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Bien si vous voulez on va commencer, alors aujourd'hui dĂ©jĂ  le titre, le titre que vous aviez sur votre petit tableau : il y a une petite erreur de transcription sans doute, il y a marquĂ© « ContiguĂŻtĂ©s et discontiguĂŻtĂ©s dans l’approche des psychoses Â» et c'est Ă©videmment « ContiguĂŻtĂ©s et discontinuitĂ©s dans l'approche des psychoses Â». C’est-Ă -dire que l'on va lĂ  aborder le thème des psychoses. La contiguĂŻtĂ©, il y a le discours de la psychiatrie qui Ă©videmment traite des psychoses et puis il y a la psychanalyse qui Ă©galement traite des psychoses, donc ce sont deux discours qui sont lĂ  on pourrait dire un peu Ă  cĂ´tĂ© l'un de l'autre mais est-ce qu'ils sont en continuitĂ© ? Non, il y a un certain nombre de ruptures conceptuelles entre la dĂ©marche psychiatrique classique telle que je l'ai Ă©voquĂ©e la dernière fois, et la psychanalyse. Ce sont deux approches distinctes de la psychose et des phĂ©nomènes de la psychose.

Alors, pour poursuivre juste un petit point sur l'intervention de Madame Lamrani-Tissot de la dernière fois, sur l'infatuation de l'identification. Qu'est-ce qu'on peut dire ? C'est un phĂ©nomène de sociĂ©tĂ©. Ce qui nous intĂ©resse c'est que vis-Ă -vis d'un phĂ©nomène de la sociĂ©tĂ©, qu'en dit la psychanalyse par exemple ? C'est ça qui nous intĂ©resse. Et Pour ça j'en reviens encore Ă  des rĂ©fĂ©rences bibliographiques puisque j'avais vu passer des messages demandant, cette identification, oĂą est-ce que nous allons trouver cela ? C'est vrai que l'identification est un sujet très vaste, c’est le moins que l'on puisse dire. Alors les rĂ©fĂ©rences immĂ©diates pour s'intĂ©resser Ă  cette question, d'une rĂ©ponse en quelque sorte de la psychanalyse dans le discours social, c'est Ă©videmment l'ensemble d'articles de Freud qui sont rĂ©unis sous le titre Psychologie collective et analyse du moi.

Et j'avais envie de dire que cela ne vous empĂŞche pas aussi d'aller voir Les Ă©tudes sur l'hystĂ©rie, qui est le premier ouvrage, les premiers travaux de Freud, qui inaugure ce qu’est une Ă©coute analytique et vous y verrez que l'hystĂ©rie y est abordĂ©e d’emblĂ©e sous l’angle de l’identification. En ce sens que la symptomatologie hystĂ©rique est l’expression de certains traits identificatoires du patient ou de la patiente. Alors bien Ă©videmment vous pouvez aussi vous reporter et travailler Ă©ventuellement le sĂ©minaire de Lacan, L’identification. Je ne sais pas si certains d’entre vous sont Ă©galement dans le mouvement des enseignements de l’ALI, mais cette annĂ©e avec l’ALI, on Ă©tudie prĂ©cisĂ©ment l'Identification et donc le sĂ©minaire de Lacan qui est un sĂ©minaire qui d’emblĂ©e pose en quelque sorte cette opposition entre une identification imaginaire et une identification symbolique, identification de signifiant comme dit Lacan. VoilĂ  une rĂ©fĂ©rence lĂ  encore bibliographique mais qui nous amène Ă  considĂ©rer que l'infatuation qu'Ă©voquait Madame Lamrami-Tissot Ă  propos de l'identification, c'est pour Lacan le plus souvent l'infatuation du moi, c'est le fameux « moi je Â». Son support c'est l'image unitaire du corps idĂ©alisĂ©e dans le moi idĂ©al, et Ă©videmment lĂ  vous pouvez aussi vous reporter au sĂ©minaire de Lacan, Le moi dans la thĂ©orie freudienne, oĂą il fait un peu l'historique du moi, montrant que le moi n'a pas toujours existĂ©, il date Ă  peu près de Montaigne voire de Pascal. Pascal disait « le moi est haĂŻssable Â» en en dĂ©nonçont l'infatuation bien sĂ»r. Donc voilĂ  autant de rĂ©fĂ©rences quant Ă  ce qu'il en est, on pourrait dire, d'une rĂ©ponse de la psychanalyse Ă  certains phĂ©nomènes sociaux. Pour dire que la psychanalyse ne se rĂ©duit pas chez Freud au cabinet de l’analyste et au divan. Freud a beaucoup Ă©crit sur le social et la sociĂ©tĂ©.

Alors, on va reprendre lĂ  maintenant, lĂ  oĂą on a notĂ© la dernière fois, oĂą j'avais Ă©voquĂ© comme dernière perspective dans la clinique classique, la perspective psychosociologique et le modèle justement ethnopsychiatrique. En faisant valoir l'attention portĂ©e aux dĂ©terminants sociaux idĂ©ologiques, aux facteurs culturels qui avaient Ă©tĂ© inaugurĂ©s par des courants culturalistes amĂ©ricains. Vous avez des grands noms de cette anthropologie culturelle avec Margaret Mead, Ruth BĂ©nĂ©dict, Abraham Kardiner, donc une psychanalyse culturaliste qui a ses pionniers encore avec « Geza Roheim Â», Adler, Reich, Erich Fromm, qui en France vont ĂŞtre repris par Georges Devereux, Marie-CĂ©cile et Edmond Ortigues et Tobie Nathan, entre autres bien sĂ»r.

Donc voilĂ  une Ă©vocation rapide de cette dĂ©marche de la clinique qui fait valoir la nĂ©cessitĂ© de prendre en compte ces aspects culturels, les problèmes contemporains posĂ©s par les consĂ©quences de la colonisation, la diffusion du discours scientifique, confrontation des mythologies et des idĂ©ologies, problème de l'immigration, la montĂ©e des intĂ©grismes, etc. J’évoquais lĂ  cette dimension et au terme de ce parcours de quoi ? de toutes les modalitĂ©s d'approches que propose la clinique classique en fonction des thĂ©ories portant sur l’étiologie de la maladie mentale, en fonction des thĂ©ories psychosociales etc., environnementales etc., ce dans toute leur diversitĂ© jusqu'au dĂ©clin de la clinique classique. Tous ces courants de pensĂ©e que l'on vient d'Ă©voquer pour montrer la disparitĂ© des approches, ce n'est pas pour essayer de crĂ©er une espèce de syncrĂ©tisme, mais bien Ă©videmment pour montrer Ă  quel point vous avez des discours distincts les uns des autres qui proposent chacun leur interprĂ©tation du phĂ©nomène de la psychose. Donc c'Ă©tait pour vous montrer cette disparitĂ©.

