Aller au contenu principal

EPhEP, SĂ©minaire Charles Melman, le 30/01/2014 

Je vous propose de reprendre cette « Leçon XII Â», dont nous allons voir que nous l’avons jusqu’ici survolĂ©e, et dont vous allez voir Ă©galement qu’elle est un pivot des processus de l’organisation psychique et que vous avez beaucoup de chance, de pouvoir vous y introduire, grĂące Ă  un guide, qui va vous mener par la main, dans la mesure oĂč il s’agit d’une leçon centrale, je dis bien, et qui a la particularitĂ© d’ĂȘtre restĂ©e – elle est faite en 57, d’ĂȘtre restĂ©e Ă  peu prĂšs nĂ©gligĂ©e ou mĂ©connue ou mal interprĂ©tĂ©e par les Ă©lĂšves.

Nous allons donc voir si sommes nous-mĂȘmes capables aujourd’hui, Ă  partir de ce cas clinique du  Petit Hans, si nous sommes capables non seulement de mieux la lire mais d’en accepter les donnĂ©es, car elle nĂ©cessite assurĂ©ment que vous attachiez vos ceintures ; vous n’en avez pas, tant pis.

Vous avez d’abord, Ă  cette « Leçon XII Â» –  que nous allons suivre pas Ă  pas, nous n’allons rien laisser de cĂŽtĂ© – vous avez d’abord ce tableau, Ă©trange et auquel, de façon tout-Ă -fait normale, vous n’avez rien compris. Vous avez d’abord ce tableau, qui anticipe ce que seront les nƓuds borromĂ©ens mais qui l’ignorait Ă  l’époque. Ce tableau est constituĂ© par une combinatoire, celle du RĂ©el, du Symbolique et de l’Imaginaire. Rappelons en passant qu’à la lecture du cas du  Petit Hans  vous avez pu remarquer, vous avez sĂ»rement pu ĂȘtre sensibles au fait que les diverses reprĂ©sentations qui Ă©taient donnĂ©es, Ă  la fois du pĂ©nis, du sexe fĂ©minin, de la castration, de l’ƒdipe, etc., Ă©taient manifestement, ne pouvaient que laisser une impression de confusion, y compris d’ailleurs avec des consĂ©quences pour le Petit Hans qui sont assez connues ; consĂ©quences, dont il sera soulignĂ© dans cette leçon que  l’ƒdipe ne suffit pas pour assurer l’identitĂ© sexuelle. Je veux dire que si l’ƒdipe peut dĂ©signer le choix de l’objet, il n’exclut aucunement une position fondamentalement homosexuĂ©e ; ce qui est une remarque, je dois dire, non conventionnelle mais intĂ©ressante et qui justifie ce qu’il va lĂ  aborder, c’est-Ă -dire que ce qui s’avĂšre dĂ©terminant dans l’organisation de la vie psychique n’est pas tant la façon dont nous allons  rationaliser une suite  d’évĂšnements et d’interprĂ©tations, mais que ce qui est Ă  l’Ɠuvre est une combinatoire ; une combinatoire de catĂ©gories que Lacan amĂšne : RĂ©el, Symbolique et Imaginaire.

En rappelant ceci : c’est que si le signe est, je dirais, le moyen de communication de l’animal, celui que nous constituons se trouve habitĂ© par le signifiant. Commençons par le plus simple. Le signe a le bonheur, l’avantage de reprĂ©senter, dit Lacan, quelque chose pour quelque « un Â» ; par exemple, lorsque Robinson voit sur le sable des traces de pas, voilĂ  bien des signes qui dĂ©signent le passage d’un homme : l’üle est habitĂ©e. Pourquoi : pour quelqu’un ? Quelque chose, encore, on comprend ; remarquez que c’est le rapport direct Ă  la chose, et effectivement, quand Robinson rencontrera Vendredi, eh bien voilĂ , c’est bien un homme Ă  qui il a affaire. Mais pourquoi : reprĂ©sente quelque chose pour quelque « un Â» ?  Eh bien, cela peut s’entendre, ce « un Â», comme l’élĂ©ment d’une communautĂ© animale et pour laquelle ce signe est significatif : ce n’est pas le mĂȘme signe qui est reprĂ©sentatif pour toutes les espĂšces animales. Je crois que les termes de chose et de un, je dirais ici que ces termes sont Ă  souligner.

  Le signifiant, dira de façon restĂ©e toujours originale Lacan, c’est ce qui reprĂ©sente un sujet pour un autre signifiant. Autrement dit, l’émergence dans notre espace de perception d’un signifiant nous indique lĂ  la prĂ©sence d’un sujet, non pas d’un « un Â», mais d’un sujet et qui se trouve reprĂ©sentĂ© pour un autre signifiant, l’interlocuteur par exemple, moi, par exemple, Ă  qui ce signifiant s’adresse. Le signifiant – je reprends ce dĂ©veloppement pour essayer de vous rendre sensibles Ă  la matĂ©rialitĂ© du RĂ©el, du Symbolique et de l’Imaginaire : ce ne sont pas des concepts abstraits – le signifiant, comme vous savez, n’a pour propriĂ©tĂ© que d’ĂȘtre diffĂ©rent des autres signifiants : ce qui constitue sa spĂ©cificitĂ©, ce n’est pas tant de renvoyer Ă  une constitution matĂ©rielle propre mais simplement au fait que les phonĂšmes qui le composent sont chacun diffĂ©rents des autres signifiants ; un signifiant reprĂ©sente donc une pure diffĂ©rence, et dans la mesure oĂč il n’est reprĂ©sentatif d’un sujet que pour un autre signifiant, puisque nous n’avons jamais affaire qu’à ce registre de la parole, eh bien il est clair que dans cette adresse c’est bien la Chose qui se trouve perdue, puisque je n’aurai Ă  me mettre sous la dent par l’usage du signifiant, cette invocation faite par le signifiant, qu’à un autre signifiant ; je n’aurai Ă  me mettre sous la dent qu’un signifiant, et la Chose d’ailleurs, ne prendra ses qualitĂ©s que par le signifiant qui la reprĂ©sente.

