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EPhEP, MTh4-CM, le 8/02/2016 

            Donc, vous savez que je suis le Dr Claude LANDMAN et que je suis responsable d’un enseignement « magistral ». Je suis là en position de maître et vous en position d’élèves, ce qui déjà ne va pas évidemment de soi pour aborder les questions qui relèvent de la discipline qui est la mienne, c’est-à-dire, la psychanalyse. Mais enfin, j’espère que vous vous sentirez suffisamment à l’aise pour m’arrêter, me poser des questions s’il y avait d’aventure des choses (et il y en aura sûrement !) que je pourrais dire et que vous ne comprendriez pas ou dont vous pourriez avoir envie que je les précise.

            Donc, dans le cadre de cet enseignement magistral, il y aura les 7 leçons du Dr Landman de l’EPhEP, 7 leçons qui traiteront d’une question en apparence simple et dont la réponse, après tout, pourrait vous paraître évidente : «  La psychanalyse est-elle une psychothérapie ? »

            Voilà donc le pari que je fais cette année, qui est celui de traiter cette question dont on peut se demander si elle mérite autant d’attention… Mais je crois qu’elle s’inscrit bien dans le cadre de l’enseignement de cette école.  Alors… permettez-moi de vous solliciter comme ça, tout de suite, à froid : quelle réponse accorderiez-vous à cette question «  La psychanalyse est-elle une psychothérapie ? ». Est-ce qu’il y a quelqu’un qui veut se prononcer ? En général, on se prononce par oui ou par non quand il s’agit de répondre à une question…

            (Un élève dans la salle) : Oui et Non

            Dr Landman : En effet, c’est une réponse… Et elle n’est pas mal cette réponse… Je l’aime bien… Mais, si vous êtes d’accord, nous allons laisser la parole à Freud, nous allons laisser répondre Freud. En 1933, dans la 34ème  leçon des  Nouvelles conférencesd’introduction à la psychanalyse  intitulée «  éclaircissements– applications – orientations », il avance ceci, je le cite :

            «  Vous le savez peut-être, je n’ai jamais été un enthousiaste de la thérapie – il évoque ici la psychothérapie en général – il n’y a pas de danger que j’abuse de cet exposé pour faire des éloges ». Il conclut cependant cette conférence de la manière suivante :

            «  Je vous ai dit que la psychanalyse a commencé en tant que thérapie. Cependant, ce n’est pas en tant que thérapie que je voulais la recommander à votre intérêt, mais à cause de son contenu de vérité. Je souligne, - la psychanalyse pour Freud a un contenu de vérité - à cause de son contenu de vérité, à cause des lumières qu’elle nous donne sur ce qui concerne l’homme le plus directement, sur son être, et à cause des relations qu’elle découvre entre ses activités les plus diverses. Comme thérapie, - et après cette incidente il revient à la psychanalyse comme thérapie -  Comme thérapie, elle est une parmi beaucoup. »

            Vous voyez, ça n’a pas énormément changé même si d’autres thérapies ont vu le jour depuis 1933 que celles auxquelles Freud pense…

            « Comme thérapie, elle est une parmi beaucoup mais, tout de même, Prima Intra-Pares, - la première parmi ses pairs - Si elle n'avait pas sa valeur thérapeutique – il s’agit de la psychanalyse – elle n’aurait pas été découverte au contact des malades et ne se serait pas développée pendant plus de trente ans. »

            Alors oui vous voyez que cette réponse « oui et non »,  ce n’était pas une mauvaise réponse… Autrement dit, si je sais lire, et vous me direz ce que vous en pensez, la psychanalyse est née et se poursuit au titre d’une thérapie, c’est-à-dire à partir de quoi ? A partir de la demande de quelqu’un qui souffre de ses symptômes et qui attend du thérapeute qu’il l’en délivre, c’est-à-dire qu’il en attend une guérison. Ici, pour ce qui concernait Freud au début, mais c’est encore vrai aujourd’hui pour l’essentiel, il s’agissait d’une souffrance venue, soit du corps et c’est l’hystérie, soit de la pensée et c’est la névrose obsessionnelle, ou soit enfin d’un rapport problématique et angoissant à l’espace et c’est la phobie.

