EPhEP, MTh2-CM, le 19/01/2017
Cela relèverait peut-être du principe de précaution qui paraît-il, est à la mode. C’est un principe très curieux, le principe de précaution. Il faudrait peut-être donc que je vous conseille ce soir d’attacher vos ceintures, parce qu’il est possible, mais je n’en suis pas certain, que vous puissiez éprouver quelques turbulences ; « turbulence » c’est le même mot que celui qui veut dire troubler turbuler, troubler, cela a la même racine. Mais là, il ne s’agit pas de vous troubler, mais il s’agit plutôt, justement de nous éclairer. L’éclairage n’ayant d’intérêt évidemment que de se porter sur les causes, les causes qui par définition si je puis dire, sont cachées et donc c’est sûrement en m’autorisant du vieux principe, je dirais qui nous vient de l’époque des Lumières, que je vais vous avancer un certain nombre de propos sur ce qui nous réunit ce soir.
Le titre d’abord exact, des quelques leçons que nous allons avoir, c’est : « la psychiatrie selon Lacan et d’après moi », pas après, d’après.
Selon Lacan, puisque lui-même n’a à aucun moment écrit une psychiatrie, bien que comme vous le savez il a été psychiatrie de formation, ce qui le différenciait de Freud, c’est important, qui lui était neurologue, neurologue autrement dit qui par destination était amené à rechercher la structure des névroses dans la structure du tissu cérébral, dont il venait de se découvrir justement à l’époque de Freud par des méthodes de coloration nouvelles, par les sels argentiques, pratiqués par un dénommé Ramon y Cajal, découverte de la structure cellulaire du tissu cérébral, autrement dit le tissu cérébral fait d’une multiplicité d’éléments microscopiques mais tous réunis, connectés en un réseau.
Et Freud, comme nous le savons, sera toujours à la recherche en dernier ressort des preuves biologiques de sa découverte. Il espérait beaucoup qu’un jour les progrès de la biologie permettraient de prouver scientifiquement ce qu’il avançait.
La différence c’est que Lacan psychiatre avait forcément coupé les ponts avec la neurologie, ce qui n’est pas toujours le cas dans ce domaine, dans la mesure où il savait, y compris bien sûr grâce à l’analyse, que l’élément cellulaire en cause n’était pas de nature organique, mais constitué par le signifiant et que c’étaient les réseaux du signifiant, les effets de ce réseau, qu’il y avait à mettre en cause dans une compréhension des phénomènes de la vie psychique.
Quelle compréhension ?
Parce qu’après tout, vous rencontrerez tout au long de votre parcours, la référence à ce qui serait notre guide souverain et bienveillant : la clinique. La clinique, autrement dit, ce qui s’observe au lit du patient. La clinique donc, devant être je dirais la maîtresse de nos informations et de nos réflexions sur ce qu’il en est de la psychopathologie. C’est très fort cette référence et vous la verrez, et vous l’entendrez dans cette Ecole, y compris chez un certain nombre de nos amis qui vous enseignent et pour qui toujours, la référence à la clinique est le moyen qui ne nous tromperait pas : ça est ou ça n’est pas. Puis c’est également la clinique qui nous permettrait de ranger les diverses formes de la psychologie, de la psychopathologie en registres, en casiers, en organisations etc.
Il y a un grand problème de ce côté-là pour savoir si c’est la clinique qui nous enseigne, un gros problème. En effet, d’abord cette approche relève d’un débat traditionnel et qui est déjà présent dans la philosophie grecque aux origines, c’est-à-dire celle de savoir si la connaissance nous est transmise par nos expériences sensorielles ou bien si c’est à partir de conceptions idéales que nous nous trouvons en mesure d’interpréter les phénomènes auxquels nous avons à faire. Ce qui est dommage c’est que la référence à la clinique ignore le fait qu’elle ne fait qu’actualiser un très vieux débat que vous retrouverez aussi bien chez Aristote que bien plus tard chez Kant par exemple. Il consiste à savoir si nous sommes informés par les sens, en toute pureté, sans contamination par les préjugés que nous pourrions avoir. Vous pensez tout de suite à Rousseau bien sûr. Ou bien, si ce sont les dogmatismes, je dirais sur lesquels nous nous formons, sur lesquels nous nous appuyons qui nous donnent les clés des phénomènes que nous observons.
Pour trancher ce débat, parce que on peut facilement le trancher, ce débat qui est repris aujourd’hui parce ce qui s’appelle le cognitivisme, encore que pour lui cela ne soit pas un débat puisque tout ce que nous savons, je dirais nous vient des expériences sensorielles.
Pour le trancher, il suffit, c’est tout bête, tout simple, de faire remarquer que l’approche scientifique a toujours dû se dégager des expériences sensorielles, elles-mêmes trompeuses, fondamentalement trompeuses pour, je dirais, se référer à des démarches formalisées, logiques ou mathématiques, idéelles donc idéales pour interpréter les phénomènes.
