fenêtre pour faire signe à un homme), qui incarne le désir d’être punie avec la peur de tomber par la fenêtre qui s’y associe.

Dans un texte qui date de 1908, « Considérations générales sur l'attaque hystérique », Freud nous donne un exemple particulièrement saisissant de cette surdétermination du symptôme que permet l’identification. Alors ça, c’est un cas assez étonnant, on n’en voit plus comme ça. Si : peut-être que j’ai été amené à voir quelques rares cas comme ça, et j’ai quand même eu une hospitalière assez longue... De quoi s’agit-il ? Dans l’identification que j’évoque, il ne s’agit pas d’une identification imaginaire : il s’agit d’une identification, comme le dira Lacan, signifiante, symbolique. Je reviendrai sur ce point. Alors que dit Freud, dans cet article ? « L’attaque hystérique devient obscure du fait que le sujet entreprend de faire jouer des rôles dévolus aux deux personnages qui figurent dans le fantasme » : vous voyez, il y a dans le fantasme hystérique deux personnages qui figurent. C’est-à-dire, poursuit Freud, que « l’attaque devient obscure du fait de l’identification multiple. Par exemple, j’ai mentionné le cas d’une patiente – ça vous allez le voir, c’est quand même assez intéressant, il ne l’a pas inventé – qui déchirait sa robe d’une main (comme l’homme), tandis qu’elle la serrait de l’autre main contre elle (comme la femme). » Voyez, il y a cette espèce de mise en scène dramatisée, presque un mime, dans cet accès hystérique. Mais, il ne faut pas s’y tromper : même si Freud parle de rôles, même si par définition le scénario hystérique est un scénario dramatisé – pas nécessairement sur ce mode spectaculaire mais, dans le propos hystérique, le scénario est souvent, sinon toujours, dramatisé. Je rappelle ce mauvais terme : « théâtralisation » dans l’hystérie, c’est un mauvais terme. Mais c’est vrai que ce que peut montrer un symptôme hystérique de ce type, c’est un scénario dramatisé.

En réalité ce scénario se dramatise par identification au signifiant. Parce que quelle est la question que pose le sujet hystérique ? Quelle est sa question ? La question, si on reprend l’exemple que nous donne Freud, ça pourrait être par exemple – c’est une question que tout un chacun se pose, pas seulement les sujets hystériques, se pose au moins à son insu, et là c’est particulièrement criant dans le symptôme que je décrivais – : suis-je homme, ou femme ? Une question, encore une fois, que tout un chacun se pose : est-ce que je me situe plutôt sur le versant viril ou plutôt sur le versant féminin ?

Voyez comme quoi l’hystérie dit une vérité, une vérité du sujet, une vérité du sujet en tant que le sujet est une question. Si on devait donner une définition du sujet – il y en a plusieurs : il y a les définitions canoniques de Lacan – mais on pourrait tout à fait dire qu’une des définitions possibles du sujet, c’est qu’il se présente comme une question : homme, ou femme ? Vous savez que ça peut déterminer toute une vie, ça, ce questionnement. Il n’est pas évident d’y répondre si simplement : l’identification sexuée.

Venons-on maintenant, si vous le voulez bien... A moins que vous ayez des questions sur cette première partie ? Moi je trouve ça toujours agréable de lire les débuts, la naissance de la psychanalyse. Alors bon, vous me direz... on n’est pas obligé de partager mon point de vue. Oui ?

Question (salle) :Simplement, je ne vois pas le lien avec le titre du cours…

Cl. Landman : Du cours ? Vous avez raison. Il y a un lien parce que la psychopathologie de la vie collective, si on doit l’éclairer avec des références psychanalytiques, l’identification est un concept essentiel. Peut-être que c’est une démarche constructiviste un peu lourde, mais j’essaie de vous montrer comment ce concept d’identification est né chez Freud, et comment il va l’utiliser dans ces phénomènes d’hystérie collective qui s’appelaient à l’époque les phénomènes de « contagion hystérique ». Alors – et ça c’est une vraie question – est-ce que nous sommes dans la psychopathologie de la vie collective avec l’hystérie collective ? C’est une question. Voyez ce que je veux dire ? Si on n’a pas comme référence le concept d’identification chez Freud... Il y en a d’autres, je vous l’ai dit : on fera référence à la jouissance – là c’est plutôt une référence lacanienne –, et au symptôme (ceux qui étaient à la conférence de Fetih Benslama se souviennent qu’il a évoqué la radicalisation comme symptôme). Mais l’identification est certainement un concept psychanalytique qui permet d’éclairer des phénomènes qui relèvent de la psychopathologie de la vie collective. Alors on y vient, justement, à l’hystérie collective. Oui ? Ah oui oui, posez des questions, c’est très bien. Moi je trouve ça vraiment nécessaire.

