Novembre 2015
Y a-t-il une différence entre le cerveau d'un homme et celui d'une femme ?
C'est en interrogeant la science et la psychanalyse que nous tenterons de répondre à ce questionnement. Ainsi la neurologie répond au niveau du fonctionnement de l'organe, la psychanalyse, au niveau des comportements très complexes qui se constituent pendant la petite enfance et permettent une sexuation spécifique de l'enfant fille et garçon au moment de la castration symbolique.
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La possible différence d'un cerveau masculin et féminin agite les chercheurs et fait débat depuis ... cent cinquante ans. Une des premières théories sur le sujet a été émise par Paul Broca ((1824-1880) : La femme étant plus petite que l'homme et le poids variant avec la taille, on s'est demandé si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse de son corps.....Pourtant il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l'homme ; différence qu'on a pu exagérer, mais qui n'en est pas moins réelle.[1]
De l'eau a coulé sous les ponts depuis Paul Broca. L'intelligence n'est plus la référence unique qui détermine la différence entre un cerveau d'homme et un de femme. D'ailleurs qu'est-ce qu'on appelle "intelligence" ? La faculté à résoudre des problèmes inconnus grâce à la façon dont la matière blanche et la matière grise, ensemble, organisent les informations.[2] Elle regrouperait des compétences très diverses comme : la dextérité et l'habileté physique, les capacités à s'exprimer à l'oral comme à l'écrit, le raisonnement concret ou abstrait, l'aisance dans les domaines scientifiques, le comportement en société ......un ensemble de qualités sociales[3]. Il faut aussi tenir compte des fonctions cognitives telles qu'entre autres, la mémoire, l'attention, la concentration .... De même que des capacités de perception et de motricité. Encore faut-il agir son intelligence ! Penser agir ne suffit pas.
Tous les neuroscientifiques actuels s'accordent sur un point : la performance du cerveau n'est pas liée à la quantité de neurones qu'il contient mais à la qualité de ses connexions les synapses et même le poids induisant le volume n'est pas un critère pertinent : un cerveau d'homme pèse en moyenne 1 350 g, celui d'une femme 1 144 g !! et celui d'Albert Einstein 1 230 g.[4]
Alors ? Il existerait quand même des différences biologiques entre le cerveau d'un homme et celui d'une femme ! Les seules preuves formelles sont étayées par deux faits avérés :
- le cerveau des garçons est de 8 à 11 % plus volumineux que celui des filles, proportionnellement à leur taille
- le cerveau des filles achève sa croissance un à deux ans plus tôt que celui des garçons, car elles entrent plus tôt dans la puberté [5].
Ce fait est dû au contrôle par le cerveau des fonctions reproductives de la femme par l'hypothalamus qui montre une activité cyclique pour induire son ovulation.
Et cependant, les vieilles croyances ont du mal a disparaître. En particulier celles concernant les mathématiques : les hommes seraient meilleurs en mathématiques que les filles, donc de meilleurs scientifiques ? Ces croyances ont une terrible influence sur la scolarité des filles.[6]
H. GARDNER, Professeur à l'université de Harvard et père de la théorie des intelligences multiples, ajoute : en trente ans les différences garçons- filles en mathématiques ont été effacées. Il est démontré que cela n'a rien à voir avec le cerveau, ni les gènes, mais avec la qualité de l'enseignement........et le changement de perception que les filles ont d'elles-mêmes.
De même des tests ont été effectués par les universités de Florence et de Chicago, auprès d'étudiants de 15 ans dans 40 pays différents et les organisateurs se sont aperçus que les résultats étaient corrélés en fonction du degré d'émancipation des femmes.
Une autre étude réalisée en décembre 2011 conclut : le succès en maths augmente en même temps que l'égalité entre les sexes.....Ces études majeures internationales suggèrent fortement que le fossé entre les sexes, pour les mathématiques, est dû aux facteurs socio-culturels (c'est-à-dire les acquis : l'éducation, l'apprentissage, l'environnement sociétal... ..) et aux préjugés.[7]
Les mêmes croyances persistent encore en ce qui concerne, chez les femmes, leurs performances quant à leurs aptitudes d'orientation spatiale, comme distinguer sa droite de sa gauche. Exemple : en voiture, une femme est supposée mettre le clignotant de Droite pour tourner à G et vice-versa, elle ne saurait pas non plus lire les cartes routières.......Les assurances par contre les confortent puisqu'elles leur reconnaissent moins d'accidents que les hommes.
Les différences que l'on peut remarquer entre les hommes et les femmes ne relèvent donc pas du biologique, de l'inné, même si les hormones (différentes selon le sexe) baignent tout notre corps ; il est très difficile d'évaluer leur influence car la force de l'environnement est très puissante chez nous [8]. En effet la force de l'éducation, les attentes parentales et sociétales font que les garçons et les filles ne développent pas les mêmes câblages neuronaux. N'entend-t-on pas encore dire de nos jours qu'un garçon ne doit pas pleurer !
Il est clair que l'interaction avec l'environnement modèle le cerveau dès l'enfance, même dès les premiers jours. Elle induit des différences de fonctionnement et probablement à terme, des différences de comportement : on a montré que garçons et filles sont portés, bercés éloignés de la mère différemment. Tout cela forge le cerveau de manière différente, sans même que les parents en aient conscience.[9]
Ainsi chacun a pu remarquer que le comportement d'un homme pouvait être différent de celui d'une femme, en dehors du domaine de l'intelligence. Un exemple : celui de l'assurance que peut souvent montrer un homme par rapport à une femme : un homme semble en effet plus sûr de lui qu'une femme. Une femme lui demande également souvent de faire montre de son assurance. C'est un homme que diable ! Qu'il le montre ! Pourquoi cette différence ? Est-ce de l'inné, de l'acquis ?
Notre cerveau pourra-t-il jamais percer entièrement ses propres mystères ? .....Il faudrait que la conscience puisse s'en extraire pour l'observer du dehors. Mais la conscience est-elle un produit du cerveau ou constitue-t-elle un état du réel en soi que le cerveau ne ferait que capter et que nous pourrions isoler de nos neurones ?[10]
La découverte de la plasticité neuronale par les spécialistes du cerveau ouvre un large boulevard à la recherche : en peu de temps, sous l'influence d'émotions, d'images, de pensées, d'actions diverses .... de nouveaux neurones peuvent se développer, et multiplier nos synapses.......l'ensemble de notre cerveau peut entièrement se réorganiser.....[11]Mais la science
peut-elle faire que le comportement d'un homme soit identique à celui d'une femme ? Car quid de l'inconscient ?
Que dit la psychanalyse ?
Il faut d'abord poser comme préambule que la psychanalyse ne s'occupe pas de l'organe "cerveau". Elle traite de l'inconscient, c'est-à-dire du langage dont il en est la condition même. Dans les paroles que nous prononçons l'inconscient se manifeste, comme dans les lapsus, les métaphores..... Ceci pour dire que le réel du corps n'est pas ce qui compte, la preuve en est que la petite fille se sent manquante (d'un sexe), alors qu'elle ne manque de rien, son sexe est interne.
C'est très important à souligner pour éviter ce qui semble se préparer à l'heure actuelle, dans le but d'imposer la parité, que garçons et filles seraient possiblement interchangeables : un garçon = une fille. Sur la valeur "intelligence", c'est vrai : leur cerveau fonctionne de la même façon, mais pas leur inconscient, car la différence des sexes n'y est pas inscrite. C'est le même signifiant qui compte, le phallus.
Par ailleurs nous verrons plus loin que le fils est dans la filiation directe du père, pas la fille. La castration les "dirige" dans deux espaces différents qui impriment deux jouissances différentes, la jouissance phallique pour les garçons et la jouissance Autre, supplémentaire, pour les filles, donc deux comportements psychiques différents. Pour l'instant, c'est-à-dire pour notre époque. Mais la quasi disparition du "Nom-du-Père", instance symbolique, peut changer cela.
La castration est donc une opération symbolique qui façonne psychiquement le petit garçon et la petite fille, sans que l'un ou l'autre sache bien ce qui se passe. C'est le moment des identifications, l'identité sexuelle homme ou femme.
C'est ce que nous allons voir ci-dessous.
Tout se concocte donc entre 2 1/2 ans et 5 ou 6 ans, de l'entrée dans d'Oedipe jusqu'à la castration.
Tout un chacun connaît la différence sexuelle anatomique entre un homme et une femme : l'un possède un pénis, l'autre pas. Mais cette différence sexuelle ne se remarque que peu à peu chez les enfants car ils pensent d'abord que tous les humains, père et mère, ont un organe sexuel identique, mâle. La fille est introduite au complexe d'oedipe par le complexe de castration (elle se sent "castrée": elle est privée d'un appendice) alors que c'est l'angoisse de castration (il a peur d'être castré) qui permettra au garçon de sortir de l'oedipe. Remarquons que Lacan parle plutôt de castration que de complexe de castration.
Le partage des parlêtres se fait entre ceux qui de droit sont reconnus phalliques et celles qui (se trouveront) au lieu de l'Autre (et qui) auront à se dévouer pour faire reconnaître leur phallicisme.[12]
Ce n'est pas le pénis qui est en jeu dans la castration, mais le phallus en tant qu'objet imaginaire qui deviendra symbolique quand il fera office de fonction phallique..
Voyons le cheminement vers la castration selon Freud puis Lacan.
1 - FREUD
Le complexe d'oedipe est repris par Freud des tragédies du Grec Sophocle Le mythe d'Oedipe, environ - 430 et Oedipe Roi, - 401 av. J.C, en référence à Oedipe, fils du roi de Thèbes, qui tua son père et épousa sa mère, un parricide et un inceste commis sans connaissance de sa filiation.
