Fernando BAYRO-CORROCHANO
Docteur en Psychopathologie et Psychanalyse,
Psychanalyste-Psychothérapeute-Art-thérapeute, CMSEA-Bastille. Paris.
Avertissement : Nous avons fait le choix de garder dans la retranscription de cette conférence le langage parlé, plus vivant et qui permet de conserver la spontanéité des propos.
Claude RIVET :
Dans le cadre du partenariat que nous entretenons avec la Municipalité de Sainte Tulle, avec qui nous avons institué un cycle de conférences d’introduction à la psychanalyse depuis de nombreuses années, nous avons invité notre collègue psychanalyste Fernando Bayro-Corrochano qui est originaire d’Amérique Latine, de Bolivie, et qui vient nous exposer les liens de la psychanalyse avec son expérience clinique auprès d’enfants et d’adolescents dans le cadre de son activité de psychothérapeute à Paris.
Fernando Bayro-Corrochano a créé, notamment, un Diplôme Universitaire d’Arts et Médiations Psychothérapeutiques à l’Université Denis Diderot, Paris VII, en 1997. Titulaire d’un doctorat en Psychologie Clinique, il intervient également à Paris dans le cadre du CMSEA, Centre Médico-Pédiatrique du secteur privé, le Centre Médical Spécialisé de l’Enfant et de l’Adolescent situé dans le quartier de la Bastille à Paris, précision importante vous découvrirez pourquoi au fil de son exposé.
Aujourd’hui nous allons aborder avec lui les questions que posent la confrontation de l’enfant avec la violence dans ses expositions sociales, questions sur la violence qui par ailleurs se posent très tôt dans la vie du sujet. A l’issu de la conférence nous proposons à ceux qui veulent s’y prêter une approche avec des ateliers séminaires sur ce qu’apporte à la clinique la forme particulière de la thérapie d’expression artistique à travers la peinture, le modelage. Je donne la parole à Fernando Bayro-Corrochano.
Fernando Bayro Corrochano :
Merci beaucoup, je suis bien content d’être là. Je voudrais tout d’abord remercier Claude Rivet de l’ALI-Manosque Alpes de Haute Provence pour son invitation, remercier Emmanuelle Feldman pour son accueil et la Mairie de Sainte Tulle pour son organisation impeccable. Je remercie également la Librairie Regain de Reillanne pour sa présence avec un stand de livres sur le thème. Enfin, je remercie à Anne Videau directeur-conseil de l’EPhEP, pour son soutien et pour la diffusion de ce document, ainsi que Nathalie Belin de l’ALI-Manosque Alpes de Haute Provence, chargée du formidable travail de retranscription de la conférence.
Tout d’abord je voudrais préciser que je ne suis pas un Sud Américain arrivé récemment à Paris, mais un psychanalyste parisien d’origine sud américaine et j’ai donc une pratique en France depuis plus de trente ans.
La question que je vais traiter aujourd’hui est celle des dessins d’enfants face à la violence, je dis bien « face à la violence », et vous verrez comment on peut montrer que le dessin a une fonction de rempart face à la violence, mais surtout je veux vous parler de la mise en Images nécessaire dans la clinique contemporaine.
Cette conférence sera organisée en deux temps, d’abord un temps d’introduction pour expliciter quels sont les principes théoriques qui guident ma pratique, ensuite un temps où je vais vous soumettre un sorte parcours sensoriel visuel et affectif à travers la présentation des images issues des différents cas cliniques.
J’aurai l’occasion de m’arrêter à un ou deux cas cliniques avec un matériel d’expression plastique associé au travail d’Art-thérapie et je tiens à vous dire que c’est un travail d’Art-thérapie à référence psychanalytique, c’est-à-dire qu’il tient compte de l’Inconscient dans la création d’un « Objet Symptomatique » : le dessin fait pendant la séance de psychothérapie.
Il ne s’agit pas de faire simplement de la peinture, il s’agit de détourner la pratique de la peinture pour en faire des objets symptomatiques en lien avec la souffrance, avec le symptôme.
Donc je vais vous proposer une série de vignettes cliniques et je vais me soumettre moi-même à l’exercice de vous faire un commentaire de ces images proposées.
Donc deux temps, un temps plus explicite et théorique et un temps plus clinique avec un matériel qui est très riche sur l’expression plastique en psychothérapie.
Le travail dont je vous parle aujourd’hui s’inscrit dans la suite d’une conférence au sein de l’EPhEP à Paris en 2016, à Nice lors de la journée organisée par Christine Dura-Tea avec l’EPhEP et l’Association Chrysalides en 2017, et qui a suscité le vif intérêt de Charles Melman pour ma pratique clinique sur les chocs traumatiques liés aux attentats terroristes. Lors de ces interventions je démontre l’importance de la figuration de cette violence qui s’exprime à travers les dessins et la peinture dans la psychothérapie, et nous pouvons d’emblée nous poser une question :
Quel est l’intérêt de faire une conférence sur la figuration des violences contemporaines chez les enfants et les adolescents qui viennent en consultation ?
Il s’agit de se confronter à ce qui fait échec à la parole, à la pensée et à la représentation dans les comportements violents qui sont d’une grande actualité psycho-sociale. On a l’impression qu’en Europe et peut-être dans le monde entier, la violence augmente. Nous le constatons quand les enfants et les adolescents manifestent des symptômes qui sont liés à la violence comme un reflet de la violence psycho-sociale générale.
C’est un phénomène à l’école, dans le monde du travail. La violence dans la rue, imaginons à Paris, de plus en plus accentuée, retombe dans la cour de récréation chez les enfants dans l’école qui vont reproduire des comportements venant de situations de tensions entre adultes. Donc l’idée de s’occuper de la violence c’est la question que met à l’épreuve la psychanalyse dans le sens que la pulsion violente arrête la pensée, comme la possibilité de son élaboration psychique.
Souvent l’acte violent est une décharge des tensions qui empêche de trouver la pensée qui pourrait lui correspondre. C’est donc une épreuve pour le psychothérapeute, le psychanalyste, l’Art-thérapeute, qui se confrontent à ce type de problématique.
La pulsion violente trouve son fondement dans l’intrication de la pulsion de vie et de la pulsion de mort dans une variabilité entre les deux comme le dit Freud, cité par notre collègue, Patrick Pouyaud.
Celui-ci utilise une métaphore qui me plaît beaucoup et qui est celle d’un « cordage» : c’est-à-dire une corde comme image pour illustrer l’intrication faite de deux fils. Imaginez deux épais fils entrelacés faisant une seule corde, l’une représente la pulsion de vie et l’autre la pulsion de mort. On fait une nouvelle tresse avec deux autres cordes, n’est ce pas, c’est une image de l’existence entre vie et mort.
Mais que se passe-t-il si un des deux fils-cordes est plus épais que l’autre, si cette intrication à force de la tresser, de la serrer, si la corde de la pulsion de mort est plus épaisse que la corde de la pulsion de vie ?
Voyez ça peut donner des variabilités, des tensions différentes.
Mais déjà cette image montre la possibilité de « détresser », de dénouer ce qui était trop serré par la pulsion de mort. Du point de vue de Lacan il y a une façon de bien dire ces choses quand il a parlé du concept de l’ « Hainamoration » : voyez, Lacan avait fondu le mot « haine » et le mot « amour » en disant que l’amour était l’« hainamoration ». Cela montre bien cette intrication entre les deux pulsions.
Toute violence porte une valeur de mort qui se caractérise par une compulsion de répétition ce qui dénote l’impossibilité d’élaborer psychiquement.
Suite à l’expérience clinique extrême avec des enfants victimes de la violence terroriste nous avons pu constater l’importance de permettre la déliaison de la pulsion de mort dans le sens freudien dans le symptôme, ou dans un sens plus lacanien de produire une coupure, une scansion avec la jouissance mortifère dans la fiction traumatique de cette violence. Pouvoir se défaire des tendances mortifères pour trouver l’énergie du vivant, pour se réinvestir narcissiquement et pouvoir refaire de nouveaux liens aux autres.
L’appareil psychique n’est pas un bloc fixé ou figé, il y a une plasticité psychique et surtout celui des enfants qui permet de nouveaux investissements pulsionnels.
C’est là un constat très important avec les victimes que j’ai reçues, je vous dirai tout à l’heure où est mon cabinet, pas loin du Bataclan et des différents restaurants attaqués à Paris en 2015. Cela m’a donné l’opportunité de recevoir assez rapidement plusieurs enfants et adolescents qui étaient touchés par ces événements. Ce que j’ai pu constater c’est qu’à un moment donné il est possible d’établir d’autres investissements pulsionnels à cette effraction de la violence.
Nous travaillons, en Art-Thérapie à référence psychanalytique, surtout avec des images, des figurations d’images sensorielles qui accompagnent la création et qui sont souvent inconscientes.
Ce qui est très intéressant entre l’univers de la création plastique et l’inconscient, c’est que dans ces deux univers ce qui se met en jeu ce sont des images et ces images sont des images sensorielles venues du corps qui sont représentées psychiquement.
Le créateur utilise les images inconscientes pour produire l’objet de l’Art. Dans le cadre de l’Art-Thérapie à référence psychanalytique nous utilisons le même magma, le même matériau psychique, celui des sensations imagées pour construire ces peintures que je vais vous montrer tout à l’heure. L’inconscient travaille avec des images sensorielles, avec des mots. Il y a donc un lien entre les images et les mots inconscients, et les images et les mots qui sont sollicités dans les représentations plastiques à l’intérieur d’un dispositif d’Art-Thérapie.
Le dessin d’enfant en tant que support de pulsion partielle par la tentative de figurer l’irreprésentable devient le condensé de traces sensorielles de l’Intime, Intime qui va être déplacé topologiquement, sur la feuille à dessiner ou à peindre. Nous cherchons à établir une équivalence plus que symbolique entre l’image inconsciente et celle peinte sur l’écran de la feuille blanche. Un lien direct entre le dedans et le dehors, une sorte de symétrie optique point par point entre l’image mentale et la figuration picturale.
Entre les images intrapsychiques agissantes sur la souffrance, sur le symptôme, sur la pathologie et celle qui sort sur la feuille.
Je vais répéter cette proposition qui nous permettra de mieux saisir le matériel que je veux vous présenter :
Nous cherchons à établir grâce au transfert une équivalence plus que symbolique entre l’image inconsciente et celle peinte sur l’écran de la feuille blanche, un lien direct entre le dedans et le dehors, une sorte de symétrie optique point par point entre l’image mentale et la figuration picturale. Cela est possible par les entretiens cliniques au début de la psychothérapie, par l’attente du psychothérapeute de la figuration plastique de la part de l’enfant ou de l’adolescent qui à partir de ces conditions se prêtera volontiers à cet exercice, de « dire différemment ».
Plus l’image pathogène est investie à l’extérieur plus elle sera désinvestie psychiquement par l’engagement sensoriel, la décharge affective et la parole qui viendront signifier cette nouvelle image.