Si le signifiant ne vaut que par sa diffĂ©rence, il vient en quelque sorte trouver sa matĂ©rialitĂ©, cette fois-ci, comme Ă©tant chaque fois « un Â» ; chaque signifiant vaut comme « un Â» : Dans la suite des signifiants, eux qui sont tous diffĂ©rents, leur identitĂ©, c’est d’ĂȘtre chacun une unitĂ©, d’ĂȘtre chacun « un Â». Et ce « un Â» devient le symbole – nous entrons lĂ  dans le registre du Symbolique -  le symbole de ce que le signifiant perd Ă  l’occasion de son exercice, c’est-Ă -dire qu’il ne peut Ă©puiser le champ des reprĂ©sentations : il peut toujours y avoir un signifiant de plus ,mais en outre, entre deux signifiants il y a un gap, il y a une coupure,  et pour les mathĂ©maticiens ce qu’il y a entre le zĂ©ro qui est donc le premier des « uns Â» qu’il faut compter dans la suite des nombres, il faut commencer par zĂ©ro  – 0, 1, 2, 3  –  entre zĂ©ro et un il y a une suite de nombres rĂ©els, comme vous le savez, infinie, et qui, elle, a la propriĂ©tĂ© d’ĂȘtre continue, dont les Ă©lĂ©ments ont la puissance du continu ; c’est-Ă -dire qu’entre deux chiffres pris dans une suite de nombres rĂ©els, eh bien je peux toujours entre les deux en intercaler un troisiĂšme, et entre ce troisiĂšme et le premier en intercaler un quatriĂšme, et entre ce quatriĂšme et le premier en intercaler un cinquiĂšme : un tissu continu.

Le signifiant donc, en tant que un, est symbole de ce qu’il ne peut atteindre, de ce qui lui Ă©chappe, et ce qui lui Ă©chappe ainsi et que Lacan va appeler le RĂ©el, dans ce qui lui Ă©chappe de ce RĂ©el se trouve entre autres, bien sĂ»r, cet objet qu’il rate. Alors vous me direz pourquoi est-ce que le petit humain n’a pas uniquement affaire Ă  un signifiant et pourquoi vient intervenir lĂ  la notion d’un objet ? Comment est-ce qu’il a accĂšs Ă  la notion d’objet  L’objet qui est donc rĂ©el, puisqu’il Ă©chappe au signifiant, il Ă©chappe Ă  la prise par le  un : d'oĂč est-ce que ça lui vient ? Eh bien justement, nous allons voir ça.

Donc, en tout cas, le signifiant dans sa dimension symbolique, est symbolique toujours de ce qui Ă©chappe Ă  son pouvoir, et ça vaut comme nous l’avons dit aussi bien pour le concept, y compris bien entendu les concepts dont nous nous servons et qui n’entendent pas couvrir, rendre le champ de la thĂ©orie comme venant couvrir l’ensemble du domaine. Outre  le RĂ©el donc, en tant que ce qui Ă©chappe au signifiant, se trouve l’Imaginaire qui est une dimension essentielle puisqu’elle est la reprĂ©sentation que nous pouvons nous faire de ce qui dans le RĂ©el est dĂ©sirĂ©,la reprĂ©sentation que nous nous en faisons. Et il y a quelque part une remarque de Lacan disant qu’il est certain que la fixation de l’enfant est dĂ©pendante, est liĂ©e au fait qu’elle est la premiĂšre image qui lui est apparue ; Ă  sa mĂšre donc et du mĂȘme coup assurĂ©ment Ă  une femme, et pour des enfants qui ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©s par des boys, il n'est pas extraordinaire que des problĂšmes puissent survenir.

Donc RĂ©el, Symbolique et Imaginaire. Alors vous me direz : oui le Symbolique mais pourquoi le symbole ?  Vous savez que le symbole c’est cet Ă©lĂ©ment qui, dĂ©tachĂ© d’une piĂšce de monnaie selon une ligne de fracture spĂ©cifique, sera susceptible d’en ĂȘtre rapprochĂ© pour reconstituer cette piĂšce –  la reconstituer intĂ©gralement comme une assiette brisĂ©e en deux morceaux et vous pouvez la recoller, σύΜÎČολΔÎčΜ (« sunbolein Â»), remettre ensemble  – sauf que dans le cas qui nous concerne, la piĂšce cassĂ©e, la piĂšce manquante, celle dont le fragment est le symbole, va s’avĂ©rer ne jamais  pouvoir parfaitement venir reconstituer la forme inaugurale, autrement dit, faire une union parfaite. Ceci pour les raisons que je ne vais pas lĂ  reprendre mais dont vous avez quand mĂȘme une idĂ©e, d’ailleurs lĂ  je crois qu’avec cette introduction je suis dĂ©jĂ  pour vous dans des truismes, mais RĂ©el, Symbolique et Imaginaire sont des catĂ©gories trop importantes pour qu’on ne soit pas au clair lĂ -dessus. Donc le signifiant est le symbole d’une perte qui ne sera jamais rĂ©parĂ©e, on ne pourra jamais recoller les deux morceaux, et c’est au point oĂč vous savez que Lacan dira qu’il n’y a pas de rapport sexuel, ce qui veut dire que les deux morceaux ne vont pas ensemble, malgrĂ© des efforts dĂ©ployĂ©s de part et d’autre, et par les institutions.

