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            Commentaire de la quatrième question de Télévision de Jacques Lacan[1]                                  

La question : il y a à côté de « l’inconscient structuré comme un langage », le symbolique, la réalité : que faites vous de cette réalité concrète, l’énergie psychique, les affects et les pulsions ? Qu’en faites-vous ?

Aborder la psychanalyse avec la formule de « l’inconscient structuré comme un langage » n’est-ce pas « des mots, des mots, des mots » ? Le signifiant c’est ce qui représente le sujet, — le sujet n’est jamais qu’une représentation, il n’est pas, n’est pas une réalité (même psychique), il s’est barré –, mais le signifiant ne représente le sujet que pour autant que le signifiant diffère de lui-même, qu’il est employé pour quelque chose d’autre, de nouveau, il est déjà métaphore et cette autre chose nous embarque vers un glissement métonymique (c’est ce qui s’appelle ailleurs le travail du rêve). L’inconscient suppose cette structure primordiale du symbolique en action. Il y aurait pourtant, en dehors du symbolique, « ce qui ne s’embarrasse pas de mots », « l’énergie psychique », « l’affect » et la « pulsion ». Qu’en faites-vous ? Telle est la question de Jacques-Alain Miller à Jacques Lacan.

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Principe général de la réponse : envisager une telle dichotomie c’est identiquement ne rien vouloir entendre de la psychanalyse.

Nous aurions une opposition entre le symbolique qui relève du langage et s’apparente à l’intellectualisme d’une part et ce qui ne s’embarrasse pas des mots et relève d’un réalisme plus concret, absolument basique. Cette opposition met en scène la résistance à la psychanalyse en tant qu’elle s’oppose au discours psychanalytique. Les sociétés de psychanalyse peuvent servir d’assistance mutuelle contre le discours psychanalytique. Ainsi l’association internationale de psychanalyse, que Lacan rebaptise SAMCDA, société d’assistance mutuelle contre le discours analytique, aurait repris les dits de Freud qui renverraient à une réalité basique, tout en oubliant le dire, le discours psychanalytique qui les sous-tend. Derrière les dits peut-on retrouver le dire ?

Les trois termes « énergie psychique », « affect » et « pulsions » sont introduits comme des concepts, des dits classiques de la psychanalyse. Comment n’y pas oublier le dire propre au discours analytique ?

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L’énergie psychique : une grossière métaphore.

Primo prise de distance du réalisme transcendantal : l’énergie n’est pas naturelle, mais implique un systèmesymbolique

Le terme d’énergie est emprunté métaphoriquement à la physique. L’usage de la métaphore démontre bien qu’on pense, que même pour ce réel, même « là aussi on a des idées » (AE 521). Mais il n’est pas juste de parler d’énergie comme naturelle – Deus sive natura – puisqu’elle n’existe que par la vertu de l’artifice de l’homme qui l’accumule dans des barrages en énergie potentielle et les barrages ne sont pas « naturels » au sens d’un réalisme basique.

L’énergie psychique ou l’énergie vitale est une métaphore, le signifiant métaphorique est emprunté à la physique.

La formule de l’attraction universelle explique l’inconscient et l’action du symbolique.

Par la lettre. dans Radiophonie, Lacan avait choisi de s’appuyer sur l’action de la formule de l’attraction universelle[2] pour expliquer l’inconscient.

L’énergie est une grossière métaphore.

L’énergie comme « force de vie » (AE 522)[3] constitue « une grossière métaphore », dit Lacan. Pourquoi la dire « grossière », alors que trois ans plus tôt, Lacan avait fait référence à une métaphore physique ?

Contrairement à la formule newtonienne où il s’agit de la lettre, la métaphore de l’énergie confère subrepticement la qualité de substance au signifiant occulté (l’énergie de l’inconscient) sous prétexte qu’on accorde cette même qualité substantielle au signifiant métaphorique (l’énergie des physiciens). La métaphore est grossière en ce qu’elle substitue une substance à une autre substance au lieu d’être plus justement la substitution d’un signifiant à un autre signifiant. Il s’agit de montrer que l’énergie physique qui sert de signifiant métaphorique n’est pas une substance. L’énergie du physicien ce n’est pas une substance[4], c’est une « constante numérique » ou encore une formule et une formule qui agit. Mais ne doit-on pas dire avec Kant qu’une substance se définit comme une constante[5] ? Si Lacan récuse la notion d’énergie psychique comme substance c’est en référence à la définition spinozienne de la substance « ce qui est en soi, et se conçoit par soi : c’est-à-dire, ce dont le concept n’a pas besoin du concept d’autre chose, d’où il faille le former » (Éthique de Spinoza, édition bilingue du Seuil, dorénavant abrégée Éth., 14-15). Or, la constante numérique a justement besoin d’autre chose pour être formée. Le premier principe de la thermodynamique est que, dans un système isolé, l’énergie totale est constante. C’est un chiffre et c’est « un fait d’expérience mentale ». Mais d’abord isoler le système mathématiquement par la pensée, pour pouvoir le vérifier ensuite physiquement.

L’inconscient n’est pas un chiffre, mais un déchiffrage.