            Cependant, Freud ajoute une remarque essentielle : à partir de cette demande qui s’exprime par la voix d’un ou d’une qui souffre, et grâce au mode spécifique de réponse qui lui est apportée, l’application de la règle fondamentale, celle de l’association libre chez le patient à laquelle répondent ou correspondent l’attention flottante et l’interprétation chez l’analyste,  donc un mode de réponse tout à fait spécifique à la demande de quelqu’un qui souffre d’un certain nombre de symptômes. Vous le savez, dans la psychanalyse, la règle fondamentale c’est de dire tout ce qui vient à l’esprit sans juger, sans critiquer, et nous aurons l’occasion de revenir bien entendu sur cette règle fondamentale. Vous verrez qu’elle est essentielle et que d’une certaine façon, elle est le fondement de la technique de la psychanalyse.

            Donc, la remarque essentielle que Freud ajoute est qu’à partir de cette demande, la psychanalyse fait advenir « un contenu de vérité et des lumières sur l’être de l’homme ainsi que des éclaircissements sur ses activités les plus diverses » : conjugales, familiales, amicales, éducatives, culturelles, esthétiques, sociales, politiques… et je pourrais continuer cette énumération. Tenant fermement la corde de la clinique qu’il ne lâchera jamais, Freud s’engagera sans restriction sur la voie qui vise à montrer que la psychanalyse, au-delà de sa dimension thérapeutique, présente un intérêt plus général susceptible d’éclairer d’autres domaines du savoir.

            Une telle prise de position soutenue en prenant appui sur sa pratique l'autorise à distinguer nettement sur le plan épistémologique le champ psychanalytique du champ médical, comme du champ de la psychologie ou de l’anthropologie. Et de constituer la psychanalyse comme une discipline « scientifique », indépendante. Des choses que vous savez peut-être déjà mais qu’il est quand même bon de rappeler.

            Pourquoi ces guillemets à « scientifique » qui ne sont pas de Freud mais que j’ai ajoutés ? Parce que, nous y reviendrons, si la psychanalyse n’aurait pu voir le jour avant la naissance du sujet de la science et des lois déterministes qui en découlent depuis Descartes et Galilée, par exemple, la loi de la chute des corps chez Galilée s’exprime en formules littérales, ce sont des lois qui sont entièrement déterministes : vous les appliquez et vous trouvez la solution !

            Même donc, si la psychanalyse n’est pas pensable comme discipline avant la naissance du sujet de la science, elle n’est pas à proprement parler une science. Pourquoi ? Eh bien, comme vous le savez probablement, parce qu’il n’y a de science que du général. Ce n’est pas la chute de tel ou tel corps dont il s’agit dans la formule de Galilée, il s’agit de la chute des corps en général. La psychanalyse n’est donc pas à proprement parler une science, puisqu’il n’y a de science que du général, et qu'une psychanalyse est toujours par définition singulière. Voilà un type de contradiction, je pense que nous y reviendrons, tout à fait fécond.

            Outre le chapitre des  Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse  auquel je me suis référé, Freud décline cet intérêt de la psychanalyse pour d’autres champs du savoir et de leurs applications pratiques dans un texte de 1913 intitulé précisément  L’intérêt de la psychanalyse . Il a écrit cet article pour une revue scientifique renommée Sciencia   qui lui avait demandé d’exposer ses travaux au public cultivé d’Europe en les situant par rapport aux différentes branches officielles de la science et en exposant en détail l’apport que la psychanalyse représente pour chacune d’elle. L’article de Freud présente deux parties, intitulées respectivement :

-           L’intérêt pour la psychologie ,  c’est la première partie, dans laquelle, je vais y revenir un peu plus loin, Freud est amené à donner le critère qui distingue la psychanalyse de la psychologie.

-          2ème partie intitulée Son intérêt pour les sciences non psychologiques , il s’agit de l’intérêt de la psychanalyse bien entendu, subdivisée elle-même en plusieurs chapitres dont je vous énumère les titres :

L’intérêt pour la science du langage

L’intérêt pour la philosophie

L’intérêt pour la biologie

L’intérêt du point de vue de l’histoire de l’évolution

L’intérêt du point de vue de l’histoire de la civilisation

L’intérêt du point de vue esthétique

L’intérêt pour la sociologie

L’intérêt du point de vue pédagogique

            Citant encore ce court passage de  La question de l’analyse profane, ou encore de l’analyse laïque , ça dépend comment on traduit, il date de 1925 : « La thérapeutique des névroses n’est qu’une des applications de l’analyse. Peut-être l’avenir montrera-t-il qu’elle n’en est pas la plus importante. En tout cas, il serait injuste de sacrifier à une application toutes les autres, simplement parce que le domaine de cette application touche au cercle des intérêts médicaux professionnels. »

            C’est un texte fondamental et qui est logique à partir déjà de ce que je vous ai proposé.