Par exemple : pour dire des choses toutes bêtes : il est bien évident que la terre est plate. Ce n’est pas vous qui allez me dire le contraire, moi je l’ai vue. Je l’ai vue moi. Vous allez me dire que j’ai un trouble de … Ce n’est pas ça ? Il est bien évident que le soleil tourne autour de la terre. Ah oui, il se lève là, il va se coucher là. Quelqu’un va me démentir là-dessus ?
Les nombres, le chiffrage qui est quand même un temps majeur de l’approche rigoureuse, de l’approche scientifique, est-ce qu’il nous vient d’une quelconque expérience sensorielle ?
Il est bien évident que le dénommé Pythagore a tenté de s’arrêter à ce phénomène, mais les mathématiques donc se sont développées à partir du moment où elles sont devenues de pures signes, des écritures. C’est absurde quand même, vous ne trouvez pas ! Je ne sais pas moi ça mérite de nous étonner, que simplement des petits gribouillis sur un papier, puissent donner des résultats qu’on va vérifier dans le réel. Et cependant rien de rigoureux, je ne dis même pas scientifique, je dis en ce qui nous concerne, rien de rigoureux ne s’est construit sans référence pour nous guider, sans référence au système logique, mathématique, linguistique, ce que l’on voudra, susceptible de rendre compte des manifestations que nous venons d’aborder, penchés sur le lit du patient : la clinique.
Donc, comme vous le voyez de ce côté-là, ce préalable pour justifier notre démarche et les références que je vais faire. Vous verrez combien elles nous permettent effectivement, d’avoir sur la clinique des aperçus neufs et que donc je vais mettre à l’épreuve avec vous, c’est-à-dire qu’ils vont éventuellement vous secouer, vous faire turbuler, c’est ce qu’on va voir.
Mais, il y a encore un préalable incontournable, c’est que les symptômes en psychopathologie ne se caractérisent que parce qu’ils sont déviants par rapport à une norme.
Il faut la référence à une norme pour isoler des traits qui seraient donc des perturbations, des anomalies de cette norme. Il est bien évident que cette norme, elle est variable dans notre domaine, selon les cultures.
Il sera banal, c’est un pont aux ânes ce que je vais vous dire, que dans tel village africain, tel membre du village qui est halluciné, ce sont simplement les dieux ou les ancêtres qui lui parlent. Point barre. Est-ce qu’il n’y a pas de la duplicité dans cette façon de traiter ce phénomène du délire chez ce patient ? Peut-être. On sait bien qu’il y a quand même de la maladie là derrière. Mais invoquer la participation des dieux, des ancêtres, c’est du même coup traiter la maladie, calmer le jeu et pour le patient lui-même. En tout cas, ne pas le séparer de sa société naturelle. Ne pas le prendre comme un malade : voilà, il est en communication directe avec les ancêtres ! Et puis d’une certaine façon, peut-être qu’il a de la chance, peut-être que c’est un chamane. Peut-être qu’il a des pouvoirs spéciaux.
Ces banalités que je vous expose pour que votre attention soit attirée sur le fait que cette norme qui permet de catégoriser les symptômes, elle est variable selon nos cultures, mais elle est aussi variable chez nous-mêmes. C’est ça qui est génial.
Il y a 7-8 ans, pas plus, dans le répertoire des maladies mentales figurait l’homosexualité. Aujourd’hui, si vous dîtes une chose pareille, c’est embêtant, c’est grave. Faut faire attention, hein ! Il ne faut pas y allez comme ça. Vous retardez, ce n’est pas correct. Ce n’est pas politiquement correct. J’ai pris l’exemple de l’homosexualité, mais je pourrais vous en prendre tant d’autres. Mais pour vous signaler combien même chez nous, il y a des variations dans la norme, pas besoin de faire le voyage africain. Même la nomenclature est susceptible de varier et pour des raisons qui sont il faut bien le dire, politiques, tout bêtement, de même que dans le dernier DSM 4 ou 5, je ne sais même plus, des affections comme l’hystérie ont disparu. Cela n’existe plus. Il y a des symptômes de conversion somatiques, oui ça, ça y est, cela est déjà toute une conception, mais l’hystérie n’existe plus. Cela n’existe plus, car ce n’est pas gentil pour les dames. C’est offensant. Pourtant c’est une vieille dénomination clinique qui est très importante. Vous verrez, c’est très important l’hystérie, pour essayer de comprendre quelque chose à la psychopathologie.
Tout a commencé avec elle. Et puis c’est connu depuis toujours, et très vite, cela a été bien identifié. Je me permets de vous rappeler les papyrus égyptiens qui datent 2500 ans avant notre ère. Les médecins égyptiens ont isolé une affection bizarre chez les femmes avec des symptômes qui voyagent dans le corps, qui concernent le bas-ventre, l’abdomen, l’estomac, la trachée pour respirer, les oppressions, et puis ça monte, le cou qui gonfle, puis la tête. Et cependant, ils savaient qu’anatomiquement, il n’y avait rien, que c’était purement fonctionnel. C’est fort ! Alors, me direz-vous, vous voyez l’observation ? Bien oui, l’observation, mais aussi un certain courage intellectuel.
