EPhEP, MTh3-ES13
Bonsoir ! Je suis content de vous rencontrer ce soir, mĂȘme si câest par Zoom : jâaurais prĂ©fĂ©rĂ© vous rencontrer en live - comme on dit - pour faire un cours vraiment interactif.
Donc Christian Hoffmann : je suis psychanalyste Ă Paris, membre de lâALI, et comme jâai un peu lâexpĂ©rience de lâenseignement, je vais vous faire plusieurs cours sur notre sujet que je vais prĂ©ciser trĂšs rapidement. Vous avez, je crois, le programme quâon va suivre strictement et donc, ne vous gĂȘnez surtout pas pour intervenir Ă nâimporte quel moment sâil y a des choses qui vous paraissent confuses ou que vous voudriez prĂ©ciser, voire prĂ©ciser cliniquement, ou ajouter vos rĂ©flexions. Je suis tout Ă fait pour quâon fasse quelque chose dâinteractif.
Il sâagit pour nous, en plusieurs sĂ©ances, six en tout il me semble, de parler, de penser â jây tiens beaucoup parce que je crois beaucoup Ă lâidĂ©e de penser avec Freud et avec Lacan, bien sĂ»r, et dâautres, pourquoi pas ? â, il sâagit pour nous dâavoir, aujourdâhui, et surtout dans cette pandĂ©mie au XXIe siĂšcle, Ă revisiter et Ă penser la psychanalyse Ă partir de ses fondateurs et refondateurs pour que nous puissions effectivement nous-mĂȘmes participer au dĂ©veloppement de la psychanalyse qui, comme disait Lacan, est constamment changeante. Ce qui veut dire aussi que nous toucherons, assez rapidement, Ă ce quâon appelle aujourdâhui la clinique « post-moderne », Ă partir justement de cette question de mĂ©thode. Et, vous verrez que moi-mĂȘme jâintroduis souvent de la clinique, et, si vous en avez de votre cĂŽtĂ©, ou si vous souhaitez que je le fasse plus, je le ferai.
Pour ce soir, nous allons introduire et dĂ©velopper cette thĂ©matique des diffĂ©rentes mĂ©thodes analytiques, et pour ce faire, je vais commencer par son fondateur, Ă savoir Freud. Vous allez le voir dĂšs aujourdâhui, trĂšs rapidement, il est important de revisiter Freud, mais nous revisitons Freud aprĂšs Lacan. Donc, comme je lâai entendu dire par le Dr. Charles Melman, câest comme si nous-mĂȘmes, nous nous donnions la mĂ©thode de lire Freud aprĂšs Lacan. Câest vrai, mais pas que, nous allons aussi parler dâautres psychanalystes et dâautres mĂ©thodes aussi que la mĂ©thode freudienne, je pense Ă Jung, Ă Ferenczi, Ă Rank dont je vous parlerai Ă©galement comme vous lâavez vu dans le programme.
Pour aujourdâhui, commençons par ce qui se prĂ©sente Ă nous lorsquâon sâintĂ©resse Ă la mĂ©thode psychanalytique : on va chercher dans cette bibliothĂšque ou sur notre ami Google, Ă quoi cela correspond dans lâĆuvre complĂšte de Freud, et nous tombons effectivement sur un texte, petit texte trĂšs court, qui se trouve dans lâouvrage La Technique Psychanalytique aux PUF. Câest un ouvrage Ă la française, parce que quâil a Ă©tĂ© bricolĂ© par lâĂ©diteur français, les PUF, et qui nâexiste pas en tant que tel dans les Ćuvres complĂštes de Freud. Comme jâai la chance dâĂȘtre bilingue allemand-français, je lis Freud en allemand, et donc jâai les Ćuvres complĂštes en allemand de Freud. Il nâexiste pas en tant que tel, ce titre, dans les Ćuvres complĂštes de Freud en Allemand. Ăâa Ă©tĂ© bricolĂ© Ă partir de textes mis ensemble par lâĂ©diteur français. Toujours est-il que câest un livre intĂ©ressant que je vous conseille de lire â on en aura besoin souvent â et justement le premier chapitre, dĂšs quâon on ouvre le livre, sâintitule « La mĂ©thode psychanalytique de Freud ». On est en plein dans notre sujet. Nous avons, comme le disent les philosophes, Ă nous expliquer avec ce texte, et donc on va commencer par lĂ .
Jâai intitulĂ© un premier chapitre de ce que je vais vous raconter ce soir : « Discours de la mĂ©thode psychanalytique »
La psychanalyse est une mĂ©thode thĂ©rapeutique. Câest ce que dit Freud dans ce texte et dans beaucoup dâautres, jây tiens particuliĂšrement Ă ce que la psychanalyse soit dâabord une thĂ©rapeutique, quâelle soit thĂ©rapeutique. Et, câest ce que je vais en premier vous dire : la psychanalyse est une mĂ©thode thĂ©rapeutique, et cette mĂ©thode consiste Ă rendre conscient lâinconscient. Freud appelait lâinconscient « notre meilleur savoir », câest-Ă -dire quâil y a dĂ©jĂ chez Freud lâarticulation inconscient et savoir.
Bref, comme vous le savez, les patients qui viennent nous voir avec une demande thĂ©rapeutique ou/et analytique directement, viennent le plus souvent avec des symptĂŽmes dont le sens leur Ă©chappe ; et ils ont lâintuition, heureuse, quâil y a un savoir au-delĂ de celui de leur conscience ou de leur rationalitĂ©. Quelquâun qui a un TOC, comme on dit maintenant, qui a une obsession qui est de vĂ©rifier tous les soirs si sa porte dâentrĂ©e est bien fermĂ©e, il vĂ©rifiera sept fois, pas six fois, pas huit fois forcĂ©ment, se rend bien compte que ce symptĂŽme est absolument absurde, hors sens, mais cela ne lâempĂȘche pas dâexister ce symptĂŽme. Câest-Ă -dire quâavec sa meilleure volontĂ©, sa meilleure raison et son appel Ă son savoir, que la conscience lui met Ă sa disposition, il nâarrive pas Ă se dĂ©tacher de cette compulsion rĂ©pĂ©titive de son obsession. Et, il vient chercher ce quâil ne sait pas encore tout en ayant lâidĂ©e quâil y a un savoir au-delĂ de la conscience, il vient chercher justement cet autre savoir, que Freud appelle « son meilleur savoir », qui rĂ©side au-delĂ de la conscience, dans ce que Freud a appelĂ© « lâautre scĂšne » que celui de la conscience Ă savoir lâinconscient. Alors cela, câest du Freud. Mais Lacan, comme on le verra, jusque dans ses derniers sĂ©minaires, est revenu sur cette histoire de la mĂ©thode freudienne, dont Freud disait que « le but de ma mĂ©thode, câest de rendre une partie de lâinconscient conscient ». Et Lacan consacre plusieurs sĂ©ances Ă cette question de rendre conscient une partie de lâinconscient. Donc, vous voyez, câest une question importante qui a Ă©tĂ© travaillĂ©e par Lacan jusquâĂ son dernier souffle on pourrait dire.
Naissance de la psychanalyse
Une fois quâon a dit ça, je voudrais commencer par le dĂ©but, et dire que la psychanalyse est nĂ©e â comme vous le savez certainement â trĂšs exactement le 21 septembre 1897. Je dis cela parce que câest quelque chose qui a Ă©tĂ© Ă©crit par Freud, Ă savoir que câest dans une lettre Ă Fliess, qui est dans lâouvrage Naissance de la Psychanalyse. Dans une lettre Ă son ami Wilhelm Fliess du 21 septembre 1897, il tient un propos..., je dirai mĂȘme que câest lĂ , dans cette nouvelle pensĂ©e qui lui est venue concernant la mĂ©thode analytique, que lâon peut penser quâil a crĂ©Ă© la psychanalyse. Cette histoire câest justement la fameuse phrase quâon rĂ©pĂšte souvent, quâil Ă©crit Ă Fliess Ă ce moment-lĂ , lorsquâil lui dit : « Je ne crois plus Ă ma Neurotica ». Câest une phrase que lâon rĂ©pĂšte souvent, mais qui signifie le dĂ©but de la psychanalyse Ă partir du moment oĂč⊠: ce que Freud appelle sa Neurotica, câest ce quâil avait avant Ă sa disposition comme savoir pour expliciter le mĂ©canisme de lâhystĂ©rie, Ă savoir la thĂ©orie de la sĂ©duction. Câest-Ă -dire que Freud dit : ça y est, jâen ai fini avec la thĂ©orie de la sĂ©duction, elle ne tient pas cette idĂ©e, dans le sens oĂč il nâexiste pas comme il lâa dit, comme il lâa Ă©crit, dans lâinconscient aucun indice de rĂ©alitĂ© de cette histoire de sĂ©duction, de telle sorte quâil est impossible de distinguer entre vĂ©ritĂ© et fiction. Câest pourquoi une solution, une autre solution, est fournie par ce quâil appelle le « fantasme sexuel » qui se joue autour des parents. Câest-Ă -dire que nous avons lĂ , datĂ© trĂšs prĂ©cisĂ©ment, le point de bascule oĂč Freud substitue Ă sa Neurotica, câest-Ă -dire Ă un traumatisme liĂ© Ă la sĂ©duction du pĂšre, souvent, sĂ©duction des enfants par le pĂšre, Freud substitue Ă cette Neurotica, Ă cette thĂ©orie de la sĂ©duction, le fantasme sexuel des enfants qui tourne autour des parents. LĂ , il met au centre, vous voyez, de ce quâil appelle la crĂ©ation de la psychanalyse, la question du fantasme. Câest une chose dĂ©jĂ Ă©norme, je dirais, et vous allez voir combien la mĂ©thode thĂ©rapeutique va tourner autour de cette question du fantasme.