Or depuis les annĂ©es 1950, la clinique classique pĂ©riclite, l'invention des neuroleptiques a marquĂ© un arrĂŞt, c'est Ă©vident, c' est contemporain, et du coup cette clinique, non seulement n'invente plus, mais en plus, sa dĂ©marche qui Ă©tait particulièrement, quand mĂŞme il faut le reconnaĂ®tre, structuraliste et qui avait connu un grand essor, eh bien mĂŞme cette dĂ©marche finit par s'Ă©puiser et on assiste Ă  un retour Ă  des dĂ©terminismes fondĂ©s uniquement sur la description, par exemple les Ă©tats limites qui viennent combler la rupture qu'il y avait entre nĂ©vrose et psychose en tant que deux structures radicalement diffĂ©rentes, eh bien on va lĂ  s'intĂ©resser Ă  toute cette clinique des Ă©tats limites, borderline, donc quelque chose qui est beaucoup plus orientĂ© vers une phĂ©nomĂ©nologie des manifestations de la psychose et qui vient rompre ce point de rupture. De mĂŞme par exemple le traumatisme. Tout d'un coup le traumatisme vient tout expliquer. Il y a des microtraumatismes, tout le monde se retrouve finalement Ă  ĂŞtre sujet d'un traumatisme. Donc vous voyez que les causalitĂ©s font l'objet de discours qui varient comme cela.

Mais par ailleurs on considère aussi que la clinique classique atteint une limite interne Ă  sa dĂ©marche. Alors qu'est-ce que c'est que cette limite interne Ă  sa dĂ©marche ? Eh bien c'est tout simplement que l'on a pu voir que cette clinique classique, elle se fonde sur l'observation, sur le regard clinique et que cette observation bute sur une limite Ă  crĂ©er des classes, des espèces, des catĂ©gories. On observe des signes cliniques, on essaye de les classer, de crĂ©er des classes, des espèces et cette classification finalement, et c'est ce que l'on Ă©voquait au premier cours, va buter sur la radicale singularitĂ© du sujet. Le sujet lui ne peut pas s’objectiver comme l'objet d’observation scientifique et bon, bien qu'on en ait eu conscience tout le temps, en particulier par rapport Ă  ce diagnostic de schizophrĂ©nie, qui s'appelait d'abord une dĂ©mence prĂ©coce avec Kraepelin, puis avec Bleuler elle s'est appelĂ©e schizophrĂ©nie, certes en s'inscrivant dans une dĂ©marche beaucoup plus psychogĂ©nĂ©tique, mais n'empĂŞche qu'aux USA on fait le constat de l’inefficacitĂ© de toutes ces thĂ©ories, y compris la psychanalyse, Ă  soigner les psychoses. Pragmatisme amĂ©ricain, il y a beaucoup de thĂ©ories mais il n'y en a aucune qui rĂ©pond Ă  la question du rĂ©el de la psychose. Et donc pour y rĂ©pondre, dĂ©jĂ  il faudrait Ă©tablir un nouveau système de classification, le fameux DSM dont vous avez sans doute entendu parler. Mais Ă  partir du DSM qui a fait l'objet de plusieurs Ă©ditions, bien Ă©videmment, de rĂ©visions, Ă  partir du DSM 3 les responsables amĂ©ricains de l'association des psychiatres ont dĂ©cidĂ© de mettre sur pied cette fameuse classification a-thĂ©orique, le DSM (diagnostic et classification d'un point de vue statistique).

Donc l'association américaine des psychiatres (APA), qui va réunir tous les psychiatres des pays du monde pour essayer que l'on se mette tous d'accord, a le projet d'établir une liste et une classification des signes cliniques, que nous appellerons troubles, cette liste et cette classification vont se déclarer détachées de toute théorie et de toute idéologie et en mesure, de ce fait, d'être comprises et utilisées par tous. C'est la fameuse "fiabilité inter-juges". Parce qu’évidemment vous dites schizophrénie aujourd’hui même dans les années 50/60 en France et bien vous n’êtes pas du tout sûr qu'un Japonais entend la même chose sous ce terme. D'ailleurs ils ont inventé un nouveau terme parce que ce terme de schizophrénie ne leur convenait pas. Donc l'idée, pour faciliter en quelque sorte les recherches épidémiologiques en psychiatrie, il fallait que tout le monde s'entende sur les termes employés. Donc ce DSM, cette classification statistique se prétend d'emblée en rupture avec toutes les théories aussi bien organiciste que sociologique que psychogénétique et dégagée de toute idéologie. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais c'est un projet qui laisse un peu songeur quand même.

Donc les catĂ©gories qui se dĂ©gageront de cette classification ne rĂ©pondront qu'au seul pragmatisme de l'efficacitĂ© thĂ©rapeutique, de telle ou telle molĂ©cule, donc dĂ©gagĂ© de toute valeur culturelle. Pas de chance, Ă  peine c'Ă©tait sorti que les psychiatres homosexuels de Californie qui constituent une association importante: « qu'est-ce que vous avez mis lĂ  ? HomosexualitĂ© dans les troubles ? Ça ne va pas. Donc ils ont rĂ©ussi Ă  faire enlever l'homosexualitĂ© des troubles, moyennant quoi, ça n'a pas encore Ă©tĂ© très clair pendant un temps puisqu’ils ont mis une homosexualitĂ© dystonique diffĂ©renciĂ©e d'une homosexualitĂ© syntonique au moi, comme s'il y avait une sexualitĂ© parfaitement syntonique au moi dans l'hĂ©tĂ©rosexualitĂ©.

En tout cas la preuve a été très rapidement faite qu’on ne peut pas établir une démarche qui se garantirait de toute idéologie. En tout cas malgré ces défauts cette classification a réussi à s'imposer de façon internationale avec des résultats plus ou moins heureux. Certains auteurs jugent qu'il y a eu un net progrès au niveau de cette fiabilité inter-juges qui est mesurable. On envoie des études de cas à tout le monde et on leur demande de traiter de ce cas et de mettre un diagnostic éventuellement. Alors qu'avant, tout le monde avait une perception qui était marquée par sa culture, là enfin on arrivait plus ou moins à une certaine homogénéité des évaluations des psychiatres de tous les pays. Mais donc est-ce que c'est à partir de là, à partir d'autre chose en tout cas cela s’est imposé plus ou moins à tous les pays. Et rapidement de plus en plus de voix se sont élevées contre l'impérialisme de cette classification et le dévoiement de la réflexion et de la pratique qu'elle entraîne. Alors vous pouvez taper sur le Net : "Stop DSM", qui est une initiative précisément qui vient en quelque sorte rappeler que la souffrance psychique n'est pas une maladie mentale uniquement, que par le DSM on assiste à un abandon de toute réflexion en psychopathologie, forcément puisqu'ils ont décidé d'être totalement athéoriques, et donc là en même temps abandon de tout abord par les sciences humaines. Alors, cet athéorisme n'en produit pas moins un répertoire de troubles et de dysfonctionnement qui peuvent aller assez loin d’un point de vue biologique quand on voit qu'à propos des troubles des conduites, l'incivilité par exemple est devenue une maladie.

