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Quand
Samedi 30 septembre 2017

Du temps social au temps subjectif du traumatisme lors des attentats terroristes /

Donc merci d’abord à […], à Anne Videau, ainsi qu’à l’Association Chrysalide pour cette très belle journée qui m’impressionne également par la domination très féminine de l’assemblée, ce que je trouve assez passionnant. Et je dois vous dire aussi mon admiration pour ce que j’ai entendu, entre autres ce matin grâce au docteur Jover et à Christophe-Hassen Djerrah, de ce qui fût la réaction collective de la communauté niçoise pour répondre dans l’improvisation, dans la solidarité, dans la solidité et dans la compétence aux problèmes urgents posés par cet attentat. Et je dirais cela m’a paru un excellent signe, c’est-à-dire la bonne façon de répondre à ces attentats, de telle sorte qu’ils soient enfin perçus comme contreproductifs et donc inutiles. Contreproductifs, puisque s’ils ont pour vocation de soumettre ou bien de victimiser une population, eh bien ce type de réaction est en mesure de montrer que cela ne se fait pas aussi facilement, voire qu’au contraire ils peuvent obtenir des résultats opposés.

Nous avons tout à l’heure entendu le fait que des patients, dans l’urgence, dans le champ, venaient dire leur culpabilité. Leur culpabilité, c’est-à-dire réaction bien connue, ordinaire, appelée aussi syndrome de Stockholm, et qui fait que devant une menace, et une menace de mort, une population est capable de se mettre à genou et de demander pardon.

Dans le cas que nous connaissons, que nous avons vérifié, comme vous le voyez, ça n’a pas tout à fait été le cas, et de telle sorte que se pose pour nous la question de cette victimisation qu’entraîne si facilement justement le traumatisme psychique. Et si mon intervention ce soir aura un sens, ce sera d’amorcer une réflexion qui me paraît souhaitable sur la distinction essentielle à apporter dans la clinique du traumatisme psychique, entre ce que sont d’une part les victimes, et qui comportent un tableau clinique très précis… On ne peut pas se tromper et les militaires connaissent particulièrement bien ce tableau …Donc ceux que l’on peut en particulier appeler les victimes, et puis d’autre part ceux qui furent les témoins, qui furent affectés, touchés, émus, pris par le spectacle, par la situation, et quije me permettrai d’appeler « les patients du traumatisme », non pas les « victimes » mais les « patients », dans la mesure où ils ont eu à pâtir du traumatisme, mais que cela n’engage absolument pas que ça fasse pour eux un trait identificatoire qui risque désormais de les faire mourir à la vie.

Les exemples sont simples et vous les connaissez. Lorsqu’une maman perd son enfant, elle peut en être la victime définitive, et de telle sorte que d’une certaine façon elle est effectivement morte à l’existence puisqu’elle est dans le deuil perpétué de son enfant. On la comprend, mais d’un autre côté on est aussi en droit d’estimer que ce n’est pas forcément la meilleure réponse et la meilleure aptitude à ce drame, à ce traumatisme, et que néanmoins, malgré lui, elle a le droit à la vie. Or il est certain que dans les options diverses qui sont proposées à chacun d’entre nous dans l’existence, il y a un choix qui existe : est-ce qu’il va se faire le sujet d’un devoir ou est-ce qu’il va se faire le sujet d’une dette, ce que Brigitte Giraud a si bien abordé, bien que nous n’ayons pas eu le loisir, Anne Videau et moi le regrettons, de pouvoir l’entendre intégralement. Est-ce que nous sommes les sujets d’un devoir ou les sujets d’une dette ? Est-ce que nous allons organiser notre existence autour de ce que nous devons à nous-même et à autrui ? Ou bien est-ce que nous allons l’organiser sur le principe de ce qui nous serait éternellement dû du fait de ce dont nous aurions été les victimes ? Parce que faut pas s’y tromper, au départ nous sommes tous des victimes ! Que nous ayons été les objets d’un excès d’amour ou d’un défaut d’amour, le résultat pourra se lire de façon univoque. Qu’est-ce que c’est qu’un traumatisme psychique ? Le traumatisme psychique c’est un afflux d’excitation que l’organisme n’est pas en mesure de ? De quoi ? De quoi n’est-il pas en mesure ce foutu organisme devant cet afflux d’excitation ?