Hippocrate n’a fait que reprendre ces textes égyptiens. Et l’attribution géniale faite par ces médecins, il y a 2500 ans - je l’ai déjà raconté mille fois – d’un utérus desséché chez ces dames. Comme il est desséché, il monte dans le corps, comme un ballon. Ce sont ces déplacements dans le corps qui provoquent toutes ces délocalisations. Donc si l’utérus est desséché, cause de cette maladie -vous imaginez dans ces pays arides et secs ! - C’est tout simple, il faut pratiquer un peu d’arrosage. Il faut marier les jeunes veuves, bien oui. Et pourquoi c’est intéressant ? C’est intéressant parce que cela vient illustrer un savoir, qui à tel moment a pu être très avancé et puis qui s’est perdu. Charcot ne savait pas ça. Freud doit en parler quelque part.
Je suis en train de vous parler de la norme et j’évoquais le fait que par exemple chez nous, récemment, s’est produite cette modification, cette transformation que j’ai évoquée, qui a l’avantage de nous brancher sur ceci : c’est que la norme sociale a toujours à voir avec le comportement sexuel, toujours, même quand cela en a l’air éloigné ; ce qui nous renvoie donc à ce que nous pouvons aujourd’hui distinguer comme instance psychique, dont les rapports du sujet à cette instance vont commander les conduites sexuelles et y compris les rapports à la norme.
La norme n’est pour nous pas séparable, y compris dans toutes ses déclinaisons morales, de l’instance phallique ordinatrice du comportement sexuel. Nous avons forcément un rapport, dans le développement de la psyché, à ce qui est la découverte par l’enfant de la sexualité : ce n’est pas seulement qu’il se passe quelque chose entre papa et maman ou quelque chose qu’il aurait vu à la dérobée, non, là encore ce n’est pas l’observation, la clinique vues par l’enfant qui suffisent. Non. C’est la compréhension par l’enfant, que papa et maman se réfèrent à une instance qui n’est pas là, qu’on ne sait pas, et qui cependant vient commander et organiser leur désir et qui dès lors donne la clef pour comprendre, pour piger tout ce qui se dit entre adultes.
Et chez les enfants cette intelligence, cette compréhension peut se produire tôt. Elle peut aussi ne pas se produire ou bien se produire et être forclose : le petit chou, il n’en veut pas. Il n’en veut pas parce que cela dérange complétement le statut qu’il a dans sa famille. Cela veut dire qu’il n’est pas le petit trésor, mais qu’au-delà de lui, il y a quelque chose, par laquelle il se trouve lui-même concerné, mais qui au premier chef commande la conduite de ses parents et qui donne donc le chiffre, le code, pour comprendre ce qu’ils racontent ; donc l’enfant pige, je dirais assez tôt, le rapport des adultes avec ce truc, il ne sais pas quoi.
Pour le petit Hans, cela sera un cheval d’abord ou une girafe, une créature phobique mais représentative d’une force vitale, celle qui tire tous les wagons et il a peur que cette force vienne à disparaître, que le cheval tombe sur la chaussée. Donc dans un premier temps et comme bon petit phobique, il lui donnera cette image, il l’imagera comme étant un animal, mais en tout cas, il y a là quelque chose. Lui-même ne sait pas comment s’identifier au relevé de cette force, pour se trouver habité par elle. Il ne sait pas à quoi s’identifier. Et alors tout naturellement, il va à la maison jouer au petit cheval, faire comme si ; pas seulement jouer avec le petit cheval que Freud a apporté dans la famille pour son anniversaire des 3 ans. Il va jouer à faire le petit cheval à la maison, à faire un petit cheval pour relever de cette force. Et puis au lieu du petit cheval, cela sera peut-être la girafe parce que - et ça Lacan ne le savait pas au moment où il a fait son séminaire - que le non de la famille c’était Graf et que donc le i tombe et on le voit d’ailleurs sur le dessin que fait le petit Hans de la girafe. Et voilà, il est par son nom de famille même, il relève de cette force animale vitale qui est celle de la girafe. Donc, en tout cas cette norme, ce qui fait norme, ce qui commande la norme, et donc au premier chef la norme sexuelle, c’est cette instance qui a le caractère d’être une et d’être en quelque sorte le support, la référence du désir sexuel, ce qui fait que l’on pourra l’appeler aussi bien Dieu que Père.
Là où ce conte de fée commence un petit peu à se compliquer, c’est que chez le névrosé cette instance va être refoulée, autrement dit, après avoir compris qu’elle est là, qu’elle est présente, que comme le cheval ou la girafe, elle figure dans le champ des représentations, on va comprendre que sa place n’est pas dans le champ des représentations, qu’elle est ailleurs, sans savoir où est cet ailleurs.
Elle est ailleurs. Chez le névrosé elle va être refoulée, chez le psychotique et c’est là que nous commençons à avancer, elle va être forclose, c’est-à-dire que l’enfant fera « comme si » il n’avait rien compris, rien vu, rien entendu, comme si cela n’était pas, ni dans le champ des représentations, ni ailleurs, opération de forclusion, verwerfung, forclusion en allemand chez Freud, qui va rendre compte de la psychose.