Donc on assiste à une inflation de ces troubles et qu’entre le DSM 3et le DSM 5, aujourd'hui, le nombre de troubles a considérablement augmenté dans sa liste. Il était passé à 410, avant il était à une centaine, à ses débuts en 1952. Il y a évidemment des incidences et sur la pratique et sur l'enseignement. Bien évidemment sur la pratique c'est une hypermédicalisation, sur la formation des cliniciens on n’aurait plus que des cliniciens attachés à cette classification sans aucune réflexion psychopathologique.

Donc une mise en cause de plus en plus affirmée, radicale de cette classification du DSM. Mais est-ce que ce n'est pas déjà un combat d'arrière-garde diront certains face aux progrès de la science. Aujourd'hui, dans les milieux scientifiques les plus en pointe, on assisterait à une remise en question radicale, non pas des anciennes théories, non pas uniquement de la clinique classique, mais même du DSM et des classifications de symptômes observés. On dénonce là dans cette classification le modèle botanique. Et on préconise l'abandon d'un idéal d’univocité de la langue et d'une fiabilité inter-juges. Aux USA, on rencontre différentes positions. Position qui préconise de passer par ce que l'on appelle un modèle narratif en psychiatrie à caractère composite, intégrant la diversité des abords aussi bien de la biologie que de la sociologie et de la psychanalyse, mais par une mise en concurrence sévère des conceptions totalement disparates. Ce modèle narratif consiste essentiellement, pour traiter les phénomènes de la psychose mais aussi plus largement de ce qui relève du registre de la santé mentale, d'intégrer tous les courants, toutes les théories entre autres que j'ai énumérées, pour les mettre en concurrence et finalement mettre en concurrence quoi, des conceptions qui sont relativement ou totalement disparates les unes par rapport aux autres. Ce n'est pas satisfaisant non plus, c'est une position un petit peu holistique d'essayer de couvrir toutes les théories en cours mais bien évidemment il y a là une espèce d’œcuménisme qui n'est pas du tout productif.

Toujours dans ces milieux américains, mais des sciences dures, ce clivage est toujours plus radical entre l'usage du DSM pour la gestion de la psychiatrie dans le pays. C’est-à-dire que ce DSM qui produit des classifications, donc des listes de troubles, des items, est utilisé par l'administration aux États-Unis pour les assurances, même pour les jugements au niveau légal. Pour les assurances, eh bien c'est très simple, un diagnostic par le psychiatre, vous avez, je ne sais pas, des troubles obsessionnels compulsifs, un TOC eh bien cela vous permettra d'avoir le remboursement d'une dizaine de TCC (thérapies cognitivo-comportementales) en vue de traiter votre TOC. Si votre diagnostic c'est la schizophrénie, évidemment vous aurez un autre taux de remboursement sur plusieurs années de prise en charge psychiatrique. Donc cet usage du DSM d'un point de vue administratif en quelque sorte, pour les problèmes légaux, se justifie toujours, mais du côté de la recherche fondamentale, le NIMH (National Institute of Mental Health), on dénonce la validité scientifique. Qu'est-ce qu'ils disent les chercheurs purs et durs. La langue est parfaite, la langue du DSM, elle est parfaite mais elle ne veut rien dire dans la mesure où elle a complètement oublié qu'elle doit mesurer autre chose qu’elle-même.

Ces courants scientifiques proposent de rassembler tout ce qui a Ă©tĂ© dĂ©gagĂ© d'objectif dans le champ de la psychopathologie : neuro-imagerie, marqueur gĂ©nĂ©tique, altĂ©ration des fonctions cognitives, etc. Et ce, sans Ă©gard aux catĂ©gories cliniques classiques. Cette modĂ©lisation du cerveau intĂ©grant la gĂ©nĂ©tique et les neurosciences n'exclue rien, pas mĂŞme les traitements psychosociaux. Cette tendance Ă  collecter le maximum d’informations sur chaque sujet trouve son aboutissement dans les grands groupes privĂ©s de la Silicon Valley, Google Health, etc. C'est le dĂ©veloppement du Big data science qui prĂ©conise une mĂ©decine personnalisĂ©e pour tout un chacun y compris en psychiatrie, le recueil de toutes les donnĂ©es biologiques dans l'espoir qu'un jour on parviendra Ă  modĂ©liser le cerveau et Ă  en dĂ©gager la dĂ©termination de l'ensemble des comportements. Il n'est mĂŞme plus nĂ©cessaire d'avoir une thĂ©orie biologique ou autre, tout se rĂ©vèle au travers d’algorithmes mathĂ©matiques.

En ce qui concerne les entretiens individualisĂ©s, voire les psychothĂ©rapies, on parle de psychothĂ©rapie psychosociales, de psychoĂ©ducation ou de remĂ©diation cognitive. Mais, pourquoi pas, la Silicon Valley s'y emploie Ă  partir de l'intelligence artificielle : proposer des robots de conversation thĂ©rapeutique, lesquels, contrairement Ă  un thĂ©rapeute humain, intĂ©greraient tous les protocoles TCC envisageables.

VoilĂ , ce tour d'horizon pour vous Ă©voquer lĂ  simplement la pluralitĂ© des discours en psychiatrie et en pointer la disparitĂ© qui ne rĂ©soud en rien le problème de fond.

Mon but là aujourd'hui, c'est d'aborder d'un peu plus près la question des psychoses. La première question qui vient, la remarque qui vient d’emblée chez les gens qui ne sont pas habitués au discours psychiatrique, à la psychopathologie, etc., en général, c'est d'être précisément frappé par le discours d'un aspect un peu radical qu'il y a dans la façon d'aborder les troubles, les aléas de ce qu'on appelle la maladie mentale. J'évoque là le caractère ségrégatif plus que l'exclusion de ce terme de psychose, ségrégation à laquelle tout le monde participe en même temps qu'on la dénonce. Le discours psychiatrique - Lacan le remarquait déjà - est, par nature, ségrégatif, entre autre par ses classifications, ses nosographies, sa sémiologie. Mais un certain usage des catégories de la psychanalyse, son structuralisme, à une époque en tout cas, radicalise également la différence, entre ce qui est de la névrose, ce qui est de la psychose.

DĂ©jĂ  dès la naissance de la psychanalyse en France, les surrĂ©alistes dĂ©nonçaient cet usage normatif du discours psychanalytique. Psychose, folie, aliĂ©nation, maladie mentale, un certain nombre de noms sont venus lĂ  tenter de cautĂ©riser ce rĂ©el auquel on a affaire et dont on ne sait pas très bien comment le cerner. Aujourd'hui le mot d'ordre c'est "santĂ© mentale et prĂ©vention" par exemple. On a vu que la dĂ©marche clinique est par essence sĂ©grĂ©gative (Cf. Histoire de la clinique de Michel Foucault). Comment concilier l'objectivitĂ© scientifique et la prise en compte de l'humain ? C'est ce que je vous racontais une première fois. Cette aporie des sciences humaines qui voudraient avoir l'efficacitĂ© des sciences exactes, des sciences dures, et Ă©ventuellement la rĂ©ponse qu'a pu porter la psychanalyse, je vous l'Ă©voquais aussi.