Câest ainsi que Freud indique quâil abandonnele rĂŽle traumatisant de la sĂ©duction pour se tourner vers lâĂ©tude des conditions nĂ©cessaires au dĂ©veloppement et aux fantasmes infantiles. Lâobjet dâĂ©tude de Freud maintenant, dans sa pratique analytique, ce sont les fantasmes infantiles. Et vous verrez par la suite, probablement la prochaine fois, je vous parlerai dâun texte de Freud de 1908 oĂč il dira justement que la thĂ©rapie analytique se centre non autour du symptĂŽme mais sur lâĂ©tude du fantasme. Et nous consacrerons toute une leçon Ă cela, Ă savoir que psychothĂ©rapeute ou psychanalyste ou psychothĂ©rapeute-analytique, lorsque quelquâun vient pour se dĂ©barrasser de ses symptĂŽmes, nous devons passer au niveau thĂ©rapeutique, câest une question de mĂ©thode, par la question du fantasme ou des fantasmes infantiles. Câest vraiment le noyau dur de la mĂ©tapsychologie freudienne - on pourrait dire - et de la cure analytique.
Donc Freud Ă©tudie alors la luxuriante floraison de fantasmes qui apparaissent dans les rĂȘves, les pensĂ©es, les comportements des nĂ©vrosĂ©s lors de la cure analytique. Ce qui lâamĂšne Ă lâorganisation pulsionnelle de la sexualitĂ© infantile. Donc lĂ , vous voyez comment un concept en appelle un autre ; câest cela quâil appelle, dâailleurs, sa mĂ©tapsychologie ; câest-Ă -dire quâil y avait toujours lâhistoire du trauma, quâil essayait dâexpliquer par la Neurotica, la thĂ©orie de la sĂ©duction : il substitue maintenant Ă sa Neurotica le fantasme, nouveau concept, crĂ©ation de la psychanalyse autour de ce nouveau concept quâest le fantasme, et, dĂšs quâil attrape le fantasme et quâil se met Ă Ă©tudier les fantasmes infantiles, il nous ramĂšne Ă la question de la pulsion.
Vous voyez donc on a dĂ©jĂ , rien quâau dĂ©but de notre Ă©tude, deux concepts que nous devons revisiter, Ă©tudier et revisiter, Ă savoir : Quâest-ce quâun fantasme, comment le repĂ©rer dans la cure ?
Et quel est le rapport entre le fantasme et la pulsion, quel sont le rĂŽle et la fonction de la pulsion dans la production du symptĂŽme ? Câest dĂ©jĂ lâobjet de toute une Ă©tude. Certains psychanalystes dâailleurs, et pas des moindres, qui Ă©taient des Ă©lĂšves de Lacan, des premiers Ă©lĂšves de Lacan, disaient justement que sans comprendre ce quâest la pulsion, on ne peut rien comprendre Ă la psychanalyse.
Nous consacrerons au moins une sĂ©ance Ă lâĂ©tude de la pulsion aussi.
Et câest le deuxiĂšme bouquin que je vous conseillerai : le SĂ©minaire XI de Lacan sur les Quatre Concepts Fondamentaux de la Psychanalyse, que nous parcourrons aussi, sĂ©minaire trĂšs riche et incontournable, oĂč justement Lacan revisite Les trois essais sur la thĂ©orie sexuelle de Freud, oĂč il est question de la sexualitĂ© infantile, ce dont nous parlons, de lâorganisation de cette sexualitĂ© infantile Ă partir de la construction du corps pulsionnel chez lâenfant sous lâeffet justement des fantasmes infantiles. Et, nous savons bien, quand nous observons des enfants qui sont autour de nous, proches ou moins proches, et lorsquâils se confient un peu, ou mĂȘme lorsquâon Ă©coute des adultes parler de leur enfance, on se rend compte que lâenfant trĂšs tĂŽt, trĂšs tĂŽt, est habitĂ© par des fantasmes qui sont dâune richesse inouĂŻe. VoilĂ oĂč nous en sommes dĂ©jĂ maintenant, et le travail quâil nous faut faire.
Exemple clinique : Alors pour vous donner des exemples â et jâaime travailler comme cela, je dirais Ă lâanglo-saxonne, oĂč lâon aime beaucoup les exemples â, jâaime beaucoup aussi raisonner sur des exemples, et en ce qui nous concerne ce sont forcĂ©ment des exemples cliniques ou piquĂ©s Ă la littĂ©rature, si je puis dire, pour vous montrer la richesse de ces fantasmes chez les enfants, et de leur rapport Ă la pulsion, je pourrais vous parler justement dâune petite fille de 7-8 ans, Ă peine 7-8 ans, dont la mĂšre Ă©tait enceinte, et la petite fille avait quelques symptĂŽmes ; câest pour cela quâelle Ă©tait venue consulter, et ne voilĂ -t-il pas â et ça, câest la question de la pratique avec lâenfant -, avec lâenfant on a accĂšs trĂšs vite au fantasme, beaucoup plus vite quâavec un adulte qui a une certaine pudeur, ou un refoulement plus massif de ses fantasmes infantiles, lâenfant peut parfois, sans inhibition, ou sans trop dâinhibitions, parler de ses fantasmes et vous allez voir comment. Par exemple, cette petite fille disait Ă sa mĂšre â qui Ă©tait dĂ©jĂ bien enceinte, je pense au septiĂšme ou au huitiĂšme mois â elle disait Ă sa mĂšre que lorsquâelle allait aux toilettes « Elle ne devait pas pousser trop fort parce que, sinon, lâenfant allait tomber dans les toilettes ». Vous voyez, ça, câest un scĂ©nario dâenfant tout Ă fait on pourrait dire « innocent », entre guillemets, oĂč on entend, non seulement le fantasme du rapport de cette petite fille Ă un objet pulsionnel qui est lâobjet anal, et qui construit, et qui participe probablement Ă sa construction de ce que Freud appelle la thĂ©orie sexuelle infantile de la naissance des enfants. Vous voyez quâici, câest complĂštement organisĂ© autour de la pulsion anale. Et, lorsquâon a un tel matĂ©riel comme dit Freud, matĂ©riel clinique, câest forcĂ©ment quelque chose qui va se rĂ©pĂ©ter. Trois minutes aprĂšs, ou quelque chose comme ça, trĂšs vite aprĂšs, elle associe sur une autre idĂ©e oĂč elle dit Ă sa mĂšre : « Lorsque tu accoucheras de ce bĂ©bĂ©, dans la salle dâaccouchement, ne pousse pas trop fort, parce que sinon lâenfant va aller sâĂ©clater contre le mur en face ».
Vous voyez, ça ce sont des fantasmes dâenfant, oĂč, dans ce typede fantasmes par rapport Ă celui quâon avait avant, on entend bien ce quâil en est justement du rapport qui va ĂȘtre dĂ©terminant de cette petite fille Ă son petit frĂšre ou Ă sa petite sĆur, qui est dĂ©jĂ baignĂ©, on pourrait dire, dans lâagressivitĂ©, au moins. Ce qui nous donne Ă entendre le rapport entre la pulsion et la destructivitĂ©, Ă savoir, ce que Freud appellera la pulsion de mort ou de destruction, câest-Ă -dire lâagressivitĂ©. Et vous voyez, bien avant la naissance du petit frĂšre ou de la petite sĆur, la relation Ă venir est dĂ©jĂ construite avec la pulsion. Et cette pulsion se fera entendre et mĂȘme plus quâentendre et se traduire en actes dans la relation au petit frĂšre ou Ă la petite sĆur.
Etudiante : Je peux juste, excusez-moi, vous poser une petite question ? Pourquoi ce ne serait pas juste une crainte que son petit frĂšre ou sa petite sĆur puisse, quelque chose comme une surprotection en fait, quâil puisse avoir mal ? Pourquoi ça serait forcĂ©ment de la destruction ?