Question (salle) : À un moment vous avez dit : « l’hystérique se considère plus mal lotie que celui qui la regarde »… Est-ce que vous pouvez expliquer ça ?

Cl. Landman : Si voulez, c’est la symétrie des places, c’est-à-dire que, une femme, d’une certaine façon, comme je le disais avant, il faut qu’elle se montre à la fenêtre, c’est-à-dire qu’elle fasse signe à un homme de sa présence. Il y a certaines femmes, pas nécessairement toujours hystériques, mais dans l’hystérie c’est assez répandu : une hystérique peut être effectivement tout à fait dans la séduction, se montrant plus qu’il ne faudrait, d’une certaine façon, affichant une attitude de séduction ; et il y a des périodes où, au contraire, elle sera complètement, à l’opposé, dans une attitude qui lui fera refuser d’apparaître dans le cadre qui pourrait susciter le désir, l’intérêt d’un homme. Et tout ça c’est inconscient : elle considère qu’elle est obligée d’être toujours dans une mascarade ; alors qu’un homme n’a pas besoin de mettre de beaux habits, de montrer ses plumes ni nécessairement de séduire. Enfin je simplifie grossièrement, mais une hystérique peut considérer qu’elle refuse d’être en permanence dans la mascarade. Parce qu’il y a cette dimension-là, n’est-ce pas, de mascarade. Oui ?

Question : Deux petites choses. D’abord, une remarque : est-ce que c’est pour ça qu’on traitait les féministes d’hystériques ?

Cl. Landman : IL faut pas généraliser, on ne peut pas…

- C’était juste une remarque comme ça…

- Non non, mais vous avez raison…

- C’est parce que je suis assez frappée par le fond sexiste…

- Il y a féministe et féministe… On doit beaucoup au mouvement féministe, il faut quand même le reconnaître. Mais, il y avait certaines formes de féminisme, n’est-ce pas, qui relevaient effectivement d’une hystérie froide et déterminée.

- Donc vous répondez « oui », en fait…

- Non, je ne réponds pas oui… je dis qu’il peut y avoir des positionnements hystériques dans les mouvements féministes, mais je ne les résumerais pas à de l’hystérie.

- Et l’autre chose, plus sérieusement, c’était sur l’identification multiple… Je n’ai pas très bien saisi. C’est parce que… c’est le fait de s’identifier à deux personnes qui fait qu’il y a une espèce de dissociation qui crée l’hystérie ou c’est autre chose ?

- Non, c’est dans la structure-même de l’hystérie qu’il y a cette identification multiple — elle n’est pas si multiple d’ailleurs, parce que dans le cas que nous donne Freud, ce n’est pas une identification multiple, c’est une identification double. Dans ce symptôme-là que Freud évoque, en tout cas, le sujet manifeste la question qui est celle de savoir, n’est-ce pas, si on est homme ou femme. Bon, ça revient à la problématique de se montrer ou pas à la fenêtre. D’accord ? Bon, alors je vais avancer un peu dans l’hystérie collective.

