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Séminaire de Charles Melman – 1ère leçon

26 septembre 2013, Centre Sèvres

Charles Melman : […]

Et alors vous trouvez là tout de suite, chez Freud, un élément qui va mériter de vous interroger, puisqu’il va dire ceci, Freud :

« [Hans] répond sans sentiment de culpabilité encore, mais [il] acquiert à cette occasion le « complexe de castration » - entre guillemets - auquel on doit conclure si souvent dans les analyses des névropathes, tandis qu’ils se défendent tous violemment contre sa reconnaissance. Il y aurait beaucoup de choses importantes à dire sur la signification de cet élément de l’histoire infantile. Le « complexe de castration » - entre guillemets - a laissé des traces frappantes dans les mythes (et pas seulement dans les mythes grecs) ; j’ai fait, dans ma Science des rêves et ailleurs encore, allusion au rôle qu’il joue. »

Or le complexe de castration, tel que Freud, ici, en parle concerne évidemment ce qui se présente à ce moment-là comme étant la menace d’une… ablation du pénis et, je vous le signale tout de suite, il est vraisemblable que c’est à partir de ce type d’écriture chez Freud, que Lacan a été amené à mettre en place ces trois dimensions du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Pourquoi ? Parce que vous n’allez plus rien comprendre si le complexe de castration chez Freud doit être entendu comme organisé par cette menace, la crainte d’une ablation du pénis, vous ne saisissez aucunement en quoi il a un rôle formateur de la sexualité. Et c’est donc très vraisemblablement à partir des difficultés rencontrées, et chez Freud même, par cette évocation du complexe de castration, que Lacan va être amené à distinguer la dimension du Réel, c’est-à-dire effectivement la possibilité d’une ablation chirurgicale, d’une castration du pénis, sa dimension symbolique, qui est la condition d’un accès à la sexualité, et sa dimension imaginaire, qui concerne tout ce que l’on va voir foisonner dans la suite de l’introduction opérée par Freud. Qu’est-ce que ça veut dire la dimension symbolique de la castration ? Si ce n’est qu’il y a en effet une remise de l’autorité ayant pouvoir sur la sexualité à une puissance tierce, dont l’interpellation, dont l’autorisation va être désormais nécessaire pour que le sujet lui-même se permette cet exercice. Opération symbolique qui consiste à déléguer à une autorité dans l’Autre, à faire d’une autorité dans l’Autre, le référent dont va s’autoriser l’exercice de la sexualité. Est-ce que ça a toujours été le cas ? Ça, dans la culture, sûrement pas, mais c’est pas là ce qui nous intéresse. En tous cas, c’est comme ça que nous avons à entendre la castration symbolique, et d’autant plus à l’entendre qu’ordinairement ce thème est plutôt évité que déplié. Sans ces catégories [qui] risqueraient de vous paraître abstraites de Réel, Symbolique et Imaginaire, vous pouvez pas comprendre ce qu’il en est chez Freud, qui lui-même n’a pas fait cette distinction...

            ….« Hans a quatre ans et [demi]. Ce matin, sa mère lui donne son bain quotidien          et, après son bain, elle le sèche et le poudre. Comme elle est en train de poudrer   autour de son pénis, en prenant soin de ne pas le toucher, Hans demande :      « Pourquoi n’y mets-tu pas le doigt ? » »

Que va répondre maman ? Qu’est-ce qu’elle répond, une maman, dans ces cas-là ?

 Elle répond :

            « […] - Parce que c’est une cochonnerie.

            […] - Qu’est-ce […]? Une cochonnerie ? Pourquoi ? »

L’insigne vraiment émérite, voilà que c’est une cochonnerie.

            « […] - Parce que c’est pas convenable.

            Hans (riant) - Mais très amusant ! »

Vous voyez comment il s’en sort....

...Voilà le drame qui s’installe, tout était jusqu’ici quand même magnifique, le monde simple, tout en place, tout est en place et voilà que, pour la première fois, il demande à son père :

            « […] de le mener derrière la maison, afin que personne ne [puisse] le voir et il   [ajoute] : « L’année passée, pendant que je faisais pipi, Berta et Olga me            regardaient. » Cela veut dire [dit le père], je pense que l’année passée il lui était       agréable d’être regardé, ce faisant, par les petites filles, mais qu’il n’en est plus             ainsi. L’exhibitionnisme a […] succombé [dit le père] au refoulement. Le fait que le             désir d’être regardé par Berta et Olga pendant qu’il fait pipi […] soit maintenant   refoulé dans la vie réelle fournit l’explication de son apparition dans le rêve […] »

            […] Le père de Hans a noté encore une observation datant de la période qui suivit             immédiatement le retour de la famille à Vienne : « Hans ([il a maintenant] 4 ans et        demi) […] » »

Vous vous rendez compte, tout ça s’est passé en trois ans, entre trois ans et quatre ans et demi :

            « [Hans] assiste de nouveau au bain de sa petite sœur et commence à rire. On lui         demande : « Pourquoi ris-tu ? »

            […] - Je ris du fait-pipi d’Ana.

            « Pourquoi ? » - « Parce que son fait-pipi est si beau. » »

Le père ajoute :

            « La réponse n’est naturellement pas sincère. Le fait-pipi lui semblait en réalité comique. C’est, de plus, la première fois qu’il reconnaît aussi expressément la différence entre les organes génitaux masculins ou féminins, au lieu de la nier. »

Ecrit le père. Alors, il y a à cet endroit un point qui va donner être à la source de l’installation de la phobie ; puisqu’on en est, là, à la fin de l’introduction, et que le chapitre suivant, que nous verrons dans quinze jours, va raconter l’installation de la phobie. En effet, il est facile comme le fait le père de penser que - et comme Freud l’avait prédit - la sexualité se trouve maintenant frappée de refoulement. Ce qui, comment dirais-je ? aurait fait partie du processus de castration, symbolique, autrement dit le fait de renoncer à l’exhibition de son sexe, pour pouvoir s’en autoriser. Et donc y voir comme le père, là, a tendance à le faire, et comme Freud le reprend lui-même, le passage à l’étape suivante, que raconte Freud dans sa Métapsychologie, c’est-à-dire de quelle façon la sexualité infantile va être frappée de refoulement, et voilà que le père l’observe sur son propre enfant. Sauf que, et la notation qui est faîte, qu’il fait néanmoins, parce qu’il y a quand même une grande sincérité, une grande fidélité dans le rapport des faits, des évènements… ce fait qu’il regarde Anna dans son bain, qu’il rit, qu’il dit qu’il rit parce que son sexe est si beau, et le père le prend comme une dénégation, alors que c’est vraisemblablement l’entrée dans sa phobie, c’est-à-dire le fait que, devant la prévalence familiale du sexe féminin, lui-même va se sentir dépossédé de toute appartenance sexuelle, et de toute référence sexuelle, que son sexe est devenu inadéquat, celui dont il était si fier, est devenu inadéquat pour lui permettre de s’autoriser dans le monde. Ce qui est, et vous le verrez avec la suite de cette remarquable affaire, ça vaut vraiment Conan Doyle et tous les policiers, c’est qu’effectivement, à la maison, le phallique, le phallicisme est supporté par les femmes, et y compris maintenant par la petite sœur. De telle sorte que pendant que le père est là, avec son carnet de notes à observer les choses, il ne voit pas que le petit Hans maintenant est dans un état de déshérence. Et ceci donc a l’avantage d’introduire (la prochaine fois, on va frapper les trois coups) à l’acte suivant, et donc il est merveilleux et normal qu’il se déroule comme d’habitude dans l’aveuglement éclairé des personnages.....

Notes