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Ephep, Séminaire du 20 mars 2014

Nous allons reprendre de façon très précise les éléments qui, pour Lacan, sont organisateurs de la phobie par une démonstration, une série d’assertions qui lui sont parfaitement originales et qui, entre autres, mettent en pratique ce tableau que nous avons pu regarder, ce tableau qui comporte la permutation du réel, du symbolique et de l’imaginaire – je dis bien la permutation des termes – était susceptible de rendre compte de ce qui dans la déclaration du petit Hans ne peut manquer de nous paraître confus et finalement, je dirais, incompréhensible. Ne serait-ce que parce qu’à la recherche permanente du sens à laquelle se soumet Freud vient là se substituer chez Lacan une pure combinatoire entre père symbolique, père réel, mère symbolique, père imaginaire, une pure combinatoire qui rend des phénomènes subjectifs et tout simplement par une permutation automatique de ces termes. Autrement dit, une sortie du récit, de la narration, du caractère romanesque, si je puis dire, donné à l’explication de la mise en place de la phobie du petit Hans pour rendre compte d’un jeu purement de structure. Et, il est évident que d’un point de vue purement méthodologique, c’est non seulement d’une originalité entière mais c’est également, je dirais, ce qui en quelque sorte ouvre la porte à ce qui sera beaucoup plus tard le maniement des nœuds. En tout cas, la pensée qu’un symptôme, ici en l’occurrence la phobie, puisse être déterminé indépendamment du récit et de la volonté du sujet par une pure combinatoire est d’une originalité qui mérite, je dirais, d’être soulignée.

Je reprends cette leçon qui est donc la leçon 13. Je la reprends quelques pages avant la fin au niveau, je le dis bien, de ce qui va se présenter comme le nœud de l’affaire.

Alors, il va nous dire ceci : « Nous sommes dans une relation pré-oedipienne dans ce qui détermine la phobie. » (p 221) La phobie donc comme détermination pré-oedipienne alors que la névrose, vous voyez tout de suite la différence aura, elle, une causalité oedipienne. La névrose est, on va dire, un refus opposé à la loi paternelle. Une contestation. La phobie est liée à l’étape pré-oedipienne. Autrement dit, indépendante donc de ce qui serait l’intervention structurante, on ne peut pas dire que le papa n’est pas là, en tout cas indépendante donc de ce que serait l’intervention structurante du père.

Alors ce qui va tout de suite nous frapper dans ce que raconte Lacan, il va nous dire ceci : « Il y a deux choses, une considération que je vais faire devant vous, qui sera un rappel de ce que nous pouvons appeler la situation fondamentale quant au phallus de l’enfant par rapport à la mère. » (p 221) Situation de l’enfant quant au phallus par rapport à la mère, pré-oedipienne. « La relation de l’enfant à la mère en tant qu’elle est objet d’amour, objet désiré pour sa présence, objet qui suppose une relation aussi simple que vous pouvez la supposer, mais qui est très précocement manifestable dans l’expérience, dans le comportement de l’enfant, la sensibilité, la réaction à la présence de la mère, et très vite son articulation en un couple présence-absence. » (p 221) L’introduction immédiate de l’enfant à la dimension de l’absence et, bien qu’il ne le dise pas mais nous pouvons aisément en ce qui nous concerne le déduire, la présence ne prenant en quelque sorte son effectivité que du fait de la possibilité de cette absence : qu’elle s’absente. Il est bien évident qu’à défaut, supposons la mère collée à son enfant, il est bien évident que l’absence elle-même ne saurait être pensée. Je ne m’attarde pas trop là-dessus.

Mais il ajoute : « C’est vous savez ce sur quoi nous partons [le couple présence/absence] et si les difficultés ont été élevées à propos de ce qu’on peut appeler le monde objectal premier de l’enfant, c’est en raison d’une insuffisante distinction du terme même d’objet. » (p 221) Et je crois que les fois précédentes, nous étions amener à réfléchir sur finalement l’étrangeté du terme et, je dirais, la difficulté à le définir. Je crois bien que nous en avions parlé ensemble. À quoi est-ce que l’on reconnaît un objet ? Et comme je crois que nous avions été très savants, nous avions fait remarquer ceci : de même que la présence de la mère n’est individualisable que du fait de sa possible absence, de même la notion d’objet ne se présentifie que parce qu’il manque. C’est parce qu’il manque que nous sommes amenés à évoquer ce que serait la présence d’un objet alors que cette présence nous est ordinairement épargnée sauf dans cette relation en quelque sorte première marquée par le couple présence/absence et où la dimension de l’objet qu’il s’agisse de la mère comme objet pour l’enfant ou de l’enfant objet pour la mère ne se met, je dirais, en relief à cause de la réciproque possible de l’absence. Et, ça a une conséquence clinique dont je n’oserais pas dire qu’elle est amusante parce que je serais sûrement le seul à la trouver telle mais, cela rend compte de ce qui est si fréquent chez les mamans justement, la crainte que le bébé ne disparaisse, autrement dit ne vienne à mourir puisque ce serait en quelque sorte la condition pour que sa présence soit enfin pleinement attestée. Il faudrait sa disparition pour que sa présence puisse être attestée et donc cette dimension que nous savons et à laquelle le bébé va être bien évidemment sensible et réagir à sa façon.