Alors donc, maintenant lisons ce tableau qui inaugure la « Leçon XII Â» et qui restera tellement, je dirais malentendu, que dans la « Leçon XIII Â» Lacan va revenir sur la dĂ©finition qu’il inaugure dans cette leçon. Ce qui vous frappe d’abord, c’est que la premiĂšre ligne, quand vous la lisez horizontalement : pĂšre rĂ©el ; castration ; dette symbolique ; phallus, vous vous demandez pourquoi il n’y a pas : pĂšre rĂ©el, pĂšre symbolique et phallus. De mĂȘme dans la ligne verticale : pĂšre rĂ©el, mĂšre symbolique, mĂšre imaginaire. Pourquoi : mĂšresymbolique, et non pas Ă  cet endroit pĂšre symbolique ? Pourquoi cette cassure dans ce tableau, et pourquoi le pĂšre symbolique est-il inscrit tout seul Ă  gauche ? Et qu’est-ce que c’est que ce pĂšre symbolique ? Alors le pĂšre symbolique, c’est ce qui plus tard sera appelĂ© par Lacan le nom du pĂšre ; c’est un signifiant, qui a une particularitĂ© trĂšs amusante  et c’est sans doute pourquoi il rĂ©jouit toujours. Il a une particularitĂ© trĂšs amusante, c’est que lui, il ne reprĂ©sente pas un sujet pour un autre signifiant. Autrement dit, il ne fonctionne pas comme les autres : il fonctionne comme ce que Lacan appellera plus tard un point de capiton. Vous savez ce que c’est, un point de capiton, vous avez peut-ĂȘtre chez vous un matelas par hasard, c’est ce qui vient unir comme cela deux couches. Il a repris cela des dessins de Saussure avec les deux courants du signifiant et du signifiĂ©, et voilĂ  que, avec le nom du pĂšre nous sommes renvoyĂ©s Ă  un signifiĂ©, non pas Ă  un sujet reprĂ©sentĂ© pour un autre signifiant, mais un signifiĂ©, point de capiton. Et lequel ? Quel signifiĂ© ? Et bien, le signifiĂ© d’une instance qui aurait Ă  se tenir dans le RĂ©el, une instance Une, puisqu’il lui est prĂȘtĂ© d’ĂȘtre gĂ©nĂ©ratrice, gĂ©nitrice, gĂ©nĂ©ratrice des « uns Â» qui organisent le champ de la reprĂ©sentation et le monde, qui le peuplent, donc cette instance supposĂ©e ĂȘtre prĂ©sente dans le RĂ©el, et dont la seule certitude qu’il y ait est qu’elle rĂ©pond. C’est gĂ©nial son truc, elle rĂ©pond. Qu’est-ce que ça veut dire, qu’elle rĂ©pond ? Eh bien, ça veut dire que nous sommes en gĂ©nĂ©ral habitĂ©s par un dialogue intĂ©rieur qui se tient, qui se fait   –  aujourd’hui ça se fait moins parce qu’on a des Ă©couteurs sur les  oreilles et que l’on Ă©coute
 Stromae (rires)  –  mais jusque-lĂ , avant les Ă©couteurs, il y avait donc ce dialogue intĂ©rieur,  dont personne ne s’étonne d’ailleurs, cela paraĂźt vraiment aller de soi, alors qu’il s’en faut de peu de choses pour que ça puisse apparaĂźtre comme bizarre. Un dialogue avec une instance assurĂ©ment Une avec laquelle le sujet s’interpelle, dont il reçoit des injonctions, voire s’adresse des messages qui viennent de cette instance supposĂ©e.  Par exemple, « tu es vraiment un pauvre petit connard Â», « vraiment, c’est pas fort ce que tu fais Â»...   Autrement dit, cette instance que Lacan va spĂ©cifier comme Ă©tant celle du Surmoi, cette instance Une dans le RĂ©el, et dont le caractĂšre gĂ©nĂ©rateur, le pouvoir gĂ©nĂ©rateur qui lui est attribuĂ©, va faire qu’aussi bien, de façon plus laĂŻque, il puisse ĂȘtre nommĂ© phallus.