Dans la mesure où la psychanalyse est une discipline indépendante et que cette indépendance est fondée sur le plan épistémologique, eh bien l’analyse peut être pratiquée, même si c’est une thérapie, par des non-médecins. Vous savez que ce texte sur l’analyse profane a été la réponse de Freud à un procès qui avait été intenté à l’un de ses élèves qui n’était pas médecin. Je crois qu’il s’agit de Reich mais j’ai un doute.

            Il convient de noter que si la psychanalyse présente un intérêt pour les disciplines aussi variées que celles qui sont été énumérées, cette relation n’est pas unilatérale. Freud n’a jamais caché en effet qu’il avait tiré parti, afin de soutenir certaines thèses psychanalytiques qu’il considérait comme fondamentales, de certains éléments empruntés à d’autres disciplines du savoir. Pour ne donner qu’un seul exemple, la thèse essentielle du meurtre du père de la horde primordiale, qui est pour Freud le mythe qui rend compte de la naissance de la loi, vous avez sûrement entendu parler de ce texte très important qui s’appelle  Totem et tabou, eh bien, cette thèse du meurtre du père de la horde primordiale repose sur des références explicites à l’anthropologue Robertson Smith et à Charles Darwin.

            Alors, arrêtons nous un moment et essayons de prendre ensemble la mesure de l’importance et de la nouveauté que Freud, et Lacan le suivra sur cette voie, l’importance que Freud accordait à la psychanalyse dans le champ de la culture. Maintenant vous me direz, c’est à peu près acquis mais à l’époque de sa découverte, il lui a donné une importance considérable. C’était vraiment une nouveauté dans le champ de la culture et une nouveauté dont il attendait beaucoup ce qui explique qu’il n’a pas voulu, et à juste titre, restreindre la psychanalyse à sa seule dimension thérapeutique. Et comme nous sommes déjà  en février, et que vous suivez  les enseignements de l’Ecole, certains depuis pratiquement 18 mois, d’autres depuis le début de l’année, vous voyez que nous sommes fidèles à Freud sur ce point.

            Le point sur lequel il me semble nécessaire d’insister, c’est ce que Freud désigne comme le contenu de vérité que possède la psychanalyse pour l’homme en général, c’est-à-dire autant à titre individuel que dans les rapports qu’il entretient avec ses semblables, ce contenu de vérité entièrement inédit dont nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences, ce contenu de vérité qui a été découvert et se redécouvre en permanence à partir de l’expérience à la fois réduite et singulière de la cure qui a été nommé par Freud l’inconscient.

            L’inconscient au sens de Freud ne relève pas d’une mystique dont l’objet est par définition insaisissable, mais de quoi relève-t-il l’inconscient ? Il relève d’une logique, la logique de l’inconscient a ses lois propres même si ce ne sont pas les lois de la logique classique, ainsi qu’ont pu le mesurer ceux d’entre vous qui étaient présents samedi dernier à la journée consacrée à l’Organon d’Aristote. Et ces lois logiques inconscientes déterminent notre vie psychique. C’est à ce déterminisme par l’inconscient de la vie psychique que la plupart de ses contemporains sont opposés. Et c’est une résistance, une opposition, qui je dirais malheureusement persiste, je vois que cela a été dit samedi en d’autres termes, si cette détermination inconsciente de notre vie psychique, individuelle et collective, était prise en compte, je pense que ça pourrait changer pas mal de choses dans les modalités du lien social.

           

            Donc, pour Freud, ces lois logiques inconscientes déterminent notre vie psychique qu’elle soit normale ou pathologique, individuelle ou collective, ainsi que le montrent les actes manqués et les rêves dans le premier cas, la psychologie des masses dans le second. Si dans la première partie de son texte  L’intérêt pour la psychologie  - 1ère partie du texte  L’intérêt de la psychanalyse  - un texte très intéressant, un texte adressé à un public comme je vous le disais tout à l’heure un public cultivé mais pas nécessairement au fait, nous sommes en 1913, de la découverte de l’inconscient. Alors, si Freud, dans cette 1ère  partie L’intérêt pour la psychologie  insiste uniquement sur les mécanismes qui sont à l’œuvre dans les actes manqués et dans le  rêve, c’est que ces deux formations de l’inconscient, les actes manqués et le rêve, contrairement aux symptômes par exemple, se rencontrent au quotidien chez le sujet dit « normal ».