Lacan ajoute : « Qu’il y ait un objet primordial, que nous ne puissions pas, en aucun cas constituer idéalement, c’est-à-dire dans notre idée, ce monde de l’enfant comme étant un pur état de suspension aux limites indéterminées à l’organe qui le satisfait, c’est-à-dire à l’organe du nourrissage, c’est une chose que je ne suis pas le premier à contredire […] ». (p 221) Il parle d’Alice Balint, etc. Cet objet premier, j’explique cette phrase qui risque de vous paraître obscure malgré le degré maintenant très avancé de vos travaux sur la question. Et bien je m’explique. Elle est très simple. Cet objet primordial, nous ne pouvons pas le constituer idéalement, c’est-à-dire le nommer puisqu’il existe que par son absence. Et, il met en cause cette espèce de conception que ce qui serait un monde premier de fusion entre le bébé et sa maman, puisqu’il manque cette représentation, un espèce d’enfermement réciproque de la mère et de l’enfant constituant une masse indistincte, ne saurait se voir, ne saurait s’observer.

Alors, la mère existe mais ça ne suppose pas pour autant qu’il y est déjà quelque chose qui s’appelle moi et non-moi. Donc, la mère existe du fait de cette absence qui fonde son existence. Mais, ça ne suffit pas pour marquer la distinction, la séparation d’avec elle, la distinction du moi et du non-moi, ce qui est elle et ce qui est le bébé même si l’on a mis en cause, bien entendu, la masse indistincte qu’il constituerait et, ça ne suffit pas non plus, pour faire que la mère existe comme objet symbolique et comme objet d’amour. Cette époque fondée sur le couple présence/absence, ce dispositif ne suffit pas pour qu’il puisse faire la distinction entre le moi maternel et le moi du bébé ou le non-moi représenté par la mère, ni non plus le fait qu’elle existe comme objet symbolique et comme objet d’amour. Objet symbolique, c’est-à-dire représentante de cette absence, le symbole – et nous allons de plus en plus y être habitués –, il n’est jamais que le représentant d’une absence.

C’est bien pourquoi, je dirais, que l’ordre symbolique est devenu aujourd’hui de plus en plus incertain puisque nous fonctionnons dans un monde compact, sans limite. L’accès au symbole est devenu éminemment problématique ainsi que, bien entendu, la pensée de l’absence qui ne sera vécue que dans le registre de la privation et la frustration.

Donc, ça ne veut pas dire qu’à cette époque la mère existe comme objet symbolique, symbolique de cette absence et, comme objet d’amour, c’est-à-dire comme ce qui est là investi au lieu de cette absence et comme support donc de l’amour. C’est ce que confirmera à la fois l’expérience et ce que je suis en train de formuler dans la position que je donne ici à la mère sur ce tableau, à ce stupéfiant tableau que j’évoquais au départ et en tant qu’elle est d’abord, nous dit-on, mère symbolique et que ce n’est que dans la crise de la frustration qu’elle commence à se réaliser par un certain nombre de chocs et avec la particularité de ce qui arrive dans les relations entre la mère et l’enfant, cette mère comme objet d’amour qui peut être à chaque instant la mère réelle justement pour autant qu’elle frustre cet amour, objet d’amour en tant que justement ce qui fait qu’elle est susceptible d’y faire défaut. Ce qui la fonde, c’est cette frustration même. La relation de l’enfant avec elle est une relation d’amour où il y a, en effet, ce quelque chose qui peut ouvrir la porte à ce qu’on appelle d’habitude la relation indifférenciée première. C’est ce que je vous disais mais, c’est faute d’avoir l’aptitude, il réfute, il met en cause cette notion de relation indifférenciée première, cette fusion entre la mère et l’enfant.

« En fait, ce qui se passe fondamentalement, ce qui est la première étape concrète de cette relation d’amour comme telle, à savoir ce quelque chose qui fait le fond sur lequel, se passe ou ne se passe pas, avec une signification, la satisfaction de l’enfant, qu’est-ce que c’est ? C’est que l’enfant prend cette relation en s’y incluant lui-même comme l’objet de l’amour de la mère, c’est-à-dire que l’enfant apprend ceci qu’il apporte à la mère le plaisir, c’est une des expériences fondamentales de l’enfant qu’il sache que si sa présence commande si peu que ce soit celle de la présence qui lui est nécessaire, c’est en raison où lui-même il y introduit quelque chose, cet éclairement qui fait que cette présence là l’entoure comme quelque chose, à quoi, lui, apporte une satisfaction d’amour. »

(p 222) Voilà une jolie phrase, emberlificotée à souhait mais qui nous dis bien ce que cela veut dire. Autrement dit, c’est dans cette sorte de réciprocité, il apprend son amour pour la mère dans la mesure où lui-même est pris là comme objet d’amour mais Lacan n’évoque pas ce que je disais tout à l’heure. C’est-à-dire qu’au fond, il serait lui-même objet d’amour que dans le risque de sa disparition, de son absentification.

Je ne vais pas évoquer là, ce serait trop arbitraire mais enfin, il y a comme vous le savez ce qu’on appelle les morts subites du nourrisson. Une affaire étrange à laquelle les médias ne comprennent rien parce qu’il s’agit d’enfants qui en général du point de vue organique sont impeccables. Absentification brutale du nourrisson.

