EPhEP, MTh4-CM, le 7/03/2016
Bonsoir,
Je vous rappelais lors de notre dernière rencontre, qui était également la première, que Freud a toujours considéré que la psychanalyse était née et se poursuivait au titre d’une psychothérapie. C’est à dire que sa finalité consistait dans la résolution des symptômes dont le sujet se plaignait et qui avaient motivé sa demande. Et qu’en tant que psychothérapie, la psychanalyse était la première parmi ses pairs. Il ajoutait, vous vous en souvenez, cependant, cet élément fondamental sur lequel j’ai insisté, que ce n’était pas en tant que thérapie qu’il souhaitait la recommander aux auditeurs de ses conférences.
Donc je vais vous remettre en mémoire cette citation de Freud, il recommandait donc à ses auditeurs la psychanalyse moins en tant que thérapie qu’à cause de son contenu de vérité, à cause des lumières qu’elle nous donne sur ce qui concerne l’homme le plus directement, sur son être. Dès le début de son œuvre, en 1895, dans « Etudes sur l’hystérie », Freud concernant l’issue du traitement, se contentait de formuler à l’endroit de ses patientes, une phrase, un type de phrase, qui pourrait paraître à première vue surprenant. Qu’est-ce qu’il leur disait à ses patientes concernant l’issue du traitement psychanalytique ? Il leur disait ceci, il y a sûrement des variantes :
« Certes, il est hors de doute qu’il serait plus facile au destin qu’à moi-même de vous débarrasser de vos maux, mais vous pourrez vous convaincre d’une chose, c’est que vous trouverez grand avantage en cas de réussite – du traitement – à transformer – alors là écoutez bien, c’est une phrase qui est assez connue mais peut-être ne la connaissez-vous pas tous – vous trouverez grand avantage en cas de réussite du traitement, à transformer votre misère hystérique en malheur banal. Vous serez plus capable de lutter contre ce dernier » c’est-à-dire le malheur banal.
Autrement dit vous voyez que ce qu’il disait à ses patientes ce n’était pas vraiment enthousiasmant. Il dit : au fond vous allez échanger grâce au traitement, s’il marche, vous allez échanger votre misère hystérique – je ne sais pas, je ne suis pas germaniste, peut-être la traduction n’est pas très bonne, c’est quelque chose comme ça – votre misère hystérique en malheur banal. Autrement dit, ce qui serait la condition qui est la nôtre, la condition humaine on va dire, pour paraphraser un titre célèbre de Malraux, et bien ce serait cette condition : un malheur banal. Mais il ajoute, vous pourrez grâce au traitement être capable de lutter contre ce dernier. De faire quelque chose de ce qui est la condition humaine, c’est-à-dire – il le disait comme ça à l’époque et on l’a redit de tant et tant de façons, Freud puis Lacan, puis d’autres – vous serez, grâce à la psychanalyse, en mesure, peut-être, de faire quelque chose de ce malheur banal, c’est-à-dire ce qui fait notre condition – là je vais employer un terme que vous avez déjà entendu, qui a surement été répété à juste titre, ce néologisme de Lacan – votre condition de « parlêtre ».
Une lecture possible de ce type de propos, consiste à considérer que le but de la thérapie psychanalytique par rapport à d’autres types de thérapies qui ne sont peut-être pas moins efficaces, serait moins de réduire à court terme la souffrance liée au symptôme, je dis bien à court terme, que de permettre au sujet de prendre la mesure, grâce au contenu de vérité de la psychanalyse, de son malheur banal, qui est aussi le nôtre, et dès lors, à ce malheur banal, d’y faire face, sans s’y soustraire, par la misère hystérique, ou par toute autre forme de névrose, de fuite dans la maladie, comme disait Freud, devant la réalité.
Donc d’y faire face sans s’y soustraire mais en même temps sans s’y résigner, puisqu’il s’agit de lutter, de faire quelque chose de notre condition, dont chacun sait qu’elle est particulièrement compliquée, difficile par rapport à la condition animale en général. On a dû vous le dire aussi souvent, ça, et puis il suffit, d’observer dans la nature, la vie des animaux : elle est ce qu’elle est. Mais enfin elle est certainement beaucoup moins compliquée que la nôtre, manifestement parce que, à part notre espèce animale, les autres espèces animales ne sont pas des parlêtres.
Nous pouvons, me semble-t-il, sans forcer j’espère le propos de Freud, saisir que la psychanalyse relève autant, sinon plus, au bout du compte, au terme du traitement, d’une dimension éthique, d’un choix éthique. Donc la psychanalyse relève autant sinon plus d’un choix d’une dimension éthique que d’une dimension strictement thérapeutique, puisqu’après tout, quand on vous dit : eh bien voilà, le but de la thérapie ça va consister à vivre le « malheur banal »… vous me direz que c’est thérapeutique ! Mais dire ça en 1895, ça situe déjà la position fondamentalement éthique de Freud. Encore une fois « malheur banal », il ne s’agit pas de s’y résigner. Enfin ça reste quand même un « malheur banal » ! Vous me direz : il y a des malheurs qui sont plus banals que d’autres.
C’est sur le contenu de vérité humaine, on va le dire comme ça, simplement, que possède selon Freud la psychanalyse que je vais dans un premier temps m’arrêter. Je souhaite immédiatement vous faire remarquer que Lacan a repris à son compte cette dimension de vérité pour le sujet, qu’il soit homme ou femme, dimension de vérité que découvre la psychanalyse, et que Freud a nommée comme vous le savez, l’inconscient. Rappelez-vous, je reprends là une citation que j’ai déjà faite la dernière fois, rappelez-vous ce que Lacan avance dans La psychanalyse et son enseignement, je le cite : « Dans l’inconscient qui est moins profond qu’inaccessible à l’approfondissement conscient ». Et la psychanalyse ça ne consiste pas à approfondir dans le registre de la conscience, on ne peut pas accéder à l’inconscient par un approfondissement conscient. C’est considérable de dire ça.
