Aller au contenu principal

EPhEP, MTh4-ES13, le 17/02/2022

Dr Christian Hoffman La dernière fois, je vous ai parlé de Jung, élève de Freud – élève chéri de Freud, même, pendant tout un temps – portant sur les épaules l’héritage que Freud voulait lui remettre. Et finalement ça a clashé. Aujourd’hui, je vais vous parler d’un autre élève de Freud, qui était très inventif aussi, et notamment sur la méthode et la technique : Ferenczi. Ils sont venus à peu près à la même époque à la rencontre de Freud et c’étaient ses premiers élèves, que Freud affectionnait particulièrement.

Je vais commencer par Ferenczi, puis je vous parlerai d’un élève de Ferenczi, Balint : il est très connu, et lui-même a poursuivi les élaborations techniques de la technique active de Ferenczi. Ensuite, nous aurons le temps de la discussion.

Pour, donc, présenter Ferenczi : Ferenczi a rencontré Jung en Suisse, toujours dans cette fameuse clinique du Burghölzli, en 1907. Puis en février 1908, il écrit directement à Freud. Il va lui rendre visite et, comme l’histoire le raconte, il y a un coup de foudre – vraiment, on parle de coup de foudre – entre Ferenczi et Jung. Ferenczi venait de Budapest où il a passé toute sa vie. C’était un Hongrois que Freud affectionnait particulièrement comme un élève. Il était très enthousiaste. Et ils voyagent, ils font le voyage en Amérique, le fameux voyage en Amérique de Freud avec Jung et Ferenczi. Donc, vous voyez, ils étaient quand même très, très proches. Et, pour vous esquisser un peu sa contribution à la psychanalyse, parce qu’il a fait de vraies contributions à la psychanalyse, ce Ferenczi… : il est très connu pour ses travaux sur le trauma, on ne peut pas parler du traumatisme…

Il y a toute une littérature que vous trouverez dans toutes les librairies sur Ferenczi et notamment sur le traumatisme. Quiconque travaille sur le traumatisme – aujourd’hui encore on parle du traumatisme post-attentats, et du traumatisme du XXIe siècle avec la pandémie maintenant, et toutes les catastrophes, la situation des migrants… Personne ne parle du trauma, je dirais, sans évoquer Ferenczi ; c’est un incontournable sur cette question-là, le trauma

’Dautre part, Frenczi est très connu aussi pour ses travaux sur l’introjection. C’est lui qui a amené à Freud le concept d’introjection. C’est-à-dire la capacité du nourrisson, déjà, d’introjecter, c’est-à-dire de faire passer quelque chose du monde extérieur dans son intériorité et de constituer son intériorité de cette façon-là. On parle d’introjection. L’introjection, c’est un concept important parce que – comment dire ? –, c’est par introjection que nous nous constituons, de l’extérieur vers l’intérieur, et que nous trouvons notre singularité.

Comme vous allez le voir, on en parlera la prochaine fois, à propos de la clinique de notre XXIe siècle marquée par beaucoup de personnes qui consultent et qui se disent vides... Elles se vivent comme vides, c’est-à-dire sans intériorité. Le concept d’introjection est là pour nous faire comprendre comment quelqu’un se construit, du monde extérieur vers le monde interne, une intériorité pour ne pas être vide dans l’existence, vous voyez. C’est un concept très important, très proche du concept d’incorporation. […]

Une petite remarque : c’est là qu’on voit l’intérêt de Lacan par rapport à toutes ces innovations, parce qu’il a mis un peu d’ordre, d’ordre conceptuel, c’était nécessaire, je crois. […] Qu’est-ce qu’on peut introjecter ? On ne va pas introjecter ni la maman ni le papa ; pourtant on a, à l’intérieur de nous-mêmes, une représentation de papa, maman, la bonne et moi, quoi. Donc cela veut bien dire que, si le papa, la maman et le monde extérieur existent pour nous, nous l’avons incorporé et qu’est-ce qu’on peut incorporer si ce n’est du signifiant ? On ne peut incorporer que du signifiant. En s’identifiant à un signifiant. Vous voyez ? C’est clair, n’est-ce pas ? Si je peux dire : « Je rêve de la mer ou de l’océan »..., « Je rêve de l’océan », cela veut dire que j’ai à l’intérieur de moi-même une représentation de l’océan qui me vient du signifiant « océan » que j’ai introjecté.

Cela donc pour présenter Ferenczi.

Ce qui nous intéresse, nous, dans le cadre toujours de notre enseignement sur les méthodes, ce sont davantage les innovations dans la méthode ou les contributions innovantes à la méthode thérapeutique, à la méthode analytique. On a vu les tentatives de Jung, là on va voir ce que Ferenczi a essayé comme nouvelle technique, ce qu’on appelle la technique active de Ferenczi, qu’il a inventée pour résoudre certains problèmes, certaines difficultés que pouvait rencontrer la méthode freudienne, vous voyez ? Donc il a fait une vraie contribution avec ses innovations méthodologiques, on pourrait dire.

Je vais vous développer cela. Tranquillement.

C’est en 1919 que Ferenczi commence à modifier sa technique, en découvrant des difficultés rencontrées dans un certain nombre d’analyses. La question chez Ferenczi contrairement à Jung dont vous vous souvenez qu’il s’opposait à certains points de la doctrine psychanalytique de Freud…, Ferenczi, lui, est un clinicien, un médecin clinicien, qui essaie de résoudre des difficultés qu’il rencontre dans le traitement analytique de ses patients. C’est tout à fait un autre point de départ, vous voyez. Et les difficultés, il les rencontre tout particulièrement avec des sujets qu’on dit hystériques.

Il est vrai que Ferenczi est d’abord médecin, avant d’être théoricien : il a toujours cherché des moyens techniques pour soigner les patients réfractaires... Vous voyez c’est important : déjà en 1918-1919, on avait des patients réfractaires à la technique psychanalytique classique définie par Freud, qui n’était pas efficace pour les aider. C’est un constat. Ceci, après avoir remarqué que les sujets hystériques se procuraient toutes sortes de satisfactions érotiques pendant la cure et s’installaient dans ces satisfactions, ce qui fait que l’analyse n’avançait plus. La première difficulté notée par Ferenczi est que les patients plutôt hystériques trouvaient sur le divan, on pourrait dire, des satisfactions érotiques dans lesquelles ils se maintenaient et la cure n’avançait plus. C’est-à-dire qu’ils se contentaient de ce qu’ils trouvaient comme satisfaction de cette façon-là, de ce qu’ils trouvaient comme bénéfice secondaire, on pourrait dire comme on l’a déjà évoqué, par rapport à leurs difficultés psychiques.

