EPhEP, MTh4-ES13, le 29/01/2018
Je suis amené à vous parler de choses assez simples mais difficiles à justifier notamment comment s'y prendre avec les psychotiques. Je crois que j'avais donné un sous-titre ''Particularités du transfert psychotique'', ce qui justifie le problème des méthodes en provenance de la psychanalyse quand elle s'adresse à des psychotiques.
Quelques remarques introductives : Aujourd'hui la classification internationale ne reconnaît pas l'adjectif « psychotique » sauf, appliqué à une catégorie de symptômes. Le terme de « psychose », lui, a été abandonné de même que le mot « psychotique » donc pris comme substantif : ''un psychotique''.
En effet ce dernier terme ''psychotique'' pris comme substantif renvoie à l'hypothèse théorique d'une structure psychique spécifique et pouvant à la limite, selon cette hypothèse structurale être attribué à un individu qui ne présenterait pas de pathologie psychiatrique évidente. Il aurait néanmoins une structure psychotique. Ce n'est donc pas acceptable pour le DSM, en conséquence mon propos sur les « méthodes avec les psychotiques », faute d'objet, devrait s’arrêter ici, si je parlais pour la communauté psychiatrique internationale. Mais comme je parle pour des étudiants d'EPHEP je vais pouvoir continuer un petit peu.
Il faudrait donc intituler mon cours, si je parlais à des psychiatres, ''Quelles méthodes peut-on utiliser pour traiter des symptômes psychotiques ? ’'. On voit avec cet intitulé qu'on s'oriente d'emblée dans une voie pragmatique d'urgence parce que ce que le DSM IV appelle psychotique, c'est une qualité spécifique de symptômes qui se caractérise par une rupture avec la réalité ordinaire. Or ici il s'agit de méthodes psychothérapiques sinon psychanalytiques et non de l'ensemble des traitements psychiatriques (antipsychotiques, antidépresseurs, thymrégulateurs, électrochocs, traitement social etc.). Ce n'est pas de ça dont je vais parler.
Alors pourquoi « méthodes » plutôt que « techniques ». Roland Chemama choisit ce terme pour signifier qu'il ne s'agit pas en psychanalyse d'une technique neutre par rapport au sujet qui l'exerce, mais d’une voie thérapeutique dans laquelle le désir de ce sujet est engagé.
L’étymologie de ''méthode'' n'est pas tout à fait rassurante parce que d'un coté metodos c'est « meta » « odos » c’est le chemin à coté ou après. Ça veut dire en grec « poursuite, recherche, doctrine, méthode » mais aussi « voie détournée, fraude, artifice. » Ce méta grec est assez proche du mit allemand qui veut dire « avec ».
Je choisirais plutôt : chemin avec. Quant au pluriel, il se conforme à la variété des cas aussi bien qu'à la variété des idées sur la psychose et de nos expériences personnelles avec des psychotiques.
Je vais vous rapporter un cas de Sandor Ferenczi qui peut aider à exposer le problème.
Sandor Ferenczi est un des premiers disciples de Freud, un des plus importants. Il rapporte le cas d'un jeune homme, dit-il, supérieurement intelligent auquel il s'est intéressé pendant quatorze ans.
« Il venait me voir environ une fois par mois, me racontait ses peines comme à un confesseur, et généralement partait soulagé. C'était un malade mental mégalomane et persécuté mais qui parvenait à contrôler suffisamment ses symptômes pour conserver sa place dans la société. On l'enviait à cause de son intelligence supérieure et de ses relations avec des personnes haut placées. (Vous voyez le type de patient). Il rédigeait des rapports pour son chef de service sur les irrégularités et les erreurs de ses collègues si bien qu'il finissait par être en mauvais terme avec tout le monde, on se réjouissait dans tous les services lorsque l'on pouvait se débarrasser de lui et on le mutait à la première occasion. » Voici comment donc Ferenczi présente son patient.
« Après une brève amélioration de déplacement (c'est à dire quand il changeait de place) tout repartait comme avant. »
Ferenczi remarque qu'il n'éprouvait guère de désir sexuel mais remarquait qu'il avait un succès auprès de toutes les femmes (lui le patient remarquait cela) sans comprendre pourquoi d'autant qu'il ne leur manifestait aucune attention. Ferenczi apprit donc au cours de ces entretiens que sa famille avait eu des déboires matériels, ce qui avait éloigné le garçon d'un père très aimé auparavant. « Il déplaça alors en imagination le rôle paternel sur un oncle qui avait atteint une situation éminente et une célébrité littéraire. Mais il comprit rapidement qu'il n'avait rien à attendre de cet être égoïste et lui retira donc également son affection. Puis il s’efforça de retrouver en la personne de ses supérieurs l'imago paternel perdu et de l'autre il retourna sur le mode narcissique sa libido sur lui même et sur ses qualités remarquables, savourant ses propres productions. »
Vous voyez qu'ici Ferenczi suit rigoureusement la doctrine freudienne sur les paranoïas.