« Le « être aimé » entre guillemets est fondamental, [ça chacun de nous est un peu au courant de ça] c’est le fond sur lequel va s’exercer tout ce qui va se développer entre la mère et l’enfant, c’est précisément en tant que quelque chose s’articule peu à peu dans l’expérience de l’enfant qui lui indique que dans cette présence de la mère à lui-même, il n’est pas seul. » (p 222) On est dans la phase pré-oedipienne. Il y a quelque chose qui va lui apprendre que dans cette présence de la mère à lui-même il n’est pas seul. « C’est autour de cela que va s’articuler toute la dialectique du progrès de cette relation de la mère à l’enfant. […] S’il n’est pas seul et si tout tourne autour de là, ceci bien entendu ouvre à notre esprit une des expériences les plus communes, que d’abord il n’est pas seul parce qu’il y a d’autres enfants. [Ce n’est pas obligatoire.] Mais nous avons indiqué comme hypothèse de base qu’il y a un autre terme constant et radical, et indépendant des contingences et des particularités de l’histoire et de la présence ou de l’absence de l’autre enfant, par exemple, c’est le fait que la mère conserve à un degré différent selon les sujets, le pénis-neid qui fait est quelque chose par rapport à cela. » (p 222-223) Voilà le terme troisième et avant toute intervention du papa, l’enfant qui vient s’inscrire dans ce rapport à un troisième terme qui se manifeste par le pénis-neid. « Il le comble ou il ne le comble pas, mais la question est posée. La découverte, et de la mère phallique pour l’enfant, et du pénis-neid pour la mère sont strictement coexistants du problème que nous essayons d’aborder pour l’instant. » (p 223) Qu’est-ce que ça veut dire la mère phallique et le pénis-neid ? Et bien, ça veut dire quelque chose d’extrêmement simple. C’est que du fait de sa maternité – c’est quelque chose que j’ai l’habitude de répéter – que du fait de sa maternité, une femme va se trouver enfin décorée de la médaille phallique. Au champ d’honneur. Sur le front. Dans les tranchées, si j’ose dire. Ben oui, elle en a maintenant la médaille. Et donc, c’est grâce à cet instrument que représente le bébé et qui vient répondre à son pénis-neid puisque du même coup elle se trouve marquée de l’index phallique. C’est donc bien que le bébé peut s’assimiler à l’instrument.

Il y a un texte de Freud que je ne saurais assez vous recommander dont le titre me reviendra sûrement un jour mais que vous pourrez retrouver vous-mêmes, c’est sur l’équivalence d’un certain nombre d’objets. Il y en a quatre. Il y a pénis, argent, fèces et enfant. C’est audacieux de la part de Freud d’avoir pu établir une telle équivalence. Faudra que je vous donne, si vous ne connaissez pas cet article, faudra que je vous en trouve les coordonnées.

Donc « […] où l’on voit que c’est dans la relation à la mère que l’enfant éprouve le phallus – au fond lui, il ne prend du prix pour elle que parce qu’il vient répondre à cette instance qui est – le centre du désir de la mère et où il se situe lui-même en différentes positions, par où il est amené à maintenir, et très exactement à leurrer, ce désir de la mère. » (p 223) C’est-à-dire, à être le semblant, le semblant de pénis qui lui donne cette valeur phallique. «  De quelque façon, l’enfant se présente à la mère comme étant ce quelque chose qui lui offre le phallus en lui-même, et à des degrés et dans des positions diverses. » (p 223) Et, écoutez la suite de cette histoire absolument fabuleuse. « Ici il peut s’identifier à la mère, s’identifier au phallus, s’identifier à la mère comme porteuse du phallus ou se présenter lui-même comme porteur du phallus. Il y a là un haut degré, non pas d’abstraction, mais de généralisation de ce niveau de la relation imaginaire, – autrement dit de la relation en miroir – de la relation que j’appelle leurrante, par où l’enfant en quelque sorte atteste à la mère qu’il peut la combler, non seulement comme enfant, mais aussi pour ce qui est le désir et ce qui manque, pour tout dire, à la mère. » (p 223)

Je dois vous dire qu’à ma surprise ce moment qui est ici si finement décrit et rapporté est assurément déterminant ; lorsqu’il ne peut pas avoir lieu, il est déterminant de l’autisme. L’autisme infantile c’est ce qui se produit quand une mère ne peut pas venir inscrire son enfant comme venant répondre à un pénis-neid et venant lui donner la médaille phallique. Je suis évidemment à chaque fois surpris de devoir remettre ça sur l’ouvrage et à chaque fois insister en étant, je dirais, heurté de la déxesualisation radicale que nos collègues qui s’intéressent à la question introduisent dans la question de l’autisme infantile. C’est vraiment une opération qui vient hors sexe pour elle alors que c’est justement parce que c’est hors sexe que l’enfant devient autiste. Si on ne veut pas qu’un enfant devienne autiste, il faut qu’il soit pris dans cette dialectique sexuelle anté-oedipienne et, on sait qu’il y a des mères qui, pour des raisons diverses, ne sont pas intéressées ou ne peuvent pas, je dirais, faire valoir, mettre en œuvre cette économie-là, à ce moment-là. C’est pas compliqué, c’est simple comme chou, comme petit chou.

Et bien voilà, c’est quand même étrange… Je vous conseille vivement un bouquin qui vient de sortir chez Érès,Autismes et Psychanalyses [1] qui est constitué d’articles écrits par différents praticiens de l’autisme infantile. Vous regarderez ça et vous vous demanderez dans quelles pages la psychanalyse est concernée parce que ce n’est pas parce que ce sont des gens qui sont psychanalystes et qu’ils s’occupent de ces bébés, qu’ils font de la psychanalyse. C’est je dois dire assez impressionnant. Moi, personnellement, ça m’impressionne, de quelles façons ces praticiens reçoivent eux-mêmes des cas qu’ils étudient sur un mode imaginaire, le fait qu’il n’y a pas de sexe dans l’affaire et donc qu’il n’y a pas à mettre en cause quelques déterminations sexuelles. Ben oui, y a pas de sexe mais c’est à ça qu’est dû l’autisme infantile. Étrange affaire.