Mais il y a plus : l’inconscient n’est pas non plus un chiffre au sens de la constante de Newton. L’énergie se chiffre, l’inconscient se déchiffre. C’est l’absence de chiffre et c’est ce que veut dire la jouissance. La jouissance « ne fait pas énergie ». Il s’agit des processus primaires, c’est-à-dire des transformations métaphorique (condensation) et métonymique (déplacement), mises en évidence dans la première topique freudienne[6]. Énergie physique et jouissance diffèrent fondamentalement. L’énergie physique relève du discours scientifique, la jouissance du discours hystérique. Dans ce dernier discours, il s’agit d’un pur travail de transformation qui ne pense pas, ne calcule pas, ne juge pas[7]. Mais ne s’agit-il pas aussi d’un travail de transformation avec l’énergie physique de la science ? « Le discours scientifique et le discours hystérique ont presque la même structure » : l’agent est le sujet barré, ce qu’on fait travailler c’est un signifiant (la constante du physicien ou l’idéal présenté pour le partenaire de l’hystérique) et  le produit c’est les théories du scientifique ou les théories de l’hystérique (= la psychanalyse)[8]. Mais le travail de l’hystérique est un pur travail de transformation sans constante.

L’instrument de ce travail de déchiffrage c’est l’objet a.

Reste la vérité de ce travail. D’où vient-il ? Quelle en est l’âme ? L’âme ne vaut que comme l’instrument occasionnel avec lequel nous pensons, avec lequel nous travaillons ; ça nous colle à la peau[9] et nous ne pouvons que l’employer comme un organe ou un outil, non substantiel, pour « penser ». L’âme c’est l’instrument du fameux principe de plaisir ce n’est rien d’autre que ce qui commande l’Éthique d’Aristote, aussi bien que l’éthique épicurienne (plaisir de vie sensible) et l’éthique stoïcienne (plaisir d’être l’idéal d’homme). C’est l’éthique de Kant qui constitue le véritable tournant où l’éthique n’est plus commandée par le plaisir, mais par la « jouissance », la jouissance de la liberté inhérente à l’exercice de l’impératif catégorique chez Kant et la jouissance sadienne[10].

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 L’affect : adéquat à quoi ?

Freud et Descartes

L’affect se situe chez Freud dans l’optique de l’énergie psychique (que Lacan vient de critiquer). L’affect et la représentation sont les deux types de représentants de la pulsion.

La métapsychologie freudienne s’ouvre par l’étude des pulsions et de leurs destins, dont le refoulement. Les pulsions sont en elles-mêmes invisibles, on ne peut en percevoir que des représentants. Elles ne sont jamais que représentées et, ici, il faut distinguer deux types de représentants (Repräsentant) de la pulsion : des représentations (qui relèvent du langage, « l’inconscient est structuré comme un langage ») et des affects dont le destin est « tout à fait distinct de celui de la représentation »[11]. Le montant d’affect (Affektbetrag) « correspond à la pulsion, en tant qu’elle s’est détachée de la représentation ».

Dans le refoulement, le destin de l’affect et le destin de la représentation sont dissociés. Et l’affect apparaît comme inadéquat lors du refoulement.

L’affect de tristesse pour la mort d’un père pourra ainsi survenir à l’occasion de l’enterrement d’une personne indifférente alors que, lors de la mort du père, pas une larme n’avait été versée ; l’affect est inadéquat à la représentation qui lui est liée. De la même façon, un fou rire à un enterrement n’est pas adéquat. C’est le refoulement qui cause l’inadéquation de l’affect. Dans le refoulement, « le destin du facteur quantitatif de la représentance de pulsion peut être triple, comme l’enseigne une rapide vue d’ensemble des expériences faites en psychanalyse : ou la pulsion est totalement réprimée, de telle sorte qu’on ne retrouve rien d’elle ; ou elle se fait jour sous forme d’un affect, qualitativement coloré d’une façon ou d’une autre ; ou elle est transformée en angoisse. (trois possibilités donc : l’absence d’affect, l’affect x et l’affect par excellence, l’angoisse). Les deux dernières possibilités nous donnent pour tâche de prendre en considération, comme nouveau destin de pulsion, la transposition des énergies psychiques des pulsions en affects tout particulièrement en angoisse »[12].

La doctrine classique[13] considère que l’affect normal de colère, de tristesse, de joie doit être adapté à la situation ; l’affect non adéquat est un affect qui provient d’une représentation refoulée et s’en est détaché pour se reporter sur une autre représentation. Le refoulement provoquerait ainsi un remue-ménage dans le bon ordre des choses (je dois pleurer quand c’est adéquat, quand ça convient et pas autrement) ; il faudrait y remettre de l’ordre pour que l’affect vienne s’arranger pour le mieux en correspondance avec la réalité. L’adaequatio rei et intellectus, propre à une certaine conception de la vérité, fait place ici à l’adaequatio rei et affectus.

La doctrine freudienne des affects est fondamentalement cartésienne.

La dichotomie des deux types de représentants pulsionnels correspond à la dichotomie cartésienne du corps et de la pensée : les représentations relèveraient de la res cogitans, les affects de la res extensa.

Les affects cartésiens sont essentiellement des passions.