Alors pour la psychiatrie, la psychose c'est un ensemble de signes, de symptômes, de troubles, aujourd'hui, avec le DSM 5. Trouble psychotique, schizophrénie avec la notion d'évolution de cette dernière catégorie. La psychose, pour la psychanalyse, c'est autre chose. La psychanalyse, elle, s'est développée dans le registre de la névrose essentiellement, elle est née avec une pratique clinique avec les hystériques. Et Freud, psychiatre, n'en a pas moins apporté des réflexions déterminantes sur les psychoses qu'il aborde alors par le biais de la psychanalyse, ce qui le démarque de la démarche classique en psychiatrie. Le critère de distinction vis-à-vis des névroses sera d'abord le rapport à la réalité, en quelque sorte dans la psychose il y aurait production d'une néoréalité comme tentative de guérison.

Mais en mĂŞme temps dès ses premiers Ă©crits, Freud, pour la psychose, Ă©voque certains mĂ©canismes psychiques spĂ©cifiques dont une modalitĂ© particulière du refoulement. Alors il va nous renvoyer aux termes de dĂ©ni, de forclusion, Ă©galement d'un certain type de projection dans la psychose qui n'est pas la projection ordinaire de tout un chacun, et en plus il va Ă©videmment, et j’en profite lĂ  encore pour vous donner un Ă©lĂ©ment bibliographique essentiel, considĂ©rer le point de vue Ă©conomique dans la psychose. Je vous renvoie lĂ  bien Ă©videmment Ă  l'article de Freud, « Pour introduire le narcissisme Â». La psychose est considĂ©rĂ©e lĂ  comme une rĂ©gression du narcissisme. C'est l'expression d'un narcissisme secondaire.

Mais cela n'empĂŞche que la question du rapport Ă  la rĂ©alitĂ© pour juger de la psychose a toujours Ă©tĂ© problĂ©matique dans l'abord psychanalytique. Ce, d'autant plus que dans la clinique de ce que l'on appelle les psychoses dĂ©lirantes chroniques, on a lĂ  Ă  ce titre et de façon exemplaire des manifestations de la psychose qui s'accompagnent d'une relativement bonne adaptation sociale quelles que soient les manifestations que l'on puisse relever. Ce que je vous propose c'est prĂ©cisĂ©ment d'aborder ces manifestations de la psychose, ces psychoses dĂ©lirantes chroniques pour d'abord bien les spĂ©cifier, les repĂ©rer, il y en a plusieurs. Elles ont Ă©tĂ© lĂ  aussi observĂ©es et classifiĂ©es, et on tachera si nous avons le temps d'en dĂ©gager des phĂ©nomènes d’entrĂ©e dans la psychose, le dĂ©clenchement, qu'est-ce qu'il se passe au moment oĂą cela commence ? D'autant plus intĂ©ressant que les psychoses dĂ©lirantes chroniques cela ne commence pas comme la schizophrĂ©nie Ă  l'adolescence mais plutĂ´t Ă  un âge plus avancĂ©, souvent vers la quarantaine. Mais je rĂ©pète ce qui les particularise c’est que, pour aussi exubĂ©rant parfois que puissent ĂŞtre les thèmes dĂ©lirants, eh bien le patient peut maintenir un niveau d’adaptation suffisant pour continuer Ă  vivre Ă  peu près normalement.

Donc voilĂ  on va aborder ces questions. LĂ  je fais rĂ©fĂ©rence Ă  un manuel de psychiatrie, celui auquel je fais rĂ©fĂ©rence c'est Psychiatrie de l'adulte de LempĂ©rière. Mais n'importe quel manuel de psychiatrie de l’adulte va vous donner Ă  peu près les mĂŞmes indications sur ce type de troubles dont l'intĂ©rĂŞt aussi n'a pas fait l’unanimitĂ© sur l'isolement de ce type de troubles. C’est-Ă -dire que par exemple dans les milieux anglo-saxons, ces Ă©tats dĂ©lirants sont intĂ©grĂ©s dans la schizophrĂ©nie. Le concept de schizophrĂ©nie est beaucoup plus large qu'en France et intègre des troubles dĂ©lirants qui dans la clinique classique française font l'objet d'une clinique bien spĂ©cifique.

LempĂ©rière, Fedine, Adès, Psychiatrie de l'adulte, Ă©dition Masson.

Je vais vous lire quelques passages de ce qui se dit lĂ  sur les syndromes dĂ©lirants chroniques. « Sous cette appellation, on dĂ©signe en France un groupe d’affections mentales caractĂ©risĂ©es par l'installation, le dĂ©veloppement et l'extension d'idĂ©es dĂ©lirantes permanentes. Â» N'essayez pas de tout Ă©crire, il vaudrait mieux que vous vous reportiez aux articles, vous n'aurez pas de mal Ă  les trouver. « Ces idĂ©es dĂ©lirantes permanentes procèdent d’intuition, d'interprĂ©tation, d'illusion, d'hallucination et elles perturbent Ă©videmment radicalement le système d'idĂ©es, de jugements et de croyances. Elles imprègnent la vie affective et relationnelle et donc elles entraĂ®nent une rĂ©fraction des rapports du sujet et du monde extĂ©rieur Ă  travers son prisme dĂ©lirant. Ces dĂ©lires chroniques n'Ă©voluent pas vers la dissociation des diffĂ©rents secteurs de la personnalitĂ© comme dans la schizophrĂ©nie. Â» Vous voyez elle se distingue de la schizophrĂ©nie pour la psychiatrie française.Il n'y a pas cet aspect dissociatif que l'on trouve dans la schizophrĂ©nie. Non plus qu’évidemment ne se ramène pas Ă  la faillite des processus intellectuels comme dans les dĂ©mences organiques. « Certains dĂ©lirants chroniques très exemplaires de ce que rĂ©alise l’aliĂ©nation mentale provoquent des attitudes d'anxiĂ©tĂ© et de mise Ă  l'Ă©cart du fait de leur Ă©laboration dĂ©lirante. Du caractère inĂ©branlable de leurs convictions pathologiques et du rĂ©el danger qu'ils reprĂ©sentent parfois. D'autres suscitent des rĂ©actions d'Ă©tonnement voire de fascination devant l'extraordinaire production devant leur conviction imaginaire. Â» Vous voyez que cela peut avoir des effets variables selon certains aspects de leur personnalitĂ© qui peuvent nĂ©cessiter de les maintenir hospitalisĂ©s et de les protĂ©ger contre eux-mĂŞmes et vis-Ă -vis des autres.

Alors ces délires étaient qualifiés dès le départ avec Pinel, je l'avais évoqué, Pinel et Esquirol, de monomanie, qui mettent en relief les thèmes délirants. La première façon de classifier cela va être d’isoler les thèmes délirants qui sont produits. Alors vous avez les délires de persécution, les délires ambitieux, mégalomaniaques, les délires hypocondriaques etc., les délires chroniques systématisés. Et les aliénistes vont précisément tenter de classifier autrement que uniquement par le thème du délire parce qu’ils s’aperçoivent très rapidement que au fond tous les délires peuvent se chevaucher les uns les autres et que cela ne constitue pas un critère discriminant.

