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Samedi 30 septembre 2017

Journée EPhEP-Chrysalides à Nice,  30/09/2017

Présentation de l’Espace d’Information et d’Accompagnement des victimes d’attentats

Focus sur la prise en charge psychologique des victimes de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice

Julien SPELLA est psychologue clinicien auprès de l’espace d’informations et d’accompagnements des victimes d’attentat.

Voilà Julien - Vous nous dites un petit peu l’entour, et vous prenez la parole.

- Merci

Je suis psychologue clinicien au sein de l’espace d’informations et d’accompagnements. Je vais commencer par essayer de vous présenter le dispositif au sein duquel je travaille avec une équipe, (Je fais ça à la place de ma chef de service qui devait le faire et qui est juriste de formation donc je n’ai pas tous les détails qu’elle pourrait vous donner). Je vous présenterai ensuite le travail d’avantage clinique qui est le mien avec mes collègues. Ensuite je reprendrai, peut-être, pour faire le lien avec ce qui a été dit avant et avec ces discussions, ces questions qui se posent qui sont intéressantes et à reprendre comme la question de la guérison, de la position du clinicien, des symptômes. Enfin je parlerai de la position que l’on a en tant que clinicien ou psychologue par rapport à ces personnes victimes et pas seulement victimes.

Pour commencer l’espace d’informations et d’accompagnements s’est institué non pas dans l’urgence immédiate, comme ça a été présenté avec les interventions de Monsieur Jover et de la MAV (Maison pour l’Accueil de la Victime), mais disons post-immédiate. C’est une réponse, à la demande du Ministère de La Justice, l’association Montjoye dont je fais partie étant référente du terrorisme sur le 06. On a demandé à l’association et on l’a aidé à mettre en place un dispositif d’informations et d’accompagnements pluridisciplinaires.

Ce qui est intéressant par rapport à ce qui a été dit ce matin, c’est que nous nous sommes d’abord installés début août, pas très loin de la Promenade des Anglais, dans un endroit qui nous a été prêté. A présent, depuis Janvier nous sommes situés dans le quartier de l’Arénas. C’est un dispositif qui dure et qui va être à nouveau en fonction pendant l’année 2018.

Par rapport à ce qui constitue notre travail notamment l’accompagnement des patients sur le moyen terme, on sort de cette question de la sidération, du choc, de l’impossibilité de mettre en mot ou des propositions du processus de subjectivation.

Pour présenter cette institution, nous travaillons avec des juristes, des psychologues et maintenant une assistante sociale. Ce n’est pas pour rien que je dis ça, c’est parce que ça impacte aussi notre travail auprès de ces personnes, qui ne viennent pas dans un cabinet privé ou dans un lieu spécifiquement de soin, ou dans une cellule d’urgence mais dans un espace d’accompagnement qui leur propose, par les juristes d’abord, un accès au droit.

Cette question du droit est importante puisqu’on le voit, le temps avançant, la plupart de ces personnes sont dans des processus de demande d’indemnisations qui sont longs, pour lesquels il faut déposer plainte, voir des psychiatres qui délivrent des attestations de répercutions du choc traumatique. Vous avez fait allusion à ces certificats médicaux qui apparemment ne mettent pas tous les spécialistes d’accord mais qui sont faits et disent quelque chose du sujet. Nous travaillons avec des personnes qui pour la plupart sont dans ces processus, disons même ces procédures. Mais ce n’est pas le cas de toutes.

Nous travaillons avec une assistante sociale aujourd’hui, conseillère en économie sociale et familiale auparavant, parce que ce qui a été demandé c’est qu’il y ait une aide à l’accompagnement sous la forme de ce qui s’appelle un « guichet unique ». Une plateforme qui réunit les différents partenaires institutionnels qui vont contribuer à proposer des aides, voire des solutions pour rétablir certaines situations délicates engendrées par l’attentat. En majorité, pour préciser encore un peu le cadre, nous recevons des personnes choquées mais nous recevons également des familles endeuillées, ce qui n’est pas la même chose notamment par rapport au dispositif qui leur est proposé.

Ce dispositif s’est construit d’abord dans l’urgence puis il s’est de plus en plus organisé. Il s’est construit en relation avec les institutions. La question institutionnelle, comme elle a été évoquée ce matin à propos de l’institution qui nomme, dans votre réponse vous disiez elle est victime, nous aussi on est un espace qui travaille avec cette notion. Les personnes que nous recevons sont parfois dans des demandes de reconnaissance, des demandes d’aide et ne sont pas toujours dans une demande de travail de subjectivation même si, pour moi, c’est effectivement l’horizon.