Cet Intime sensoriel est ce qui relie à la jouissance, au réel, ce qui relie à la construction fantasmatique en lien aux mots et en lien à la parole. De là vient la qualité plastique et l’intensité de la figuration réalisée dans notre espace d’Art-Psy. Il est important pour le travail clinique d’expliciter les structures subjectives qui sous-tendent la production plastique en Art-Thérapie, c’est-à-dire, le savoir inconscient à partir de quoi l’enfant produit. Je répète cette phrase qui est un peu compliquée : il est très important pour le travail clinique d’expliciter les structures subjectives qui sous-tendent la production plastique en Art-Thérapie ou dans la psychothérapie tout court.
Je vais vous montrer différents cas cliniques et je vais vous demander d’être très attentifs à ce savoir inconscient que l’enfant et l’adolescent inscrivent dans les productions plastiques à l’adresse du psychothérapeute. C’est un savoir sur la souffrance, sur le symptôme lui-même. C’est comme si j’étais en train de placer « le savoir » du côté du patient.
Le savoir inconscient sur la problématique est du côté de l’enfant et c’est à nous d’écouter et d’expliciter ce savoir-là.
Nous souhaitons insister aujourd’hui sur l’importance de la « figuration du choc traumatique » en lien à l’Intime, affecté en tant que conséquence de la violence terroriste chez l’enfant et ensuite faire une extension clinique sur la figuration des autres violences, celles venant de l’extérieur social ou celles plus intra-psychiques. Ces violences contemporaines du mal-être ou du « malaise dans la civilisation » actuelle comme la colère, la rivalité ou la jalousie, la violence psychique, la domination, l’opposition, les cris, l’incivilité , la dépendance aux jeux vidéo, l’enfermement, etc.
Je souhaite aussi insister sur l’importance du repérage du signifiant sensoriel, un signe, une couleur, un trait, inscrits dans le dessin ou dans toute figuration. Signifiant sensoriel qui permet de faire face à la violence et à son effet mortifère en la représentant, en la figurant pour la parler et surtout pour la séparer de l’énergie du vivant et la réinvestir dans des nouvelles figurations qui vont renouveler la parole.
Notre cabinet au CMSEA (Centre Médical Spécialisé de l’Enfant et de l’Adolescent) à la Bastille à Paris, que nous avons créé en association avec des médecins pédiatres il y a quinze ans, est un formidable lieu de consultation, dans lequel je suis le responsable du Pôle Psychanalyse-Psychothérapie et Art-Thérapie.
Nous sommes quatre psychanalystes à tenir cette consultation dans notre cabinet à 5 mn des anciens locaux de Charlie Hebdo et à 10 mn du Bataclan, c’est-à-dire au cœur géographique des attaques terroristes à Paris. Cette proximité nous a fait recevoir plusieurs enfants, une quinzaine au total, habitant le quartier, en particulier, affectés par tant de violence. Dans une problématique liée à la mort de proches, à la confrontation de la destruction de leur environnement urbain, à la fréquentation des espaces mémoriaux proches des lieux des attentats, à la confrontation avec les images télévisuelles comme aux différentes informations entendues dans les milieux familiaux et scolaires, dits par les autres enfants ou simplement par le corps enseignant.
Les différents symptômes que l’enfant manifeste suite à la violence terroriste à Paris et à Nice, interrogent sur le fait que la haine, la terreur et la violence seraient propres à l’Humain et à son processus d’individuation. Claude Rivet l’a dit tout à l’heure, la violence est bien connue de la psychanalyse comme étant à l’origine du sujet, du développement de l’enfant en particulier et de la constitution de son moi. Dans la constitution du moi, du moi narcissique chez le bébé, la peur de l’étranger, le refus du père, est une violence constitutive des premières « crises subjectives d’introduction de l’altérité » pour le sujet.
C’est cela qui est très particulier. C’est comme si la haine et la violence à un moment donné pouvaient permettre que le sujet puisse constituer son moi à l’origine, devenir « autre ».
De là, le fait que la violence s’est déjà inscrite dans un mode un peu paradoxal dans l’inconscient.
Nous savons aussi que la terreur nocturne de l’enfant (tous les cliniciens se confrontent à cette question des cauchemars) est bien connue comme étant souvent un retour de la propre violence refoulée. Il est fréquent qu’on donne trop d’attention au contenu du cauchemar et les parents accompagnent l’enfant qui fait des cauchemars à la consultation comme une sorte de petit Ulysse dans une Odyssée bien personnelle et qui confronte à des épreuves mythologiques. Mais en fait le cauchemar c’est plutôt un retour sur l’enfant, sur sa propre violence au moment où le refoulement n’est pas possible, la nuit pendant le sommeil.
Il y a aussi la question de la haine et de la violence comme étant la manifestation de cette peur et de cette difficulté d’accepter des interdits fondamentaux, celui du meurtre ou celui de l’inceste.
La haine, la terreur et la mort sont au centre de l’éducation de l’enfant et permettent l’intégration des barrières et des interdits le concernant. C’est là un fait de civilisation qui contribue à l’humanisation et à l’auto-conservation.
Déjà Freud insistait sur l’impossibilité de se représenter la mort qui est une vraie difficulté psychique (surtout la sienne propre), comme celle de se représenter les violences mortifères.
La violence des attentats terroristes à Paris et à Nice sont à penser comme des meurtres, comme de la guerre, comme de la haine. Nous avons rendu compte de cette expérience clinique notamment à Paris et à Nice. Vous pouvez en retrouver la trace dans une vidéo accessible sur le site de l’EPhEP, la conférence du 2 mai 2016, si vous faites le mot-clé : « Bayro dessins d’enfants ».
La prise en charge des enfants interpellés, traumatisés ou simplement affectés par la violence, demande de mettre en place un cadre nouveau différent de la consultation classique, parce que la parole échoue pour signifier de quoi retourne cette sidération et cette tension qui envahit l’enfant. Nous proposons donc un autre écran, neutre, celui de la grande feuille à dessiner, une médiation thérapeutique par la peinture, le dessin sur une feuille posée sur un mur adapté à ce dispositif.
Nous allons maintenant passer à la projection des images…
Les enfants ont toujours dessiné les conflits, surtout ceux de la violence meurtrière, de la guerre ou de l’extermination.
Comme le montre le livre illustré par les enfants de l’École de Montmartre à Paris sur la guerre de 1914. Manon Pignon, une chercheuse, a trouvé à la fin des années 80 un stock de dessins de cette école sur la Guerre de 14, qui avaient été bien gardés, bien conservés. A cette époque, les pères sont au front à Verdun et les enfants à Montmartre sont en train de faire aussi la guerre par les dessins.
A partir de ces dessins Manon Pignon a publié un livre que je vous conseille de vous procurer qui s’appelle « La Guerre des Crayons». C’est un texte formidable dans lequel on reproduit les dessins et on voit bien comment l’enfant inscrit les faits de guerre entre la France et l’Allemagne.
Voici quelques images de cette « guerre des crayons » :
LA VIOLENCE HUMAINE TOUJOURS REPRÉSENTÉE DANS LES DESSINS
D’ENFANTS.
Sur un autre sujet, Alfred et Françoise Bruner, que j’ai bien connus à Paris et qui sont deux chercheurs, ont récupéré des dessins faits par des enfants victimes de la Shoah dans des camps d’extermination nazis. Ils ont une collection d’à peu près 1500 dessins. Avec une grande intuition, à partir des années 1945/1946, ils ont commencé à récupérer partout des dessins que les enfants sortant de camps avaient dans la poche et même sur les lieux d’extermination où il y avait des traces de ce type de matériel.
Et donc ce que vous voyez là il s’agit, dans le camp de Birkenau, d’une fille de 9 ans qui exprime l’angoisse de la chambre à gaz, l’angoisse de l’extermination.
En voilà un autre, à Auschwitz :
Ou celle à Berlin, suite au pogrom du 9 novembre de 1938 dit de la « nuit de cristal » :
Voyez, ces productions montrent bien que l’enfant a toujours fait des dessins sur la violence, sur les comportements violents et sur les conflits. Il existe toute une approche de ce type de productions graphiques, qui consiste à penser que l’enfant participe à l’écriture de l’histoire avec ses dessins. Donc les historiens prennent ces dessins comme une sorte de témoignage de l’écriture de l’Histoire. Je vais me différencier complètement de cette position.
Regardez ce dessin qui est tout à fait d’actualité : c’est un dessin d’un enfant syrien arrivant dans les premières vagues de réfugiés en Allemagne, ce dessin à la charge affective très forte, a été donné par cet enfant au garde frontière à la douane en arrivant en Allemagne.
Tout le monde montrait des documents, des papiers d’identité, cet enfant qui a traversé avec le flux de la vague des premiers migrants de Syrie vers l’Europe a donné ce dessin au garde frontière.
Tel un passeport, dans lequel on voit bien le désastre de la guerre de laquelle il sort et du pourquoi il souhaite vivre en Allemagne. Il y a beaucoup de charge meurtrière, mortifère, et de sa résolution dans ce dessin, qui a beaucoup ému la population allemande.
C’est vrai que dans ces cas là, l’enfant témoigne de la violence entre humains, témoigne aussi de la guerre dans ces illustrations mais pour nous il témoigne surtout de sa détresse. Confronté à la destruction, il cherche à lui faire face avec ses dessins. Voyez, je ne suis pas dans une conception dans laquelle l’enfant témoigne de l’Histoire mais je suis dans une approche de quelque chose où l’enfant prend ces outils, ces moyens graphiques, pour faire face à une telle violence.
En ce qui concerne notre proposition, nous prenons donc une autre approche, celle de la construction pas à pas du dessin avec lequel l’enfant fait face à la violence terroriste dans le cadre psychothérapeutique. L’atténuation de l’effraction traumatique de la violence sur l’enfant et sur l’adolescent passera donc par la figuration du dessin avec le ressenti émotionnel qui l’accompagne et surtout par le récit qui va être construit avec l’analyste sur la problématique strictement personnelle que cette violence a réactualisée en lui.
Dire différemment sa souffrance pour libérer d’autres images inconscientes qui étaient sollicitées, réactivées souvent par la violence terroriste ou la violence subie dans le milieu familial, ou social.
Je vous invite donc à faire un parcours visuel et sensoriel à travers des images et des productions picturales pour aller au centre, au noyau de la pulsion violente, et on verra ce qu’on peut faire avec ça.
LE CABINET ART/PSY.
Pour vous donner une bonne représentation de l’espace de travail, voilà quelques images : voyez donc, mon cabinet est partagé en deux avec un espace classique dans lequel on voit des fauteuils pour les parents, un divan pour les analysants. Et donc une division, légère, une espèce de mur de papier, un paravent, qui nous conduit à l’autre espace.
Je ne fais pas systématiquement de l’Art-Thérapie, ce n’est qu’une indication.
Vous voyez au fond le mur sur lequel on fait la peinture et sur cette table on fait plutôt du modelage. On voit l’espace d’expression plastique, le matériel et les productions des enfants.
