Conférence faite à Nice le 20 Octobre 2018 dans le cadre de l’ALI-Côte d’Azur et de l’EPHEP
Initialement, le titre de mon propos, celui annoncé sur le livret de l’ALI, devait être celui-ci« Radicalisation pour tous ».
Je souhaitais dégager d’éventuelles lignes de convergence entre d’une part :
-Un jeune attiré par le voyage en Syrie, sur la base d’une révolte confuse, mais qui viendrait s’imposer à ce jeune comme nécessité, comme impératif absolu,
-et d’autre part un autre jeune, de la même classe d’âge, ayant suivi des parcours éducatifs identiques, scolaires, de la même région, même, mû par le même impérieux besoin intérieur d’engagement, et qui se trouverait aspiré par le mouvement des Black Blocks, par exemple, ou tout autre mouvement altermondialiste et antimondialiste.
Et à travers ce parallèle, j’espérais arriver à dégager l’impasse et l’échec de toute explication sociologisante ou psychologisante réductrice, qui s’attacherait par exemple à mettre en avant tel ou tel parcours-type, telle enfance chaotique, tel milieu défavorisé, telle psychogenèse, tel déficit cognitif, etc
Je souhaitais parvenir à montrer que ce parcours restait encore largement aléatoire, imprévisible, fonction des rencontres et des focalisations des révoltes d’un jeune oscillant encore pour trouver sa place dans le monde et dans la société.
Et qu’il y avait encore un espace, dans ce mouvement d’adresse à destinataire non encore identifié, d’adresse errante, d’adresse erratique, d’adresse à mouvement brownien, d’adresse à lacantonnade, pour la rencontre avec un psychanalyste, ou un travailleur social formé à la psychanalyse, ou un éducateur formé à la psychanalyse, etc...
L’important, l’enjeu, étant de maintenir, tout le temps nécessaire à son élaboration, qui s’appelle le passage à l’âge adulte, l’écart entre la révolte et l’engagement d’une façon telle que cet écart ne soit pas détourné par des prédateurs, expérimentés et sûrs de leur pouvoir d’emprise et de séduction, totalement décomplexés, suffisamment masqués pour n’avoir peur ni des lois ni des foudres sécuritaires et judiciaires, par ailleurs que cet écart ne se collabe pas durant ce temps par une pulsion de destruction, que celle-ci soit tournée vers un extérieur perçu comme hostile, soit ne se retourne contre soi-même..
Eros contre Thanatos.
Pulsion de vie contre pulsion de mort, voilà ce que je me proposais, par le biais de l’actualité, de repérer dans le travail avec ces jeunes.
Trois évènements, cependant, concomitants, survenant dans le même moment, m’ont amené à revoir mon thème.
Le premier est un ouvrage que j’ai eu à prendre dans les mains, alors même que je travaillais mon intervention de l’an dernier à l’EPHEP, l’Ecole Pratique des Hautes Etudes en Psychopathologie, sur la psychothérapie institutionnelle et plus particulièrement sur le château de Laborde.
Il s’agit d’un ouvrage de Serge Didelet, ancien éducateur devenu psychanalyste, un très beau livre qui porte un double deuil, celui de Jean Oury, c’est d’ailleurs le titre de son travail : Jean Oury, celui qui faisait sourire les schizophrènes, deuil d’une rencontre avec Jean Oury qui n’aura jamais lieu, puisqu’avant de se décider à le rencontrer, Serge Didelet va attendre près de vingt-cinq ans (vous voyez la procrastination), et lorsqu’enfin il se décide, au moment précis où il lui écrit pour lui parler de son projet, et déposer sa demande de stage, projet qu’il mûrit depuis 25 ans donc, Jean Oury meurt.
Serge Didelet n’abandonne cependant pas, il se met à la tâche, et fait lire chaque semaine ses premières ébauches à son psychanalyste, Pierre Hattermann.
Pas de chance, Pierre Hatterman sera assassiné à Nice avec sa femme, son fils cadet (ainsi que quatre-vingt-trois autres personnes auxquelles il faut ajouter 458 blessés) lors de l’attentat du 14 juillet 2016 qui a frappé votre ville, Pierre Hattermann dont l’ombre plane et veille désormais sur son livre, ainsi que sur la Ville.
Dans le fil de l’émoi dans lequel m’avait laissé cette lecture, à peu près au même moment, survenait l’incroyable sensation de gâchis laissée par une jeune femme au talent tout à fait prometteur, la chanteuse Mennel, candidate de l’émission de télé-crochet The Voice, rattrapée malgré son talent et sa voix admirable, par une série de tweets complotistes accablants qui vont la disqualifier aux yeux de ses sponsors et de l’opinion de façon générale.
Vous les avez tous en mémoire, ils sont désagréables à rappeler, il s’agit des tweets concernant l’attentat de Nice, mettant en doute leur mise en scène, « Quand on est terroriste, on ne se promène pas avec ses papiers d’identité », puis « Les vrais terroristes c’est notre gouvernement », et encore: « Chers musulmans, l’ennemi ce n’est pas le peuple français, mais une minorité qui manipule notre peuple, suivi du lien d’une vidéo du prédicateur Hassan Iquioussen, dont la page Youtube affichait en 2018 un total de plus de dix-sept millions de vues, laquelle vidéo dénonce les Juifs comme « avares et usuriers », le « top de la trahison et de la félonie ».
Tweets que Mennel avait par la suite, une fois révélés et exposés dans l’espace public, désavoués, d’ailleurs avec retard, ce qui avait été perçu comme une certaine réticence, « j’avais peur, j’étais jeune », mais le mal était fait, c’était définitif, et il n’y avait pas de retour en arrière envisageable, du moins dans la trace laissée dans l’espace public. Aussi radical qu’un lapsus.
Cette double séquence, en deux temps, qui consiste en une affirmation suivie instantanément ou un très bref temps plus tard de son démenti, est un procédé utilisé classiquement par les divulgateurs du complotisme.
Ce qui compte, à l’heure de l’Internet et des réseaux sociaux, n’est en effet pas le temps de mise en ligne, mais le buzz, la diffusion virale.
Troisième évènement, à peu près dans les mêmes laps de temps, l’agression, à son domicile, d’un homme pour lequel j’ai eu à rédiger le certificat, en tant que psychiatre, agression en compagnie de sa femme et de son fils handicapé, par des voisins, voisins de commune, en tous les cas, des gens qu’il croisait certainement régulièrement en allant chercher le pain.
C’est d’ailleurs ce que les agresseurs avoueront, qu’en effet, c’est parce qu’ils le croisaient régulièrement, lui et sa famille, qu’ils avaient été remarqués : frêle silhouette de 85 ans, qu’un souffle renverserait, voisins inconnus et cependant familiers : « Vous êtes juifs, donc vous avez de l’argent, et vous allez nous le donner ».
De ces deux derniers évènements, évènements publics, qui ont un retentissement national, les journaux en parlent, les radios en parlent, je parle avec un certain nombre de mes jeunes patients, pas tous, mais quelques-uns tout de même, pour certains plus tout à fait adolescents, mais encore du monde, de l’univers des jeunes, insérés ou en voie d’insertion dans le monde du travail, quoique pour certains d’une manière un peu incertaine et précaire, et je m’aperçois en retour, avec surprise, étonnement, stupéfaction, de leur absence de réaction, ou en tous les cas, de l’absence en eux d’une condamnation qui serait claire, explicite, franche.