Alors suit ceci : « Un effondrement survint dans la douzième année de nos relations. Voie de faits sur le chef de service et mise à la retraite anticipée du patient. Or il se fait que vers la même époque ou quelque temps auparavant, ce patient s'était mis à lire la littérature psychanalytique et notamment mon article sur le rapport entre paranoïa et homosexualité. Cette idée lui apparut d'abord comique puis un jour il vint me voir dans un état d'enthousiasme et d'excitation intense et à ma grande surprise m'exposa qu'il était disposé à adopter mon point de vue après coup. Il comprenait par exemple pourquoi il essayait de s'approcher de moi jusqu'à sentir mon haleine sur son visage. Il savait maintenant aussi pourquoi il accusait un homme âgé d’intentions homosexuelles à son égard ; c'était simplement son propre désir qui était à l'origine de cette pensée. »
Satisfaction extrême de l'analyste qui voit à la fois confirmer sa théorie et le patient guérir selon les meilleurs scenarii de la psychanalyse. Mais le lendemain toujours excité et un peu moins euphorique et très angoissé, le patient se plaint d'être torturé par des fantasmes homosexuels insupportables. Il voyait d'énormes phallus dégoûtants, s'imaginait dans des positions pédérastes avec des hommes, avec moi par exemple, ajoute Ferenczi entre parenthèse. Après quelques assurances que cela s’atténuerait bien vite, la patient se calme mais quelques jours plus tard, la famille annonce au docteur que le malade avait des hallucinations, parlait tout seul, il avait fait irruption la veille chez l'oncle célèbre puis dans le palais d'un magna de la ville. Ferenczi va lui rendre visite, il le trouve dans un état catatonique profond, il paraît le reconnaître, lui tendit la main puis retomba dans sa stupeur catatonique. Quand Ferenczi le revit après plusieurs mois d'hospitalisation, il écartait avec horreur ses idées homosexuelles, niait sa psychose et ne croyait plus du tout à la relation causale entre ses impressions psychiques et l'homosexualité.
Après cela Sandor Ferenczi ne remet pas pour autant en cause la théorie freudienne. Il montre seulement qu'après avoir ''dérobé'' (c'est son terme) au patient son système de défense, celui-ci n'a plus pu supporter cette soudaine lucidité sur son désir. « Une amélioration ne fut possible que lorsqu'il parvint à nouveau à écarter son savoir acquis par la psychanalyse et à reconstruire son système persécutif. » Il ajoute : « Ce cas nous inciterait à adopter la position pessimiste de Freud concernant la possibilité de guérir la paranoïa par la psychanalyse. »
On voit clairement que Ferenczi a cru, sinon espéré, contre l'avis de Freud que la prise de conscience du désir homosexuel refoulé (si rarement obtenu il faut le dire), allait guérir le patient. Or il constate au contraire son effondrement dans un état pire qu'avant, dans un épisode schizophrénique.
Avec Lacan, on a fini par reconnaître que le mécanisme de la paranoïa ne saurait être le refoulement. C'est autre chose. Dans son séminaire sur les structures freudiennes des psychoses, il commence par parler de rejet, de retranchement puis de forclusion du signifiant paternel proposé comme mécanisme spécifique. Est-ce que cela nous permet une autre voie d'abord psychanalytique ?
Alors il faudra que je vous parle de la méthode psychanalytique. Qu'est-ce qui fait problème ? Cette méthode se déduit du désir du psychanalyste. Partons donc du départ : à la fin du XIXème siècle un neurologue scientifiquement formé (et formaté on peut dire), le Dr Sigmund Freud se prend d'un désir qui ne le quittera pas, celui d'explorer un continent un peu étrange au cœur de chacun d'entre nous et pour cela n'hésite pas à se mettre à contribution lui même notamment en analysant et en publiant ses propres rêves (1899) Die Traumdeutung paru en 1900. C'est le début d'un nouveau métier à partir d'un désir inouï jusque là.
Le désir de Freud n'était pas purement ni même essentiellement thérapeutique. Il le reconnaissait lui même, sur un mode de plaisanterie, dans une lettre à Fliess il dit que c'était un désir de conquête !
« Je ne suis absolument pas un homme de science, un observateur, un expérimentateur, un penseur. Je ne suis rien d'autre qu'un conquistador par tempérament, un aventurier avec la curiosité, l'audace et la ténacité de cette sorte d’homme. » Voilà comment il aimait se voir. Bien sûr cela ne résume pas le désir de Freud, d'ailleurs en partie inanalysé par lui. Il faut dire qu'il n'avait eu à sa disposition que Fliess comme analyste, ce qui n'était pas très commode.
La première condition d'une cure, c'est bien sûr qu'il y ait un patient qui vous demande quelque chose. Avec également le type de transfert qui va la rendre possible. A savoir une adresse à un sujet non pas savant, non pas « tout savant », mais enfin supposé savoir quelque chose. Mais le moteur de la cure c'est autre chose. C'est le désir de l'analyste. Et ce désir est bien difficile à cerner. Ce n'est pas un désir pur au sens où il serait totalement détaché des considérations morales ou sentimentales. Pour moi c'est le tressage d'un triple souci de science, de soin et d'éthique qui subvertit chacun de ces trois termes. On peut dire aussi que le désir de l'analyste c'est celui de quelqu'un qui ayant été au-delà de son fantasme fondamental, c'est à dire qui en aurait perçu, qui en aurait (on dit traversé), en tout cas perçu son caractère d'artifice, voudrait amener quelqu'un à vivre cette expérience. Atteindre donc à un certain réel au delà de toutes les significations qui se sont imposées au sujet.
On objectera que c'est encore un fantasme que de désirer que quelqu'un puisse faire cette expérience. C'est en tout cas ce pourquoi la véritable analyse, c'est l'analyse didactique et celle-ci ne devrait pas idéalement être altérée par des aménagements d’ordre psychothérapique ou sentimental, quand il s'agit de former un analyste. Dans la pratique, on en tient compte quand même.
Le désir du psychanalyste peut-il être au service des patients psychotiques ?