Mais le bénéfice de l’approche que je vous propose, c’est de vous faire remarquer que si chez le névrosé cette instance est refoulée, c’est-à-dire exclue du champ des représentations et renvoyée on ne sait où - en tout cas dehors - eh bien c’est notre sort commun. Le propre de la culture, ce n’est pas l’exhibition le propre de la culture c’est la pudeur, la censure, le cache mis sur la sexualité, et ce qui fait que le rapport social je dirais ordinaire, normal, puisqu’il faut parler de normes, est construit sur le fait que les interlocuteurs vont se rencontrer sur la complicité dans le silence mis sur leur sexualité réciproque, sauf évidemment s’il y a tentative de séduction, et alors se produit l’exhibition. Mais nos rapports sociaux sont évidemment fondés, organisés sur le refoulement, organisés sur le refoulement de cette instance phallique, ce qui fait que comme vous le voyez, au fond ce que nous appelons la norme, eh bien je dirais elle est psychopathogène, puisque la norme implique le refoulement c’est-à-dire le fait qu’ensuite la sexualité dans mise en œuvre pratique, va constamment hésiter entre la légitimation ou l’interdiction, l’empêchement.
Comme nous le savons, dans notre culture c’est plutôt l’empêchement, l’inhibition et la culpabilité qui sont la règle. Mais ce n’est pas tout, il y a beaucoup mieux : par rapport à cette norme qui implique que les ayant droit, les ayant droit à se faire reconnaître et à se produire dans le champ des représentations, doivent avoir un trait qui les apparente à cette norme phallique.
Ceux qui ont le droit de cité, ceux qui ont le droit d’être là, ceux qui sont légitimement dans le champ des représentations, ce sont donc ceux qui sont porteurs d’un trait identificatoire de leur rattachement à cette instance phallique. Vous avez reconnu bien sûr les bonshommes, les bonshommes ! Bien oui, ceux-sont eux, ceux qui sont de plein droit dans le champ des représentations, ce qui fait que - alors là nous rentrons dans une clinique que vous connaissez assez bien je ne sais pas d’où elle vous vient mais enfin peu importe - ce qui fait qu’une moitié de l’humanité, grâce à cette norme, n’est aucunement légitimée dans le champ des représentations, d’abord parce qu’elle n’a pas de trait. Elle n’est pas porteuse d’un trait qui vient marquer sa filiation. J’utilise ce terme à dessein par rapport à cette norme. Mais il y a encore autre chose et qui n’est généralement pas signalé ce qui fait que vous en aurez vraisemblablement la pudeur (sic) !, avec la pudeur, vous en aurez la primeur [rires]. Eh bien c’est que si cette norme est aussi essentielle, elle agit néanmoins, elle tient son pouvoir d’attraction par le refoulement.
Autrement dit, ce qui est signe d’appartenance, ce que j’évoquais tout à l’heure pour le bonhomme, signe d’appartenance à cette instance, signe de virilité qui va être caché, dissimulé, inhibé - il ne faut pas faire n’importe quoi ! - de telle sorte que bien évidemment la sexualité dite virile peut être amenée à en souffrir, et justement interroger sur la légitimité de son exercice. C’est banal.
Mais, la fille qui déjà se trouve exclue de ce champ, il y a autre chose : c’est que si elle veut se faire néanmoins valoir, comme en relevant, c’est-à-dire paraître dans le champ des représentations comme venant imager ou incarner l’objet d’attrait sexuel - ce qui montre bien à ce moment-là qu’elle en relève de l’instance phallique, qu’elle y participe - eh bien du fait de cette exigence du refoulement que j’évoquais il y a un instant, il lui est en général conseillé si elle veut être admise dans le milieu social et ne pas être prise pour une malfamée, une dévergondée, pour une mal élevée ou comme ayant de mauvaises mœurs il lui est recommandée justement de s’effacer, se faire oublier, y compris oublier elle-même qu’elle peut être un objet d’attrait sexuel. Ce qui fait, et là nous sommes en plein dans la clinique, ce qui fait qu’elle ne peut paraître dans le champ de la représentation qu’au titre soit de fille, soit de mère, pas de femme, c’est quand même incroyable ! C’est quand même incroyable, elle a le droit de cité comme petite fille innocente donc, n’est-ce pas ? Petite fille c’est toujours innocente, c’est bien connu, ou bien comme mère relevant de cette instance phallique, mais au titre d’en être la fonctionnaire, c’est-à-dire chargée de la reproduction.
Il est inutile que je vous fasse remarquer, bien que ce soit dans nos sociétés qui quand même à cet égard sont un peu évoluées, que c’est peut–être moins vif que je ne le présente, encore que dans la subjectivité ce soit présent, et dans le devenir des jeunes femmes, des jeunes-filles, cela soit présent ; mais vous comprenez qu’il puisse y avoir des religions où tout simplement la présence dans le champ des représentations ne peut être que voilée, ce n’est pas compliqué. On ne va pas quand même, et c’est explicité, prendre le risque, susciter le désir de n’importe qui, alors que cela doit être réservé exclusivement pour la bonne cause. Ce qui fait donc, que ce qui pourrait paraître un excès ou une anomalie relève de la norme bien que, je le redis, ceci soit dans notre culture apparemment atténué, encore que l’expérience du domaine qui est le nôtre, nous montre bien que le problème n’est jamais simple à cet égard dans la subjectivité des jeunes filles.
