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                 La manière pour le psychiatre d’aborder la clinique, et celle, différente, du psychanalyste, sont-elles à lire dans le registre du symptôme ? C’est ce que Lacan suggère dans « La troisième ».

                  Les signifiants posés pour structurer cette clinique semblent en tout cas déterminer des orientations très différentes quant à la conduite diagnostique et thérapeutique, mais aussi quant à l’abord éthique des difficultés psychiques. Ces différences sont-elles liées au choix des signifiants ou aux discours qui les portent ?

                  Une réunion intéressante a eu lieu à Grenoble, à l’initiative du collège de psychiatrie, proposant un échange entre le Professeur Bougerol, chef de pôle de neuropsychiatrie, et le docteur Albert Maître, psychanalyste, sur les incidences du passage du concept de « psychose maniaco-dépressive » à celui de « trouble bipolaire ».

                  Le Professeur Bougerol, reprenant l’historique de ces affections, a dégagé quelques éléments qui m’ont interpelée :

                  Nous sommes naturellement tout à fait de son avis lorsqu’il dit qu’une certaine façon de concevoir les objets crée la réalité qu’on obtient. Lacan ne cherche pas autre chose lorsqu’il dit : je ne découvre pas, j’invente.

                  Le Professeur Bougerol avance à partir de là que le travail de Kraepelin a inscrit la psychiatrie dans le champ de la médecine en mettant en forme les connaissances de son temps sur le modèle médical qui, dit-il, se soutient de trois caractéristiques nécessaires, rassemblées en trois signifiants : diagnostic, pronostic, étiologie (Kraepelin).

                  Kraepelin, toujours, souhaitant comprendre la conception dynamique de la folie maniaco-dépressive, va se servir de trois axes pour en analyser la clinique : pensée, humeur, volonté.

                  De les considérer comme des axes va l’amener à construire trois courbes représentant les trois dimensions des fonctions altérées. Retenons aussi ces signifiants : « fonctions altérées » qui renvoient aux « dysfonctionnements » supposés à l’origine des difficultés psychiques.

                  Avec le DSM III né dans les années 80, apparaît le signifiant « troubles bipolaires » et la notion de maladie de l’humeur.

La lecture de la clinique se fera là aussi selon les trois axes de l’affect, la pensée, la motilité.

                  Ceci rejoint, toujours selon le fil de discours du Professeur Bougerol, les travaux de Papez sur le système limbique, qui mettent en évidence trois circuits représentant trois fonctions mentales : les circuits moteur, cognitif, émotionnel.

Ce qui m’a semblé très intéressant, c’est tout d’abord que le Professeur Bougerol insistait sur la filiation, à travers la succession de ces triplets de signifiants, entre la clinique traditionnelle, et sa validation par les découvertes de la science de ces trois circuits de Papez (moteur, cognitif, émotionnel). En somme, il trouvait dans cette succession, la justification de son ancrage théorique dans les neurosciences.

                  Pour nous qui travaillons plus particulièrement cette année sur le nœud borroméen, le chiffre 3 ne peut que nous interpeler, nos représentations étant toujours structurées dans trois dimensions.

                  Ce qui a suscité mon travail est la question suivante :

                  Les signifiants freudiens « Inhibition, Symptôme, Angoisse » ne sont pas si éloignés des coordonnées de lecture de la clinique traditionnelle, puisque

-        L’inhibition pourrait être lue comme une atteinte du registre « volonté, motilité, moteur »

-        Le symptôme de la ligne « pensée, cognitif »

-        Et l’angoisse de celle de « l’humeur, affect, émotionnel ».

Comment se fait-il donc que d’un côté, cette filiation dans la lecture, soit pour le Professeur Bougerol la justification de son ancrage dans la psychiatrie biologique, et que chez Freud, elle ait conduit à l’élaboration de la psychanalyse ? Autrement dit, dans quels types de discours ces signifiants ont-ils été véhiculés, par quelle langue ont-ils été portés, comment ont-ils été noués ou  pas noués, pour devenir les coordonnées de représentations si différentes des difficultés psychiques ?

Déjà, dans « L’Esquisse », Freud part de trois systèmes de neurones, les neurones φ, ψ et ω ; il proposera ensuite ça, moi et surmoi, ou CS, ICS, PCS.

Lacan, lui, va dégager de la découverte freudienne ses trois instances « Réel, Symbolique et Imaginaire », qui lui permettent de proposer les notion de consistance, existence, et trou. Il va reporter sur la mise à plat du nœud borroméen les coordonnées de l’inhibition, symptôme et angoisse. En somme, il va les ordonner en une écriture.

« Je ne découvre pas, j’invente », nous dit-il. Ces signifiants que sont Réel, Symbolique et Imaginaire, qui deviennent RSI, il les pose comme une écriture à mettre à l’épreuve de la structure, à travers le nœud borroméen.

Les signifiants de la clinique médicale, à être considérés comme des axes et convertis en quantités, trouvent leur répondant dans la biologie des circuits de Papez. Ces circuits sont lus comme la découverte de quelque chose qui était déjà là, refoulant le poids de la nomination qui les distingue en circuit cognitif, moteur ou émotionnel.

La question que j’aimerais développer est la suivante :

Qu’est-ce qui est nécessaire pour que ce choix de trois signifiants pour structurer notre représentation aboutisse à quelque chose qui soit pertinent pour la lecture des symptômes, c’est-à-dire rende compte de la structure ?

En somme, si nous tirons les conséquences des enseignements de Lacan sur le nœud borroméen, que faut-il pour que ces signifiants se nouent sur le fil de la structure, de manière à rendre compte des achoppements qui se manifestent en clinique.

Où est-ce que ça dérape dans la lecture médicale ?

-        Est-ce dans le choix des signifiants ?

-        Est-ce à lire les difficultés en termes de dysfonctionnement ?

-        Est-ce dans la tentative de quantifier ces dysfonctionnements au lieu de les nouer à la problématique du sujet ?

-        Est-ce de situer le réel dans le corps, fermant par là tout autre questionnement ?

 Christine Gintz.

Notes