Donc, dans l’inconscient qui est moins profond qu’inaccessible à l’approfondissement conscient, ça parle. Un sujet dans le sujet, transcendant au sujet, pose au philosophe depuis la science des rêves sa question.
Je me permets de vous faire remarquer que Lacan nous dit que c’est un sujet qui parle, un sujet dans le sujet, ce sujet dans le sujet, c’est le « ça parle » ce n’est pas « je parle », c’est « ça parle », c’est comme ça qu’il le formule. Autrement dit ça parle dans l’inconscient. Et ce qui parle dans l’inconscient, c’est tout simplement la vérité, ce que Freud a appelé la vérité. Et on sera amené, évidemment à reprendre ce point, parce que la vérité c’est un grand mot. Ça a même été pour Ponce Pilate une question quand le Christ s’est présenté en disant qu’il était la vérité, mais qu’est-ce que c’est la vérité ? Vous vous souvenez de ça ? Il y a la vérité et puis il y a la vérité logique, le vrai et le faux, la proposition est soit vraie, soit fausse et puis il y a une table, il y a des tables de vérité en logique, avec un certain nombre de lois, qui fait que le faux peut entrainer le faux, du faux peut être tiré du vrai, du vrai peut être tiré du vrai, mais on ne peut pas à partir du vrai faire du faux. Voilà tout le reste est possible sauf ça, c’est ce qu’on appelle les tables de vérité en logique.
Donc la vérité, mais je ne vais pas le développer ce soir, mais la vérité, vous verrez que la vérité pour la psychanalyse, c’est quelque chose de très, très précis. La vérité parle mais nous serons amenés à dire exactement ce qu’en psychanalyse on entend par vérité. Ce n’est pas la même chose que la vérité religieuse, révélée, ce n’est pas la même chose que la vérité logico-mathématique et puis ce n’est pas la même chose non plus que la vérité des faits. Même que la vérité juridique « dites la vérité, toute la vérité… » Et vous connaissez la suite. La vérité, cette dimension de vérité dont Freud parle, c’est la dimension de vérité que met au jour la psychanalyse. Je reviendrai sur ce point pour vous montrer que cette vérité, elle est tout à fait précise et déterminée, et c’est ce rapport à la vérité, du sujet à la vérité, des modes de défense qui sont ceux du sujet contre la vérité, qui spécifie les différentes formes de la psychopathologie.
Donc c’est quelque chose de très précis, la vérité en psychanalyse. Ça n’invalide pas ce que l’on entend par vérité dans d’autres domaines. Mais si on dit « la vérité » comme ça, on ne sait pas de quoi on parle, à vrai dire. Alors on pourrait avoir le sentiment – si je me mets à votre place, c’est que j’ai moi-même ce sentiment – vous pouvez avoir ce sentiment comme je l’ai eu moi-même, que nous tournons en rond : la parole, l’inconscient, la vérité, et que nous évoluons dans un registre qui serait de l’ordre de l’abstraction. Pour tenter de sortir de ce qui peut apparaître comme un cercle, et vous montrer à quel point nous sommes avec l’inconscient dans une dimension concrète, matérielle, je vais avancer un certain nombre de propositions. Vous pourrez, si vous n’êtes pas d’accord, y objecter.
La première proposition est que si l’inconscient parle, il a une structure de langage. C’est la fameuse formule fondatrice de Lacan que vous connaissez tous : « l’inconscient est structuré comme un langage », il n’y a rien de plus simple, à partir du moment où vous dites « la vérité parle », ça parle, dans l’inconscient, ça parle, ça fait entendre la vérité selon laquelle, ce à quoi elle correspond pour la psychanalyse, si elle parle la vérité, si l’inconscient parle, et bien il est structuré comme un langage, finalement cette assertion, cet aphorisme de Lacan « l’inconscient est structuré comme un langage », peut se concevoir assez aisément.
La seconde proposition que je souhaite avancer est que si le sujet de l’inconscient parle et dit la vérité, il ne parle pas, sauf dans certains cas de psychose sur lesquels je ne m’arrêterai pas ce soir mais sur lesquels je reviendrai, il ne parle pas, la vérité ne parle pas, le sujet de l’inconscient ne parle pas directement. Mais sous la forme, c’est une proposition que je fais, il parle sous la forme d’une énigme à déchiffrer. C’est pour ça que Lacan pourra dire que, lorsqu’il évoquera la vérité, il évoquera le mi-dire de la vérité, c’est-à-dire ce qui ne se dit qu’à moitié, ce qui se présente sous la forme d’une énigme à déchiffrer. Vous savez que ce fut, vous avez tous lu, ouvert, feuilleté, travaillé, un peu, notamment le chapitre six de La science des rêves, le travail du rêve. Et bien qu’est-ce qu’il fait d’autre Freud, il ne cesse de déchiffrer les énigmes que lui pose le rêve. Mais c’est vrai bien entendu aussi des lapsus, des actes manqués, des oublis, et notamment des oublis de noms propres. Vous savez le fameux oubli de Signorelli dans Psychopathologie de la vie quotidienne, c’est incroyable vous savez, il y a ce schéma, vous l’avez en tête, ce schéma qui décompose syllabe par syllabe le nom propre de Signorelli, les noms qui viennent se substituer à lui, à ce peintre, vous vous souvenez, vous avez ça en tête. C’est du déchiffrage, qu’est-ce que c’est d’autre ? C’est champollionnesque ! Vraiment ! C’est ça qu’il a fait d’ailleurs Champollion, c’est comme ça qu’il a déchiffré les hiéroglyphes, enfin comme ça, c’était une méthode qui n’était pas si éloignée de celle que Freud a utilisée pour interpréter, déchiffrer les rêves, les lapsus, les actes manqués, les oublis et évidemment en tout premier lieu, puisque c’est ça à quoi nous avons affaire dans notre pratique d’analyste, les symptômes. Qu’est-ce que c’est d’autre qu’un symptôme ? Sinon une énigme à déchiffrer.