Donc, cette fameuse norme, l’instance phallique et puisque je disais qu’elle était psychopathogène, elle implique le refoulement de la sexualité, ce que Freud appelait verdrängung. Verdrängung, c’est un terme qui veut dire pousser de côté, la sexualité mise à l’écart, mise de côté, et c’est ce que la théorie analytique a appelé d’un nom qui paraît toujours barbare et qui s’appelle la castration, la castration puisque je suis amené au nom même de la pudeur, de la règle sociale à porter ce cache sexe. Et si pour moi cette instance phallique pour des raisons culturelles ou personnelles a pris le nom de Dieu ou le nom de Père, je suis conduit à ne m’autoriser l’exercice sexuel que dans le cadre des autorisations définies par la dite instance. J’en ai l’usufruit mais je n’en n’ai pas la propriété, je ne peux pas en faire ce que je veux. Je peux m’en servir à condition que je respecte les règles.
C’est à ce moment-là que va se produire, j’espère que vous allez l’entendre, un coup de tonnerre, silencieux, mais coup de tonnerre tout de même. Un coup de tonnerre que vous allez trouver chez Freud et qui va constater ceci : c’est que ce refoulement, il n’a pas besoin qu’il y ait une instance phallique qui soit mise en place dans ce lieu que l’on ne sait pas, parce que il y a ce qu’il appelait un refoulement originaire urverdrängung, ur ça a toujours voulu dire origine en allemand, originaire. Refoulement originaire et qui donc est lié à la pratique même du langage, avant toute conception d’une instance en ce lieu bizarre dont on ne sait pas où il se trouve et qu’on ne voit pas, pas plus que l’on ne voit les dieux.
Et c’est là que vous avez à faire à cette chose bizarre, c’est que ceux d’entre vous qui vous accordez quelques lectures et vous intéressez à la philosophie grecque, vous avez constaté que les écoles philosophiques à Athènes - en Grèce il n’y avait pas qu’Athènes - qu’est-ce qu’elles faisaient ? Sur quoi elles réfléchissaient ? Quel était leur problème ? Là-bas, je vous le dis tout de suite, il n’y avait pas de refoulement. Autrement dit, les nobles barbus, qui se réunissaient pour colloquer ensemble dans leurs réunions savantes, les dialogues chez Platon, ces nobles barbus, avant de rentrer dans la pièce où on allait s’accroupir pour papoter ensemble, ah, ils n’hésitaient pas à s’interpeller sur le mode de : « ah dis donc toi hier, moi je t’ai bien vu avec le petit machin, tu avais l’air de bien t’amuser. » Vous imaginez ça chez nous au Collège de France ! [rires]. Avouez que ça…, publiquement, dans les couloirs encore discrètement cela va, mais comme ça publiquement.
Le refoulement, ils ne savaient pas ce que cela pouvait être. Ils n’en n’avaient pas la moindre idée, mais ils cherchaient, et c’est ça la philosophie au départ, bien que les philosophes nous le cachent, ils cherchaient ce qu’il y avait à sacrifier et en particulier dans la jouissance pour être effectivement un homme. L’essence de l’homme, autrement dit, ne pas être un animal, parce que le totémisme, ce n’était pas loin. Qu’est-ce qu’il y a, à quoi faut-il renoncer ? Renoncer, quelle part de jouissance faut-il abandonner pour être un homme comme il faut ? Un gentleman, un gentleman athénien.
Alors, à partir de ce moment-là, il y a les Ecoles qui se séparent. Donc il y a par exemple ceux qui se regroupent avec Socrate, dont le modèle, c’est que ce n’était pas un marrant Socrate, ce n’était pas un marrant du tout. Premièrement, il ne buvait pas avec les copains, ça ce n’est pas très social. Il ne baisait pas avec les copains. Et il y a un type qui était un génie et un séducteur, Alcibiade, qui est venu comme ça - c’est dans Le banquet - qui est venu comme cela s’allonger près de lui : « On va bien voir si »… eh bien Socrate, il ne s’est pas laissé tenter. Beaucoup auraient donné cher pour avoir Alcibiade dans leur lit. Eh bien non il n’a pas voulu. Il était sobre. Il ne participait pas à la goinfrerie ordinaire. Il était courageux. Au cours d’une bataille, je ne sais plus laquelle, il a risqué sa vie tranquillement sans jamais en faire gloire, sans peur. Donc qu’est-ce que c’était ce type et pourquoi il faisait cela ? Cela interroge tous ceux qui sont là et en même temps il sert de modèle. On pense qu’il a une sagesse, une sagesse supérieure. Et cela va même aller beaucoup plus loin, puisque qu’il est emprisonné et condamné à mort sous prétexte, écoutez bien, de corrompre la jeunesse : c’est amusant ce type qui était à ce point strict et rigoureux et la Cité l’accuse de corrompre la jeunesse. En réalité, il était accusé de détourner les fils de bonne famille des vocations bourgeoises, des vocations professionnelles, de devenir banquier par exemple, comme tout le monde, et donc accusé et condamné à mort. Et comme ses élèves l’aiment beaucoup, il y avait déjà du