Ils ne sont pas Charlie, c’est certain : une sorte d’indifférence de ceux à qui on ne la fera pas...
Eux savent ce qu’il en est, ils sont du côté de ceux qui savent, et moi, je suis bien gentil, « Doc, vous êtes vraiment un grand naïf.. »
Je suis de l’autre côté, du côté des ignorants, qui ne cherchent pas à s’informer, et qui sont de ce fait condamnés à être manipulés.
Et c’est sur cette perplexité, cet effet d’angoisse, dans laquelle m’ont laissé cette absence de réaction de ces jeunes, tous fort sympathiques par ailleurs, la question n’est pas là, que j’ai essayé d’en savoir un peu plus sur ces questions du complotisme, des théories du complot, et sur leur diffusion. Et notamment dans leur univers, l’univers des adolescents.
Première constatation, un peu soulageante, nous ne sommes pas en terra incognita. Un certain nombre de chercheurs, notamment dans les Sciences Sociales, aux Etats-Unis, en Angleterre, ou en France, en ont fait leur champ d’études. Pierre-André Taguieff, Veronique Campion-Vincent, Dominique Reynié, que vous avez pu entendre à l’EPHEP récemment, en dialogue avec Charles Melman et d’autres, entrainant dans leur sillage des étudiants et des doctorants.
La notion elle-même de complot, réel ou supposé, remonte à la nuit des temps. Eve n’est-elle pas la première comploteuse de l’humanité, sans même parler du plat de lentilles que Jacob prépare à son frère Esaü, ou des frères de Joseph qui le jettent dans un puits, toute l’histoire humaine depuis l’histoire biblique, puis romaine, Néron, Caligula, Catilina, jusqu’à nos jours - qu’on pense au complot des blouses blanches dans l’URSS de Staline, etc… - est émaillée de complots, de suspicions et d’accusations de complots.
Lesquels sont le plus souvent en lien, réel ou supposé, là aussi, avec l’exercice, ou la dispute, du pouvoir. Pouvoir et Complot sont deux faces d’une même pièce. Je vous recommande à ce sujet un excellent numéro, le numéro 33 des Collections de L’histoire, Complots, Secrets et rumeurs.
Karl Popper, en 1945, dans un ouvrage qui s’appelle « La Société ouverte et ses ennemis », pointe, d’une façon très claire, très explicite, que la théorie conspirationniste a ceci de particulier qu’elle suture, qu’elle comble, la part d’incertitude qui persiste et résiste à toute décision ou orientation politique.
En effet, pour la théorie conspirationniste, tout ce qui arrive dans une société donnée, spécialement des évènements tels que la guerre, le chômage, la pauvreté, la pénurie, résultent directement des desseins d’individus ou de groupes puissants qui ont intérêt à ce que ces phénomènes se produisent, qui les ont programmés et qui ont conspiré pour les faire advenir.
Conception totalitaire et fermée de la causalité, dit Popper.
Il répondait à Max Weber, qui avait écrit en 1919, dans Le savant et le Politique, que le résultat final de l’activité politique répondait rarement à l’intention primitive de l’acteur.
On peut même affirmer, poursuivait-il, qu’en règle générale, il n’y répond jamais, « puisque très souvent, le rapport entre le résultat final et l’intention originelle est tout simplement paradoxal ».
La théorie du complot vient combler, remplir, suturer, l’incertitude qui porte sur les conséquences imprévisibles de l’exercice du vivant, ce que Freud regroupait sous le terme d’impossible: gouverner, transmettre, éduquer, psychanalyser.
A côté du nécessaire, du contingent, et du possible, il y a l’impossible, qui a ses règles logiques propres, dont celle-ci : son incertitude quant aux résultats de son action.
Deuxième constatation, il serait faux de s’imaginer que la diffusion de ces théories du complot est marginale, ou qu’elle n’émanerait et ne témoignerait que d’une minuscule frange de la société, réactionnaire, sous-développée culturellement, sous-éduquée, sous-informée, ou bien encore qu’elle ne serait que l’expression de la pathologie de psychismes malades et désocialisés.
C’est au contraire parmi les jeunes les plus curieux, les plus ouverts, ceux qui ont le plus accès au savoir et à l’information, dans les lycées, et dans le secondaire, que ces théories se propagent, ainsi que sur des sites internet qui ne sont pas si faciles d’accès et de lecture.
Ce qui est vrai est que là où ces théories étaient en effet jusqu’ici confinées, c’est-à-dire à peu près jusque dans les années 80, à des milieux marginaux d’extrême droite, on assiste aujourd’hui à une explosion exponentielle de ces thèses, tous milieux sociaux et politiques confondus.
Plus même, modernité et théorie du complot sont liées.
Déjà, bien avant cette expansion, Edgar Morin avait pu démontrer, en 1969, dans son livre éponyme, que la rumeur d’Orléans - qui attribuait à certains magasins de prêt à porter du centre-ville dont les propriétaires étaient juifs, de droguer des femmes dans les cabines d’essayage avant de les expédier par bateau dans des bordels du Moyen-Orient - était la conjonction, la résultante, autant du processus d’émancipation et de libération des femmes qui démarrait alors ( nous sommes dans les suites immédiates de Mai 68), que du processus de modernisation et de restructuration, sociologique, architecturale, industrielle, etc.., de la ville, qui venait bousculer, fragiliser, déboussoler, dés-orienter, les repères, et les certitudes d’une population qui se sentait malmenée et mise à l’écart d’un tel processus imposé sans concertation et avec précipitation.
Troisième constat, d’importance, complotisme et populisme vont de pair et se nourrissent l’un de l’autre. « Tous pourris, ces politiques, tous au service de cette minorité qui cherche à nous endormir et à nous manipuler ».
Le complotisme fait autant le lit du populisme, que celui-ci se nourrit et se vautre dans le complotisme.
Le premier temps du populisme s’appuie sur un complotisme protestataire.
Il s’agit de dénoncer « ceux d’en haut », « le système », ces puissances occultes, tapies dans l’ombre, puissances de l’argent, du pouvoir, de l’information, de la culture, qui ne cherchent qu’à s’accaparer pour leur propre profit les richesses qu’ils détournent continûment, comploteurs et élites corrompues qui ne cherchent qu’à prendre le contrôle des Etats et de l’économie du monde pour leurs intérêts propres, et dont il convient d’exposer la corruption sur la place publique, à la lumière du grand jour, à la face éclairée du monde et de ses citoyens.
Puis dans un deuxième temps, il s’agira de se rassembler, derrière un leader fort, s’élevant au-delà des clivages sociétaux, culturels ou politiques, pour mener l’action définitive et énergique qui permettra de se débarrasser enfin « de tous ces parasites ».
Complotisme de rassemblement, d’union, d’action, ou de contre action.
Mathieu Foulot est un jeune sociologue qui a publié à la suite des attentats de Paris en 2015 un petit ouvrage qui s’appelle Le complot Charlie.
« Contrairement à ce que l’on pourrait croire », écrit-il, « les partisans du complot ne sont pas des idiots. Il serait rassurant de cantonner ces personnes à de simples illuminés enclins à voir des manipulateurs partout comme d’autres voient des preuves de réincarnation ou des extra-terrestres. La mentalité complotiste repose sur une grille de lecture des évènements structurée, sur des procédés argumentatifs rationnels, tout en aboutissant à des résultats délirants. C’est bien là que l’on retrouve toute la force d’attraction de ce type d’énoncé et un début d’explication quant à sa propagation dans nos sociétés.