            De la même manière, la constitution et la structure des foules artificielles, des masses organisées, se composent de sujets qui ne sont habituellement pas névrosés,  puisqu’une des caractéristiques de ces derniers, des sujets névrosés, consiste précisément dans leur isolement social : même si dans l’hystérie, des périodes d’isolement, de retrait du monde peuvent alterner avec des périodes d’engagement sans recul dans des revendications et des manifestations collectives.

            Malgré Freud et Lacan, nous n’avons pas encore tiré, semble-t-il, les conséquences sur le plan éthique de ce contenu de vérité que possède la psychanalyse et qui s’appelle le déterminisme inconscient. Conséquences qui pourraient pourtant nous éviter, entre autres, ce que Freud nous dit dans L’intérêt de la psychanalyse , à savoir, je cite « qu’il est la preuve – le déterminisme inconscient - de la mesure insoupçonnée de l’aveuglement intellectuel chez l’homme « normal », tout comme chez l’homme malade. »

            Le déterminisme inconscient, dans la mesure où nous ne le prenons pas en compte, eh bien il est responsable d’un aveuglement intellectuel, aussi bien chez l’homme normal que celui qu’il appelle  l’homme malade.

            Essayons de faire un pas de plus. Je vous faisais remarquer que c'était dans ce mini-espace, on va le définir comme ça, situé entre le divan et le fauteuil, c’est vraiment mini un cabinet d'un psychanalyste, ce n’est pas un espace immense, c’est d’autant plus extraordinaire d’ailleurs ! C’est dans ce mini-espace que furent découvertes les lois de l’inconscient. Or, qu’est ce qui circule dans cet espace ? Quel est le médium, quel est le seul moyen qu’utilise la psychanalyse ? Si je vous pose la question, quelle réponse allez-vous me donner ? C’est une réponse qui est simple ? La parole évidemment ! La parole et uniquement la parole ! Cette praxis, qui s’appelle la psychanalyse, je dis praxis, pourquoi je dis praxis ? Pour en souligner la dimension d’acte, cette praxis est de bout en bout une expérience de parole. Ainsi que le souligne Lacan, ce qui a été noué par la parole peut être dénoué par la parole.

            Il convient ici de marquer ce qui peut apparaître comme différence d’appréciation entre Freud et Lacan sur la nature de la fonction de la parole en psychanalyse et sur le statut de l’inconscient, différence qui, si elle est avérée, n’est pas sans conséquence, en particulier sur la direction de la cure, mais pas seulement. Comme vous le savez sûrement, même si l’interprétation se situe pour l’un comme pour l’autre dans la dimension de la parole, elle relève pour Freud, soit de la dimension de l’explication donnée au patient sur les raisons de son symptôme à partir des éléments associatifs qu’il apporte, soit de celle de ce qu’il appelle une « construction ». Texte de la fin qui s’appelle Constructions dans l’analyse, c’est-à-dire que Freud s’était rendu compte qu’on avait beau expliquer au patient, avec de bonnes raisons, à partir de ce qu’il disait, les raisons de son symptôme, cela n’avait néanmoins pas nécessairement d’effet : donc Freud a pu considérer qu’il fallait remplacer ces explications données au patient par ce qu’il appelait des « constructions ». Constructions dans l’analyse, c’est-à-dire des hypothèses qu’il formulait à ses patients.

            Alors que Lacan s’en tient strictement en ce qui concerne l’interprétation, à la dimension de l’équivoque, du jeu sur les signifiants qui se donnent à entendre dans le discours du patient. Cette équivoque sur le signifiant, en quoi consiste l’interprétation, ne saurait être pour Lacan arbitraire et gratuite, sur le mode de l’almanach Vermot,  mais vise, cette équivoque, à résonner avec le signifiant inconscient et à produire un effet de sens pour le sujet qu’elle déplace. L’interprétation réussie, y’en a ! ça arrive ! Résolutive du symptôme, ça arrive aussi,  mais ne se confirme, pour Freud comme pour Lacan, que dans l’après-coup.

            Mais revenons, si vous le voulez, à la différence qu’il conviendrait de situer entre Freud et Lacan. Dans le texte auquel je me suis largement référé ce soir  L’intérêt de la psychanalyse , 1ère partie –  L’intérêt pour la psychologie , Freud avance la formulation suivante qui, à mon avis, est problématique, je cite : « On peut bien déclarer que l’étude psychanalytique des rêves a ouvert le 1er aperçu sur une psychologie des profondeurs dont l’existence avait été jusque là insoupçonnée ». C’est cette ouverture sur la psychologie des profondeurs qui va distinguer, pour Freud, la psychanalyse de la psychologie, la psychologie qui s’en tient - ou qui s’en tiendrait -  à la dimension de la superficie. Comment interpréter cette métaphore ? C’est relativement simple : comme une conception topique, spatiale, du psychisme stratifié, en couches, où l’inconscient représente la couche la plus profonde par opposition à la surface consciente.