transfert, ça il y en avait déjà, ses élèves l’aiment beaucoup ils viennent lui dire ce n’est pas un problème. La date de son exécution est retardée parce qu’on a envoyé à Delphes un bateau qui doit être chargé des 12 plus beaux jeunes gens de la Cité qu’on sacrifie, sacrifices réels, et non pas sacrifices symboliques comme ceux dont je parlais il y a un instant avec le refoulement et la castration (parce qu’il ne s’agit pas d’opération chirurgicale) et donc on attend pour pouvoir zigouiller Socrate, on attend que ce bateau sur lequel on a mis les 12 plus beaux gosses pour les faire crever sur une île, et ses élèves lui disent : « On a payé le gardien, tu sors, tu t’en vas » et qu’est-ce qu’il fait Socrate ? Vous savez, il dit : « Non je ne pars pas. Je ne pars pas, parce qu’il y a d’abord à respecter les lois de la Cité même si elles sont injustes. Et non je ne pars pas ». Et il a donc bu la ciguë.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? C’est que toutes ces Ecoles de philosophie, prenez le temps et accordez-vous le plaisir d’aller voir comment ça se passait, comment ça discutait à l’époque : toutes ces écoles sont à la recherche de ce qu’il y a à sacrifier, de ce qu’il faut retrancher et retrancher dà la jouissance pour être un homme. Alors, donc, il y avait un grand mot chez eux qui était l’Idéal et qui s’appelait la tempérance. Il faut être tempérant. La tempérance en français parce qu’on n’a pas de mot exact pour traduire un mot grec qui se disait sôphrosúnêσωφροσύνη. Le terme de tempérance cela se rapproche du terme grec et si vous voulez lire un livre qui vous retiendra comme un roman policier, lisez sur la question le livre de Pierre Aubenque qui était un spécialiste d’Aristote.
Et puis l’école stoïcienne, puisque pour celle-ci, son idéal, c’est une espèce d’anesthésie, d’insensibilité. Lorsque Néron condamne Sénèque à se trucider lui-même, c’est-à-dire à se trancher les veines, Sénèque, stoïcien, que fait-il ? Eh bien il prend une lame, il se coupe les veines et puis il regarde tranquillement le sang couler jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien à voir. C’était ça le stoïcisme, ce n’était pas ça qui allait lui faire peur et le déranger.
Pourquoi je vous raconte tout ça, puisque j’en étais à la question du refoulement originaire ? Urverdrängung. Et pour vous montrer comment à l’origine de notre culture, il y a ce problème, que dans le langage, il y a ce lieu d’où s’exerce un appel, une invitation, un commandement, nous allons dire un trou où s’engage cet appel au le sacrifice d’une part de jouissance, un trou dans le langage, qui pour les grecs n’était pas vide, même s’il n’était pas habité par l’instance phallique.
Pour les grecs, ce trou dans le langage était peuplé par les dieux, qui étaient même très bruyants et très présents. Mais enfin ces dieux n’étaient bridés par aucune limite, par aucune morale. Justement, ce qui les caractérisait, c’était que les dieux là-bas, dans ce lieu, dans ce lieu autre, autre que le champ des représentations, ils pouvaient tout se permettre, c’était ça la caractéristique qui fait qu’ils étaient des dieux.
Ce trou dans le langage semble être le domicile de la force vitale. Ce lieu où se tient, d’où s’exerce cet appel régulateur ou ordonnateur du désir et dont il faut reconnaître très bêtement que c’est le monothéisme qui, je dirais, va nettoyer cet espace de ces dieux, de ces dieux anthropomorphes mais aussi zoomorphes. C’est intéressant qu’ils aient été mixtes, autrement dit qu’ils aient conservé la force animale au sein même de leur humanité ; cela devait être ça les dieux, alors que comme vous le savez pour notre religion le principe sera de retrancher radicalement ce qu’il en est de la force animale.
C’est au principe de la religion monothéiste bien sûr.
Alors, ce que j’ai encore ce soir amené, puisque je suis en train de mettre le cadre en place des références nécessaires pour venir ensuite faire pour nous ce déroulé de ce qu’il en serait d’une psychiatrie lacanienne, c’est-à-dire comment nous avons, au nom de ce qui serait non plus cette norme dont je parlais tout à l’heure, mais d’une autre norme, et qui est celle des lois du langage, comment nous avons à déchiffrer les symptômes de la psychopathologie.
Avant donc de m’arrêter ce soir, je vais reprendre avec vous, puisque je crois que là vous allez vraiment saisir toute la portée de ces 3 registres isolés par Lacan dont on vous a sans doute déjà rebattu les oreilles : réel, symbolique, imaginaire, sans lesquels nous sommes au défi de lire la clinique.
Le signifiant, était cet élément qui dans le champ de la neurologie était cellulaire. C’était la cellule avec ses dendrites et ses axones, alors qu’il s’agira pour nous, de l’élément unitaire du langage et des réseaux propres au langage, le signifiant.