Alors, une digression clinique, pourquoi pas. La situation, c’est-à-dire, le fait que cet enfant peut combler la mère non seulement comme enfant mais aussi pour ce qu’il en est du désir et de ce qui lui manque, il ajoute : « La situation est certainement structurante, fondamentale, puisque c’est autour de cela, et uniquement autour de cela que peut s’articuler la relation du fétichiste à son objet […] ». (p 223) C’est fantastique de rattacher la genèse du fétichisme à cette étape précoce. « […] par exemple toutes les gammes intermédiaires qui le lient à une relation aussi complexe et aussi élaborée, et à laquelle seule la psychanalyse a pu donner son accent et son terme, le transvestisme, l’homosexualité étant ici réservée à ce dont il s’agit dans l’homosexualité, c’est-à-dire du besoin de l’objet et du pénis chez l’autre. » (p 223) Donc, dans ce travail de la genèse du fétichisme, du transvestisme et de l’homosexualité, à cette étape pré-oedipienne et tout à fait primitive, tout à fait première, ce besoin de la présence du pénis réel chez l’autre ou de l’objet dans l’homosexualité féminine. « À quel moment allons-nous voir que quelque chose met un terme à la relation ainsi soutenue ? » (p 223) Ah, ah, ah ! Vous allez dire, ben voilà, on va attendre que Guignol sorte des coulisses avec son gros bâton. Et bien, voyons si c’est bien de Guignol dont il est question. « Ce qui met un terme dans le cas du petit Hans par exemple, que nous voyons au début de l’observation par une sorte d’heureuse rencontre de l’éclairage, de mirage heureux qui se produit à chaque fois que nous faisons une découverte, nous voyons l’enfant complètement engagé dans cette relation où le phallus joue le rôle le plus évident. Les notes qui sont données par le père comme étant ce qui a été relevé dans le développement de l’enfant jusqu’à l’heure H où commence la phobie nous apprennent que l’enfant est tout le temps en train de fantasmer le phallus, d’interroger sa mère sur la présence du phallus chez la mère précisément, puis chez le père, puis les animaux. On ne parle que du phallus, le phallus est vraiment l’objet pivot, l’objet central de l’organisation de son monde, du moins si nous nous en tenons aux propos qui nous sont rapportés. Nous sommes devant le texte de Freud, nous essayons de lui donner son sens. » (p 223-224) Qu’il y a-t-il donc de changé pour que cette période heureuse où il est dans la relation de leurre avec sa mère ? « Qu’y a-t-il donc de changé, puisqu’il n’y a véritablement rien d’important, rien de critique qui survienne dans la vie du petit Hans ? » (p 224) Qu’est-ce qu’il y a de changé pour qu’il entre dans la phobie ? Alors c’est pas la trique que nous attendions, c’est pas Guignol. « Ce qu’il y a de changé, c’est que son pénis à lui commence à devenir quelque chose de tout à fait réel – Hein ! Plus d’imaginaire ! –, il commence à remuer, il commence à se masturber, et ça n’est pas tellement que la mère intervienne à ce moment-là qui est un élément important. » (p 224) Comme vous vous en souvenez évidemment, comme il ne pensait qu’à ça, la mère lui a dit : « Si tu te touches, je vais te le couper » ou un truc dans ce genre-là. « Que déjà le pénis devienne quelque chose de réel, ceci c’est le fait massif de l’observation ; à partir de là il est tout à fait clair que nous devons nous demander s’il n’y a pas une relation entre cela et ce qui apparaît à ce moment-là, c’est-à-dire l’angoisse. » (p 224)

On n’est pas encore dans la phobie. C’est l’angoisse. Il y a la relation leurrante, imaginaire. C’est son pénis réel qui se met à remuer. Il commence à se masturber et c’est l’angoisse. « Je n’ai pas encore abordé le problème de l’angoisse ici, parce qu’il faut prendre les choses par ordre. L’angoisse, vous le savez, tout au long de l’œuvre de Freud est véritablement une des questions permanentes, à savoir comment nous devons la concevoir. » (p 224) Je vous renvoie à ce travail qui est très difficile et qui s’appelle Inhibition, symptôme, angoisse de Freud. « Je ne donne pas dans une phrase le résumé du chemin parcouru par Freud, c’est tout de même quelque chose qui, comme mécanisme, est là toujours présent dans les étapes de son observation, la doctrine vient après. » (p 224) Alors la doctrine de Freud c’est que l’angoisse est liée à un excès de libido dont l’insuffisance d’épanchement provoque cet affect. L’angoisse est la montée d’une libido qui n’est pas satisfaite et, c’est pourquoi en bon hygiéniste contre l’angoisse, le petit père Freud refusera ce que sûrement Martha Freud aurait souhaité, parce qu’elle en avait assez de pouponner tout le temps, refusera le coitus interruptus puisque le coitus interruptus nous dit Freud est une soustraction de libido, de satisfaction qui entraine est source d’angoisse. On est là dans une mécanique relativement simple qui est celle de Freud.