Alors, on dirait en termes lacaniens que le patient trouve des jouissances dans son travail analytique, sur le divan, et va sur le divan et continue son analyse plutôt pour satisfaire ces jouissances que pour faire un travail, poursuivre un travail analytique qui devrait l’amener vers la découverte de quelque nouvelle vérité de son existence. Cela veut dire que la jouissance est un frein à la cure ; et donc aussi que c’est quelque chose que le thérapeute a à essayer d’éviter, que le patient se complaise dans la cure et de sa cure plutôt que d’y travailler pour avancer. J’’ai là pensé à une chose que disait [Françoise] Dolto. Elle disait qu’on ne peut pas mettre des enfants, voire des pré-adolescents et peut-être même des adolescents, sur le divan, parce que – tenez-vous bien ! –sur le divan ils se masturbent… Ils ne se masturbent pas ouvertement mais ils trouvent une jouissance masturbatoire en étant sur le divan, ce qui est un frein à la psychothérapie. Je veux bien le croire, cela, je veux bien le croire.

Donc, le premier frein à la méthode freudienne, c’est la complaisance d’une satisfaction pulsionnelle, que Lacan appelle ‘jouissance’ et qui bloque la cure.

La deuxième difficulté que Ferenczi a relevée, c’est l’existence d’un transfert amoureux. D’un transfert amoureux qui, lui aussi, peut verrouiller la situation : c’est-à-dire que le patient ou la patiente peut aller à ses séances pour satisfaire son transfert amoureux plutôt que de continuer son travail d’élaboration thérapeutique et analytique. Je dirais d’ailleurs, d’expérience, que s’il n’y a pas ce qu’on appelle un transfert négatif à un moment donné dans la cure, où le patient manifeste son agressivité, manifeste son désaccord avec l’analyste, manifeste, comme le disait Freud, sa pulsion de destructivité et de mort, pouvant menacer la cure, la poursuite de la cure, si l’analyste reste..., enfin si l’analysant reste dans un transfert amoureux sans basculer par moment dans un transfert négatif, il n’y a pas d’analyse. Il y a la satisfaction… Le sujet peut préférer faire une analyse parce qu’il trouve dans l’analyse une satisfaction, c’est-à-dire une jouissance, soit par le transfert amoureux, soit par la pulsion qu’il arrive à satisfaire à travers la situation analytique.

On peut prendre, quelqu’un l’a demandé, des exemples. On peut penser que quelqu’un peut mener une analyse assez longue simplement pour trouver pendant ses séances la satisfaction de la pulsion d’être sous le regard de son analyste. C’est ça la jouissance que vous trouvez dans l’analyse. Ou alors on peut trouver à nourrir un amour imaginaire dans le transfert qui le satisfait et qui lui permet de cette façon-là de fonctionner dans la réalité.

Pour vous donner un exemple qui est un peu à la limite de ce que je viens de dire, on dit souvent : « Il y a une différence entre payer pour une analyse, ou une thérapie, et faire une thérapie pour payer ».

C’est la même dialectique : il y a des personnes qui font une analyse ou une thérapie pour payer ; et vous voyez bien qu’ils satisfont, qu’il y a une jouissance dans l’affaire de payer plutôt que d’avancer dans sa thérapie. Et cela arrive très souvent et donne des analyses et des thérapies interminables, bien souvent, parce que ce qui se satisfait, c’est une pulsion. L’exemple le plus frappant est certainement celui-là : faire une analyse pour payer, c’est-à-dire parce que les gens ont quelque chose à payer, même s’ils ne savent même pas ce qu’ils ont à payer, mais ils satisfont cette pulsion de payer pour une dette dont ils ignorent ce qu’elle est plutôt que de payer pour faire une analyse.

Moi, je me souviens que, mon analyste, il n’était pas question de payer la séance avant de se mettre sur le divan : il n’acceptait jamais. C’était une façon de signifier qu’on paie une fois qu’on a fait un travail : on paie pour le travail qui a été fait et non pas pour le plaisir de payer. C’est ce que ça veut dire. Vous allez rencontrer des personnes comme ça. Parfois elles préfèrent payer plutôt que de se coltiner une vérité qui est refoulée dans leur souffrance.

Alors, Ferenczi élabore une mesure technique pour contourner ou pour traiter ces deux difficultés qui mettent en danger la cure. Il élabore une mesure technique qui permettrait de faire redémarrer l’analyse stagnante. Vous allez trouver ces difficultés de faire redémarrer un travail qui n’avance pas. Et Balint, son élève et son analysant, Michael Balint, celui qui a développé les fameux groupes Balint que l’on verra après, définit très bien la technique active de Ferenczi. Il dit : « Cette technique était fondée sur l’idée que le tarissement et la stérilité des associations d’idées sur le divan s’expliquaient souvent par un retrait de la libido du travail analytique au bénéfice de fantasmes inconscients et de satisfactions physiques, psychiques […] inconscientes ». Voyez, cela veut dire que dans la cure, à un moment donné, la libido ou le désir se retire de ce qu’on appelle le transfert de travail – parce qu’il y a un transfert de travail, un transfert qui met le patient au travail - et va se réfugier et nourrir des fantasmes inconscients et des jouissances inconscientes. C’est-à-dire que le sujet, l’être humain, préfère les jouissances plutôt que, on pourrait dire, la vérité qui le concerne, plutôt que sa propre vérité.

Naturellement ce déplacement était le résultat et le signe d’une crise dans la relation transférentielle. C’est-à-dire que lorsqu’il y a – et c’est important pour vous – un blocage de la cure qui risque parfois de mettre la cure en péril – notre boulot, qu’il soit psychothérapeutique ou analytique, consiste en grande partie à faire que la cure puisse se continuer et se terminer ; c’est-à-dire qu’il arrive des moments où il faut pouvoir sauver une cure quasiment et chaque fois que cette question se pose, il y a à chercher justement ce que le patient trouve comme gain de jouissance dans la cure au moment où la question se pose et à quelle difficulté transférentielle correspond ce refuge dans la jouissance. Donc s’il y a un problème dans la cure, il faut le chercher dans le transfert.

Et l’analyste avait naturellement pour tâche de découvrir sur quel terrain la libido avait été déplacée et de mobiliser celle-ci afin qu’elle redevienne disponible pour un travail fécond. C’est-à-dire comment faire pour que la libido, qui a foutu le camp du transfert de travail, revienne dans le transfert de travail. Cela suppose vraiment un acte de l’analyste pour ramener les choses qui foutent le camp vers les jouissances dans le transfert et pour continuer à les mettre au travail dans le transfert. C’est-à-dire que vous verrez qu’il y a beaucoup de choses qui risquent d’échapper au transfert, qui risquent de se dérouler dans la réalité et qu’il faut ramener dans le transfert. Et c’est un de nos boulots, justement, d’éviter de laisser les choses hors transfert parce que c’est là qu’il y a des passages à l’acte.

Je me souviens de Jean Clavreul qui était un analysant de Lacan, qui a beaucoup travaillé avec des patients psychotiques et pervers, […] me racontait l’histoire d’un patient pervers qui manifestement venait s’exhiber sexuellement devant la fenêtre de son cabinet où il y avait un parc ; il le voyait d’ailleurs s’exhiber avant la séance. Ou alors il me racontait – c’était à l’époque du VIH – qu’il avait des [patients] qui délibérément se mettaient en danger en ne se protégeant plus. Et comment il s’est débrouillé avec ça ? Il y a toujours la possibilité qu’il y ait des acting out, comme on dit, ou des passages à l’acte, c’est-à-dire des choses qui échappent au transfert comme celles-ci.