Intervenant – De l’intégrer ?

C. Melman – De l’intégrer ? C’est une réponse

Plusieurs intervenants – […]

Ch. Melman – De le gérer ! Supporter ! Hein ? Symboliser ! Métaboliser ! Ce qui est déjà très digestif. Ce qui n’est pas en mesure de dialectiser ! Ah ! Pourquoi y a-t-il possibilité d’un traumatisme sexuel puisque c’est de là que Freud est parti ? Eh bien il y a traumatisme sexuel, parce que l’enfant qui a été exposé à cet excès d’excitation, il n’est pas en mesure, il n’a pas à sa disposition l’articulation dialectique qui lui permettrait de le maîtriser, constitue donc un afflux d’excitation aberrant, voire incompréhensible, absurde, et il ne dispose pas du langage qu’il faudrait pour que ça vienne être pris et ainsi être intégré, ainsi métabolisé, ainsi supporté, ainsi, etc.

Intervenant – […]

Ch. Melman – C’est comme elle, parce qu’il est vraisemblable que l’épilepsie a à voir avec l’incapacité qu’à l’enfant à pouvoir dialectiser dans un propos l’afflux d’excitation qui lui vient. C’est tout à fait vraisemblable. Je veux dire que lorsque l’on a des cas d’épilepsie en cure, ou bien lorsque l’on l’observe chez les enfants handicapés et qu’ils ne disposent pas du langage pour en rendre compte, et on voit des accès comme ça à répétition. Parce qu’il n’y a pas d’autre moyen de traduction, si je puis dire, de l’afflux qui leur parvient.

Un afflux d’excitation, je suis parti de ce qui nous est connu, c’est-à-dire le traumatisme sexuel. Dans le cas où les manifestations du traumatisme psychique sont le plus clair, le plus précis, le plus évident, c’est-à-dire le cas qui s’observe dans les conflits armés, il y a là un afflux d’excitation et auquel tel ou tel, parce que ce n’est pas général, mais auquel tel ou tel cet afflux d’excitation, en tant que significatif d’une menace mortelle, n’a pas pu être dialectisé. Avec pour conséquence ce que j’appelle, je crois à juste titre, un état de mort psychique. Oui ! Il n’y a plus de sujet, il n’y a plus de discours, il n’y a plus d’identité, il n’y a plus de désir, l’unique élément qui reste comme support vital, je dirais c’est vraiment le minimum, c’est l’image ultime avant le traumatisme. Le plan fixe, arrêt sur image.

Et c’est pourquoi les psys militaires ont très bien su recommander ceci : c’est qu’il importe de tout de suite, sur le champ, dès que le type est sonné comme ça, de tout de suite commencer à lui faire raconter l’épisode, ce qui lui est arrivé, à tout de suite le mettre en histoire, à tout de suite…, ne pas attendre que l’ambulance l’amène au poste de secours, mais sur le champ. C’est-à-dire tout de suite le ramener à ce qui a été les circonstances, l’historisation, l’intégration dans une histoire, l’importance de ce que pour chacun de nous est l’histoire, l’intégration dans une histoire de cet évènement qui lui est arrivé, ne pas le laisser se constituer comme cet espèce de choc de rencontre avec un réel insensé, et qui je dirais psychologiquement le tue.