Si comme le rappelle Roland Chemama l’inconscient est ce qui se réalise dans la cure, (ce n’est pas ce qu'il y a avant qui reste potentiel, c'est ce qui se réalise) grâce au transfert. Ce transfert existe-t-il chez les psychotiques? Et si c'est le cas, ce transfert peut-il supporter le désir de l’analyste ? Marcel Czermack nous met en garde : ''les psychotiques résistent mal au transfert '' ( pas le transfert de l'analyste, le transfert du patient).
Voyons ce qu'il en est.
Le transfert dit Lacan dans Les quatre concepts de la psychanalyse, c'est la mise en acte de la réalité de l'inconscient. Freud montre que la réalité de l'inconscient, c’est la réalité sexuelle. Qu’est ce que c’est que la réalité sexuelle ? Je dirais que ce serait l’interprétation par un fantasme qui supplée à l’impossibilité de définir un rapport entre les sexes qui serait spécifiquement sexuel. Il n’y a pas de savoir inné sur le sexe. C’est un fait que l’activité génitale dans le monde animal est le lieu d'un savoir qu'on dit instinctif, parfois hautement sophistiqué, mais relativement stéréotypé pour une espèce donnée. Chez l'homo sapiens rien de tel : du bricolage à partir des pulsions dites par Freud sexuelles, mais qui sont en fait des pulsions orales, anales, scopiques, vocales qui n'ont rien à voir avec l'activité proprement génitale. Nous en avons la preuve par les fantasmes, surtout ceux de névrosés qui nous en parlent, des fantasmes dits sexuels, qui faute d'un signal spécifique qui déclencherait le processus de la reproduction, ont la charge de soutenir notre devoir de reproduction à l'égard de l'espèce, se mettre à son service. Parce que ça sert aussi à ça l'acte sexuel !
Or ces fantasmes dirigent bien souvent ce désir sur des objets parfaitement inaptes à remplir cette fonction (la pédophilie, et autres perversions plus rares).
On note que la mise en acte de la sexualité est souvent l'occasion du déclenchement des premiers phénomènes psychotiques. Il y a dans l'épreuve de la jouissance sexuelle, au moins pour les futurs schizophrènes et plus généralement dans la rencontre avec l'autre sexe, une énigme qui apparaît plus radicale dans la psychose que dans la névrose. Il y aurait comme une sorte d'impréparation des psychotiques à cette rencontre. Autrement dit il n'y aurait pas dans la psychose une interprétation déjà là, tempérée, de l'impasse logique qui concerne l'origine et le sexe. Tout se passe comme si, dans la réalité, les psychotiques avait fait l'impasse sur ces questions.
La fonction du phallus comme limite à l'emprise de l'Autre, grand Autre, comme lieu du signifiant est généralement incarné d'abord dans l'enfance par la mère et puis ceux qui ont eu à affaire à l'éducation de l'enfant. Le désir de la mère ou de l'Autre en général, autrement dit son manque, ce manque qui la fait désirer, c’est un fait de structure ; c’est la traduction d'un manque spécifique dans le langage humain qui est son incomplétude. Rien du langage ne garantira jamais la vérité dernière des significations. Si vous entrez dans un dictionnaire, vous n'en sortirez jamais avec le dernier mot. D'où le fait que la charge de la vérité est reportée sur l'énonciation ; je ne peux pas trouver la vérité dans le dictionnaire. Je peux trouver une série de significations mais pas la vérité : est-ce que tu dis vrai ? « Pourquoi me dis-tu que tu vas à Limberg pour que je croie que tu vas à Cracovie alors que tu vas vraiment à Limberg ». Bon ! C'est un peu usé, d'accord, mais enfin ça situe bien la question que la vérité, elle est du coté de l'énonciation.
La fonction du phallus (c'est le signifiant phallique, je ne parle pas du pénis) est en somme de substituer à ce réel brut du langage (ce manque dans le langage) le réel sexuel. Pour Lacan, il n'y a pas de rapport logique entre les sexes mais un rapport spécifique de chaque sexe au phallus.
Cette mise en place du phallus comme signifiant, elle est contingente. Elle dépend de l'effet d'une opération qui introduit la signification sexuelle du désir maternel. Une opération qui peut ne pas se produire. Cette opération c'est la métaphore paternelle, ce que Lacan a appelé le Nom-du-Père, et par la suite les Noms-du-Père. Le phallus donc, c'est une signification qui est créée par cette métaphore. Elle vient ainsi arrêter la dérive qui serait alors infinie devant ce qui serait vécu par l'enfant comme le caprice erratique d'un désir maternel dans lequel il ne pourrait se repérer. Le phallus, c'est comme une sorte d'indice dans la recherche de l'enfant pour repérer ce qu'il en est du désir de la mère puisque c'est à partir du désir de l'Autre et de la mère notamment, que chacun va constituer son propre désir.
Remarquez donc une chose, c'est qu'on dit que Freud était monoïdéique sur le sexe et que la psychanalyse est un pan sexualisme. Ce n'est pas tout à fait vrai parce que le phallus, lui, n'a pas de sens. Contrairement aux autres signifiants, il ne renvoie qu'à lui même, mais de ce fait il constitue une limite à la dérive du sens. Il corrige ainsi si l'on peut dire le défaut structural du lieu de l’Autre. Il fait barrage à ce qui serait la chute du sujet dans le défilé infini des signifiants. C'est à dire qu'il y aurait quand même quelque chose qui renverrait in fine à une absence de signification dernière, c’est le phallus mais celui-ci vient arrêter cette sorte de défilé infini.