La passion désigne un phénomène dans lequel l’âme subit l’influence du corps et est passive du corps. Le traité Les passions de l’âme (1649) de Descartes présente les passions comme des impulsions brutales et soudaines qui viennent du corps, qui affectent l’âme ; mais la volonté de l’âme est « tellement libre de sa nature, qu’elle ne peut jamais être contrainte » (art.41) et elle peut agir notamment par l’intermédiaire de la glande pinéale.

Les affects freudiens sont essentiellement des passions.

Un corps extérieur (un traumatisme) affecte le corps humain qui affecte à son tour l’âme qui peut y répondre par sa volonté. Une situation traumatique décharge de l’adrénaline, ça dérange les fonctions du corps et secondairement, ça dérange aussi les fonctions de l’âme.

Cette conception des affects comme passions est la conception classique dans la psychanalyse en général[14].

Spinoza

Le dualisme cartésien est un postulat non justifié.

Spinoza critique Descartes et son traité des passions dans la préface de la troisième partie de l’Éthique : Descartes conçoit les affects comme une perturbation ; l’homme est passif (les affects sont des passions) et Descartes attribue « la cause de l’impuissance et de l’inconstance de l’homme non pas à la puissance commune de la nature, mais à je ne sais quel vice de la nature humaine » (Éth.198-199). Quant à la volonté humaine qui pourrait maîtriser ces passions, Descartes n’a pas montré comment l’Esprit peut avoir un pouvoir absolu sur les affects ; leur supposée maîtrise possible est un postulat non démontré.

La substance unique : Deus sive natura.

« Rien ne se fait dans la nature que l’on puisse attribuer à un vice de celle-ci ; car la nature est toujours la même, et a partout une seule et même vertu et puissance d’agir » (Éth.200-201). Les affects « suivent les uns des autres par la même nécessité et vertu de la nature que les autres singuliers ».

Un affect adéquat est une action, un affect inadéquat est une passion.

La troisième partie de l’Éthique commence par des définitions (Éth.202-203) : une cause est adéquate quand l’effet peut se percevoir clairement et distinctement par elle. Quand nous sommes cause adéquate, nous agissons ; nous pâtissons dans le cas contraire c’est-à-dire quand l’effet ne dépend pas de nous. L’affect (ce qui affecte le corps) peut être une action ou une passion ; c’est une action quand il s’agit d’une cause adéquate non pas à l’objet extérieur, mais à notre être et à notre persévérance dans notre être qui ne cède pas sur son désir, et une passion dans le cas contraire. L’adéquation de l’affect n’est pas mesurée ici par la comparaison entre deux substances, elle est mesurée à l’aune d’une seule chose : la persévérance dans notre être (Dieu, la substance unique).

Lacan

Du point de vue de l’inconscient, un affect est toujours adéquat.

Il faut partir du principe fondamental pour la psychanalyse que les affects, même lorsqu’ils sont déplacés, sont toujours adéquats à la structure de l’inconscient (si je pleure c’est qu’il y a une cause inconsciente). C’est un principe fondamentalement spinoziste.

C’est l’inconscient seul qui justifie l’adéquation de l’affect qui vaut comme déplacement  

L’affect doit se penser en fonction de l’inconscient, c’est-à-dire des processus primaires. Or ces processus primaires sont essentiellement condensation et déplacement. On peut donc dire que l’affect doit toujours être pensé en fonction de la condensation et du déplacement, l’affect adéquat est bien toujours déplacé ; son adéquation ne vaut que par le déplacement. Lacan considère que l’affect se pense en fonction du refoulement comme structure générale : autrement dit, l’adéquation de l’affect à la représentation n’est jamais acquise, elle fait toujours problème, « l’affect est déplacé ».

L’affect se mesure non pas à l’aune de telle ou telle représentation, mais à l’aune de la structure générale de la représentation.

Dans la conception classique, on mesure le déplacement de l’affect à l’aune de la représentation contingente qui survient en même temps que l’affect. L’affect tel qu’il est compris pas Lacan implique une tout autre importance de la représentation elle-même. Elle vaut comme structure. « Ladite représentation, spécialement refoulée, ce n’est rien de moins que la structure et précisément en tant que liée au postulat du signifiant » (AE 524-525). L’affect se mesure à la structure en tant que mouvement de déchiffrage des processus primaires.

L’homme pense avec son âme ; donc les affects viennent de l’âme comme centre de gravité du tournoiement des processus primaires. Et l’âme vaut comme objet a.

Il faut partir de l’âme pour poser la question des affects. Ça vient de l’âme qui nous colle à la peau « comme la tique à la peau du chien » (AE 523) ; ça vient de l’âme qui n’est rien d’autre que l’organe de fonctionnement du principe de plaisir. On dira donc que l’affect affecte un fonctionnement plutôt que d’affecter une substance. Le corps est là comme quelque chose d’assez mystérieux qui peut être dérangé en son fonctionnement ; ce n’est plus une substance. Et l’âme est là comme un organe qui nous permet de penser grâce à un arrangement en fonction du principe de plaisir ; ce n’est plus une substance. C’est la pensée qui est mise à l’avant-plan : « C’est de la pensée que ça décharge » (AE 524).