Je vais essayer de vous montrer ce qui se passe au sein de ces murs : c’est la première fois que je montre cette image : il s’agit d’une petite patiente qui a sept ans et qui, après les grandes vacances en 2015, m’amène ce dessin bien plié en disant « c’est pour toi ». Je regarde le dessin, qui est formidable, elle l’a fait de mémoire pendant ses vacances : voyez, il y a le mur du Cabinet, les deux fauteuils que je vous ai montrés, mon bureau avec l’ordinateur où une image s’affiche sur son écran et la table d’expression plastique.
C’est une déclaration d’amour pour son thérapeute qui est dessinée au milieu, il faut dire mieux : c’est l’amour de l’enfant du dispositif psychothérapeutique qui sûrement a soulagé sa souffrance.
Ça, c’est formidable comme les enfants savent, voyez quand je parlais du savoir… elle place le thérapeute avec ses lunettes comme des gros yeux, qui ont vu, et entre le dessin et le thérapeute ses deux mains qui relient l’enfant représenté dans le dessin et l’enfant réel qui l’a fait.
C’est quelque chose que l’enfant a mis de lui dans le dessin et que le psychothérapeute lui restitue.
Tout est dit dans ce dessin… du cadre que nous proposons au CMSEA.
Regardons encore ce dessin, il y a une glace, et une bouche, avec une flèche qui indique que la bouche va vers la glace. Quand je lui demande ce que c’est, la réponse est :
« Ah ! Qu’est-ce que j’ai mangé comme glaces cet été ».
Le bonheur de profiter de ce plaisir oral, les glaces sont la récompense d’une relation apaisée, et non conflictuelle avec sa mère, comme c’était le cas avant les vacances.
Avant, elle était toujours punie et toujours « grondée » suite à ce conflit, par ce dessin elle confirme le travail psychothérapeutique accompli et la méthode par laquelle nous sommes parvenus à le réaliser.
La restitution du matériel clinique associé à la production graphique des enfants sera forcément partielle, nous ne pouvons par restituer l’ensemble des propos, comme l’ensemble de l’anamnèse pour chaque cas, mais nous pouvons nous prêter à cet exercice de « penser psychanalytiquement » à partir de ces présentations cliniques.
L’INTIME DES RÊVES ATTAQUÉ !
« UN MÉCHANT LES A TOUS TUÉS »
M. 7 ans.
A présent je vais vous montrer une partie qui est liée à deux enfants victimes du terrorisme avant de passer à une problématique un peu plus générale.
D’abord un garçon de sept ans, c’est un enfant qui est en consultation déjà mais qui va être affecté par les événements parisiens. C’est un enfant qui fait déjà des dessins de ses cauchemars. On a travaillé depuis un certain temps sur ses cauchemars qui sont assez fréquents et qui troublent son sommeil. Au fil du temps, il est devenu très fort pour dessiner ses cauchemars. Il vient par exemple, un jour en consultation et me dit :
« un dragon m’a mangé », il passe directement à la feuille où il peint son cauchemar en dessin.
Suite aux attentats, cet enfant vient consulter le samedi qui les suit juste et il réalise cette chose-là :
Et cet enfant va me dire : « il les a tous tués ».
Donc là, vous avez un personnage armé, avec une kalachnikov, il me dit « voilà, avec son fusil il les a tous tués ». On voit une arme, un couteau, une main agressive... Ce dessin est très intéressant parce que c’est un dessin corporel : il y a du pipi, le jaune, il y a du caca, le marron, il y a du sang, le rouge.
L’enfant est fasciné par cette figure qui est la représentation d’un terroriste, une fascination solaire avec une luminosité forte et à la fois c’est comme s’il le met en distance et l’insulte : pipi, caca, mort, méchant !
« QU’EST-CE QU’ILS ONT DANS LEUR TĒTE ?!!! »
« ALERTE ROUGE » :LE SIGNIFIANT SENSORIEL DE « LA MORT DE SOI »
LUCY. Une fille de 10 ANS.
Une autre fois arrive en consultation Lucie, que je vais nommer ainsi pour cette occasion et qui m’a autorisé à parler d’elle d’une façon extraordinaire, les parents aussi.
Et quand je lui demandé pourquoi elle m’autorisait, elle a répondu « que si cela pouvait aider d’autres enfants, elle serait bien contente ».
Lucie présente une épilepsie psychogène suite aux attentats. Souvenez-vous les attentats ont lieu le vendredi et dès ce jour-là, le vendredi soir puis le samedi, dimanche, lundi, elle fait des crises d’épilepsie tous les soirs. Je la verrai très rapidement, le mercredi suivant.
La famille de Lucie, son père et sa mère n’habitent pas très loin du Bataclan, et le soir des attentats, le 13 Novembre donc, le père et sa fille regardent la télévision en attendant ce vendredi comme tous les vendredis que la mère, que « maman » rentre du travail.
La télévision se coupe, les nouvelles arrivent et l’inquiétude du père et de la fille est grandissante car le bureau de Madame est à 10 mn du Bataclan. Tous les vendredis, la mère ferme son bureau à peu près à 21 heures, prend son vélo, traverse la place qui est en face du Bataclan pour rentrer chez elle et dîner en famille. Or les attentats ont eu lieu à 21h 40 à peu près. Donc dans cette ritualisation qui est là elle se trouve au milieu du champ de bataille. Elle traverse avec son vélo au milieu des sirènes, des lumières bleues et rouges, de la panique générale dans laquelle tout le quartier est plongé. Imaginez cette dame qui est en retard et qui doit passer les barrières… etc. La mère finit par arriver à la maison et c’est Lucie qui l’accueille. Ce qui va apparaître plus tard dans la consultation, c’est que l’enfant qui se confronte à la mère qui arrive à la maison voit son visage, pâle, et c’est comme si la mort rôdait. La mère est choquée.
Les crises d’épilepsie précédées d’une angoisse importante, recommencent à partir de cette nuit-là, elle les avait eu avant par le passé il y a longtemps. Les examens fait à l’hôpital Necker pour voir si ces crises avaient un foyer neurologique, font que les neurologues confirment qu’il n’y a pas un foyer épileptique lié à un dysfonctionnement neurologique.
Donc c’est une épilepsie psychogène.
Du moment qu’elle arrive en consultation, je vois tout de suite que Lucie est extrêmement sensible et très intelligente.
A partir de la question que je lui pose : « qu’est ce que tu penses de tout ce qui s’est passé », après l’entretien clinique avec les parents, qui ont évoqué toute cette situation suite à la nuit du 15 novembre, je reste avec elle toute seule et je lui dit : « qu’est ce que tu en penses, qu’est ce que tu as vu, qu’est-ce que tu sais de ce qui s’est passé vendredi dernier ? ».
Elle donne son récit, mais dans ce récit elle va dire : « qu’est ce qu’ils ont dans leur tête, ces gens, ces assassins qu’est ce qu’ils ont dans leur tête ? ».
Cette phrase m’interpelle et je me dis que là il y a quelque chose puisque dans sa tête à elle il y a quelque chose qui ne marche pas… non plus.
Alors je lui propose de faire un dessin en lui disant : « on va aller voir qu’est-ce qu’ils ont les terroristes dans leur tête ». Aller le voir dans le dessin.
Elle va faire ce dessin là en 3 séances... regardez c’est assez extraordinaire.
D’abord elle va le faire au crayon, après elle va prendre l’encre de Chine qui est un choix très difficile et compliqué. Regardez déjà ces détails, nous pouvons remarquer tout de suite quelque chose de très intéressant qui sont les turbans sur la tête, ces têtes sont voilées.
Je vous lis la légende sous les personnages : il y a « le Maître », « le commanditaire puisqu’il paraît que c’est commandité depuis on ne sait pas quel pays », dit Lucie. Et puis il y a des milliers de personnages selon une rumeur qui courait dans Paris à ce moment-là que c’était toute une armée qui arrivait. Donc cette enfant a ces informations et elle fait cela en conséquence. Puis elle fait dire au personnage du « Maître » : « Répétez après moi , vous allez au Bataclan, tuer au nom de dieu, tout le monde, et prenez vos cagoules. »
Il faut aussi noter l’écriture employée ici par cette enfant qui n’a aucune origine de la méditerranée, aucune origine maghrébine, regardez cette écriture. Il y a eu un impact de ce qu’on voyait alors à la télévision et qu’on ne montre plus maintenant, comme le drapeau de Daech par exemple. L’enfant me dit : « c’est quoi ce mot Dech, Dach... comment on l’écrit , c’est quoi Dech ? ». Et je lui dit, eh bien, fais le… et donc elle fait ça. Donc il y a les cagoules, le terroriste type avec son arme, et il va venir en France.
Et toujours l’écriture du symbole qui vient représenter l’État Islamique, avec cette réponse des combattants comme une aliénation au maître , « oui Maître ! ».
Ce qui est très intéressant c’est de se rendre compte que « les pensées sont voilées », on ne sait pas ce que c’est ces gens-là, la pensée est cachée, ce n’est pas clair, ce n’est pas net.
Ici ma proposition est très simple, au cours de ces trois séances très fortes d’échange clinique, où la peur est au centre de la représentation graphique, je vais lui poser la question : « et toi, qu’est-ce que tu as dans la tête, toi ?
Qu’est ce qui fait que suite à ces évènements-là tu ne peux pas dormir tranquille et tu fais des crises d’épilepsie. Dis moi qu’est ce qui se passe ? »
Et voilà, on commence un travail de représentation dans lequel elle me dit « qu’il y a des éclairs de l’extérieur qui sont à l’intérieur » et elle va essayer de représenter ce qui lui est arrivé suite à ces évènements. Comment « les éclairs de l’extérieur sont rentrés dans sa tête ».
Cela est très important, car elle dit qu’elle sent une paralysie dans sa bouche, qu’elle ne peut pas parler, elle ne peut pas appeler ses parents, seuls des bruits sortent de sa bouche. Elle cherche le lien entre l’éclair qui vient de l’extérieur, cette chose qui l’empêche de parler et la crise qui va se déclencher.
Voici un autre dessin, voyez, avec les éclairs, l’éclair est le « signifiant sensoriel » qui commence à apparaître peu à peu. Les éclairs entrent à l’intérieur et, ici, à droite du dessin elle écrit : « Alerte Rouge ». L’Alerte Rouge ce sont les sirènes dans le quartier nommées ainsi sur BFM -TV le soir de l’attentat. On voit comment ces signifiants sont introjectés par l’enfant. On continue ce travail d’expression par le dessin sur plusieurs séances au cours desquelles elle parle, où elle peut travailler en silence, avec toujours cette alerte rouge venant de l’extérieur et à l’intérieur la violence de la décharge neurologique.
Ce qui me paraît important ce sont les éclairs, je vous ai parlé des « signifiants sensoriels », les éclairs en sont éminemment un.