Et il continue : Les récits complotistes ont ceci de séduisant qu’ils fournissent une vision rassurante du monde en abolissant sa complexité. Et cette séduction est d’autant plus performante qu’elle se pare des plus beaux apparats de la rationalité. Le complot n’est ni une métaphore poétique ni un conte anxiolytique pour adultes désorientés, il se veut une réponse argumentée aux incompréhensions surgissant de par le monde ».
Nous porterons tout notre intérêt sur cette dernière phrase : ni une métaphore poétique ni un conte anxiolytique pour adultes désorientés, il se veut une réponse argumentée aux incompréhensions surgissant de par le monde.
A l’occasion de la sortie de son livre, il viendra témoigner en 2016, lors d’un Colloque organisé par la Fondation Jean-Jaurès sur le complotisme, à la mairie du IVème arrondissement, à Paris :
« Lorsque j’étais adolescent, il y a un peu plus d’une quinzaine d’années -son témoignage m’intéresse, il est d’une génération postérieure à la mienne, il a donc entre trente et trente-cinq ans - le discours alternatif à la mode était plutôt un discours d’extrême gauche.
C’était totalement vrai pour ma génération également, dans les années 70-80, à tel point que pour ma génération, trop jeune pour prendre part aux évènements de Mai 68, si vous n’étiez pas d’extrême gauche, vous passiez facilement pour un ringard, peut-être vous souvenez-vous de la chanson de Ferrat sur les jeunes Républicains Indépendants – avec - il continue, et il précise son propos, « avec une vraie valeur de critique sociale articulée sur des connaissances intellectuelles et des références littéraires, peut-être instrumentalisées - de cela je peux en témoigner, il n’y avait aucune place pour la découverte et la fantaisie, nos lectures nous étaient imposées sévèrement par nos mentors, de quelques années de plus, pas beaucoup - mais cependant réellement présentes.
En effet, nous devions nous imposer une très grande rigueur intellectuelle, autant qu’un très grand effort de connaissance et de savoir dans la circulation des écrits de Marx, de Lénine ou de Trotski.
Ecrits qui ont totalement disparu aujourd’hui des bibliothèques, alors qu’il était courant et bien vu à l’époque, de posséder toute la collection de l’éditeur François Maspero, qui courait d’ailleurs sur une foultitude de sujets, concernant les différentes luttes et combats des prolétaires, des masses, de par le monde.
Mais il était impensable de ne pas posséder ces ouvrages, qui tous, déjà portaient sur la dénonciation de l’inégalité de la répartition des richesses, sur la perfidie malicieuse du capital face au peuple des petits, « ceux d’en bas », mais il faut reconnaitre qu’à côté de cette dénonciation, il y avait toujours une énonciation, des faits, mais pas seulement, il y avait toujours une argumentation difficilement réfutable, en tous les cas convaincante, une articulation qui convoquait l’intelligence et la compréhension, et qui à la fin du fin, entrainait la conviction et la détermination de la révolte et de l’engagement.
Mon impression, continue Mathieu Foulot, mon impression est que cette radicalité de l’adolescence - qui tombait en général, enfin pour moi, mais pas seulement, cela a été vrai pour beaucoup d’autres de ma génération, dès les premières séances de psychanalyse, très rapidement en tous les cas, s’avérant et se révélant pour ce qu’elle était, d’avoir été un costume défensif face à la complexité du désir et aux tentations du Monde, un costume d’Arlequin - qui fait partie de la formation intellectuelle et politique d’une personne adulte - c’est vrai, combien d’hommes politiques ou de grands référents intellectuels de la société se reconnaîtront - se fait désormais à partir de théories conspirationnistes.
Cette question nous intéresse.
Par quel biais, par quel bord, par quelle voie, aujourd’hui, un jeune entre-t-il dans le Politique, quelle voix, avec un x, cette fois, va le porter pour tenir sa place et son exercice citoyen, sa place de sujet dans le collectif, avec quelle représentation singulière, va-t-il entamer sa weltanschauung, sa représentation du Monde ?
Donc, ce ne seront pas dans cet exposé les thèses conspirationnistes qui ont suivi les attentats de Paris des 7 et 9 Janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hypercacher de la Porte de Vincennes qui nous préoccuperont le plus.
Vous avez tout entendu, ou presque, certainement jusqu’à l’écoeurement, des pseudo-détails tels que l’oubli par les frères Kouachi de leur carte d’identité sous leurs sièges de voiture, des rétroviseurs changeant de couleur selon les prises de vue et donc accréditant l’idée d’un photomontage, des images peu convaincantes, car sans mare de sang, du policier assassiné, etc...
Vous avez également certainement tout entendu, localement, au sujet de l’attentat de Nice, de l’implication du Mossad, etc.
Mais vous ignorez sans doute, cependant, qu’une vidéo postée par le youtubeur Chimical Spray et quifaisait de ces attentats de Paris le début de la troisième guerre mondiale annonçant le plan de domination mondiale tel qu’il avait été élaboré par les Illuminati, comptabilisait dix mois à peine après les évènements, 1.962.090 visionnages.
Un million neuf cent soixante deux mille et quatre-vingt dix visionnages.
Quel impressionnant effet de masse !!!
Il ne s’agit pourtant que d’anecdotes, et qu’il s’agisse de la disparition du vol MH 370, ou des chemtrails, ces nuages toxiques qui auraient été répandus par la CIA dans le sillage des avions aux fins d’expériences eugéniques ou biologiques, la liste de toutes ces fadaises en est infinie, elle s’enrichit continuellement.
De même sommes-nous, en Europe, très éloignés culturellement, du moins nous le pensons, de toutes ces tueries de masse qui ont eu lieu dans les années 90, aux Etats-Unis, à Waco, à Ruby Ridge, à Oklahoma City, perpétrées par des groupuscules complotistes américains, constitués pour l’occasion en milices.
De même également sommes-nous étrangers aux enlèvements d’humains par des extra-terrestres, dont un américain sur cinquante, soit la bagatelle approximative de trois millions sept cent mille personnes, est convaincu d’en avoir été la victime, et d’en porter les stigmates corporels.
La plupart d’entre nous ignore que ces enlèvements sont étudiés avec le plus grand sérieux par un professeur de psychiatrie éminent, le Professeur John E. Mack, de la prestigieuse Harvard Medical School.
Nous n’allons pas nous attarder sur ces faits, pour nous intéresser au mega-complot, le complot ourdi par un groupe occulte pour dominer le monde.
Et parmi ces groupes, les Illuminati, paradigme du complot contre l’humanité, le « mythème complotiste central », dit Pierre-André Taguieff, un invariant central.
Hollywood ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en déclinant ce mythème en fonction des évènements ou de l’inspiration débridée du scénariste, afin d’être en phase avec l’attente du plus large public possible, qu’il s’agisse de la série X-files, des ouvrages à succès de Dan Brown, Da Vinci Code, quatre-vingt-six millions d’exemplaires vendus dans le monde en Janvier 2010 !!! Plus d’un million en France, ou des jeux vidéos tels que Tomb Raider et Lara Croft.
X-files, à la longévité exceptionnelle pour une série, plus de dix ans de diffusion sur les chaines de télé américaines, va être la première série américaine à ouvrir la brèche du complotisme dans les plus hautes sphères de l’Etat américain, Gouvernement fédéral, FBI, CIA.
Avant X-files, dans les films et les séries américaines, très friandes de ce thème, l’Etat protège les citoyens du danger et de la menace extérieure, les extra-terrestres, les Russes, les communistes.