Donc, le pĂšre symbolique, ce signifiant atypique, en tout cas bien diffĂ©rent des autres signifiants, puisqu’il est indexĂ©, on aurait presque envie de dire qu’il est traitĂ© comme un signe s’il y avait Ă  l’extrĂ©mitĂ© qu’il dĂ©signe une chose, alors que ce qu’il y a lĂ , c’est une instance hypothĂ©tique, puisqu’il n' y en a pas beaucoup qui l’ont rencontrĂ©e, et ceux qui l’ont rencontrĂ©e en sont revenus un petit peu secouĂ©s. Donc c’est la supposition de ce Un dans l’Autre, dans le RĂ©el, qui n’existe peut-ĂȘtre que du fait de mon amour, de mon amour pour le faire exister, puisque je ne suis pas sĂ»r de son existence, et l’amour, c’est toujours faire exister ce qui manque d’ĂȘtre : est-ce qu’on aime quelqu’un ou quelqu’une pour ce qu’elle a ou pour ce qu’il a, ou pour ce qui lui manque ? On peut Ă©ventuellement dĂ©sirer ce qu’elle a ou ce qu’il a, mais aimer ce n'est pas la mĂȘme dimension, et on n’aime Ă©videmment quelqu’un que dans la mesure oĂč il est porteur, animĂ© par ce qui lui manque, et que par l’amour il s’agit bien de le faire exister. Au point que Lacan dira, mais je ne m’étendrai pas sur cette consĂ©quence, que l’amour est toujours rĂ©ciproque. Ă‡a, c’est toujours trĂšs, trĂšs amusant dans les cas d’érotomanie, et oĂč la personne qui en est marquĂ©e est absolument Ă  chaque fois  persuadĂ©e que
 la vedette, par exemple, dont elle s’est Ă©prise, eh bien quand elle apparaĂźt sur l’écran, elle lui fait des signes tout Ă  fait privĂ©s, elle s’adresse Ă  elle, elle signifie que
 L’amour est toujours rĂ©ciproque, puisque celui-lĂ  ou celle-lĂ  que j’aime, c’est-Ă -dire dont je fais un « un Â» parfait, c’est bien aussi parce qu’en retour il me fait « un Â» parfait, et que l’un et l’autre Ă©tant des « uns Â» parfaits, sans aucune coupure entre nous  –  c’est pourquoi l’érotomane va toujours sous les fenĂȘtres de son objet  –  il n’y a que la fusion, enfin rĂ©ussie, qui nous attend. C’est quand mĂȘme fort, je dirais, que nous soyons animĂ©s par des dĂ©terminations aussi indiffĂ©rentes Ă  nous-mĂȘmes, aussi sourdes, bien que ce Surmoi, nous ayons l’habitude de lui prĂȘter parole.

 En tout cas, c’est bien la prĂ©sence dans le RĂ©el de ce Un supposĂ©, dont le nom du pĂšre est le reprĂ©sentant, je n’en ai jamais que le nom, et Lacan dira dans le texte  : mais qui a jamais Ă©tĂ©, a pu assumer le fait d’ĂȘtre un pĂšre complet, d’ĂȘtre un pĂšre parfait, d’ĂȘtre un pĂšre rĂ©ussi et qu’est-ce que ce serait d’ailleurs puisque ceux qui ont cette charge, ils essaient d’en assurer la fonction avec Ă©videmment un dĂ©calage par rapport Ă  cet idĂ©al qui sera toujours perçu immĂ©diatement par les enfants, bien sĂ»r, et dĂ©calage qui habituellement provoque l’amour de l’enfant, pas seulement la revendication : pauvre papa, hein, il a bien besoin d’ĂȘtre aimé 