Il est symbolique de ce trou, c’est-à-dire de ce qui vient à manquer pour assurer la satisfaction achevée du désir. Il manquera toujours quelque chose. Le signifiant est symbolique de ce trou, qui traduit, qui organise ce défaut de réalisation parfaite du désir, que je n’ai jamais qu’un autre signifiant à me mettre sous la dent, mais qui est également, ce trou, la condition pour que le désir soit entretenu. Nous verrons ça, nous illustrerons dans le champ des névroses ce point.
Et puis enfin, c’est ce trou qui par ce manque même, donne son sens à la parole, c’est-à-dire ce que Freud a isolé sous le terme de libido, c’est-à-dire que la parole, elle ne parle que de ça, même quand, pleine de pudeur, elle ne semble parler que des nuages, des petits oiseaux, du temps qu’il fait, de ce que vous voudrez. C’est ce que Freud a appelé libido, avec ce fait qui n’existait pas justement chez les grecs, c’est que lorsque vous parlez, eh bien inévitablement le sens qui est au fond de tout échange est sexuel. Heureusement qu’on n’y pense pas tout le temps, hein ! Ce serait, ce serait embarrassant, même si ce sens est sublimé comme quand on fait une conférence par exemple. Le symbolique donc, en tant que symbole de ce trou.
Est-ce que vous connaissez d’autres symboles ? Oui bien sûr. Nous vivons dans un monde de symboles. La patrie, vous avez déjà rencontré vous la patrie ? Elle est où la patrie ? Où est-ce que vous l’avez déjà vue ? Pourtant, vous ne me direz pas que c’est une croyance la patrie, elle existe. Eh bien, vous la connaissez que par ses symboles, le drapeau par exemple. Et c’est ce que Freud fait remarquer. C’est que si dans une bataille, l’une des parties combattantes voit son drapeau perdu, à terre, l’armée va se débander. Freud s’interroge là-dessus. Il faut manifester que la patrie est toujours là. On pourrait en dire autant pour Dieu, les symboles par lesquels nous sommes peuplés, et qui témoignent d’une existence que peu d’entre vous avez rencontrée de vos propres yeux ou avez directement entendue, du moins je l’espère. Eh bien ce n’est que par un symbole que vous serez amenés à le présentifier.
Puis il y a donc l’imaginaire, c’est-à-dire la façon dont cette instance vous allez la représenter et qui aura des conséquences totalement différentes selon que vous l’appelez Dieu, selon que vous l’appelez le Père, ou selon que vous l’appelez comme on le fait depuis Lacan, que vous l’appelez l’instance phallique. Donc l’imaginaire c’est important, puisque la façon dont vous allez la nommer par le biais de l’imaginaire va déterminer fondamentalement la conduite.
Puis il y a de ce trou, le reste, le réel c’est-à-dire ce qui reste non symbolisable et non imaginable, par la symbolisation et par l’imaginaire. Vous en avez pris une part de ce trou, vous l’avez investi, mais il y aura toujours une part de ce trou qui restera au titre de réel, échappant à la prise et constituant le réel.
Et je voudrais vous dire toute suite, pour vous donner cette première note clinique à partir de cette mise en place rapide mais qui je crois est simple et explicite, vous dire que l’accès à l’ordre symbolique - c’est-à-dire l’accès du fait du langage à ce manque du désir, ce pur trou, avec les conséquences que je viens d’évoquer - engendre cette faute heureuse puisqu’elle est génératrice de l’entretien du désir, dont le comblement amènerait son aphanisis. Eh bien l’accès je dirais à ce symbolique est ce qui pour nous, les parlêtres, est ce qu’il y a de plus difficile et le plus communément refusé, pour simplement l’interpréter comme privation et frustration, et donc nous engager dans la voie d’une revendication qui en général va durer toute l’existence,
L’interprétation de ce qui est un effet du langage, pas du papa ni de la maman ni de Dieu mais du langage est une dimension dont l’accès nous est rendu particulièrement difficile, de même que, pourquoi ne pas le dire comme ça, ce que l’on peut attendre d’une psychanalyse, c’est justement d’en autoriser l’accès et de reconnaître que l’on a la clé de ce qui permet d’isoler une norme qui ne soit plus comme la précédente purement pathologique, pathogène, mais qui soit une norme venant illustrer ce qu’il nous faut appeler les lois du langage.
Vous savez que les premières lois qui fonctionnaient chez les grecs, on les a attribuées à un dénommé Solon, dont on ne sait même pas s’il existait. Il fallait donner un nom. Eh bien avec les lois du langage, il n’y a pas de responsif, de responsable, il n’y a pas de fauteur. Vous ne pouvez vous en prendre à personne. C’est désolant de ne pouvoir s’en prendre à personne, il faut toujours avoir quelqu’un quand même à qui s’en prendre, quoi ! Hein, vous vous rendez compte cette frustration, être privé du fautif, hum !
Les lois du langage ne consistent pas à absoudre universellement, pas du tout. Elles consistent à reconnaître un fonctionnement qui est au principe de notre existence et qui nous permet donc d’envisager des normes, qui viendraient tout autrement nous faire envisager ce qui serait psycho-pathologique.