Lacan se distancie de Spinoza en remplaçant la substance par la pensée comme processus primaires 

La pensée est prise dans son fonctionnement, dans le processus primaire, y compris la décharge. La pensée prise dans le processus primaire, c’est l’inconscient structuré comme un langage. Peut-on la voir comme substance ? En tout cas pas comme une  substance basique posée de toute éternité. La nature spinozienne est remplacée par la structure chez Lacan. Il a explicité pourquoi : la nature ou l’énergie naturelle comme réalité substantielle ne tient pas, ou plutôt ne tient que par le « barrage » qui la circonscrit en un système clos pour pouvoir gérer le principe qui est à la fois le premier principe de la thermodynamique et le principe de plaisir. À la place de Deus sive natura de Spinoza, nous avons la structure qui n’est pas une substance éternelle. À côté de l’éternel qui est par lui-même, il y a le non-éternel qui est par lui-même et c’est le signifiant[15]. Le premier est une substance spinozienne. Le deuxième n’est pas une substance pour Spinoza ; Lacan introduit pour le signifiant le terme de « substance jouissante » dans Encore.

L’angoisse est l’affect qui ne trompe pas parce qu’il renvoie directement à la structure.

Avec tel signifiant, il est toujours possible de se tromper ; le monde de la représentation est tissé d’illusions ; mais la structure qui est à la fois la structure de la représentation et la structure du refoulement s’impose et l’angoisse – l’affect qui ne trompe pas — tient toujours sa place à partir de cette structure antérieure à tout ce qui viendrait s’y sentir ultérieurement. « L’angoisse, c’est cette coupure – cette coupure nette sans laquelle la présence du signifiant, son fonctionnement, son sillon dans le réel, est impensable – c’est cette coupure (…) laissant apparaître (…) l’inattendu, la visite, la nouvelle (…) le pré-sentiment, ce qui est avant la naissance du sentiment »[16]. L’angoisse c’est « ce qui ne trompe pas, le hors du doute », parce que c’est « la cause du doute ». Mais par là même, elle est ce sur quoi se fonde la certitude de l’action : « c’est peut-être à l’angoisse que l’action emprunte sa certitude »[17]. Dès lors, Lacan peut dire qu’« agir, c’est opérer un transfert d’angoisse »[18] et construire sa montée de l’inhibition (sans mouvement) via le symptôme (avec empêchement et émotion) jusqu’à l’angoisse, comme valant au cœur de l’acte, avec sa dimension d’embarras et d’émoi[19]. L’angoisse n’est dès lors pas sans objet, elle est l’angoisse d’un objet très peu objectif, l’objet a en tant qu’il est non pas l’objet représenté et désiré, mais l’objet cause de toute représentation et cause du désir ; l’âme en tant qu’elle est l’organe avec lequel on pense dans le cadre du principe de plaisir est une forme de l’objet a : c’est en fonctionnant dans le principe de plaisir que s’ouvre la dimension du désir qui dépasse le principe de plaisir.

Le corps n’est affecté que par la structure.

Le corps n’est pas affecté par tel ou tel événement extérieur, mais par la structure qui se prend à partir de l’inconscient structuré comme un langage. Contrairement à Freud et Descartes qui voyait comment l’âme peut être affectée par ce qui lui vient par le corps, il faut dire : c’est le corps qui est affecté par la structure, même plus il n’est affecté « que par la structure » (AE 525). C’est la structure (entendre « l’inconscient structuré comme un langage ») qui a des effets. C’est elle la cause. Ce point de départ est sérieux (au contraire de la glande pinéale ridiculisée par Spinoza) et, comme tel, il peut entraîner une série de conséquences : il est sériel.

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Joie et Tristesse, tristesse  ou gay sçavoir ?

Le premier affect chez Spinoza : la joie.

La première partie de l’Éthique de Spinoza concerne Dieu, elle est remplacée par la structure chez Lacan. L’esprit et le corps sont des attributs de la substance unique, Dieu[20]. La deuxième partie démontre comment il s’en suit « la connaissance de l’Esprit humain et de sa suprême béatitude » (Éth. 92-93). L’esprit humain est constitué[21] d’idées et une idée a un objet. S’instaure par là la question de la convenance entre l’idée et l’objet (1 axiome 6, Éth.16-17) : c’est la question de la vérité. Classiquement vrai et adéquat s’équivalent : la vérité c’est l’adaequatio rei et intellectus. Il n’en est pas de même chez Spinoza : une idée n’est adéquate (2 définition 4, Éth.94-95) que si, indépendamment de sa mise en relation avec l’objet, elle a toutes les propriétés de l’idée vraie, qui est de convenir avec ce dont elle est l’idée. L’adéquation dépend donc de l’idée seule, avant toute mise en relation avec l’objet. Dans la troisième partie de l’Éthique, l’affect est introduit en raison du fait que l’esprit humain n’a pas d’autres idées sinon des idées concernant le corps[22]. L’affect c’est ce qui affecte le corps (remarquons ce n’est pas le corps qui affecte l’âme), autrement dit ce qui exerce une influence sur le corps en tant qu’il a la puissance d’agir et cette influence peut être exercée par des corps extérieurs (2, postulat 2, Éth.128-129) ; mais l’affect c’est en même temps les affections du corps et les idées de ces affections (3, définition 3, Éth.202-203). Autrement dit, à partir de l’affect se pose directement la question non pas seulement de sa vérité (est-ce que j’ai une idée convenable du corps affecté ?), mais de son adéquation (est-ce que c’est l’idée qui commande tout le processus avant même la mise en relation avec l’objet ?). L’idée constituée dans l’esprit humain peut-elle convenir indépendamment de sa mise en relation avec l’objet (le corps et les corps extérieurs) ; autrement dit, est-ce l’esprit qui agit ? Ou est-ce l’esprit qui subit ce que les objets extérieurs lui imposent par le truchement du corps ? « Si donc nous pouvons être cause adéquate d’une de ces affections, alors par Affect j’entends une action ; autrement une passion » (Éth.203-204). L’affect adéquat est action et non « passion de l’âme » comme chez Descartes. « Les actions de l’Esprit naissent des seules idées adéquates ; et les passions dépendent des seules inadéquates » (3, proposition 3, Éth.212-213). Dans l’action, il s’agit du conatus, de l’effort pour persévérer dans son être, correspondant à la structure.