Il y aura des journées le week-end qui vient sur L’homme aux rats, c’est les journées de l’association lacanienne internationale, je vous conseille vivement si vous avez le temps et le courage, si vous n’êtes pas trop débordés, je vous conseille vivement de venir à ces journées et de lire L’homme aux rats dans Les cinq psychanalyses ou encore mieux le Journal de l’homme aux rats, c’est-à-dire la manière dont Freud a consigné pendant presque trois mois, séance après séance, la teneur de ce qui se disait entre son patient et lui. C’est complètement énigmatique, le symptôme que présente l’homme aux rats, mais c’est vrai que c’est particulièrement impressionnant dans le cas de l’homme aux rats, mais toute la psychopathologie, tout ce qui relève des symptômes ce sont des énigmes à déchiffrer. Alors à déchiffrer grâce au transfert bien entendu, on n’est pas là, le psychanalyste n’est pas là – en tant qu’il serait là – en dehors. Lui, il est pris dans la problématique du symptôme du patient. Donc il n’est pas à l’extérieur, il déchiffre si je puis dire de l’intérieur, étant lui-même partie prenante du rapport aux symptômes du patient.
Et Freud comme vous le savez, là aussi il faudra que nous y revenions parce que il le dit de manière assez massive, Freud, juste mais assez massive, donc il faudra aussi que nous y revenions, que nous dépliions un petit peu plus la chose, et comme vous le savez, Freud ajoute que cette énigme du symptôme, mais ça serait vrai aussi bien du rêve, eh bien cette énigme, c’est-à-dire la façon dont le sujet de l’Inconscient se manifeste, il ne l’énonce pas directement, il ne parle pas comme je vous parle là ce soir, directement. Si j’étais le sujet de l’Inconscient je ne parlerais que par énigmes alors au bout de très peu de temps pour commenceriez à vous demander ce qu’il se passe, à qui vous avez affaire.
Mais il n’empêche que voilà : le sujet de l’Inconscient parle par énigmes. Eh bien pour Freud, dans le symptôme qui est une des façons qu’a le sujet de l’Inconscient de se faire entendre, de se donner à déchiffrer, eh bien cette énigme, pour Freud a un sens sexuel. C’est évidemment la grande nouveauté. On n’avait jamais entendu ça avant Freud. Là encore il faudra que nous précisions parce que c’est massif. Mais retenons pour l’instant quand même que pour Freud – nous pouvons le suivre à condition de déplier un petit peu plus les choses, comme je vous l’ai dit, nous pouvons le suivre sur ce point – que l’énigme que nous présente le sujet de l’Inconscient, les différentes formes que j’ai évoquées, cette énigme a un sens sexuel, disons un rapport au sexuel.
Et ce que dira Lacan – je ne vais pas tout vous cacher après tout, je ne vais pas non plus parler par énigmes, déjà je vous ai laissés sur quelque chose d’un peu énigmatique concernant la vérité pour la psychanalyse – alors là je vais vous dire tout de suite, sans plus attendre, ce que Lacan dit, qui n’est pas tout à fait ce que Freud dit, c’est que ce que dit au fond le symptôme, ce que le sujet de l’Inconscient dit sous forme énigmatique, c’est justement qu’il n’y a pas de rapport sexuel, que ça ne tourne pas rond entre un homme et une femme, entre hommes et femmes en tout premier lieu. C’est ça que ça dit, le symptôme. Cette énigme qui est à déchiffrer, est à déchiffrer dans chaque cas, pour chaque sujet singulièrement, est à déchiffrer en fonction de ce qui a pu être pour ce sujet singulier, la façon dont il a rencontré le non rapport sexuel, non rapport sexuel qui n’est pas du non sexuel, entendons-nous bien, mais disons que c’est un sexuel qui n’est pas justement la sexualité animale, un sexuel qui ne tourne pas, qui ne va pas de soi. Les animaux dans la nature à quelques exceptions près, quand c’est une période de fécondation, ils se rencontrent voilà, puis c’est terminé, ça se passe tout seul si je puis dire. Bon quand on fait référence à notre vie sexuelle de parlêtre, ce n’est pas aussi simple.