Alors ce qui est assez étonnant, c’est que dès la première édition de la Traumdeutung, c’est-à-dire en 1900, Freud avance le mécanisme de l’identification (c’est pour ça que je vais essayer de vous montrer comment ce concept est né), pour expliquer un phénomène collectif que l’on appelait alors, je crois vous l’avoir déjà dit : la contagion hystérique, qui se manifestait chez plusieurs patientes en un même lieu par la reproduction exacte d’un symptôme produit par l’une d’entre elles. « Cette identification constitue dans ce cas... », nous dit Freud – alors ça c’est assez étonnant et novateur, il faut bien le dire « ...l’aboutissementconclusif d’un raisonnement logique inconscient fait en même temps par différents sujets. » C’est-à-dire que différents sujets font le même raisonnement inconscient, et que ce raisonnement inconscient aboutit à la manifestation d’un symptôme hystérique identique produit par plusieurs, voire de nombreux sujets. « Non seulement il y a un raisonnement inconscient chez un sujet, mais ce raisonnement inconscient peut être fait par différents sujets au même moment, et aboutir à [ce qu’on appelait donc à l’époque] la contagion hystérique. »

Alors, je lis le passage où Freud aborde cette question : qu’est-ce que c’est que ce raisonnement inconscient ? C’est ça qui est intéressant. Je cite Freud, dans la Traumdeutung, première édition, donc 1900 : « Mais quel est le sens de l’identification hystérique ? Pour éclairer la chose il faut un exposé plus approfondi. L’identification est un facteur extrêmement important dans le mécanisme des symptômes hystériques. Par cette voie [par la voie de l’identification] les patientes parviennent à exprimer dans leurs symptômes des expériences vécues d’une grande série de personnes, et pas celles seulement qui leur sont propres [pas seulement leurs expériences vécues], à souffrir en quelque sorte pour toute une foule de personnes et à jouer, par leurs seuls moyens personnels, tous les rôles d’un drame. On va m’objecter que c’est là l’imitation hystérique bien connue : la capacité des hystériques à imiter tous les symptômes qui les impressionnent chez les autres, pour ainsi dire d’une compassion en quelque sorte élevée jusqu’à la reproduction. Mais ceci, c’est-à-dire l’imitation, ne fait qu’indiquer le parcours, la voie que parcourt le processus psychique dans l’imitation hystérique. [ça c’est simplement le parcours, le processus psychique] Une chose est la voie (le parcours), autre chose [nous dit Freud] est l’acte psychique qui empreinte cette voie. » C’est-à-dire que l’acte psychique, c’est le raisonnement inconscient ; ce raisonnement inconscient va utiliser la voie de l’imitation, et le raisonnement inconscient va relever du mécanisme de l’identification. C’est-à-dire que Freud ne se satisfait pas de cette explication positiviste dans son fond, qui est l’explication par l’imitation.

Qu’est-ce que c’est, l’explication par l’imitation ? Ce que je vois, je le fais. C’est comme Saint Thomas !. C’était comme ça qu’on pensait l’hystérie à l’époque, et les phénomènes de contagion : une hystérique voit une autre hystérique avoir un symptôme, et par imitation elle le reproduit, parce qu’elle le voit. Mais Freud nous dit que c’est un tout petit peu plus compliqué, que ce qu’on aime à se représenter comme l’imitation hystérique. « Ainsi qu’un exemple va le prouver, il correspond [ce processus] à la conclusion d’un raisonnement inconscient. » Nous sommes là là ce n’est plus Freud qui parle, c’est moi dans une logique qui, toute inconsciente qu’elle soit, s’apparente à celle du syllogisme, ou en tout cas à une logique de l’implication sur le modèle « si telle proposition... (c’est ça la logique de l’implication)... alors telle conclusion ». L’exemple le plus connu de la logique de l’implication, c’est : « s’il fait jour, alors il fait clair ». Mais ce qui est absolument novateur ici, c’est que Freud nous dit que ce raisonnement se produit dans l’inconscient.

Alors je poursuis la citation : « Si un médecin a mis dans une même salle d’hôpital, au milieu d’autres patients, une patiente qui présente des attaques de tremblements convulsifs, il ne sera pas étonné d’apprendre un beau matin que cet accès hystérique particulier a donné lieu à des imitations. Il se dit simplement “les autres l’ont vue et ont fait pareil”. C’est de la contagion hystérique. » Attitude donc, positiviste. Et Freud poursuit : « Certes, mais cette contagion psychique se produit à peu près de la manière suivante : les patientes savent en général plus de choses sur le compte des unes et des autres que le médecin n’en peut savoir sur chacune d’elles, et elles se préoccupent encore les unes des autres après la visite du médecin. » C’est-à-dire que, tout simplement, une fois que le médecin est passé, avant qu’il ne passe, après qu’il soit passé, eh bien ces patientes se parlent entre elles, en apprennent les unes sur les autres. Lacan insistera sur l’importance de cet élément de discours, finalement. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas simplement la photographie du moment où le médecin fait sa visite. Elles ne sont pas figées dans cette photographie ponctuelle.