Le défaut de la métaphore n’est guère apparent chez le psychotique tant que le sujet a la ressource de se régler sur des désirs en miroir, en mimétique du désir, à l’image de l’autre, ou des désirs conventionnels, et qu’il n’est pas vraiment mis en cause.
On a vu dans le cas rapporté par Ferenczi surgir les hallucinations du phallus, un retour du phallus forclos, le phallus qui ne revient pas sous la forme de signifiant puisqu'il n'est jamais devenu un signifiant. C'est resté un pénis. Ces gros phallus qui se baladent et qu'il hallucine ce sont des pénis, ce n'est pas le signifiant phallique qui lui est resté impossible à symboliser.
Quant aux représentations homosexuelles qu'il vit à ce moment là, ce patient, elles montrent surtout une relation de dominant / dominé dont la jouissance est inassimilable.
Le rapport au père apparaît comme n'ayant été qu'un rapport de rivalité imaginaire avec un tout puissant et non un rapport pacifié par une symbolisation de l'origine du désir.
S'il s'agissait de refoulement dans le cas de Ferenczi le surgissement de la « vérité » n'aurait pas précipité le patient dans cet abîme sans fond de la catatonie où son corps entier est convoqué pour assurer la consistance de l'Autre, mais sous une forme de cadavre.
Être mis en cause dans ce cas là n'est pas métaphorique. Ce qui va stabiliser les choses, pour le patient, c'est le retour de son délire qui va restituer à l'Autre un certain désir, fût-il de persécution à l'égard du patient. Par lui au moins, il ne sera pas laissé tomber.
Souvent, avant même la décompensation, on peut entendre dans les discours des psychotiques, des paranoïaques, des capitonnages palliatifs de l'absence de ce pôle phallique, par exemple des noms propres qui ne peuvent pas être simplifiés. Je pense par exemple à un patient qui ne pouvait pas dire autrement que le lycée (je ne sais plus comment)...Eugène Sue, il ne pouvait pas dire ''quand j'étais au lycée’' mais était obligé de dire ''quand j'étais au lycée Eugène Sue'' (ça ne suffit pas pour faire un diagnostic de psychose !). Mais quand vous avez cette nécessité et d'une façon permanente, vous voyez qu'il y a une sorte de besoin de capitonner le sens et le son pour qu'il n'y ait pas trop de dérive. Il y a aussi des formules figées qu'on repère dans le discours de ces patients dont le rôle est sans doute de faire tenir une certaine solidarité entre la sonorité des mots et leur sens.
C'est sans doute dans la visée de fuir les équivoques d'une langue, comme toutes les langues imparfaites et Dieu sait si en français il y a des équivoques. Faute du référent phallique, ces équivoques deviennent dangereuses. Nous, quand nous jouons sur les mots, c'est toujours pour faire entendre quelque part du sexuel.
Le transfert du névrosé se fait sur l'hypothèse implicite d'un sujet dans l'inconscient. Un sujet supposé savoir. Sujet supposé savoir que l'analyste va incarner. Il l'incarne au point qu'il peut se produire une certaine confusion entre sa personne et ce sujet supposé habiter le lieu du langage incorporé. La cure alors comme disait Lacan est une sorte de paranoïa dirigée (paranoïa « light » en général). Par exemple une erreur de l'analyste, l'oubli d'un rendez vous, sera facilement interprété par le patient comme une mise à l'épreuve. Aujourd'hui les patients sont peut-être moins dupes ! Une telle disposition en tout cas ne se retrouve pas dans une psychose déclenchée. Sur le point précis qui fait le délire, l'analyste n'est pas supposé savoir. Il sait ou il ne sait pas, mais l'analysant sait, lui, avec certitude ''qu'on sait'', que quelque part on sait. Ce qui va nécessiter des manœuvres d'évitement par l'analyste comme on le verra un petit peu plus loin.
C'est donc un transfert singulier que celui du psychotique qui n'est pas fondé sur la foi dans un sujet supposé savoir mais sur la certitude que quelque part on sait. La foi, ce n'est pas la certitude.
Quand le croyant n'est plus dans la foi mais dans la certitude, alors peut-être qu'il délire.
On a vu qu'au départ de la psychanalyse, il y a un transfert. Celui de Freud sur son ami Fliess.
Le sujet de la certitude cartésienne : « je pense donc je suis », je peux douter de tout mais de penser, j'en suis sûr. En fait ce n'est pas tout à fait ça. C'est ‘' Il pense, donc je suis'', et je suis quand je pense comme lui. Le sujet de la certitude, il est chez l'Autre. C'est Fliess pour Freud. Pour Freud, la sortie du transfert a été cruelle et longue. Les certitudes de Fliess se sont enfin révélées à Freud comme délirantes. Mais il a mis le temps. Et même lorsque Fliess a fait une grosse erreur en opérant une patiente et en laissant une mèche dans son nez qui a commencé à suppurer, Freud dans ses lettres dit : « mais tu n'y es pour rien, ce n'est pas de ta faute, j'ai toute confiance en toi ». On voit bien qu'il a beaucoup de mal à ouvrir les yeux. La suite a donc été le déclenchement d'une paranoïa, pas chez Freud mais chez Fliess. Tandis que Freud pouvait dire ''moi j'ai réussi là où le paranoïaque échoue''.
Mais le transfert en analyse ne concerne pas seulement le savoir de l'Autre mais plutôt le savoir inconscient. Dans la névrose, cette certitude que délivrerait le savoir inconscient est tempérée, elle n'est pas absolue. C'est celle du « fantasme. » Cette espèce de semi-certitude qui fait que « c'est vrai » parce que ça me convient comme ça, c'est conforme aux chemins de ma jouissance. C'est ma méthode dans la vie, pour reprendre Descartes.