Ce que vous savez aussi, c’est que l’énigme, comme manifestation de la vérité, est au cœur de la théorie psychanalytique puisque – je vais le prendre par ce biais, qui est un biais très simple, très banal, très connu et qui mérite d’être rappelé régulièrement – puisque la référence dans la psychanalyse, au mythe d’Œdipe y est centrale. Or, quel fut le rôle que joua Œdipe, qui lui permit de devenir le roi de Thèbes et d’épouser, sans le savoir sa mère Jocaste, et d’en avoir, comme vous le savez, trois enfants. Alors qu’est-ce qui a fait, bon vous connaissez l’histoire, je ne vais pas reprendre tout, mais qu’est-ce qui a fait qu’Œdipe a été acclamé par le peuple de Thèbes qui l’a fait roi ? Vous savez ça, oui quand même tout le monde le sait ! C’est d’avoir su répondre à l’énigme que posait le sphinx en effet, ou la sphinge, on dit aussi alors la sphinge, là vous choisissez, on peut dire le sphinx ou la sphinge. Pourquoi ? Parce que la créature en question était un lion à tête de femme. C’était un monstre comme vous le savez qui tuait et dévorait les voyageurs qui entraient à Thèbes. Alors là encore, vous la connaissez cette énigme que le sphinx posait : quel est l’animal qui le matin marche sur quatre pattes, quatre pieds, à midi sur deux et le soir sur trois. Œdipe répondit sans hésiter, peut-être un peu trop rapidement, l’homme. Bon ça a été sa réponse, l’homme qui au matin de sa vie marche à quatre pattes, va sur ses deux jambes à l’âge adulte, et s’aide d’une canne pour soutenir sa vieillesse. Je dis, peut-être un peu trop rapidement car après tout, comme le souligne Lacan, l’énigme n’est jamais univoque. C’est bien ça la problématique de l’énigme, c’est qu’elle n’a pas nécessairement qu’un seul sens, et que d’autres réponses auraient pu être possibles.
Alors Lacan dans un de ses séminaires, je crois que c’est L’envers de la psychanalyse, s’autorise, ce qui peut apparaître comme une plaisanterie : après tout Œdipe aurait pu répondre les quatre discours de Lacan. Pas pour les quatre pattes, parce que chaque discours comme vous le savez, la formule du discours c’est une formule à quatre pattes. Bon évidemment, qui fonctionne aussi par couple, on retrouve le deux, le trois et le quatre. Il dit ça, et ça peut paraître une plaisanterie.
Mais ce que le mythe nous dit, c’est quoi ? Œdipe est donc récompensé, la paix et la prospérité règnent sur Thèbes, le sphinx d’après certaines interprétations, ne se remet pas de de la réponse d’Œdipe, il disparaît, se suicide même, des interprétations disent que le sphinx s’est suicidé, bon laissons ça. En tout cas, la paix et la prospérité règnent sur Thèbes pendant des années, le sphinx a disparu, on peut entrer, sortir de Thèbes sans se faire dévorer si on ne répond pas à l’énigme en question. Années de prospérité jusqu’à ce que la peste ravage la ville. C’est ça ce que dit le mythe : la peste durera tant que le meurtrier de Laïos, c’est-à-dire le premier mari de Jocaste, qui était aussi le père d’Œdipe et que Œdipe a tué tout à fait accidentellement avant d’entrer à Thèbes, sans savoir qu’il était son père. Eh bien tant que le meurtrier de Laïos ne sera pas identifié, la peste continuera à faire ses ravages. Vous connaissez la suite, il va voir Tirésias. Mais lui aussi il cherchait, il a commencé par-là, il a cherché à savoir qui avait tué Laïos, et il s’est aperçu que c’était lui. Mais ça, ça veut dire quoi ? Comment est-ce qu’on peut interpréter le mythe de la peste, de ce qui fait retour comme ça sous cette forme de ravage qu’est la peste à Thèbes.
On va suivre l’interprétation de Lacan, vous me direz c’est facile de se référer à Lacan, je veux dire que je ne prends pas beaucoup de risques. Enfin vous n’êtes pas obligés d’être d’accord ! Eh bien Lacan il dit finalement : la peste c’est la métaphore de ceci, qu’on ne peut pas impunément abolir la dimension de la vérité, que justement on ne peut pas toute la dire. Vous avez une énigme et vous y répondez direct, d’un coup comme ça, c’est l’homme. Eh bien si vous abolissez cette dimension de la vérité, en répondant, donc en supprimant la dimension d’énigme que peut avoir la vérité, eh bien ça fait retour, et en l’occurrence dans le mythe d’Œdipe ça fait retour sous la forme de la peste. Ça n’est pas impunément qu’on abolit la dimension de la vérité.
Alors par exemple, là je vais vous donner un exemple tout à fait contemporain. Assez général mais prenez-le pour ce que c’est, je ne vais pas parler d’une position anti scientifique mais je vous parlais des tables de vérité de la logique moderne. La science, dans son fonctionnement, dans son principe abolit la dimension de la vérité. Plus d’énigme, les scientifiques trouvent des solutions. Pour Descartes et Galilée, la dimension de la vérité n’était plus prise en compte. Alors évidemment grâce à la science on a fait comme on dit des progrès formidables, et en même temps il y a aussi des équivalents de ce que fut la peste à Thèbes. Ça a des conséquences, ce qu’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre, et du fait que la science – encore une fois ce n’est pas une critique c’est un fait – abolit la dimension de la vérité qui s’attache à la parole, eh bien il y a des retours dans le réel, qui sont l’équivalent des ravages que pouvaient faire la peste dans les époques anciennes et reculées.
Alors je vais quand même vous faire deux remarques pour terminer:
La première concerne la définition de l’énigme. Alors comment on pourrait définir une énigme ? Je propose une définition : une énigme c’est une énonciation sans énoncé.
Vous voyez c’est énigmatique ! Alors je ne voudrais pas définir l’énigme par une énigme, ce serait un peu excessif. Mais une énonciation sans énoncé, ce n’est pas tout à fait une énigme, ça s’explique, alors je vais essayer de l’expliquer.