            Ce que Lacan montrera, c’est que cette métaphore est impropre mais nullement ce sur quoi Freud s’appuie pour la justifier, à savoir le double intérêt qu’il accorde à l’étude du travail du rêve. Et je vous renvoie, peut-être certains l’ont-ils déjà lu, à un grand chapitre qui est le chapitre 6, je crois, de  L’interprétation des rêves  et qui s’appelle précisément  Le travail du rêve. Je cite Freud, double intérêt donc du travail du rêve et de son étude  en premier lieu dans la mesure où il découvre des processus d’un nouveau genre, comme la condensation et le déplacement :

- déplacement : déplacement de l’accent psychique d’une représentation à une autre

- condensation : condensations de 2 ou de plusieurs représentations, qui donne dans le rêve ces personnages, ces représentations que Freud appelle « mixtes ».

Il découvre donc des processus d’un nouveau genre comme la condensation ou le déplacement, « que nous n’avons pas découvert dans la pensée de veille, dans la pensée consciente.  En second lieu dans la mesure où il nous permet de deviner un jeu de forces dans la vie psychique dont l’activité était cachée à notre perception consciente. »Cela, c’est toujours à partir de l’étude du travail du rêve :  « nous apprenons donc qu’il y a en nous une censure, une instance examinatrice qui décide si une représentation naissante peut parvenir à la conscience, et rejette impitoyablement, dans les limites de sa puissance, ce qui pourrait produire ou réveiller du déplaisir. »

            Il y a, c’est quand même quelque chose d’assez extraordinaire que Freud n’est-ce pas, met en évidence dans la  Traumdeutung, il existe un travail du rêve, le rêve, c’est le fruit d’un travail psychique, Lacan dira « un travail du signifiant », nous allons y venir tout de suite d’ailleurs. Ce que Lacan mettra en évidence en reprenant, pour la subvertir, la théorie du signe linguistique chez Ferdinand de Saussure, c’est que ce que Freud désigne sous le terme de condensation correspond à la figure de style connue sous le nom de « métaphore », qui renvoie à la substitution signifiante. La substitution signifiante, c’est un mot pour un autre, c’est ça une métaphore, c’est utiliser un mot pour un autre. Lacan donne un exemple dans  L’instance de la lettre dans l’inconscient  qui est un texte des  Ecrits : « l’amour est un caillou riant dans le soleil ». Vous voyez cette substitution signifiante, substitution de mots entre l’amour et le caillou qui à priori n’ont strictement rien à voir, mais dès lors que vous êtes poète, vous pouvez vous autoriser cette métaphore que l’amour est un caillou riant dans le soleil. Alors, vous pouvez l’apprécier ou ne pas l’apprécier cette métaphore poétique, mais vous ne pouvez pas lui refuser n’est-ce pas, son appellation de métaphore.

            Alors, ce que Freud désigne par déplacement dans le rêve correspond à cette autre figure de style la « métonymie » et renvoie quant à elle à la connexion signifiante. Qu’est ce que c’est la connexion signifiante ? C’est-à-dire le mot à mot. La métaphore c’est un mot pour un mot, la métonymie, c’est mot à mot, pour vous donner un exemple : « 30 voiles pour 30 bateaux ». Voilà, c’est l’exemple que donne Lacan, il n’est pas mal, encore que 30 voiles c’est pas forcément 30 bateaux parce qu’il y a des bateaux à 2 ou 3 voiles, mais enfin quand on entend 30 voiles qui paraissent à l’horizon, on peut entendre, c’est une figure qui s’appelle la métonymie, on peut entendre 30 bateaux. C’est ce sur quoi Lacan prendra appui pour définir l’inconscient selon la formule que vous connaissez, à savoir que « l’inconscient est structuré comme un langage ».

            Dans le texte des  Écrits  datant de 1957  La psychanalyse et son enseignement , Lacan reprendra la métaphore freudienne de la profondeur et je conclurai ce soir sur la courte citation qui ouvre à mon sens de nombreuses perspectives, donc je cite Lacan : « Dans l’inconscient qui est moins profond qu’inaccessible à l’approfondissement conscient, ça parle. Un sujet dans le sujet, transcendant le sujet, pose aux philosophes depuis la science des rêves sa question ».