Mais je poursuis la citation : « L’une d’entre elles a-t-elle eu sa crise aujourd’hui, les autres sauront bientôt qu’une lettre de chez elle, un rappel de son chagrin d’amour ou autre chose semblable, en ont été la cause. Leur compassion se mobilise et la conclusion suivante se développe inconsciemment : une telle cause peut donner de tels accès, alors [voyez : si… alors, la logique de l’implication], alors je peux aussi avoir de tels accès car j’ai les mêmes motifs d’en avoir. » Voyez : c’est un raisonnement inconscient.

Vous voyez, ici enfin c’est la conclusion que j’en tire mais elle peut évidemment être discutée vous voyez comment le symptôme en tant qu’élémentaire se rapporte à une identification de discours, à une situation articulée dans le discours. Ça n’est que de l’articulation de discours dont il s’agit, de discours inconscient, mais de discours. C’est « un raisonnement » nous dit Freud : ça relève du discours. Les différentes patientes, inconsciemment, se tiennent en quelque sorte le même discours. Ce qui fera dire à Lacan, beaucoup plus tard, qu’il existe au-delà de la névrose hystérique un discours de l’hystérique qui fait lien social ; parce que, dans ces manifestations de contagion hystérique, c’est quelque chose de la dimension d’une communauté qui se met en place, d’un lien social très particulier, qui est ce mode symptomatique. C’est tout de même un lien social. Ce que Freud nous montre avec cet exemple, c’est effectivement l’effectuation d’un lien social par identification de discours : elles se tiennent inconsciemment le même discours à peu près au même moment. Elles ont en quelque sorte les mêmes raisons, celles qui imitent la patiente qui a sa crise ont les mêmes raisons d’avoir cette crise, puisqu’elles ont elles-mêmes le même chagrin d’amour, ou autre chose semblable. Il y a une question, là… C’est bien qu’il y ait des questions.

Question (salle) : Je voulais savoir si le fait que le lien social aujourd’hui soit moins fort, pourrait expliquer que le fait que ces hystériques contagieuses soient moins visibles, qu’on en parle moins…

Cl. Landman : Disons que oui, c’est surement des manifestations qui sont moins visibles, mais ce que je vais vous dire c’est que je pense que ce lien social existe tout autant, sinon plus aujourd’hui, mais pas sous la même forme : sous la forme de la solidarité, par exemple à l’endroit de gens qui souffrent. Alors c’est pour ça que ce que je vais essayer de vous dire... ça pose la question de savoir si nous avons affaire à une psychopathologie de la vie collective, si le discours hystérique relève de la psychopathologie. Dire oui, parce que, qu’est-ce que ça veut dire psychopathologie ? Ça veut dire : ce dont le psychisme pâtit. Je pâtis. Or nous pâtissons tous, n’est-ce pas, comme je l’ai dit je crois la dernière fois, de notre rapport au langage, de notre rapport au signifiant ; donc à la limite, la psychopathologie c’est pas nécessairement quelque chose qui fait symptôme et qui mériterait d’être traité comme tel, c’est-à-dire éradiqué. J’essaie de dire mais ça va tout à fait dans le sens de la question posée : vous me direz si ça y répond en partie qu’elles se tiennent toutes inconsciemment le même discours ,et se créent une communauté, un lien social, une solidarité. Bon, je ne vais pas entrer dans les détails, mais vous savez à quel point ce signifiant de « solidarité » en Pologne, a eu les effets que l’on sait. Lien social parce que, effectivement, se sont réunis des sujets qui pâtissaient, souffraient d’unemême intolérance du politique. Solidarność, ça a été quelque chose d’essentiel : je veux dire, s’il n’y avait pas eu Solidarité, pas sûr que le mur de Berlin serait tombé. Donc, tout ça pour dire ce que je vais dire maintenant…

Question (salle) : Je voudrais poser une autre petite question…

Cl. Landman : Oui oui, il faut, il faut !