Sans doute, l’affect affecte toujours le corps et, de ce point de vue, le corps est toujours passif de ce qui l’affecte. L’affect a donc toujours un côté passion. Mais là n’est pas le principal. L’esprit humain est essentiellement constitué d’affects, non pas simplement comme affections par des corps extérieurs, mais comme idée de ces affections. Si une chose augmente la puissance d’agir de notre corps, l’idée même de cette chose augmente la puissance de penser de notre esprit (3, proposition XI). La joie se définit ainsi comme une passion – l’esprit dépend de la chose en question –, mais c’est une passion par le truchement de laquelle l’esprit passe à une plus grande perfection, c’est-à-dire augmente sa puissance de penser (Éth.222-223) et d’agir. C’est en fonction de ce critère que se ressentira l’affect de joie (laetitia, le premier premier affect chez Spinoza). « L’esprit, autant qu’il peut, s’efforce d’imaginer ce qui augmente ou aide la puissance d’agir du Corps » (prop. XII de la troisième partie, Éth.224-225). De même, il imagine ce qui diminue ou contrarie la puissance d’agir du corps ; et ce sera la tristesse. C’est l’esprit qui est affecté par la joie et la tristesse en fonction de la persévération dans son être. On voit comment l’affect est une question d’éthique commandée par le conatus ou effort pour persévérer dans l’être, c’est une éthique fondée sur l’ontologie.

Le premier affect dans Lacan : la tristesse.

La tristesse n’est pas un état de l’âme en tant qu’elle devrait supporter quelque inconvénient venant du corps. Ce n’est pas une dépression du psychisme affecté par le somatique[23]. Lacan présente la tristesse comme « une faute morale, comme s’exprimait Dante, voire Spinoza, ce qui veut dire une lâcheté morale » (AE 526). « Voire Spinoza », la présentation de Lacan contredit carrément la position de Spinoza. La faute est première. Cette lâcheté morale impliquerait que le sujet avait la liberté de faire autrement[24]. Mais le bien et le mal ne sont que des manières de penser (préface de la quatrième partie, Éth.340-341) et on voit déjà ici comment Lacan se sépare de Spinoza. La lâcheté morale, selon Lacan, ne se situe « que de la pensée », c’est un abandon de l’éthique du bien-dire, de « s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure ». L’excitation maniaque n’est rien d’autre que le retour dans le réel de « l’inconscient structuré comme un langage » qui a été rejeté.

À l’opposé de la tristesse, le gay sçavoir est une vertu, à bien entendre comme pouvoir d’agir de faire quelque chose[25]. Ce savoir n’est ni l’accumulation de connaissances, ni la compréhension, ni de « piquer dans le sens ». Il s’agit de « raser » le sens « d’aussi près qu’il se peut sans qu’il fasse glu », sans inhiber l’acte (AE 526). Ce n’est pas chiffre, c’est déchiffrer et « jouir du déchiffrage ». C’est la jouissance du processus primaire. Qui dans son adéquation suppose en même temps l’inadéquation : le gay sçavoir implique structurellement la tristesse, la glu où se perd le bien-dire.

Où est le bonheur dans tout cela ?

Partout, c’est-à-dire dans la structure. Et le sujet est heureux sans savoir que ce bonheur vient de la structure. « La béatitude n’est pas la récompense de la vertu, mais la vertu même…[26] » (5, proposition 57), disait Spinoza. « L’étonnant n’est pas qu’il soit heureux sans soupçonner ce qui l’y réduit, sa dépendance de la structure » (AE 526), l’étonnant c’est que l’affaire ne se réduise pas à ce simple bonheur structurel bien compatible avec la pensée de Spinoza. L’étonnant c’est qu’à la fois, le sujet se fasse une idée de la béatitude, du paradis et qu’en même temps, il se sente exilé du paradis, c’est-à-dire en enfer ou au purgatoire. L’opposition à nouveau entre le bien et le mal.

Comment l’homme se fait-il une idée du bien et du mal ?