Ce que l’on a rapidement compris dans ce travail pluridisciplinaire, c’est que nos collègues juristes ou travailleurs sociaux, sont amenés à travailler avec des personnes qui sont - même si au départ ce n’est pas le choc – dans un état émotionnel douloureux. C’est cet état qui fait symptôme à un moment puisque c’est ce type de symptôme qui peut se chroniciser.

Ils sont face à des personnes, on ne l’a pas forcément précisé ce matin, qui ne sont pas forcément toujours en demande de consultation ou d’aide psychologique. Parce que ce n’est pas évident de parler et parce qu’on leur propose aussi une aide, une indemnisation, des aides exceptionnelles qui ont été développées par la mairie, par d’autres associations, par des dons. Il y a donc des entretiens qui sont difficiles, il y a des liens qui se nouent avec des professionnels juristes par exemple, des liens qui affectent et qui affectent en retour. On a ces effets disons « transfero-contre-transférentiels » mais qui ne se déroulent pas dans un cadre analytique clinique classique.

Nous avons donc commencé à travailler ces questions. Cela reprend ce que vous disiez sur la préparation qui se fait, l’aide aux aidants, l’aide aux soignants, tous ces moments qui sont nécessaires, de reprise, sur ce que cela fait d’être face à des personnes qui sont dans un désarroi émotionnel, dans des états de crise. Le temps passant on voit que ces difficultés demeurent.

Cela fait écho à la question du temps social que je voulais essayer d’analyser par la suite, en reprenant votre intitulé. C’est-à-dire qu’en tant que clinicien on s’attache à la question de la temporalité subjective qui peut être présentée de différentes façons. Mais dans le lieu et dans l’institution où l’on travaille et dans la séquence historique que nous vivons, le temps social cela peut être beaucoup de choses. C’est aussi pour ces personnes le temps de la justice, le temps de l’indemnisation, le temps des remaniements ministériels qui touchent aussi les associations de victime dans leurs inquiétudes. Tout ça nous avons à en tenir compte. On s’est aperçu surtout que dans ce dispositif qui s’installe dans la durée, on a observé des moments dans l’année qui ont favorisé de nouvelles demandes de prise de rendez-vous, pour les juristes ou pour les psychologues. Et c’est beaucoup lié à ce qui se passe, à ces événements du temps social, de différents ordres mais qui vont aussi, d’un point de vue psychique, réactiver les souvenirs.

Par exemple, la première journée d’hommage aux victimes qui a eu lieu le 14 Octobre. Il ne s’agit pas de commémoration, qui a eu lieu un an après, mais d’une première journée d’hommage aux victimes.

Nous sommes présents dans ces moments aussi parce qu’ils s’inscrivent dans le dispositif et qu’à cette occasion on recueille les impressions des personnes. Ces moments ont un effet différencié selon les personnes, tout comme les personnes victimes ne sont pas toutes traumatisées ou choquées de la même façon. En tous cas ce sont des choses qui sont reprises en entretien et qui sont intéressantes.

Ce qui est important dans le temps social, on en a peu parlé ce matin, c’est le temps médiatique ou du moins la temporalité médiatique, puisque ces événements, commémoration ou hommage, sont décidés et surtout construits par une mise en scène, une orchestration médiatique.

Avec l’attentat du 14 juillet, la question médiatique a été forte. On a évoqué ce matin ces personnes qui arrivent et qui nous disent être restées bloquées devant des vidéos sur les réseaux sociaux. Nous sommes dans une époque où le temps de la mise en scène médiatique prend une importance considérable. La suite des évènements des attentats de Nice a été marquée par un autre attentat dans le nord de la France dans une église et d’autres attentats en Europe. Nous y avons été attentifs au sein de notre dispositif parce que pour les personnes, à chaque fois qu’il y avait à nouveau un attentat cela réactivait beaucoup de choses des réactions émotionnelles, pour ceux qui étaient encore vraiment sous le coup du traumatisme.

La duplication de l’état émotionnel qui a été ressentie à ce moment-là, me paraît assez caractéristique de la séquence.  Cela fait le lien entre ce que vous appeliez le temps subjectif et le temps social. Pour moi cela établit un lien aussi par rapport à ce qui a été évoqué plusieurs fois et que vous repreniez dans la métapsychologie Freudienne, l’au-delà du principe de plaisir, avec la question des traumatisés de guerre, de la psychiatrie de guerre, les premières réflexions à ce niveau-là de Freud, qui mettent en avant la question de la répétition.