Dr. Hoffmann : Oui, oui-oui, vous avez raison, câest-Ă -dire que, de toutes façons, les choses ne sont jamais univoques. Dans le psychisme humain, il y a toujours plusieurs tendances. Vous pouvez avoir une tendance de surprotection qui est tout Ă fait honorable, bien sĂ»r, et nĂ©cessaire. Et vous allez trouver en mĂȘme temps, derriĂšre cette tendance ou cette volontĂ© de protection, une forte haine, une forte agressivitĂ©, qui coexistent avec cette tendance Ă la surprotection. Et il faut apprendre Ă tirer plusieurs fils en mĂȘme temps parce que lâĂȘtre humain est complexe ! Dans le sens â vous avez raison, vous avez raison câest aussi ça â, ce nâest pas lâun sans lâautre, souvent, dans la psychanalyse. Et, je vous donne une formule, une proposition que jâaime particuliĂšrement par rapport Ă ce que vous soulevez, qui vient des Grecs, des Grecs dans la GrĂšce antique. Sophocle et compagnie, ceux qui ont inventĂ© la tragĂ©die, disaient dĂ©jĂ que : « Lâhomme est un problĂšme pour lui-mĂȘme », câest-Ă -dire que lâhomme est complexe, lâhomme, câest-Ă -dire la femme et lâhomme bien sĂ»r, lâĂȘtre humain est complexe. Il est complexe parce quâil nâest pas gouvernĂ© par une seule tendance ; il y a des coexistences de tendances diffĂ©rentes et dâautant plus quâune pulsion, comme dira Lacan, est toujours potentiellement une pulsion de mort.
Et comment une pulsion se transforme-t-elle en pulsion de mort si ce nâest par lâexcĂšs dâexcitation ou ce quâon appelle lâexcĂšs pulsionnel ? Vous voyez ? Câest-Ă -dire la pulsion vous amĂšne Ă aller chercher votre satisfaction, mais la question se pose toujours de jusquâoĂč ne pas aller trop loin pour justement mettre, pour vous mettre en danger. Quâest-ce qui fait â je le dis souvent âque, lorsque vous ĂȘtes au bord dâune falaise, vous avez cette pulsion qui, dâune part, vous attire vers le bas, et en mĂȘme temps, vous rejette vers lâarriĂšre. Vous voyez, il y a le double mouvement et on peut se demander ce qui fait que vous vous jetiez en arriĂšre plutĂŽt quâen avant ?, câest toute la question, on pourrait dire, de ce qui vous accroche Ă la vie plutĂŽt quâĂ la mort. Mais on le verra plus prĂ©cisĂ©ment encore ultĂ©rieurement.
Donc, vous voyez, Ă travers ce petit exemple, je dirais, câest ce que je voulais vous montrer, la richesse fantasmatiquedâune petite fille de 7-8 ans, et ce nâest pas Ă 7-8 ans que câest apparu, câĂ©tait dĂ©jĂ lĂ bien avant, je pense. VoilĂ , un exemple qui montre lâimportance du fantasme, du fantasme en tant quâil va organiser, quâil organise et quâil va organiser ce quâon appelle aujourdâhui la subjectivitĂ© de lâĂȘtre humain.
Nos subjectivitĂ©s â câest un terme philosophique la subjectivitĂ© â nous pouvons tout Ă fait entendre dans ce terme le fantasme : nos subjectivitĂ©s sont organisĂ©es par nos fantasmes. On a donc dĂšs le dĂ©but dâune mĂ©tapsychologie â Ă entendre comme la psychologie de Freud, la mĂ©tapsychologie, câest-Ă -dire dâune thĂ©orie freudienne de ce que Freud a appelĂ© la rĂ©alitĂ© psychique -, une rĂ©alitĂ© matĂ©rielle, je pourrais mĂȘme dire subjective, et nous avons une rĂ©alitĂ© psychique, Ă savoir que les coordonnĂ©es de cette rĂ©alitĂ© psychique â ce que nous avons vu jusquâĂ prĂ©sent â câest le trauma, le fantasme et la pulsion, pour lâinstant. Donc trois concepts freudiens avec lesquels il faudra sâexpliquer. Et câest ce que je vais commencer par dĂ©velopper maintenant.
Ătiologie : Alors, comme vous le savez, dĂšs le dĂ©but de la psychanalyse, lâĂ©tiologie, câest-Ă -dire la causalitĂ© des nĂ©vroses, est mise en rapport avec des expĂ©riences traumatiques de lâenfance. Un grand classique cela. Et la cure analytique consiste alors Ă faire un travail dâĂ©laboration de ces traumas. Mais progressivement, cette conception de la cure analytique comme Ă©laboration, câest-Ă -dire comme symbolisation des traumas, va passer au second plan. Attention, quand on dit « va passer au second plan », cela ne veut pas dire quâon va mettre cette thĂ©orie au grenier, pour une meilleure thĂ©orie. Ăa reste valable, pour la cure analytique, le travail dâĂ©laboration Ă partir des traumatismes, mais ça va venir en second plan par rapport au traitement donc et Ă la mĂ©thode de la cure analytique.
On sâest aperçu, effectivement, que lâon ne pouvait pas Ă©voquer le trauma comme un Ă©vĂ©nement personnel de lâhistoire du sujet qui serait datable et susceptible de dĂ©clencher des affects pĂ©nibles. Ăa veut dire quoi ? Ăa veut dire que, bien sĂ»r, quâil y a des traumatismes, nous sommes dâune certaine façon tous traumatisĂ©s, plus ou moins dâailleurs, mais quand mĂȘme.
[âŠ] On ne peut pas penser pouvoir expliciter et avoir un effet thĂ©rapeutique en mettant en relation simplement des symptĂŽmes avec une cause traumatique. Dâabord, parce quâil nây a pas quâun seul traumatisme, il y en a plusieurs, et les choses sont plus complexes que cette causalitĂ© simple entre le trauma et le symptĂŽme. On va sâexpliquer lĂ -dessus. Et, les patients le disent eux-mĂȘmes, vous voyez, câest vrai, la mise en relation de leur symptĂŽme avec le traumatisme souvent ne rĂšgle rien. Et eux-mĂȘmes le savent dĂ©jĂ que cela ne rĂšgle rien.
Donc pourquoi ? Parce que la nouveautĂ© est venue de lâexpĂ©rience de la cure qui ne permettait plus dâisoler un trauma dans lâhistoire dâun sujet â et câest cela la nouveautĂ© â sans envisager la subjectivitĂ© du sujet. Cela veut dire, comme le fait Freud avec Dora, que, dans le trauma, il y a bien sĂ»r, comme on va le voir, lâeffraction de lâĂ©vĂ©nement externe, du monde extĂ©rieur mais il y a une participation Ă cette effraction et aux effets traumatiques de cette effraction de cet Ă©vĂ©nement extĂ©rieur, il y a une participation de la subjectivitĂ© du sujet. Et cela, câest assez Ă©vident face Ă un trauma : jâen ai connu beaucoup suite aux attentats de 2015 oĂč jâai eu lâoccasion de mâoccuper de personnes extrĂȘmement, extrĂȘmement fracassĂ©es, si je puis dire, malheureusement, par ces attentats ; et câĂ©tait une expĂ©rience incroyable pour eux dĂ©jĂ , et pour moi Ă©galement en tant que thĂ©rapeute (je vous en parlerai ultĂ©rieurement pour ne pas trop nous Ă©garer maintenant) â il est clair que face Ă un Ă©vĂ©nement vĂ©cu collectivement, chaque ĂȘtre humain va rĂ©agir diffĂ©remment et dâune façon plus ou moins traumatique avec le dĂ©veloppement dâune nĂ©vrose traumatique et de symptĂŽmes graves, [âŠ], chaque ĂȘtre va rĂ©agir diffĂ©remment, en fonction de sa propre subjectivitĂ©. Donc pour dire que la subjectivitĂ© de chaque ĂȘtre humain participe Ă lâampleur de lâeffraction de lâĂ©vĂ©nement traumatique. Et ça, je lâai vu chez des rescapĂ©s gravement gravement atteints dans leur chair, du Bataclan par exemple.
Etudiante : Excusez-moi, mais quand vous dites subjectivité pour le coup ?, parce que, pour moi, la réaction, elle est aussi en fonction du fantasme ?
Dr. Hoffmann : Oui, oui, oui ! Mais, pour lâinstant, je dis que le fantasme est un synonyme de la subjectivitĂ© ; subjectivitĂ©, câest une façon philosophique ou sociale de parler du fantasme ; ce qui organise notre subjectivitĂ©, câest le fantasme, bien sĂ»r ! Par exemple, on voit bien â et câest ça lâobjectif, lĂ oĂč jâessaie de vous mener dans un premier temps par cet enseignement, Ă ce concept de pulsion au-delĂ ou en-deçà du fantasme â, Ă savoir que quelquâun qui est dans une organisation, quelquâun qui dĂ©veloppe un fantasme on pourrait dire anal, et qui se plaint constamment de la non-qualitĂ© de sa vie, on pourrait dire Ă tous les niveaux de son existence, du fait mĂȘme de se sentir maltraitĂ©, de se sentir pas Ă la hauteur etc., on voit bien combien le fantasme organise chaque recoin de sa subjectivitĂ©, Ă partir de la pulsion anale oĂč le sujet se sent traitĂ© comme lâobjet de la pulsion anale pourrait-on dire, vous voyez ? Dans le sens, comme on le verra, oĂč le sujet, ce quâon appelle le sujet de lâinconscient est identifiĂ© Ă lâobjet de la pulsion qui intervient dans ce que Lacan appelait son fantasme fondamental. La pulsion peut ĂȘtre anale, orale, scopique ou invocante, avec la voix, comme on dit ; on le verra par la suite.