« L’angoisse dont il s’agit en cette occasion, comment devons-nous la concevoir ? Aussi près que possible du phénomène. Je vous prie un instant simplement d’essayer cette sorte de mode d’abord qui consiste à faire preuve d’un peu d’imagination et de vous apercevoir que l’angoisse – écoutez bien – par cette relation extraordinairement évanescente par où elle nous apparaît chaque fois que le sujet et, si insensiblement que ce soit, décollé de son existence et où pour si peu que ce soit il s’aperçoit comme étant sur le point d’être repris dans quelque chose que vous appellerez comme vous voudrez suivant les occasions, image de l’autre – image de l’Autre avec un grand A – tentation, bref ce moment où le sujet est suspendu entre un temps où il ne sait plus où il est, vers un temps où il va être quelque chose qu’il ne pourra plus jamais se retrouver, c’est cela l’angoisse. » (p 224) C’est-à-dire ce moment, ce temps de bascule entre un temps où d’un côté il ne sait plus où il est et l’autre où il va être quelque chose qui ne pourra plus jamais se retrouver. Moment charnière en quelque sorte. « Ne voyez-vous pas qu’au moment où apparaît chez l’enfant sous la forme d’une pulsion dans le sens le plus élémentaire du terme, quelque chose qui remue, le pénis réel, – Ah ! Voilà le moment nouveau. Il partait d’un temps qui était celui de l’imaginaire auquel il doit renoncer pour entrer dans un temps où il va être quelque chose – c’est à ce moment-là que commence à apparaître comme un piège ce qui longtemps a été le paradis même du bonheur, à savoir ce jeu où on est ce qu’on est pas – c’est-à-dire ce moment de leurre imaginaire avec la mère – où on est pour la mère tout ce que la mère veut, parce que bien entendu je ne peux pas parler de tout à la fois, mais tout cela dépend du fait après tout ce que l’enfant est réellement pour la mère, et nous allons essayer d’y mettre tout à l’heure quelque différence, et nous allons tâcher d’approcher de plus près ce qu’était Hans pour sa mère. Mais pour l’instant nous restons dans ce point crucial qui nous donne le schéma général de la chose. Jusque-là l’enfant, d’une façon satisfaisante ou pas – mais après tout dont il n’y a aucune raison de ne pas voir qu’il peut mener très longtemps ce jeu d’une façon satisfaisante – l’enfant est dans ce paradis du leurre avec un peu de bonheur, et même très peu pour sanctionner cette relation, si délicate qu’elle puisse être à mener. Par contre l’enfant essaie de se couler, de s’intégrer dans ce qu’il est pour l’amour de sa mère. Mais à partir du moment où intervient sa pulsion à lui, son pénis réel, il apparaît ce décollement dont je parlai tout à l’heure, à savoir qu’il est pris à son propre piège, qu’il est dupe de son propre jeu, que toutes les discordances, que toutes les béances, et la béance particulièrement immense qu’il y a entre le fait de satisfaire à l’image et de, lui, avoir là justement quelque chose à lui présenter, à présenter cash si je puis dire, et ce qui ne manque pas de se produire n’est pas simplement que l’enfant, dans ses tentatives de séduction, échoue pour telle ou telle raison, ou qu’il soit refusé par la mère qui joue à ce moment-là le rôle décisif. C’est que ce qu’il a en fin de compte à présenter – à sa mère – est quelque chose qui peut lui apparaître à l’occasion, et nous en avons mille expériences dans la réalité analytique, comme quelque chose de misérable. » (p 224-225)

Catastrophe. Il était là dans cette relation imaginaire de leurre et de bonheur avec la maman et prêt à assurer justement les images qu’elle pourrait souhaiter et puis voilà ce pénis réel qui s’agite et d’un coup l’image qui tombe et la béance entre ce qui était cette image idéale et l’affaire misérable qu’il a à lui présenter. Pourquoi misérable ? La question mériterait d’être posée à Lacan. Il est pas là, on lui posera pas. Mais c’est en tout cas sûrement un moment où l’enfant prend… On est toujours dans la phase pré-oedipienne, or Lacan continue de penser que l’enfant ne prend cette appréhension du caractère misérable de ce qu’il a à proposer à sa mère que par une comparaison avec ce qu’il a pu observer ailleurs et pas seulement chez le cheval où, même chez la mère parce que vous vous souvenez qu’il dit : « Toi, tu dois en avoir une grosse, une grosse comme le cheval » et donc avec ça vient le sentiment effectivement du caractère misérable de ce qu’il a à offrir. Alors, il essaie. Tout ça, c’est merveilleusement délicat.

Alors. « À ce moment le fait que l’enfant soit mis devant cette ouverture – cette béance – ce dilemme, ou d’être captif […] ». (p 225) Cette phrase, elle sera plus claire. Mais, ça ne fait rien, nous y allons. On avance. On verra bien ce qu’on en fait. « […] la victime ou l’élément pacifié d’un jeu où il devient dès lors la proie des significations de l’autre. » (p 225) Je pense que là au niveau de cette phrase, il y a des erreurs de transcription ou sténographiques. Mais, ça débouche sur quelque chose de tout à fait inattendu. Je suis sûr qu’aucun de nous ne l’attendait à ce moment-là. Et, c’est le débouché sur ceci : « C’est très précisément en ce point – c’est-à-dire lorsqu’il devient le captif, la victime ou l’élément pacifié d’un jeu où il devient dès lors la proie des significations de l’autre. Je dis bien que cette phrase est sûrement fautive. Je ne sais pas comment Lacan rédigeait encore – que s’embranche ce que je vous ai indiqué l’année dernière – nous n’y étions pas – comme origine de la paranoïa, parce qu’à partir du moment où le jeu de leurre devient sérieux et où en même temps ce n’est qu’un jeu de leurre, l’enfant est entièrement suspendu à la façon dont le partenaire indique par toutes ses manifestations, pour lui toutes les manifestations du partenaire deviennent sanction de sa – suffisance ou insuffisance. » (p 225)