C’est l’objet de la préface de la quatrième partie : « la cause finale n’est rien d’autre que l’appétit humain lui-même en tant qu’on le considère comme le principe d’une chose, autrement dit comme sa cause primaire » (Éth.336-337). Autrement dit, le bien et le mal ne sont que des façons de voir basées sur le faux principe de la liberté humaine.

À l’opposé de Spinoza, Lacan tient le péché pour une vérité première[27] et c’est pour cela qu’il fait appel à Dante en lieu et place de Spinoza.

Dante est convoqué par Lacan non seulement en raison de la divine comédie qui met en perspective l’idée du gay sçavoir hypostasié dans un paradis et dont le sujet se sent nécessairement rejeté en fonction d’un péché originel : la tristesse est le pain quotidien de l’humanité.

La divine comédie peut sans doute être lue dans l’optique de la tristesse et de la joie de Spinoza : le paradis est l’avènement du gay sçavoir[28], l’enfer qui abrite la tristesse infinie est édifié par la structure[29] et le purgatoire est la montée aux cieux à partir de « la mer si cruelle »[30] du désespoir. C’est une éthique spinozienne à l’envers : on part de la tristesse pour monter à la joie.

Le principe qui peut éclairer cette éthique spinozienne à l’envers c’est l’objet a.

Dante nous explique comment allumer la bougie de cette éthique : « heureusement que là nous avons le poète pour vendre la mèche » (AE 526). La vita nova commence par la mémoire de l’apparition de Béatrice ; à neuf ans, « l’esprit de la vue » chez Dante est bouleversé par cette béatitude purement ponctuelle ; neuf ans plus tard, Béatrice tourna le regard dans la direction de Dante, plein d’effroi, Béatrice avait daigné le saluer. Ce regard suffit à déterminer Dante à commencer à écrire. C’est ce regard qui commande toute l’écriture poétique de Dante et toute l’éthique de la divine comédie[31].

C’est la mèche du désir. Chez Lacan, le désir n’est pas vu en fonction du conatus, mais de l’objet manquant, l’objet cause de désir, l’objet a. C’est Béatrice qui « les yeux dans le soleil » fixe le soleil et aide Dante à fixer le soleil « plus que nul homme ». On la retrouve dans la Divine comédie ; dans la montée vers le paradis, elle est d’abord absente, représentée par le poète Virgile et c’est seulement vers la fin du purgatoire qu’apparaissent le regard et la voix de Béatrice elle-même. Béatrice, en son regard et sa voix, vient comme le point de fixation autour duquel peut se développer toute la structure et, par là, situer les affects.

Le regard vaut comme le point de fixation qui commande le tourbillon de la structure (« l’inconscient structuré comme un langage »). Pour être ce point de fixation, cause du désir, il doit se réduire à rien… « trois fois rien » dit Lacan en se référant à la montée de l’objet oral, de l’objet anal jusqu’à l’objet scopique le regard. Mais c’est la quatrième forme de l’objet cause de désir qui va plus loin : la voix, la voix, en tant qu’elle n’est pas phénoménale, mais justement ce qui ne peut être un dit. La voix ne peut faire que pro-voquer, donner la voix au-delà de la voix pour la poursuite du déchiffrage (= la structure) : « c’est même de sa bouche à elle (à Béatrice qu’il nous provoque à en recevoir l’assurance », que Dieu comble… avec le gay sçavoir, l’exercice de la poésie ou l’exercice du travail de l’inconscient.

Pour Spinoza, la structure revient à la substance[32]. Pour Lacan, la structure se réduit aux processus de l’inconscient. Ce qui change complètement la compréhension de l’affect. Certes, « le désir est l’essence de l’homme » (Éth.304-305) et la définition ne vaut que comme affection qui détermine à l’acte. Mais pour expliquer le désir, Spinoza et Lacan divergent radicalement. Pour Spinoza, l’acte et le désir prennent sa force en Dieu ; pour Lacan, c’est l’objet a, cause du désir.

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Réponse de Lacan à Spinoza

L’ennui de la béatitude. Réponse de Lacan à Spinoza

La contemplation du paradis a pour répondant en nous : l’ennui (AE 527). En-nous – ennui. « Nous » c’est nous en société, une société, pas loin de la SAMDCA. Le signifiant dont joue l’inconscient signifie et, par là, fabrique de la réalité basique, le matériau de résistance à l’inconscient, dont la vision béatifique ; Lacan a décrit l’Association internationale de Psychanalyse en terme de Suffisances, de Béatitudes, de Bien-nécessaires, etc., fort ennuyeux[33]. La signification béatifique où se figent les processus primaires et où ils dis-paraissent.

L’ennui n’est qu’une mécompréhension de l’unien.