Par analogie, Freud comprit, à son sujet, plus tard, que c'était des sentiments d'amour qu'il avait éprouvés, étant enfant, envers sa mère et de jalousie envers son père, ce qu'il décrit dans une lettre à Fliess en 1897, lettre qu'il précisera en 1925 : Tout individu a connu cette phase mais l'a refoulée.[13]
Cependant son histoire familiale explique-t-elle ce choix mythique ? Il n'a cessé de se débattre avec la question du père et de son meurtre comme sacrifice premier[14]......Ce qui semble l'avoir guidé c'est de ne pas identifier la psychanalyse naissante à la question juive et le complexe d'oedipe (Grec) est une façon de contourner la difficulté.[15]
Dans le cadre de sa théorie de la libido, l'énergie psychique des pulsions sexuelles[16], qu'il développe dans Les trois essais sur la théorie sexuelle (1905) et ses écrits suivants, Freud utilise la notion de "stade" du développement de l'enfant, notion commune à cette époque à la biologie évolutionniste, à la psychologie et à la psychanalyse.
Il s'agit d'une évolution psychosexuelle chronologique du sujet et de sa relation aux zones érogènes corporelles qu'il relie à des activités érotiques des différents stades : succion du pouce ou du sein, défécation, masturbation ainsi qu'à la relation à l'objet.
Freud situe ainsi deux stades prégénitaux :
- le stade oral, premier stade de l'évolution libidinale
L'activité sexuelle, la pulsion sexuelle orale est d'abord étayée sur une fonction vitale, alimentaire. A ce point l'activité sexuelle et la dévoration/cannibalisme sont liées.
L'expérience répétitive de satisfaction par la succion (et non par le lait) va permettre la fixation du désir au niveau de la bouche qui devient ainsi zone érogène et l'acte de succion qui devient de l'ordre de l'autoérotisme. La succion peut concerner également le doigt ou la sucette.
A cette étape, il y a alors séparation des activités sexuelle et alimentaire, le sein devient un objet perdu.
C'est la première expérience de perte dans la relation duelle mère-enfant.
La seconde phase du stade oral passe de la succion à la morsure qui associe la pulsion sexuelle à la pulsion agressive et destructrice. D'autant plus qu'il y a sevrage. Il y a conjointement le fantasme d'être mangé, détruit par la mère.
Un premier choix d'objet par étayage est déjà déterminé.
- le stade anal appelé encore stade sadique-anal, entre 2 et 4 ans.
L'enfant apprend la propreté et la zone anale devient une zone érogène.
L'érotisme, la satisfaction libidinale sont d'abord liés à l'évacuation des selles qui excite la muqueuse anale. L'excitation peut même être augmentée par leur rétention. Ainsi rejetées ou retenues, les matières fécales deviennent des objets ambivalents. Par leur rétention elles représentent la maîtrise et par leur rejet l'enfant symbolise les matières fécales comme des objets séparables du corps.
C'est la deuxième expérience de perte.
L'association de la destruction de l'objet et l'apprentissage de la propreté fait que le contrôle des sphincters devient alors un instrument d'opposition aux adultes.
Ces fécès représentent en effet respectivement les valeurs symboliques de don, un cadeau fait à la mère mais aussi d'agressivité envers elle. C'est l'époque du NON.
Les pulsions sexuelles partielles commencent à s'organiser.
A ce stade se constituent
. l'activité, due à la pulsion d'emprise qui devient sadisme lorsqu'elle est au service de la pulsion sexuelle, avec comme support la musculature.
. et la passivité soutenue par l'érotisme anal avec comme support la muqueuse anale.
Le caractère normal de la sexualité infantile est basé sur la perversité polymorphe. Le but originaire de la sexualité est un but de satisfaction, une des quatre caractéristiques des pulsions (source, corporelle ; poussée, l'énergie libidinale ; l'objet, n'importe quoi pour atteindre le but ; but, la satisfaction pour éteindre temporairement la pulsion).
- le stade phallique, ou phase phallique
Ce terme "phallique", vient de phallus, le pénis turgescent des mystères religieux chez les Grecs, gage de puissance, de savoir et de fécondité.
Il est repris par Freud en tant que symbole sexuel de la libido qu'il considère comme masculine pour les deux sexes.
.En effet jusqu'à ce stade chaque enfant garçon ou fille ne connaît qu'un organe sexuel, l'organe mâle, le pénis. Il est perçu comme universel. C'est le primat du phallus car dans l'inconscient il y a une absence de représentation du sexe féminin.
Aussi le garçon éprouve-t-il un sentiment de menace inconscient lorsqu'il constate une différence anatomique avec les filles. Quelque chose lui manque, à elle.
Jusqu'à présent, confronté à l'anatomie d'une soeur ou d'une copine, le garçon déniait ce manque de membre et pensait qu'il allait lui pousser. De même la fille prenait son clitoris pour un petit pénis qui allait pousser.
Cette phase est le moment culminant du complexe d'oedipe où se met en place l'organisation de la libido liée à l'évolution des zones érogènes et à un futur choix d'objet sexuel.
Les pulsions sexuelles partielles s'organisent pour devenir une pulsion génitale (chez Freud). Les tensions se déchargent principalement par la masturbation accompagnée de fantasmes. Moment d'acmé et déclin du complexe d'Oedipe.
A l'opposition activité-passivité succède celle de phallique-castré. Ce n'est qu'à la puberté que s'édifiera l'opposition masculin-féminin.
Ce stade se situe entre 4 ans et 6 ans, âge de l'entrée à la grande école, où le pulsionnel est en principe calmé, ce qui permet l'apprentissage.
- Le complexe de castration 1 - pour le garçon
Il reconnaît alors la différence anatomique des sexes et il se remémore également la menace de castration fantasmée ou proférée (même par la mère) par de simples allusions à l'occasion de la masturbation qui lui avait procuré une certaine excitation et provoqué l'exhibition de son petit pénis avec fierté pour séduire sa mère.
Dans l'après-coup il comprend la menace, c'est l'angoisse de castration qui met idéalement fin à son complexe d'oedipe.
Il renonce partiellement à la masturbation, il renonce également en partie à ses désirs oedipiens pour sa mère, afin de garder son organe sexuel.
Le garçon "sort" de l'oedipe instantanément. En fait il n'en sort jamais totalement.
Cet abandon d'investissement sera transformé en identification au père.
Son autorité introjectée dans le Moi de l'enfant y forme le noyau du Surmoi qui est la conscience morale de l'individu.
C'est la forme positive (le plus souvent) du complexe d'oedipe.
Quelquefois l'identification se fera à la mère ou encore les deux identifications coexiteront.
La forme négative fait apparaître la position féminine du garçon envers le père et la jalousie envers la mère : Cette double polarité est due à la bisexualité originaire de tout être humain.[17]
Le garçon entrera dans la phase de latence, jusqu'à la puberté.
Ce complexe a donc une fonction normalisante pour l'enfant.
2 - pour la fille
La petite fille veut aussi posséder la mère. Elle ne désire donc pas d'emblée le père. Elle est dans une phase préoedipienne très compliquée, car elle doit se tourner vers le père.
Le complexe de castration, la privation[18] de l'organe, va lui ouvrir la voie du complexe d'oedipe.
C'est un drame lorsqu'elle prend conscience qu'elle ne possède pas ce pénis, symbole de puissance à ses yeux et que cette absence atteint principalement les personnes de sexe féminin. Ce fait les dévalorise toutes, car jusqu'alors elle se croyait un petit "garçon". Elle considérait son clitoris comme un petit pénis et pensait qu'il allait pousser.
Mais devant l'inéluctable elle se prend pour une victime de ce qu'elle considère comme une injustice et se sent trompée par sa mère qu'elle rend responsable de cette situation. Son image d'elle-même est atteinte. Son narcissisme est meurtri. Elle en conçoit très vite un sentiment de manque. C'est d'ailleurs une des nombreuses raisons inconscientes des conflits mère-fille.
Devant ce constat de manque elle a alors trois possibilités :
. soit se détourner de la sexualité
. soit rester sur sa masculinité ou choisir l'homosexualité
. soit adopter l'attitude féminine "normale" !! qui choisit le père comme objet d'amour, à la place de la mère, son premier objet d'amour, ce qui l'oriente vers l'hétérosexualité.
Cette troisième voie prend chez elle la forme de l'envie du pénis, qui peu à peu se transforme en équivalent symbolique, le désir d'un enfant du père. Elle veut prendre la place de sa mère auprès du père. On entend la fillette déclarer "quand je serai grande, je me marierai avec papa". Elle prend alors à sa mère des traits identificatoires, un modèle de féminité.
Elle mettra ensuite des années à se détacher de son père pour aimer un autre homme.
Comme pour le garçon cette situation a une fonction normalisante chez la fille.
2 - LACAN
Contrairement à Freud, le processus oedipien chez Lacan, ne fait pas appel à une représentation triangulaire entre le père, la mère et l'enfant, qui donne aux parents une position symétrique par rapport à l'enfant et qui n'est pas la leur.
Pour lui ce processus se passe entre la mère, l'enfant et le phallus, imaginaire, qui par sa symbolisation deviendra le signifiant phallique.
Au mythe grec de Freud il substituera une fonction logique (sens mathématique) qu'il appellera "Nom du Père", qui est la manière dont l'enfant accepte une Loi ..... : qu'est-ce qui est permis ou non.[19]
Lacan récuse les stades freudiens qui signifient une progression génétique, biologique des pulsions[20] sexuelles chez l'enfant, s'organisant en pulsion génitale à l'époque de la castration.
Pour lui, même chez l'adulte les pulsions sont toujours partielles et le but pulsionnel est toujours inachevé.
Il ne peut donc exister pour lui "une" pulsion sexuelle génitale unifiée susceptible de répondre à une fonction spécifique, comme par exemple, la procréation.
Il introduira cependant chez le bébé, un stade, le stade du miroir, moment d'évolution biologique à partir de 6 mois jusqu'à environ 2 1/2 ans. Cette période est caractérisée par l'immaturité du système nerveux, attestée objectivement par l'inachèvement anatomique du système pyramidal et l'incoordination motrice des premiers mois de la vie.