C’est étrange qu’il fasse là encore remonter la paranoïa, cette période, je dis bien, pré-oedipienne, entièrement suspendue à ce qui serait la stase d’un moment où, dans la relation à la mère, il trouverait le modèle d’une relation à l’autre dont il serait entièrement et en permanence dépendant quant à sa suffisance ou insuffisance. « C’est ce qui se passe très précisément dans la mesure où cette situation est poursuivie, c’est-à-dire où ne vient pas intervenir la Verwerfung – c’est-à-dire la forclusion – laissant dehors ce terme du père symbolique, dont nous allons voir dans le concret justement combien il est nécessaire. » (p 225) Là encore la phrase est fautive puisqu’il faut la lire en supprimant une négation : « C’est ce qui se passe très précisément dans la mesure où cette situation est poursuivie, c’est-à-dire où vient intervenir la Verwerfung, la forclusion, laissant dehors ce terme du père symbolique, dont nous allons voir dans le concret justement combien il est nécessaire ». Il y a tout lieu de penser que pour Lacan lui-même l’élaboration de ces points n’était pas évidente pour que ces phrases soient aussi tordues. « Laissons le donc de côté pour l’autre enfant, – le père symbolique – pour celui qui n’est pas dans cette situation très particulière de voir et d’être livré entièrement, à partir de ce moment, à l’œil et au regard, – du grand Autre – c’est-à-dire au paranoïaque futur. » (p 225) C’est drôle comment il se prend lui-même les pieds dans ses phrases. « Pour l’autre la situation est littéralement sans issue par elle-même. – C’est-à-dire celle du paranoïaque livré aux caprices de l’Autre. – Bien entendu elle est avec l’issue puisque, si je suis là, c’est pour vous montrer en quoi le complexe de castration en est l’issue. » (p 225-226)

Voyez pourquoi je prends ça ligne après ligne puisque c’est vraiment nodal. « Le complexe de castration reprend sur le plan purement imaginaire tout ce qui est en jeu avec le phallus et c’est pour cela précisément qu’il convient que le pénis réel soit en quelque sorte mis hors du coup. » (p 226) Alors là, vous vous rendez compte ? « C’est par l’intervention de l’ordre qu’introduit le père avec ses défenses, avec le fait qu’il introduit le règne de la loi, à savoir le quelque chose qui fait que l’affaire à la fois sort des mains de l’enfant, mais qu’elle est quand même réglée ailleurs, qu’il – le père – est celui avec lequel il n’y a plus de chance de gagner qu’en acceptant la répartition des enjeux telle quelle. Cela fait que l’ordre symbolique intervient et sur le plan imaginaire précisément. » (p 226)

Vous ne comprenez rien pour le moment, c’est très bien. Attendez un tout petit peu. « Ce n’est pas pour rien que la castration c’est le phallus imaginaire mais c’est en quelque sorte hors du couple réel que l’ordre peut être établi où l’enfant retrouve quelque chose à l’intérieur de quoi il pourra attendre l’évolution des évènements. » – Autrement dit entrer en période de latence. C’est moi qui l’ajoute. – « Ceci peut vous paraître simple pour l’instant comme solution du problème. C’est une indication, ce n’est pas une solution, c’est rapide, c’est un pont jeté. Si c’était facile, s’il n’y avait qu’un pont à jeter, il n’y aurait pas besoin de le jeter, c’est le point où nous en sommes qui est intéressant. Le point où nous en sommes c’est précisément celui où en est privé le petit Hans où il ne se produit justement pour lui rien de pareil, où il est confronté, où il est mis à ce point de rencontre de la pulsion réelle et de ce jeu du leurre imaginaire phallique, et ceci par rapport à sa mère. » (p 226)

Alors qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? C’est que le complexe intervient d’abord en effaçant dans le champ imaginaire la représentation pénienne et d’autre part – ça c’est encore bien plus amusant – venant affirmer, je dirais, le caractère réel du pénis, c’est-à-dire en le mettant hors champ puisque le réel c’est ce qui se trouve, je dirais, hors du symbolique ; autrement dit là le pénis réel venant, je dirais, en quelque sorte nourrir l’instance phallique présente dans le réel. Ça vous étonne tout ça hein ? C’est complètement farfelu et donc ça mérite que vous repreniez attentivement… Je vous le redis : cela fait que l’ordre symbolique intervient sur le plan imaginaire précisément, c’est-à-dire avec cette découpe de l’image pénienne dans l’image du corps. Découpe de l’image pénienne dans l’image du corps. Ce n’est pas pour rien que la castration c’est le phallus imaginaire, c’est-à-dire qu’elle porte sur le phallus imaginaire. Mais, c’est en quelque sorte hors du couple réel que l’ordre peut-être établi où l’enfant retrouve quelque chose à l’intérieur de quoi il pourra attendre l’évolution des évènements.

Bon. Et donc pour le petit Hans, le fait que pour lui cette castration symbolique ne s’est pas produite. Et qu’est-ce qui se produit à ce moment-là ? Et bien ce qui se produit c’est une régression. Une régression. Ça c’est un passage, je dirais, très amusant. Très amusant. La régression c’est un élément important de la topique freudienne. Autrement dit, quand une étape ne peut être satisfaite chez Freud et bien il se produit un retour à l’état précédent.

Et bien Lacan reprend dans ce séminaire ce procès-là des questions en disant ceci : « Je préférerai quand même que vous en soyez étonnés, parce que le terme de régression, je l’articule ni plus ni moins qu’à la stricte portée que je lui ai donnée dans la dernière séance avant l’interruption, quand nous avons parlé de la frustration. De même qu’en présence de défaut de la mère – quand elle est absente – je vous ai dit que l’enfant s’écrase dans la satisfaction du nourrissage, de même à ce moment où c’est lui qui est le centre qui ne suffit plus à donner ce qu’il y a à donner, il se trouve dans ce désarroi de ne plus suffire. – Le moment où du faut de l’intervention de ce pénis réel, il ne se trouve plus suffire. – À ce moment-là la régression se produit, qui fait feindre ce même court-circuit qui est celui avec lequel se satisfait la frustration primitive, de même que lui s’emparait de sein pour clore tous les problèmes. La seule chose qui s’ouvre devant lui comme une béance, c’est exactement ce qui est en train de se passer d’ailleurs, c’est la crainte d’être dévoré par la mère, et c’est le premier habillement de la phobie. C’est très exactement ce qui apparaît dans le cas de notre petit bonhomme, car tout cheval que soit l’objet de la phobie, c’est quand même d’un cheval qui mord dont il s’agit et le thème de la dévoration est toujours, par quelque côté, trouvable dans la structure de la phobie. » (p 226) Autrement dit s’il ne peut plus la satisfaire dans le leurre imaginaire phallique, retour à la phase antérieure ; de même lui venait répondre à la possibilité d’absence de la mère en venant s’écraser dans la satisfaction du nourrissage, de même là, il va imaginer qu’il ne peut plus satisfaire sa mère que elle-même venant écraser son insatisfaction en le bouffant, ce qui n’est pas gentil.