Dorénavant, avec X-files, c’est le système politique américain lui-même qui devient la menace. Aucun film, aucune série, n’avait jamais auparavant osé aller aussi loin.
« Je suis, dit l’agent Mulder, le héros récurrent de la série, le personnage-clef d’une machination gouvernementale, un complot destiné à cacher la vérité au sujet de l’existence des extra-terrestres, une conspiration mondiale dont les acteurs se trouvent au plus haut niveau du pouvoir, et qui a des conséquences dans la vie de chaque homme, femme, enfant de cette planète ».
Entre 50 et 80 % des américains interrogés, selon les sondages effectués sur le territoire des Etats-Unis durant la décennie 1995-2005, étaient convaincus que le gouvernement fédéral était entré en relation avec les extra-terrestres et qu’il cachait la vérité aux citoyens sur ces contacts.
En France, une étude réalisée par l’Institut Ipsos en Mai 2014, sur un panel de mille cinq cent personnes âgées de 15 à 65 ans, établissait qu’un français sur deux connaissait le terme Illuminati, et surtout que 20 % des personnes interrogées croyaient à l’existence des Illuminati, et se disaient d’accord avec la thèse qu’ils « tiraient les ficelles de l’économie mondiale ».
En réalité, les Illuminati ont bel et bien existé.
Ils ont réellement existé, en Bavière, entre 1776 et 1785, et sont longtemps restés un petit groupe maçonnique, qui se réclamait des Lumières, de la libre pensée, de l’Aufklärung.
Pendant longtemps, ce petit groupe ne dépassera pas quelques dizaines de membres, essentiellement des proches et des élèves de son fondateur, Adam Weisphaut, professeur de Droit Canonique à l’Université d’Ingolstadt, qui publie des pamphlets un peu exaltés, et qui s’affuble du nom de Spartacus, du nom de ce chef des esclaves qui avait pris la tête de leur révolte pendant la Troisième Guerre Servile, en 72 avant Jésus-Christ, durant la République Romaine.
L’organisation des Illuminati, structurée en loges, leur expansion géographique autour de la Bavière, en Rhénanie, en Autriche, en Suisse (on recensera alors jusqu’à mille cinq cent membres) les conflits qu’ils amènent dans les loges maçonniques, où on les accusera de pratiquer l’entrisme, accéléreront la dissolution de ce petit groupe qui prônait l’élitisme éclairé – « un pas en avant des masses » voilà bien un slogan qui aura fait recette jusqu’à nos jours!!
Mais rien de plus qu’un élitisme éclairé, une force de proposition de réformes libérales !!!!
Dissolution par décret de l’électeur de Bavière, Charles Théodore, en 1784, qui en profitera pour bannir de ses Etats toutes les sociétés secrètes, franc-maçonnerie incluse, et pour finir, par décréter leur dispersion totale en 1786.
Voilà la véritable histoire des Illuminati.
Et voilà où leur seconde vie démarre.
Une seconde vie au départ parfaitement française, franco-française, dont les fondements remontent à la Révolution, à cette période de l’Histoire de France où déjà vacille un ancien monde, où dominent troubles et incertitudes, et dont personne ne peut prédire ni savoir où cette période va mener et quand ces troubles vont s’arrêter. Que veulent au juste les révolutionnaires ? Qui va prendre en mains les destinées du pays ?
C’est l’abbé Augustin de Barruel, qui fait paraitre en 1798, ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, dans lesquels il dénonce une conspiration géante regroupant les Templiers, les Rosicruciens, les Jacobins, et… les Illuminati.
Conspiration d’élites éclairées, invisibles et nuisibles, pour lesquels la Révolution française, bien loin de ses idéaux proclamés, n’aura jamais été que l’occasion d’une prise de pouvoir à leur seul et unique profit, voilà ce que dit l’abbé Barruel, une « conjuration de sophistes », un accord criminel passé entre philosophes des Lumières, « sophistes de l’incrédulité et de l’impiété », francs-maçons, « sophistes de la rébellion », et surtout le principal responsable, l’Ordre des Illuminés de Bavière, « sophistes de l’impiété et de l’anarchie », dont le seul but, le seul dessein consiste à conspirer contre la chrétienté et à imposer au peuple français leur ordre social et moral.
Jusque dans leurs moindres détails...
« Dans cette Révolution française, tout, » écrit l’abbé Barruel, « jusqu’à ses forfaits les plus épouvantables a été prévu, médité, combiné, résolu, statué : tout a été l’effet de la plus profonde scélératesse, puisque préparé, amené par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans des sociétés secrètes, et qui ont su choisir et hâter les moments propices aux complots »
Très rapidement, un certain nombre d’auteurs vont venir emboiter le pas de l’abbé Baruel, et notamment un certain John Robinson, un Ecossais, qui va parvenir à nouer ensemble les doubles thèmes de la conspiration antireligieuse et antimonarchique avec l’alliance criminelle des francs-maçons et des Illuminati.
Et c’est Robinson qui donnera la véritable impulsion, son point de départ, à toute une littérature conspirationniste antimaçonnique et anti-Illuminati au XIXème siècle, qui va se diffuser massivement en langue anglaise aux Etats-Unis en traversant l’océan Atlantique.
La vision d’une conspiration mondiale attribuée à un réseau d’organisations secrètes plus ou moins criminelle s’inscrit ainsi définitivement dans la culture américaine, et les Illuminati démarrent alors une belle carrière internationale.
Et cela jusqu’à sa récupération, à partir des années 80 environ, par l’industrie culturelle et des media américaine, où le complot illuminati, la volonté par des groupes occultes et malfaisants de devenir les maitres du monde, de par sa diffusion et sa vulgarisation dans la société, va se transformer en « évidence indubitable », évidence que ne suffit pas, écrit Pierre André Taguieff, « à neutraliser la distance ironique ou satirique prise par les concepteurs de ces jeux video ou séries télévisuelles ».
Dans l’intervalle, et trouvant son point culminant au milieu du dix-neuvième siècle, un visage avait pu être donné aux comploteurs.
Encouragés par l’abbé Barruel lui-même, un certain nombre d’ouvrages écrits tout au long du XIXème siècle, substituèrent les Juifs aux Illuminati, débaptisant Weishaupt pour le judaïser.
Le complot Juif mondial était né.
Certainement le plus célèbre, le plus habile de toute cette littérature, La France Juive, écrit en 1886, par un journaliste, Edouard Drumont, rencontra un tel succès éditorial, 62.000 exemplaires vendus, ce qui était énorme pour l’époque, 150 éditions successives, qu’il poussa Drumont à se présenter à la députation d’Alger, où il sera plébiscité.
Avant Hollywood également, favorisé par la lutte contre la Révolution bolchevique, et dès le début de la révolution russe, le thème de la domination de l’univers par des groupes juifs occultes aura pris également un tour universel, avec la diffusion massive, plusieurs millions d’exemplaires, sur les propres deniers de la tsarine, du Protocole des Sages de Sion.
Le Protocole des Sages de Sion est à l’origine un opuscule imaginé et commandité par la police secrète du Tsar Nicolas II, l’Okhrana, à l’insu du tsar lui même, afin de le persuader de surseoir à un certain nombre de réformes libérales qu’il s’apprêtait à décréter, réformes soutenues, poussées, portées, par l’intelligentsia juive de l’Empire.
Le Protocole des sages de Sion était censé reproduire le compte-rendu de réunions secrètes entre rabbins pour définir une stratégie de conquête du monde, et d’affaiblissement des Etats souverains et des populations, en organisant des guerres, des ruines, des faillites, des famines, etc.