Dans les rêves traumatiques qui font partie des symptômes caractéristiques de l’état de stress traumatique, les rêves récurrents, la reviviscence et puis également l’évitement (par rapport à ce dont parlait Monsieur Quadéri ) et plus globalement la peur, ressentie après les stratégies ou les symptômes d’évitement.  Pour faire le lien d’ensemble, je mettrai cela sous le coup de la répétition puisque c’est à partir de là que Freud élabore la pulsion de mort par la compulsion de répétition.

Dans cette séquence qu’on est en train de vivre encore plus d’un an après l’attentat - à la fois la répétition dans la réalité, d’actes, d’attentats qui en plus réutilisent le mode opératoire du camion, à Berlin et il n’y a pas longtemps à Barcelone - le traitement médiatique qui en est fait est assez circulaire, assez répétitif. Une personne que je voyais il n’y a pas longtemps me disait : « et en plus quand il y a eu l’attentat du camion à Barcelone, ils ont montré les images du camion à Nice ». Et c’est vrai que le jour de la commémoration à Nice j’ai vu que dans les informations il y avait aussi une espèce d’ajout, un complément d’enquête sur la sécurité du système de sécurité à Nice et on revoyait, par images de synthèses, une reconstruction, une remise en scène de quelque chose qui s’était passé.

Alors Il y a eu des psychologues qui sont montés au créneau pour dire que le traitement médiatique n’est pas adapté dans certains cas et a un effet sur ce qui est vécu par les personnes.

Ceci fait pour moi le lien entre le temps subjectif d’une temporalité des personnes traumatisées qui se caractérise par la répétition et une circularité, comme un éternel retour des symptômes pour le dire de manière un peu caricaturale, et puis une certaine répétition dans le temps social qui est construit et vient chevaucher cette temporalité. Nous, en tant que psychologue clinicien dans cette structure, on est au milieu de ça.

Un autre aspect du temps social, j’y ai déjà fait allusion, c’est le temps de la reconnaissance, ou de l’indemnisation. Là, plus d’un an après l’événement, les premières expertises se mettent en place, expertises parfois psychiatriques, qui vont quelques fois déterminer une évaluation quantifiée et avoir à déterminer ce qui relève, dans l’état tel qu’il est vécu par la personne, de l’attentat ou d’autres difficultés antérieures. Donc la question du sujet ou de l’organisation antérieure du sujet, elle touche tout un chacun, est présente dans notre dispositif qui accueille tout le monde.

Ce qui est intéressant pour nous c’est que le temps au niveau clinique, le temps des entretiens, la succession, le temps du processus peut avoir un effet thérapeutique. Ce que nous appelons « accompagnement psychologique » - parce qu’on accompagne cette période, permet, vise - un processus de subjectivation qui passe par la mise en mot, le récit mais qui aussi nous amène à reprendre des éléments de l’histoire des personnes. Ce processus s’établit globalement et s’appuie sur des éléments qui viennent d’autres problématiques qui affectent les personnes.

C’est sans doute à cet instant que l’on peut « sortir » de ce temps circulaire de cette répétition, introduire de la différence à partir de symptômes répétitifs, ce qui est pour moi l’horizon clinique, même si on n’a pas de technique aussi objectivée que dans d’autres pratiques thérapeutiques.

Ces principes étant posés, on s’aperçoit que pour beaucoup de sujets qui en ont les capacités, cela permet d’élaborer et d’intégrer à la fois « l’événement de l’attentat » aux autres événements, ceux de leur existence et de transformer ce qui est de l’ordre du choc et du trauma en expériences que l’on traverse. Au niveau des enseignements que l’on tire de cette clinique, je me suis assez retrouvé dans les descriptions qui ont été faites ce matin par Monsieur Lesourd et l’intervenant précédant.

Concernant la question de la place du clinicien, nous sommes cinq psychologues cliniciens dans ce dispositif mais on sait qu’il y a d’autres démarches qui sont proposées notamment l’EMDR (Eye-Movement Desensitization and Reprocessing).  On a tout de suite été en lien d’orientation vers la psychiatrie mais aussi parfois vers certaines techniques qui sont connues, que les gens demandent ou vers des techniques qui sont comportementalistes.