Quel suspens ! Vous voudriez savoir qui est le coupable, attendez encore un peu. On n’est pas très loin. Mais vous voyez, on ne peut pas… J’aurais dû réfléchir à la façon de corriger les phrases où il y a des erreurs de transcription. Mais voyez qu’on peut rien laisser passer là. Essayez d’imaginer ce qu’un auditoire pouvait en retenir, il n’y avait aucun texte, il fallait prendre des notes. C’est pas évident de prendre des notes avec des phrases ainsi. Voyez dans quel état de déshérence se trouvaient les élèves et quelle chance vous avez. Vous ne la mesurez pas.

Bon alors, est-ce là tout ? Bien entendu non. « Ce n’est pas n’importe quoi qui mord, ni qui dévore. Nous nous trouvons confrontés avec le problème de la phobie chaque fois qu’il se produit avec un objet un certain nombre de relations fondamentales, dont il faut bien laisser certaines de côté pour pouvoir articuler quelque chose de clair. Ce qui est certain, c’est que les objets de la phobie qui sont en particulier des animaux, se marquent d’emblée à l’œil de l’observateur le plus superficiel, par ce quelque chose qui en fait par essence un objet de l’ordre symbolique. Si l’objet de la phobie est un lion, que l’enfant habite ou non, et surtout quand il n’habite pas des contrées où cet animal ait le moindre caractère, non seulement de danger, mais simplement de présence, c’est à savoir que le lion, le loup, et voire la girafe, sont justement ces objets étranges parmi lesquels le cheval montre justement une sorte de limite extrêmement précise, qui montre bien à quel point il s’agit là d’objets, si on peut dire, qui sont empruntés à une sorte de liste ou de catégorie de signifiants qui sont de la même nature, homogène, ce qu’on trouve dans les armoiries. » (p 227) Autrement dit emblématique non pas d’une filiation totémique mais emblématique de certaines propriétés prêtées à l’animal qui sont assurément le courage, la vaillance, la force, l’agilité, la rapidité, tout ce que vous voudrez. « Ces objets qui ont mené Freud et rendu également nécessaire pour Freud dans la construction de Totem et Tabou l’analogie entre le père et le totem, ont une fonction bien spéciale et sont là pour autant justement que par quelque côté ils ont à suppléer – là, il fait une faute de français : « ils ont à suppléer à », c’est pas beau – à ce signifiant du père symbolique, signifiant dont nous ne voyons pas quel est le dernier terme et dont c’est justement la question de savoir pourquoi il se revêt de telle ou telle forme, de tel ou tel habillement. Il faut bien qu’il y ait quelque chose qui soit de l’ordre du fait ou de l’expérience et du positif et de l’irréductible dans ce que nous rencontrons. » (p 227)

D’où ça sort ce père symbolique ? Et pourquoi est-ce que là il prend telle forme ? « Ceci n’est pas une déduction mais est quelque chose qui est un appareil nécessité pour le soutien de ce que nous trouvons dans l’expérience. Aussi bien nous ne sommes pas là pour résoudre pourquoi la phobie prend la forme de tel ou tel animal ; ce n’est pas là la question. » (p 227) Et bien il est clair que si l’animal est là présent, c’est en témoignage je dirais, c’est une présentification d’une absence structurale, d’une instance là dans le réel, symbolique de ce qui à l’occasion est représenté comme ce qui mord faute, je dirais, d’être représentatif de ce qui châtre et faute évidemment que ce soit l’instance paternelle vienne honorablement la représenter. Et Lacan essaie d’expliquer pourquoi il y a là quelque chose qui est irréductible, « Il faut bien qu’il y ait quelque chose qui soit de l’ordre du fait ou de l’expérience et du positif et de l’irréductible dans ce que nous rencontrons. –Autrement dit, ça peut pas s’expliquer autrement. – Ceci n’est pas une déduction mais est quelque chose qui est un appareil nécessité pour le soutien de ce que nous trouvons dans l’expérience. » (p 227)

Donc, cet animal qui mord, en tout cas c’est l’animal menaçant. Et on ne va pas dire tout à fait que – c’est drôle – que l’enfant ne peut pas imaginer quelques relations, quelques filiations avec cet animal puisque d’abord la girafe, lui-même s’appelle Graf, il n’en n’est pas très loin et puis quant au cheval, nous savons qu’il va jouer au cheval à la maison comme s’il était un petit cheval et puis aussi comme je le faisais remarquer… c’est Freud, le professeur Freud qui était le vrai père symbolique de cette famille sauf de lui jusqu’au moment où le papa l’y a amené, du jour au lendemain Freud est devenu un membre de la famille et c’est ça qui l’a guéri. C’est drôle hein.