Et pourtant, et bien que persuadé de la réalité d’une conspiration judéo-maçonnique, et tout à fait antisémite, le tsar était au départ réticent à sa publication, il ne voulait pas y croire: « On ne défend pas une cause pure avec des méthodes malpropres ».
Il fit même répondre par son ministre de l’Intérieur Stolypine : « On peut ne pas aimer les Juifs, mais ce n’est pas une raison pour être un imbécile. »
Ce n’est qu’après la première Guerre Mondiale, à partir de 1920, que la diffusion et la traduction de l’ouvrage, d’abord en Allemagne, puis en Angleterre, populariseront et ancreront profondément dans un imaginaire européen et américain traumatisés par la Guerre et par la Révolution Russe le thème du complot juif international, autant bolchevique que maçonnique.
Un article de Winston Churchill, alors ministre de la Guerre, dans un magazine britannique à grand tirage nous donne une idée de l’ampleur de la pénétration du Protocole des Sages de Sion dans les consciences européennes, peu après leur publication en Grande-Bretagne:
« Ce mouvement parmi les Juifs n’est pas nouveau. Depuis l’époque de Spartacus-Weishaupt, en passant par celle de Karl Marx, pour en arriver maintenant à celle de Trotski (Russie), Bela Kuhn (Hongrie), Rosa Luxembourg (Allemagne), et Emma Goldman (Etats-Unis), cette conspiration mondiale pour anéantir la civilisation et pour reconstruire la société sur la base de l’arrêt du développement, d’une méchanceté envieuse et d’une impossible égalité n’a fait que s’étendre régulièrement. Elle a joué un rôle parfaitement identifiable dans la tragédie de la Révolution Française. Elle a été le ressort principal de tous les mouvement subversifs au cours du XIXème siècle, et pour finir, aujourd’hui, ce gang d’individus extraordinaires sortis des bas-fonds des grandes métropoles d’Europe et d’Amérique du Nord tient désormais le peuple de Russie par les cheveux, et ils sont devenus les maitres pratiquement indiscutés de cet énorme Empire ».
La tragédie faite pour finir aux Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale, et l’accaparation par Hitler et les Nazis de la vision du complot Juif imposera une sourdine après la guerre à cette forme de conspirationnisme, qui renaitra cependant dans ses grandes lignes, celles de la conquête du monde par des forces infiltrées, organisées et occultes, sous les traits soit de grands organismes internationaux, l’ONU, la conférence Trilatérale, etc…, soit d’Etats, les Etats-Unis, et Israël essentiellement.
C’est la troisième évolution des Illuminati, le troisième temps de leur utilisation, surtout après les attentats du 11 Septembre, et de leur forme actuelle, celle dont nous parlent les jeunes, où il s’agit pour eux de parvenir enfin à devenir « maitres secrets du Monde », de former un « gouvernement invisible », en organisant le chaos par le biais d’attentats terroristes, de guerres locales, de conflits ethniques, de crises économico-financières, etc…), afin d’établir un « Nouvel Ordre Mondial », dont l’acronyme en français est le N.O.M. - cela ne s’invente pas - sur le dos des peuples.
Parallèlement à cette émergence nouvelle d’une vision dématérialisée, irreprésentable du gouvernement invisible, son extension aux grandes structures financières ou étatiques internationales, son visage va également se modifier.
Le grand responsable n’est plus tant le Juif aux mains crochues entourant le globe terrestre, imagerie trop dévoyée par les nazis, trop connotée, mais une abstraction, le fameux « système ».
Parallèlement, la rhétorique complotiste va se modifier, et s’affiner.
Il ne s’agira plus de dénoncer tel ou tel complot en appelant à une adhésion dogmatique, assertive, et déjà répertoriée, mais de favoriser l’exercice d’une pensée du doute.
Comme l’écrit un grand observateur du complotisme, Rudy Reichstadt, l’appel aux compagnons de route va se transformer en appel en Compagnons de doute.
En appel au discernement, à observer, à repérer, à interroger, les failles, les contradictions, les blancs et les lacunes du discours officiel. A orienter sur la collecte des détails troublants, le recueil des incohérences apparentes, pour finir par discréditer et disqualifier, à l’aide du faisceau concordant de contradictions flagrantes ainsi rassemblées, les récits officiels.
La vérité complotiste n’a ainsi plus besoin d’être énoncée comme telle, elle se dévoile progressivement à l’issue de ce processus, d’autant plus crédible qu’elle restera sous-entendue.
« Je ne l’ai pas dit, mais… », la réticence à dénoncer clairement la menace se nourrissant de la crainte de représailles, preuve de l’infiltration de la puissance occulte dans les forces de répression de l’ennemi.
De grands prescripteurs d’opinion chez les jeunes, des rappeurs, tels que Rock’n squat, Mathias Cassel, font des textes qui martèlent ces vérités complotistes. Ainsi dans la chanson Le Pouvoir Secret :
Ils nous ont fait croire qu'Hitler était de l'autre côté
Mais les usines Farben et Ford n'ont pas été bombardées
La conspiration globale des gouvernements invisibles
Du Nouvel Ordre Mondial nous ont tous pris pour cible
La Police Internationale des Illuminatis
Va être dans un futur proche l'OTAN et les Nations Unies
Moi quand j'analyse l'Histoire je n'arrive pas à y croire
Mes infos sont tellement folles, que personne ne va y croire !
La première banque privée fut la Banque d'Angleterre
Derrière elle les financiers ne sont pas d'Angleterre
C'est comme la famille royale elle n'est pas d'Angleterre
Est-ce que Saxe, Cobourg, Gotha est un nom d'Angleterre ?
Depuis la révolution française, le but est d'établir
Une dictature mondiale les banquiers sont l'avenir
On est en plein dedans demande à Rakovsky
Dans sa symphonie rouge on y trouve même Trotsky !
C’est la famille royale qui détient le pouvoir secret
Ah, ah ouais, ah, ah, ah ouais !
Communisme, capitalisme même système pour contrôler
Ah, ah ouais, ah, ah, ah ouais !
Le problème n’est pas le lobby Juif mais le pouvoir secret
Ah, ah ouais, ah, ah, ah ouais !
Aucune guerre n’est un hasard tout est voulu par les banquiers
Ah, ah ouais, ah, ah, ah ouais !
Petit j’entendais « mais je ne suis pas un Rothschild »
Plus tard je me suis dit mais qui sont les Rothschild ?
Rothschild est-elle la famille qui est derrière l’assassinat
De l’archiduc Ferdinand ? La guerre mondiale ça déclencha
Rothschild est-elle la famille qui a financé le nazisme ?
Qui a créé le communisme et qui gère le capitalisme
Rothschild est-elle derrière toutes les révolutions modernes ?
De la Française à la Commune
De la Bolchévique à tes lourdes cernes ?
Cherche dans les cendres du 11 septembre
Tu comprendras qu’on t’a berné pour mieux te descendre
C’est comme le marxisme populaire démagogique
Qui dupe les intellectuels et la masse qui critique
Tu peux en parler sur ton ordi mon frère
Mais à Dallas « The Beast » enregistra tes commentaires
C’est comme la nouvelle tour du World Trade Center
Son projet à 1776 pieds de hauteur
C’est la famille royale qui détient le pouvoir secret
Ah, ah ouais, ah, ah, ah ouais !
Communisme, capitalisme même système pour contrôler
Ah, ah ouais, ah, ah, ah ouais !