Je propose ensuite à Lucie de le modeler pour aller plus loin sur ce « signifiant sensoriel » et donc elle va faire l’éclair qui déclenche la crise. Là c’est un éclair, le noyau rouge représente l’inflammation dans le cerveau et la décharge.
Quand je le regarde en sa présence, ce que je vois c’est un enfant au lit, c’est elle au lit, la tête rouge, qui est une décharge épileptique, elle est elle-même une décharge épileptique. C’est une représentation de la crise épileptique.
Mais ce qui est le plus surprenant et encore plus intéressant c’est au moment où l’on porte un regard de haut avec l’expérience clinique avec ce type de matériel et où je peux y voir aussi la lettre « M ».
L’enfant la montre alors une sorte de sidération et, sans m’avancer trop, je lui propose de copier par la peinture ce qu’elle a fait. Donc dans une autre séance pas à pas, alors que cette enfant recommence à bien dormir et que les crises d’épilepsie disparaissent, on constate déjà une certaine élaboration.
Vous voyez dans cette version où elle a fait une peinture à partir de ce modelage, vous voyez presque point par point que la lettre « M » s’impose. Et donc l’association est la suivante :
la crise suite aux attentats c’était le risque associé au risque de la Mort de la mère dans le champ de bataille tout autour du Bataclan. La Mort qu’elle a vue dans le visage pâle de sa mère.
Il faudrait que je vous dise que les parents sont dans le milieu des Arts, le père dans le théâtre, la mère réalisatrice de cinéma, et ils s’absentent beaucoup. Depuis la naissance de cette enfant il y a toujours un parent qui est en vadrouille pour le travail, notamment la maman est partie une fois trois mois en Thaïlande pour réaliser un film dans la jungle avec tous les dangers qu’un enfant peut imaginer. Cette absence d’un des parents ou des deux, est pour elle un point central et elle a un vécu d’abandon surtout la nuit quand elle dort, cela la met en colère de se sentir toute seule dans la maison accompagnée par une nounou ou par une grand-mère, ça ne lui suffit pas.
Dans cette inscription de « M » c’est donc l’absence de la mère, le risque qu’elle ne revienne plus jamais, qu’elle soit morte. La mort imaginaire de la mère entraine aussi la mort de son enfant par le chagrin de l’absence et par la colère que cette absence déclenche.
Par la suite, Lucy fait cette peinture des « éclairs » de la colère, et toujours la lettre « M » qui vient s’inscrire, malgré elle… voyez en haut à gauche.
La crise d’épilepsie c’est une colère qu’elle a tue, quelque chose en elle-même qui la fait disparaître et qui a été réactualisé par la violence terroriste.Une décharge de la tension psychique dans un fond de représentation de sa propre mort.
Alors je lui dis : « puisque tu es en colère, on y va franco. », on a parlé à sa mère, on lui a montré le modelage et elle lui a dit qu’elle en avait marre de ses absences…etc., cette nouvelle parole est arrivée auprès d’une mère qui était prête à écouter cela et qui a pu s’en excuser auprès de son enfant et qui a trouvé cela étonnant puisque dès sa naissance la fillette avait été habituée à ça.
Pour exprimer sa colère elle a pris la couleur rouge, le jaune et orange pour les éclairs, ses couleurs sont des « signifiants sensoriels » qui métaphorisés dans la forme « enfant qui dort et qui fait une crise » avec un fond qui ressort dans la lettre « M ». Donc de l’éclair à la lettre « M », la chaine signifiante condense par cette métaphorisation, par cette forme la colère de l’absence de la mère et sa conséquence mortifère.
La colère apaisée par cet ensemble des séances, cette enfant dort bien et passe à un autre type de représentation graphique. Elle va se représenter adolescente, toute seule :
Après, un autre dessin étonnant, elle est aux Champs Élysées avec sa copine pour aller voir des vitrines …
Et voilà la question, une nouvelle représentation d’elle-même à travers le dessin dans lequel elle n’est plus cette enfant abandonnée en permanence, au bord de la mort et de la solitude, là dans cette représentation elle est une pré-ado qui a une copine et elles font plein de choses ensemble.
Je lui ai restitué ces deux dessins à la fin du travail en décembre dernier en lui demandant de les afficher dans sa chambre.
Maintenant nous allons passer à une approche plus dynamique après cette étude complète du cas de Lucy.
UN PORTRAIT DE LA PULSION VIOLENTE.
A. 4 ANS
Voilà un tout petit de 4 ans qui va faire une grenouille, et cela va le piéger (c’est très intéressant que les enfants se piègent dans leurs dessins). Tout d’abord il ne veut pas utiliser les pinceaux et au lieu de cela il veut travailler avec les mains. Il se lance avec violence en utilisant ses mains. La violence chez l’enfant est souvent liée à la pulsion de l’emprise, l’emprise de l’autre, l’emprise des objets…
Cet enfant qui est en train de dessiner en vert sa grenouille à un moment prend du rouge et fait sa langue… revient sur la palette, il commence à prendre de l’élan avec sa main sur la couleur rouge et voilà il donne un grand coup sur la grenouille dans la bouche. J’étais moi-même très surpris du résultat premier de ce « tamponnage », une sorte de fantôme apparait, de monstre, le monstre de sa colère, lui-même devenu monstre, sa main devenue toute colère.
Alors je lui dis qu’il a fait le portrait, la tête de sa colère, il reprend plus de peinture et la grenouille verte disparaît derrière tout ce rouge de la colère.
C’est le portrait de la pulsion violente et c’est l’image qui a servi à illustrer l’affiche de notre conférence aujourd’hui. Alors ne soyez pas étonnés mais je vais vous envahir de rouge et de noir qui sont les couleurs qui se sont imposées dans le cabinet du moment où l’on parle de la violence.
DANS SON COUP DE POING : LA VIOLENCE DU PÈRE.
B. 1O ANS
Voici un dessin récent avec lequel j’ai eu une surprise aussi forte. La mère de mon patient de 10 ans vient et me dit que son fils est de plus en plus violent et que dans son activité sportive qui est le foot il a donné un coup de poing à l’un de ses camarades deux semaines auparavant.
Elle est très inquiète, puisque cela n’est qu’une répétition de ce qui se passait à l’école quelques mois avant. Je reste seul avec lui, le transfert est très fort, c’est un enfant qui aime beaucoup venir en psychothérapie et utiliser le dessin et la peinture pour représenter « sa vie » psychique et la tension avec son père.
Il faut savoir que son père a dû quitter la maison familiale, il avait un comportement violent à l’égard de la mère et qu’elle a décidé de se séparer de lui. Donc je lui demande de faire le coup de poing sur son camarade. Il fait le dessin du coup de poing avec un crayon, puis je lui demande de repasser dessus avec un feutre d’encre de Chine : cette tête que vous voyez là elle n’était pas là… On met le trait de feutre pour accentuer mais je lui dis que je ne vois pas sa colère, je demande qu’il accentue la représentation de sa colère par des traits qui rayonnent du coup de poing. A partir de là, on peut parler de ce qui lui arrive au foot.
Le dessin reste tel quel à la fin de la séance. Lorsqu’il revient deux semaines après, sa mère trouve que cela ne va pas du tout, l’enfant triche, il ment, il a assisté à une scène de dispute violente chez son père…
Il y a un moment de vérité qui arrive entre cette mère et son pré-ado dans cette psychothérapie, au moment où la mère me parle de tout cela je lui demande ce qu’est la violence de cet homme le père de mon patient. Et pour la première fois elle parle à son fils de ce qu’elle sait. C’est un moment très fort pour ce garçon qui découvre un père très coléreux, qui se bagarre dans la rue, qui agresse ses compagnes… quand la mère sort de l’entretien, je reste seul avec lui et je lui demande comment il pourrait mettre dans son coup de poing la violence de son père. Il trouve ça intéressant et se met au travail.
Voilà ce que ça donne : on voit que déjà la chose était inscrite dans le dessin, dans le creux du coup de poing il voit une bouche qui crie, c’est la bouche du père qui insulte, il la dessine, lui donne la couleur rouge, il complète par les yeux, par le nez… etc.
La colère de son père lui apparait dans son coup de poing !
On voit donc comment cette image peut permettre par la suite au psychanalyste de faire coupure avec la violence du père, par son intervention tout en regardant à deux cette image.
A TAPÉ SA MÈRE !
X. 12 ANS
Dans le même registre voilà une mère qui amène son enfant en consultation en disant que l’enfant l’a tapée. Donc c’est très facile, je lui demande de représenter les coups portés à sa mère. C’est un garçon de douze ans, assez costaud et face à l’intensité de sa représentation, je sors une fléchette que j’ai toujours dans le bureau pour les « grands » comme lui. Il la prend et la lance en visant la main représentée sur son dessin.
C’est là dans cet instant que je peux lui dire qu’il ne peut pas taper sa mère, je pose un interdit en exposant toutes les conséquences de cet acte, qu’il n’est plus un bébé, il ne peut pas redevenir comme un tout petit qui va se coller au corps de sa mère même si c’est fait par des « coups » donnés !
Avec le risque de se perdre dans cette pénétration du corps maternel.
Donc, cette représentation permet une intervention forte au psychothérapeute.
UN ANCÊTRE CYCLOPE : VIOLENCE TRANS -GÉNÉRATIONNELLE
R. 7 ANS
Voici un dessin très rare : c’est un enfant qui est venu pour un autre avis de clinicien parce qu’on le considérait comme autiste. J’ai pris la position, après plusieurs entretiens avec lui et ses parents, de dire qu’il avait des symptômes autistiques mais qu’on ne pouvait pas l’enfermer définitivement dans une catégorie si ferme d’« autiste ».
Lors de la consultation le père exprime son désarroi, il est dépassé, il a envie souvent de « taper son enfant » de 7 ans.
C’est donc cette question, cette envie de taper son enfant qui va m’intéresser. Ce père va dire que lui-même a été beaucoup battu par son propre père qui vit toujours en Afrique. Et il va raconter à son fils ce qui s’est passé pour lui quand il était enfant, les fessées, l’alcoolisme de son propre père. Et l’enfant interroge sur ce grand-père qu’il trouve gentil.
Différentes séances se passent jusqu’à l’émergence de cette image : un cyclope, un vrai. Le monstre fait un fils, un petit cyclope déjà armé. Dans cette problématique trans- générationnelle il représente l’image de la violence qui passe à travers les générations.
Quand je montre cette image au père il est tellement ému qu’il se met à pleurer. Il s’est vu enfant, et il aurait pu faire exactement la même image à cette époque et il s’est demandé comment il était possible que son propre fils produise cette image agissante déjà dans sa propre enfance.
LA PLUS GRANDE COLÈRE JAMAIS VUE !
P. 14 ANS
Maintenant un ado, qui avait des problèmes d’épilepsie, avec des décharges pulsionnelles très importantes, qui vers la fin de sa cure en a assez de dessiner la colère et propose de représenter l’image de la violence la plus forte, « jamais représentée comme ça au cabinet », il pense qu’aucun autre patient ne pourra égaler son dessin.