En tout cas les auteurs français vont privilégier les mécanismes générateurs du délire et ils vont individualiser comme cela le délire chronique d'interprétation de Sérieux et Capgras. Délire chronique d’interprétation, nous allons y revenir, de Sérieux et Capgras, d’ailleurs il y a eu un TD dessus, très bien, donc je ne vous apprends plus rien sur les délires d'interprétation sinon qu'il faut considérer que précisément les aliénistes l'ont inclus dans les mécanismes producteurs du délire. Cela permettait d'isoler là un mécanisme psychique qui serait un peu à l'origine de la production délirante, mais bien évidemment on isole d'autres délires, d'imagination, la psychose hallucinatoire chronique, le délire passionnel de Clérambault, on y reviendra également.

Alors chez ces patients, la dimension de la personnalité, avant même leur décompensation en quelque sorte, revêt quand même une importance assez déterminante dans l'évolution ensuite de leur psychose et donc les psychiatres ont considéré cette dimension de la personnalité en particulier pour la paranoïa, considérant que vous pouvez là décrire des traits de constitution paranoïaque et même différencier différent tableaux de paranoïa selon que c'était une paranoïa sensitive décrite par Kretschmer avec une émotivité, une susceptibilité, etc. On y reviendra également.

En tout cas on peut lĂ  aussi prendre note, considĂ©rer qu'en Allemagne, Kraepelin isole de l'entitĂ© dĂ©mence prĂ©coce la paranoĂŻa, terme d'ailleurs produit pour la première fois par Kahlbaum. ParanoĂŻa qu'il dĂ©finit comme Ă©tant, ça c'est important, « le dĂ©veloppement insidieux sous la dĂ©pendance de causes internes et selon une Ă©volution continue d'un système dĂ©lirant durable et impossible Ă  Ă©branler qui s'instaure avec une conservation complète de la clartĂ© et de l'ordre dans la pensĂ©e, le vouloir et l'action Â». Donc vous voyez cet auteur, tel que Kraepelin, repère dans ces syndromes dĂ©lirants chroniques et dans la paranoĂŻa en particulier cette conservation normalement des capacitĂ©s cognitives et une Ă©laboration dĂ©lirante qui concerne sa clartĂ© et sa logique propre en quelque sorte, au point de pouvoir parfois amener d'autres gens dans son dĂ©lire. Il n'empĂŞche que c'est plutĂ´t en France que l'on a continuĂ© Ă  franchement diffĂ©rencier ces dĂ©lires de la schizophrĂ©nie. Et que donc on va isoler trois grandes catĂ©gories de ces dĂ©lires chroniques : les dĂ©lires paranoĂŻaques systĂ©matisĂ©s, les psychoses hallucinatoires chroniques qui sont donc des troubles dĂ©lirants oĂą les hallucinations sont au premier plan. Et les dĂ©lires chroniques d'imagination que l'on appelle les paraphrĂ©nies qui sont des dĂ©lires oĂą la dimension imaginative est au premier plan.

Donc bien Ă©videmment les cliniciens et particulièrement en France se sont attachĂ©s Ă  la comprĂ©hension et Ă  la signification du dĂ©lire et vont tenter de dĂ©gager l'expression de conflits psychiques rĂ©actionnels Ă  un ou des Ă©vĂ©nements historiques prĂ©cis, formations paranoĂŻaques, tantĂ´t ils vont dĂ©gager la projection de dĂ©sirs inconscients sur la rĂ©alitĂ© qui se trouve modifiĂ©e, ou niĂ©e en fonction mĂŞme des exigences fantasmatiques, lĂ  on est Freudien. Freud le premier a soulignĂ© l'inflation du narcissisme dans les psychoses, le surinvestissement du moi qui est liĂ© Ă  l'incapacitĂ© pour le sujet de contracter une relation objectale. Freud, en particulier dans ce fameux article, « Pour introduire le narcissisme Â», fait valoir que la psychose rĂ©sulte d'une Ă©conomie libidinale oĂą s'exerce un phĂ©nomène de balance entre l'investissement du monde extĂ©rieur et des objets du monde extĂ©rieur, « L'investissement libidinal, bien sĂ»r, dans la thĂ©orie de la libido Â» chez Freud, et la rupture de cet investissement du monde extĂ©rieur et le repli de cette libido sur le moi. VoilĂ  ce que traduirait pour Freud, entre autre, par cet abord Ă©conomique, le phĂ©nomène de la psychose. Il y a Ă  la fois une rupture avec les objets du monde extĂ©rieur et Ă  la fois un repli de cette libido sur le moi du sujet. A tel point que dĂ©jĂ  parmi les signes d'entrĂ©e dans la psychose ce sont des thèmes dĂ©lirants mĂ©galomaniaques et hypocondriaques auxquels on a d'abord affaire. Ça commence très souvent comme cela. Eh bien ce dĂ©lire mĂ©galomaniaque et hypocondriaque traduit pour Freud justement ce retour de la libido sur le moi.

Alors beaucoup de théories, beaucoup de travaux, mais il faut bien avouer que l’on n’a pas grand-chose pour rendre compte de la genèse de bien des délires chroniques qui demeurent à ce jour incompréhensibles, même si on repère quand même qu'il y a des situations existentielles particulières qui paraissent en favoriser l’émergence. On voit bien que effectivement dans la vie de ces sujets il y a eu parfois, même souvent, des ruptures au niveau leur vie quotidienne on pourrait dire et que ces ruptures ont tenu une place déterminante dans le déclenchement de ce phénomène. Alors, d'un point de vue épidémiologique il faut savoir que grosso modo il y a autant d'hommes que de femmes qui développent ce délire. Que en ce qui concerne l’âge, le déclenchement tourne souvent autour de la quarantaine et que la question de la personnalité prémorbide est aussi un élément très important en même temps que, comme je le disais, des événements existentiels tels qu'un traumatisme, un accident, une opération chirurgicale, une séparation, un deuil aussi peuvent être un des facteurs déterminants dans son déclenchement.

On a vu que les mécanismes qui sont générateurs de ces délires, on a évoqué les interprétations, les interprétations que l'on peut considérer comme une distorsion du jugement. C’est-à-dire, comme vous avez dû le voir, ces interprétions portent sur des perceptions exactes et que c'est le jugement qui est porté sur ces perceptions qui est erroné. Donc, ça c'est un mécanisme générateur du délire. Un de ces mécanismes qui altèrent finalement la vie psychique et qui interfèrent avec l’appréhension de la réalité. D'autres mécanismes, c'est évidemment les hallucinations où là vous assistez à une prolifération imaginaire aussi, des affabulations qui viennent s'ajouter aux hallucinations. Vous avez, ça aussi vous allez le travailler un jour, le fameux syndrome d'automatisme mental de Clérambault. Vous avez aussi le texte dans la bibliographie du TD. Ça se traduit par l’impression de perte d'intimité, de désappropriation, d'extranéité de la vie psychique. Syndrome d''automatisme mental qui inaugure pour Clérambault les psychoses hallucinatoires chroniques mais aussi les troubles schizophréniques. Et puis vous avez également des intuitions qui peuvent venir déterminer l'activité délirante.