Ce stade permettait à Lacan d'aborder la notion de narcissisme, c'est-à-dire l'amour porté à soi-même pris comme objet et investi libidinalement.
Chez le bébé, dans un premier temps la confusion est totale entre lui et l'Autre, sa mère à cette époque. Puis peu à peu il s'aperçoit que l'autre dans le miroir est une image et non une personne réelle. Il sait ainsi distinguer l'image de la réalité de l'autre. Et dans un troisième temps, l'enfant jubile, il reconnaît l'environnement reflété et cette image dans ce miroir qui est la sienne.
C'est cette image spéculaire qui lui permet intuitivement de saisir la forme de son corps, perçu jusqu'alors comme morcelé, ainsi que la relation de ce corps à la réalité environnante. Il va ainsi pouvoir commencer à s'identifier à son semblable sur fond d'une aliénation particulière à la mère et d'une aliénation à l'imaginaire.
Lacan reprenait l'expérience de "l'opération psychique" de Wallon qui permettait d'appréhender la façon par laquelle l'être humain passait d'une identification imaginaire, d'abord narcissique, aux identifications imaginaires suivantes qui allaient constituer son MOI sur le modèle de l'autre, semblable. Cette expérience ne peut cependant pas rendre compte à elle seule de la structure du sujet qui est l'effet du signifiant, de l'ordre du symbolique.
Dès 1953 Lacan articulera cette notion d'Imaginaire au Symbolique et au Réel. Et en 1972 il nouera ces trois instances selon un enlacement, le noeud borroméen[21], dans lequel la rupture d'un seul déliait les deux autres : une logique qui articule les liens de trois éléments entre eux. Notons que l'ordre d'importance des trois instances deviendra R.S.I au fil des années.
Le stade du miroir est ainsi une première identification imaginaire : à l'image dans le miroir.
Il permet à l'enfant d'entrer dans l'Oedipe pour aller au-delà de l'Imaginaire.
C'est quoi l'Oedipe ? Une opération symbolique liée au complexe de castration et axée sur l'attribution phallique et l'interdit de l'inceste.
L'attribution phallique consiste en une dialectique d'être ou ne pas être le phallus, d'avoir ou ne pas avoir le phallus, un objet imaginaire, car la castration ne porte pas sur l'organe réel.
Un long processus sera nécessaire pour l'attribuer au père, le reconnaître détenteur du phallus symbolique.
Processus vers la castration symbolique c'est-à-dire la résolution de l'Oedipe
Dans un premier temps l'enfant s'aperçoit que ses cris font venir la mère, l'Autre et c'est elle qui interprétant les cris, transmet les premiers signifiants à l'enfant. Leur relation est fusionnelle. D'emblée l'enfant est ainsi situé dans le champ de la parole et du langage, dans le symbolique.
Mais il fait vite l'expérience de la non adéquation entre l'objet de la pulsion et l'objet du besoin, concret. En effet le premier objet offert à l'enfant par la mère à sa naissance et sans demande, le sein pour le lait, lui a procuré un tel "éblouissement" qu'il le recherchera de façon répétitive, sans le trouver, car ce qu'il avait ressenti était le plaisir de la bouche, de la succion qui devient l'objet du désir et non l'objet du besoin, le lait. Il ne ressentira plus jamais la même satisfaction, l'objet ne sera plus jamais le bon. Quelque chose, cause de son désir, de son éblouissement, aura chuté, entre la première satisfaction sans demande de l'enfant et la seconde satisfaction liée à sa demande. Lacan l'appellera "a". Cet objet "a" est définitivement perdu.
C'est ainsi que par ses soins quotidiens, la mère va permettre peu à peu à l'enfant d'ébaucher ses premiers objets du désir, objets "a", cause du désir. Au sein, Lacan ajoutera d'autres objets "a" détachables du corps, qui se constitueront progressivement : les excréments, le regard, la voix .......
Par cette demande répétitive signifiante de l'enfant à l'Autre, il va générer en sens inverse une demande de l'Autre, énigmatique pour l'enfant. Il se demandera Che vuoi ? Qu'est-ce qu'elle veut ? Qu'est-ce qui anime son désir ? Elle est manquante et désirante. De quoi ? L'enfant cherchera alors à s'identifier à ce qu'il suppose être le désir de la mère, une image d'un moi idéal, être à la place idéale, être son phallus. Il devient alors "l'assujet" de la mère, assujetti au désir de la mère.
Ces demandes répétitives de l'enfant qui cherche à retrouver l'objet "a", vont inscrire un creux dans l'Autre, une coupure dans laquelle pourra alors se loger n'importe quel objet substitutif de "a". La pulsion fera le tour de cet objet et insatisfaite elle retournera à sa source, pour être réactivée plus tard, par un nouveau désir.
De ces diverses demandes pulsionnelles signifiantes, répétitives en demandes signifiantes, naîtra plus tard le sujet du désir, par le glissement métonymique d'un signifiant à un autre signifiant : un signifiant qui représente un sujet pour un autre signifiant.
C'est la deuxième identification, imaginaire, au phallus, après celle du stade du miroir.
Le rôle du père est encore voilé, mais les va-et-vient de la mère permettent à l'enfant de comprendre peu à peu que l'objet partiel qu'il représente n'est pas tout pour elle, qu'elle est attirée par ailleurs.
C'est le deuxième temps d'évolution oùla certitude de l'identification phallique de l'enfant vacille.
Il est délogé progressivement de sa position de phallus maternel par l'intrusion réelle du père, qui lui apparaît bientôt comme un autre, un rival auprès de la mère. C'est un phallus rival et son attribution phallique est ainsi amorcée : le père l'est, mais l'enfant ne lui en reconnaît pas encore l'attribution. Le père prive [22] aussi la mère de l'enfant identifié à l'objet de son désir à elle, le phallus. Il énonce la loi.
La mère par sa "parole" relaie l'interdiction du pèreet l'enfant découvre alors que ses désirs adressés à sa mère rencontrent la loi du père, au-delà de sa loi à elle. Elle signifie ainsi à l'enfant, que c'est du père -son homme- qu'elle tient l'objet de son désir, le phallus, sous la forme du pénis. Elle est dépendante d'un objet que l'autre a ou n'a pas.
C'est pour l'enfant la première apparition de la loi qui est énoncée.
L'intervention du père réel permet à l'enfant de "comprendre" qu'il doit abandonner ses visées incestueuses vis à vis de la mère, qu'elle est au père.
L'enfant a un pas à franchir pour accéder au symbolique : accepter la castration, ne plus être le phallus de la mère et le revendiquer pour lui.
Ce moment marque le déclin du complexe d'oedipe
Au troisième temps, l'enfant franchit le pas : c'est la symbolisation de la loi.
Le père réel apparaît alors comme le représentant de la loi en tant que fonction paternelle mais il n'est pas identifié à la loi et il est investi par l'enfant d'une signification nouvelle, symbolique. Il est celui qui a le phallus que désire la mère. Le signifiant Nom-du-Père indique le rapport de ce désir à la Loi et oblige l'enfant à refouler ses désirs incestueux envers sa mère. Ce refoulement originaire les entraine alors dans l'inconscient. C'est la castration symbolique.
Refoulement et inconscient sont ainsi corrélatifs.
Lors du refoulement le signifiant Nom du Père s'est substitué au signifiant désir de la mère et il vient ainsi redoubler dans l'inconscient, la place du phallus dans l'Autre. Par cette substitution l'enfant continue à nommer l'objet de son désir devenu inconscient. Le désir de l'enfant est désormais aliéné dans le langage et il doit l'engager vers d'autres objets substitutifs à l'objet perdu.
Les effets du refoulement et de la castration permettent la mise en place du fantasme fondamental.
Un refoulement après-coup entrainera les pulsions liées aux orifices du corps dans l'inconscient.
L'enfant vers 5 ou 6 ans, devient donc un sujet barré, divisé entre conscient et inconscient.
Conséquences de la castration : le moment des identifications pour le garçon et la fille
Jusqu'à la perception anatomique de la différence des sexes, les garçons et les filles ne connaissent que le phallus assimilé à l'organe masculin. Par la castration ils doivent symboliser cette différence qui ne s'organise pas psychiquement de façon identique pour les deux sexes, ni au même rythme, sans que la réalité des sexes soit en jeu puisqu'ils sont désormais dans le symbolique, avec une nuance pour la fille.
Le garçon, s'engage à avoir le phallus, tout en sachant que personne ne l'a, en s'identifiant au père ou un trait du père intériorisé comme idéal-du-moi ; il passe ainsi de moi-idéal à idéal -du- moi. Il possède également les insignes de la virilité.
Par le fantasme (une loi, une écriture S barré poinçon "a"), représentation imaginaire de l'objet perdu,l'homme atteindra son partenaire sexuel, son "a". Et selon la loi sexuelle le pénis se règlera sur son fantasme à lui.
Pour la fille c'est un drame et son parcours sera long et difficile.
Elle a découvert au cours des jeux avec des garçons qu'elle n'avait pas de pénis et ce qu'elle vit comme un manque, une injustice, lui restera toute sa vie, au niveau inconscient. Cette "castration" la fait entrer dans l'oedipe :
- Elle aura à changer d'objet amoureux.
Elle s'éloignera de la mère, son objet d'amour originel et sexualisera le père par sa substitution au désir de la mère. Elle prendra des traits identificatoires à la mère pour plaire à son père et elle cherchera auprès de lui réparation des dommages subis en un équivalent symbolique, un enfant. Le père qui possède le phallus, deviendra le modèle de l'homme qu'elle rencontrera plus tard.
- Elle aura également à effectuer
un déplacement subjectif de lieu érogène, plutôt que de zone corporelle..... il n'y a que les femmes qui changent de lieu, pour s'identifier à l'Autre, c'est-à-dire quitter la maison des héritiers du père, des Uns pour le lieu de l'Autre. [23]
Ce n'est plus le clitoris qu'elle doit investir, appendice avec lequel elle se sentait en position virile, identique au garçon, mais peu à peu le vagin dont elle ne connaît pas encore l'existence, même si certaines fillettes le soupçonnent.