Le problème n’est pas le lobby Juif mais le pouvoir secret
Ah, ah ouais, ah, ah, ah ouais !
Aucune guerre n’est un hasard tout est voulu par les banquiers
Ah, ah ouais, ah, ah, ah ouais !
En d’autres termes, le noir est blanc et le haut est en bas
Je ris quand je vois ceux qui croient en Obama
Une marionnette de plus dans le spectacle de la spéculation
Aussi anodin qu’un Churchill dans leur plan d’action
J’ai le flow qu’il faut, je ne signe pas avec le Diable
Dans les mains du Diable aucune arme n’est fiable
J’ai la maîtrise de l’Histoire plus puissante que leur bombe atomique
Rentre dans mon cercle et c’est Dieu qui t’enlève ton slip !
Depuis que l’Histoire est enseignée le 13 t’embrasse
Les 13 étages de la pyramide, les 13 familles
Les 13 lettres de E Pluribus Unum
Ne sont que quelques exemples de ce qui se cache derrière ce qui brille
Derrière Georges Clemenceau il y avait Georges Mandel
Derrière les Témoins de Jéhovah il y avait Charles Russel
Derrière Tim Osman quelle personne se cache t-elle ?
Mais derrière Rockin’ Squat il n’y a que Mathias Cassel, word up !
Mathieu Kassowitz, grand observateur des banlieues, cinéaste remarquable, revient, dix ans après, en 2011, dans une vidéo mise en ligne sur les attentats du 11 septembre : « Admettre que quelque chose ne va pas, dans la thèse officielle, comprendre la façon dont évidemment elle a été fabriquée, c’est un travail sur soi que beaucoup de gens ne sont pas capables de faire, que la majorité n’est pas capable de faire. Vous avez le droit de vous poser des questions, si vous avez des doutes, vous avez le droit de les émettre. »
Le fonds de commerce semble inépuisable : « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés »
Encore une enquête d’opinion, en France cette fois, Mai 2013. 51 % des personnes interrogées se disent « totalement d’accord », (22%) ou « plutôt d’accord » (29%), avec l’énoncé : « Ce n’est pas le gouvernement qui gouverne la France, on ne sait pas en réalité qui tire les ficelles ».
Théorie du doute plus que théorie du complot, pour aboutir, dans les faits, à éliminer tout élément contradictoire et à finir par ne plus douter de rien. « Au début, je n’y croyais pas, mais j’ai dû me rendre à l’évidence ».
A l’instar du complotiste, le Président Schreber, lui aussi, était toujours en quête de la véritable cause, la vraie cause des évènements, et n’avait de cesse que de son dévoilement, le dévoilement de la supercherie du monde, la dénonciation de cette altérité menaçante, et cela au monde entier. Il fallait que tout le monde sache, sans exception, et sans tromperie sur la vérité, même si cela devait exposer sa famille, qui censurera des chapitres de son memorandum.
Un monde dont il lui fallait inlassablement reconstruire l’ordre « non pas pour une vérité plus splendide, écrivait Freud, mais pour pouvoir y vivre. »
Et cela jusqu’à ce qu’il soit arrivé enfin jusqu’à son point fixe, la grande explication causale et organisatrice des évènements du monde.
Dans son séminaire sur les paranoïas, Charles Melman donne d’ailleurs une définition de la paranoïa comme la maladie du point fixe, du « ç’est ça ». Une raison au-delà de la raison, fût-elle la raison commune.
Alors, quelles seraient pour nous les raisons de douter du complot Illuminati ?
Les collègues du Professeur John Mack aux Etats-Unis, que j’ai cité tout à l’heure, ont vigoureusement soutenu ses recherches, contre ses détracteurs « Laissez-le travailler », déclarait dans les colonnes du Wall Street Journal Malkah Notman, directeur du Département de Psychiatrie d’Harvard « les plus belles inventions proviennent parfois d’idées farfelues et saugrenues »
De même, François Leuret, dans les « Fragments psychologiques sur la folie », en 1834 fait cette réflexion: « Il ne m’a pas été possible, quoi que j’ai fait, de distinguer, par sa nature seule, une idée folle d’une idée raisonnable. J’ai cherché, soit à Charenton, soit à Bicêtre, soit à La Salpêtrière, l’idée qui me paraitrait la plus folle. Puis quand je la comparais à un bon nombre de celles qui ont cours dans le monde, j‘étais très surpris et presque honteux de n’y pas voir de différence. Avec les mêmes idées, conclut-il, on peut être considéré comme sage ou aliéné »
Cette discussion sur la recevabilité de l’idée délirante courra tout au long du XIXème siècle parmi les aliénistes français et allemands, qui n’arriveront au final à se mettre d’accord que sur deux points généraux.
Le premier de ces points, c’est la fausseté du jugement, rapporté par Esquirol, le délire est une construction intellectuelle au contenu invraisemblable, ou encore des sensations non conformes à la réalité extérieure.
Le second point, c’est Jean-Pierre Falret qui va l’amener, en 1864, c’est la conviction inébranlable -ou certitude subjective dira encore un peu plus tard Jaspers - imperméable à l’expérience et résistant à l’argumentation logique.
Pourtant, rien de tout cela, ni même la bizarrerie, ni même les conceptions les plus fantastiques, ni même l’illusion ou la distorsion de la réalité, ni même la xénopathie, ce caractère étranger des sensations, ne viendront singulariser la position délirante d’un sujet.
Ce sera un point soulevé en 1892 par un psychiatre allemand, silésien, du nom d’August Neisser, dans le contexte du démembrement de la paranoïa allemande, à la toute fin du XIXème siècle, et qui va s’imposer comme le symptôme cardinal de la paranoïa.
Neisser va venir dire « Voilà, le délire c’est ça, c’est l’Eigenbeziehung », que Sérieux et Capgras traduiront en français par signification personnelle. Krankenhaft, morbide.
L’Eigenbeziehung, c’est quand le patient éprouve le sentiment que ce qui se mijote autour de lui, qu’il s’agisse des paroles échangées par des tiers, des petits ou grands évènements du monde, etc. le concerne, que débute sa paranoïa dans le même temps logique où elle se conclut.
Et cela qu’il s’agisse de l’idée, qui surgit d’emblée, ou du processus d’interprétation, qui mène du point « a » de la perplexité et du doute au point « b » de la certitude, du c’est ça, la conclusion est déjà tirée dès l’énoncé.
Il s’agit du même phénomène élémentaire, dont la seule variable entre « l’instant de voir » et le « moment de conclure » est « le temps pour comprendre », compressé dans un cas, étiré dans l’autre.
Serieux et Capgras, dans leur ouvrage sur Les folies raisonnantes, en 1910, tenteront bien de tracer la ligne de partage entre l’un et l’autre.
Le déductif, qui comme l’Abbé Barruel a dès l’origine son système établi, avec un point fixe comme point de départ, par ailleurs souvent pris dans le réel, un dol, un grief, un dommage subi, une condamnation injuste, une mission déterminée, qui conduira au délire de revendication, se donnant pour but ultime de faire triompher la justice de l’idée délirante et obsédante.
L’interprétateur, qui lui raisonne selon une logique d’induction, et dont l’objet initial sera vague, imprécis, partant d’une perplexité, d’un doute, et pour lequel ce n’est que dans un deuxième temps, rétrospectif, que viendra se fixer le roman délirant.