C’est-à-dire quoi ? C’est à dire que quelque chose se dit grâce à l’énigme, mais sans aucun sujet pour l’énoncer, au sens d’un sujet qui parle « je », sujet de ce qu’on appelle, en linguistique, le sujet de l’énoncé, c’est à dire celui qui parle et qui dit « je », qui utilise le pronom personnel qu’on appelle aussi shifter en linguistique, qui dit « je ». Donc il y a quelque chose qui se dit grâce à l’énigme mais sans sujet pour l’énoncer, sans sujet pour l’articuler au titre d’un « je », d’un sujet pour l’énoncer. Vous voyez énonciation sans énoncé. Est-ce que vous suivez ? Ça ne vous parait pas trop énigmatique ?
L’énigme, au sens où elle constitue le sujet d’une énonciation, est ce que l’on pourrait dire être au plus près du sujet de l’inconscient, c’est-à-dire du sujet d’un désir en rapport avec le sexuel ou le non rapport sexuel, selon Lacan, articulé donc, ce désir, comme l’est une énigme, mais elle est articulée c’est-à-dire que c’est articulé dans l’inconscient, le désir, mais comme le dit Lacan ce n’est pas articulable, c’est-à-dire que ce désir articulé dans l’inconscient, il ne peut être articulé par un quelconque locuteur dans un énoncé au titre d’un « je ». Et c’est cette distinction entre sujet de l’énonciation et sujet de l’énoncé, le sujet de l’énonciation, il ne parle pas au titre d’un « je », c’est une énonciation, une énonciation c’est quelque chose qui n’est pas « je », pas-je.
Eh bien cette distinction entre le sujet de l'énonciation et sujet de l’énoncé, Sujet de l'énonciation inconscient, et le sujet de l'énoncé, celui qui dit « je », le locuteur, c'est sur cette distinction que Lacan s'appuiera et qu'il utilisera pour construire ce dont vous avez certainement déjà entendu parler, et que vous avez peut-être déjà travaillé je ne sais pas, à savoir le graphe dit du désir. Est-ce que certains collègues vous ont fait travailler ce graphe dit du désir ? Non, pas du tout, ça dépend, il y en a peut-être qui l’ont étudié l'année dernière ? Donc vous en avez entendu parler, peut-être certains ? Il y a deux étages, justement l’étage de l'énonciation, l'étage de l'énoncé. C'est un graphe qui est très important et qui a été très utilisé par Lacan pendant les premières années de son enseignement.
Mais laissons là le graphe du désir, mais peut-être saisissez-vous un peu mieux, à partir de cette division du sujet, sujet de l'énoncé, sujet de l'énonciation, cette phrase de Lacan que je vous ai rappelée : « dans l'inconscient qui est moins profond qu’inaccessible à l'approfondissement conscient, ça parle », un sujet dans le sujet, vous voyez ? Le sujet de l’énoncé, le sujet de l’énonciation, transcendant au sujet. C’est-à-dire qui le dépasse, qui est fait de langage en quelque sorte ce sujet qui parle, mais qui transcende le sujet qui en est le porteur, puisqu’il ne peut pas l’articuler au titre d’un « je », donc qui pose au philosophe, depuis la science des rêves, sa question.
Donc je reviens pour terminer à la deuxième remarque que je vous ai proposée sous la forme d’une question : qu’est-ce qui a permis à Freud de dire que l’énigme du symptôme telle qu’elle se présente dans la clinique possède un sens sexuel ? Eh bien c’est à de ce qu’il a découvert dans son abord du symptôme tel qu’il se manifeste, tel qu’il se manifestait dans l’hystérie, à savoir le traumatisme, le traumatisme psychique entendu comme la première rencontre dans l’enfance du sujet avec le sexuel, première rencontre qui est le plus souvent d’ailleurs en effet, en tout cas dans l’hystérie, une mauvaise rencontre. Mais, ce que Freud ajoute et qui est absolument essentiel, ça je vous demande de bien le retenir, j’y reviendrai la prochaine fois en prenant deux exemples différents, cliniques. Je développerai la prochaine fois des exemples cliniques, précis. Ce que Freud ajoute et qui est absolument essentiel et déterminant, c’est que ce n’est pas le traumatisme en tant que tel qui est pathogène, mais le souvenir du traumatisme. Ça, c’est fondamental chez Freud. C’est déterminant parce que ça spécifie la psychanalyse. D’ailleurs contrairement à ce qu’on entend aujourd’hui à propos du débriefing qui peut avoir sa valeur mais enfin, ce n’est pas en tout cas le traumatisme en tant que tel qui est pathogène mais le souvenir, sa remémoration. Le traumatisme n’est traumatique dans ses conséquences symptomatiques qu’après coup. À l’occasion d’une situation postérieure qui rappelle, évoque le traumatisme, que nous allons appeler pour le moment, initial. C’est la fameuse définition que Freud et Breuer en donnent dans leur communication préliminaire des Etudes sur l’hystérie, je conclus là-dessus : « c’est de réminiscence que souffre l’hystérique ».
Alors, je vous propose d’en rester là pour ce soir en ce qui me concerne et puis je reprendrai encore une fois de façon, par deux biais différents, la question du traumatisme tel que nous l’entendons en psychanalyse si vous êtes d’accord. Sinon je peux commencer à vous donner un exemple clinique mais enfin, je crois que ce serait pas mal qu’on discute. Je ne sais pas ce que vous en pensez ? Alors je prends la décision puisqu’il faut bien qu’il y en ait un qui décide. Donc je m’arrête là et puis je fais passer le micro. Ceux qui veulent !