De façon gĂ©nĂ©rale, le constat est que le trauma est un excĂšs dâexcitation, cela, Freud y tient beaucoup et Lacan aussi ; vous savez que Lacan parlera du « trou-matisme » â jây reviendrai.
De façon gĂ©nĂ©rale, on constate que le trauma est un excĂšs, il faut bien retenir cette idĂ©e dâexcĂšs dâexcitation pulsionnelle, car ce sera important dans ce quâon appelle la clinique post-moderne.
Il y a dâune part lâexcitation et, dâautre part, il y a le corps pulsionnel ; et aujourdâhui quelquâun peut ĂȘtre soumis Ă des excitations et Ă un excĂšs dâexcitation que la pulsion ne prend pas forcĂ©ment en charge pour satisfaire ces excitations, et la personne peut ĂȘtre sous lâemprise, plus ou moins totale, de ces excitations : câest ce quâon trouve, je pense, dans de nouvelles pathologies et notamment la scarification ; dans ce sens, comme jâai entendu beaucoup dâadolescents me le dire lorsquâils se sont scarifiĂ©s plus ou moins profondĂ©ment, ils me disaient : « Jâai dĂ» mâouvrir le corps pour que ça sorte, pour que cette excitation sorte ».
Câest-Ă -dire quâon voit bien que lâexcitation envahit le corps, et câest ça lâexcĂšs, sans quâelle sâarticule, comme la pulsion, sans quâelle sâarticule Ă une pulsion qui lui trouve une satisfaction par les orifices corporels. Ils sont obligĂ©s de se crĂ©er de nouveaux orifices par la scarification, de nouvelles ouvertures corporelles pour que cette excitation soit abrĂ©agie comme on dit.
Câest un aspect de cette clinique dont nous parlerons.
Mais restons au niveau de ce qui fait le trauma pour Freud et pour Lacan dâailleurs, qui est lâexcĂšs dâexcitation.
LâexcĂšs de lâexcitation, vous lâavez dĂšs la naissance de la psychanalyse dans LâEsquisse dâune psychologie scientifique de Freud, jusquâau dernier Lacan, comme on dit, jusquâĂ la fin de lâenseignement de Lacan : il y a cette notion dâexcĂšs dâexcitation ou dâexcĂšs pulsionnel, quâon appellera aussi le RĂ©el pulsionnel, dans le sens oĂč lâexcitation, contrairement Ă lâorganisation pulsionnelle du corps, ne trouve pas dâaccroche Ă un reprĂ©sentant de la reprĂ©sentation ou une trace symbolique laissĂ©e dans le RĂ©el de lâinconscient ; cet excĂšs dâexcitation ne trouve pas Ă sâarticuler Ă une trace de lâinconscient pour sâorganiser sur un mode pulsionnel. Câest-Ă -dire que lâexcitation reste dans le rĂ©el du corps, sans pouvoir trouver le chemin de lâinconscient pulsionnel pour sâabrĂ©agir, câest-Ă -dire, pour trouver sa satisfaction.
Venons-en au chapitre 2, pour aujourdâhui, que jâai intitulĂ© le traumatisme, justement. Ce que je vais vous dire du traumatisme est une rĂ©flexion qui me vient prĂ©cisĂ©ment dâune clinique des attentats. Si cela vous intĂ©resse, on pourra en parler dans le dĂ©bat aprĂšs, et si cela vous intĂ©resse suffisamment jâai des documents tout Ă fait passionnants sur cette question du traumatisme post-attentats - câest un nouveau traumatisme je pense mĂȘme â et notamment des films qui ont Ă©tĂ© faits par des victimes de ces attentats, des survivants, de ces attentats, sur le RĂ©el de lâattentat, sur le RĂ©el traumatisant de lâattentat. Câest tout Ă fait poignant.
Le traumatisme est dĂ©fini par Freud comme une effraction, le traumatisme, câest une effraction, Freud et Lacan ne bougeront pas lĂ -dessus.
Câest une effraction, câest-Ă -dire que câest comme â je donne souvent cet exemple : vous sortez tranquillement de chez vous, pour aller fumer une cigarette par exemple, ou boire un verre au bar du coin, et vous tombez, au coin de la rue, sans que rien ne vous y prĂ©pare, sur un exhibitionniste, par exemple. Vous ĂȘtes⊠vous nâĂȘtes pas prĂ©parĂ©. Vous nâĂȘtes pas prĂ©parĂ© par lâangoisse Ă une mauvaise rencontre, et votre psychisme nâest pas prĂ©parĂ© Ă une mauvaise rencontre.
Et donc, et câest lĂ quâon voit que lâangoisse, câest le ticket, comme le dit le titre dâun bouquin de Romain Garry, le ticket jusquâoĂč ne pas aller trop..., câĂ©tait quoi, Romain Garry a fait un bouquin⊠au-delĂ ...
Etudiante : Au-delĂ duquel le billet nâest plus valable, non ?
Etudiante : Le titre complet câest : Au-delĂ de cette limite votre ticket nâest plus valable.
Dr. Hoffmann : Et bien, lâangoisse, câest ça. Au-delĂ dâune certaine limite, votre ticket nâest plus valable, câest-Ă -dire que vous ne pouvez plus compter sur votre subjectivitĂ© pour vous dĂ©fendre parce quâil y a effraction ; et ce qui Ă©vite lâeffraction, câest lâangoisse. Lâangoisse vous avertit dâune possibilitĂ© dâun danger, et donc vous ĂȘtes sur vos gardes.
Alors que dans le trauma, il nây a pas cette angoisse qui vous met sur vos gardes et donc lorsquâil y a un Ă©vĂ©nement traumatique quel quâil soit, il fait effraction, il fait effraction dans le psychisme. Et, cette effraction paralyse, comme le dit Freud, le principe de plaisir. Câest-Ă -dire que, le principe de plaisir qui rĂ©gule lâhomĂ©ostasie autant somatique que psychique, du corps et de son ĂȘtre, est shuntĂ© â on pourrait dire â lors de cette effraction traumatique. Le principe de plaisir ne peut pas prendre en charge cette effraction et cette effraction oblige le psychisme Ă trouver une autre solution plus urgente que celle de la recherche du plaisir, pour permettre la dĂ©charge de ce trop dâexcitation introduit par lâaccident traumatique.
Câest-Ă -dire que cette effraction produit des affects, on pourrait dire, qui prennent la proportion dâun excĂšs dâexcitation â excitation, câest Ă entendre au niveau plaisir comme dĂ©plaisir, souvent câest le dĂ©plaisir.
Quand quelque chose devient trop intense, cela devient un dĂ©plaisir et lâappareil psychique avec le principe de plaisir, en principe, est lĂ pour rĂ©guler et maintenir Ă un niveau supportable cette variation des affects et des excitations entre plaisir et dĂ©plaisir, pour ne pas ĂȘtre dĂ©passĂ© dans ce quâil peut prendre en charge, et, liquider justement par la satisfaction ce qui concerne ces excĂšs dâexcitation. Donc ça, ça ne fonctionne pas lors de lâeffraction traumatique. Il reste donc au psychisme Ă trouver une autre solution pour se dĂ©faire du trop-plein dâexcitation liĂ© au trauma.
On sait trĂšs bien que la dĂ©charge de lâexcitation ne peut se faire que sur un mode pulsionnel, en se liantâŠ
Alors câest quoi un mode pulsionnel, comme je le disais avant, câest lorsque lâexcitation arrive Ă se lier Ă une reprĂ©sentation inconsciente. Au niveau de la pulsion, vous le savez peut-ĂȘtre dĂ©jĂ , bien sĂ»r, la pulsion est quelque chose qui se construit, qui nâest pas lĂ au dĂ©part. Le nourrisson a, Ă sa charge, sa propre construction pulsionnelle Ă partir de ses besoins et de la satisfaction de ses besoins.
Organisation pulsionnelle : Donc, ce qui va constituer lâorganisation pulsionnelle du corps câest justement ce qui, de la satisfaction du besoin provoquant un plaisir ou un dĂ©plaisir, va, lors de la premiĂšre fois, laisser une trace de cette premiĂšre expĂ©rience de satisfaction et cette trace va constituer avec dâautres traces ensuite, lâinconscient.