Il y a,  je vous la conseille, elle  se joue encore,  la piĂšce d’Ibsen Le canard sauvage et qui tourne entiĂšrement autour de la question des pĂšres ; du pĂšre. Et il y a lĂ  le personnage d’un homme d’affaires qui a rĂ©ussi, un type intelligent, crapuleux, mais honnĂȘtement, crapuleux parce quand on est un homme d’affaires, on n’a pas tellement le choix, et qui donc voudrait bien que son fils rentre dans la sociĂ©tĂ©, qu’il s’associe Ă  son pĂšre,  pour prendre la suite, etc. 
 Et le fils s’insurge contre son pĂšre lubrique, malhonnĂȘte et profiteur ; s’insurge au nom de quoi : au nom justement du Surmoi, au nom de l’IdĂ©al. Et donc il rĂ©cuse ce pĂšre.  On dĂ©couvre au cours de la piĂšce ses malversations, et alors que l’autre pĂšre qui est mis en scĂšne, et qui est le fils d’une des victimes de cet homme d’affaires, et qui est un pauvre bougre, dont la vie est ratĂ©e, enfin bref, un vellĂ©itaire, nĂ©vrosĂ©, etc. et qui Ă©lĂšve une fille qui a quatorze ans dans la piĂšce, et ce pĂšre faible, lĂąche, vellĂ©itaire, elle l’adore. Or il y a donc le fils du premier qu’il dĂ©nonce, qui est un type normal, et puis il y a l’autre, le ratĂ©, et que sa fille, aux petits soins pour lui, adore, elle a besoin de le  constituer, d’ĂȘtre la fille dont il pourrait ĂȘtre fier. C’est une piĂšce trĂšs lacanienne. C’est Ă©crit en 1885, c’est-Ă -dire au moment oĂč Freud arrive Ă  Paris ; et Freud Ă©tait fascinĂ© par le théùtre d’Ibsen, vous avez l’inconscient qui est lĂ  mis sur la table. Mais il fallait Ă©videmment un clinicien pour prendre la position du thĂ©rapeute. Ibsen est un dramaturge. Et Ibsen avait Ă©galement cette particularitĂ©, il Ă©tait lui-mĂȘme dans une relation tout-Ă -fait spĂ©cifique Ă  son propre pĂšre puisque norvĂ©gien, il appartenait Ă  un pays que le congrĂšs de Vienne venait de dĂ©tacher du Danemark qui Ă©tait donc le patron de la NorvĂšge, pour le donner Ă  la SuĂšde. Donc son pays Ă©tait passĂ© du Danemark Ă  la SuĂšde, c’est agrĂ©able quand on est le citoyen d’un pays, et il Ă©crivait en danois, mais un danois truffĂ© d’idiotismes norvĂ©giens, d’idiotismes populaires, du parler populaire. Mais il Ă©crivait en danois. Et il n’y a qu’une piĂšce qui est Ă©crite en norvĂ©gien, une seule, qui est la plus connue, qui est Peer Gynt, et donc on ne s’étonnera pas que Joyce soit tombĂ© sur Ibsen, il a tout de suite reconnu lĂ  un frĂšre ; A un moment oĂč les NorvĂ©giens vont montrer leur lĂąchetĂ© en refusant de se dĂ©fendre contre les Prussiens et les Autrichiens qui viennent de se saisir de deux provinces appartenant au Danemark, il quitte son pays Ă  ce moment-lĂ  pour aller oĂč ? À Trieste ; en tout cas pour descendre en Italie et passer vingt-sept ans en exil, comme ça. Est-ce que ça ne vous dit rien, tout ça ? Et le pĂšre de Henrik Ibsen Ă©tait un riche nĂ©gociant qui bien entendu, a dissipĂ© sa fortune en menant joyeuse vie, ce qui fait que le petit, il devait avoir sept ou huit ans quand le statut social de la famille s’est trouvĂ© dĂ©truit, que ce petit qui lui parlait donc une langue Ă©trangĂšre, dont le pĂšre a provoquĂ© la dĂ©cadence de sa famille, s'est trouvĂ© affronter en plus  dans la petite ville oĂč ils Ă©taient la rumeur qu’il n’était pas le fils de son pĂšre. C’est pas beau, tout ça (rires) ? Lui-mĂȘme fera un enfant Ă  la bonne qui travaillait dans la pharmacie oĂč il Ă©tait prĂ©parateur, Ă  l’ñge de dix-huit ans, et toute sa vie il lui paiera une pension alors qu’il n’avait pas un sou. Il aura avec sa femme lĂ©gitime qu’il Ă©pouse vers l’ñge de trente ans un second fils, prĂ©nommĂ© Sigurd, qui deviendra quoi ? Et bien Sigurd deviendra Premier Ministre de NorvĂšge. Et si vous lisez cette piĂšce, vous aurez l’impression de lire une observation de Freud . Alors que Freud Ă  ce moment-lĂ  arrive donc Ă  Paris,en 1886, ce qui Ă©tait de sa part extrĂȘmement courageux parce que nous Ă©tions peu aprĂšs la guerre de 70 et que venir faire des Ă©tudes en France avec une bourse, c’était une bourse d’État qu’il avait obtenue, c’était pas s’assurer une carriĂšre. Et toute la piĂšce dont je vous parle est organisĂ©e autour d’un silence, quelque chose qui ne doit pas ĂȘtre dit, concernant justement le comportement de l’homme d’affaires et dont dĂ©pend le destin de tous les personnages, et dont le fils de cet homme d’affaires voudra que la vĂ©ritĂ© Ă©clate : ce qui va causer la ruine de tous les protagonistes. Avec cette interrogation formulĂ©e par un mĂ©decin  –  un mĂ©decin dans la piĂšce qui est un bon vivant, c’est un noceur, faut prendre son pied quoi, faut pas s’occuper du reste  –  et qui dira que ce qu’il faut prĂ©server, c’est le mensonge vital. C’est chez Ibsen. Avec donc cette interrogation : vĂ©ritĂ© ou mensonge ? Et dont vous savez comment mĂȘme au sein de la psychanalyse, c’est une question qui reste ouverte puisque le style, je dirais, qui s’est inspirĂ© de celui de Freud consistait justement Ă  mettre sur la table ce qu’il pouvait y avoir de cachĂ© dans l’histoire familiale, voire dans les sentiments : voilĂ , il faut le dire. Et alors que Lacan a agi de façon radicalement diffĂ©rente, c’est-Ă -dire nullement pour nĂ©gliger l’accĂšs Ă  la vĂ©ritĂ© des faits, ce qui n’est pas la mĂȘme chose que la vĂ©ritĂ© tout court ; l’authenticitĂ© des faits, oui, ça, il faut l’établir. Mais en maintenant toujours ce qu’il en est de ce silence fondamental qui nourrit et qui entretient la parole, et le dĂ©sir.