Effectivement, avec lui il n’y aura plus de dessin de sa colère, suite à ce dessin définitif, il suffit de temps en temps de revenir sur lui pour continuer à élaborer l’origine de sa violence.
Ce dessin est affiché dans mon bureau.
UNE PHOBIE DU CLOWN : LE CAUCHEMAR DE SA PROPRE VIOLENCE.
T. 12 ANS
Dans une problématique d’actualité, la « phobie des clowns », il y a beaucoup d’enfants qui souffrent de la peur des clowns à Paris. Il y a une vidéo qui circule entre les jeunes et qui s’appelle « Le Clown Tueur » d’après un fait divers aux Etats-Unis. Fait divers dans lequel il y a eu trois ou quatre assassins déguisés en clowns et qui sortaient la nuit pour agresser ou tuer des gens, d’une façon très américaine. Dans des forêts, dans des rues ou dans des parcs, avec ce choc des images où le clown en tant que personnage universel est quelqu’un de gentil, qui d’un coup bascule en agresseur avec des haches ou de gros couteaux.
Ces vidéos sont accessibles sur YouTube et circulent entre les ados. Avant ils partageaient plus des images pornographiques et maintenant ils sont très friands de se faire peur avec des images d’horreur, notamment avec celles des « clowns tueurs ».
Ce patient qui a douze ans et qui vient pour une « phobie du clown » il pense sans cesse à ce personnage, il se sent poursuivi dans la rue par lui, ne peut pas dormir parce qu’il fait des cauchemars de clown tueur. L’objet phobique étant ce clown je lui demande de faire un dessin du clown qui l’embête tant, de le représenter sur la feuille blanche.
Il fait un clown, avec un visage très méchant, blanc, d’une pâleur de mort. Il travaille, avec crayons, couleurs, et de l’encre de Chine, et au bout d’un moment je lui fais remarquer qu’il n’a fait que la tête et qu’il pourrait faire le corps la prochaine fois.
La séance suivante voilà une surprise : c’est un clown tueur qui a un marteau, qui va tuer avec un marteau et c’est une représentation d’une extrême violence. C’est « comme cela qu’il lui apparait dans son cauchemar récurrent », me dit-il.
Comme cet enfant est grand, il demande l’autorisation de prendre la fléchette et il l’envoie sur le nez du clown.
Alors, revenons sur le « savoir inconscient », qui porte cette peinture sur la violence, il dira que « cette violence n’est pas la sienne mais celle du clown ». Or dans un autre entretien, sa mère explique que ce garçon est très violent verbalement avec elle, l’insultant avec des « gros mots » depuis quelque temps. A cette séance je lui propose de peindre un fond en rouge comme sa colère et ensuite d’écrire là tous les mots insultants qu’il dit à sa mère. Il écrit donc tous les mots, c’est comme une « encyclopédie de gros mots ».
En revenant sur sa propre colère surgit l’occasion de faire le lien avec sa peinture du clown et cette dernière. La colère qu’il ne peut pas énoncer, pas dire autrement que par les insultes et les crises autour des jeux vidéo.
Il demande que l’on cache à ses parents la feuille où sont inscrites ces insultes.
Plus tard dans une autre séance en présence du père, le dessin du clown lui est montré en accord avec T. Le père fait remarquer à son fils qu’il a dans sa chambre une photo de lui déguisé en clown, l’ado ne se le rappelle pas. A la séance suivante ils amènent la photo à ma demande, l’enfant avait trois anset pour son anniversaire il était déguisé en clown.
Je lui fais remarquer à sa grande surprise entendant mes propos du « combien il est formidable qu’à trois ans il soit déjà très en colère ».
Il a donc fallu chercher pourquoi, et on a trouvé : cet enfant tout petit, âgé de quelques mois, avait été « exilé » « délocalisé », chez ses grands-parents maternels pendant quelques mois, en raison d’une impossibilité de la mère de s’occuper de lui, mais sans « explications à posteriori », il avait perdu le lien à sa mère.
Cette première rupture sera suivie d’une autre à deux ans, juste avant ce fameux anniversaire pour faire des travaux à la maison. Ce sentiment d’abandon qui se répétait, de séparation précoce avec sa mère avec toute l’angoisse et désarroi qu’une telle situation peut produire, avait été étouffé par l’enfant, qui n’a pas manifesté avant la colère résultant de ce sentiment d’abandon par crainte d’être à nouveau laissé ou abandonné.
Cette violence retenue pendant des années a explosé dans une « phobie », suite à l’exposition par un camarade d’école, de la vidéo du « clown tueur » et à l’adolescence qui …
« pointe son nez ».
Un dernier dessin avant la fin de la cure de cet adolescent, il se représente avec le « grattoir » en clown, dans un fond « rouge de colère » avec deux ballons…comme à son anniversaire de deux ans. Fond rouge comme celui dans lequel il avait écrits avec ce « grattoir » tous les gros mots dit à sa mère.
APPEL AU PÈRE : CALMER LA JALOUSIE DU FRÈRE.
L. 10 ANS
Voici une autre image assez exceptionnelle faite par un garçon de dix ans qui souffre d’une jalousie maladive de son grand frère de seize ans qui le harcèle et l’insulte en lui disant qu’il n’accepte pas que son frère soit plus intelligent que lui. Tout ça le fragilise, et produit en lui un sentiment d’insécurité important.
Cet enfant va représenter après plusieurs séances d’expression plastique, le dîner en famille. D’abord « le dîner en famille » est fait avec minutie au coin gauche en haut de la feuille pendant au moins trois séances, tout en parlant de « son problème ».
Pendant les dîners, son frère l’insulte et les parents le tolèrent, en pensant que « c’est comme ça entre « frères ». Même s’ils trouvent, de temps en temps, que le grand frère « peut aller un peu fort », dans les insultes.
Regardons bien ce dessin, dans sa perspective, l’enfant nous « donne le dos », la mère se trouve derrière lui, c’est à dire, en face de lui. Les deux têtes sont superposées. Il semble que la mère soit en train de manger le fils, de l’avaler, et d’ailleurs il est certain qu’elle l’aime trop. Ce détail dit beaucoup sur la représentation inconsciente que cet enfant a de ce que lui reproche son frère. En fait son frère lui reproche que sa mère ne s’occupe que de lui.
On voit que le bord de la table, dans ce dessin du dîner, devient à la fois des bras, celui de droite s’approche du père, celui de gauche signale le frère qui l’insulte. On peut comprendre ceci comme un appel au père pour lui signaler un fois de plus la violence de son grand frère, qu’il vienne le calmer.
A ma question du comment cette violence l’affecte, de l’effet que ça lui fait à lui la violence de son frère, il répond que c’est un gouffre, que la maison disparaît, que les murs peuvent même tomber… Nous lui proposons de dessiner cela dans toute la partie blanche qui reste de la feuille. Voilà le résultat. Nous avons mis au travail de parole ce dessin avec l’enfant en présence aussi des deux parents. « L’appel au père » a beaucoup touché celui-ci, qui a commencé à intervenir à partir de là, pour calmer les déchaînements du grand frère, celui qui avait de grosses difficultés à l’école à différence de son petit frère.
SORTIR DU CAUCHEMAR DE LA JALOUSIE
D. 6 ANS.
Ce dessin a une dimension plus technique, avec une coupure directe faite sur la feuille.
D. est parti d’une série de dessins sur les cauchemars et la jalousie à l’égard de son petit frère. C’est un enfant de 6 ans en proie à des cauchemars très violents, qui finissent par des hurlements la nuit tard, changement de lit… Tout l’équilibre familial a été modifié par cela.
Le père doit dormir au salon sur le canapé, avec l’enfant, pour le rassurer, et la mère avec son petit frère pour un « problème de place dans l’appartement ».
L’intensité des cauchemars est à la mesure de sa jalousie !
Elle est très retenue, pas parlé, très cachée finalement. Et lui revient d’une façon hallucinée, les rideaux, les vêtements, les meubles de sa chambre-salon bougent, des monstres courent derrière lui dans ses rêves pour le dévorer…
Dans ce dessin on le voit étant dévoré par un rideau, et des monstres lui courent derrière.
L’intensité des ses propos et l’effroi que cet enfant manifeste, comme celle d’une jouissance de l’horreur qu’il manifeste, m’amènent à lui dire : « stop la jalousie est trop forte », on va faire que l’enfant s’échappe de son cauchemar.
Je prend un cutteur et je découpe le « bonhomme » qu’il a identifié comme étant lui et je le mets à côté de la scène du cauchemar :
Et là, c’est la première fois qu’on peut parler de la violence de sa jalousie, car il ne pouvait pas la « parler » avant. Comme si cet acte « symptomatique », de découper le dessin et d’éloigner sa propre représentation, avait permis de l’extraire de la jouissance de sa jalousie, pour la dire !
Cette séance marquera un tournant dans sa cure.
COMME LA PANTHÈRE : MA COLÈRE.
S. 5 ANS
Voici le dessin d’un tout petit de cinq ans qui pendant les entretiens n’arrêtait pas de jouer avec une panthère qui se trouve dans ma boîte à jouets. Quand je lui propose de peindre, il veut faire la panthère. Le motif de la consultation pour cet enfant est de mauvaises relations au sein de la famille entre lui qui n’obéit pas, fait des crises, crie, et ses parents qui lui donnent sans arrêt des ordres ou des punitions. En face de sa feuille blanche ce petit enfant a du mal à dessiner « sa » panthère et demande au thérapeute de la faire pour lui.
Donc, je me prête au jeu et je lui fais le dessin en faisant des commentaires tout en regardant la panthère seulement : « elle est en colère cette panthère… »
L’enfant va peindre cette panthère et comme on ne voit pas bien qu’elle est en colère je propose de mettre du rouge. C’est l’accentuation de la sensation de colère.
Après ce premier dessin il va en faire un autre, seul et il met du noir, il met du rouge, je fais son visage qu’il attaque en déchirant le papier avec un grattoir.
A la séance suivante il veut faire de même, je fais son visage avec les couleurs de la colère et là il me demande de mettre « la tête de mort ». Il s’agit d’un objet modelé par un autre enfant, qui fait partie de la collection permanente du cabinet et qui est sur une des étagères.
On finit par donner un sens aux couleurs, le rouge pour la colère, le noir pour la mort, la colère amène à la mort.
A la séance suivante des lettres apparaissent sur son dessin qui veulent dire « énervé » : il commence la symbolisation de sa violence.
Puis il se met à peindre avec deux gros pinceaux, un dans chaque main, qui représentent les deux parents contre lesquels il est en colère.
A la fin il demandera que je dessine sa tête qui sourit. A la maison ça va beaucoup mieux, il est devenu plus gentil. Sur son tout dernier dessin, il attaque les bords de la feuille, il n’attaque plus sa figure. Il fait comme une balafre qui m’interroge :
Est-ce une violence de lui-même contre lui-même après avoir sorti la violence contre les deux parents ?