Alors il est évident que ceci, pour ce qu’il en est des authentiques traumatismes psychiques, c’est-à-dire ceux-là ! Il est bien évident que ceci implique un certain nombre de conduites. Moi j’ai pu espérer un temps, avec mes collègues Montpelliérains, engager une pratique et une recherche consacrée à cela, et sûrement du fait même de ces attentats qui se manifestent chez nous, et puis également ne pas encourager ce qui est… vous allez dire que je suis plein de paradoxes ! …d’une certaine manière une réaction de bonne santé dès lors que tel ou tel sujet qui s’est trouvé mêlé à l’affaire, eh bien après tout, si du fait du dommage affectif qu’il en subit en méritait quelques profits, ce serait peut-être pas si mal que ça. C’est une réaction de bonne santé ! C’est-à-dire, oui, il est tout à fait… quoi, hein ? il n’est pas fou ! Il est normal, on ne va pas le juger, ce n’est pas de cet ordre, voilà ! Il y a là une circonstance où il aurait pu être endommagé ou bien il a psychiquement été marqué, impressionné, sensibilisé, et etc. ; et après tout, pourquoi pas ! Sauf que, comme je l’évoquais il y a un instant, ça risque de valoir pour lui un style de vie qui n’est pas forcément le meilleur, ni celui qu’en définitive il mérite, c’est-à-dire le style de vie d’un assisté, ou d’un secouru, ou d’un handicapé, etc. Et c’est pourquoi, c’est vrai qu’il y a une réponse qui n’est pas seulement individuelle, celle des soit disant spécialistes à la question, mais une réponse sociale ! Comment voulons-nous vivre ? C’est d’une certaine façon ce que l’interrogation que nous posent ces attentats. Et je dis bien pour ma part, personnellement, je ne peux que me réjouir quand je peux entendre la manière dont une communauté s’est solidairement sentie concernée et agir en faveur de ceux qui étaient là perturbés, et en partie parce que nous ne sommes pas très bien avertis et formés à tout cela.

Et ça m’amène à poser la dernière question que je trouve très pertinente, qui a été soulevée, celle de la commémoration. La question, vous l’entendez bien, c’est qu’est-ce que l’on commémore ? Qu’est-ce qu’il s’agit là de commémorer ? Il est habituel de commémorer les pages de gloire d’une Nation. Ça va de soi ! Il peut arriver que l’on commémore les actes douloureux qu’une communauté a subis pour rappeler que ce ne serait pas plus mal si ça ne recommençait pas. Ça peut arriver. Mais en tout cas, dans le cas présent, dans le cas des attentats de Nice, du Bataclan, du métro Saint-Michel, d’autres, etc., qu’est-ce qu’il s’agit de commémorer ? C’est pourquoi, effectivement, la question me semble-t-il est légitimement posée. Et à mon sens, s’il y avait quelque chose à célébrer dans cette affaire, c’est, je dis bien l’attitude, la façon d’être debout, et non pas ni coupable ni victimisée, mais la façon d’être debout. Si la commémoration prend ce sens-là, oui bien sûr, c’est chouette ! Mais si elle reste dans le vague, dans le flou, dans l’incertitude de ce qui est là célébré, ça devient évidemment plus problématique.

Voilà pour ma part les quelques remarques que je voulais faire en soulignant qu’il y a pour le psy un véritable travail à faire. J’entendais il y a quelque jour le premier ministre dire à la télé : « Pour les traumatismes physiques on sait faire, pour les traumatismes psychiques on sait beaucoup moins faire ». Il a raison ! C’est vrai et c’est très important ! Et comme vous le voyez, ça repose sur des évaluations qui effectivement mettent en cause le temps non seulement subjectif mais aussi le temps social. Et donc si les spécialistes concernés fournissent à nos gouvernants les éléments qui leur permettent de voir ça, ça peut ne pas être plus mal. Du même coup, pour chacun d’entre nous, c’est plus stimulant.

Nous oublions, puisque nous sommes en état de paix, que chaque matin commence avec l’aube une compétition économique qui décide du statut social et de l’indépendance de chacun d’entre nous. Nous ne savons pas, nous vivons en paix ! Et cependant c’est bien réel ! Chaque matin, j’ai parlé de « compétition économique », j’aurais pu aussi bien dire « guerre économique » ! Et il est bien évident que cette compétition peut, localement et à l’occasion, prendre un aspect typiquement, spécifiquement guerrier. Mais si nous avons l’ensemble présent à l’esprit, bon, eh bien voilà, à chacun de tenir sa place et puis de faire comme il juge bon pour l’ensemble.

Voilà, merci pour votre attention.

Notes