L’ennui témoigne de la structure[34]. Il dépend de son anagramme « unien » ; faire un conduit à l’ennui. L’unien, l’un du trait unique vaut comme l’atome des processus primaires. Au contraire, le un unifiant identifie l’Autre à l’Un au lieu de voir dans l’hétéros le principe même de différenciation en acte et en mouvement propre à la structure et aux processus primaires de l’inconscient. L’identification de l’Autre à l’Un court-circuite le symbolique (c’est-à-dire le travail des processus primaires) pour se contenter d’imaginer le réel, c’est-à-dire de tout rassembler en un grand sac[35] (Deus sive natura). C’est ce qui se joue aussi bien dans le Un mystique que dans l’autre comique : l’Un mystique est l’Autre absolu dont on ne peut rien dire et l’autre comique est le réel pris dans l’un dont on ne peut que rire. On ne peut pas réduire le principe même du symbolique à l’inconvenance qui le prendrait pour une pure imagination du réel[36].

L’affect et le langage.

L’affect est ce qui vient « à un corps dont le propre serait d’habiter le langage » (AE 527), notons bien « ce qui vient à un corps » et non « ce qui vient d’un corps ». D’où cela viendrait-il ? De la structure en tant que ce serait le propre du corps d’« habiter le langage » selon la formule d’Heidegger. La formule reste au conditionnel, car cette habitation est remise en question par le regard de Béatrice ou par l’objet a de question, qui ne fait que causer le désir sans jamais assurer son habitation dans une structure substantielle.

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La pulsion

Dans le séminaire XI sur les quatre concepts[37], Lacan explicite la pulsion. Au lieu de la concevoir comme un instinct réaliste, il faut la comprendre comme une dérive, c’est-à-dire un mouvement, un processus qui ne prend sa permanence qu’à partir de l’objet a en tant que trou, qu’à partir de bords dans les trous du corps. Ces bords c’est ladite « source » de la pulsion, orifice oral, anal, oculaire, vocal. Ces bords ne jouent pas en fonction d’une certaine réalité du corps, mais en fonction d’une logique du trou, du manque ou de l’impossibilité. Ce sont les quatre formes du rien ou de l’impossible.

Christian Fierens

[1]              Autres écrits, abrégé dorénavant AE, 521-528

[2]              « La vraie portée » de la gravitation newtonienne est celle de « l’action » « de la formule qui en chaque point soumet l’élément de masse à l’attraction des autres aussi loin que s’étend ce monde, sans que rien y joue le rôle d’un médium à transmettre cette force » (AE, p.422).

[3]              à rapprocher de la « force d’exister » propre au corps ou à une partie du corps que l’esprit affirme par l’idée confuse qu’est l’affect (définition générale des affects, Éth. p.330-331)

[4]              « L’énergie n’est pas une substance, qui par exemple se bonifie ou qui devient aigre en vieillissant » (AE 522) ;

[5]              cf. Première analogie de l’expérience, Critique de la raison pure, I, p. 918-919 A182-B224.

[6]              Les schémas de la deuxième topique sont la honte de la psychanalyse, car on y traite la jouissance (propre au déchiffrage) comme une énergie constante dans un système isolé (le schéma de l’œuf) ou pire encore comme d’une substance (étendue ou pensante, corps ou âme).

[7]              Le rêve « ne pense, ne calcule, ne juge absolument pas, mais se borne à ceci : donner une autre forme » (Interprétation du rêve, OC IV p.558)

[8]              De cette similitude découlent les espoirs de Freud de trouver une thermodynamique de l’inconscient dans Au-delà du principe de plaisir. Mais il n’y a pas la moindre nouvelle thermodynamique de la pulsion de mort qui apparaisse, parce qu’il manque précisément ce signifiant constant qui pourrait être mis au travail

[9]              « Comme la tique à la peau d’un chien » (AE 523).

[10]            Cf. Kant avec Sade (Écrits, p.765).

[11]            OC XIII p.195.

[12]            OC XIII p.196. (mes parenthèses).

[13]            « Attendre que l’affect, telles les alouettes déjà rôties, vous tombe dans le bec, adéquat » (AE 524).

[14]         André Green venait de publier, en 1973, Le discours vivant. La conception psychanalytique de l’affect, ouvrage classique qui termine par la deuxième topique.

[15]            Encore, p.40-41. Le propos vient dans la suite de la critique des substances : aux deux substances classiques cartésiennes, il faut rajouter la « substance jouissante », parce que « le signifiant, c’est la cause de la jouissance » (ibid.p.27).

[16]            L’angoisse, p.92.

[17]            L’angoisse, p.92.

[18]            L’angoisse, p.93.

[19]            Inhibition, symptôme et angoisse, c’est le titre d’un ouvrage de Freud, c’est aussi les trois façons de border, de dériver, voire de nommer respectivement l’imaginaire, le symbolique et le réel (dans la Troisième ou dans RSI, par exemple).

[20]            La pensée est un attribut de Dieu, autrement dit, Dieu est chose pensante. L’étendue est un attribut de Dieu, autrement Dieu est chose étendue (propositions 1 et 2 de la deuxième partie, Éth.96-97).

[21]            « constituens » (2, proposition 13, Éth.116)

[22]            « L’objet de l’idée constituant l’esprit humain est le corps, autrement dit une manière de l’étendue précise et existant en acte, et rien d’autre » (2, proposition 13, Éth.116-117). Les Postulats (Éth.128-131) suivent concernant le corps : 1. Le corps humain est composé d’un très grand nombre d’individus ; 2. ces individus sont soit fluides, soit mous, soit durs ; 3. Ces individus et le corps lui-même sont affectés par les corps extérieurs ; 4. Le corps a besoin pour ce conserver de ces corps extérieurs qui le régénèrent continuellement ; 5. Un corps extérieur peut déterminer une partie fluide et changer une partie molle du corps ; 6. Le corps humain peut mouvoir les corps extérieurs.