Quand je lui demande ce que c’est, il répond : « on m’a griffé, quand j’étais petit, à la crèche on m’a griffé. »
Quand on parle avec la mère à la fin de la séance je demande si un enfant l’a attaqué quand il était petit, elle ne se rappelle pas. Alors l’enfant va prendre un morceau de papier, le trempe dans le rouge de la peinture et revient en disant : « c’était comme ça, ça saignait comme ça ! », la mère l’entend.
On est passé ici à une autre dynamique, après avoir exprimé sa colère contre ses parents persécuteurs, l’enfant peut exprimer de la colère face à d’autres.
TOUJOURS FÂCHÉE AVEC LES PARENTS.
M. 11 ANS
Ici il s’agit d’une fille de 11 ans, elle est en colère, elle crie à la maison à n’importe quelle occasion. Quand elle vient en consultation avec ses parents plutôt jeunes, elle est très coincée et s’exprime peu. Elle demande ce qu’elle va faire et je lui réponds qu’elle peut faire ce qu’elle veut, ce qui l’étonne. Elle demande de quelle couleur est la colère, la réponse est automatique « c’est rouge et noir ». Je lui dis, tu prends les deux couleurs et tu fais ce que tu veux. Et donc elle va faire ça, un trait comme ça, une sorte de parcours en noir. Et d’un seul coup elle commence un peu à s’énerver, elle met des traits rouges rapides et c’est tout.
Elle me dit « bon voilà ». Je lui fais remarquer que c’est intéressant, qu’il y a un parcours, un labyrinthe, un enfermement, que je vois des choses. Dans les taches rouges je vois un personnage et un autre personnage assez grands dont les têtes sont un peu détachées et deux petits personnages à côté toujours en rouge.
La fillette se défend d’avoir fait cela, alors avec du noir on va contourner les taches rouges pour essayer de retrouver les personnages, c’est la figuration de la violence que l’on accomplit. Et effectivement on retrouve le papa, la maman et les deux enfants, proches de la maman. Dans les entretiens cliniques il était apparu un père un peu rigide, voulant mettre des règles et une mère un peu plus souple. La fillette se plaint d’ailleurs du manque de cadre à la maison, « on ne sait jamais à quelle heure on va manger ». Elle dit « ils ont perdu la tête, on n’arrive pas à s’organiser, à prévoir des choses le week-end, rien n’est organisé, jamais ».
La fois suivante je lui demande de représenter cette colère contre ses parents que nous avons identifiée ensemble, elle va fait ça :
Elle parle de l’électricité de la colère, elle fait un éclair. Et c’est très intéressant car il apparaît là un savoir inconscient avec un jeu des couleurs rouge et bleu sur les personnages qui se répondent en miroir inversé.
C’est significatif du fait que lorsqu’un enfant est en colère contre ses parents, la seule chose qu’il veut c’est renouer le lien avec ses parents. Donc je lui dis qu’il y a quelque chose en elle qui la différencie de ses parents, c’est ce qui alimente sa colère, quelque chose qui lui fait tout casser, peut-être même partir en internat. Mais en même temps elle porte bien « les couleurs » des parents. Elle les porte à sa façon comme une adolescente qui respecte ses parents mais sa manière à elle de porter les couleurs de la famille doit aussi être respectée par ses parents.
En voyant ce dessin le père s’set exclamé qu’ « elle avait le droit d’être différente », il l’a autorisée même à être elle-même.
« LE PETIT » PAS CONTENT.
F. 6 ANS
Rapidement, voici le dessin d’un garçon qui avait 4 ans quand je l’ai rencontré, il a des grands frères beaucoup plus âgés. Aujourd’hui il a 6 ans, on continue à l’appeler « le petit » ce qu’il ne supporte pas. Il fait ce dessin d’un serpent qui attaque une dame, qui la perce. Il représente sa colère contre sa mère qui l’appelle « mon petit ».
C’est dessin donnera lieu à toute une série sur l’ambiguïté aussi en lui de rester « petit » et du comment se séparer de sa mère pour devenir « grand ».
« LA COLÈRE EST DANS LE CACA »
J. 3 ANS
Un autre grand souci des cliniciens est l’encoprésie, tout le problème autour des excréments avec les enfants de 2 à 5 ans, c’est souvent lié à un problème avec la colère. Alors soit l’enfant fait caca à l’école dans sa culotte, soit il en met partout, soit il se retient.
Face à ce type de tableau clinique on peut obtenir des dessins où la colère s’est mêlée avec le caca. Les parents interrogent sur ce que la colère vient faire là, du comment la sortir de là.
La colère « se mêle » au caca et perturbe une fonction biologique, mais à la fois l’exprime.
« Je vous emmerde » semble dire l’enfant, avec le pipi au lit, nous trouvant que la question du caca est fortement liée à l’énonciation des insultes, des « gros mots », par le corps.
Voici la représentation d’un tout petit, qui n’a même pas 3 ans, qui en ayant entendu cette question du caca mêlé à la colère, fait ce dessin qui va ouvrir tout le travail thérapeutique.
Du moment qui l’enfant fait le lien caca-colère, des gros mots et différents insultes surgissent dans sa parole, souvent ne sont que les « signifiants », que les mots, sans le « signifié », qu’il méconnait.
Une possibilité apparaît de délier le biologique de la violence, les accidents avec le caca « arrêtent ».
« LA MAÎTRESSE A HURLÉ AUX ENFANTS »
D. 10 ANS
Un autre sujet d’actualité, c’est les enfants confrontés à des adultes qui hurlent, notamment parents ou les maîtresses : voici le dessin d’une enfant de 10 ans qui, lorsqu’elle avait 6 ans se trouvait « paralysée » à l’école par une maîtresse qui criait sur les autres enfants. Attendant sont tour qui ne vient jamais, puisqu’elle était une « enfant sage ».
C’est l’attente dans la peur d’être « la prochaine » à subir la violence de sa maîtresse et le fait de ne plus supporter ces cris, qui l’ont fragilisé et ont déclenché une sorte d’anorexie infantile très compliquée. Elle se dévitalise de l’intérieur en étant mentalement les cris de la maîtresse.
Je lui ai demandé de représenter cette maîtresse qui hurle sur les enfants et rend impossible son travail en classe. De la « sortir de sa tête », avant de pouvoir suivre un travail sur la nourriture, son amaigrissement et sur la fragilité dans laquelle cette expérience de violence psychique l’avait plongée.
« JE NE VEUX PLUS VIVRE »
A. 11 ANS.
Voici le cas d’un garçon qui arrive à la consultation très en colère et qui me dit : « je ne veux plus vivre ». C’est très impressionnant d’entendre cela, très touchant. Il a 11 ans, ses parents ont était soignés pour des troubles psychiques importants tous les deux, son père est bien stabilisé mais c’est encore assez compliqué pour sa mère.
La famille est séparée depuis un an et cet enfant et sa sœur vivent en foyer. Lui, il sort d’un monde confus, avec un certain retard, malgré tout à l’école où il est en internat il se débrouille assez bien. Il essaye de s’en sortir mais c’est très dur.
Je lui dis simplement « tu fais un bonhomme ». Je ne lui demande pas de se dessiner lui-même avec cette colère qui l’amène vers la mort, mais simplement un bonhomme au crayon que je repasse à l’encre de Chine. On peut dire qu’il est dans le style « L’Art Brut », c’est-à dire dans la représentation psychologique. Vous savez que l’Art Brut c’est très important, et donc cet enfant du moment qu’il représente ses difficultés, il ne fait que ça, des peintures très proches des artistes adultes de l’Art Brut. Alors je lui dis que j’aime beaucoup ses représentations, pour le rassurer et parce que la qualité expressive est forte.
Cependant, il s’aperçoit bien que son graphisme n’est pas le même des autres enfants de son âge. Très vite, très vite, il attaque l’image faite, il lui fait des balafres, la bouche est cousue.
Il attaque, je ne dis rien, silence. Il prend de lui-même du rouge, et lentement il tape.
Je lui dis : « tu sais, tu t’es senti débile, n’est pas ? », comme je le connais bien je peux lui dire cela, c’est un patient ancien. Il répond « oui ».
Je lui demande : « quand ? ce matin ? cette après-midi ? », « A quel moment ? tu étais avec les autres à l’internat ? »
Il répond que oui , il est un nul , il est un débile, en pointant le dessin…
Alors je lui dis, « écoute tu n’es pas débile », et là , en face de son image, je lui fais le grand récit de ce que nous avons travaillé ensemble : les difficultés de ses parents, les difficultés familiales énormes dans lesquelles il a grandi, il n’est pas un débile, il est en retard par cette situation et ce retard il va devoir le rattraper, se mettre au travail à l’école et à la maison.
Il s’est complètement apaisé.
LE SILENCE DE LA VIOLENCEPSYCHIQUE.
Y. 15 ANS
Un adolescent, il a des violences silencieuses, des passages à l’acte, ce qui est compliqué.
Il a 15 ans, il arrive d’un pays anglophone et a dû quitter son milieu de vie et son milieu scolaire.
Sa mère Française a quitté son père là bas. Ne parlant pas français, il a dû être déscolarisé pendant deux ans, car il ne supportait pas les exigences de l’école française.
Je l’ai accompagné à ce moment là, et par mon insistance il a intégré une école anglo-saxonne à Paris, seule condition pour qu’il s’en sorte.
Il s’est représenté souvent masqué, la question du masque, de quelqu’un qui ne parle pas, qui est dans son coin, dans l’enfermement. Au bout d’un moment regardez ce qui commence à sortir, voyez, c’est la neige, le silence total. Pendant qu’il fait son dessin il ouvre plusieurs fois son téléphone en cachette et semble chercher.
Je lui demande ce qu’il fait, il répond qu’il a préparé la séance en cherchant des images par avance. Je lui demande de continuer à le faire et donc là, c’est quand même très violent, on voit des pas ensanglantés et je lui demande ce qui s’est passé :
« ah, il a tué… avec ça, avec cette hache… »
Je demande si on a tué quelqu’un, il me regarde en hésitant et puis il dit que non, c’était un renard. Mais on ne voit pas ce renard, à part quelque chose qu’il dit être la queue du renard.
A la séance suivante, cette chose qu’il n’a pas voulu me dire, qu’il a camouflée avec le renard, va être amenée. D’abord il refait la neige, la cabane, un paysage canadien, et puis :
Il prend la couleur rouge et… je suis très impressionné, très touché pas cette image qui se répète. Devant son silence, je lui demande ce qui s’est passé : « euh, pas grand chose… ». J’insiste, « il faut qu’on avance »… combien « ils » étaient ?... « deux ».
« Il y en a un qui est sorti, vivant, blessé, l’autre est mort ». Je questionne : « et ça c’est le sang du mort qui coule, et il marche dedans ? » « Oui, c’est ça ». Je lui dis que quand même c’est une « grosse bagarre », il répond : « oui c’est ça ».