Comment ramener ces jouissances dans le transfert ? Lui me racontait que, par exemple, [au] patient qui s’exhibait, comme [au] patient qui se mettait en danger lui-même et d’autres en ne se protégeant pas à l’époque du VIH, il leur a dit : « Soit vous arrêtez ces comportements, soit j’arrête l’analyse ». Vous voyez : ça, c’est un acte analytique. Soit vous ramenez ce qui se passe dans vos comportements de jouissance dans l’analyse, soit j’arrête l’analyse. Et ç’a souvent l’effet justement de relancer le travail transférentiel. Mais sans un tel acte - c’est juste un exemple : il y en a d’autres – le transfert peut juste être un alibi de jouissance, comme on l’a vu avec Ferenczi et Balint, et complètement passer à côté de ce qu’on en attend, à savoir un effet thérapeutique.

Et c’est là, justement, dans les exemples que je vous ai donnés, qu’on pourrait [parler d’] interventions actives, comme les appelle Ferenczi. C’est-à-dire que l’analyste, que le thérapeute n’a pas à tout accepter, n’a pas à tout encourager non plus. Lorsque le thérapeute pense que son patient ou sa patiente est dans une impasse ou s’engouffre dans une impasse ou s’enferre dans une impasse, est-ce qu’il faut laisser faire en attendant des jours meilleurs ou est-ce qu’il faut essayer de sortir de là ? La réponse, c’est qu’il faut un acte qui le sorte de là. Tout n’est pas à encourager. Comme tout… Quelqu’un qui cherche un sens inconscient à une maladie somatique qui vient de lui arriver – il peut y avoir une participation de l’inconscient, mais pas que –, il n’y a pas à l’encourager à chercher le sens de quelque chose dans le réel du corps qui lui échappe complètement. Ce n’est plus du ressort de l’analyse, cela. C’est-à-dire qu’il y a des limites à la thérapie et à l’analyse, bien sûr.

Ces interventions actives de Ferenczi, c’est ce qu’on pourrait appeler… Certaines, on pourrait les appeler ce que Lacan appelait des actes analytiques : ce ne sont pas des interprétations, ce sont des actes. L’analyste pose un acte.

Moi, je me souviens de mon analyse, je peux en parler. J’arrivais souvent en retard aux séances et mon analyste me disait : « Ecoutez, si vous continuez comme ça, vous perdez et votre argent et votre analyse » et je vous assure qu’à partir de ce moment-là, j’étais à l’heure ! Rires Voyez, c’est ça ! c’est ça un peu… c’est ça qui nous montre ce que Ferenczi essaie de faire par rapport aux analyses qui se bloquent : il essaie de, comment dire, il essaie de remettre sur la bonne voie, sur le bon chemin, la poursuite de l’analyse en traitant la difficulté qui se présente dans le transfert.

Etudiante 1  Monsieur Hoffman, est-ce que c’est le bâton phallique ? Le fameux bâton phallique ?

[…]

Dr Christian Hoffman Le bâton ?

Etudiante 1 Le bâton phallique ?

Dr Christian Hoffman Je ne sais pas ce que c’est que le bâton phallique.

Etudiante 1 C’est le…, voyez le crocodile et on met le bâton dans sa bouche…

Dr Christian Hoffman : Oui, oui…

Etudiante 1 … pour ne pas dévorer l’enfant… […]

Dr Christian Hoffman Oui, oui. C’est une vieille image de Lacan, dans ses anciens séminaires.

Etudiante 1 Oui.

Dr Christian Hoffman Non, mais rassurez-vous : l’analyste ne donne pas un coup de bâton à son patient ! Rires Ce n’est pas comme dans les techniques zen et autres où le maître donne un coup. Mais il essaie en tout cas dans l’idée que vous venez de donner, oui, l’analyste essaie d’enrayer ce qui est en train de s’échapper. En ramenant…, on pourrait dire en termes lacaniens : en ramenant ce qui risque de s’échapper d’une jouissance dans le discours. Et le discours, il est effectivement dans la signification phallique. Effectivement, oui, oui. Je dirais les choses comme ça.

Etudiante 2 Monsieur Hoffman, je ne comprends pas l’exemple que vous avez donné de vos retards dans les séances. Est-ce que ce n’aurait pas pu être récupéré dans le transfert comme adressé à l’analyste ? Le retard comme adressé au grand Autre ?

Dr Christian Hoffman Oui ! En cherchant le sens, vous voulez dire ? En cherchant à analyser pourquoi il est en retard ?

Etudiante 3  Oui.

Dr Christian Hoffman Oui, oui. Non, mais vous avez raison. Je n’y avais même pas pensé, vous voyez. Vous avez raison mais c’est là qu’on voit que l’analyse ou la thérapie n’est pas qu’une question de sens, vous voyez ? Et du fait même que la recherche du sens ou le fait de mettre du sens – comme disent les psychologues – n’est pas forcément la bonne solution et peut parfois être une grande perte de temps. On peut traiter les choses autrement. Parce que, bon, être en retard, ça amène quoi ? Ça amène que l’autre attend et quand le patient est né prématurément, il a forcément la question « Est-ce que l’autre m’attend ? ». Tout ça, c’est bien beau mais est-ce que ça fait avancer le [schmilblick] ? Pas sûr. Mais vous avez raison. Vous avez raison. Si vous trouvez le moyen d’interpréter l’acte en question, c’est une autre façon de répondre. Mais il faut répondre ! Voilà, c’est ça : il ne faut pas laisser passer la chose. C’est ce qu’on retient. Tout à fait.

Etudiante 3  D’accord.

Dr Christian Hoffman L’analyste dans ces cas-là peut inviter le patient à…– cela, c’est Ferenczi qui le dit ! ne plus se livrer à l’habitude en question. Autrement dit : il lui demande de renoncer à la satisfaction détournée de ses désirs refoulés. C’est-à-dire qu’il lui demande de renoncer à ces jouissances qui encombrent le transfert. C’est ce qu’on a vu avec les exemples que je vous ai donnés aussi, du pervers dont je vous ai parlé. Ou, au contraire, il peut encourager le patient à en jouir ouvertement et librement. Ça, c’est plus étonnant. Je ne connais personne qui pratique cela, de donner… […] pour que l’analyse ait une chance de continuer, de donner libre cours à une jouissance pour sauver une analyse, ça, je ne l’ai jamais entendu. Ça, c’est du Ferenczi. Il faut le laisser à Ferenczi, cela. Et je n’ai même pas d’exemple de cette nature, vous voyez. Mais, s’il l’a dit, c’est qu’il pensait que c’était une solution… Vous verrez dans la conclusion comment je vais reprendre ces choses.