Le revendicateur lit les journaux, les souligne, collectionne avidement les nouvelles judiciaires, découpe les articles qui pourraient se rapporter de près ou de loin à son affaire, et se les approprie sans chercher à les déformer - « la psychose est un travail de rigueur » dit Lacan » - comme autant d’arguments en sa faveur.
L’interprétateur atteint quant à lui ce que Regis va nommer « la formule de son délire », en rassemblant de la façon la plus hétéroclite des fait-divers d’apparence anodine et banale - nous sommes encore dans une époque préfreudienne, la psychanalyse n’arrive en France qu’en 1926 - et énigmatiques pour tout autre que lui.
En substituant la consultation des sites Internet aux Journaux imprimés du temps de Sérieux et Capgras, vous retrouvez parfaitement la vie, l’emploi du temps, la façon de procéder, du complotiste.
« Toute une série de faits insignifiants en eux-mêmes, écrivent Serieux et Capgras, acquièrent aux yeux du sujet une importance capitale, se gravent dans son esprit, sans qu’il cherche encore à les expliquer. Il doute, il hésite : « Où veut-on en venir ?
« Il scrute attentivement tout ce qui se dit, écrit Regis, tout ce qui fait, tout ce qui se passe autour de lui, et, dans toutes choses, par une série de raisonnements plus ou moins logiques, il découvre quelque ressort caché, quelque allusion à sa personne, ou à sa situation ».
Enfin, l’interprétation explose, et se produit alors une révélation, tandis qu’advient la certitude rationnelle. « Des ennemis puissants et acharnés à sa perte » ont organisé contre lui un véritable complot et ils ont recours pour le perdre à tous ces procédés mystérieux que sont le magnétisme, l’électricité, les ondes, le téléphone, la TSF, et toutes les nouveautés techniques de l’époque, à côté des procédés archaïques que sont l’envoûtement et la sorcellerie …
Qui sont ces comploteurs ? Seglas avait rédigé une sorte de mode d’emploi, de questionnaire, afin d’aider le psychiatre à interroger son malade délirant : Quoi ? De quoi vous plaignez vous ?, Qui ? Qui s’en prend à vous ? Comment ? Par quels procédés ? Pourquoi, pourquoi s’en prend-on à vous ? Et c’était là généralement dans la réponse à cette question que se déroulait toute la trame délirante, ce que Seglas appelait la phase mégalomane du délire, Depuis combien de temps, et pour finir qu’en concluez-vous, que comptez-vous faire ?
Eh bien à la question Qui s’en prend à vous de cette manière, on retrouve sans surprise, avant les voisins, ou Monsieur X, et à côté de la police, les Juifs, les jésuites, et les francs-maçons.
Ces comploteurs indélicats, Lacan va les localiser, les situer dans ce qu’il va appeler le champ de l’Autre. Il se situe entre les signifiants primordiaux, que sont Les Noms-du-Père, et la batterie des signifiants, S2, S3, Sn, qui vont organiser à la suite de ces signifiants primordiaux chacun de nous.
Mais pour ce faire, il faut que quelque chose, le Phallus, vienne faire pacte, pacte de pacification, vienne faire instance, entre ces signifiants primordiaux, organisateurs, que sont les Nom-du-Père, et le défilé des signifiants qui nous constituent en tant sujets, et qui ont pour fonction de nous représenter, par cette même danse, comme vous connaissez la formule, auprès des autres signifiants.
La carence, la défaillance, l’insuffisance, à l’extrême la forclusion, mais la forclusion n’en est qu’un cas de figure extrême, ce phénomène ne concerne pas que la psychose déclarée cliniquement, cela concerne tout autant la névrose ou la perversion, la défaillance de ces Noms-du-Père, et l’échec de la pacification phallique que cette carence entraine à leur suite, ouvrant la voie à un envahissement débridé, dé-chainé. Il n’y a plus de chaine signifiante, de capitonnage-à un grouillement au champ de l’Autre de figures lubriques et obscènes (comme c’est le cas à l’extrême de l’érotomanie) ou malveillantes et persécutantes (comme c’est le cas dans la paranoïa), incarnations d’une jouissance débridée, horrifiante, hostile, envahissante, hors-limite. Ce sont les figures d’hommes bâclés à la six-quatre-deux, chez Schreber, les âmes défuntes par centaines, sinon par milliers, le Professeur Flechsig, grand responsable désigné du complot dirigé contre Schreber, et qui deviendra par la suite l’âme-Flechsig, puis le Dieu-Flechsig, le roi-régnant, les Ucelli, etc.
A cette jouissance infinie de l’Autre, transgressive, illégale, à cette hémorragie de pères jouisseurs, qui se répartissent sans complexe, sans refoulement, sans censure, une jouissance-toute sans partage. Ils sont insaisissables, car invisibles, inlocalisables, puisque échappés à toute circonscription dans le champ du symbolique, et donc éparpillés à la surface de l’Univers. Le sujet tente d’y répondre par un appel à un père fort, interdicteur, providentiel, seul en mesure de venir réparer, combler, suturer, restaurer, border, ce trou dans le symbolique que représente cette carence originelle des Nom-du-Père.
Ou encore ne verra-t-il de solution que par son propre sacrifice. C’est ainsi que Schreber consent au devenir-femme, paradigme de la Jouissance infinie, afin de restaurer l’ordre menacé du Monde, régénérer le monde, et mettre enfin un terme à cette hémorragie, puisqu’avec cette féminisation-rédemption de l’Univers disparait la persécution des âmes les plus malignes, l’âme Flechsig et l’âme Von W., en dehors d’un « misérable reliquat », écrira-t-il.
Par ce sacrifice consenti, des hommes nouveaux, faits d’esprit Schreber, peuvent alors apparaitre.
Aimée, de même, finira par apaiser son tourment, qu’une fois identifiés enfin les ennemis mystérieux qui la tourmentent et menacent la vie de son enfant, sous les traits de l’actrice Huguette Duflot, et seul le couteau sera à même de lui rendre justice.
Et le professeur Mack n’est pas le grand naïf américain, que nous aurions pu croire. « Dans le contexte de notre crise écologique mondiale », écrit-il, « l’expérience des enlevés constitue sans doute une thérapie, une médecine administrée aux habitants des pays qui en ont le plus besoin - en premier lieu les Etats-Unis- ». Elle n’est cette expérience, « que le prolongement de phénomènes vieux de milliers d’années, dont les implications philosophiques, spirituelles et sociales occidentales – newtoniennes - cartésiennes, et selon lesquelles la réalité repose sur le monde matériel tel que nous l’appréhendons à travers nos sens physiques n’est qu’un exemple de subjectivité, ou la projection de nos propres processus mentaux ».
Et il conclut : « Les histoires d’enlèvement par extra-terrestre ne sont pas foncièrement différentes de celles que rapporte l’histoire humaine depuis ses débuts, et qui évoquent les dieux, les esprits, les anges, les fées, les démons, les vampires et les monstres sous-marins ».`
Freud, en 1923, dans « Une névrose démoniaque au XVIIème siècle », ne disait pas autre chose : « Ne nous étonnons pas que les maladies névrotiques des siècles passés se présentent sous un vêtement démonologique. Pour nous, analystes, les démons sont des désirs mauvais, réprouvés, décollant d’impulsions repoussées et refoulées. Nous écartons simplement la projection, que le Moyen-Age avait faites de ces créations psychiques dans le monde extérieur. Nous les laissons naitre dans la vie intérieure des malades où elles résident. »
Couleur de Paranoïa, paranoïa canada-dry, fausse paranoïa, dont elle n’épouserait que la forme, les contours, le discours, puisqu’il y manquerait la signification personnelle, seule à même de faire valoir le diagnostic, c’est l’argument des grands commentateurs américains, notamment Richard Hofstadter, qui a beaucoup étudié les discours politiques aux Etats-Unis.