- Elle restera hors-symbolique.
Elle sera reconnue par le père dans la réalité en tant que fille, comme invitation à poursuivre plus tard une autre lignée, puis comme femme à représenter le phallus pour un homme. [24] L'ordre symbolique la légitimera, la sublimera mais ne la symbolisera pas [25]. Et elle restera hors symbolique, dans S2, un espace Autre, le Réel. Peu à peu, théoriquement, elle abandonnera ses désirs oedipiens vis-à-vis de sa mère. En fait elle restera toujours attachée à sa mère. D'où les conflits mère-fille.
Cette situation n'est pas équivalente à la reconnaissance du fils par le père, car lui est légitimé, il possède les insignes de la virilité.
La petite fille (comme le petit garçon) mettra en place un fantasme qui pour elle ne sera pas une loi, écrite comme le fantasme du garçon et elle l'exprimera selon son bon plaisir. Mais elle subira celui de son partenaire. Elle sera en position d'être le phallus. Seulement en position car il s'agit d'un objet imaginaire, qui fait rêver l'homme. Par contre elle sera l'objet "a" du fantasme de son partenaire.
D'où une certaine influençabilité pour plaire, séduire son partenaire. De façon à être reconnue par un homme.
C'est donc un chemin difficile pour la fille, car le père n'a pas validé sa féminité. La clinique nous apprend cependant qu'il doit l'initier à un peu de S1, lui montrer la voie de la féminité pour qu'elle devienne désirable, séduisante et séductrice, afin d'être réceptive à la sexualité d'un homme, à la loi sexuelle. A son père d'en trouver le moyen sans être incestueux.
Sans ce déclic la femme risque d'être vraisemblablement frigide.
Aucune des promesses de l'oedipe n'aura été tenue pour la fille.
Voyons les problèmes que la différence sexuelle pose :
Pour le garçon : pas de problème il est identifié au père. Il en possède les insignes. Il est du côté du UN, celui qui commande, qui agit. Il s'occupe des concepts disait Dolto. C'est l'espace borné/fermé des phallicisés.
Le père, en tant que représentant du père symbolique, l'a reconnu. Il est assuré, il a de l'assurance.
Pour la fille : c'est différent.
Pas de pénis et un sexe invisible sans représentation même inconsciente, puisque c'est le phallus qui compte pour les deux sexes. Et la fille est frustrée car c'est elle qui plus tard "sera" (mais seulement en position) le phallus, l'objet inaccessible du rêve et "a", l'objet du fantasme de son partenaire (S barré poinçon "a").
A l'origine "elle était un petit garçon", mais ce phallicisme n'a pas été confirmé par le père. Elle se retrouve ainsi dans l'espace de ceux dont la castration n'a pas été validée, le lieu du Réel, Autre, ouvert, sans limite, infini. Elle n'aura de témoignage de son insertion dans la loi sexuelle que par le désir d'un homme.
EXPLIQUONS..................S1.......................S2.................Autre.................etc......
Qu'est-ce que l'Autre ? Qui est l'Autre ?
- L'Autre est un lieu qui, antérieur et extérieur au sujet, le détermine néanmoins. C'est à partir de quoi s'ordonne la vie psychique et où se constitue le "JE" qui parle [26]. Cet espace de signifiants, ce trésor des signifiants, est cet espace symbolique que l'enfant rencontre dès son entrée dans le monde,
- C'est la femme, l'Autre sexe, l'Autre incarné par la mère en général pour les tous petits.
- C'est encore le lieu qui recèle l'au-moins-un, le père imaginaire et tous ceux qui n'ont pas les insignes de la virilité, les rejetés sociaux, les migrants hors du pays de leurs ancêtres, les déshérités.
De ce lieu personne ne répond. Chacun est renvoyé à son propre questionnement car il n'y a pas d'Autre de l'Autre.
La division des parlêtres n'est donc pas du tout symétrique.
Ce que Lacan appelle la sexuation : il logifie la question de l'Oedipe, il utilise la logique, ce qui rend le mythe obsolète. C'est une sexuation différente de la bi-partition hommes/femmes qui elle, renvoie à l'anatomie du sexe.
Il ne peut y avoir symétrie entre garçons et filles car le garçon est légitimé par le père, pas la fille. Il a accès au signifiant-maître, S1, pas elle.
Chacun se détermine cependant par rapport au phallus et à la castration : d'un côté les hommes, de l'autre les femmes.
La castration divise l'espace symbolique : d'un côté, imaginairement, les garçons, vers S1, de l'autre les filles, tout aussi imaginairement, vers S2, l'espace Autre.
Comment s'organisent ces deux espaces ?
Dans un espace de structure connexe, c'est-à-dire "collée", sans séparation, (comme un disque, un segment, une droite) et qui est divisée en deux , la coupure crée :
Selon la topologieclassique
- d'un côté un espace fermé, fini
- l'autre côté est ouvert
Ex : la coupure d'un segment de nombres réels[27] (ex : Pi = 3,1416..............) le nombre situé au niveau de la coupure, appartient à un seul des deux segments, on ne peut le couper.
En psychanalyse, disons dans le champ du symbolique, connexe comme en topologie classique, puisqu'aucun signifiant dans le langage n'est isolable (de même qu'une bille dans un sac de billes), la séparation au moment de la castration par le refoulement, effectue une "coupure" et délimite deux espaces :
- un espace fermé/borné par une frontière, le phallus reste collé à cet espace appelé S1.
C'est l'espace de la jouissance phallique gouverné par le phallus symbolique, Grand Phi, signifiant mis en place par la métaphore du Nom-du-Père.
- d'un autre côté S2, un espace ouvert, infini. Il est aussi gouverné par le Grand Phi, mais également par S de A barré, signifiant du manque dans l'Autre.
C'est l'espace Autre, S2, celui des femmes où le pas-tout phallique peut exprimer la jouissance humaine Autre sous ses formes féminines, sublimées, mystique, liées à la création mais marquées par un manque.
La castration est-elle universelle ? Qui sont ces TOUS ?
L'universalité suppose qu'il y ait une exception.
Lacan a repris les travaux de Pierce[28]. Par rapport à la logique d'Aristote il montre la nécessité d'une "particulière négative" pour pouvoir fonder une "universelle affirmative" :
Pour que tous (universelle affirmative) soient soumis à la castration il faut qu'il y en ait un (particulière négative) qui n'y soit pas soumis, qui ne soit pas castré.
C'est le propre de toute constitution de l'universel, sinon comment distinguer le même si on ne peut le comparer à un différent ? Par exemple si on peut dire que tous ces animaux sont blancs, c'est qu'il y en a un noir qui s'en différencie.
L'exception fonde donc l'universel. C'est l'au-moins-un, le père mort ; il n'y était pas soumis, lui qui jouissait de toutes les femmes, selon le mythe freudien. Lacan en parle comme du père hors-castration.
Les hommes se réclament de ce père Ils sont TOUS (les hommes) dans le champ de l'universel. Sauf lui, ce père qui est l'exception. Il est dans l'espace Autre
Et les femmes ?
Lacan souligne que les femmes ne sont pas-toutesphalliques ET les femmes, dans l'inconscient elles ne l'ont pas. Leur jouissance n'est donc pas toute ordonnée par la castration, elles n'y sont pas soumises.
On ne peut pas dire non plus "toutes les femmes ne sont pas castrées", puisqu'il faudrait une exception à ce "toutes".
Lacan en conclut qu'il n'y apas de rapport sexuel car il impliquerait le même de chaque côté, c'est-à-dire une part mâle et une part femelle équivalentes. Ainsi LA femmen'existe pas[29].......
Et maintenant, au XXIè siècle ?
Bien des différences psychiques entre les hommes et les femmes ont été pointées dans ce texte.
D'être pas-toutes, les femmes, non légitimées par le père en tant que femme, sans accès à S1, devraient se tenir dans la cuisine et élever les enfants. Ce que les femmes ont fait pendant des siècles. Jusqu'aux hystériques repérées par Freud : "l'hystérique veut faire l'homme".
Mais est-ce que faire l'homme c'est être un homme ?
Pour la femme "classique" ce manque de phallus paraît être l'explication de son manque d'assurance. Car elle n'a rien sur quoi s'appuyer et elle n'aura de reconnaissance que par un homme, plus tard en tant que son objet "a". Elle n'a donc accès qu'à S2, le champ de l'Autre.
Mais bien des femmes contemporaines et moins contemporaines ont montré qu'elles pouvaient assurer, comme un homme, en accédant à des postes de pouvoir en politique, dans les entreprises, dans les domaines scientifiques, littéraires. Mais est-ce enfin un vrai accès à S1 , ou en empruntant ce phallus tant convoité, c'est-à-dire "faire l'homme" ? Un semblant.
Des femmes, scientifiques, comme Marie Curie, prix Nobel de physique en 1903 et de chimie en 1911, des chefs d'entreprises, comme Anne Lauvergeon ex-patronne d'AREVA, des femmes politiques comme Christine Lagarde, directrice du FMI, George Sand, femme littéraire au XIXè siècle, Hatchepsout, pharaon d'Egypte au XVè siècle avant notre ère ..... sont parvenues à "avoir" le phallus. L'ont-elles emprunté ? Ou agissent-elles comme si elles l'avaient vraiment ? Comme un homme l'a (sans l'avoir puis qu'il y a la castration).
Pour nos contemporaines nous n'avons que les échos de leur vie professionnelle. Comblent-elles un manque par leur forte implication dans leur activité professionnelle ? Mais tous les humains sont manquants. Pour être parvenues à ces postes de pouvoir, sur le plan professionnel elles "sont", elles agissent comme des hommes. Elles ont emprunté le phallus.
Et leur féminité ? Sont- elles reconnues en tant que femmes ? Se reconnaissent-elles femmes ? Nous n'en savons rien mais extérieurement elles semblent féminines et séduisantes.