- Qu’est-ce qui fait l’objet de la contagion ? C’est le symptôme ? Est-ce que on doit comprendre que ces femmes en présence étaient elles aussi hystériques, et que ça s’est révélé par la mise en présence d’un symptôme d’une autre femme ? ou est-ce que c’est juste le symptôme qui a été mis en commun ?

- Non non, je crois que vous avez raison : c’est là où l’hystérie n’est pas à prendre dans le sens de la pathologie. On est tous finalement pris par ce discours hystérique ; on est pris par d’autres discours aussi. On peut se trouver éminemment solidaire de la souffrance de quelqu’un, et se l’approprier par identification ; c’est banal, ça. Et là, on est dans le registre de l’identification hystérique. Sauf que – mais ça j’y reviendrai – cette identification au désir de l’autre en tant qu’il est insatisfait : c’est-à-dire que c’est parce qu’il y a une insatisfaction chez l’autre, de son désir, que se produit une identification de type hystérique. Stéphane, oui ?

Question (salle) : A propos de solidarité… [inaudible]

- C’est une bonne question. Je serai amené à aborder la question de la psychopathologie de la vie collective par la voie de la jouissance, et encore une fois, je l’avais évoqué quand j’ai posé ma question à Fetih Benslama : c’est-à-dire qu’il y a effectivement cette dimension de la jouissance qui est essentielle. Et c’est vrai, vous avez raison, le signifiant c’est à la fois ce qui prescrit et ce qui interdit. Moi je retiendrai pour ce soir que dans le cas que nous présente Freud, ça vaut ce que ça vaut, mais je pense que ce n’est pas faux de dire que cette patiente se posait la question de savoir si elle était homme ou femme : c’était plus une question sur son désir. Alors ça se manifestait sûrement sur le mode de la jouissance, n’est-ce pas, ne serait-ce que parce que le corps y était engagé. C’est de plus en plus rare, mais dans une grande crise d’hystérie, il est manifeste que le corps jouit. C’est manifeste. Mais je reprendrai ce point de la jouissance pour éclairer… Oui ?

Question (forum) : Le regard n’est pas peu de chose, donc que ces femmes regardent ça leur fait quelque chose. Ensuite le regard va susciter des paroles, va mettre en rapport avec des paroles. Le regard… [c’est la remarque, je ne sais même pas si c’est une question]

- C’est une remarque, oui, c’est vrai que le regard est important oui… bien sûr. Bien sûr.

Question (salle) : Bonsoir. Ma question alors ne porte pas directement sur l’hystérie, mais plus sur la psychopathologie de la vie collective et la radicalisation, notamment suite à la conférence de Fetih Benslama. Donc Freud, dans son ouvrage Psychologie des masses et analyse du moi nous présente un schéma et, de façon très résumée, qui indique que le leader porte un trait de jouissance, qui permet, enfin qui… voilà, qui fait plus-de-jouir pour les membres de la foule. Concernant la radicalisation, on pourrait se demander si aujourd’hui on n’a pas affaire à des foules sans leader vraiment, incarnant ce trait sans unité géographique, et pour aller un peu plus loin… enfin peut-être du fait d’internet, des méthodes de radicalisation, de recrutement et aussi de diffusion de leurs actions, de leurs crimes, qui sont faits par internet, donc sous le regard. Et ma question est : est-ce que aujourd’hui, dans ces foules sans leader incarné, est-ce que le regard ne jouerait pas le rôle de leader, mais qui serait plus un leader virtuel, si on peut dire ?