[23]            La pulsion était définie par Freud comme « la mesure de l’exigence de travail qui est imposée à l’animique par suite de sa corrélation avec le corporel » (Pulsions et destins des pulsions, OC XIII p.167). On voit ici que Freud est fondamentalement cartésien.

[24]            La lâcheté morale serait vue sous l’angle du repentir. Cf. 3, définition 27 : « le repentir est une tristesse qu’accompagne l’idée d’un acte que nous croyons avoir fait par libre décret de l’esprit » (Éth.318-319) et 2, scolie de la proposition 35 : « Les hommes se trompent en ce qu’ils se pensent libres, opinion qui consiste seulement en ceci, qu’ils sont conscients de leurs actions, et ignorants des causes qui les déterminent. Donc cette idée qu’ils ont de leur liberté vient de ce qu’ils ne connaissent aucune cause à leurs actions. Car ce qu’ils disent, que les actions humaines dépendent de la volonté, ce sont des mots dont ils n’ont aucune idée. Ce qu’est la volonté, en effet, et de quelle manière elle meut le Corps, tous l’ignorent, qui brandissent autre chose et inventent à l’âme des sièges et des demeures, soulevant d’ordinaire le rire ou la nausée » (Éth.158-159) ; cf. la glande pinéale de Descartes.

[25]            « La définition du désir comme essence de l’homme » citée par Lacan dans Le désir et son interprétation est tronquée ; il faut compléter « … en tant qu’on la conçoit comme déterminée, par suite d’une quelconque affection d’elle-même, à faire quelque chose » (3, Définitions des Affects 1, Éth.304-305).

[26]            « … et ce n’est pas parce que nous contrarions les appétits lubriques que nous jouissons d’elle ; mais au contraire, c’est parce que nous jouissons d’elle que nous pouvons contrarier les appétits lubriques » (Éth.538-541).

[27]            On retrouvera la primauté du péché, du sin, dans les premières leçons du Sinthome.

[28]            « Sa gloire (de Dieu) – à lui qui élance le monde – pénètre toute chose, et resplendit davantage en tel lieu, moins en tel autre. Au ciel qui prend le plus de sa lumière, j’y fus, et vis ce qu’on ne sait redire et qu’on ne peut, descendant de là-haut : car, s’avançant vers son désir tout proche, notre intellect s’immerge si profond que la mémoire après lui ne peut suivre » (chant I du Paradis).

[29]            La porte de l’enfer est édifiée par la trinité, « la divine puissance, l’amour premier, la suprême sagesse » (chant III de l’Enfer) : « vous qui entrez laisser toute espérance ».

[30]            Chant I du Purgatoire.

[31]            « Un regard, celui de Béatrice, soit trois fois rien, un battement de paupières et le déchet exquis qui en résulte : et voilà surgi l’Autre que nous en devons identifier qu’à sa jouissance à elle, celle que lui, Dante, ne peut satisfaire, puisque d’elle il ne peut avoir que ce regard, que cet objet, mais dont il nous énonce que Dieu la comble » (AE 526-527).

[32]            « La définition du désir comme essence de l’homme en tant qu’on la conçoit comme déterminée, par suite d’une quelconque affection d’elle-même, à faire quelque chose » (3, Définitions des Affects 1, Éth.304-305).

[33]            Situation de la psychanalyse en 1956, Écrits, p.473 et suivantes.

[34]            À côté du désir, de la révolte, etc. l’ennui est « là pour nous témoigner de la dimension de cet Ailleurs, et pour y appeler notre attention, je ne dis pas en tant que simples états d’âme que le pense-sans-rire peut remettre à leur place » — comme celui qui voudrait remettre les affects à leur place d’être seulement des effets du corps sur l’âme – « mais beaucoup plus considérablement en tant que principes permanents des organisations collectives, hors desquelles il ne semble pas que la vie humaine puisse longtemps se maintenir » (Lacan, D’une question préliminaire…, Écrits, p.547).

[35]            Freud impute à Éros (pulsions de vie opposées aux pulsions de mort) d’unir, de faire un. Lacan objecte : à part une brève coïtération, on n’a jamais vu deux corps s’unir en un (ça relève du comique, de l’Autre unien, de l’Un mystique).

[36]            « On ne commet pas le Père réel dans de telles inconvenances » (AE 527).

[37]            Dans ce séminaire, Lacan s’est d’abord identifié à Spinoza et à son excommunication dans la première séance du 15 janvier 1964 pour le lâcher tout à la fin de la dernière séance (le 24 juin 1964) : la position de Spinoza « n’est pas tenable pour nous » (Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p.247) pour les deux raisons déjà indiquées (les processus primaires ne sont pas une substance et l’objet a est cause du désir). Cf. José Attal, La non-excommunication de Jacques Lacan, quand la psychanalyse a perdu Spinoza.

             CHRISTIAN FIERENS

Notes