Toute femme peut saisir le phallus à un moment de sa vie : quand elle conduit sa voiture, il y a des décisions à prendre pour éviter l'accident, il y a donc à saisir le phallus, agir.
Ce qu'on peut cependant avancer c'est que, sur le plan personnel, si ces femmes se positionnaient sur le même plan que leur partenaire sexuel homme, il s'agirait d'homosexualité. On peut en douter.
Pour les femmes d'avant, il est fort à parier que George Sand, de son vrai nom Marie-Aurore Dupin, de même que Marie Curie et Hatshepsout, pour ne parler que d'elles, ont emprunté ce phallus. On peut penser qu'elles ont cherché à faire l'homme ? Déjà du féminisme ? Un homme = une femme ?
CONCLUSION
Revenons alors à notre questionnement sur l'assurance "affirmée" par un homme et une femme.
C'est devenu la grande préoccupation du gouvernement en 2014 : l'application de la parité actuellement instaurée légalement. Un logiciel a d'ailleurs été créé par le Ministère de la Femme pour lui permettre de demander entre autres, une égalité de salaire avec les hommes : La Journée de l'égalité salariale est l'occasion de revenir sur les disparités hommes-femmes, encore loin d'être résorbées.[30]
Cette recherche d'égalité sociale de la femme avec l'homme, est un mouvement amorcé depuis longtemps par les féministes, car sur le plan intellectuel la femme n'a rien à lui envier.
Toutes les recherches scientifiques attestent bien en effet que l'organe cerveau est identique : cerveau d'homme = cerveau de femme, malgré les différentes hormones.
L'hystérique, largement analysée par Freud et Lacan a toujours revendiqué l'égalité. Elle voudrait être un homme alors elle fait l'homme, faute d'être son égale. Alors ?
George SAND [31]
De son vrai nom Amantine-Aurore-Lucile Dupin née en 1804 à Nohant dans le Berry.
A 13 ans elle est mise en pension dans un couvent à Paris et Aurore, rangée parmi "les diables" se calme. Elle se croit appelée à la vie religieuse.
En 1822 elle se marie à Casimir Dudevant à Paris. Neuf mois après, naissance de leur fils. Puis le couple s'installe à Nohant de manière stable en 1826.
Mais très vite Marie-Aurore s'ennuie. Leur relation conjugale s'effrite.
En 1825 elle fait la connaissance d'Aurélien de Sèze dont elle deviendra vraisemblablement la maîtresse en 1829.
Entre temps, en 1827 elle part à Paris avec Stéphane connu en 1821 et dont elle est la maîtresse, puis l'année suivante ; en 1828 c'est la naissance de sa fille Solange-Gabrielle que son mari reconnaît, sans être sûr de sa paternité.
En 1830 elle fait la connaissance de Jules Sandeau et lorsque ce dernier regagne Paris, elle quitte son mari et organise sa vie à Paris, où elle retrouve de fidèles amis berrichons et ceux de Jules : cette femme de 26 ans, mère de 2 enfants, vit exactement comme ces garçons de 20 ans........Ecrire .....est le moyen qu'elle trouvera pour assurer par son travail son indépendance de femme.
Dès 1831 elle publie des petites nouvelles sous le pseudonyme J. Sand ou J.S.
En 1832, elle signe G.S. puis après Valentine, "George Sand". Car ce prénom me paraissait synonyme de Berrichon.... On se méfiait des femmes en littérature..... Vivant parmi des hommes, partageant leurs habitudes, ayant même adopté leur vêtement, elle affirmait par ce choix spontané, sa croyance en l'égalité des sexes........Parfois même dans ses lettres familières elle parlera d'elle au masculin .....le petit George. Et dans Indiana (1832) elle s'en prend aux hommes.... la constatation qu'une femme est "imbécile par nature", proie pour le tyran masculin. En matière de sentiment c'est souvent elle qui prend l'initiative de la rupture.
L'amant suivant est en effet celui qui destitue le précédent : Emile chassera ainsi Jules, Pagello remplacera Musset devenu son amant en 1833, etc...
En 1836 séparation d'avec son mari Casimir Dudevant..
Sur le plan physique, elle change : en 1838 Balzac disait qu'elle avait doublé son menton et Sainte-Beuve, une belle âme et une grosse croupe.
Elle continuera cependant à plaire, puisqu'elle deviendra la maîtresse de Chopin la même année jusqu'en 1848. Par affection elle s'imposera la chasteté pour ne pas épuiser son amant Chopin, souffreteux jusqu'à sa mort en 1849.
Elle a ainsi été l'amie de Flaubert, Dumas, Renan, du Prince Louis-Napoléon, Liszt, Arago, Louis Blanc, Aragon ...... la maîtresse de nombreux autres hommes.......
A-t-elle été la maîtresse de Marie Dorval, une comédienne ? On le pense mais aucune certitude.
Elle a voulu s'affranchir des conventions morales ......un désir de servir le peuple.
En 1846, à 42 ans, elle se sent vieillir et se juge rétrospectivement dans Isadora. De la vieille femme qu'elle sera prochainement elle dit : elle est redevenue simple et quasi naïve comme un enfant depuis qu'elle n'a plus le souci de vaincre et de dominer.
Elle dira nettement à Delacroix : c'est pour mes enfants, ma fille surtout, que je rompais ainsi avec la vie.
A la révolution de 1848 elle jouera un rôle politique important en suggérant à Ledru-Rollin des noms d'amis à certains postes, dont son fils Maurice comme maire de Nohant. Puis elle se rapprochera de Barbès, socialiste.
La fleur s'est fanée mais la femme énergique est toujours là. Le machisme aussi.
Hervé Bazin la qualifiera de "révolutionnaire à l'eau de rose", le jour de la fête de la Fédération, alors qu'elle fait partie du gouvernement provisoire.
Cependant la révolution tournant court elle repart à Nohant, où elle écrira une lettre à l'attention des membres du Comité Central. Elle y pose la question :
Les femmes doivent-elles un jour, participer à la vie politique ? Sa réponse est : Oui, mais ce jour n'est pas proche. Cette lettre ne fut cependant jamais envoyée.
Pour elle il faut libérer la femme de la tutelle masculine. Mais pas comme l'envisagent les disciples de Saint-Simon, Enfantin ou Fourier, c'est-à-dire en détruisant le mariage et proclamant la promiscuité, c'est rétablir la femme dans des droits civils que le mariage lui enlève.
Elle restera meurtrie par ces évènements révolutionnaires et elle avouera à son fils Maurice qu'elle n'a pas le stoïcisme de Barbès et de Mazzini. Elle déclare qu'elle est toujours socialiste mais politique de moins en moins.
Sa vie sexuelle est cependant toujours active : elle confie à un ami, qu'Alexandre Manceau, graveur, de 13 ans plus jeune qu'elle, est son amant : je suis transformée, je me porte bien,
je suis tranquille, je suis heureuse, je supporte tout, même son absence... Il lui est très dévoué et la décharge de tout souci domestique. Un autre, Aucante, seulement ami, s'occupe de ses affaires financières. Elle est très soutenue.
L'énergie est encore là.
Le coup d'état du 2 décembre 1851 la perturbe cependant énormément et elle craint pour sa sécurité. Elle écrit alors au Prince Louis-Napoléon qui la rassure et elle en profite pour défendre certains de ses compatriotes proscrits et ses amis en danger.
Mais ce n'est plus la femme combative de la révolution : on est gêné par son empressement à fréquenter les gens au pouvoir, son parti la désapprouve, certains comme Victor Hugo, Michelet et autres Berrichons refusent son aide.
Dans les années 1860 ils reconnaîtront cependant son talent de romancière, ainsi que Dumas fils, Fromentin, même si par ailleurs elle écrit des livres qui font scandale.
Avec l'âge elle devient plus conformiste, même si elle subit l'influence de jeunes auteurs comme Dumas fils et Flaubert dont elle a peut-être été la maîtresse.
Elle est encore la chef de famille : elle refuse que Solange s'installe dans la région de Nohant et marie Maurice en 1862, selon son choix personnel à elle.
Et si sur le plan politique elle n'a plus d'action, par ce mariage elle rompt avec l'Eglise : elle est obsédée par le péril clérical. Mais en cela elle se conforme à la tendance libérale de la bourgeoisie de l'époque, elle s'intéresse au protestantisme. D'ailleurs ses petits enfants seront baptisés dans la religion protestante.
En 1863 elle songe à se "débarrasser" d'Alexandre Manceau, sous le prétexte que Maurice en est jaloux. En réalité en 1861 Dumas fils était venu à Nohant avec Charles Marchal de 21 ans plus jeune qu'elle et elle avait été peu à peu séduite par les approches de séduction de Charles. A 59 ans elle était sensible au dit "mastodonte" et devint sa maîtresse à l'automne 1863. Mais elle revint vite à Alexandre Manceau et en février 1964 ils s'installent tous deux à Palaiseau en région parisienne.
Après 15 ans de vie commune, en août 1865 Manceau meurt de tuberculose. Avec la vieillesse (elle a 61 ans) arrive le renoncement, le besoin de repos.
On a dit que jusqu'à un âge avancé elle rechercha les satisfactions des sens, avec des hommes jeunes.........mais sa seule liaison avérée est..... avec Marchal bien qu'il fréquentât les prostituées...... Son dernier amant.
Elle traversera la guerre de 1870 en restant fidèle à elle-même et en 1871 elle sollicitera de Thiers une préfecture pour un de ses amis, comme elle avait déjà sollicité le Prince Louis-Napoléon en 1852.
Jusqu'à sa mort en 1876 elle continuera d'écrire. Et en dépit de tous ses ennuis de santé, elle continue de plaire car elle a gardé son rayonnement,........elle est indulgente, généreuse.
En 1876 Freud n'est pas encore le psychanalyste reconnu que l'on connaît et il n'a pas encore écrit ses Etudes sur l'hystérie (1895). Il vient juste d'entrer à l'Institut de Physiologie
d'E. Brücke, après ses études médicales. Elle aurait été une patiente hystérique remarquable, si......