- Écoutez, c’est une excellente remarque et une question plus que pertinente. Il est certain que ce que voile, dans la foule organisée traditionnelle telle que Freud l’a décrite dans Psychologie des masses, ce que voile le trait d’identification au leader, c’est l’objet. Donc, aujourd’hui en effet, dans la mesure où le leader tend à disparaître, ou disparaît, c’est directement que le regard est à la place de celui auquel on s’adresse : pour le faire jouir, pour faire jouir le regard de l’autre. C’est manifeste : on a le sentiment que par rapport à la psychologie des masses… Alors ça existe encore : il y a encore des leaders dans certains pays, et même en France, qui se présentent comme tels, et qui font jouer des traits d’identification. Et ça fonctionne. Il y a encore ce mode de fonctionnement de la psychologie des masses traditionnelle. Mais pour les plus jeunes, il est certain qu’ils fonctionnent dans un rapport à la communauté dont on ne sait pas très bien à qui, à qui ils adressent les vidéos qu’ils filment avec leur portable et qu’ils envoient sur les réseaux sociaux : à qui ça s’adresse ? À une communauté dont il est très difficile de dire quelle est-elle. Donc, il s’agit bien là de s’adresser à un regard et de faire jouir ce regard. C’est évidemment une très bonne question. Mais en ce qui concerne l’identification hystérique et c’est pour ça que ça a quand même un certain intérêt, j’espère, ce que j’ai essayé de vous avancer ce soir c’est que l’identification hystérique, ce n’est pas une identification à un trait : c’est une identification au désir de l’autre en tant qu’il est insatisfait. C’est de l’insatisfaction du désir de l’autre, ou supposée telle… c’est à partir de cette insatisfaction du désir de l’autre que se cristallise l’identification hystérique, c’est-à-dire qu’il s’agit de partager une même insatisfaction. Et donc, ça produit des mouvements, par exemple, collectifs qui font état dans une plainte et dans une revendication à l’endroit d’une souffrance partagée. C’est très intéressant, parce qu’il faudrait déplier très précisément les différents modes de phénomènes collectifs auxquels nous avons affaire. Oui ? Je crois qu’il remarche le micro, il n’y a que Stéphane qui en a été privé.

Question (salle) : Je me demandais si c’était le même phénomène qui était à l’œuvre avec le phénomène de populisme…

Cl. Landman : Ah ! Oui, le populisme suppose quand même un leader, quelqu’un qui est en position d’incarner ce que Freud a appelé l’idéal du moi, c’est-à-dire ce trait auquel une foule peut s’identifier. Alors maintenant, oui, ça fait plutôt de la psychologie des masses telle que Freud l’a décryptée en 1921. Mais, là où c’est intéressant, c’est de repérer ces phénomènes collectifs sans leader ; c’est-à-dire ces masses qui se constituent, ponctuellement, par le biais d’internet, communautés, masses qui se défont aussi vite : là y’a plus besoin d’un leader.

Alors je termine, si vous voulez, sur le discours hystérique. Même si Lacan a élaboré le discours de l’hystérique grâce à un mathème tout à fait spécifique, nous avons déjà chez Freud cette référence au discours de l’hystérique, c’est-à-dire ce qui fait lien social entre des sujets. Il y a plusieurs façons de faire lien social ; mais assurément l’hystérie est une modalité importante de faire lien social. Et je dirais peut-être encore plus à notre époque : faire lien social dans une identification de discours. Et ce lien social a toute sa dignité : il ne s’agit pas de le considérer comme pathologique. Les différentes modalités du lien social ne sont pas exclusives nécessairement les unes des autres, elles peuvent coexister : il y aura différentes modalités du lien social qui coexistent. Donc il y a différents discours qui coexistent, même s’ils sont en antipathie les uns avec les autres. Une menace, aujourd’hui, c’est de voir se défaire les différentes modalités du lien social, de voir se défaire les discours au profit d’un seul discours, que Lacan a élaboré en 1972 et qu’il a appelé discours du capitalisme. C’est ça le risque : que nous soyons tous pris dans cette forme archi-dominante d’un discours que Lacan, et à juste titre, a appelé discours du capitalisme.

Question (forum) : Le concept de contagion hystérique a été introduit via l’identification au désir de l’autre : est-ce à dire que pour Freud l’identification au désir = identification au symptôme ?

Cl. Landman : Écoutez… la contagion hystérique, ce n’est pas Freud qui en a parlé. C’est une conception préfreudienne, la contagion hystérique. Justement ce que Freud a apporté pour expliquer ces phénomènes dits de « contagion hystérique », c’est précisément la dimension de l’identification. Il y avait une question, là… Oui ?