Or cette certitude relative du fantasme, elle n'est pas là au départ. Elle s'est substituée dans un deuxième temps à une certitude radicale, celle qui naît de la première prise du corps dans le langage. A ce moment là, le premier mot en quelque sorte tue la chose, laissant une signification univoque et un sujet aboli aussitôt qu'éveillé par le mot. C'est le temps mythique d'une certitude absolue mais sans sujet comme le seront plus tard les vérités logiques. En logique, on dit « c'est vrai » ou « c'est faux » mais il n'y a aucun sujet là-dedans.
Pour en arriver à une certitude moins absolue, mais compatible avec le désir et la vie, celle du fantasme, il faudra passer par un temps intermédiaire. Un détour par l'incertitude quant au désir de l'Autre. Mais que me veut-il ? Elle me dit ci, elle me dit ça, mon petit lapin mon petit chou, mais qu'est-ce qu'elle veut que je sois au delà de tout ce qu'elle dit ? Ce à quoi le sujet répond d'abord par sa disparition du premier temps. Peut-il me perdre ? Et si j'étais mort ? Vous savez bien que tous les enfants jouent à ça : ils vont aller se cacher, ça devient inquiétant quand personne ne vient les chercher. Dans un premier temps il répond par ''et si j'étais mort, est-ce que tu peux me perdre ? Quel est ton désir en fin de compte ? ». Par la suite le sujet interprétera ce manque de l'Autre par l'introduction dans la question ''que me veut-il ?'' d'un objet partiel, un objet pulsionnel, oral, anal, scopique ; ces objets viennent dans le fantasme comme cause du désir c'est à dire : je me fais ce qu'elle veut que je sois, que faut-il que je sois ? Et à ce moment là il y a un objet que va être impliqué dans l'affaire, un objet de jouissance entre la mère et l'enfant, le regard, le sein, les fèces éventuellement, parce que c'est l'objet de tractation entre la mère et l'enfant qui quelque fois dure un peu plus longtemps qu'il ne faut. Il y a des mères qui s'accrochent là...et il faut aussi que l'autre cède quelque part, mais ces objets peuvent venir faire fonction d'objet cause du désir, quand ils sont cédés de part et d'autre. Le sein en tant qu'objet cause du désir, c'est le sein sevré. Alors je me fais ce sein. D'ailleurs je me fais sucer, je me fais chier, de telles jouissances particulières qui montrent que quelque part on se fait être cet objet pour répondre à la question de l'Autre. Dans le fantasme bien sûr ! Et ça reste parfaitement opaque. C'est simplement qu'on le voit dans le comportement : il y a des gens qui n'arrêtent pas de se faire rejeter par exemple, ils se demandent pourquoi, mais c'est que quelque part, ils se font représenter par cet objet de rejet.
Donc ces objets sont très importants, ils sont partiels et ils représentent d'une façon partiale le désir du sujet. Ce ne sont pas des objets de désir, ce sont les objets qui causent le désir comme représentant cet être qui me manque. Puisque le parlêtre c'est un être à qui l'être manque, nous sommes des manques à être.
C'est ce qui ne se produit pas dans la psychose semble-t-il, ces objets là, sont bien là et notamment la voix et le regard, mais les voix psychotiques ne sont pas le support du sujet, faute d'ailleurs de la notion même de cause, car en ce point l'Autre ne manque de rien. Pas de question possible sur le manque de l'Autre puisque l'Autre apparaît comme sans faille.
La mise en cause du sujet à telle ou telle occasion va déclencher une réponse totale. C'est à lui qu'on en veut, c'est lui qui est mis en cause totalement et il ne pense pas qu’on attend pas de lui qu'il lâche quelque chose, un fragment de jouissance. Car quand il va falloir soutenir notre désir, il va falloir lâcher quelque chose, on ne peut pas tout prendre. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre comme on dit d'une façon un peu plus vulgaire. Pour le névrosé, on attend de lui qu'il lâche quelque chose, ce qu'il faut de jouissance pour accéder à son désir. Dans le traitement psychanalytique des psychoses, le défaut de ce temps d'incertitude ne permet pas l'instauration de cette hypothèse qu'est le fantasme.
Par hypothèse, Lacan appelle cette disposition plus spécifiquement paranoïaque l'holophrase entre le premier et le deuxième signifiant. C’est comme si il n'y avait pas de faille dans la première articulation du sujet. Autrement dit le futur sujet ne pouvait pas questionner le désir de l'Autre pour la bonne raison qu'il n'y avait pas de faille, c’était une évidence, point.
Dans le traitement psychanalytique des psychoses, le défaut de ce temps d'incertitude ne permet pas l'instauration de cette hypothèse qu'est le fantasme. Or c'est le fantasme qui construit l'histoire du sujet. C'est aussi pourquoi le récit de leur enfance par les psychotiques ne ressemble pas à une histoire subjectivée mais plutôt à un récit en forme de constat de faits objectifs.
Dans l'analyse dit Lacan, il n'y a qu'un transfert, celui de l'analyste. Mais cet analyste en effet, lui il peut transférer sur le savoir du psychotique ou du pré-psychotique et il peut donc être tenté, puisque le transfert de l'analyste c'est quand même un transfert sur le savoir du patient ; ça l’intéresse.