Etudiante 4 Si je puis me permettre… Je crois me souvenir d’un exemple. Alors, c’est une forme de jouissance particulière, c’était dans une phobie de vertige, si je me souviens bien, et il emmenait, il se coltinait la…, il mouillait sa chemise, il sortait avec la patiente et il l’emmenait sur un pont…

[…] Est-ce qu’on peut voir cet acte-là comme…, ce n’est pas laisser libre cours tout à fait, non plus…., aller jusqu’au bout quand-même… ?

Dr Christian Hoffman Oui, vous avez raison. Du coup, je pense à des choses que j’avais complètement refoulées et qui me reviennent aussi…

Vous savez, un analyste peut aller rendre visite à sa patiente ou son patient qui est hospitalisé et qui est… Moi, je suis allé visiter quelqu’un qui avait subi une greffe du foie par exemple […]. Je suis allé à l’hôpital pour voir la personne. Ou une personne qui avait une leucémie. J’ai fait des choses comme ça. C’est peut-être de cela qu’il s’agit, oui. Ou alors, récemment, un ami analyste a répondu à une jeune maman dont le garçon s’habille en fille pour aller à l’école. L’analyste a dit : « Mais, écoutez : achetez lui des habits de fille ! » Et ç’a eu son effet ! Dans le sens où le garçon, en grandissant, s’identifie au genre masculin maintenant. Mais il est passé par, comment dire, ce qu’on appelle une transition de genre à un moment donné. Mais le fait de laisser cette chose, de laisser ce jeu, parce que, chez les enfants, souvent, comme me l’ont dit des amis qui s’occupent de trans, pour 80 % des enfants, il s’agit d’un jeu… Je veux bien le croire, dans le sens où il n’y a que 20 % qui, en grandissant, donnent suite à une demande de transition hormonale et autre… Et d’autres qui se retrouvent plus ou moins bien dans leur genre de départ. Donc, le fait d’accepter, comme vous le dîtes, une jouissance et de ne pas demander au patient d’y renoncer, ç’a aussi son effet, c’est vrai. C’est vrai. Et en tout cas, ça ne casse pas la cure ! Dans ce sens-là, oui, vous m’éclairez. Je n’avais pas du tout pensé à cela.

Pour continuer : l’analyste espère ainsi, par son intervention, provoquer chez le patient un accroissement considérable de la tension, du conflit, qui à son tour pourrait entraîner deux conséquences : d’une part, l’irruption dans la conscience d’une motion pulsionnelle ou d’une pulsion jusque là refoulée, c’est-à-dire qu’il y aurait une levée du refoulement, transformant un symptôme source de déplaisir… accompagné de plaisir, ce qui amène un renforcement et une extension de l’autorité du Moi du patient et la remise en marche des associations taries ou stagnantes par la levée des résistances.

Donc, ces deux façons d’être actif pour l’analyste dans le transfert peu[vent] débloquer l’analyse jusqu’à une levée du refoulement de ce qui était mis en acte par ses jouissances. Ça, c’est intéressant ! Ferenczi est très intéressant, c’est clair.

Il est vrai que cette question du blocage d’une analyse par des jouissances, pas que sexuelles, bien sûr, par des jouissances c’est-à-dire des satisfactions pulsionnelles, qui se satisfont, je dirais, en contrebande dans le transfert ou par le transfert, dans l’analyse ou en dehors, c’est ce que Lacan appelait la jouissance, c’est vrai… Mais Lacan, du début jusqu’à la fin de son enseignement, tenait à l’idée, concernant justement la méthode analytique et la place et la fonction de l’analyste, que je trouve très, très juste et très éclairante pour nous. Il disait que l’analyste doit traiter la jouissance par le désir.

C’est-à-dire que, dans l’analyse ou dans la thérapie, on traite la jouissance par le désir. C’est-à-dire que, concrètement, lorsqu’un patient est dans une grande difficulté – une grande difficulté, pour les freudiens, ça veut dire qu’il est dans une expérience de déplaisir extrême… Le déplaisir, c’est l’au-delà du principe de plaisir, c’est la jouissance, justement -, lorsque quelqu’un est dans une telle situation de souffrance, synonyme de jouissance néanmoins, la fonction de l’analyste, c’est de le ramener vers le manque.

Et surtout pas de, comment dire, on verra ça à la fin…, surtout pas d’adopter une place d’autorité ou de maître, c’est-à-dire de toute-puissance dans le transfert. On peut dire à quelqu’un…– et je vais vous donner un exemple après, de LHomme aux loups, justement, que Freud n’a pas su traiter mais que Ruth Mack Brunswick a su traiter ; c’est très intéressant, vous verrez, parce qu’ils avaient deux places différentes dans le transfert -, on peut dire à un patient…

Ecoutez, je vais vous le dire comme ça, parce que je l’ai entendu quand j’étais en formation moi-même. Lorsqu’un parent – et je l’ai vécu moi-même avec mes propres enfants, si je puis dire… -, lorsque des enfants sont en difficulté scolaire, parfois graves, soit le parent adopte une position de maître, autoritaire, soit il arrive à adopter une position plus analytique, on pourrait dire, et à dire à son enfant que lui-même a eu des difficultés scolaires si c’est le cas, et que lui-même a repiqué une classe. Je vous assure qu’une telle position, qu’on peut retrouver dans le transfert, c’est-à-dire que l’analyste puisse dire quelque chose qui soit à l’opposé de la toute-puissance justement, qu’il se présente comme un être manquant qui n’a pas de savoir absolu…, je vous assure que, lorsque, dans une famille, un père, ou une mère d’ailleurs, peut dire à son enfant que lui ou elle a eu aussi des difficultés et qu’il a repiqué une classe, ça étonne toujours les enfants. Surtout lorsqu’il y a un idéal de travail scolaire à la maison. Ça étonne les enfants et ç’a un effet thérapeutique bien plus important que le surmoi autoritaire, vous voyez ?

Et dans l’analyse, c’est pareil. Quand Lacan dit « traiter la jouissance par le désir », c’est de cela qu’il s’agit. C’est-à-dire qu’un thérapeute peut dire : « J’entends bien que vous êtes dans une difficulté grave, je vais vous accompagner et on va essayer de faire en sorte que ça aille mieux mais je ne peux rien vous garantir. » J’ai encore un ami médecin, psychanalyste, qui me disait qu’il a vu quelqu’un dans une situation psychotique et qu’il lui a prescrit des antidépresseurs en première intention, il lui a dit…, il a bien fait attention de lui dire que ce médicament peut l’améliorer, mais il ne peut pas lui garantir que ça marche pour le guérir, vous voyez ? Ça, ç’a un effet !