Alors, aprĂšs cette excursion théùtrale, et la vĂ©rification du fait que le public entend trĂšs bien, je veux dire que c’est une piĂšce qui fait vibrer immanquablement, on ne peut pas rester insensible Ă  cette piĂšce qui se termine tragiquement. Mais le public ne veut pas qu’on lui gĂąche son plaisir. C’est-Ă -dire que l’imbĂ©cile qui viendrait expliquer les ressorts de la piĂšce, on n’en veut pas, et ça c’est un point intĂ©ressant parce que le masochisme est un ressort de cette histoire ; Leopold Sacher-Masoch viendra rendre visite Ă  Ibsen et sur le cahier de Masoch Ibsen Ă©crira, il aura mis un mot sur son album, il mettra : « La littĂ©rature nouvelle doit dĂ©placer les poteaux des frontiĂšres Â». Il n'a rien dĂ©placĂ© du tout, puisque le public ne veut pas que les poteaux soient dĂ©placĂ©s. Et la rĂ©sistance Ă  l’analyse doit une bonne part Ă  cette condition, c’est-Ă -dire : Ne venez pas me dĂ©ranger dans ma façon de souffrir. C’est ce que Freud a appelĂ© abusivement l’instinct de mort, parce qu’il Ă©tait fĂąchĂ© de voir que ce qu’il faisait ne marchait pas trop.

Nous avons encore le temps, nous avons encore trois rencontres et dans ces trois rencontres devant nous je compte bien faire que cette « Leçon XII Â», qui est un pivot, qui est essentielle, nous soit parfaitement claire. Mais donc pour revenir Ă  ce tableau, et Ă  la ligne supĂ©rieure : pĂšre rĂ©el ; castration ; dette symbolique ;phallus, qui a donc pour combinatoire R, S, I., vous voyez que la lecture verticale de la colonne : castration ; dette symbolique,  vous avez au-dessous : frustration ; dam imaginaire et au-dessous : privation ; trou rĂ©el . Donc, vous avez lĂ  une autre combinatoire qui est : S, I, R, mais dont vous voyez que dans tous les cas elle concerne le traitement du trou, de ce qui fait trou, c’est-Ă -dire le RĂ©el. Mais dans le cas oĂč il s’agit de la castration et de la dette symbolique, eh bien c’est lĂ  une interprĂ©tation du RĂ©el comme susceptible d’entretenir le dĂ©sir, sexuel. Frustration, dam imaginaire : c’est l’interprĂ©tation du mĂȘme RĂ©el comme Ă©tant la cause d’une injustice fondamentale, d’une promesse non tenue, Ă  la fille, par exemple ; pourquoi n’est-elle pas traitĂ©e Ă  l’égal du garçon, comme le Petit Hans en fait la recension: tous les ĂȘtres animĂ©s, ils en ont un, alors ? Et puis, le mĂȘme RĂ©el, le mĂȘme trou, interprĂ©tĂ© comme privation, autrement dit lĂ  comme traumatisme, comme amputation, comme handicap. Donc, j’attire votre attention lĂ -dessus : la façon, la lecture qui sera faite de ce mĂȘme trou, selon qu’elle sera symbolique – castration, imaginaire  –  frustration, rĂ©elle  –  privation, va avoir des consĂ©quences subjectives dĂ©cisives : c’est toute la vie qui se trouve lĂ  appendue, par l’effet de la lecture symbolique, imaginaire ou rĂ©elle qui sera faite de ce mĂȘme trou ; alors, pourquoi dette symbolique en haut ? Eh bien, dette symbolique, puisque nous l’avons vu je crois bien la derniĂšre fois, ce que la relation imaginaire permet de repĂ©rer comme appartenance phallique - dans le cas du Petit Hans, rĂ©ciproque avec la mĂšre : tu l’as, moi aussi, la question Ă©tant de savoir chez qui elle est la plus grande  –  eh bien, le processus de la castration consiste, nous l’avons vu explicitement,  Ă  renoncer Ă  cette reprĂ©sentation imaginaire de l’appartenance phallique au profit d’une reconnaissance symbolique , cette fois par l’instance Une que j’évoquais tout Ă  l’heure, et que signifie le nom du pĂšre. Autrement dit, je consens Ă  me sĂ©parer de ce que l’assignation imaginaire me permet, m’autorise, pour maintenant ĂȘtre tributaire du don, et le terme de don va revenir trĂšs souvent  dans cette leçon du sĂ©minaire, du don qui me revient de l’Autre mais cette fois-ci sous une forme qui n’est plus liĂ©e, je dirais, Ă  l’occasion, Ă  la circonstance occasionnelle du partenaire avec qui je peux nourrir ce jeu du leurre  –  le terme de leurre est Ă©galement souvent repris, lĂ  chez Lacan  â€“  mais il y a maintenant cette indĂ©pendance de la relation en miroir, celle par exemple du Petit Hans avec sa mĂšre, oĂč s’entretient cette compĂ©tition phallique, pour ĂȘtre maintenant, je dirais une inscription, et qui rend au porteur de cette inscription une libertĂ©, un dĂ©tachement de la relation duelle Ă  laquelle il Ă©tait jusque-lĂ  assignĂ© .

Frustration ; dam imaginaire. Dam imaginaire : alors il est Ă©vident  que vous connaissez Lacan, c’est pas par hasard, il aurait pu mettre dommage imaginaire. De mĂȘme  il propose de traduire Vergleichung, c’est-Ă -dire Vergleichung c’est la « comparaison Â». Il propose de la traduire  « Ă©quipotence Â». « Ă‰quipotence Â», alors pourquoi il se sert du terme d’équipotence, hein ? Au lieu d’ Â« Ă©quivalence Â», puisque Vergleichung, c’est « Ă©quivalence Â». Alors, pourquoi il se sert  du terme d’équipotence ? Faites marcher un peu votre fantaisie. C'est tout bĂȘte, mais c’est du Lacan ça, c’est-Ă -dire que vous retrouvez lĂ  le fameux cheval, avec « Ă©qui / potence Â». Vous me direz : dans « Ă©qui / valence Â» aussi. Oui mais dans « Ă©quipotence Â» ça prend un relief, si j’ose ainsi m’exprimer, plus prĂ©cis. C’est amusant, tout ça, non ?