Lacan dira dans une trĂšs belle confĂ©rence tardive, la confĂ©rence Ă GenĂšve sur le symptĂŽme, que « Lâinconscient est constituĂ© par les traces des premiĂšres expĂ©riences de jouissance de lâenfant », sachant que la jouissance peut ĂȘtre le plaisir ou le dĂ©plaisir, ce sont les deux cĂŽtĂ©s justement. Et donc, cette trace, dĂ©posĂ©e ou inscrite dans lâinconscient, fait prĂ©cisĂ©ment le lien entre lâexcitation somatique, dans le corps, et le psychisme ; il y a une articulation qui fait rentrer lâexcitation de cette façon dans lâorganisation pulsionnelle pour lui trouver sa satisfaction.
Câest pour cela que Freud dira que la pulsion est un concept limite entre le somatique et le psychisme et que la pulsion a un reprĂ©sentant de cette premiĂšre fois qui est chaque fois activĂ© lorsquâil y a une rĂ©pĂ©tition de cette premiĂšre fois, de cette premiĂšre excitation, premiĂšre jouissance se reprĂ©sentant dans lâinconscient, qui est activĂ©e ; ce qui fait que lâinconscient prend en charge cette excitation corporelle. Câest exactement le bouquin - sans faire une grande publicitĂ© Ă Philippe Delerm qui lâa Ă©crit - qui a eu beaucoup de succĂšs, La PremiĂšre GorgĂ©e de BiĂšre. Lorsque vous avez trĂšs soif, Ă la premiĂšre gorgĂ©e de biĂšre, vous avez une satisfaction, une belle satisfaction, et lors de la deuxiĂšme gorgĂ©e de biĂšre, ce nâest dĂ©jĂ plus la mĂȘme chose. Ăa repasse par la mĂȘme boucle mais ce nâest plus la premiĂšre fois. Câest dĂ©jĂ une rĂ©pĂ©tition !
Et donc, sans cette liaison inconsciente, le trop dâexcitation â et lĂ on touche Ă la clinique contemporaine â sans cette liaison inconsciente, le trop dâexcitation peut menacer lâintĂ©gritĂ© du sujet en provoquant une rĂ©gression pouvant aller jusquâau morcellement du corps et de lâĂȘtre, tel que nous le reconnaissons dans la dĂ©tresse primordiale du nourrisson, dâavant le stade du miroir.
Câest lui justement, le stade du miroir qui lui donne son unitĂ© et son identitĂ©.
Et ça, câest quelque chose que jâai vu cliniquement et que les patients, souvent adolescentes ou adolescents, dĂ©crivent comme une expĂ©rience limite, on pourrait dire : câest-Ă -dire quâil y a une excitation qui les prend au niveau du corps, et cette excitation monte, elle monte, elle monte pendant toute la journĂ©e et arrivĂ©e Ă un certain moment, elle devient tellement forte cette excitation que ça leur prend la tĂȘte et quâils ont lâimpression presque de devenir cinglĂ©s. Câest-Ă -dire quâils ont lâimpression que leur esprit est envahi par cette excitation et que finalement la tĂȘte, comment dire, que leur esprit nâen fait plus quâĂ sa tĂȘte.
Câest-Ă -dire que câest comme dans ce quâon appelle un automatisme mental, il y a quelque chose qui apparaĂźt dâautomatique au niveau du corps et de sa coordination comme au niveau de lâesprit, comme sâil y avait un morcellement, le risque dâun Ă©clatement, en morceaux, un morcellement du corps et de lâesprit du fait mĂȘme de lâexcĂšs de cette excitation.
Ensuite, câest lĂ quâil y a passages Ă lâacte, qui vont de la prise de toxiques importante avec des mĂ©dicaments, avec de lâalcool, et ça peut se finir parfois par ce passage Ă lâacte, ils passent par la fenĂȘtre. Jâen ai vus qui disaient que justement, lorsquâils arrivent aux urgences le soir, le matin lorsquâils Ă©taient bien rĂ©veillĂ©s, ils racontaient comme nâimporte qui â on pourrait dire dâhystĂ©rique dans le bon sens du terme, il ne sâagit pas de stigmatiser lâhystĂ©rie â quâils ne voulaient pas du tout mourir, quâen passant par la fenĂȘtre, ils ne voulaient pas du tout mourir ; ils voulaient que ça sâarrĂȘte. Ils voulaient que cette excitation qui risquait, dont ils pensaient que cela pouvait les rendre complĂštement dingues, ils voulaient que ça sâarrĂȘte. Vous voyez, ils pouvaient aller jusquâau passage Ă lâacte inutile non pas pour mourir mais pour arrĂȘter cette excitation.
Nous pourrons revenir ultĂ©rieurement sur la compulsion de rĂ©pĂ©tition oĂč le sujetâŠ, comme le disaient ces victimes des attentats : ils Ă©taient sous analgĂ©siques morphiniques, ils ne souffraient pas trop de leur corps mutilĂ© mais ils souffraient dâun automatisme de dĂ©filement dâimages dâhorreurs quâils ont vĂ©cues au Bataclan et quâils ne pouvaient pas arrĂȘter. Câest ça la compulsion de rĂ©pĂ©tition, ils ne pouvaient plus arrĂȘter, 24 heures sur 24 le dĂ©filement de ces scĂšnes dâhorreur, oĂč le sujet, nâest-ce pas, dans cette compulsion de rĂ©pĂ©tition, revit son cauchemar jusquâĂ lâextrĂȘme et oĂč la vie devient, la vie-mĂȘme devient un cauchemar.
Alors posons-nous dâabord la question dâoĂč vient ce trop dâexcitation ?
Lacan, par rapport Ă cette question, a un trĂšs beau chapitre dans le livre XI, comme on dit, le sĂ©minaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, un trĂšs beau chapitre quâil a intitulĂ© « TuchĂš et Automaton ». Alors la TuchĂ© â ce sont des termes qui viennent dâAristote, câest du grec â câest la rencontre du RĂ©el, et Automaton est le rĂ©seau des signifiants.
On voit bien cela, dâun cĂŽtĂ©, on a la rencontre avec le RĂ©el, et de lâautre cĂŽtĂ© on a le Symbolique, on pourraĂźt dire, la chaĂźne signifiante, le Symbolique. Et câest ce que les patients nous racontent, nâest-ce pas. Ceux qui ont Ă©tĂ© flinguĂ©s au..., ceux qui ont pris une balle dans ces attentats, câest la rencontre avec le RĂ©el : qui pouvait penser avant ces attentats quâen prenant une biĂšre Black Horse Ă Paris on pouvait prendre une balle ? Ă Rio de Janeiro ou Ă San Paolo, câest autre chose. Mais en France, non ! Donc câest vraiment une rencontre avec le RĂ©el. Ils ont pris une balle : ça câest la rencontre avec le RĂ©el !
La question ensuite, câest comment cette rencontre avec le RĂ©el, que Lacan appelle la TuchĂ© avec Aristoten peut sâarticuler Ă la chaĂźne signifiante, câest-Ă -dire Ă du Symbolique ou Ă du discours, on pourrait dire. Comment ce RĂ©el Ă©vĂ©nementiel peut trouver Ă se symboliser Ă travers un discours ? Comment la rencontre entre le RĂ©el et le Symbolique peut se faire.
Et Lacan, justement dans ce SĂ©minaire, parle du RĂ©el comme traumatisme, le RĂ©el comme trauma. Alors, ce qui fait traumatisme pour Lacan, est justement le non-rapport possible, câest-Ă -dire lâimpossible rapport entre cette rencontre avec le RĂ©el et un discours, câest-Ă -dire lâimpossible raccordement entre RĂ©el et Symbolique. Câest ça ce qui fait trauma. Câest-Ă -dire, câest la rencontre ratĂ©e qui fait trauma. Comme on lâa dit jusquâĂ prĂ©sent, câest un excĂšs pulsionnel qui nâarrive pas Ă sâarticuler Ă une reprĂ©sentation inconsciente, un signifiant ou une trace dans lâinconscient. Vous voyez il y a quelque chose, il y a un ratage, il y a un ratage entre le RĂ©el et le Symbolique et câest ce ratage qui va constituer le traumatisme.
Etudiant : Excusez-moi, est-ce quâon peut ramener ça au niveau du nĆud borromĂ©en et le schĂ©matiser dans le sens que le rond du RĂ©el prend complĂštement la consistance de lâImaginaire, il sâempare de tout lâImaginaire ? Câest comme si le corps tombait dans le trou du RĂ©el, câest ça ?
Dr. Hoffmann : Exactement, exactement ! Câest-Ă -dire vous savez que dans ses derniers sĂ©minaires, Lacan met le RĂ©el et lâImaginaire en continuitĂ© dâailleurs, dâune certaine façon. Alors jusquâoĂč va cette continuitĂ©, câest une question aussi.