Et je me souviens justement du contraire, mais qui était dans le transfert, où un patient déboule comme ça, sans rendez-vous, très excité, visiblement dans la psychose, je dirais, pour différentes raisons que j’avais repérées, et je lui ai dit – premier entretien, n’est-ce pas –, je lui ai dit à ce moment-là : « Mais vous semblez être pressé, vous semblez être à vif et pressé d’aller mieux. En demandant une analyse – parce qu’il demandait cela – qu’est-ce que vous attendez d’une analyse ? » Et le patient me dit : « Mais je n’attends rien d’une analyse, j’attends tout de vous ! » Vous voyez : vous ne pouvez pas engager une thérapie de cette façon-là. Vous ne pouvez pas vous mettre à cette place-là, parce que c’est une place dangereuse pour le patient, qui peut l’amener au passage à l’acte. D’où l’idée – effectivement, je martèle beaucoup cela parce que j’y crois beaucoup – du traitement de la jouissance comme Ferenczi l’a bien repéré cliniquement, comme obstacle à la cure, par le désir en tant que l’analyste de lui-même peut signifier son propre manque.

Etudiante 5 Je peux vous poser une petite question sur le vide ? Tout à l’heure, vous avez dit qu’il faut ramener le patient vers le manque. Mais si le patient se sent vide, c’est qu’en fait il n’est que dans le manque. Il y a des patients qui sont finalement angoissés par leur manque, non ? Parce que… Ils ne sont que dans le manque, en fait : ils ont l’impression que tout leur échappe, qu’en fait ils ne font plus partie de ce monde-là, tellement ils sont manquants. Non ?

Dr Christian Hoffman Oui, oui. Mais attention ! Le vide n’est pas un manque : c’est autre chose encore. Je vous en parlerai parce que Ferenczi…

Etudiante 5 D’accord.

Dr Christian Hoffman Ferenczi va parler des cas limites… Le vide, ce sont plutôt les cas limites…

[…] Ce qu’on appelle les borderline.

[…] Des personnes qui se plaignent d’être vides… Le vide, ce n’est pas un manque. Le manque, c’est la cause du désir, il n’y a pas de désir sans manque… Si je ne manquais de rien, je n’irais pas chercher à l’extérieur de moi-même à satisfaire un désir parce que j’aurais ce qu’il faut sur moi pour le satisfaire. Pourquoi je vais satisfaire un désir à l’extérieur ? Parce que je manque, je suis manquant de quelque chose pour le satisfaire…

Etudiante 5 Il y a certains patients, le manque les angoisse. Non ? Le fait d’être trop manquant, en fait… Je ne sais pas comment… Je ne m’exprime peut-être pas très bien…

Dr Christian Hoffman Oui ! Oui, oui, oui. C’est-à-dire que […] le manque, surtout le manque au niveau de son être, est quelque chose dont le patient se défend, oui.

Etudiante 5 Et du coup, si on rajoute du manque au manque, c’est… Comment… C’est compliqué quand même ?

Dr Christian Hoffman Non ! Non, non, non. C’est-à-dire que là on est dans le…

[…] transfert, la place de l’analyste et la place de l’analysant… Dans ce qu’on vient d’étudier, cela concerne plus la place, la position, la place et la fonction de l’analyste que celle de l’analysant. […] Comment est-ce que l’analyste va pouvoir débloquer l’analysant ou l’analysante ? Il ne va pas demander à l’analysant ou l’analysante d’assumer son manque : c’est tout un boulot, ça ; c’est presque la fin de la thérapie, d’ailleurs…

Mais c’est lui, c’est lui comme à la place de l’Autre, qui, comment dire, qui signifie son manque par rapport à une toute-puissance dans le transfert.

Je vous donne un exemple, prenons un autre exemple qui n’est pas analytique. Si vous jouez au tennis, c’est à celui qui sera le plus fort, bien sûr, c’est une compétition, une performance, mais dès que vous sentez une faiblesse chez l’autre, ça vous rassure. Dès que vous sentez le manque chez l’autre, ça vous apaise de cette tension de la performance. C’est ça ce que ça veut dire, dans le transfert, vous voyez : si l’analyste signifie son manque, à ce moment-là il y a un apaisement qui peut se produire chez le patient ; alors que si l’on rajoute du côté de la toute-puissance, l’analyste va précipiter le patient vers le passage à l’acte. C’est ça ce que ça veut dire !

[…] Il faut que je fasse un choix … Je ne vais pas vous parler de Groddeck – vous connaissez peut-être Georg Groddeck ?, qui avait une clinique médicale à Baden-Baden, en Allemagne, et qui a écrit ce fameux bouquin : Le Livre du ça. C’est le père de la psychosomatique. Classiquement, c’est comme cela qu’on le situe. Ferenczi a sympathisé avec Groddeck et s’est beaucoup inspiré de lui parce qu’il pensait comme lui qu’il n’y avait pas de différence entre la maladie somatique et la maladie psychique, que l’une ne fonctionnait pas sans l’autre. Il reprend, chez Groddeck, de cette façon-là, l’idée d’une médecine de la personne complète. C’est-à-dire qu’on ne traite pas que le psychique, on ne traite pas que le corporel, on traite la personne, on traite le sujet, comme on dira aujourd’hui. Et c’est ce que Balint va développer par la suite.

Finalement, on peut dire que Ferenczi finira par admettre que cette méthode dite « active », sa technique active pour résoudre les problèmes qui peuvent se poser dans le transfert, est quand même une méthode assez autoritaire créant une situation qui fait de l’analyste une figure d’autorité – c’est ce dont on vient de parler, vous voyez ? Une figure d’autorité dans la réalité même et non par le jeu du transfert. Ce qui, comme il le dit lui-même, est très peu propice au développement d’une atmosphère amicale et mutuellement respectueuse qui est recherchée dans l’analyse. Donc lui-même a, à la fin, une attitude critique par rapport à sa technique active, qui n’en demeure pas moins intéressante par rapport à tout le travail qu’il a accompli.

[…]

Je vais vous montrer un exemple qui date d’il y a très longtemps.

Vous savez qu’un des premiers séminaires que Lacan a faits, dans les années cinquante, était un séminaire sur LHomme aux loups. Et l’Homme aux loups est quand même quelqu’un qui a développé dans sa cure un épisode psychotique grave, que Freud n’arrivait pas à traiter.

Et cet épisode psychotique est apparu sous transfert. Je trouve que Lacan analyse assez justement la chose. Il dit d’une part que l’Homme aux loups avait un père qui était toujours malade, déprimé, et dont la mère était en quelque sorte l’infirmière. La mère était l’infirmière du père. Vous voyez la constellation familiale : une mère qui est l’infirmière d’un père toujours malade. Ce qui fait que l’Homme aux loups, ce qu’il cherchait, dans sa demande à Freud et donc dans sa demande d’analyse, c’est à établir, comme le dit Lacan, une vraie relation paternelle qu’il n’a pas connue. Il pensait établir un transfert avec Freud sur le mode d’une relation paternelle mais Lacan remarque que la demande et l’attente de l’Homme aux loups n’ont pas abouti ; et c’est ce qui nous intéresse par rapport à ce qu’on discute avec Ferenczi et sa technique active.