            Vous voyez comment Lacan retourne la question de la profondeur, l’inconscient qui est moins profond qu’inaccessible à l’approfondissement conscient, dans l’inconscient ça parle. Ce n’est ni profond, ni superficiel l’inconscient, mais dans l'inconscient ça parle, donc l’inconscient est soumis, structuré, comme un langage. Et c’est vrai que si ça parle dans l’inconscient - c’est le déplacement que Lacan opère par rapport à Freud – et il l’opère en identifiant ce que Freud avait nommé condensation et déplacement par  métaphore et métonymie. Le déplacement que Lacan opère est un déplacement décisif, ça parle, l’inconscient ça parle.

            Donc, qu’est-ce que c’est que ce sujet qui parle à l’insu du sujet ? Qu’est-ce que c’est que « ce sujet dans le sujet » ?  nous dit Lacan, et évidemment, à partir du moment où vous avez ce sujet dans le sujet, ce sujet transcendant au sujet, ça pose évidemment une question aux philosophes.

            Voilà… alors il nous reste un peu de temps pour les questions et la discussion. De toute façon, je pense que si ça fonctionne cette année comme ça fonctionnait les années précédentes, je pense que vous serez amenés à reprendre avec vos responsables de TD ce qui a pu vous paraître elliptique ou trop condensé justement dans mon propos, voilà je vous remercie et j’attends avec impatience vos remarques, vos objections et vos questions s’il y en a…

            Élève : Une question peut-être basique mais comment peut-on aller mieux en parlant ? Ce qui circule dans la psychanalyse, c’est la parole… à quoi sont liés les signifiants physiologiquement, éventuellement, pour créer une re-décontraction musculaire, une espèce de détente si possible et je dirai, qu’à un moment donné quand on est trop tendu la parole n'a plus cours parce qu'on n’arrive pas à grand-chose et quand elle y arrive, comment c'est possible physiologiquement ?

            Enseignant : Bah… si vous voulez, l’inconscient ou plutôt le symptôme – symptôme : c’est-à-dire ce qui s’éprouve éventuellement dans le corps mais c’est pas toujours dans le corps ! Vous avez des symptômes, comme je l’évoquais, qui produisent des souffrances qui se situent dans le registre de la pensée ; mais comment définir les symptômes ou le symptôme sinon comme un nœud de signifiants. Il y a un certain nombre de signifiants qui se sont noués, éventuellement mal noués, et qui vont donc être à l’origine d’un symptôme. Donc pour faire vite et simple, si vous arrivez par l’interprétation à agir sur ce nœud de signifiants, à faire résonner les signifiants qui sont noués dans le symptôme, il est possible que ce nœud de signifiants se dénoue et que du même coup se produire une résolution du symptôme. Si vous lisez les premiers textes de Freud,  dans l’hystérie vous verrez que c’est comme ça qu’il a réussi à guérir des hystériques de leurs symptômes.

            Alors par ailleurs vous abordez une question qui est importante, qui est la façon dont le signifiant, la parole, se noue avec une autre dimension qui est celle du corps. Alors là évidemment c’est une question très importante. Alors, est-ce que l’effet de la parole peut être apaisant pour le corps ? Vous parliez de décontraction ?  Je ne sais plus  quel terme vous avez utilisé… Il y a des interprétations qui produisent ce type d’apaisement parce que, justement, elles permettent d’agir sur le mode d’insertion du signifiant dans le corps. Et il arrive souvent que les signifiants, tels qu’ils se nouent au corps, produisent une souffrance et que cette souffrance s’apaise dès lors que cette insertion des signifiants dans le corps se déplace.

            Pour dire les choses peut-être d’une façon plus imagée, un fantasme inconscient peut tout à fait, dans la mesure où il est refoulé, être la source d’une souffrance, d’un symptôme.

Si vous arrivez à faire jouer les signifiants qui se trouvent impliqués dans le fantasme inconscient d’un sujet eh bien, cette souffrance est susceptible de s’apaiser. Et se produit ce qu’il faut bien appeler avec Freud et à la suite de Freud une levée du refoulement. Vous savez peut-être que pour Freud le refoulement n’est jamais complétement réussi, il y a toujours ce qu’il appelle un retour du refoulé, sous une forme déguisée et douloureuse, symptomatique. Bon, voilà une ébauche de réponse à votre question, est-ce qu’il y a d’autres questions ?