Mais on voit bien â et câest une chose qui mâintĂ©resse beaucoup, je vais vous en parler aussi par rapport Ă la cure de sujets nĂ©vrotiques â la question chez Lacan câest : quelle est la mĂ©thode analytique qui nous permet de faire passer le RĂ©el sur le Symbolique, vous voyez ? Le RĂ©el articulĂ© Ă lâImaginaire comme vous lâavez dit ; quâest-ce qui nous permet de faire passer le RĂ©el sur le Symbolique, parce que la plupart du temps, câest le Symbolique qui vient sur le RĂ©el ? Autrement dit, câest par le Symbolique quâon se dĂ©fend du RĂ©el, nâest-ce pas ? Alors que lorsquâil y a effraction au lieu que le Symbolique soit sur le RĂ©el et lâarticule dâune certaine façon, le traumatisme, câest lâeffraction : câest lorsque le Symbolique et le RĂ©el nâarrivent plus Ă se rencontrer et que le sujet reste dans un RĂ©el qui, sâil ne sâarticule pas Ă une trace inconsciente, nâarrive pas Ă ĂȘtre incorporĂ© ? reste extĂ©rieur. DâoĂč le traumatisme, vous voyez, et dâoĂč, en poussant mĂȘme la chose un peu, la pertinence de pouvoir parler dâune psychose traumatique, parce que ça reste dans le RĂ©el extĂ©rieur. Il y a une difficultĂ© Ă intĂ©rioriser la chose.
Etudiante : Excusez-moi, jâavais presque que la mĂȘme question que YounĂšs, mais pas tout Ă fait parce que moi je pensais justement que lâImaginaire Ă©tait dĂ©bordant en fait. Je mâinterrogeais : il nây avait plus de bords en fait. Et du coup, on arrivait Ă avoir une vie cauchemardesque par des dĂ©lires permanents. Est-ce possible ça ?
Dr. Hoffmann : Oui, Oui, mais le plus souvent dans le traumatisme, dans la nĂ©vrose, mĂȘme sans parler de nĂ©vrose, le traumatisme, les personnes sont plutĂŽt perplexes, vous voyez. Elles sont sous lâeffet dâun retour cauchemardesque, ne serait-ce que la nuit, de la scĂšne traumatique, sans que cette scĂšne traumatique ne trouve aucun changement. La scĂšne traumatique se rĂ©pĂšte comme aux premiers jours, vous voyez ? Donc, câest comme si la scĂšne traumatique Ă©tait un noyau dur, isolĂ©, et sans extension possible dans le psychisme, comme si câĂ©tait un corps Ă©tranger.
Etudiante : Oui, mais je pensais que du coup, cela venait contaminer lâImaginaire et tout, en rĂ©alitĂ©, ce quâon faisait. Jâavais un exemple : on Ă©tait au Carnaval, et il y avait quelquâun qui avait subi les attentats du Bataclan ; il a entendu « boum-boum » et Ă©videmment, il nâa mĂȘme plus contextualisĂ© quâil nâĂ©tait plus Ă Paris, quâil en Ă©tait Ă 8 000 km et que ce nâĂ©tait pas possible quâil..., et câest en cela que je voulais dire lâImaginaire ; [âŠ] cela vient envahir tout le temps dans de lâImaginaire...
Dr. Hoffmann : Exactement. LĂ non plus, ce nâest pas lâun sans lâautre. Câest-Ă -dire que la personne traumatisĂ©e est dâabord dans une perplexitĂ©, comme dans ce que Freud Ă©crit dans LâinquiĂ©tante Ă©trangetĂ© : la personne est dans une inquiĂ©tante Ă©trangetĂ© et ne peut plus bouger, ne peut plus sortir mĂȘme. Jâen ai vu quelques-unes comme cela. Toute la question, comme le dira Lacan Ă la fin de son enseignementâŠ
Parce que câest quelque chose que lâon trouve chez les sujets traumatisĂ©s mais aussi chez les migrants, des migrants qui ont subi des tonnes de traumatismes, qui sont toujours dans le mĂȘme rĂ©cit. On a lâimpression que cela nâavance pas depuis des annĂ©es, ils vous font le mĂȘme rĂ©cit de toutes les barbaries qui leur sont arrivĂ©es.
Et ce rĂ©cit ne sâenrichit pas justement, comme vous le dites, dâun Imaginaire. Il ne sâenrichit pas du fait mĂȘme quâil reste enkystĂ© ? Le problĂšme qui se pose au niveau thĂ©rapeutique prĂ©cisĂ©ment â et câest notre boulot, au niveau psychothĂ©rapeutique je dirais mĂȘme â, câest dâarriver Ă ce que ce corps Ă©tranger quâest le trauma dans lâappareil psychique puisse se mettre Ă produire des symptĂŽmes.
Lacan a ce trĂšs beau jeu de mots, il parle alors de « symp-traumatisĂ© », de « symp-traumatisĂ© », câest Ă dire que le traumatisme devienne productif. Et lorsque nous arrivons, au niveau thĂ©rapeutique, Ă aider quelquâun Ă ce que le traumatisme puisse devenir productif, quâon puisse avoir ces dĂ©bordements imaginaires comme vous le dites, la personne est dĂ©jĂ tirĂ©e dâaffaire lorsquâelle arrive Ă avoir de nouveau une reprĂ©sentation du monde quelle quâelle soit. Câest-Ă -dire Ă mettre du sens, mĂȘme si câest dĂ©bordant.
Alors que le traumatisĂ© qui se retrouve seul avec son trauma, il ne trouve pas de sens au trauma. Le trauma ne fait pas sens, surtout au Bataclan. Il ne faisait pas sens parce que la personne nâĂ©tait pas visĂ©e en tant que personne.
Mais, câest la grande question thĂ©rapeutique : comment quelquâun â cela nous intĂ©resse sur notre question de la mĂ©thode âqui est enkystĂ© dans une problĂ©matique traumatique, comment lâaider Ă pouvoir faire quelque chose de productif de cet enkystement psychique.
Câest presque un travail â pour donner quelques mĂ©taphores âpresquâun travail de rĂ©animation psychique. Câest quelque chose que Jean Oury, le pĂšre de la psychothĂ©rapie psychanalytique â de la clinique de La Borde â disait par rapport au travail psychothĂ©rapeutique avec des psychotiques, qui sont aussi dans une espĂšce de mort psychique : comment rĂ©ussir Ă rĂ©animer, Ă rĂ©insuffler de la vie lĂ oĂč il y a de la mort, psychique ? Et ça, câest notre travail, câest vrai ; la psychothĂ©rapie, souvent câest ça.
Etudiante : Excusez-moi, Dr Hoffmann, est-ce que ça peut ĂȘtre aussi lâĂ©criture ? Je pensais au Bataclan, Ă ce journaliste qui avait fait cet article, puis il a fait des livres, qui disaient « Vous nâaurez pas ma haine », est-ce que ça peut ĂȘtre ça aussi ?
Dr. Hoffmann : Oui, exactement.
Ătudiante : Ăa peut passer par autre chose que de la psychothĂ©rapie ?
Dr. Hoffmann : Exactement, exactement, on peut trĂšs bien penser â câest une trĂšs bonne question, je vous remercie â que le sujet traumatisĂ©, sâil ne trouve pas Ă articuler son rĂ©el traumatique avec quelque chose dâendo-psychique, ou de trace endo-psychique on pourrait dire, va mettre des traces sur une feuille blanche, pour justement scĂ©nariser le traumatisme, je dirais. Exactement, vous avez raison, câest une solution symptomatique du trauma. Tout Ă fait.
Ătudiante : Merci beaucoup.
Dr. Hoffmann : Ou alors ces filles dont je vous parlais, ces jeunes femmes qui ont fait des films : lĂ il y a une solution par lâImaginaire, de faire un scĂ©nario justement pour trouver une rencontre entre ce quâil leur est arrivĂ© dans le rĂ©el et une fiction. Câest-Ă -dire que ça devient productif de nouveau, et lâinconscient se remet en route et produit.
Ătudiante : Merci Docteur.
Autre Ă©tudiant : Câest en quelque sorte gĂ©nĂ©rer du symptĂŽme, câest-Ă -dire, dans le nĆud borromĂ©en, en faisant rentrer le cercle, le rond du Symbolique, on gĂ©nĂšre du symptĂŽme qui disparaĂźt quand le rond du RĂ©el sâempare entiĂšrement, au moment du traumatisme, du rond de lâImaginaire ?
Dr. Hoffmann : Oui, oui, oui, tout Ă fait. Câest-Ă -dire faire en sorte que â vous savez, on en viendra Ă parler de cela aussi -, dans les derniers sĂ©minaires de Lacan, Lacan montre trĂšs bien, et notamment par rapport au corps, quâil y a le RĂ©el et lâinconscient ; et le RĂ©el et lâinconscient ne se recouvrent pas forcĂ©ment, ou pas, ou juste partiellement.
Toute la question va ĂȘtre ce qui de nos symptĂŽmes est pris en charge ou pas par lâinconscient. Tout nâest pas pris en charge par lâinconscient. Nous pouvons avoir une maladie, qui fait partie de ce que Lacan dit le RĂ©el du corps qui se jouit, jusquâĂ la mort mĂȘme, de la maladie, sans que lâinconscient ne prenne en charge quelque chose de lâordre de cette maladie. Câest vrai et cela montre une limite de lâinterprĂ©tation du fait mĂȘme quâil y a des situations dans la vie oĂč on nâest pas du cĂŽtĂ© de lâinconscient, on est du cĂŽtĂ© du RĂ©el.