Qu’est-ce que Lacan repère de ce qui a fait ‘foirer’, on pourrait dire, de cette attente de l’Homme aux loups, qui n’était quand même pas si compliquée que ça ? Il dit : « Il n’y arrivera pas car Freud était un peu trop un maître ». Vous voyez que, dans le transfert de l’Homme aux loups, la relation qu’il cherchait, et s’il la cherchait, c’est qu’il la pensait certainement comme pouvant le soulager, à savoir une relation paternelle, n’a pas pu s’établir transférentiellement avec Freud parce que Freud se prenait pour un maître.

C’est Lacan qui le dit. La suite de ce transfert qui n’a pas pu s’établir sur un mode paternel mais plutôt sur un mode de maître à élève, c’est un maître et un élève, dans ce cadre transférentiel-là, l’Homme aux loups a développé un épisode psychotique : persécutif, paranoïaque, assez sérieux. Et c’est là que Freud, ne pouvant pas analyser cet épisode, a envoyé l’Homme aux loups chez une analyste qui s’appelait Ruth Mack Brunswick. L’Homme aux loups change d’analyste au moment même de son épisode psychotique. Et cette femme analyste arrive à tirer l’Homme aux loups de sa psychose.

Alors, qu’est-ce qui a marché dans le transfert avec cette femme, qui n’a pas marché avec Freud ? C’est ça ce qui nous intéresse.

Lacan dit de Ruth Mack Brunswick : « En revanche, Ruth Mack Brunswick sut à la fois participer – dans le transfert, n’est-ce pas – d’une certaine dureté propre au personnage paternel, mais d’un autre côté se soumettre à la réalité du sujet ». Donc elle savait se mettre au niveau du sujet et prendre en compte la réalité du sujet, c’est-à-dire de l’entendre en quelque sorte. « Elle réussit en quelque sorte à obtenir du sujet qu’il retourne à l’école en usant de ce que les Chinois appellent la douceur malléable de la femme. Elle sut lui montrer – et c’est ce qui est important –qu’elle n’adhérait pas en tout aux positions de Freud ». Vous avez là une rencontre entre l’Homme aux loups, dans un épisode psychotique que le maître Freud n’a pas su analyser, et cette femme [qui] va pouvoir [le tirer]de cet épisode du fait même de sa position de non-soumission à Freud ; dans le sens où l’Homme aux loups a certainement entendu cela que, elle, elle n’était pas fascinée par la maîtrise de Freud, elle n’était pas si fascinée que cela du maître qu’était Freud. Elle n’était pas soumise au maître. Et qu’elle n’était donc pas identifiée au père, vous voyez, qu’elle n’était pas trop forte. « Le sujet fut ré-enfanté par elle et cette fois de bonne façon ». C’est cette position-là qui, comment dire, qui a sauvé la peau à l’Homme aux loups, vous voyez, dans le transfert.

C’est ce que je voulais vous donner en conclusion par rapport autant à ce que nous avons travaillé avec Jung que, aujourd’hui, chez Ferenczi et un peu chez Balint… J’ai d’autres choses sur Balint mais je vous donnerai le texte parce que sinon on n’aura pas le temps de discuter.

Elles nous posent, ces autres techniques que la technique analytique de Freud, et aussi telle qu’elle a été revue par Lacan, deux questions autour de la place de l’analyste, la place de l’analyste dans le transfert. Autrement dit : quelle est la position qui est une position dont nous pouvons penser qu’elle est une position thérapeutique, que l’analyste ou le psychothérapeute a à occuper dans le transfert ?, pour qu’un travail analytique ou psychothérapeutique soit possible.

En tout cas, on a vu avec Ferenczi qu’il a finalement a renoncé à sa technique active, et avec Jung, qu’une position de maître ou une position autoritaire est à proscrire, n’est pas la position la plus efficace. Et la position du tout laisser faire n’est pas non plus la plus efficace dans ces cas-là… Du tout laisser faire, c’est-à-dire la position comme on l’a vu chez Jung et chez Balint aussi : chez Balint on a la même idée… Je reviens un peu sur Balint pour vous dire cela parce que, pour Balint… […].

Ferenczi a compris que la neutralité, l’indifférence prônée par Freud pour ne pas enfermer le patient dans une relation sans avenir avec l’analyste, ne sont pas valables avec tous les patients ni à tous les stades d’une analyse. Les personnes que nous appellerions aujourd’hui des cas limites ou les patients en état de régression ont besoin d’autre chose. Cela, on est bien d’accord ; on en parlera la prochaine fois. C’est-à-dire comment se débrouiller transférentiellement avec justement ce qu’on appelle des cas limites et des cas qui relèvent de la clinique de notre post-modernité où justement il ne s’agit pas de, comment dire, d’appliquer à la lettre la méthode freudienne, il s’agit – comme Lacan l’a montré d’ailleurs dans ses derniers séminaires –, d’aider un patient à trouver ses propres solutions et à savoir y faire avec ses symptômes. C’est tout à fait autre chose, là ; et cela concerne notamment ce qu’on appelle ces fameux cas limites justement.

Alors l’idée de Ferenczi, par rapport à ces cas-là, était justement de leur offrir par son comportement l’expérience de soutien, de sollicitude et de sécurisation qui leur a fait défaut autrefois. Voyez la position dans le transfert. C’est cela justement que j’appelle une position de, on pourrait dire, de camaraderie, de bonne camaraderie, quoi : apporter son soutien, sa sécurisation, sa sollicitude, ce n’est plus une position analytique, c’est une position de camaraderie… Alors, justement, lui, il s’était quand même rendu compte que, en pratiquant de cette façon-là – c’est pour cela qu’il a abandonné cette idée - il ne parvenait pas toujours à gérer les situations qu’il provoquait. C’est-à-dire, que lorsqu’on pratique ce qu’il essayait d’amener comme place dans le transfert, ça produit un effet, mais on n’arrive pas forcément ensuite à gérer la situation. Autrement dit : après on est en grande difficulté pour sortir de cette position et libérer le patient de ce transfert tel qu’on l’a établi.

Donc ces deux auteurs, et Jung n’en est pas exclu, je dirais presque : ces trois auteurs, que nous avons vus, ont fait basculer la psychanalyse d’une psychologie à une personne, impliquant essentiellement l’analy… le patient […] vers une psychologie à deux personnes essentiellement centrée sur ce qui se passe dans la relation entre analysant et analyste. C’est-à-dire qu’on parlait même, à propos de Ferenczi, d’analyse mutuelle. C’est-à-dire que, comme chez Jung, le patient associait librement et l’analyste ajoutait ses propres associations, donc on ne savait plus qui était l’analyste et qui était l’analysant.

C’est ce que je voulais vous dire en conclusion :qu’il faut éviter des positions d’autorité, bien sûr, et de maîtrise, et des positions de camaraderie ; il faut bien se rendre compte – et on l’entend très souvent cela dans les récits d’analyse – que lorsqu’on chute malgré soi de sa position d’analyste, ou de psychothérapeute, dans le transfert, et qu’on se laisse aller à parler de soi – ce qui est plus ou moins souhaité par Jung, Ferenczi et Balint –, on chute de sa position d’analyste et du coup cela casse le transfert et le transforme justement en psychologie à deux où l’un devient l’alter-ego de l’autre et cela peut mettre en danger en tout cas l’analyse jusqu’à marquer son arrêt. C’est justement ce qu’il y a à éviter à tout prix, vu que notre fonction est justement de faire en sorte que l’analyse puisse se poursuivre jusqu’au terme que, en tout cas, le patient ou la patiente s’est donné et peut supporter.