            Autre élève : A un cours, à Esquirol, de Rémi Trevissen sur les névroses obsessionnelles, il soulignait que chez le névrosé obsessionnel justement il pouvait y avoir des nouages et parfois re-nouages sur le même signifiant. Est-ce que par rapport à ce que vous avez énoncé, qu’une fois qu’il y avait dé-nouage les signifiants se déplaçaient et donc atténuaient la souffrance, est-ce que vous pouvez peut-être nous donner quelques indications qui pourraient nous expliquer pourquoi il y a re-nouage chez le névrosé obsessionnel ? Car normalement, s’il y a dénouage, il y a arrêt du symptôme ou arrêt de la souffrance, donc pourquoi renouer ? Pourquoi le sujet renouerait ? Sans doute parce qu’il doit y avoir un souvenir de jouissance par rapport ce nouage, mais qui n’existerait pas alors chez l’hystérique ?

            L’enseignant : Ecoutez… D’abord il faudrait peut-être poser la question au Dr Tevissen mais ce que vous dites est intéressant c’est-à-dire, c’est la question du choix de la jouissance parce que la jouissance, ce n’est pas du plaisir, hein… La jouissance c’est une souffrance à laquelle nous sommes attachés parce qu’elle s’est constituée très tôt, ce nouage signifiant que vous évoquez s’est constitué très tôt et a organisé notre économie psychique, on y est attaché à ce nouage signifiant et on est attaché par là-même au(x) symptôme(s) qu’il a induit et à la jouissance, douloureuse le plus souvent, qu’il(s) procure(ent). Ça  c’est ce que Freud a constaté en 1920 avec  Au-delà du principe de plaisir , ce qu’il a appelé « l’automatisme de répétition », c’est-à-dire que le patient n’a pas nécessairement envie de lâcher la jouissance qui s’attache au(x) symptôme(s).

            A partir de ce constat c’est un choix, et l’analyste n’a pas nécessairement à prendre parti sur le choix que fait le sujet : soit de renoncer à sa jouissance pour autre chose, bien évidemment autre chose à quoi il n’est pas habitué, d’ailleurs ça peut susciter une certaine angoisse tout à coup de ne plus avoir à sa disposition le symptôme avec la jouissance qui s’y attache, c’est du terrain connu, on répète toujours dans la vie les mêmes « erreurs » et à chaque fois je dirais, ça reproduit des formes de jouissance douloureuses mais auxquelles nous sommes habitués. Donc, il ne va pas de soi qu'un sujet fasse le choix de l’inconnu, c’est-à-dire de changer éventuellement un tant soit peu son économie psychique et subjective et à tenter autre chose. Mais, ça, c’est à l’analyste de lui  donner les possibilités de ce choix ; C’est pas à l’analyste de choisir pour lui, l’analyste n’a pas à dire «  bon maintenant, voilà, on a dénoué le symptôme, on a dénoué le nœud de signifiants qui est à l’origine du symptôme, il faut que vous l’abandonniez… », ça se fait ou ça se fait pas. Là, c’est un choix éthique parce que dès lors qu’un sujet fait le choix – ce qui arrive quand même !- d’abandonner la jouissance qui s’attache à un symptôme, eh bien il est mis devant des responsabilités quant à l’orientation de sa vie qui pourraient ne pas être dans la répétition. C’est-à-dire qu’il aurait à inventer en quelque sorte, autre chose que ce à quoi il a toujours été habitué et ce dont il a toujours joui. Ce n’est pas forcément plus confortable que la jouissance du symptôme parce que du coup il est confronté directement, n’est-ce pas, aux difficultés de la vie, la responsabilité des choix qu’il peut faire.

            Alors, jusqu’à quel point il est possible de renoncer à l’automatisme de répétition, et est-ce que c’est possible ? Evidemment, grande question…

            Je crois que vous avez répondu à la question que vous posiez en disant que finalement, si malgré l’interprétation, les signifiants se renouent à l’identique, c’est un choix de se maintenir dans la jouissance du symptôme. Mais je crois que Rémi Tevissen  a été prudent, il n’a pas dit que ça se produisait dans tous les cas.

            Pourquoi chez l’hystérique ça ne se produirait pas de la même façon ? L’automatisme de répétition, il vaut aussi dans l’hystérie, c'est une modalité de la jouissance la douleur dans l’hystérie, c’est ce à quoi le sujet peut être le plus attaché. Là ça impliquerait d’aller beaucoup plus loin, ça supposerait un certain nombre de développements que je n’ai pas faits et que je n’aurais évidemment pas le temps de faire ce soir mais c’est une très bonne question.