Nous sommes confrontés par rapport aux symptômes, à la souffrance qui est emmenée par les personnes qui parfois ne travaillent plus et sont dans la peur des transports en commun,  dans une forme « d’arrêt de leur existence ».  On les aide à retrouver une fluidité puis un sentiment de sécurité interne qui a été brisé. Par rapport à ça, on a aussi proposé depuis qu’on est dans les locaux de l’Arénas un groupe de parole, c’est-à-dire d’autres modalités d’accompagnement psychologique.

Il m’est arrivé aussi de me retrouver dans une position d’accompagnement par rapport aux personnes qui restent dans des réactions de peur assez enkystées, sans utiliser une théorie comportementaliste, mais plutôt avec une position de clinicien sur ce qui se joue aussi dans le transfert à ce moment-là.

On continue ce travail avec de nouvelles questions qui se posent. Ma Chef de Service me disait : « aborder aujourd’hui et maintenant, la question des expertises cela veut dire aussi préparer les personnes à ces moments d’expertises qui ne sont pas faciles puisqu’il va leur être posé des questions intimes et pas seulement sur leur réaction suite à l’attentat, mais aussi sur leur vie d’avant ».

Donc nous, par rapport à cela on cherche à les préparer au mieux, et à continuer ensuite l’accompagnement. Par rapport au temps de la reconnaissance institutionnelle ou de la justice, les personnes qui sont dans des demandes d’indemnisation reçoivent à un moment (ça ne vient pas rapidement mais ça se passe en ce moment), soit une lettre du Fond de garantie des victimes du terrorisme qui accepte la demande, qui reconnait la personne en tant que victime et qui effectue des demandes d’indemnisations, soit une lettre de refus et on parle de lettre de « rejet ».

La situation des personnes qui se sentent victimes et qui reçoivent ces lettres, nous amène à travailler le processus de victimisation et à les aider à penser qu’elles ne sont pas que victimes. Ce n’est pas facile parce qu’à partir d’un évènement comme celui-là, on n’est pas du tout dans un contexte analytique classique où une personne est en demande d’une cure. On a souvent maintenant ce phénomène ou on dit à tout le monde : « Bon allez va voir un psy quoi ».

Les gens ne sont pas toujours prêts à essayer d’organiser un récit ou à parler. Ils sont parfois dans des demandes de reconnaissance qu’il faut peut-être retravailler à un autre endroit par rapport à cette question du statut de victime. C’est là-dessus que l’on travaille en ce moment. A la fois dans la relation directe et dans le processus clinique avec les personnes mais aussi en équipe et en relation avec les partenaires.

Je suis obligé de préciser que dans notre institution on reçoit (là il s’agit des partenaires institutionnels), la C.A.F, parfois des permanences d’avocats, les personnes du Fond de garantie, des représentants de la Préfecture, du Centre d’Action Sociale, parce qu’il y a beaucoup d’aides exceptionnelles qui ont été mises en place.

Bientôt, le 19 octobre, seront invitées les personnes du Fond de garantie, des experts psychiatres et des psychiatres de Nice pour parler des attestations des certificats, de ce qui est dit dans les expertises, pour donner une cohérence, dans le contexte abordé ce matin de la multitude de dispositifs mis en place. Comme le disait le policier ce matin : « l’important c’est que cela fonctionne, qu’il y ait une continuité dans ces dispositifs, qu’il n’y ait pas trop d’incohérences ». Notre action est celle-là. Voilà.

-          Discutant : Merci beaucoup Julien SPELLA, parce que vous voyez il y a beaucoup de psychologues cliniciens dans la salle qui travaillent dans le champ du social et qui rencontrent ce difficile positionnement clinique. Alors moi j’ai retenu cette question de la circularité du temps social et de ce temps médiatique. Vous avez ajouté ce temps médiatique qui relance la circularité du temps social, qui affecte les personnes que vous accompagnez. Faut-il entendre que votre accompagnement et que vos accompagnements, puisque vous êtes cinq psychologues, c’est aussi l’accompagnement de ce temps social, de ces affects que le temps social relance dans cette circularité ?

Je me demandais, peut-être avez-vous avez des exemples, peut-être pas, comment se fait la coupure pour passer au temps subjectif, c’est-à-dire à ce temps de la subjectivation qui peut-être vous permettrait de repérer qu’un sujet est passé à autre chose ? Est-ce que dans le cadre de votre dispositif cela est possible ? Comment peut se faire la coupure ? Peut-être avez-vous des exemples ?