— Question : Quand vous parlez d’Œdipe et du sphinx, il pose une énigme, et, sans problème, Œdipe y répond, donc quelque part, l’énigme est faite pour ne pas être répondue. Si on répond à l’énigme c’est un peu comme si on touchait à l’énonciation qui se fait sans langage et qu’on tape directement sur la jouissance et à la limite, c’est un peu comme si on répondait, comme si on voulait toucher le soleil, on se brûle les ailes, on se casse la figure. Est-ce que l’énigme justement n’est pas ce refoulement originaire qu’on a en ligne de mire et je dirais dont tout le chemin serait de s’en approcher sans jamais le toucher, un peu comme si on touchait l’absolu de l’être humain mais c’est la catastrophe. Alors le ciel bleu qui se passe à Thèbes, c’est quelque chose de momentané en attendant ce que Freud appelle, quand le complexe s’est fait, « le retour du père ». Je voulais avoir des précisions là-dessus je pense que d’une part l’énigme, on ne doit jamais répondre directement, on s’en approche et cet état qui fait que ça se passe très bien à Thèbes avant que ça retombe sur la tête, c’est un peu comme si Œdipe, quelque part avait couché avec sa mère et que tout d’un coup c’est plus au niveau de l’énigme à laquelle on se doit de ne pas répondre.
— Mr Landman : Ce n’est pas qu’on se doit de ne pas répondre parce qu’il faut interpréter quand même, le symptôme qui se présente sous forme d’énigme ; sauf que c’est un type d’interprétation qui n’est pas une interprétation explicative, ni une réponse définitive ; en ce sens l’énigme, si vous voulez, est faite pour être interprétée, certes, mais dans une dimension qui est celle d’un mi-dire de la vérité de cette énigme, c’est-à-dire on ne peut pas! Vous disiez « on s’en approche », ce n’est pas qu’on s’en approche, c’est qu’on est séparé du refoulement originaire. On ne peut pas c’est quelque chose qui est du registre de l’impossible, alors là c’est un mythe, ce n’est pas autre chose qu’un mythe, c’est une façon de faire entendre, avant la psychanalyse, qu’en effet il ne faut pas trop, il convient d’éviter d’abolir la dimension de la vérité, parce qu’elle ne peut se dire qu’à moitié, on ne peut pas non plus y répondre directement. Si, on y répond directement grâce à l’écriture scientifique ; d’ailleurs, qu’est-ce qui fait que la science abolit la dimension de la vérité c’est qu’elle procède par voie d’écriture, et non pas de parole. Avec des écritures scientifiques vous n’avez plus de sujet, qui parle quand vous avez la formule de la gravitation universelle ? Vous avez une écriture qui vous permet d’envoyer des hommes sur la lune. Bon, bien, vous écrivez la formule de Newton, qui parle ? Il n’y a plus la dimension de la vérité et pourtant ça marche, mais là aussi vous avez un petit peu raison, ça marche presque trop bien, c’est-à-dire que vous envoyez des hommes sur la lune mais il y a des retours de bâton.
Bon, prenons un exemple actuel, la pollution. Avant l’ère industrielle c’est à dire avant les grandes découvertes de la science - l’ère industrielle se fonde sur la machine à vapeur etc., ce sont les découvertes de la science moderne, les conséquences, le fait de faire tourner des usines de toutes sortes grâce aux applications technologiques de la science, qui font de la pollution - c’est quelque chose qui n’existait pas, la pollution, avant l’ère industrielle ou postindustrielle. Vous voyez donc, je ne sais pas si c’est une analogie qui est un petit peu grossière mais enfin c’est pour vous dire que la question de la vérité c’est une question importante. Ce qui est assez étonnant c’est que le mythe le dise, et que ça se concrétise dans la vie contemporaine. Ce n’est pas la peste mais c’est la couche d’ozone. Alors évidemment, cela dit, qu’est-ce qu’on est content quand on est dans notre voiture ! Maintenant on est un peu moins à l’aise, on commence à se dire qu’il ne faudrait pas trop exagérer, pas trop polluer mais fondamentalement tout ce confort extraordinaire que nous a apporté et que nous apporte et nous apportera encore, la modernité, ce qui se gagne d’un côté se perd de l’autre, c’est-à-dire que dans le même mouvement ça nous met en danger. Alors encore une fois ne prenez pas ça de ma part pour une attaque contre la science, d’autant que la psychanalyse n’aurait jamais vu le jour sans le sujet de la science. L’analyse dans sa démarche fait référence au sujet de la science.
— Question : Ce souvenir du traumatisme initial est-il conscient ou inconscient ?
— Mr Landman : On reviendra sur ce point. Quand Freud a commencé, ce traumatisme initial était inconscient, sauf qu’il avait l’idée qu’on pourrait retrouver ce traumatisme initial, c’est-à-dire le rendre conscient grâce à la méthode dite, à l’époque en tout cas au début, « cathartique » justement. Ça je vous donnerai un exemple la prochaine fois. Mais l’inconscient au sens où Freud l’entendra par la suite et où Lacan le précisera, l’inconscient au sens de ce que vous évoquiez, ce que l’un d’entre vous évoquait, du refoulé primordial, il n’est pas accessible et il ne sera jamais accessible à la conscience, il n’y aura jamais quiconque qui pourra l’énoncer au titre d’un « je ». C’est ça le problème. Le souvenir du traumatisme initial est inconscient ; oui c’est la première réponse mais il faut voir de quel inconscient il s’agit, si c’est un inconscient au sens du refoulé primordial ou bien si c’est un inconscient qui est du registre d’un refoulement secondaire, on va dire ça comme ça, parce que le traumatisme initial on ne le retrouve jamais. Mais là aussi je m’en expliquerai la prochaine fois avec des exemples cliniques, un exemple clinique où il s’agira d’un traumatisme auquel on peut avoir accès, et avec le deuxième exemple clinique d’un traumatisme auquel on ne peut pas avoir accès et qui néanmoins est fondateur de la subjectivité. C’est énigmatique pour le moment.