Donc tous ces mécanismes vont permettre le travail du délire et asseoir la conviction délirante. On peut évoquer évidemment les différents thèmes de ces délires. Le thème de persécution comme nous l'avons déjà évoqué avec une sensation d'être surveillé, écouté, suivi, et d'être l'objet de menaces, de sarcasmes, de calomnies. Dans les délires évoqués, l'impression d'être écouté, qu'il y a des microphones, des circuits électroniques etc. Mais cela peut être aussi des empruntss aux données culturelles pour évoquer l'hypnose, le magnétisme, etc., la sorcellerie selon les sociétés, les envoûtements mais aussi bien l’utilisation d'internet. Donc les persécuteurs sont souvent des membres de la famille ou dans son entourage, des collègues de travail. Vous avez les thèmes d'influence, le sentiment d’être agi, le sentiment qu'on lui impose des gestes avec ce sentiment d'une désappropriation de sa vie psychique. Bien sûr les thèmes de grandeur, la mégalomanie, les thèmes mystiques avec des délires prophétiques ou messianiques, des thèmes hypocondriaques que l'on retrouve dans de nombreuses pathologies, même dans la mélancolie avec des idées de transformation du corps, des idées d'agression corporelle avec des thèmes d'empoisonnement, etc. Des thèmes de négation avec le syndrome de Cotard, entre autres, thème de non-existence, conviction délirante de négation du monde extérieur avec des idées d’énormité voire d'immortalité.

Voilà une rapide évocation de tous les thèmes qu'on peut rencontrer. Ce qu'il faut quand même là aussi noter, c'est un point important de la clinique de ces troubles délirants chroniques, c'est que s'y associent très souvent, à ces élaborations délirantes, des altérations de l'humeur qui posent la question de leur statut gnoséologique. Il peut s’agir de l'apparition de symptômes thymiques au cours de l'évolution d'un trouble délirants ou de la présence d'un trouble thymique avéré, dépressif, maniaque ou mixte accompagné de symptômes psychotiques et délirants.

C’est-Ă -dire que la difficultĂ© d'abord de ces patients c'est lorsqu'on constate que coexiste Ă  la fois ces thèmes dĂ©lirants et des troubles de l'humeur, au point que l'on ne puisse pas savoir si l'on a Ă  faire Ă  des troubles bipolaires ou Ă  un trouble dĂ©lirant et très souvent il faut un suivi de nombreuses annĂ©es avant d'opĂ©rer un choix, voir lequel des deux aspects domine. Mais c'est une question qui est très frĂ©quemment prĂ©sente dans l'abord clinique de ces patients. "Il est des paranoĂŻas abortives ou rĂ©versibles, des moments paranoĂŻaques dans la vie de certains sujets qui alors ne l'engagent pas vers la chronicitĂ© mais peuvent rĂ©aliser des formes rĂ©currentes"(p.368) Donc ce n'est pas jouĂ© non plus de fixer ces patients dans le cadre des psychoses dĂ©lirantes chroniques immuables, on assiste Ă  des rĂ©missions et des Ă©pisodes transitoires.

Je vais vous Ă©numĂ©rer les diffĂ©rentes entitĂ©s que l'on rencontre Ă  l'intĂ©rieur de ces syndromes dĂ©lirants chroniques. On est lĂ  dans une classification, ce n'est pas pour rien que l'on est dans un manuel de psychiatrie adulte. On aborde lĂ  une classification pour rendre compte des diffĂ©rentes formes que l'on rencontre. En premier lieu on va aborder ces dĂ©lires paranoĂŻaques systĂ©matisĂ©s oĂą comme je l'ai dit la personnalitĂ© paranoĂŻaque est une personnalitĂ© marquĂ©e par l’orgueil, l'Ă©gocentrisme, autophilie, surĂ©valuation mĂ©galomaniaque des capacitĂ©s de tous ordres, personnalitĂ© qui exprime la mĂ©fiance, la psychorigiditĂ©, bien Ă©videmment la faussetĂ© du jugement, l'intolĂ©rance, la susceptibilitĂ©. Je vous fais un peu un tableau du paranoĂŻaque au niveau de la personnalitĂ©, de tels traits de personnalitĂ© reprĂ©sentent les tendances paranoĂŻaques, ce que certains ont appelĂ© la constitution paranoĂŻaque. Donc un certain mode d'ĂŞtre pour soi-mĂŞme tout au long de l'existence et lĂ  vous voyez, dans le manuel, ils vous disent "la plupart des paranoĂŻaques ne dĂ©lirent jamais". On a Ă  faire qu'Ă  cette dimension de la personnalitĂ©. Et cette paranoĂŻa, il va s’agir de savoir quel paranoĂŻaque Ă©volue jusqu'au dĂ©lire et lequel se maintient au niveau du système et de la tendance. Eh bien c'est ce qui a fait l'objet de la cĂ©lèbre thèse de Lacan, « De la psychose paranoĂŻaque dans ces rapports avec la personnalitĂ© Â», oĂą il a Ă©tudiĂ© le cas AimĂ©e.

Alors on dit comme ça en tout cas que cette Ă©laboration dĂ©lirante chez le paranoĂŻaque est le plus souvent lente et insidieuse Ă  partir d'une intuition, d'un doute, d'une suspicion, parfois l'Ă©closion est beaucoup plus brutale et soudaine Ă  l'occasion d'une rĂ©vĂ©lation : « Ah ! Elle me trompe, voilĂ  c'est sĂ»r Â», d'un pseudo constat après des Ă©vĂ©nements dĂ©clenchants. Souvent il y a comme cela des paranoĂŻas, des dĂ©lires passionnels et revendicatifs Ă  la suite d'accident, de chirurgie, de choc Ă©motionnel, voire de rapprochement sexuel mais aussi de circonstance vitale, heureuse : mariage, promotion professionnelle, naissance d'un enfant, pouvant ĂŞtre l'occasion d'une dĂ©compensation dĂ©lirante. Alors rebibliographie, bien Ă©videmment le cas Schreber chez Freud dans les Cinq psychanalyses et Les mĂ©moires d'un nĂ©vropathe sont lĂ  pour dire le tĂ©moignage de Schreber et son vĂ©cu psychotique.