Et le fait que lâon aide un patient Ă ce que quelque chose du RĂ©el dans lequel il est empĂȘtrĂ© puisse ĂȘtre pris en charge par lâinconscient via le Symbolique : câest lĂ quâintervient le Symbolique, et que se fasse un nouage ou un ratage de sa rĂ©alitĂ© psychique ou de sa subjectivitĂ© : câest ça le thĂ©rapeutique.
Vous voyez bien quâon parle prĂ©cisĂ©ment du Symbolique. Lacan dĂ©finira la pulsion dans son Joyce, dans son sĂ©minaire sur le Sinthome, je trouve que câest une trĂšs bonne dĂ©finition de la pulsion : « la pulsion, câest ce qui du signifiant fait Ă©cho dans le corps », câest-Ă -dire que câest ce qui nous fait vibrer. Lorsque nous allons Ă un concert ou voir un opĂ©ra, il y a quelque chose de la musique qui nous fait vibrer, qui anime notre corps. Pourquoi ? Parce quâil y a quelque chose de ce que nous entendons, que ce soit dans le discours thĂ©Ăątral ou autre ou dans la musique qui rĂ©veille une trace inconsciente qui nous affecte. La question, câest de voir en quoi ce que lâon... Jean Oury disait : « Il faut trouver la petite braise dans le tas de cendres et souffler dessus, pour que la vie reprenne ». Câest-Ă -dire comment, au niveau thĂ©rapeutique, nous pouvons nous dĂ©brouiller pour que le corps pulsionnel se rĂ©veille. Eh bien, il se rĂ©veille justement par le fait que nous arrivons Ă faire vibrer Ă notre insu â on ne sait pas comment â une trace inconsciente. Sâil nây a pas de trace inconsciente, câest la forclusion, comme vous le savez, et câest le RĂ©el. Mais pas forcĂ©ment uniquement dans la psychose, Lacan dira Ă la fin que ça peut arriver pour dâautres situations. Et ça nous met en difficultĂ© par rapport Ă tout ce qui est psychosomatique et somatique, qui peut Ă©chapper Ă lâattention.
Ătudiant : Est-ce que ça a un rapport avec ce que lâon avait vu dans un cours avec Mme Rondepierre sur les Ă©tats post-traumatiques, sur lâexpĂ©rience des victimes du Bataclan, que lâintervention devait se faire rapidement aprĂšs le trauma, câest-Ă -dire, juste aprĂšs lâaccident. Est-ce que vous justifiez cela par le fait que lâintervention doit se faire rapidement pour quâil nây ait pas cette coupure, faire intervenir rapidement le Symbolique pour Ă©viter quâil ne se creuse quelque chose oĂč il est difficile de ramener la personne, de la sortir de ce trou-lĂ ?
Dr. Hoffmann : Oui, oui, oui, tout Ă fait. Câest Ă dire par rapport Ă ce quâon a dit avant, ça touche Ă la dĂ©tresse cela. Lâeffraction crĂ©e la dĂ©tresse humaine comme chez le nourrisson. Câest ce que Freud a repris chez Rank du trauma de la naissance. Il nâa pas balayĂ© ça comme ça le trauma de la naissance de Rank. Il le discute trĂšs soigneusement. On le verra aux JournĂ©es dâhiver de lâALI, je travaille lĂ -dessus actuellement⊠Jâai perdu le fil, vous disiez que⊠?, excusez-moi.
Ătudiant : Sur la rapiditĂ© de lâintervention.
Dr. Hoffmann : Oui, voilĂ , câest cela que je voulais dire, excusez-moi : les victimes du Bataclan disaient quâils ont trouvĂ© leur premier apaisement et leur premiĂšre rĂ©humanisation aprĂšs cette catastrophe â ce nâest pas la peine de la dĂ©crire, pendant des heures dans ce cauchemar et cette barbarie â, la premiĂšre rĂ©humanisation, le premier sentiment de rĂ©humanisation sâest produit Ă lâarrivĂ©e Ă lâhĂŽpital. Le personnel Ă©tait dâune grande gentillesse, dâune grande humanitĂ©, et câest ça qui les a rassurĂ©s par rapport Ă leur dĂ©tresse, oĂč ils ont attendu des heures la personne secourable, Ă savoir le mĂ©decin, les pompiers, les flics etc. Ăa, ça joue !
Ensuite, ensuite, il faut du discours â et câest ce qui manque, et câest ce qui fait la clinique aussi contemporaine â [un discours] un peu quand mĂȘme consistant pour que le sujet puisse accrocher son RĂ©el traumatique Ă un discours.
Moi, jâai entendu des victimes du Bataclan me dire : « Mais, rien ne fait sens ! Rienne fait sens. Notre prĂ©sident a dit : â Nous sommes en guerre â, mais pour moi, ça ne me parle pas ». Câest-Ă -dire il nây avait pas de discours politique, pas de discours social, pas de discours sanitaire, de discours de la citĂ© tout simplement qui leur permette de sây accrocher au bord â je pense que la clinique borromĂ©enne est une clinique de bords â. Il nây avait pas un bord auquel sâaccrocher pour trouver un sens Ă ce foutu RĂ©el qui fait quâils ont pris une balle, ou plusieurs mĂȘme ! Et ça, ça fait partie de la clinique contemporaine.
Si vous faites la comparaison avec un soldat traumatisĂ© parce quâil sâest fait arracher une jambe en sautant sur une mine, il est dans la mĂȘme situation, on pourrait dire, sauf quâil y a un discours de la guerre oĂč il devient un hĂ©ros de la guerre, on lui accroche une mĂ©daille, ça ne lui rendra pas sa jambe mutilĂ©e, ou dâautres mutilations, mais il bĂ©nĂ©ficie dâune reconnaissance par un discours politique et social, et ça change tout, ça change tout. Vous savez bien que les personnes traumatisĂ©es, la premiĂšre chose quâelles demandent, câest la reconnaissance du trauma quâon leur a infligĂ© ou qui leur est arrivĂ©, par hasard. Et dans notre monde contemporain, câest un peu aussi cette dĂ©faillance symbolique du discours, je dirais politique, social et autre, qui manque Ă ces sujets pour pouvoir rendre leur traumatisme productif dĂ©jĂ sur le plan psychique par la production de symptĂŽmes, par la production de sublimation etc.
Etudiante : Et sâil nây avait pas eu de prise en charge, câest une question. Câest parce que câest un Ă©piphĂ©nomĂšne que câest encore plus un trauma ? Parce que la guerre, Ă©videmment, les gens ne sont pas pris forcĂ©ment en charge. Quâest-ce quâil serait devenu, ou peut-ĂȘtre on ne sait pas, mais le traumatisme sans ĂȘtre pris en charge par un soin psychique quand il est violent ? comme cela comme au Bataclan oĂč il nây a mĂȘme pas de prĂ©paration de « On est en guerre », quâest-ce que la personne â câest au cas par cas, on est dâaccord â mais est-ce que vous pensez que lâĂȘtre humain est incapable de se rĂ©parer tout seul ?
Dr. Hoffmann : Ăcoutez, dans la pulsion, je vous le montrerai, Lacan dit dans le SĂ©minaire XI, il y a le quatriĂšme temps de la boucle pulsionnelle : il faut, dit-il, quâil y ait un autre qui entre dans la boucle pulsionnelle pour que la pulsion puisse se satisfaire, et cet « autre », il lâappelle « lâautre social », il dit : un nouveau sujet mĂȘme. Il dit que sans ce quatriĂšme temps, le dernier temps de la boucle pulsionnelle, la pulsion ne peut pas satisfaire lâexcitation.
Ăa veut dire quoi ? Je vous donne un exemple clinique.
Quelquâun qui se sent comme cela pris dans lâeffroi de sa propre structure, si je puis dire, et, pour trouver de lâaide pendant les vacances, tĂ©lĂ©phone Ă toutes les personnes de son rĂ©pertoire et personne ne rĂ©pond, au petit matin, passage Ă lâacte suicidaire. Vous voyez, sâil avait trouvĂ© quelquâun qui lui rĂ©ponde et qui rentre dans sa boucle pulsionnelle, ça se serait peut-ĂȘtre passĂ© autrement. On a besoin de lâautre pour quâil rentre dans votre boucle pulsionnelle pour que la dĂ©tressedu trop dâexcitation puisse ĂȘtre satisfaite. Et, je trouve que cliniquement, câest impeccable. Vous le savez bien, que, si vous ĂȘtes exaltĂ©, vous avez quelque chose Ă dire, si vous ne trouvez personne au bout du fil, ça va monter, ça va monter, ça va monter, et aprĂšs vous allez exploser comme on dit ! [rire]
Ătudiante : Merci beaucoup !
Etudiant : Est-ce que la reconnaissance, la demande de reconnaissance que réclame le sujet traumatisé, doit passer aussi par le discours juridique ?