— Question : Monsieur Tauzin pose la question suivante : on parle toujours du trauma lié au sexuel pourquoi ne pas en parler pour la mort ?
— Mr Landman : La mort et le trauma c’est ça ?
— Question : On parle toujours du trauma lié au sexuel, pourquoi ne pas en parler pour la mort. C’est la question.
— Mr Landman : J’essaie de comprendre la question, parler du trauma comme lié à la mort et pas seulement sexuel, peut il préciser un peu sa question ?
— Question : Il doit vous entendre, le temps qu’il précise je peux poser une autre question, vous y reviendrez après. C’est une question de Madame Sota qui est au Chili.
— Mr Landman : Si elle m’entend je lui dis bonsoir et au Chili c’est déjà le soir aussi au Chili, je crois qu’il y a six heures de décalage horaire. C’est Maria Elena Sota ? Alors bonsoir Maria Elena et j’attends la question
— Question : Pourquoi est-ce qu’on ne veut rien savoir sur la vérité de notre inconscient ?
— Mr Landman : Je ne suis pas sûr qu’on ne veuille rien savoir, je pense que la psychanalyse d’une certaine façon est un savoir sur la vérité. Mais le problème c’est que beaucoup ne veulent rien savoir de la vérité c’est vrai, mais quand même la psychanalyse, une psychanalyse, ça vise quand même à situer un certain savoir sur la vérité, même si ce n’est pas un savoir DE la vérité, c’est un savoir SUR la vérité, et sur la vérité dont je parlais tout à l’heure, c’est-à-dire la vérité au sens de la psychanalyse. Et là où Maria Elena Sota a raison, de cette vérité au sens où on l’entend en psychanalyse, en général le sujet s’en défend. Il crée des défenses contre la vérité, ce sont ces différentes modalités défensives à l’endroit de la vérité qui, comme je l’évoquais tout à l’heure, permettent une distribution de la psychopathologie. Plusieurs modes de défense contre la vérité, alors que l’on appelle en psychanalyse d’un mot assez rude, je dois dire, et que l’on appelle la castration. Là aussi il faudra que nous y revenions, mais les névroses par exemple sont autant de modes de défense contre la vérité telle qu’on l’entend en psychanalyse c’est-à-dire la castration. C’est-à-dire pour le dire de manière massive et trop simple parce que Lacan l’a repris de façon quand même beaucoup plus précise, défense contre la castration de l’Autre avec un grand A si on parle en termes lacaniens, et si on parle en termes strictement freudiens contre la castration maternelle. Castration de la mère, c’est de ça dont le sujet se défend.
Le petit Hans se défend contre la castration maternelle. Tout le monde a un fait-pipi, il voit bien que sa mère et sa petite sœur n’ont pas de fait-pipi, mais ce n’est pas grave, le fait-pipi c’est le zizi, ce n’est pas grave, de toute façon, ou il est caché, ou il poussera un jour.
Donc c’est vrai que le sujet dans l’ensemble se défend contre cette vérité qui s’appelle la castration. Ce que Lacan écrira la castration de l’Autre, le fameux A barré, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de réponse ultime dernière. Par exemple contrairement à la religion, il n’y a pas de réponse dernière dans l’Autre, l’Autre est barré. Ce qui se traduit dans la clinique effectivement par une défense contre la castration maternelle le plus souvent. Il y a des sujets qui vouent leur vie, qui sacrifient leur vie au nom du fait qu’il faut absolument protéger la mère de la castration, et je ne parle pas là de castration au sens du fait qu’elle n’a pas de pénis, mais au sens où elle vient incarner ce fameux grand Autre qui est barré. Mais c’est une bonne question merci Maria Elena.
— Question : Est-ce que je peux revenir sur la question de Monsieur Tauzin ? Donc je vous la reformule : On parle toujours du trauma lié au sexuel, pourquoi ne pas en parler pour la mort, la mort me semble également non symbolisable comme pour le trauma sexuel.
— Mr Landman : Ce n’est pas mal ! Le sexe et la mort oui d’accord ! Eh bien je suis d’accord.
Il faudrait préciser, il faudrait développer sur la question, parce que rien que de dire « la mort », il y a une façon de symboliser quand même ce que l’on appellerait, pour les animaux, autrement que la mort. Les animaux périssent mais c’est un symbole la mort quand même, qui fonctionne comme tel. On pourrait dire, si on veut manier le paradoxe, que les animaux ne meurent pas, ils périssent. Il n’y a que les hommes et les femmes qui meurent, il y a une certaine forme de subjectivation de la mort, au moins au titre d’un symbole justement, même si on ne sait pas ce que c’est que la mort, on ne peut pas se la représenter. Et puis le sexuel on le symbolise comme on peut, il y a quand même des manières de symboliser le sexuel, sinon qu’est-ce qui nous arriverait. Le sexuel est certes traumatique mais il y a quand même des modalités de symbolisation du sexuel qui nous permettent ne serait-ce que d’avoir une vie sexuelle. Si ce n’était que du traumatisme, le sexuel, ce ne serait pas très joyeux au lit ! Vous me direz que ce n’est pas toujours joyeux au lit, mais enfin, bon, quand même si ça arrive de temps en temps c’est qu’il y a une forme quand même de symbolisation du traumatique du sexuel. Cela dit il y a des gens qui restent dans un rapport absolument traumatique au sexuel et qui ne peuvent pas avoir une vie sexuelle, ou alors une vie sexuelle qui s’accompagne de symptômes invalidants.