Je dis classification, on a repĂ©rĂ© la grande classe des dĂ©lires systĂ©matisĂ©s, on va rentrer dans les dĂ©lires passionnels. Qui sont donc dans cette catĂ©gorie des dĂ©lires paranoĂŻaques systĂ©matisĂ©s ; alors dans les dĂ©lires passionnels on a Ă©galement une participation affective, dominante, inflationniste. La subjectivitĂ© du dĂ©lirant passionnel commandĂ©e par une idĂ©e prĂ©valente rĂ©duit Ă  nĂ©ant toute objectivitĂ©, elle le conduit parfois de par l'hypersthĂ©nie Ă  l'exaltation, l'exacerbation du sentiment de frustration, Ă  des conduites extrĂŞmes dont l'incidence mĂ©dico-lĂ©gale ne doit pas ĂŞtre sous-estimĂ©e.

Donc voilĂ  une catĂ©gorie de dĂ©lire qualifiĂ© de dĂ©lire passionnel qui procède d'un postulat initial : le malade ne dĂ©lire que dans le domaine de son dĂ©sir. A l'intĂ©rieur de son dĂ©lire passionnel vous avez trois formes de dĂ©lire : l’érotomanie ou dĂ©lire Ă©rotomaniaque. Il s'agit de l'illusion dĂ©lirante d'ĂŞtre aimĂ©e pour lesquelles GaĂ«tan de ClĂ©rambault a fourni des analyses sĂ©miologiques, des descriptions exemplaires de ces dĂ©lires systĂ©matisĂ©s. Cette Ă©rotomanie on la retrouve aussi dans Le cas AimĂ©e chez Lacan. Elle se divise en trois phases : une phase d'espoir, une phase de dĂ©pit et une phase de rancune. Je ne dĂ©veloppe pas trop, c'est assez connu mais bon il faut plus considĂ©rer qu'effectivement ça part, ces dĂ©lires passionnels, ils partent d'un postulat - il m'aime ! - et qui prend valeur de rĂ©vĂ©lation. Dans le mĂŞme ordre d'idĂ©e vous avez le dĂ©lire de jalousie qui se complique souvent par un appoint Ă©thylique et dans l'interprĂ©tation freudienne de ce dĂ©lire de jalousie, Freud prĂ©cisĂ©ment considère qu’on a affaire Ă  une fuite face Ă  des dĂ©sirs homosexuels inconscients. Chez le dĂ©lirant jaloux il observe une idĂ©alisation amoureuse du rival. Un tel amour homosexuel Ă©tant interdit, il est Ă  la fois niĂ©, attribuĂ© par dĂ©lĂ©gation au conjoint et transformĂ© en un affect qui autorise l'agressivitĂ©. C’est la fameuse formule de Freud : « moi un homme je l’aime lui un homme", puis "ce n'est pas lui que j'aime c'est elle qui l'aime Â», et ce renversement dĂ©veloppe ce dĂ©lire de jalousie.

Autre dĂ©lire passionnel, c'est le dĂ©lire de revendication. Alors lĂ  on est dans la clinique aussi de la vie sociale, on assiste Ă  des interprĂ©tations reposant sur la conviction d’un prĂ©judice subi. Alors ça abouti forcĂ©ment Ă  des plaintes, Ă  intenter des procès, la fameuse quĂ©rulence, l'agressivitĂ© avec des idĂ©es prĂ©valentes : faire triompher la vĂ©ritĂ©, rĂ©parer le prĂ©judice subi, punir le ou les responsables.Ceux que l'on appelle les quĂ©rulents processifs. Ils sont lĂ  Ă  multiplier les dĂ©marches procĂ©durales. Vous avez aussi les idĂ©alistes passionnĂ©s, très intĂ©ressante cette dimension des idĂ©alistes passionnĂ©s, c'est les rĂ©formateurs fanatiques et missionnaires qui essaient Ă  toute force de propager leurs idĂ©es, toujours prĂŞts Ă  lutter voire Ă  risquer leur vie, leur prosĂ©lytisme est infatigable, Cf. Maurice Dide, psychiatre français et le titre de son livre est Les idĂ©alistes passionnĂ©s. Il met dans la liste Robespierre, Torquemada, un dominicain de l'Inquisition et d'autres personnalitĂ©s. Vous avez les inventeurs mĂ©connus, qui sont persuadĂ©s d'avoir fait une invention gĂ©niale et s'Ă©lèvent contre cette injustice qui fait qu’on ne les reconnaĂ®t pas ; on ne reconnaĂ®t pas leur trouvaille. Vous avez les dĂ©lires de revendication des hypocondriaques, ce n'est pas rare du tout Ă  la suite d'une opĂ©ration par exemple chirurgicale ou autre. Vous avez la sinistrose dĂ©lirante aussi qui est un trouble assez classique d'un surgissement après un accident du travail ou sur la voie publique, le malade rĂ©clame avec acharnement une pension, un redressement du taux d'indemnitĂ©, etc.

Donc là on a vu tout ce qu'il en était de ces fameux délires passionnels et on peut encore évoquer les délires de relation des sensitifs, ça aussi vous allez l'étudier, le fameux délire de Kretschmer, qui ont aussi une réalité incontestable mais qui se caractérisent justement un peu par l'inverse de ce que l'on vient de voir. C’est-à-dire que chez eux, la dimension agressive, rigide et mégalomaniaque fait place à des traits hyposthéniques, psychasthéniques et volontiers dépressifs. Il s'agit de sujets timides, scrupuleux, vulnérables ayant tendance à intérioriser leurs conflits et à s’analyser. Ils produisent comme cela, ils se confrontent à des scrupules, à l'angoisse, à des représentations obsédantes, à la dépression et au délire. Et viennent très souvent les thèmes de l'échec, de l’humiliation, de l'expression d'une susceptibilité excessive, d’hyperesthésie des relations aux autres, des idées de références, des impressions de brimades, de vexations, etc.

Enfin, les dĂ©lires d'interprĂ©tation systĂ©matisĂ©s que l'on ne va pas redĂ©velopper, avec SĂ©rieux et Capgras, mais qui, bien Ă©videmment lĂ  aussi vous avez dĂ» le voir j'espère, vont amener ce phĂ©nomène aussi important, Ă  savoir qu’on est sous le registre de la signification personnelle. C’est-Ă -dire que, pour eux, ces phĂ©nomènes vont les amener Ă  ĂŞtre confrontĂ©s Ă  des perceptions qui vont tout de suite les concerner, d'ailleurs on va aussi parler de concernement. Tous les gens autour du sujet, dans la rue, dans les transports en commun, etc. sont suspectĂ©s de papotages, de cancanages, d'allusions perfides, Ă  chaque instant et partout le dĂ©lirant se sent concernĂ©, tout se rassemble, toutes les perceptions qu'il peut avoir dans son environnement vont se concentrer sur lui. Le sujet devient lĂ  le point de mire d'un rĂ©seau machiavĂ©lique oĂą se concentrent les manigances et les malveillances de l'autre. Dans ce système, le dĂ©lirant accumule les preuves, les arguments, les pseudo-justifications. Sa conviction est telle qu'il peut entraĂ®ner pendant un temps l'adhĂ©sion voire la participation de son entourage. Encore une fois, dans ce type de dĂ©lire cela peut entraĂ®ner la conviction de son entourage au moins dans un premier temps. VoilĂ , lĂ  on Ă©tait dans le cadre de toutes ces psychoses dĂ©lirantes chroniques et dans le cadre des paranoĂŻas systĂ©matisĂ©es.