Dr. Hoffmann : Ah oui, oui, oui ! Il faut quâelle passe par un discours, disons voire politique, social et je dirais aussi juridique. Le droit est un discours effectivement. Et je crois que si le droit est administrĂ© par un discours de reconnaissance et de rĂ©paration, ça a un effet tout Ă fait bĂ©nĂ©fique, tout Ă fait bĂ©nĂ©fique. Mais vous voyez, il faut que ce soit un discours. Il faut que cela soit soutenu par un discours. Je me souviens que ces personnes dont je suis occupĂ©, disaient : « Bon, lâEtat prend tout en charge, tout est pris en charge », mais il nây avait pas de discours. Et personne nâest venu les voir, pour discuter avec eux 5 mn, 10 mn, 20 mn, ça suffit. Vous savez dans ces cas-lĂ , moi, je suis trĂšs minimaliste dans la clinique, un petit coup de fil ça suffit parfois. Câest comme une personne psychotique, elle vous tĂ©lĂ©phone Ă minuit, le simple fait que vous dĂ©crochiez, que vous soyez lĂ , quâil y ait « de lâautre », ça peut calmer le jeu, et Ă©viter le pire parfois.
Etudiante : Oui, parce que ceux qui se disent dans le silence, ne sont pas nĂ©cessairement dans le silence. Je suis en train de rĂ©flĂ©chir Ă certaines personnes autour de moi, qui sont trĂšs silencieuses de ce quâil leur est arrivĂ© enfant ou jeune ou mĂȘme en tant que femme, et elles sont restĂ©es dans un silence quand mĂȘme Ă ces moments-lĂ , mais peut-ĂȘtre pas tant que ça, peut-ĂȘtre quâelles ont trouvĂ© une autre façon de parler indirectement.
Dr. Hoffmann : Oui, il arrive un moment oĂč ça sort ! Câest ça qui est intĂ©ressant. Posez-vous la question, quâest-ce qui fait quâune femme par exemple, Ă lâĂąge adulte, regardant la tĂ©lĂ© sur des questions de maltraitance sexuelle infantile, dâun seul coup, Ă 21 ans, elle sâeffondre psychiquement et elle se met Ă parler de ce qui lui est arrivĂ©. Quinze ans aprĂšs parfois, parfois plus. Moi, jâai vu des vieilles personnes, des personnes vieillissantes, de trĂšs vieilles personnes, entrant dans lâAlzheimer et câest lĂ quâelles ont commencĂ© Ă parler de ce quâil leur Ă©tait arrivĂ©.
Etudiante : Ils étaient triggés, il y avait un trigger, ils étaient déclenchés, le fait de voir par exemple à la télé quelque chose qui... quelquefois ça...
Dr. Hoffmann : Oui, oui, il faut un discours pour amorcer un mouvement, pour amorcer le mouvement, vous voyez pour rĂ©veiller lâinconscient et faire bouger le refoulement, ou la censure sur la chose.
[âŠ]
Dr. Hoffmann : Donc, on est bien dâaccord. [âŠ] En fait, comme souvent chez Lacan, dans la TuchĂ©, dans la rencontre du RĂ©el, le RĂ©el apparaĂźt dans le ratage de la rencontre, justement, câest dâailleurs aussi dâun ratage quâil sâagit dans ce que Lacan a nommĂ© le non-rapport sexuel, lâimpossibilitĂ© de faire « un » dans le rapport entre les deux partenaires du couple. Pourquoi Lacan dit-il : il nây a pas de rapport sexu,el ? parce que, comme il le dit, on nâa jamais vu deux ĂȘtres humains former « un », il y a une impossibilitĂ©. Et, Freud en parlait dĂ©jĂ dans Le malaise dans la culture/ la civilisation. Il disait quâil y a peut-ĂȘtre quelque chose dans la fonction sexuelle humaine qui ne permet pas lâobtention de la satisfaction escomptĂ©e. Câest dĂ©jĂ dit chez Freud. Et câest dans le ratage de la reprĂ©sentation du RĂ©el par le discours que Lacan situe le traumatisme, ce qui fait du trauma lâexpĂ©rience subjective dâun RĂ©el inassimilable par le Symbolique.
Ce RĂ©el va du trauma au fantasme, en tant que le fantasme est une lecture du RĂ©el. Lacan dĂ©finit le fantasme comme la fenĂȘtre sur le RĂ©el. Câest-Ă -dire quâil dit trĂšs clairement, dans le sĂ©minaire LâAngoisse, il dit : « Le sujet voit le RĂ©el Ă travers la fenĂȘtre de son fantasme ». Vous voyez, lĂ aussi, on peut considĂ©rer quand mĂȘme que la mort est un RĂ©el absolu. Câest pourquoi on dit que la mort est sans pourquoi, et que cela nâa pas de sens. Mais la mort, on ne meurt quâune seule fois, donc dans lâinconscient, il nây a pas de trace de la mort, parce que la mort on ne lâa jamais vĂ©cue, tout simplement, comme lâa dit Freud dans Inhibition, SymptĂŽme et Angoisse.
Donc vous voyez, le rapport entre trauma par une prise dans le RĂ©el qui ne sâaccroche pas Ă une reprĂ©sentation symbolique, et le fantasme, câest que justement, si vous avez quelquâun â comme ça mâest arrivĂ©, une patiente â qui perd son ami le plus cher, son mari quâelle aimait, et elle pleure : le mari nâest pas enterrĂ© encore, elle pleure Ă chaudes larmes, elle pleure toutes les larmes de son corps. Je lui ai simplement demandĂ©, tout en respectant son deuil, le dĂ©but de son deuil, je lui ai dit : « Mais, quâest-ce qui vous fait cette peine ? », et elle me dit : « Il mâa abandonnĂ©e, il mâa abandonnĂ©e ». Vous voyez, câest ça le fantasme. Le fantasme câest quâelle fait une lecture du RĂ©el, Ă travers la fenĂȘtre de son fantasme dâabandon. Lâautre, son mari, est mort. Il nâa rien demandĂ© lui, il avait rendez-vous avec la mort. Il nâa rien demandĂ© Ă personne. Il est tombĂ©, il Ă©tait mort. Et, sa femme, qui lui survit, elle vit ce RĂ©el hors sens, vraiment un RĂ©el en tant que hors sens, elle le vit dans son fantasme dâabandon : « Il mâa abandonnĂ©e ». Câest-Ă -dire que lâinconscient du nĂ©vrosĂ© est toujours prĂȘt Ă absorber ce RĂ©el, sâil nâest pas trop excessif, pour lui donner un sens, un sens qui est celui du fantasme justement : cette femme Ă©tait du cĂŽtĂ© de lâabandon, comme souvent â qui nâa pas de fantasme dâabandon, dâailleurs ? â et jusque que dans la mort, elle pleurait â et câest comme cela que je lâai entendu dâailleurs â, dans son fantasme dâabandon la mort de son mari, son ĂȘtre le plus cher au monde !
Etudiante : Excusez-moi, moi je le vois du cĂŽtĂ© dâune blessure quâelle a dĂ» vivre en tant quâenfant plutĂŽt que du cĂŽtĂ© fantasme. Jâai du mal, je nâarrive pas Ă comprendre comment vous pouvez lier cela Ă un fantasme, je le vois plutĂŽt comme un⊠lĂ elle Ă©tait peinĂ©e, elle avait perdu son mari, et elle sâest sentie abandonnĂ©e et peut-ĂȘtre, elle est blessĂ©e.
Dr. Hoffmann : Oui, oui, oui. Bien sĂ»r quâelle est blessĂ©e, bien sĂ»r, câest une blessure importante, narcissique et Symbolique, comme on dit, une blessure extrĂȘme mĂȘme, mais ce que je veux simplement souligner et ce que la psychanalyse permet de souligner, dans ce cas de figure qui nous intĂ©resse lĂ maintenant, câest que le fantasme est capable de donner du sens, Ă un RĂ©el comme la mort qui nâen nâa pas en tant que tel. Le fantasme donne un sens Ă cette disparition en la vivant, en permettant de la vivre comme un abandon. Câest-Ă -dire que la souffrance mĂȘme de deuil de cette femme est vĂ©cue comme un abandon. Vous voyez ?
Etudiante : Oui, oui !
Dr. Hoffmann : Il mâa laissĂ©e seule, par exemple.
Vous voyez un peu comment je travaille.
Ătudiants : Merci, câest passionnant Dr. Hoffmann...
Dr. Hoffmann : Si ça vous convient, on continuera comme çà . Et, jâai beaucoup de plaisir si cela vous intĂ©resse Ă vous donner comme cela de lâexpĂ©rience clinique au fur et Ă mesure.
Etudiants : Parfait, avec grand plaisir, merci beaucoup, au revoir, bonne soirée !
Dr. Hoffmann : Au revoir, câest un plaisir pour moi.
Transcription : Claude Goffinet
Relecture : Sandrine Fraisse et Anne Videau