Mr Tauzin : Je ne voulais pas être déprimant !
— Mr Landman : Vous n’êtes pas déprimant au contraire, parce que justement il y a deux types de morts. Il y a la mort qui porte la vie, c’est à dire qu’à partir du moment où la mort est subjectivée et symbolisée comme telle, elle porte la vie. Autrement dit, vous ne pouvez vivre une vie, vraiment, que si elle est portée par la subjectivation de la mort. Si vous vous pensez immortel, sans être psychotique, vous n’allez pas vivre. Votre vie ne se terminera pas, c’est un des grands problèmes dans la névrose obsessionnelle. Donc ce n’est pas déprimant !
Il y a une autre mort qui est plus déprimante, c’est la vie qui porte la mort c’est-à-dire la vie porte avec elle la mort. Mais il y a un retournement possible, c’est-à-dire de passer de la vie qui porte la mort, c’est-à-dire qui est porteuse de mort - ne serait-ce parce que, ça c’est vrai pour tous les êtres vivants et sexués, quand on est vivant et sexué eh bien on est mortel - à la mort qui porte la vie. Donc la vie du vivant sexué porte la mort. Mais si vous retournez et c’est possible grâce au symbole justement, si de la mort vous faites un symbole, c’est-à-dire une limite, justement quelque chose qui est une reconnaissance de la castration, de la finitude, eh bien à ce moment-là vous avez envie de vivre. Vous prenez la mesure de la finitude de la vie, donc la mort à ce moment-là porte la vie, elle est un support pour vivre. Ça ne vous paraît pas trop énigmatique ce que je dis là. Il y a des gens qui sont gentils ! Ça vous va ? Pas vraiment ?
— Question : Si c’est la mort qui porte la vie, la reconnaissance de la castration, la finitude de la vie, me semblent un peu énigmatiques dans le fait que ça donne envie de vivre pour le moment.
— Mr Landman : C’est plus un problème masculin globalement, pour dire les choses massivement que féminin. Le rapport des femmes à la vie est beaucoup plus évident, ne serait-ce que parce qu’elles sont susceptibles de porter la vie. Je vous assure qu’il y a des névrosés notamment obsessionnels, dont la vie n’est que mortifications, ils passent leur vie à se mortifier, ce sont des morts-vivants, ils en souffrent, ils en jouissent aussi. Ils viennent parfois en analyse, on essaie de les en sortir, on essaie de leur permettre de poser des actes qui fassent qu’ils vivent leur vie, on n’en a qu’une, comme on dit ! Mais là où j’entends quand même quelque chose de votre question c’est que ce n’est pas par hasard que ce soit une femme qui la pose.
— Question : Est-ce qu’on peut dire que le symptôme est une énigme ? Est-ce que le symptôme est une énigme dans le sens : est-ce que le symptôme partage avec l’énigme cette caractéristique dont vous avez parlé de ne pas être univoque. Parce que, c’est ça ma question, parce que ou on suppose qu’un symptôme a plusieurs sens possibles et dans ce cas-là peut-être ce n’est pas toujours le sens sexuel qui doit être cherché ou bien un tel symptôme a un sens, il est univoque et qui renvoie, après peut-être, à cette vérité qui n’est pas univoque.
— Mr Landman : C’est une très bonne question. Le sens sexuel je vous l’ai dit, c’est trop massif. C’est le symptôme, en tout cas tel que la psychanalyse l’aborde. Qu’est-ce que c’est le symptôme ? Vous savez quel est le premier penseur qui a introduit le symptôme en tant que tel ? Ça n’existait pas avant lui, je ne vous parle pas du symptôme médical, je vous parle du symptôme au sens où on l’entend aussi en psychanalyse. Qu’est-ce que c’est le symptôme ? On va dire les choses très simplement : c’est ce qui ne va pas, ce qui se met en travers, ce qui fait que nous butons sur quelque chose, que ça ne tourne pas rond, comme je vous le disais tout à l’heure, ça ne va pas, voilà ça ne va pas. Le premier à dire voilà il y a symptôme, il y a quelque chose qui ne va pas, le premier à l’avoir dit c’est Karl Marx. Il a fait un diagnostic qui était de repérer le symptôme social, il y a quelque chose qui ne va pas dans le social, après ça été repris par la psychanalyse au sens où c’est aussi ce qui ne va pas pour un sujet, ce qui le fait souffrir. Le sens sexuel, le symptôme oui, c’est une énigme, se présente comme une énigme à déchiffrer. Et c’est vrai que l’interprétation du symptôme, encore une fois, on ne peut pas en parler de l’extérieur, ce n’est que dans le cadre d’une cure avec un patient et au sens où le psychanalyste est engagé, a sa part dans la prise en compte du symptôme qu’il va pouvoir l’interpréter. Mais disons que ça a un rapport au sexuel quand même. Alors, ce n’est pas toujours le cas, en effet, ce n’est pas pour rien que j’ai évoqué Marx et le symptôme social. Il y a des subjectivités qui se construisent sur un mode qui est celui du traumatisme social, qui présentent des symptômes qui ne relèvent pas d’une interprétation qui est en rapport au sexuel. Par exemple, certaines passions militantes pour la politique peuvent être symptomatiques, est-ce qu’elles ont à voir avec le rapport sexuel, ce n’est pas toujours le cas. Donc c’est une bonne question !