Question (salle) : Oui, je voulais dire : quand vous avez parlé des différents discours qui coexistent, comme si c’était plutôt positif par rapport à un discours seul, monolithique, totalitaire. Et je trouve que peut-être tout le problème aussi quand il y a plusieurs discours, c’est : y’a des discours qui font bloc, y’a un côté très défensif, et là je trouve ça peut être aussi très dangereux, voyez. Ça me fait penser, bon, ça m’est… je l’ai lu comme ça de façon, enfin je suis tombé par hasard, un sociologue américain qui s’appelle Richard Sennett, et justement qui disait — et je trouve très pertinent —, en parlant justement de la solidarité qu’il distingue d’avec la coopération. Et pour lui la solidarité, justement, c’est une forme très défensive : c’est nous contre eux. Alors que la coopération il y a une implication subjective du sujet, ce qui est beaucoup plus… comment dire ça ? Y’a plus d’ouverture, mais ça veut dire aussi peut-être beaucoup plus d’incertitude, beaucoup plus de doute, alors que la solidarité ça fait… bah c’est rassurant mais en même temps ça fait bloc, quoi, ça fait « moi j’suis comme ça », et… voyez, y’a un côté, voilà, y’a un côté fermeture, verrouillage.

Cl. Landman : Oui, écoutez, il faudrait aussi s’entendre sur ce terme de discours, parce là je faisais référence au discours que Lacan a produit dans une écriture, donc avec des possibilités limitées. Si vous voulez, ce n’est pas tout à fait le discours au sens habituel du terme. Donc quand je parlais de coexistence des discours, je faisais référence au discours au sens de Lacan, c’est-à-dire : « discours de l’hystérique », « discours de l’universitaire », « discours du maître », « discours de l’analyste » et « discours du capitalisme », il en a rajouté un cinquième. Et ce sont ces discours-là qui font lien social, c’est-à-dire qui permettent aux sujets de se lier entre eux.

Question (forum) : Dans des groupes de patients psychotiques, peut-on observer de mêmes phénomènes de groupe, l’expression de l’hystérie collective ?

Cl. Landman : Ben non : justement, c’est le problème. C’est que les sujets psychotiques ne font pas lien social entre eux, contrairement à ce qui se produit pour des sujets hystériques. L’antipsychiatrie a cru que ce serait possible de faire des groupes de malades qui seraient susceptibles, n’est-ce pas, de représenter, de socialiser, mais ça n’a jamais marché, ça a été même très angoissant pour les malades qui avaient été recrutés à cet effet. Oui ?

Question (forum) : La préservation du lien social hystérique ne peut-elle pas être un rempart à la mode de radicalisation actuelle ?

Cl. Landman : Le problème c’est qu’il n’est pas absolument certain que certains sujets ne se radicalisent pas sur un mode hystérique. C’est ça le problème. Pas tous, c’est ça le problème. Parce qu’il faut bien dire que si on lit les témoignages de jeunes qui se radicalisent — qui ne sont pas nécessairement de confession musulmane d’ailleurs, il a raison Fetih Benslama de le rappeler : c’est qu’il y a 40 % en France de jeunes qui sont radicalisés et qui ne sont pas au départ de confession musulmane, qui sont des convertis de fraîche date, très fraîche date même. Mais qu’est-ce qui les mobilise ? Alors on peut dire : il y a plusieurs facteurs possibles ; mais un des facteurs c’est assurément, au départ en tout cas, c’était la souffrance qui était infligée au peuple syrien par exemple. Il y a eu aussi les phénomènes de référence, bon il y a aussi – on l’a évoqué, on en parle partout de la violence des vidéos, mais il y a aussi de jeunes sujets qui authentiquement, n’est-ce pas, voulaient aller en Syrie pour faire de l’humanitaire, donc, sur un mode, je dirais, plutôt hystérique. Il faut essayer d’éviter de trop simplifier. Alors, est-ce que le discours hystérique est susceptible, voilà, de faire barrage à la radicalisation ?

Voilà pour ce soir. 

Notes