-          Monsieur SPELLA : Quand je parlais de circularité c’était pour essayer de caractériser une forme temporelle. Généralement la flèche du temps est continue, elle va dans un sens alors qu’avec le cercle, il y a la question du retour. Par-là je cherchais à caractériser quelque chose d’intrapsychique ressenti comme tel.

Vous nous demandez peut-être comment on fait pour se reconnecter à un temps objectif alors que les personnes venant dans le dispositif sont dans les deux (temps Objectif/Social et temps subjectif/subjectivation)

Est-ce qu’il y a coupure ? Moi je ne parlerais pas de coupure puisque cette temporalité que j’essaie de poser par la pensée, en fait, est double (sociale et subjective). La personne elle-même, est dans les deux temporalités, voire plusieurs autres.

Ce temps de la subjectivation qui vient par le processus clinique, on le perçoit d’autant plus dans notre dispositif qu’on est la depuis plus d’un an. L’expérience acquise le montre, et va continuer à s’enrichir pendant l’année à venir. C’est le dispositif clinique dans sa répétition, dans sa succession qui va permettre au fur et à mesure, si on y est attentif de voir ce qui se subjective, ce qui se met en mot c’est-à-dire la reprise subjective du sujet. Ce n’est pas simplement « Bon, ben il parle mieux qu’avant » mais ce sont des indices qui témoignent qu’il y a quelque chose qui travaille dans ce processus. Ce qui est intéressant et paradoxal dans ce travail, c’est qu’on y avance d’autant plus qu’on y a fait des allés retour dans l’histoire.

Je pense que le processus subjectif avance mais pas par la représentation classique qu’on a du temps. André Green parlait du temps éclaté dans la psychanalyse (diachronie différente).

Je pense qu’effectivement, en réponse à une temporalité sociale (ou de certains dispositifs sociaux) qui est assez massive, qui laisse assez peu de temps à l’écart et qui favorise la répétition, la circularité, dans l’analyse de ce que dit et amène la personne au fur et à mesure que nous l’accompagnons, on peut trouver un processus du temps subjectif de subjectivation. Après, il y a certains positionnements cliniques qui vont opérer des coupures.

-          Discutant : Est-ce qu’on pourrait dire tout simplement, en une phrase, dans l’accompagnement de ce temps social, de surcroît advient une subjectivation, ou de surcroît advient ce temps de la subjectivation.  

Une question dans la salle peut être ?

-          Auditrice : Merci beaucoup, Je suis Psychologue de formation, je travaille dans un service d’écoute d’aide et d’orientation pour les victimes de la Shoa depuis 13 ans et ce que vous venez d’évoquer me parle énormément parce que la question de la terminologie de victime, je me la pose depuis 13 ans. J’ai beaucoup de mal à faire avec ça, j’évoquais cela avec Monsieur Melman, parce qu’on s’est rencontré dans une activité à passerelle à Paris. Le problème réside dans l’impression que j’ai que les personnes restent enkystées dans ce positionnement de victime, que ça leur colle. Elles l’ont été un jour, mais elles le restent toute leur vie apparemment, puisque le service s’appelle comme ça (service d’écoute d’aide et d’orientation pour les victimes de la Shoa).  Nous avons aussi des indemnisations, des dossiers à monter pour certifier qu’ils sont en vie chaque année, pour que les indemnisations continuent à être versées, qu’ils certifient qu’ils sont Juifs - parce qu’il faut un certificat de Judaïté maintenant, pour qu’ils puissent obtenir cette indemnisation. Je fais également un suivi social avec les assistantes sociales pour les maintiens à domicile, les aides pour des situations financières compliquées que vivent beaucoup de ces personnes.