Voilà. Pour aujourd’hui. Si vous avez des questions, elles seront les bienvenues.

Etudiante 1 J’ai une question encore, Monsieur Hoffman, s’il vous plaît. Je voudrais que vous m’expliquiez un petit peu plus sur le transfert, transfert amoureux : de quoi il s’agit ? Et quelle est sa forme ?

Dr Christian Hoffman Oui, le transfert amoureux… On a toujours fait, et Freud lui-même a toujours fait un parallèle entre le transfert et l’amour, dans le sens où il n’y a pas d’amour sans idéalisation, vous voyez, de la personne. Et le transfert est également une idéalisation de la personne, dans le sens, comme on l’avait vu avec Lacan, que l’analyste ou le thérapeute est dans une position de sujet supposé savoir mieux que nous, ce que l’on retrouve dans toute relation humaine et tout particulièrement dans l’amour du fait même que nous supposons dans l’amour un désir à l’autre qui éveille notre amour, comme c’est le cas dans l’analyse.

Sauf que la différence entre le transfert et l’amour, c’est que l’objectif du transfert dans la thérapie c’est un maniement du transfert jusqu’à l’analyse du transfert pour nous en libérer, après en avoir gagné si je puis dire par ce transfert un mieux aller concernant des symptômes, voire une certaine guérison de symptômes, alors que les histoires d’amour, comme on dit, finissent souvent mal. On n’analyse pas l’amour comme ça, alors que le transfert, on l’analyse.

Etudiante 9 Vous avez dit que l’analyste ne devait pas, évidemment, être dans cette toute-puissance et pouvait se montrer comme un être manquant… Et moi, je pensais qu’il fallait, au contraire, que l’analyste se montre dans une neutralité, qu’il soit comme une page vide, enfin une page…

Dr Christian Hoffman Justement.

Etudiante 9 Enfin, une page opaque : on ne doit pas savoir sa vie, savoir qu’il a loupé le CM2 ou… Normalement on ne doit rien savoir de l’analyste, c’est comme ça que ça fonctionne.

Dr Christian Hoffman Oui. Oui.

Etudiante 9 Donc, je ne comprends pas pourquoi vous avez dit qu’il peut faire, qu’il peut se présenter comme un être manquant et éventuellement parler de son expérience…

Dr Christian Hoffman Non, cela, c'est ce que dit Ferenczi, n’est-ce pas. Notre objectif à travers ces deux leçons sur Jung et sur Ferenczi et un peu sur Balint, c’est de montrer les autres méthodes analytiques, vous voyez ? Cela ne veut pas dire qu’il faut faire de cette manière. Il faut prendre cela comme faisant partie de notre culture analytique : à savoir qu’il y a eu ces modifications de la méthode analytique par Jung qui a provoqué la rupture avec Freud, et par Ferenczi et Balint qui ont essayé de modifier la méthode analytique. A nous de voir si c’est avec succès ou sans succès.

En tout cas, comme je vous le disais, Ferenczi considérait à la fin que ce n’était pas vraiment un succès. Ni Freud, d’ailleurs.

[…] C’est-à-dire que ce qu’il propose, dans le sens d’une psychologie à deux où chacun y va de sa propre historiole, on pourrait dire, à partir de ce moment-là et effectivement : on n’est plus dans la méthode analytique… Parce que ce qui fait la méthode analytique, comme je l’ai déjà dit, c’est que l’analyste comme l’analysant sont confrontés au même discours qui est le discours de l’analysant ou de l’analysante… Alors, qu’est-ce qui fait la différence entre les deux ? Ce qui fait la différence entre les deux, c’est qu’on suppose que l’analyste refoule, moins que l’analysant ou l’analysante, les pulsions refoulées dans le discours et qui se traduisent dans le discours, qui se signifient dans le discours de l’analysant ou l’analysante.

[…] Sinon, il n’y a pas d’analyse, n’est-ce pas.

Etudiante 9 Oui, sinon, il n’y a pas d’analyse.

Dr Christian Hoffman S’il n’y a pas quelqu’un qui soit à même de – ah il y a beaucoup de mains qui se sont levées – d’être dans une autre place que celle d’être en miroir avec le patient, c’est comme si on parlait à sa copine ou à son copain.

Etudiante 9 Oui, exactement. […] Merci.

Etudiante 10 Bonjour, docteur Hoffman. J’avais cru comprendre, pour Ferenczi, qu’il avait fait une très, très longue analyse ou des tranches d’analyse avec Freud…

[…] Il a souffert de ce que cette analyse n’ait pas pu réellement être terminée et, je crois, il a aussi énormément souffert, dit-il, de la position de maître de Freud dans l’analyse et dans la vie, qui, là aussi, l’a poussé très fortement à s’intéresser au transfert et au contre-transfert… Je ne sais pas dans quelle mesure c’est exact.

Dr Christian Hoffman Ce que je peux vous dire, c’est que Ferenczi a fait très peu d’analyse avec Freud, ce qui était souvent le cas des premiers élèves de Freud. Ils ont fait très, très peu d’analyse… Pourquoi ? Parce que Freud a préféré… - ce que Ferenczi lui reprochait à la fin -, Ferenczi et Rank, celui qui a écrit Le Traumatisme de la naissance, le lui reprochaient, et Ferenczi particulièrement parce que Ferenczi lui a redemandé de le reprendre en analyse et Freud n’a pas voulu parce qu’il préférait le garder comme un élève… Freud était quand même un maître qui cherchait une extension de sa découverte, une extension internationale, d’où la création de l’Association Internationale de Psychanalyse que Ferenczi a proposée… Donc vous voyez : vous avez là, chez Freud, un analyste qui préférait avoir des élèves à la poursuite de leur analyse. Ce qui arrive. Quelqu’un a beaucoup développé cela, c’est Moustapha Safouan dans son bouquin qui s’appelle La Psychanalyse. Il a repris tout Ferenczi et tout Rank, et il montre justement cela.

[…]

Etudiant 11 […] Je voudrais juste donner un exemple qui va me ramener à la question.

L’exemple, c’est qu’une analysante de Lacan avait raconté que, au moment où, lors d’une séance de travail, il y avait une abréaction ou il y avait de l’émotion, à un certain moment, Lacan s’est approché d’elle et a posé sa main sur sa joue. Et elle raconte comment, en posant sa main sur sa joue, elle garde cette trace de sa main sur sa joue jusqu’à trente ans après, et que c’est quelque chose qui a fait relancer un travail ou renforcer un travail… Voilà, en gros, ce qui me ramène à la question que, finalement, tout ce qu’on est en train d’apprendre sur les méthodes analytiques en termes d’approche et de cadre de travail, il reste toujours un élément hors cadre qui est celui de l’intuition, je pense, de l’analyste en face de ce qui se passe devant lui de la singularité du sujet auquel il a à faire. Est-ce que vous partagez ce point de vue ?