Mais ce sont les mécanismes paranoïaques qui ici nous intéressent.
De l’interprétation délirante, nous ne pouvons par ailleurs que constater qu’elle n’est rien de mieux que communicante, susceptible d’entrainer l’adhésion du nombre, et d’ailleurs Serieux et Capgras appelaient ce phénomène la folie convaincante. On se souvient de ce malade de Forel, par ailleurs médecin, indigné de son hospitalisation, « martyr de la Vérité », qui fit appel de son internement, et qui réussit à mobiliser suffisamment la Presse et le Parlement pour réunir des milliers de signatures en sa faveur, et par finir triomphalement député.
Staline, Hitler, combien de divisions, qui ne sont pas que de sujet, bien au contraire, et puisque nous sommes à Nice, vous avez eu pas très loin d’ici, à Castellane, Gilbert Bourdin et la secte du Mandarom.
On oublie également, car cela s’est passé aux USA, loin de chez nous, Jim Jones, qui arrive à faire avaler une capsule de cyanure de potassium à près d’un millier de ses adeptes, en 1978.
Que sont nos grands récits fondateurs devenus ? Qu’avons-nous fait de ce grand « désenchantement du Monde », comme dit Marcel Gauchet, dans lequel nous vivons depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la globalisation de l’économie, et la fin, avec la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS, d’une vision au final assez apaisante dans son manichéisme, dans la répartition des rôles, des bons et des méchants ?
A qui nous adresser, dans cette « acéphalie » du monde, sur la disparition des ressources écologiques de la planète, contre qui nous tourner, et qui est responsable ? Qui incarne aujourd’hui ces grands signifiants organisateurs que sont les Nom-du-Père ?
Je ne vais pas reprendre, à l’issue de cet exposé, déjà bien long, le travail considérable de Charles Melman à partir de « L’homme sans gravité », jusqu’à la société matriarcale, de Jean-Pierre Lebrun à partir d’un « monde sans limites », je crois qu’il ne se passe pas une semaine ou un mois à l’ALI, ou à l’EPHEP sans que ce travail ne soit repris, évoqué, ou encore le travail de Roland Gori, notamment L’individu ingouvernable, et son dernier livre, La nudité du pouvoir. Je ne vais pas les paraphraser, je ne peux que vous y renvoyer ; concernant cette disqualification, cet effacement, ce refus, ce déni, dénigrement, des différents nouages de ce qui fait Nom-du-Père dans la société pour les jeunes, et comment cet effacement, cette « estompe » ( voici un terme qui nous vient par le biais des peintres hollandais, de l’allemand stump , qui signifie « émoussement », Charles Melman utilisait dans sa grande conférence à l’ALI il y a quinze jours le terme de « dé-privation ») va venir initier, développer, soutenir, cette invention-croyance d’une force occulte et malfaisante à l’origine du désordre du monde.
Il faudrait se poser un certain nombre de questions, sur la disparition et l’estompe, justement, des valeurs symboliques de notre société, que devient la notion de dette, par exemple, qu’est-ce que ce mot signifie aujourd’hui dans le langage des hommes politiques, autre qu’une signification économique ?
Par quelle mascarade les commémorations de nos évènements fondateurs les plus graves, les plus solennels, de ceux qui sont censés cimenter les fondements de notre société, sont-ils devenus des simples rendez-vous festifs, comme Philippe Murray ne cessait de le dénoncer, l’homo festivus ?
Sans doute, face à la cavalcade d’un tel Imaginaire du complot, aussi débridé, aussi hors-limites, devons-nous, nous autres psychanalystes, répondre dans le Réel, c’est une expression de Jean Pierre Lebrun.
Afin de renouer avec le Symbolique, c’est-à-dire ce qui va venir faire envie, pour un jeune de prendre sa place de citoyen dans le monde.
Cela fait partie du travail des psychanalystes, aussi.
Répondre dans le Réel, face à un Imaginaire devenu fou.
Et ce n’est pas dans le reste du reste du reste de notre savoir scolaire que nous allons pouvoir puiser de quoi répondre dans le Réel face à ces imaginaires livrés à leur propre savoir fou. Et ce, parce que nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, nous tenir avec ces jeunes, côte à côte, ni face à face, comme disait un éphémère récent ministre de l’Intérieur. Ce n’est pas notre place, et pas notre responsabilité pour le moins, pour ceux d’entre nous qui, de par leurs métiers et leurs fonctions, tiennent la gageure de la mission impossible, gouverner, transmettre, prendre soin…
Et je voudrais à titre d’illustration, et pour terminer ma longue intervention, vous raconter cette initiative, qui a été citée par Mathieu Foulot lors de sa conférence de Février 2016 à la mairie du IVème arrondissement de Paris.
Peu après la sortie de son ouvrage, Complot Charlie, un professeur d’histoire-géographie vient le voir. Cet homme s’appelle Ronan Cherel. Il est Professeur de quatrième au Collège Rosa Parks, à Rennes, qui est situé dans ce qu’on appelle pudiquement dans la novlangue administrative Zone Urbaine Sensible, et le collège en Zone d’Education Prioritaire, en ZEP.
Il lui dit qu’il n’avait jamais eu de problème avec ce genre de thématique, mais qu’au moment des attentats de Charlie Hebdo, toute sa classe lui dit : « Ecoute, tu n’as rien compris, ce n’est pas un attentat islamiste, c’est un complot judéo-maçonnique. »
Pareil, à la prison voisine, à Vezin-le-Croquet, et où il donne également des cours à titre bénévole. Huit détenus, dont le plus jeune à 25 ans, et le plus âgé 55.
Il décide alors de mettre en place des ateliers pédagogiques, soutenu par le Rectorat, l’Université de Rennes 2, où il est également enseignant, le Conseil Général, vont mettre à sa disposition des moyens assez conséquents, notamment audio-visuels, portant sur des moments de l’Histoire où circulent les versions complotistes les plus répandues. La traite d’esclaves, par exemple, thème qui n’est pas choisi au hasard, puisqu’il y a dans ce collège beaucoup d’enfants africains. Chaque élève reçoit un texte qui exprime ou bien la version officielle, ou bien différentes versions complotistes, au hasard. Et à la fin, ils débattent pour établir laquelle est la plus pertinente. Parallèlement à cela, il crée un petit journal, Media Parks, que vous pouvez lire encore en ligne sur l’Internet, il est toujours disponible, fait par les élèves, (mais je n’ai pas bien compris si l’expérience est toujours en cours, ou si elle est terminée), et il leur montre comment se servir de l’Internet pour aller chercher l’information à sa source, en « amoureux de la Vérité ».
A la fin de cette expérience, tous dans la classe, des élèves de quatrième, seraient devenus, selon Mathieu Foulot, des hoax busters, des chasseurs de complot.
« Supprimez du délire d’un interprétateur telle conception qui vous semble la plus importante », disait De Clerambault, « supprimez-en même un grand nombre, vous aurez percé un réseau, vous n’aurez pas rompu les chaines. Le réseau persistera immense et d’autres mailles se referont d’elles-mêmes. Supprimez au contraire dans le délire du passionnel cette seule idée que j’ai appelé le postulat, et tout le délire tombe ».
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