Bon donc on va terminer. Encore trois minutes et trente secondes et terminons ce chapitre. La tempête est passée, la mer se calme. Donc, dit Lacan, la phobie de Freud « c’est une phobie en marche » – C’est-à-dire que pour qu’on voit l’évolution que va développer le petit Hans – à plein tuyau toutes sortes d’imaginations – extrêmement – romancées concernant ses relations avec tout ce qu’il adopte comme ses enfants. – C’est-à-dire qu’il prend une position dont on ne sait pas trop si elle est maternelle ou paternelle mais en tout cas une position, on va dire ça d’un terme neutre pour dire le géniteur ou génitrice – une position qui mêle l’identification à la mère, l’adoption d’enfants » (p 228). Il prend « toute une série de formes amoureuses » (p 228). Mais en même temps – voyez c’est intéressant ce qu’il dit là – à la fois l’identification à la mère mais aussi des petites filles dont il est le géniteur, je dirais, de fixations amoureuses sur elles. C’est-à-dire en même temps, elles sont sexuellement concernées et « le contraste entre cela c’est ce qui va se passer quand après les interventions du père, sous la pression de l’interrogation analytique plus ou moins dirigée du père auprès de lui, il se livre à cette sorte de roman vraiment fantastique dans lequel il – le petit Hans –reconstruit la présence de sa petite sœur dans une caisse dans la voiture sur les chevaux, bien des années avant sa naissance. Bref la cohérence que vous pourrez voir se marquer massivement entre ce que j’appellerai l’orgie imaginaire au cours de l’analyse du petit Hans avec l’intervention du père réel. » (p 228)

Intervention du père réel nous dit Lacan à ce moment-là. Le père réel donc en tant que castrateur et il attribue ce danger imaginaire du petit Hans à la fois dans ses identifications génitrices, si je puis dire, et sa toute-puissance prolifique et puis également ses attachements amoureux aux petites filles. L’intervention du père réel nous dit Lacan. « En d’autres termes, si l’enfant aboutit à une cure des plus satisfaisante, nous verrons ce que veut dire cure satisfaisante à propos de sa phobie, c’est très nettement pour autant qu’est intervenu le père réel qui était si peu intervenu jusque-là, parce qu’il a pu intervenir d’ailleurs parce qu’il avait derrière le père symbolique qui est le père Freud. Mais il est intervenu, et dans toute la mesure où il intervient, tout ce qui tendait à se cristalliser sur le plan d’une sorte de réel prématuré repart dans un imaginaire si radical qu’on ne sait plus même tellement bien où on est, qu’à tout instant on se demande si le petit Hans n’est pas là pour se moquer du monde ou pour faire un humour raffiné, et il l’est d’ailleurs incontestablement, puisqu’il s’agit d’un imaginaire qui joue pour réorganiser le monde symbolique. Mais il y a en tout cas une chose certaine, c’est que la guérison arrive au moment où s’exprime de la façon la plus claire sous la forme d’une histoire articulée, la castration réelle, c’est à savoir que « l’installateur » – le fameux plombier – vient, la lui dévisse et lui en donne une autre. C’est exactement là que s’arrête l’observation. La solution de la phobie est liée à, si on peut dire, la constellation de cette triade, intervention du père réel, et nous y reviendrons la prochaine fois, tout soutenu et épaulé qu’il soit par le père symbolique. Il entre là-dedans comme un pauvre type. Freud à tout instant est forcé de dire, c’est mieux, il fallait bien le laisser parler, surtout dit-il […] « ne comprenez pas trop vite ». […] le résultat est scandé par ces deux points, l’orgie imaginaire de Hans, l’avènement si on peut dire de la castration pleinement articulée comme ceci, on remplace ce qui est réel – son petit pénis réel – par quelque chose de plus beau, de plus grand – ( p 228-229) qui est donc de l’ordre d’un imaginaire mais cette fois-ci, je dirais, référé au symbolique, c’est-à-dire référé parce ce qu’il en est de l’inscription du petit Hans dans une lignée, dans une généalogie.

« L’avènement, la mise au jour de la castration est ce qui met un terme à la fois à la phobie et ce qui montre, je ne dirais pas sa finalité, mais ce à quoi elle supplée. Il n’y a là, vous le sentez bien, qu’un point intermédiaire de mon discours[…] Nous reprendrons la prochaine fois cette dialectique de la relation de l’enfant avec la mère et la valeur véritable du complexe de castration. » (p 229)

Voilà. C’est un chemin que j’ai voulu faire pas à pas qui est, je dois dire, entièrement lacanien avec l’implication à l’observation de Freud de ces trois dimensions. À vrai dire, on pourrait penser que c’est de la lecture de l’étude même de cette observation du petit Hans que Lacan en est venu à les forger ces trois catégories du réel, du symbolique et de l’imaginaire. Ça ne lui est pas sorti de la tête, je dirais, comme Athéna sortant de la tête de Zeus. C’est pas venu comme ça mais c’est en se confrontant avec ce que nous-mêmes quand nous avons à l’étudier que l’intervention du petit Hans a pu nous paraître au bout d’un moment… parce que personne ne pouvait plus y retrouver ses petits. C’est bien le cas de le dire. Et bien, c’est vraisemblablement à l’occasion de l’étude d’une observation comme celle du petit Hans que Lacan en est venu à forger comme nécessaire ces trois catégories et, en outre, en donnant au complexe de castration, je dirais, en reconnaissant un processus complètement évidemment inédit puisque, comme nous l’avons vu, c’est la prise de l’imaginaire et du réel par le symbolique, la sanction donnée par le symbolique à l’imaginaire de la représentation phallique et au réel du petit zizi que Hans pouvait douloureusement, je dirais, proposer à sa maman.

Ça va pas de soi hein ! Ça va pas de soi.

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→ Les citations de Charles Melman sont extraites du séminaire de Jacques Lacan La relation d’objet et les structures freudiennes, Éditions de l’Association lacanienne internationale, texte revu et corrigé en 1994.

  

[1] Autismes et psychanalyses, Évolutions des pratiques, recherches et articulations, Marie Dominique Amy, Éditions Érès, 2014

Notes