Dr Christian Hoffman Oui, oui, oui ! C’est-à-dire qu’on peut ne pas être d’accord avec Ferenczi, Jung et beaucoup d’autres, mais, par exemple, Lacan était très intéressé par ce qu’il[s] faisai[en]t. C’est-à-dire que toute cette histoire de technique active a intéressé Lacan qui en a fait, justement, ce qu’il appelle des actes analytiques, comme celui que vous nous indiquez. J’essaie de retrouver là…, je connais cette histoire…

Etudiante 12 C’est Susanne Hommel… C’est sa patiente, Susanne Hommel.

Dr Christian Hoffman Oui, oui. Vous la connaissez ?

Etudiante 12 Elle raconte, elle revient très souvent dans sa cure sur le fait qu’elle se réveille, elle continue adulte à se réveiller, à être réveillée angoissée à cinq heures du matin et elle associe sur le fait que cinq heures du matin, c’était l’heure où la Gestapo arrivait pour arrêter les Juifs, et Lacan se lève et fait un geste à peau, une caresse sur la joue. Un geste-à-peau.

Dr Christian Hoffman Oui, oui. Qui a débloqué l’analyse. Oui, tout à fait. C’est un acte analytique.

Etudiante 5 Justement, c’est toujours ma préoccupation… Par rapport à ce qu’on disait tout à l’heure du manque, ce peut être rassurant pour quelqu’un qui est terriblement dans le manque de savoir que son analyste, en face de lui, ou son psychothérapeute, peut lui montrer qu’il est humain d’être dans le manque, comme il peut être mal à propos si c’est quelqu’un qui n’en a pas besoin. Et c’est là où notre interprétation […] m’interroge beaucoup parce que je vois que, entre les différentes techniques, il y a tellement d’intuition à avoir que mon inquiétude est on peut se louper... Rires On peut se louper et on peut – peut-être est-ce bien d’ailleurs, je suis en train de me dire, dans tout mon cheminement… Mais peut-être que c’est pas mal non plus parfois de se louper parce que, du coup, l’autre peut dire : « Mais, non, vous êtes en train de vous tromper ! » Ou on peut mal guider – ce que j’entendais tout à l’heure, ce transfert négatif qui peut être intéressant à travailler, finalement.

Dr Christian Hoffman Oui, oui, oui. Je vais vous répondre comme je l’ai déjà dit. On reprendra cette question, par rapport à l’intuition : on a moins de chances de se tromper, je dirais, si on tient ferme sur ce que le patient vient de nous dire. Notre orientation, c’est ce qui sort de la bouche du patient ou de la patiente. Si on se tient à cela, on a moins de chances, on a moins de probabilités de déraper.

Etudiante 13 Merci beaucoup pour toutes ces conférences qui sont très, très inspirantes et très riches. J’ai été particulièrement intéressée ce soir par ce que vous avez dit des patients qui se trouvent dans une jouissance par le paiement des séances d’analyse. Je trouve que c’est une sorte de comble, c’est assez intéressant, mais, alors : quelle attitude avoir avec ces patients-là ? On ne peut pas leur faire faire des séances gratuites…

Dr Christian Hoffman Ou les faire payer plus cher ? Rires

Etudiante 15 Il faut augmenter le prix de la séance.

Dr Christian Hoffman Vous voulez reprendre votre question ?

Etudiante 13 A propos de ces patients, dont vous avez parlé, qui se trouvent dans une jouissance à payer, qui viennent voir l’analyste pour payer et payer notamment la séance… Quelle attitude avez-vous ? Et vous parliez d’analyse interminable avec eux, alors comment faire pour que l’analyse puisse se terminer avec eux ?

Dr Christian Hoffman […] Je pense que, dès le départ, dans le trans… dans la cure, il faut être très ferme sur les questions d’argent. Très ferme. Très, très ferme. C’est-à-dire que chaque séance est due.

Alors, aujourd’hui, c’est plus compliqué, il faudra qu’on en discute la prochaine fois aussi, et il ne faut pas non plus être rigide et ne pas permettre la cure ; il y a des choses à aménager, mais il vaut mieux veiller à être très rigoureux sur le paiement des séances et je sais bien qu’il est très difficile aujourd’hui de faire payer des séances auxquelles les patients ne viennent pas. Mais cela complique la cure, cela, c’est vrai.

Mais si vous êtes rigoureux, que vous demandiez cinquante euros ou plus ou moins, ce n’est pas la question - la question, c’est d’être absolument rigoureux sur les questions d’argent. Par exemple, quelqu’un m’a dit aujourd’hui, qui n’est pas analyste, qui est un maître de musique, on pourrait dire, de très haut niveau, qui demande à ses élèves cinquante euros, par exemple ; quelqu’un lui a dit : « Mais tu pourrais demander cent cinquante euros, parce que tu es un grand maître de musique ! ». Il dit : « Non, non. Je n’ai pas besoin de cela. Je me connais, je connais mes compétences : cinquante euros, ça me va ». Vous voyez, c’est d’avoir un rapport à l’argent qui ne soit pas un rapport de jouissance non plus, qui soit un rapport qui est le vôtre, avec lequel vous êtes en accord par rapport à la façon dont vous jugez vos compétences, c’est vrai.

Etudiante 13 Mais, précisément, quand vous parliez de ces patients qui veulent payer, pour qui c’est une jouissance de payer, parce que, voilà, ils paient, ils paient quelque chose. Donc, comment faire avec ceux-là ?

[…] et avec qui c’est interminable, puisqu’ils ne paient pas, ils ne donnent, si j’ai bien compris, pas un prix à leur parole, à ce qu’ils disent en séance, ils paient autre chose… Donc, comment faire ?

Dr Christian Hoffman Il y a certainement différentes façons de s’y prendre. Soit on peut augmenter le nombre de séances, soit on peut être plus ferme dans ce qu’on dit à ces patients, vous voyez… Si le patient vient dormir sur le divan et payer et partir en payant et être tranquille, on peut lui dire : « Mais, qu’est-ce que vous pensez faire ici ? Qu’est-ce que vous pensez faire ? » Et lui dire, on peut dire à quelqu’un qu’il perd son temps, vous voyez ? Même s’il paie, il perd son temps.

Etudiante 13 Très bien. Merci. Etudiante 1 Merci, Monsieur Hoffman. Etudiante 14 Merci beaucoup. Etudiante 1 Très bonnes vacances, Monsieur.

Dr Christian Hoffman Donc on se revoit le 7, je crois. Etudiants Oui, le 7. Dr Christian Hoffman Au Centre Sèvres. Etudiants Oui ! Dr Christian Hoffman Enfin ! Rires

Transcription : Martin Jaclot

Relecture : Margaux Belgrand & Anne Videau

Notes