George Sandvoulait l'égalité entre les hommes et les femmes, elle a conduit sa vie comme un homme avec ses nombreuses expériences amoureuses, en assurant la vie familiale par ses écrits, en assumant ses idées à cette époque ....... Elle a fait l'homme, elle a emprunté le phallus.
Marie CURIE [32]
Maria Sklodowska est née à Varsovie (Pologne) en novembre 1867 : en 1867 la Russie dictait sa loi...... et avait commencé la période de russification la plus impitoyable qu'eût jamais connu la Pologne....Celui qui portait le nom de roi de Pologne n'était autre que l'empereur de Russie...
Une des tantes de Maria, comme tant de jeunes femmes d'un pays où on ne considérait pas l'infériorité féminine comme allant de soi -à la différence de ce qui se passait dans les autres pays européens- participa activement à la lutte.....Mais la génération qui donna naissance à celle de Maria se laissa peu à peu asservir.......Son futur père entreprit d'acquérir des connaissances scientifiques en Russie.....et obtint un poste de professeur de mathématiques et de physique dans une école de Varsovie......De son mariage naquirent cinq enfants, Maria était la dernière....Sa mère acceptait le rôle dévolu à la femme dans la conduite de la maisonnée.... La russification eut d'importantes répercutions sur la vie familiale car l'appartement fut partagé le jour avec les élèves de son père.
La mort de sa soeur ainée, puis celle de sa mère, les effets dévastateurs de la durée du deuil encouragée par l'église, détournèrent définitivement Maria de la religion. Elle se tournera plus tard vers la science.
Mais à 15 ans, épuisée par ses études qui lui donnèrent "une médaille d'or", les médecins diagnostiquèrent une "dépression nerveuse".
Après quelques mois de repos elle revint à Varsovie au moment où les idées positivistes d'Auguste Comte s'infiltraient en secret, à l'abri des yeux de la Police d'Etat.....Le positivisme, credo des années 1880, sous-entendait : l'émancipation des femmes, l'égalité des sexes en matière d'éducation...... A ce positivisme s'opposait le mouvement marxiste.
Le manque d'argent poussa Maria à la fin de 1885, vers la profession d'institutrice privée
dans une famille loin de chez elle. Elle passait toutes ses heures libres à sa nouvelle passion : les mathématiques et la physique et à 18 ans elle écrivait à sa cousine Henrika "ce qu'on appelle l'amour n'entre absolument pas dans mes plans", alors qu'elle était amoureuse du fils de la famille où elle exerçait, mais son état social "interdisait" un tel mariage. Elle attendit la fin de son contrat en été 1889 pour rentrer à Varsovie. Sa santé "nerveuse" était toujours fragile.
Elle entra au Musée de l'Industrie et de l'Agriculture créé par son cousin, établissement universitaire clandestin, qui comprenait un petit laboratoire équipé pour des expériences simples de physique et de chimie, pour s'initier aux manipulations élémentaires.
En 1890, sa soeur Briona, déjà installée à Paris, lui proposa de venir la rejoindre et Maria accepta pour entrer à la Sorbonne en 1891.
Elle arrivait dans une ville en plein effervescence grâce à la réussite intellectuelle de la recherche scientifique [33] .
Dès sa première année d'études, ses vieux "problèmes nerveux" disparurent, bien qu'elle fut sous-alimentée.
Cependant elle avait d'énormes manques sur le plan des études : le Français parlé, les bases mathématiques de la physique. Elle s'obstina.
A 24 ans elle écrivait "tout mon esprit est centré sur les études....Un monde nouveau m'était ouvert, le monde de la science.....Si je me sentais parfois seule, mon état d'esprit était dans un état de calme et de grande satisfaction morale".
Malgré son inquiétude, en 1893 elle fut reçue première à la licence ès sciences physiques. Elle décida d'entreprendre une licence de mathématiques pour perfectionner ses bases.
L'ambition prit désormais une place importance dans ses projets et elle décida de rester à Paris. Elle fut licenciée en mathématiques, à la deuxième place.
La science, dans ces années, ne s'envisageait que PURE, ce qui signifiait sans application pratique, sans objectif délibéré, c'est-à-dire le désintéressement.
La première étape de son ambition -acquérir des connaissances scientifiques égales à celles d'un homme- était atteinte...... En cette année 1894, sous-alimentée, elle avait perdu ses rondeurs, son visage et une silhouette affinés, des yeux tristes et un maintien calme affirmant la maîtrise de soi, lui donnaient une apparence délicate propre à séduire.
Elle se fit appeler désormais Marie.
Après avoir éconduit un premier soupirant, elle rencontra Pierre Curie, 35 ans, chez un physicien polonais de Paris, l'étincelle jaillit entre eux : "il exprima le désir de me revoir et de poursuivre notre conversation sur des questions scientifiques et humanitaires."
Il était physicien et possédait une formation considérable, formation à laquelle aspirait Marie. Timide comme elle, elle se sentait en sécurité avec lui. L'objectif de Pierre était une dévotion totale à la science et aux récompenses qu'offrirait la pureté de la découverte....... Il commença à influencer la façon de penser de Marie.
Il lui dédicaça un de ses articles "Sur la symétrie dans les phénomènes physiques, symétrie d'un champ électrique et d'un champ magnétique". Elle en fut impressionnée et après s'être intéressée à ses travaux, l'homme piqua sa curiosité.
L'été 1895 elle partit en Pologne, sans qu'aucun des deux ne sache si elle reviendrait, car Marie pouvait choisir de faire bénéficier la Pologne de ses connaissances scientifiques.
Elle revint et il lui présenta ses parents. Mais ils n'étaient toujours que des amis unis par la science.
Pierre ne semblait pas avoir d'avenir car il avait refusé les Palmes académiques qui auraient pu lui permettre d'avoir un poste plus rémunérateur. Mais Marie se moquait des biens matériels. C'était un homme doux et bon, et malgré son désir d'indépendance, elle décida de l'épouser. Un parent leur offrit comme cadeau, de quoi s'acheter deux bicyclettes.
L'engin leur fit renoncer dès le début à toute discrimination entre les sexes. Vêtue d'une jupe culotte très fonctionnelle Marie prit la route avec Pierre pour leur voyage de noces.
Le mariage en 1896 ne changea rien à leur vie d'individus solitaires..... ils devinrent un couple solitaire et Marie s'arrangea toujours pour conserver son indépendance.
Pierre préparait ses cours et Marie l'aidait dans sa préparation. Elle put travailler à ses côtés dans les locaux de l'Ecole de Physique et de Chimie.
Elle choisit d'étudier le magnétisme, un thème où Pierre faisait déjà autorité, mais elle montra par la précision de son travail qu'elle pouvait soutenir de nombreuses heures de travail à une table de laboratoire avec une attention méticuleuse aux détails.
Elle dut cependant interrompre temporairement ses recherches du fait d'une grossesse difficile et elle mit Irène au monde en septembre 1898.
A cette époque mener de front uneactivité professionnelle et une activité de mère était considéré en France sinon comme de la négligence, du moins comme quelque chose d'inhabituel......Cependant Marie n'allait pas remettre en jeu son avenir scientifique....... elle commença à chercher un sujet pour une thèse de doctorat, diplôme qu'aucune femme mariée et mère d'un enfant, n'avait encore jamais passé en Europe. En matière de féminisme, comme dans n'importe quel autre domaine, Marie refusait le compromis. Elle était scientifique.
En 1896 Becquerel avait découvert la radioactivité et Marie décida alors de se pencher sur les rayons uraniques afin de voir s'ils pouvaient constituer un sujet de thèse.
Elle se mit à travailler dans des conditions pénibles, mais ses recherches remportèrent un succès immédiat. Elle ne manqua pas une occasion de préciser nettement, de vive voix et par écrit, pour éviter tout malentendu, la part de travail qui lui revenait et à elle seule. Elle sut rendre hommage à ses collaborateurs, en particulier à son mari, mais elle ne laissa subsister aucun doute sur la part de raisonnement et de recherches qu'elle avait personnellement assumée. Le premier mot du premier article qu'elle publia était "JE"......Car beaucoup de savants auraient du mal à croire une femme capable de sortir des sentiers battus qu'elle avait entrepris........Pour la première fois son indépendance intransigeante se manifestait publiquement.
Le résultat de ses recherches fut présenté le 12 avril 1898 .......mais trop tard, un Allemand avait publié les mêmes observations à Berlin deux mois plus tôt.
Marie avait cependant trouvé un élément nouveau, le radium, dans la terre qu'elle étudiait et c'est sur cet élément qu'elle et Pierre poursuivirent leurs recherches.
Elle n'oubliait pas pour autant Irène et avec la méticulosité qui la caractérisait elle notait tout ce qui la concernait, tout ce qui était quantifiable : cette obsession de mettre par écrit le moindre évènement.....observable....mesurable....même banal, joua un rôle capital dans les travaux qu'elle s'était assignés. Sur le plan domestique elle tenait aussi des comptes méticuleux.
Marie ne fut jamais capable de trouver du charme aux vertus domestiques. Le grand père Curie, veuf, eut à coeur de s'occuper d'Irène.
En dehors du domaine familial, elle apparaissait à ceux qui fréquentaient le laboratoire de l'Ecole de Physique et de Chimie, comme une femme petite, calme et réservée, mais d'un calme qui avait quelque chose de tranchant..... Entêtée..... Chaque fois qu'une discussion s'engageait au laboratoire, c'était elle et non les hommes présents qui menaient le jeu......L'élément neuf et stimulant de ces discussions théoriques était toujours introduit par le doux et modeste Pierre. Ensuite l'énergie et l'obstination de Marie fournissaient l'élan nécessaire......Une énergie farouche.