Tout ce que vous avez relaté me parle énormément. Je n’ai pas les réponses à tout ce que vous avez évoqué et tous les problèmes que je me pose à ce sujet mais une question qui me travaille est celle du temps. Le temps du traumatisme que ces personnes ont vécu et du temps d’intervention par rapport à ce traumatisme qu’elles ont vécu. Pour les victimes de la Shoa, on n’a pas pu toujours intervenir. Mon service a été créé dans les années 2004. Avant il y avait très peu de chose, on les aidait financièrement un petit peu par le fond Solidaire Juif Unifié mais ces aides restaient insuffisantes. Quand on s’est aperçu qu’il y avait une demande psychologique, une demande de déposer quelque chose, une demande d’écoute, une demande de parole, le service s’est mis en place. Mais y-a-t-il un temps pour intervenir et de quelle manière, parce que ces personnes ne pouvaient pas parler de ce qu’elles avaient vécu ou bien elles pouvaient en parler mais elles n’étaient pas entendues. Beaucoup n’ont même pas pu être entendues de leurs enfants, parce qu’elles ne parlaient pas à leurs enfants, mais par leurs petits enfants qui les ont interpelées des années après. Dans ce qui se passe pour les interventions des attentats depuis quelques temps malheureusement dans nos pays, y-a-t-il un temps de latence nécessaire ou pas ? Comment peut se faire une intervention immédiate et y-a-t-il une autre intervention d’un autre type, d’une autre qualité qui peut se faire après ?

Merci. Julien si vous voulez dire un mot ?

           

-          Monsieur SPELLA : J’ai essayé de développer des questions mais je ne dispose pas toujours de réponses. Quand vous dites y-a-t-il un temps de latence, quel serait le temps optimum pour intervenir ?

-          Auditrice : Ma question est de savoir s’il faut intervenir tout de suite. Bon il y a une souffrance, c’est sûr qu’il faut être là. Mais n-y-a-t-il pas une nécessité de temps pour que le sujet élabore quelque chose par lui-même ?

-          Auditeur : Les ESPT (état de stress post traumatique) peuvent se déclarer longtemps après l’accident. Pour l’attentat du 14 juillet, vous pouvez avoir des gens qui vont déclarer un état de stress post traumatique dans dix ans. Les études épidémiologiques sont très longues là-dessus. Vous avez des anciens du Vietnam qui ont déclaré des ESPT. Janet le dit, Freud le dit, et c’est assez connu, mais pour intervenir,  oui, il faut intervenir tout de suite. Les études et ce que Madame nous a témoigné de ce qui se passe en Israël, qui est malheureusement l’un des pays le plus impacté par les attentats, c’est qu’ils font des interventions immédiates.

-          Auditrice : Y-a-t-il d’autres avis que le votre ?

-          Auditrice : Merci de me donner la parole Madame. Je suis adjointe au maire, et je voulais juste poser une question peut être d’ordre politique. D’ores et déjà je m’excuse, je suis complétement profane, parce que je ne suis ni clinicienne, ni psychologue, quelque chose comme ça… donc peut-être vous aurez une réponse à m’apporter. Nous, après les attentats du 14 Juillet, bien entendu toute la ville a été traumatisée. Nous même étions au cœur de cet événement puisque c’était le 14 juillet, nous étions présents. Bref je passe sur des petits détails… La question que je me pose c’est, est-ce que d’un point de vue clinique, c’est une bonne chose pour les familles des victimes et pour les victimes, que la ville de Nice continue à commémorer d’une certaine façon. Souvent on a des rappels, notamment lundi prochain où l’on va récompenser les médecins, la police municipale, tous ces acteurs, ces hommes et femmes qui ont été les héros d’un jour. Est-ce que c’est une bonne chose du point de vue clinique ou pas ? La temporalité des victimes n’est certainement pas non plus la temporalité des citoyens Niçois.

Merci beaucoup Madame peut être l’un d’entre nous ou l’une d’entre nous souhaite dire un mot…

-          Monsieur SPELLA : Oui, quelques éléments, c’est vrai et vous faites bien de le souligner, par rapport aux familles des victimes, on sait qu’il y a cette demande. Elle est légitime. Nous avons été au courant de la façon dont la commémoration du 14 Juillet allait se faire. C’est vrai que, personnellement, à un moment je me suis dit : « Est-ce que commémorer c’est une voie de traverse, de reprise subjective ?

Je pense que oui dans un certain sens, mais en psychologie on n’est pas dans des prévisions automatiques prévoyant que ça ou ça, aura tel effet. A travers cette question de la commémoration j’ai reçu beaucoup de personnes qui appréhendaient cette commémoration parce qu’elle était massive. Et le dispositif qui a été proposé a été massif. J’ai autant de personnes qui ont décidé de ne pas être à Nice ce jour-là, que de personnes qui étaient dans l’entre deux. Certains m’ont dit que oui, ils en ont senti un bienfait pour les aider comme ils appellent à « tourner la page ou pas » d’autres non. Il n’y a pas de réponse univoque.

Notes