Alors voyez là, dans ce « face à face » entre le thérapeute et l’adolescent, il y a aussi la violence de l’adolescent qui commence à émerger par le transfert, après presque 2 ans de thérapie !
La séance suivante, il représente toujours le personnage masqué, mais déjà le masque est plus proche du visage plus collé à lui-même.
Il n’est plus dans la représentation sociale comme il était avant mais il y a quelque chose de sa colère et de sa tristesse à lui qui commence à s’inscrire dans le masque qu’il porte. Il va pouvoir commencer à parler cette colère et ça me suffit largement pour l’instant.
HARCÈLEMENT À L’ÉCOLE
K. 16 ANS
Harcèlement à l’école, je passe vite : c’est une adolescente, cette image représentée à l’encre de chine est une image qui guérit.
Elle est une vraie victime de harcèlement scolaire, avec dépression, phobie scolaire, arrêt des études, j’ai dû proposer l’hospitalisation dans un service d’adolescents. Mais au moment où elle représente cela, avec les mentions « tu es nulle, tu es maigre, tu es moche » dites par le groupe de six élèves qui l’entouraient de façon très violente en l’insultant, elle explique que, à ce moment-là, elle pensait à son père, à sa mère et aux livres dans lesquels elle se réfugie.
Elle se sent exclue de tout, à part de la lecture mais elle a gardé un lien, le lien aux parents.
LA VOIX DES ANCÊTRES DANS LES CRIS DE SA MÈRE.
P. 13 ANS
Un garçon pré-ado, d’origine franco-vietnamienne, la mère hurle sur l’enfant.
Je dis à l’enfant que sa mère est impressionnante quand elle lui parle des choses qu’il doit respecter et quand elle crie à la maison, c’est comme si « elle y avait quelqu’un d’autre à l’intérieur de sa voix ». C’est une dame qui fait très asiatique, fière comme « la lame d’un couteau » qui exige de se tenir correctement, de travailler, comme au Vietnam.
Alors regardez cette représentation extraordinaire : les cris qui « rendent fou » ce garçon, comme il dit, comme ses parents rentrent tard après le travail tous les jours et qu’il n’aime pas rester seul à la maison, il va se balader après l’école au lieu de rentrer et travailler à la maison. Ce qui engendre systématiquement les cris maternels. Or ce qui l’empêche de rentrer à la maison ce sont justement ces voix, ce sont des voix qui viennent de loin, à travers les générations puisque la mère elle-même a subi des injonctions terribles pendant la guerre du Vietnam alors qu’elle était enfant. Or il faut qu’elle réalise que son enfant n’est pas vietnamien, il est franco-vietnamien, il est à Paris et non à Saïgon, c’est « un Parisien ».
Il s’agit d’une répétition de la pulsion de mort, la pulsion de mort trans-générationnelle qui se répète comme cela, à travers la parole, de la voix, cet enfant est littéralement bombardé de cris, on lui fait la guerre, pour qu’il obéisse un jour.
« IL FAUT TOUCHER LE POINT OBSCUR DE MON REFUS DES AUTRES »
H. 12 ANS
Là c’est un patient qui est revenu, parce qu’il ne donne pas la place aux autres, c’est un surdoué. Il doit toujours parler, répondre à tout, il ne laisse pas parler les autres à l’école et dans la vie quotidienne.
Je lui dis : « mais tu es fils unique, n’oublie pas que tu es fils unique, la fraternité doit te manquer ». Ah ? Il est surpris, comme la devise de la France « Liberté-Égalité-Fraternité » ? On met au travail cela.
Il me demande la fléchette puisqu’il a grandi, je l’ai rencontré la première fois quand il était petit, je dis « d’accord mais tu vas d’abord faire une représentation sur la question de savoir ce que tu n’acceptes pas chez les autres ». Il fait une sorte de cible mais son explication (il est un vrai surdoué), va bien au-delà : « j’ai mis un point noir pour signifier tout ce que je ne vois pas quand j’annule les autres, c’est un peu ma colère mais c’est pas si important que ça ».
« En fait, il faut que j’arrive à toucher le côté obscur quand j’exclus les autres ». Voyez, c’est formidable, et au cours de la séance il a mis la fléchette au centre, dans le point noir. Et là je lui ai demandé ce qui l’empêchait d’accepter les autres.
Et de là il a commencé à en dire des choses pertinentes sur sa difficulté de donner une place aux autres enfants.
« C’EST LE VERT QUI CALME LA COLÈRE ! »
R. 3 ANS
Un point important, voyez le noir et le rouge dans ce dessin d’un enfant de 3 ans, toujours avec cette méthode de représenter l’enfant fâché en traçant le portrait de l’enfant fâché avec un « giratoire ». Après avoir fait son dessin et mis ces couleurs, l’enfant me regarde et dit : « tu sais, c’est la couleur verte qui calme la colère. J’adore le vert. »
Alors il prend la couleur verte et commence à encercler la tête de l’enfant fâché c’est comme une sorte de résolution « magique » de sa colère.
Je lui dis que oui, peut-être la couleur verte c’est la vie, la nature, les plantes.
Il va complètement couvrir son dessin avec « ce vert ».
Puis il me demande de dessiner l’enfant content, ce que je fais et un rouge réapparait, mais plus atténué, presque rose. On évoque comment pourrait être la vie heureuse de l’enfant, sa vie à lui, réconcilié avec ses parents.
Ensuite je lui ai donné ce dessin roulé en présence de son père en demandant qu’il soit accroché dans sa chambre en lui disant qu’on avait fait un travail fabuleux ensemble mais que maintenant l’enfant fâché pouvait passer à autre chose.
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Voilà, je vous remercie pour votre attention. Je vous ai proposé ce dernier dessin pour terminer sur une note positive qui montre que l’enfant peut passer à autre chose.
EN CONCLUSION :
Dans le cadre thérapeutique, le dessin deviendra un « bouclier efficace » pour se séparer de la violence terroriste, psycho-sociale, ou de toute autre forme de violence, pour se séparer de cette transgression et ne plus être atteint par celle-ci. Nous pouvons extraire un enseignement de cette expérience avec les enfants victimes d’une part ou ceux qui sont affectés par toute violence, celui de l’importance de prendre en compte les images sensorielles, qui peuvent être silencieuses.
Ces métonymies qui sont associées à des sensations corporelles subies, et que nous nommons « un signifiant sensoriel », en tant que trace de la violence permettra aux enfants et aux adolescents qui viennent en consultation de créer un « fil rouge » pour la pister dans le dessin, dans la peinture ou dans le modelage.
Quand la cure se fait essentiellement par la parole comme dans le cas des adultes victimes de la violence, ces « signifiants sensoriels » qui sont les odeurs, les couleurs, les formes, les bruits et autres images sensorielles associés à la violence, sont souvent isolés dans la chaîne signifiante.
Par l’écoute de l’analyste, par ce travail de figuration, on peut les réactualiser et les faire émerger dans le dessin, pour permettre une « figuration fantasmatique », imagée, de ce qui fait souffrir le sujet, offrant la possibilité d’ouvrir une nouvelle parole sur la violence, celle de la couleur Verte, comme dans le dernière cas.
Je vous remercie.
Cl. RIVET : Merci beaucoup Fernando pour ce témoignage illustré de ce travail auprès des enfants qui est tout à fait passionnant, et nous montre comment le travail de liaison entre la projection de la violence à l’extérieur, qui fait écho à ce vécu intime de l’enfant, peut être élaboré dans un travail de figuration vraiment très intéressant.
QUESTIONS :
Salle : Bonjour, je voulais savoir pourquoi est-ce que vous intervenez sur les dessins des enfants, est-ce seulement à leur demande que vous le faites ou est-ce aussi pour leur renvoyer un regard extérieur ?
F. B. C. : Cette question est très importante parce que quand vous dites « les dessins des enfants », en fait ce n’est pas les dessins des enfants. Ce n’est pas le dessin de l’enfant mais c’est un « objet symptomatique » qui émerge dans le lien au thérapeute. On peut dire que c’est le produit de la rencontre thérapeutique. J’ai beaucoup théorisé et publié dans quelques articles autour de cette question-là et je préfère parler, au lieu de « médiation », je préfère parler d’« objet symptomatique » créé par le transfert au thérapeute, en me servant de l’approche psychanalytique. Ainsi cet objet, qui est un objet visuel, est issu de la rencontre thérapeutique. On peut imaginer deux anneaux, un peu comme le ferait Lacan, avec l’anneau qui représente le thérapeute et l’autre qui représente l’enfant, qui se croisent pour former un espace commun au milieu.
Et dans cet espace commun de la rencontre et de l’échange entre le thérapeute et l’enfant, apparaît cet objet qui est comme une formation de l’inconscient, comme un « lapsus ».
Cet « objet symptomatique » est autant celui de l’analyste que celui de l’enfant.
Le dessin est un objet qui appartient à la rencontre. Pour que la production de l’enfant devienne son dessin à lui, il va falloir le récupérer en le vidant du contenu de la rencontre. Ce dessin qui était aux deux, va devenir le sien après que je sois intervenu, comme une sorte de restitution du travail de symbolisation accomplie.
Pourquoi j’interviens comme cela, dans le cas du dessin avec le « grattoir » par exemple, j’appelle ça des interventions plastiques, différentes des interventions classiques en psychothérapie. En général je demande l’autorisation, je ne le fais pas non plus systématiquement.
Avec les tout petits enfants je peux aider à représenter l’enfant en colère et l’enfant va me dire « oui, c’est moi en colère ». J’attends que ce soit lui qui dise que cet enfant que j’ai représenté c’est lui.
Alors je considère ce dessin comme issu de la rencontre et je ne m’intéresse surtout à lui en tant que sa fonction de « objet » du cadre Psy.
Cl. RIVET : De toutes façons, la clinique avec l’enfant nécessite toujours qu’il y ait de l’autre pour l’aider à élaborer et construire sa question. Déjà Winnicott avait abordé cela, en posant que le rapport au langage chez l’enfant est différent de l’adulte et qu’il va élaborer ses questions différemment.
F. B. C. : Oui, Winnicott est une référence importante par rapport à ce travail avec les dessins, Il faisait un gribouillis et l’enfant prenait la suite. Mon travail est une extension de cette filiation.
Salle : Je voudrais faire part d’une constatation mais cette apparition sur la feuille blanche du noir puis du rouge et puis du vert que l’on voit apparaître, je me pose la question de savoir si c’est récurrent chez les enfants.
F. B. C. : Oui, alors c’est vrai que j’ai pris un pari un peu risqué, qui est d’isoler la problématique de la pulsion violente, en rapport avec des violences contemporaines. C’est-à-dire que, à l’intérieur de la cure d’un ado ou d’un enfant, il y a la colère et la violence qui arrivent, même si il n’y a pas que ça.
Dans le travail thérapeutique avec un enfant, à un moment donné il va y avoir l’apparition de la colère. Pour cette intervention j’ai isolé un peu cette question de la violence parce que derrière il y a la mort, la destruction de l’autre. Ce qui fait qu’on ne peut plus penser, que ce fond mortifère arrête la pensée.