Donc il peut être tenté de solliciter le patient d'en dire un peu plus, d'en savoir un peu plus sur son savoir inconscient. Le résultat risque de ne pas se faire attendre : disparition rapide et angoissante du sujet sous une certitude absolue. Expérience d'un vécu délirant de significations personnelles. Ce qu'on appelle plutôt aujourd'hui un syndrome de référence jusqu'à ce qu'une signification délirante vienne raccrocher le sujet à l'Autre d'une façon compréhensible par lui, par le sujet : « Ils sont jaloux, ils en veulent à mon argent, etc… » enfin en général « il s'agit de moi, ils sont jaloux de moi, je suis tellement bien », comme le patient de Ferenczi.
L'expérience de Ferenczi, chaque analyste a pu la rencontrer et l'éprouver. Déjà Freud dans son transfert sur le savoir de L'homme aux loups par exemple. Il n'est pas tout à fait pour rien dans l'épisode psychotique qu'il a présenté quand Freud voulait vraiment demander à l'homme aux loups : « mais alors c'est à quelle date que ça s'est produit ce rêve etc. ». Il demandait en quelque sorte à l'homme aux loups de vérifier la théorie, d'apporter la pierre, la clef de voûte qui permettrait d'assurer la cohésion de l'ensemble. L'homme aux loups fait alors un délire sur son nez : il y a un trou. « Là où tu me questionnes, il y a un trou ». Bien sûr s'il avait pu répondre comme ça, il n'aurait pas fait un délire.
Alors la psychanalyse est- elle d'un quelconque secours ? On vient de voir que le désir de l'analyste pouvait transformer un pré psychotique en psychotique voire aggraver un psychotique confirmé.
Mais tout dialogue avec ces patients serait donc inutile voire dangereux ?
Essayons de faire quelque chose.
D'abord, il n'y a pas besoin d'avoir fait une analyse pour entretenir avec un patient psychotique un dialogue respectueux de sa subjectivité, quoique ça puisse aider.
J'ai connu des psychiatres qui n'avaient pas été analysés mais qui se conduisaient correctement avec des psychotiques. Il y a de toute façon des patients qui sollicitent le dialogue, pour diverses raisons. Par exemple faire connaître l'intolérable de la situation qui leur est faite. Être entendu, ça soulage pour un temps. Pendant très longtemps, le patient de Ferenczi a été soulagé par les entretiens, ça a duré douze ans, pendant lesquels ça a fait tenir les choses. On peut aussi essayer d'obtenir telle ou telle faveur, telle ou telle reconnaissance, avantage, et assez souvent d'une façon sans détour. Ce ne sont pas des chipoteurs comme des névrosés. On peut aussi élucider ce qui leur arrive parce que il y a des gens qui sont curieux de savoir ce qui se passe. Il est alors tout à fait possible d'avoir un échange d'une bonne tenue scientifique dirais-je, et cela d'autant plus que la propre analyse de l'analyste, lui aura permis de ne pas plaquer son propre fantasme sur la situation, dans la tentation de donner un sens à ce qu'on vient lui dire et qui est si obscur. Tentation par exemple de voir un refoulement de l'homosexualité dans la paranoïa, ça n'est pas une bonne idée. Ça permet donc éventuellement d'essayer avec le patient de faire un repérage des particularités et peut-être des fragilités de sa structure.
Généralement, il convient donc aussi de freiner notre tendance à interpréter quand nous savons que ce qui sera dit pourra être pris par le patient à la lettre, d'une façon a-métaphorique. De même, il convient aussi de ne pas entériner l'idée que nous comprenons ce que le patient a dit à demi mots dans des propos allusifs. Par exemple, je ne sais pas si j'ai déjà cité cet exemple mais je trouve qu'il est fort bien, de Nicolas Dissez qui raconte qu'il a une patiente antillaise qui fait un délire de filiation et qui lui dit ceci : 1997 c'est l'année où ma mère adoptive avait tenté de me refiler un amant qui s'appelait Arnaud. Vous voyez ce que je veux dire ?
-Eh bien, non excusez moi mais je ne suis pas sûr de bien comprendre.
-Bien c'est parce que vous je parlez pas le verlan docteur : Arnaud c'est Noard.
Marc Darmon fait alors remarquer que si ça avait été une névrose, l'apparition du jeu de mots Arnaud / Noir dans un rêve par exemple aurait été méconnue par le sujet. Et c'est l'analyste qui aurait eu à lire « noir » dans Arnaud, à supposer que ce soit pertinent bien sûr. Alors que dans le cas de cette femme, il s'agit pour l'analyste de refuser la connivence dans l'évidence du sens. Il y a du non-sens, c'est ce que le paranoïaque n'accepte pas. Il y a un moment donné où le président Schreber (qui est psychotique) s'écrie ''Tout non sens s'annule''. Tout fait sens. Eh bien non : pour nous, il y a du non-sens.
Ce refus de la connivence dans l'évidence d'un sens dernier d'ailleurs, peut aider la patiente à ne pas se perdre dans des allusions qui la confortent elle même dans la certitude que l'Autre sait. Ce refus vise donc à faire une butée à défaut de l'inscription d'un impossible. Un savoir donc sur le mécanisme de la forclusion comme distincte du refoulement est ce qui manquait à Ferenczi et à Freud d'ailleurs. Ce Freud m'agace un peu parce que il découvre qu'il y a quelque part chez l'homme au loup un mécanisme différent et après il n'en tient plus compte. Dans ses derniers articles, il parle toujours de refoulement, alors qu'à un moment donné, il précise qu’il y a quelque chose d'autre là, comme si aucun jugement n'avait été porté, que la castration n'existait. C’est ce qu’il annonce et après il continue néanmoins à parler de refoulement. Enfin bon... Quel homme quand même!