            Ça  pose aussi la question de la fin d’une psychanalyse, aussi bien la fin en tant que finalité que comme la terminaison d’une psychanalyse. Lacan a pu dire, je ne sais plus dans quelle conférence faite aux Etats-Unis à la fin de son enseignement, il a dit : Finalement si le sujet est soulagé de ses symptômes, s’il s’en trouve bien, une psychanalyse n’a pas forcément à être poussée plus loin.

            Donc, sur la finalité d’une psychanalyse, même Lacan a pu dire que la cessation du symptôme, le fait de se sentir bien, ça peut être une finalité de la cure, mais il n’y a pas une seule finalité de la cure, il y a d’autres sujets qui veulent aller plus loin, par exemple parce qu’ils veulent devenir psychanalyste ; donc ils ne vont pas se contenter, c’est une amélioration quand même considérable parce que vous savez une névrose, c’est quand même une catastrophe, c’est quand même une calamité, non mais il faut le dire ! ça vous isole, ça fait que vous emmerdez votre entourage en permanence, parce que vous lui faites subir vos symptômes, c’est-à-dire vous les utilisez au titre de personnages qui sont inclus dans votre fantasme et puis vous pouvez être inhibé au travail, plus que malheureux en amour, bref c’est quand même pas… c’est jouissif éventuellement, ça peut produire de la jouissance, mais c’est quand même calamiteux !

            Donc il y a des gens qui sont très heureux de pouvoir, comme le disait Freud, être capables, à nouveau ou enfin, d’être capables d’aimer et de travailler, être capables d’accéder à une jouissance commune mais qui n’est pas la jouissance individuelle du névrosé parce que le problème du névrosé c’est que sa jouissance, c’est pas la jouissance commune, c’est la jouissance de son symptôme. Moyennant quoi, il est évidemment ou il se croit exceptionnel puisqu’il ne jouit pas comme les autres, c’est ce que j’évoquais dans le cours de mon propos en disant l’isolement qui caractérise souvent la névrose.

            Le névrosé obsessionnel, un bon névrosé obsessionnel comme « l’homme aux rats », quand il était en société, les gens qui étaient autour de lui faisaient des blagues et il ne comprenait rien ! En général, il leur faisait répéter mais il n’avait pas accès à la signification qui est la signification commune. C’est un grand problème ça quand même, c’est quand même très inhibant, alors que les sujets obsessionnels sont en général des sujets extrêmement intelligents… mais ils se trouvent dans des situations où socialement, ils ne peuvent pas participer à la jouissance de  l'échange habituel…et ils en souffrent !

            Donc il n’est pas rare quand même que la levée des symptômes qui peut se produire grâce à l’analyse soit accueillie avec, comment dirais-je ? J’allais dire avec plaisir mais ce n’est pas faux, accueillie et acceptée par le sujet.

            C’est une question que Freud se pose dès le départ à propos de l’hystérique, il dit que parfois l’hystérique refuse de - pourquoi est-ce qu’elle échangerait n’est-ce-pas ?- son symptôme ou ses symptômes pour, je ne sais plus comment Freud le dit, pour un destin banal.

Parce que, être comme tout le monde, c'est pas forcément... jouir comme tout le monde, d’une bonne blague, comme dirait Lacan, « un bon gros jouir », bon…

            Donc c’est pour ça que la psychanalyse peut ne pas être poussée plus loin, que cet accès au travail et à l’amour, c’est-à-dire plus loin que cette jouissance commune et la jouissance partagée. Alors, quelle serait l’alternative entre l’exception névrotique et la normalité dans la jouissance commune partagée ? Est-ce qu’il y a une alternative ? Est-ce que la psychanalyse est susceptible de proposer une alternative, c’est-à-dire inventer autre chose dans le lien avec autrui, avec son conjoint, avec ses amis etc. C’est une vraie question, c’est l’un des grands enjeux de la psychanalyse et en quoi ça rejoint le propos que j’ai essayé de développer ce soir, c’est-à-dire que la psychanalyse n’est pas seulement ni même d’abord pour Freud, une psychothérapie, une thérapie. On sent en filigrane que, pour Freud, la psychanalyse était susceptible d’ouvrir d’autres horizons, en tout cas c’est ce qui s’est passé pour lui.

Dr Claude Landman

Notes