Leurs recherches, faites en commun, leur donnaient des satisfactions intellectuelles.....La réalité de la radioactivité s'affirmait et il leur arrivait de retourner le soir dans leur domaine, regarder les contours faiblement éclairés des récipients qui garnissaient les tables et les étagères. ......... Marie disait de ces moments qu'ils étaient "une source toujours nouvelle d'émotion et de ravissement".
Pierre cependant n'était pas heureux car il avait abandonné ses travaux sur la symétrie pour des recherches avec Marie. Cette période si féconde pour Marie, fit naître en lui une amertume et un manque de confiance en lui......Son attitude hésitante, son manque total d'intérêt pour la course aux honneurs scientifiques, son mépris de la hiérarchie faisaient de lui .....un "détestable candidat " aux postes académiques. Il ne sortait pas d'une grande école et cela lui nuisait. Il n'avait pas accès aux promotions malgré ses travaux largement reconnus par des scientifiques importants. Cependant sur l'initiative d'Henri Poincaré, mathématicien, il obtint la chaire de physique à la Sorbonne et Marie fut chargée des conférences de physique à l'Ecole normale supérieure de jeunes filles de Sèvres. Leur quotidien fut ainsi largement amélioré. Mais la surcharge de travail ralentissait leurs travaux.
Le 02 mars 1902 le radium est enfin purifié et reconnu. Il devient un élément chimique.
Elle continuait le soir en rentrant à s'occuper d'Irène : la baignait, la mettait au lit et répondait à ses questions jusqu'à ce que l'enfant s'endorme. Puis retournait à ses travaux pour sa thèse qu'elle passa avec succès le 25 juin 1903 avec "mention honorable".
Malgré leur vie intellectuelle de chercheurs, les Curie avaient une vie sexuelle puisqu'au printemps 1903 elle découvrit qu'elle était de nouveau enceinte mais au mois d'août elle fit une fausse couche après des efforts à vélo. Elle écrivit à Briona sa soeur :
je suis si consternée de cet accident.....Je m'étais tellement habituée à cet enfant que je ne puis me consoler....L'enfant était une petite fille en bon état et vivait. Et moi qui la désirait tellement.
Le prix Nobel de physique fut attribué au couple fin 1903 mais ni l'un ni l'autre ne firent le déplacement à Stockholm pour des raisons de santé.
Pierre et Marie souffraient d'une fatigue inexpliquée et de malaises préoccupants.
Cette renommée internationale leur fit cependant plus de mal que de bien car ils étaient très souvent interrompus dans leurs travaux par des journalistes, des photographes, des demandes d'argent, des collectionneurs....Cet état de siège se calma bientôt.
Au printemps 1904 Marie découvrit qu'elle était de nouveau enceinte et en fin d'année elle accoucha d'Eve : chacune des filles allait grandir à sa façon, Marie les observait sans intervenir, en leur vouant une égale adoration. Marie écrivit à son frère : Eve ne ressemble pas à Irène, qui, semble-t-il, avec son comportement tranquille et contemplatif rappelait celui de son père.
Cependant la santé de Pierre se dégradait de plus en plus. Le 19 avril 1906, en rentrant à pied à l'issue d'un déjeuner de travail, il fut renversé par un lourd fourgon attelé en traversant une rue. Sa tête fut broyée par une roue et sa mort fut instantanée.
Marie fut très profondément touchée car ils avaient tout partagé, la misère, la gloire, le mérite. Pierre avait fait de Marie son alter ego.
Sa résistance fut ébranlée par cet évènement et elle se mit à écrire pour exprimer ce qui l'étouffait, les lettres d'amour qu'elle ne lui avait jamais écrites. En Français, la langue qu'ils avaient toujours parlée.
Ses capacités de résistance réapparurent moins de deux semaines après le drame. Sa minceur ne laissait subsister aucun doute sur les souffrances physiques qu'elle avait endurées et elle se remit au travail du laboratoire. Peu à peu le radium redevint le centre de sa vie. Elle montra qu'elle se considérait comme l'égale de Pierre en reprenant à son compte leurs travaux communs. Et elle accepta le poste universitaire de Pierre à la faculté des sciences.
Elle devenait la première femme de France à accéder à l'enseignement supérieur et elle sera nommée "professeur titulaire" deux ans plus tard. Elle disposerait enfin d'un vrai laboratoire.
Pour pallier le manque d'argent elle s'installa avec ses deux filles à Sceaux, chez son beau-père. Elle installa une parente polonaise dans une maison proche pour s'occuper des deux fillettes. Et elle retourna au laboratoire en train.
Cet emploi régulier lui donna une impression de sécurité.......Cet arrangement garantissait la stabilité de la famille et permettrait à Marie d'assumer le défi que ne manquerait pas de poser
sa carrière universitaire. D'ailleurs symboliquement...le 5 novembre 1906, à temps pour le début de la nouvelle année universitaire ... elle donna sa conférence inaugurale à la Sorbonne, "la première femme au nombre des Maîtres" déclara une de ses jeunes sévriennes......Plus d'une femme de la société tenant salon, avait fait des pieds et des mains pour obtenir une place.....Elle était à la limite de la résistance et souvent elle se frotta le bout des doigts brulé par le radium et chercha dans ses papiers..
L'enthousiasme du chroniqueur du JOURNAL ne connaissait plus de borne.....Un autre admirateur déclara une grande victoire pour le féminisme...Si la femme est admise à donner l'enseignement supérieur aux étudiants des deux sexes, où sera désormais la prétendue supériorité de l'homme mâle ? En vérité je vous le dis : le temps est proche où les femmes deviendront des êtres humains.
L'éducation de ses deux filles l'interpellait
et avec ses amis de la Sorbonne[34] ils mirent au point une "Coopérative" où chacun enseignerait aux enfants des membres du groupe. Ces années d'enseignement par une élite pour une élite furent une réussite.
Mais elle arrivait tout juste à vivre.
Au début de son veuvage elle avait fait la connaissance d'Andrew Carnegie, un Américain qui avait été séduit par ses manières simples et directes. A la tête d'une grande fortune (auteur du livre "L'Evangile de la richesse"), bienfaiteur des arts et de la science, il décida de financer ses recherches......Il écrivit pour suggérer au recteur de l'Académie de Paris : aussi longtemps que Mme Curie est vivante et capable de faire ses cours, ses désirs doivent être respectés. Et il appela sa Fondation : la Fondation Curie.
En 1906, Lord Kelvin, 82 ans, voulut l'aider, mais ses déductions scientifiques étaient contraires à celles de Marie et malgré l'appui de scientifiques reconnus, elle se crut obligée de recommencer ses travaux pour prouver de manière indubitable que la radioactivité était une propriété atomique de l'élément radium.
Le labo devint sa deuxième famille avec les jeunes chercheurs, en particulier des jeunes filles. Elle en était la figure maternelle qui guidait et donnait. Mais elle pouvait aussi montrer un caractère inflexible........ Quatre ans après, en 1910, alors que Lord Kelvin était mort en 1907,.......elle prouva que le radium était un métal, un élément. Ce fut également elle qui fixa l'étalon international, pour pouvoir fixer les doses sur les tumeurs. L'unité de mesure s'appela le Curie.
Son besoin de prouver ses données, une sorte de travaux forcés qu'elle s'imposait, la rendait souvent très inamicale. Même Rutherford, un ami de longue date, écrivait à un autre scientifique, peu apprécié de Marie : c'est très drôle de voir le mal qu'elle se donne à certains endroits pour revendiquer la priorité pour la science française, ou plutôt pour elle-même et pour son mari......la pauvre a énormément travaillé.
Son attitude dictatoriale, intransigeante la desservait.
Quand elle était très fatiguée elle retournait à Sceaux voir ses filles. Se replonger dans un bain maternel.
A la mort de Pierre (1906) Marie avait 38 ans et avec sa silhouette mince et ses cheveux cendrés elle attirait les regards.
Mais on était en 1910. Maintenant que Marie avait pleinement endossé son rôle masculin.....dans les milieux scientifiques beaucoup refusaient de la traiter en femme, puisqu'elle-même adoptait cette attitude.
A 42 ans elle ressentait le besoin d'une amitié profonde et d'un substitut à Pierre.
Elevée dans la société polonaise avec les inhibitions d'une morale victorienne, elle était d'une génération où l'on ne discutait pas de sexualité.
Marie fréquentait à l'époque le salon de Marguerite Borel, la jeune femme du mathématicien Emile Borel.
Bien des jeunes femmes prenaient du bon temps mais elles avaient des amants choisis dans les classes supérieures de la société. Ce qui était accepté, mais l'hypocrisie régnait dans les autres milieux.
Or Marguerite était indiscrète et elle s'aperçut d'un changement de comportement chez Marie car depuis cinq ans, depuis la mort de Pierre, Marie s'habillait en noir ou portait des vêtements sombres. Or un soir, dans la salle à manger des Perrin "nous vîmes apparaître une Marie Curie rajeunie, en robe blanche, une rose à la ceinture.... . . une résurrection s'annonce par des détails".... Elle commençait à montrer un intérêt de plus en plus marqué pour les états d'âme de Paul Langevin, physicien.. dont lui parlait Marguerite qui recevait ses confidences.
Marie le connaissait depuis de nombreuses années, il était de 5 ans son cadet. Il avait été un élève puis un collaborateur de Pierre et ce dernier s'était arrangé en 1905, pour qu'il prenne sa succession à l'Ecole de Physique et de Chimie. Il avait continué ses travaux sur le magnétisme..... et plus tard dans un autre domaine, il ferait reconnaître les hypothèses révolutionnaires d'Albert Einstein. Or Langevin, de même que Pierre préférait les profondeurs limpides de la recherche "pure" et n'écoutait pas les milieux industriels qui lui offraient des salaires en conformité avec ses très grandes compétences. Sa femme ne lui pardonnait pas le manque d'argent dans la famille avec quatre enfants. Il se plaignait souvent à Marguerite et avec son mari ils l'entrainaient au théâtre ou au restaurant pour le distraire.