Un savoir sur le mécanisme de la forclusion comme distinct du refoulement manquait à Ferenczi et cela justifie cette réserve sur la fureur d'interpréter qui, dans le cas rapporté, était venue malencontreusement hors de la cure par la lecture d'un article du psychanalyste. Ce qui nous met d'ailleurs dans une position très embarrassante parce qu’on nous reproche toujours de ne jamais exposer de cas mais quand on expose des cas, les patients les lisent et vous reprochent d’avoir encore parlé d’eux.
Que la forclusion porte sur le Nom-du-Père, c'est-à-dire ce qui instaure le père comme signifiant, donc dans l'ordre symbolique et non pas comme un croque mitaine imaginaire (pas seulement, il est aussi un croque mitaine imaginaire) peut permettre d'éviter de pousser son patient dans des situations dangereuses pour lui, justement dans toutes ces zones qui concernent la paternité, le rapport au patron etc. Vous avez vu comment chez Ferenczi ça se termine par une voie de faits sur son patron.
La notion de suppléance à cette forclusion a été apportée par Lacan assez tardivement, mais elle est déjà chez Freud sous la forme de l’affirmation que le délire est déjà une tentative de guérison. Mais il n'y a pas que le délire qui peut être une suppléance à l'abandon du sujet. Par exemple, on dit que pour Joyce son activité littéraire a été une suppléance. Ce n'est pas sûr que Joyce ait été un psychotique au sens de la forclusion du Nom-du-Père néanmoins. Mais enfin, il y a des suppléances qui justifient d'encourager le patient dans certaines activités où il excelle. C'est assez souvent dans l'écriture et à ce propos, il faut toujours faire attention quand les psychotiques vous apportent des écrits à les garder, d'en prendre soin. Dans la psychose c'est très important, ils peuvent venir d’ailleurs vous les réclamer d'ailleurs.
Une prise en charge aussi à plusieurs, à deux, ce qui arrive assez souvent quand on est un psychanalyste non médecin, avec des psychotiques pour lesquels il faut aussi de temps en temps faire appel au psychiatre, peut aider, pourvu que ces personnes s'estiment ; cela permet de pallier partiellement les dangers du transfert psychotique. Cela fait une relation à trois, c'est prothétique, ça n'empêche pas la psychose mais ça atténue le caractère frontal du transfert psychotique.
En résumé, la méthode avec les psychotiques donc, c'est meta odos, le chemin avec, je le dirais ainsi, sans fascination pour le savoir délirant, maintenant que nous sommes avertis par l'expérience de Freud, des autres et puis de nous mêmes. C’est, il faut bien le dire, un chemin qui ne va nulle part, en tout cas qui n'a pas de terme logique.
Autant dans une cure de névrosé, qui ne va pas souvent à son terme, il y a cependant un terme logique. Dans la psychose, il n'y a pas quelque chose qui permettrait de dire : voilà, la cure de ce psychotique est finie. Et d'ailleurs ce qui se passe c'est quand on a en charge un psychotique qui transfère sur soi et que les choses se passent de façon tempérée, eh bien il reste en cure toute sa vie ! Ce cheminement ''avec'' devient souvent une fonction psychique, qui va s'intégrer temporairement ou durablement comme nécessaire à la tenue du sujet. Il faut faire un peu attention, dire par exemple : bon eh bien je m'en vais, vous irez voir untel, ça peut très bien marcher s'il y a véritablement une transmission, mais ça peut être vécu aussi comme un lâchage, et vous aurez beau justifier tout ce que vous voudrez, pour un psychotique, ça ne va pas. Il suffit une fois que ce transfert est en route, il suffit très souvent d'un rendez-vous pour calmer une angoisse, ou un délire qui se réactive. Mais ce n'est évidemment pas toujours suffisant et ça n'est pratiquement jamais suffisant dans le cas des épisodes aigus de la psychose maniaco-dépressive. Si vous voyez un mélancolique qui est en train de sombrer dans la mélancolie, de rechuter dans la mélancolie, on peut croire au dialogue, mais on constate que deux jours après, les choses vont encore plus mal. Là, il faut prendre des décisions.
Donc j’ai insisté sur la prudence qui s'imposait en raison des particularités du transfert psychotique que j'espère avoir essayé d'expliquer. Ça n'empêche nullement donc un travail d'élaboration avec ceux qui sont partants. C'est spécialement le cas quand on soupçonne que ce sont des ruptures contingentes dans le fil de l'histoire du sujet qui ont favorisé la forclusion. Je vous signale un livre de Françoise d'Avoine et Jean-Max Gaudillière qui s'appelle « Histoire et trauma: la folie des guerres où ils montrent l'incidence psychotisante de non transmission du trauma dans les générations précédentes.
Enfin, la forclusion c'est un concept certainement très puissant, mais ce n'est qu'un concept. Il a été élaboré pour rendre compte de ce retour dans le Réel, en tout cas dans la réalité, avec un coté Réel, de quelque chose qui n'a pas été symbolisé. Si le patient de Fereczi voit tout à coup des phallus énormes après ce qui arrive c'est que ça n'a pas été symbolisé et ça retourne dans la réalité sous forme d'hallucinations.