Auditrice :

-          « Impotence Â» aussi.

Charles Melman :

-          C’est vrai. Vous avez raison, ça met en rĂ©sonance le terme d’impotence.

 Alors je voudrais quand mĂȘme qu’on Ă©puise cette premiĂšre ligne ce soir. PĂšre rĂ©el, qu’est-ce que ça veut dire, pĂšre rĂ©el ? Alors il n'est pas trĂšs disert lĂ -dessus. Qu’est-ce que c’est, le pĂšre rĂ©el ?

Auditeur :

 Est-ce que l'on peut dire que comme il doit y avoir un interdit dans le RĂ©el, de ce fait on en dĂ©duit un pĂšre rĂ©el ?

Charles Melman :

-          Le reprĂ©sentant de la fonction paternelle qui se trouve au foyer, il a aussi un certain RĂ©el, je veux dire : il n'est pas fabriquĂ© Ă  la chaĂźne. C’est celui-lĂ  et pas un autre: il y a aussi un RĂ©el du pĂšre, il est foutu comme ça, aussi bien physiquement, mentalement qu'Ă©motionnellement, libidinalement, tout ce que l’on voudra: c’est le pĂšre rĂ©el auquel on a affaire ; mais qui a cependant Ă  tenir la fonction qui lui est dĂ©volue du fait d’ĂȘtre nommĂ© pĂšre : c’est la nomination. Il n'y a rien d’autre que la nomination qui fait de lui un pĂšre. Et s’il rĂ©cuse cette nomination, si l’enfant naĂźt sous X, eh bien, il est affranchi.

 Mais alors, pourquoi est-ce qu’il faut le pĂšre rĂ©el ? Pourquoi est-ce qu’aprĂšs tout un pĂšre symbolique ne suffirait pas, voir la photo du pĂšre sur la commode , ce n’est pas exceptionnel. Pourquoi est-ce qu’il faut un pĂšre rĂ©el ?

Auditrice :

-          Pour voir si ça tient.

Charles Melman :

-          Il faut qu’il y ait un pĂšre rĂ©el, et qu’il s’occupe de la maman, bien sĂ»r. Pourquoi est-ce qu’il faut qu’il s’occupe de la maman ? Mais parce qu'il faut justement qu’il valide cette puissance dans le RĂ©el du phallus, dont il est un reprĂ©sentant. Ce qu’on pourra lui reprocher d’ailleurs au nom de la protestation contre l’obscĂ©nitĂ©.

  Auditrice :

-          Je crois que vous avez parlĂ© de la toute-puissance maternelle. Est-ce que c’est ce pĂšre rĂ©el qui vient faire limite aussi Ă  ça, donc une certaine protection de l’enfant contre la toute-puissance ?

 Charles Melman :

-          C’est-Ă -dire qu’à partir du moment oĂč le pĂšre rĂ©el tĂ©moigne que la maman n’est  pas la reprĂ©sentante souveraine de cette instance profilĂ©e derriĂšre elle et qui s’appelle le phallus , du mĂȘme coup il fait limite. Mais il peut aussi bien sĂ»r parfaitement accepter que ce soit la maman. Et pourquoi ai-je parlĂ© du phallus, eh bien parce que justement, l’interprĂ©tation imaginaire de cette instance supposĂ©e dans le RĂ©el, c’est bien que c’est lĂ  l’instance dont la fonction est d’ĂȘtre gĂ©nĂ©ratrice.

Et donc, on a lĂ  cette premiĂšre ligne. TrĂšs rapidement car j’aurais prĂ©fĂ©rĂ© que la prochaine fois on puisse aller au-delĂ  de ce schĂ©ma : MĂšre symbolique. MĂšre symbolique de quoi ? MĂšre symbolique, eh bien justement, la mĂšre en tant que symbole de cette instance phallique profilĂ©e derriĂšre elle. Une remarque, tout de mĂȘme, son pouvoir ne tient pas Ă  une nomination. Elle n’est pas fonctionnaire. Une mĂšre – le pĂšre est un fonctionnaire, il a Ă  assumer la fonction – une mĂšre n’est pas une fonctionnaire. Mais cela ne l’empĂȘche pas d’ĂȘtre en tout cas reprĂ©sentante de cette instance phallique. Mais avec pour consĂ©quence que le RĂ©el auquel elle n'a pas moins affaire, justement, le trou sera interprĂ©tĂ© comme frustration, c’est-Ă -dire que ne lui a pas Ă©tĂ©, je dirais, donnĂ©, ce que la promesse initiale avait engagĂ©. « Frustration Â», c’est en allemand Versagung, c’est-Ă -dire la promesse, le dit qui n’est pas tenu. Ce qu’elle oblitĂšre dans le champ oral par un objet bien rĂ©el, et qui est le sein. Ne serait-ce qu’à le raconter comme ça, on a l’impression de dĂ©crire des situations cliniques, qu’on ne saurait rendre plus abstraites que par ce rassemblement, je dois dire. Mais vous remarquez quand mĂȘme ceci, c’est que – et c’est ça la beautĂ©, si je puis dire, de l’affaire – c’est que ce sein rĂ©el, eh bien il a quand mĂȘme un aspect, une dimension imaginaire du fait qu’il est nĂ©anmoins dans la colonne avec au-dessus, le phallus, qui lui est imaginaire. Donc il en prend quand mĂȘme une coloration, c’est-Ă -dire de venir Ă  la place du phallus ; du phallus en tant qu’imaginaire, le sein rĂ©el.