Autres psychoses, les psychoses hallucinatoires chroniques, lĂ  le mĂ©canisme c'est un mĂ©canisme hallucinatoire. Alors on repère quand mĂŞme que lĂ  aussi que les personnalitĂ©s sont souvent marquĂ©es par une sensitivitĂ© importante, une rĂ©activitĂ© exagĂ©rĂ©e, un isolement social. En matière d'hallucinations, les hallucinations auditives sont au premier plan, ce sont des auditions de bruit, craquements de plancher, pas, choc dans les murs, etc. Souvent ça commence comme cela, « j'ai entendu des chocs dans mon appartement Â», des voix, parfois très sensorialisĂ©es et très localisables, elles viennent du plafond, elles viennent des conduites d'eau, de la fenĂŞtre. C'est une voix d'homme ou c'est la voix de la concierge, etc. Leur contenu est souvent injurieux. Les aliĂ©nistes avaient Ă©voquĂ© comme ça le syndrome SVP (salope, vache, putain), les dĂ©lirantes chroniques se plaignaient d'entendre ça la plus part du temps, des menaces, des accusations. Il faut savoir que la conviction qui accompagne la dimension de ces hallucinations peut conduire Ă  de vĂ©ritables dialogues hallucinatoires, le patient rĂ©pondant Ă  ces voix, pour les neutraliser. Il y a dans ces hallucinations des hallucinations auditives qui sont très importantes mais il y a aussi d'autres champs d'hallucinations, les hallucinations cĂ©nesthĂ©siques : des fourmillements, des ondes, des courants Ă©lectriques, des attouchements, etc., et des hallucinations olfactives

Et puis, comme on l'a dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©, ce qui peut ĂŞtre annonciateur de cette dĂ©compensation sur le mode hallucinatoire, ça va ĂŞtre cet automatisme mental dĂ©crit par ClĂ©rambault, automatisme mental mĂ©canisant la pensĂ©e, entravant l'intimitĂ© idĂ©o-affective, Ă©cho de la pensĂ©e qui apparaĂ®t doublĂ©e, rĂ©percutĂ©e, Ă©cho de la lecture ou de l'Ă©criture, vol et dominement de la pensĂ©e, « tout le monde sait ce que je pense Â», « plus rien n'est Ă  moi Â», commentaire des actes, « tout ce que je fais est rĂ©pĂ©tĂ© et critiquĂ© Â». Souvent s'organise un vĂ©ritable syndrome d'influence, le dĂ©lirant Ă©tant soumis aux ordres et commandements de ses voix psychiques et pseudo-acoustico-verbales qui lui imposent ses idĂ©es, ses choix, ses actes et on peut avoir dans ce contexte des rĂ©actions pathologiques : dĂ©mĂ©nagement, fugue, plainte Ă  la police jusqu'Ă  ce que j'Ă©voquais, Ă©ventuellement le patient hallucinĂ© peut entrer dans un dialogue avec ces voix. Elles deviennent tellement familières qu’il a un rapport quasiment de partenaire avec ces voix. Ce qui est remarquable c'est que malgrĂ© ce phĂ©nomène envahissant ces patients peuvent parfois maintenir une adaptation socioprofessionnelle. LĂ  encore, les psychoses hallucinatoires chroniques, Ă©videmment la nosographie des pays anglo-saxons va les inclure dans la schizophrĂ©nie.

Enfin la dernière modalitĂ© dĂ©lirante s'inscrivant dans syndromes dĂ©lirants chroniques c'est les paraphrĂ©nies. Il s'agit lĂ  de la prĂ©valence des mĂ©canismes imaginatifs sur les Ă©lĂ©ments hallucinatoires et les justifications interprĂ©tatives. Le patient est confrontĂ© Ă  des faux Ă©vĂ©nements Ă  des faux souvenirs. Le malade se raconte lui-mĂŞme et il confie aux autres, il produit la fabulation paraphrĂ©nique qui Ă©tonne et sĂ©duit l'interlocuteur bien qu'il suive difficilement le film des rĂ©cits dont les intrigues se chevauchent de manière plus ou moins cohĂ©rente et contradictoire. On relève dans les propos de ces paraphrènes très souvent des nĂ©ologismes, c’est assez intĂ©ressant, qui font un peu valoir une tautologie : ils vous disent qu'ils ont pris conscience d'un mot qui leur est venu comme cela, qui est un nĂ©ologisme mais qui pour eux va prendre en quelque sorte une valeur tautologique en ce sens que ce mot va tout expliquer pour lui.

Dans ces paraphrénies, on distingue là encore deux grandes catégories, les paraphrénies confabulantes, délires d'imagination. Donc ce sont des créations imaginaires, imaginatives même avec des idées de grandeur qui très souvent s'alimentent de lecture, de données récoltées dans les médias, donc sur les thèmes de l'actualité et qui refaçonnent en quelque sorte le monde à sa façon avec des thèmes d'héritage, succession princière, d’hérédité. Et puis vous avez une paraphrénie fantastique, alors là c'est des productions d'une luxuriance prodigieuse qui juxtaposent des représentations délirantes décousues avec une exaltation thymique, le discours est visionnaire et le patient livre avec une complaisance évidente, un grand bonheur d’expression. On pourrait dire, mais on l'a dit d'ailleurs, que le patient se raconte en quelque sorte et il peut là développer des thèmes absolument fantastiques. "Il dit qu'il a vécu mille vies humaines, animales, végétales, qu'il est l’ombilic de l'histoire universelle", des thèmes un peu mégalomaniaques et il n'est pas rare que s'accompagne aussi une production graphique et picturale qui atteint souvent même chez les sujets frustes une exceptionnelle fantaisie. On pense un peu par exemple au facteur cheval.

En tout cas, l'évolution de ces délires, pourtant très expansifs, très imaginatifs, reste juxtaposée à la réalité, la pensée paralogique coexiste à la pensée normale. Alors certes dans le temps la fiction délirante va subir un certain appauvrissement des éléments imaginatifs mais encore une fois on peut assister à une relativement bonne adaptation à la vie quotidienne malgré ce thème extrêmement développé. J'arrive à la fin de mon propos, vous avez là en tout cas un ensemble cohérent à travers ces délires chroniques dont il faudra que nous puissions dire un mot sur les phénomènes qui signent en quelque sorte l'entrée dans la psychose, leur apparition ou leur déclenchement, et voir en quoi la psychanalyse a pu proposer un certain nombre d'interprétations de ce qui se produit lors de ces phénomènes. Avec la difficulté qu'il y aura à concilier une théorie analytique (voir Lacan) à la clinique, ce à quoi on est confronté quand on entend ces patients dérouler leurs délires et vous prendre à témoin éventuellement.

Retranscription réalisée sous la responsabilité des étudiants de l’EPhEP

Retranscription faite par : Dias oliba Sophie

Relecture faite par : GAUTIER Nadine

Notes