Voilà ça rend compte de cela : ce n'est pas du refoulement, c'est autre chose : Lacan l'appelle forclusion. Mais ça ne désigne pas l'être d'un sujet, et encore moins l'absence de sujet en tant qu'il ne faut pas dire qu'il n'y a pas de sujet dans la psychose. En revanche, ça indique que là où elle s'est produite, la forclusion, on ne peut pas attendre une réponse du sujet, qu'elle soit symptomatique ou pas, mais seulement une réponse automatique qui met le sujet en place d'objet pour la jouissance de l'Autre : c'est à dire une hallucination, un délire. Il est important donc de bien distinguer le mécanisme de forclusion qui explique, qui rend compte de ce que quelque chose n'a pas été inscrit dans l'inconscient, du sujet comme reste symbolisé. Mais du coup, quand le sujet est exposé à cette signification, qu’il n'a pas à sa disposition ce signifiant, cela revient de l'extérieur. Cela n'empêche pas au psychotique d'être sujet, par ailleurs, mais là ou ça se produit on ne peut pas attendre une réponse du sujet.
Question
- Que voulez-vous dire quand vous dites que quelque chose n'a pas été inscrit par rapport à cette forclusion qui ne serait qu'un concept
- Je dis la forclusion c'est un concept très puissant mais c'est un concept, c'est à dire quelque chose qui nous permet de cerner un réel. Mais il faut quand même distinguer entre ce qui est le concept qui essaye de cerner quelque chose et puis cette chose elle-même. Ce que je voulais dire surtout, c'est que le refoulement, pas plus que le déni décrit par Freud pour la perversion, ne rend compte de ceci : qu'à un moment donné le sujet est halluciné. Il entend des voix et ces voix ne sont pas la sienne. De cela il ne peut pas douter. Donc il y a un mécanisme qui est différent. L'idée de Lacan c'est ce qui revient sous forme de voix, c'est ce qui n'a pas été symbolisé, c'est quelque chose qui a été retranché de l'ordre symbolique, ou qui plutôt n'a jamais été inscrit - les deux choses sont différentes - eh bien, ça touche la fonction paternelle, le Nom-du Père. Le Nom-du-Père qui produit la signification phallique. La signification phallique c'est la castration, c’est ce qui fait que tout n'est pas possible, ce qui fait que tout ne fait pas sens, il y a du non-sens. Tout ne peut pas être dit, c'est ça la castration. C'est ce qui justement à certains moments ne joue pas. Par exemple, un patient doué, qui a bien travaillé, son patron lui propose de prendre une responsabilité : Il arrive au cabinet il est content, trop content, un peu exalté, formidable ! Le lendemain il lui apparaît : « oui mais pour cela il faut que je meure! ». Il n y a pas le signifiant qui soutiendrait cette position d’autorité. Il faut l'entendre pour essayer de comprendre. Il y a quelque chose qui ne lui permet pas, qui s'est présenté pour lui : venir à cette place là pour lui c’était être identifié au signifiant premier, en quelque sorte, et non plus être représenté par un signifiant pour d'autres signifiants. Mais s‘il avait eu ce temps intermédiaire d’incertitude, de questionnement il y aurait probablement répondu par une problématique névrotique : « oh la la !est ce que je vais y arriver ! Et puis je vais avoir des responsabilités, ça vaudra le coup quand même, mais ma femme va dire que... » ou alors il va faire un symptôme obsessionnel. Mais dans ce cas là ce n'est pas ça : il est content parce qu’il pense « ah, tu es un bon garçon ». Et puis le lendemain « oui mais il faut que je meure pour ça ».
J'ai fait allusion à ces choses complexes qui sont des éléments de l'histoire du sujet qui n'ont pas été transmises, qui sont restées des traumatismes dans les générations antérieures, comme c’est arrivé souvent, au vingtième siècle, notamment, et qui chez les descendants peuvent déclencher des sortes de forclusions. C'est difficile, on a l'impression qu’en travaillant davantage, en retrouvant les éléments manquants de l'histoire ça permet quand même quelque fois au sujet de se repérer davantage. Les symptômes sont d'apparence psychotique, on parle de grande confusion mentale mais en fait ce n'est pas tout à fait pareil.
Je vous disais que le terme de forclusion, le concept de forclusion est assez puissant. Entre L'homme au loups qui fait une bouffée délirante, un épisode délirant très limité, une petite parano sur quelque chose dans son nez qui est abîmé, et le président Schreber, qui va passer une grande partie de sa vie à l’asile - c'est épouvantable, même si il a pu garder la possibilité d'écrire un livre sur son histoire c’est quand même un grand délirant car il va rechuter- il y a bien une différence. Dans le cas du Président ce qu'on sait du père c'est assez épouvantable : c'est à dire que ce qui est du côté de la forclusion est redoublé par l'usage que fait le père de sa position paternelle, qui est une position absolument pas médiatisée. C'est lui qui sait tout, c'est le père qui sait ce qu'il faut pour le bonheur des peuples. Il a écrit des quantités de manuels pour redresser les jambes, pour bien se tenir, avec des appareils, pour que les enfants se tiennent bien droits, et puis il y a les jardins potagers pour les ouvriers, les Schreber Garten, qui sont toujours en activité en Allemagne. Un type extrêmement reconnu aussi, dans une famille elle même très reconnue. Apparemment, ça a des effets psychotisants, mieux avoir un papa sympa, qui s'occupe bien de maman et des autres mais pas trop éducateur, pas de père éducateur, surtout dit Lacan. Non qu'il ne faut pas pousser un coup de gueule, de temps en temps, si les enfants font des bêtises dans le wagon, et embêtent quatre-vingt personnes parce-que le bébé ou le petit garçon hurle. Entre cette espèce d'absence totale de répression qu'on voit quelque fois chez des parents et le père éducateur, il y a aussi une différence.
Bernard Vandermersch