Et vous allez voir dans les rencontres ultérieures, cette mise en place que j’ai faite pour vous, c’est-à-dire cette référence à l’instance phallique, c’est-à-dire à la norme, comme dit Lacan, c’est la norme mâle, eh bien de quelle manière cette norme, ce normal, cette norme mâle vient rendre compte des symptômes auxquels nous avons affaire, et vient également, je dirais ébaucher le type de réponse, le type de conduite, que l’on peut attendre, que l’on peut espérer.
Et pour conclure, je vais vous raconter une toute petite chose mais qui a l’avantage tout de suite de vous faire toucher du doigt ce dont il s’agit. Cela tient en 3 phrases : une jeune femme qui vient, je dirais manifestement très tourmentée, fatiguée, insomniaque, le teint pâle : on voit le malaise physique, on voit la fatigue,…parce que elle a découvert que son amant en a une autre, une autre qu’elle. Quoi de plus banal ! Pourquoi banal ? Je vous le dirais après. Eh bien elle est entièrement défaite, elle passe son temps à le harceler, la nuit en particulier puisqu’elle ne dort pas. Elle le harcelait au téléphone et pour lui reprocher l’état dans lequel elle est etc. Donc sa jalousie elle la reconnaît, « je suis jalouse » et elle reconnaît aussi et dès le premier entretien que finalement elle cherche que ça aille encore plus mal. Elle n’est pas idiote. Ce n’est pas ce type de comportement qui pourrait arranger les choses, si tant est qu’elles puissent être arrangées ; mais elle reconnaissait qu’elle cherchait à ce que ça aille plus mal et à se faire du mal.
Est-ce qu’on va banalement conclure jalousie et on va dire pathologique ? On est des psys, jalousie pathologique, allez ! Eh bien, voilà avec la clé que je vous ai donnée aujourd’hui, vous savez tout de suite que ce n’est pas une jalousie pathologique.
Non, ce n’est pas de ça dont il est question. Alors, il est question de quoi ? Bien, il est question de ceci, c’est que cette instance phallique, elle est ce qui réunit le couple, mais elle est aussi ce qui le sépare. Ce qui les sépare à cause de cette instance, fait qu’ils sont hétérogènes l’un par rapport à l’autre. Ils ne sont pas dans le même espace, l’homme et la femme. Ils ne sont pas du même côté. Et du même coup leur rencontre, elle est complexe puisque d’un côté cette instance phallique, elle les rassemble au nom d’un désir qui pourrait être partagé et puis elle les sépare parce que la régulation de ce désir et ses exigences ne sont pas les mêmes d’un côté et de l’autre. Alors, comment faire pour s’accorder ? Donc cette instance, elle les réunit et elle les sépare. Eh bien faute donc qu’elles puissent jouir de cette instance qui les réunit, elle va tenter de jouir de cette même instance, mais en tant qu’elle les sépare. Et jamais ils n’auront été autant ensemble dans les coups de téléphone, dans les mails, dans les SMS, dans les machins, dans les trucs. Jamais, ils n’auront été aussi ensemble et confrontés l’un à l’autre, je dirais que depuis que s’est produit cet événement, c’est-à-dire, ce dont il s’agit, c’est d’essayer de faire durer, de faire que se perpétue cette jouissance qui les a réunis, qui peut les désunir, qui peut les séparer ; et ils peuvent en jouir et là je vous dis une banalité, encore plus fort dans la douleur de la séparation, que dans les accommodements de la réunion.
Voilà, un trait d’une pathologie qui ne doit rien à personne, c’est-à-dire où on ne peut incriminer personne et sûrement pas l’incriminer elle-même ; elle se trouve être le jouet, elle se trouve être manipulée, prise, par quelque chose dont il n’est pas exclu qu’elle prenne la mesure, on peut l’espérer pour elle, qui est banal et qui comme vous le savez est une figure à la fois paradoxale, et néanmoins une figure si fréquente dans notre culture de la vie des couples : comment être ensemble en se déchirant et en étant sans cesse sur le pas de la porte pour se séparer et en restant ensemble au nom de cette séparation même.
Donc, vous voyez aussi que si vous voulez, si vous pensez pouvoir être thérapeute dans une affaire comme celle-là, cela ne sera peut-être pas par la conclusion « jalousie pathologique » et alors ! Comment vous traitez, vous une jalousie pathologique ? Qu’est-ce que vous faites ? Hein ? Une fois que vous l’avez dit, une fois que la patiente le dit, elle le dit toute seule, elle n’a pas besoin de vous. Mais vous voyez que, un autre type d’approche inattendu, absolument non classique, que vous ne trouverez pas dans les livres, un autre type d’approche, peut être en mesure de lui permettre de passer à autre chose. Elle est jeune encore. Cela serait dommage que les années qu’elle a à vivre soient placées sous le signe de cette acuité déchirante. Cela serait dommage, pas la peine.
Voilà donc pour ce soir. Vous n’avez pas eu l’air trop turbulés mais ça je n’en sais rien, enfin vous le direz et donc à la prochaine fois.
Charles Melman