Et donc comme je vous l’avais dit nous avons été confrontés à la couleur noire et rouge, c’est quelque chose qui s’est imposé à moi depuis des années. Personne n’a représenté la colère en bleu, par exemple. Est-ce une question culturelle ?
Nous avons tous entendu parler des « idées noires », du « rouge sang »… Le coléreux sent « bouillir » son sang… Et les enfants disent parfois qu’ils font leur « tête de tomate », ils font monter le sang au visage et ils le sentent bien parce que les enfants sont très corporels. J’insiste sur cette notion de corporel car l’Art-thérapie est très liée à la question du corps, c’est là que je viens prendre mon matériel clinique.
Dans le cas de la violence, le sang qui bout, qui monte au visage et les idées noires, sont inscrits culturellement dans le choix de ces deux couleurs qui s’imposent. Quand je demande de quelle couleur est la colère la réponse en général est ou l’une ou l’autre.
Selon le choix par l’enfant du noir ou du rouge ça marque une différence : celui qui dit « noir » marque que la mort est quelque part, la nuit et la mort.
Cl. RIVET : Je voulais ajouter à quel point tes interventions sont néanmoins articulées aussi à ce que l’enfant peut en dire lui-même du coup.
Salle : Merci beaucoup pour cet excellent exposé, j’ai beaucoup apprécié votre tact et votre finesse au niveau de vos interprétations. Je suis très attentive à ça et je trouve qu’il est très important de prendre le temps, d’aller doucement par petites touches.
F. B. C. : Absolument, parce que nous sommes là dans le monde de l’effraction possible.
Mes interventions ne peuvent pas être vécues comme cela car ce serait prendre le risque d’accentuer la violence déjà subie par l’enfant.
Donc effectivement cela demande une certaine sensibilité, une façon de s’adresser à l’enfant.
Mais cela fait aussi partie de l’expérience : je ne pourrais pas parler d’accueil ou d’écoute si je n’accueillais pas les représentations de l’enfant. Je ne peux pas me permettre de faire n’importe quoi bien sûr, je dois savoir où j’en suis avec l’enfant. D’autre part, et c’est ce que signalait Claude Rivet, tout cela s’inscrit dans la parole qui est entendue dans les entretiens cliniques avec les parents. Je les fais parler beaucoup autour de la problématique de leur enfant, de « ce qui les amène ». Et également dans le secret de la consultation avec l’enfant il y a ce que lui peut en dire. Ici le secret professionnel me permet de dire à l’enfant : « ce que tu fais et ce que tu dis ici je ne le dirai pas à tes parents car je ne travaille pas pour tes parents, je travaille pour toi ». Et j’ajoute même en plaisantant : « même si c’est tes parents qui payent c’est pour toi que je travaille ».
Il est bien entendu avec les parents, que je ne leur dirai pas ce que dira leur enfant dans nos entretiens thérapeutiques, mais par contre tout ce que les parents me transmettront par téléphone ou par mail, sera communiqué à l’enfant. Les enfants n’arrivent pas à croire cela mais je les informe de tous les échanges avec leurs parents, jusqu’au moindre SMS qui tombe, les parents savent alors ils n’envoient pas n’importe quoi non plus.
Tout cela fait partie du cadre.
Et l’image qui m’est venue avec la question des couleurs c’est qu’on écoute la plainte, la souffrance, la violence, car c’est cela qui vient dans la consultation bien sûr. Alors on se demande comment l’enfant va transformer tout ce qui a été dit en présence du psychanalyste en couleurs, en dessins, en formes.
C’est cela l’idée : voilà, si on peut en parler on parle comme dans une thérapie classique basée sur l’échange verbal, mais quand on commence à se confronter à cette question de « on ne peut pas parler », quand la parole échoue, et qu’on ne peut pas se confier alors vient la pertinence de l’Art-thérapie et de la représentation par la peinture. Ou même du modelage qui engage encore plus le corps.
Cette proposition de transformer tout ça en images, en couleurs, est très bien reçue par l’enfant parce que c’est le langage dans lequel il est lui, dans sa tête. Les enfants sont beaucoup ainsi, dans l’imaginaire et donc quand vous donnez un support à leur imaginaire ils s’engouffrent dedans et ils sortent tout. Et à ce moment-là l’idée c’est d’ensuite pouvoir les sortir de cette image, c’est-à-dire qu’ils puissent reprendre la couleur verte et ne pas rester engouffré dans le noir, d’une sorte de jouissance. Cela ne m’intéresse pas qu’ils restent trop longtemps là-dedans.
Cl. RIVET : 0n pourrait jouer de l’équivoque du « ver » du fruit qui se construit, s’élabore en symptôme...
Salle : Je voulais vous interroger à propos de métaphores que j’ai notées, je ne sais pas si ce sont vraiment des métaphores pour vous, quand vous avez dit « faire face » et quand vous avez utilisé le mot de « bouclier » et de « faire autre chose ». Pour moi il s’agit de la métaphore du processus thérapeutique de transformation mais ma question c’est pourquoi cette image de « bouclier », il y a là quelque chose de guerrier, d’agressif.
F. B. C. : Je vous remercie pour cette question, oui c’est très important, parce que le « bouclier » c’est le mot d’un enfant victime du terrorisme, dont je dis que c’est lui qui m’a appris à faire du dessin un « bouclier » contre la violence, pour faire face à la violence. Vous trouverez ce travail dans ma conférence du 5 Mai 2016 à l’EPhEP qui est disponible sur internet (ephep.com).
Et j’insiste sur cette question-là à propos de cet enfant : c’est un enfant qui a fait un dessin le lundi suite aux attentats à Paris, dans une école du 11ème arrondissement, lequel était saccagé.
La maîtresse d’école, croyant bien faire, a encouragé les enfants à s’exprimer sur « les événements » et elle leur a demandé de faire un dessin qu’ils iraient ensuite poser dans un restaurant pris pour cible qui se trouvait près de l’école, je ne sais pas si c’était « Le Petit Cambodge » ou « L’Échappée Belle » qui sont juste en face l’un de l’autre. Alors cet enfant s’est mis à faire son dessin, avec les autres gamins et la maîtresse, ils sont sortis avec leurs dessins qu’ils ont déposés dans la tristesse au milieu des fleurs en hommage aux victimes. Ce lundi-là chacun a déposé son dessin. Quelque temps après, environ deux ou trois semaines après la maîtresse annonce une bonne nouvelle en disant que les dessins et notamment celui de cet enfant-là qui était tellement bien ne sont plus au restaurant mais à la Bibliothèque de France François Mitterrand. En effet des archivistes, des archéologues ont récupéré tous les documents pour les numériser, faire un gros travail de récupération, pour préserver ce matériel.
A ce moment-là l’enfant s’effondre en classe, il se met à pleurer, c’est la crise. Les parents sont appelés, la maîtresse est bouleversée et se demande ce qu’elle a dit ou fait, elle s’excuse.
Les parents récupèrent l’enfant qui n’arrête pas de pleurer pendant deux jours. Donc il vient en consultation, lui toujours en pleurant, le visage gonflé. Je reste seul avec, qui me raconte cette anecdote et je lui dis : « Ah ? C’est bien parce que moi j’aime bien les dessins d’enfants et tu vas pouvoir refaire ton dessin, mais en plus grand ». J’ajoute qu’il a raison de pleurer parce que son dessin n’est pas dans le lieu où il faut qu’il soit. Le dessin devait être là où il pouvait remplir une fonction, on a enlevé le dessin de son lieu, il est devenu objet des intellectuels et des chercheurs, il a perdu sa fonction, donc l’enfant s’est effondré !
Cela m’a beaucoup intéressé cette histoire : en lui restituant son dessin l’enfant s’est arrêté de pleurer et on a pu voir ce qui l’avait affecté avec cette situation et comment cela avait touché en lui une autre sphère de sa vie.
Sur ce dessin, c’est très intéressant, on voit la représentation de la Liberté et le Drapeau.
Le mot Liberté est représenté pour empêcher les terroristes de faire plus de dégâts et en définitive, c’est un « bouclier » en forme de drapeau entre l’enfant et ces terroristes qui ne peuvent pas passer de l’autre côté dans lequel on voit les victimes, certains handicapés en chaise roulante, des morts, vigie-pirate et l’armée. Tout le discours que l’on connaît en lien à ces attentats. Et au milieu de ce dessin, ce « bouclier » qui fait face à la violence et donc ce qui fait face à la violence, c’est le dessin lui-même, ce qui fait que l’enfant arrête de pleurer.
Quand le dessin ne remplit pas sa fonction de « bouclier », de rempart, l’effraction de la violence recommence et l’enfant s’effondre.
C’est donc cet enfant qui m’a appris à penser le dessin comme un possible « rempart » à la violence.
Cl. RIVET : Est-ce que cela pourrait être aussi le fait de la différence qu’il y a entre produire un dessin dans le social ou le privé et le fait de le faire dans le cadre thérapeutique avec un analyste. C’est-à-dire cela ne va pas avoir le même effet d’élaboration. Car le fait qu’il travaille cette défense dans le cadre d’un travail thérapeutique, la fonction de bouclier ne collera plus au dessin lui-même. Alors il pourra lâcher son dessin.
F. B. C : Bien sûr et c’est d’ailleurs ce bouclier qui permet d’élaborer les effets de la violence. Vous savez que l’on disait toujours : « on ne tue pas quelqu’un en photo », vous connaissez cette expression, on peut attaquer la photo et celui qui est représenté ne va pas tomber, mais il y a quelque chose comme ça du côté de ce dessin-là.
La question du « Bouclier » doit aussi être prise donc, comme un rempart à la pulsion, au« passage à l’acte ».Le problème de la pulsion c’est quand elle n’est pas représentée, quand elle est brute. Si la violence et sa représentation où cela cogne, tue, détruit, peuvent trouver un relai psychique par l’image, si on peut visualiser l’ennemi, c’est-à-dire si on commence à y penser, alors déjà la charge pulsionnelle diminue, et cela pour toute pulsion, soit sexuelle ou pas sexuelle, et notamment celle de la violence.
Il y a un besoin du psychisme de pouvoir se le représenter pour atténuer l’intensité de la pulsion. L’éducation c’est cela, quand je disais qu’il y a une fonction civilisatrice de l’éducation, c’est bien de donner des représentations culturelles et sociales pour que à la fin « on n’embête pas l’autre ». Cette idée de ne pas faire à l’autre ce qu’on ne voudrait pas qu’il nous fasse, est quelque chose qui vient atténuer cette pulsion violente qui est de plus en plus présente dans la société.
Je vois qu’il n’y a plus de question nous allons donc nous arrêter là et nous ferons pour certains d’entre vous ce séminaire atelier cet après-midi de mise en situation directe pour que vous arriviez vous-même à vivre cela. Arrivez sans Bouclier, c’est mieux…
Cl. RIVET : Merci beaucoup Fernando.
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