Et puis dans la derniĂšre ligne, le trou rĂ©el attribuĂ© Ă  un pĂšre imaginaire, c’est-Ă -dire injuste ou dĂ©faillant, et l’objet ayant la valeur de quoi ? Eh bien justement du fait qu’il ne vient pas garantir ce phallus symbolique, dont nous avons suivi la trace au cours de cette Ă©laboration,  c’est bien pour ça que le trou est purement rĂ©el, ce n’est pas un trou habitĂ©. En quoi ce trou est rĂ©el et origine une privation, eh bien c’est qu’il est dĂ©shabitĂ© de la supposition phallique, la supposition d’ĂȘtre habitĂ© par le phallus. Et  je vous recommande au moins la lecture du Canard sauvage pour que vous voyiez se dĂ©ployer sous vos yeux la mise en scĂšne de ce tableau, avec une justesse Ă©poustouflante.

Je vous signale tout de suite pour ceux qui voudraient, avant notre prochaine rencontre, se prĂ©ciser pour eux-mĂȘmes ces notions de pĂšre imaginaire, de pĂšre rĂ©el et de pĂšre symbolique, que comme Lacan a pu vĂ©rifier, entre le « sĂ©minaire XII Â» et avant le « sĂ©minaire XIII Â», il reprend, dans la « Leçon XIII Â», la question du pĂšre symbolique, du pĂšre imaginaire, du pĂšre rĂ©el et il reprend aussi le tableau que je viens d’évoquer avec vous. Alors j’espĂšre que pour vous ceci est parlant ; je dois dire que pour moi c’est absolument remarquable de voir combien, c’était 1957, c’est restĂ© sans audience, et sans doute comme je le disais tout Ă  l’heure Ă  cause de ceci, c’est que : comment, nous serions, nous, dĂ©pendants d’une pure combinatoire ? Alors que le rĂ©cit, y compris l’histoire clinique, laisse toujours, profile toujours je dirais la prĂ©sence du fauteur dans toute cette affaire, n’est-ce pas. Un rĂ©cit est toujours habitĂ©, forcĂ©ment. Y compris quand c’est un rĂ©cit clinique : il s’est passĂ© ceci et donc il y a eu ça, et ça, ça a eu pour consĂ©quence cela, etc. La consĂ©cution du rĂ©cit ne manque jamais de mettre en vibration, je dirais l’auteur de ce qui fait consĂ©cution, de ce qui fait cause et effet. En revanche, vouloir Ă©voquer le rĂŽle dĂ©cisif d’une pure combinatoire – je veux dire si vous avez une lecture par exemple symbolique du trou - forcĂ©ment ça a tout de suite
 Et puis le fait que vingt ans plus tard il est tombĂ© sur l’histoire du nƓud borromĂ©en, c’est-Ă -dire la façon dont RĂ©el, Symbolique et Imaginaire peuvent tenir ensemble et ouvrir une autre combinatoire, et qui justement n’a plus besoin de l’hypothĂšse de cette instance Une dans le RĂ©el, autrement dit de l’au-moins-Un, pour faire qu’un sujet puisse fonctionner, puisse se tenir.

Autre auditrice :

-          Merci. Juste une question un peu Ă  cĂŽtĂ©, ce que l’on voit lĂ  c’est que en fonction de la lecture du trou, ça va avoir des effets tout-Ă -fait diffĂ©rents ; En mĂȘme temps ces diffĂ©rents trous,  comment on passe de l’un Ă  l’autre ?

Charles Melman :

-          Je ne crois pas. C’est en tout cas la vocation de la cure, de favoriser une lecture diffĂ©rente, ça c’est sĂ»r. Mais spontanĂ©ment nous n’avons aucune libertĂ© Ă  cet Ă©gard. Ce qui veut dire que nous disons toujours les mĂȘmes choses. Et est-ce que les patients de Freud ont pu s’engager dans des lectures diffĂ©rentes ? Ce n’est pas Ă©vident. C’est souhaitable Ă©videmment. C’était la formule mannonienne, d’Octave Mannoni : « Je sais bien mais quand mĂȘme Â». Autrement dit : oui oui, tout ça d’accord, c’est bien beau mais quand mĂȘme. Autrement dit : faut quand mĂȘme pas me dĂ©ranger, quoi. D’accord ?

Autre auditrice :

-          Du coup est-ce que ça ne voudrait pas dire qu’il n’y aurait que trois lectures


Charles Melman :

-          Oui, il n’y en a que trois. Mais oui. C’est une combinatoire relativement rĂ©duite.  Et ce qui veut dire qu’il y aurait une clinique Ă  Ă©crire et qui n’est pas faite.

     

Charles Melman

Notes