Marie commença à le voir d'un autre oeil et elle se sentait maintenant prête à révéler qu'elle était plus qu'une simple collègue respectée. Elle se confia à Marguerite un soir au cours d'un voyage de travail: "il faut le sauver de lui-même, il est faible. Vous et moi sommes dures. Il a besoin de compréhension, d'affection douce". Elle craignait que "cédant au découragement, à la lassitude, il ne sombre".
Bien des personnes s'étaient aperçues de l'idylle naissante, même en dehors de leur groupe de scientifiques, car Langevin avait pris un appartement en face de l'Ecole à Paris, pour éviter de rentrer tous les soirs à Fontenay-aux-Roses. Et les gens de l'immeuble voyaient souvent la fine silhouette de Marie gravir les étages jusqu'à l'appartement de Langevin.
L'idylle aurait pu rester discrète si les projecteurs de la renommée ne s'étaient dirigés vers Marie. Elle avait proposé sa candidature à L'Académie des Sciences...... et si elle était élue, elle serait la première femme à franchir le seuil d'un fief exclusivement masculin......Elle voyait les avantages qu'une élection pouvait entraîner pour son laboratoire.....faire publier les travaux de ses chercheurs. Mais également l'ambition d'être la première femme à l'Académie des Sciences.
La presse s'empara de l'annonce de sa candidature. Un nouveau type de journal avec gros titres, sous-titres, photographies avait fait son apparition dans les imprimeries en 1900, permettant d'étendre la diffusion des journaux dans les couches sociales les plus larges, grâce à une nouvelle technologie, la linotype : l'information prenait le pas sur les idées.
Le Figaro célébra les vertus de Marie en en faisant le symbole de l'irrésistible ascension du féminisme. On se serait cru à l'élection de Miss Monde et non à une élection sérieuse, scientifique. Sa candidature était caricaturée par d'autres journaux : une fille pulpeuse tenant la coupole de l'Institut sur sa chevelure déployée avec "quel charmant chapeau me ferait la coupole". Et même LE TEMPS notait que 47 ans plus tôt George Sand avait refusé de se laisser utiliser comme "bélier contre les portes de l'Institut".
Par ailleurs un adversaire masculin Edouard Branly proposa également sa candidature avec sa découverte sur la "radioconduction" qui faisait de lui, en France, le père de la télégraphie sans fil. Il était d'un tempérament aussi peu démonstratif et aussi farouche que Marie et il jouissait comme elle d'appuis considérables.
Les journaux prenaient parti. C'était maintenant la guerre des sexes.
23 janvier 1911, le jour de l'élection, Edouard Branly gagna avec 2 voix de plus. Sa fille déclara l'Académie a enfin ouvert ses portes au père de la TSF.
Marie fut profondément blessée et attribua son échec à la presse et à la politique.... Il la rendit extrêmement vulnérable...... Elle ne postula plus à aucune distinction.
Son laboratoire et Paul Langevin furent un refuge. La science évoluait à grand pas et il était l'un des physiciens avec lesquels la France entrait dans l'ère de la nouvelle physique.
Il vivait maintenant séparé de sa femme et celle-ci cherchait à se venger. Elle fit subtiliser les lettres que Marie avait écrites à son mari, dans son bureau.
Le scandale éclata dans LE JOURNAL du 04 novembre 1911 avec pour titre " Une histoire d'amour entre Mme Curie et le professeur Langevin" .........les feux du radium viennent d'allumer un incendie dans le coeur d'un .....savant .......sa femme et ses enfants sont en larmes". Grâce à la télégraphie sans fil les rédactions internationales furent informées de cette liaison extra-conjuguale.
Marie réagit comme à son habitude, avec fermeté. Elle publia une mise en garde dans LE TEMPS : Je considère toutes les intrusions dans ma vie privée comme abominables..... j'entreprendrai une action rigoureuse contre la publication d'écrits m'étant attribués.....j'ai le droit d'exiger réparation....Par ses menaces le journaliste fit amende honorable mais la presse avait obtenu les lettres de Marie et de Paul.
Et le prix Nobel de Chimie (1911) qui venait d'être attribué à Stockholm à Marie, la plus haute distinction récompensant un savant et la première personne, pas simplement la première femme, à recevoir deux fois un prix Nobel de sciences, passa inaperçu. Les enquêtes
sur l'espionnage juif allemand et les peccadilles libertines de l'intelligentsia libérale également. Seule comptait l'honnête française dont le foyer avait été détruit par une étrangère, une Polonaise....L'ACTION FRANCAISE de Léon Daudet conduisait l'assaut ....reprenant le mot de Fouquier-Tinville expédiant Lavoisier à la guillotine "la République n'a pas besoin de savants."
Des amis influents dont Raymond Poincaré (qui deviendra Premier Ministre en 1912), aidaient Marie et Paul Langevin en tant que conseillers juridiques. Ils demandaient aux journaux de se censurer. Jusqu'au 23 novembre 1911 où un journaliste de L'OEUVRE, un hebdomadaire à scandale publia toutes les lettres de Marie et traita Langevin de mufle et de lâche ......pour avoir fait trainer dans la boue la femme qui porte son nom et mère de ses quatre enfants.
L'intervention de L'OEUVRE eut des effets catastrophiques pour Marie. Elle fut même accusée d'avoir poussé son mari à se suicider en se jetant sous les sabots des chevaux. Elle fut insultée devant les grille de sa maison à Sceaux : Dehors l'étrangère ! La voleuse de maris !"
Marguerite l'emmena chez elle en sécurité. Mais Marie s'inquiétait pour Irène et surtout Eve, plus jeune.
Les journalistes eux-mêmes, après les invectives épistolaires pour, les uns défendre le couple et les autres, l'accuser, se battaient maintenant en duel à l'épée. Et Langevin, humilié, voulut se battre au pistolet contre le journaliste de L'OEUVRE. Au dernier moment le journaliste refusa de tirer : ses scrupules l'empêchèrent de priver la science française d'un cerveau précieux .......
Tout le monde prenait parti et de nombreuses voix engageaient Marie à repartir en Pologne. Elle refusa et se rendit à Stockholm pour recevoir son prix ce qui, après sa première nomination, ne paraissait pas totalement justifié, mais qui était un véritable soutien proposé par des amis. Certaines attributions tenaient en effet du compromis politico-scientifique. Malgré sa fatigue elle prononça elle-même son propre discours. Et le 29 décembre, à son retour, on emmenait sur une civière dans une maison de repos une femme à bout de forces physiques et morales......On diagnostiqua une grave infection de l'uretère, qu'on ne pouvait opérer immédiatement étant donné son état d'extrême faiblesse.
La relation entre Marie et Langevin était totalement détruite. Le spectre d'être la cause d'un divorce avait bloqué toute velléité de future liaison. Or Langevin avait divorcé.
L'affaire était terminée, mais Marie était obsédée par le fait d'avoir souillé le nom des Curie.
Après l'opération elle s'enferma seule dans une maison loin de Paris, du laboratoire et des siens. Elle garda même l'anonymat en prenant un autre nom. Puis elle fut envoyée en Savoie dans un sanatorium.
Elle continuait à noter tous les évènement mesurables de sa vie et la seule allusion au scandale de sa liaison fut "Dépenses affaire L..... 378 francs". Elle notait aussi l'évolution de sa maladie. Mais elle tenait encore le coup grâce à l'aide d'amis qui l'hébergeaient et la tenaient hors des journalistes. En Décembre 1912 elle reprit son travail expérimental au laboratoire, son nom de Curie et loua un appartement dans l'Ile Saint Louis.
L'application du radium fut le traitement du cancer et de nombreux instituts du radium se créèrent en en Europe. Son propre Institut du Radium, qui deviendra la Fondation Curie,
fut prêt le 31 juillet 1914.
Mais tous ses chercheurs étaient mobilisés pour la guerre. Elle se dépêcha de transporter son précieux gramme de radium protégé par 20 kg de plomb à Bordeaux, en zone libre, puis revint à Paris. Elle avait repris son entière maîtrise sur elle-même et les autres.
Elle participa à la guerre, sur les zones de guerre, accompagnée de ses deux filles : elle mettait en place des équipes et du matériel nécessaires pour radiographier les accidentés de la guerre. Irène, 17 ans l'accompagnait comme assistante. Irène prenait les notes et les radiographies.
Avec son gramme de radium elle créa le premier service français de thérapie au radium, duquel on extrayait le radon. La guerre terminée elle retrouva SON laboratoire parisien.
L'été 1919 elle s'en fut dans le midi pour se détendre. Elle écrivit à ses filles : Vous êtes pour moi une grande richesse et je souhaite que la vie me réserve encore quelques bonnes années de vie commune.
Mais elle était toujours sans le sou pour le faire fonctionner. C'est alors qu'elle fit la connaissance d'une journaliste américaine, Missy, qui fut touchée par Marie et à qui Marie fit curieusement entièrement confiance. Une campagne de relations publiques à l'américaine fut lancée par Missy aux Etats Unis pour offrir à Marie un laboratoire personnel dans le Midi de la France et un gramme de radium, également à titre personnel, au prix de 100 000 dollars US. Missy fit en sorte que l'affaire Langevin soit gommée des informations presse et elle invita les deux filles de Marie à sa demande. La femme d'affaires Marie Curie était réapparue et elle insista pour que soit mentionné le fait que le radium lui avait été proposé par Missy et non à sa demande personnelle. Car elle éprouvait un sentiment de mendicité.
L'onde de choc atteignit la France et un gala fur organisé à l'Opéra de Paris en l'honneur de Marie avant son départ pour les Etats Unis où un programme royal avait été mis sur pied par Missy.
Dès l'accostage du bateau tout le monde fut déçu : Marie car elle fut envahie par les journalistes et des foules curieuses, surtout composées de femmes et les journalistes qui ne reconnaissaient pas en cette femme vieillie aux cheveux blancs, le portrait dressé par Missy. Avant même d'arriver à Washington elle était très affaiblie et inquiète. Irène et Eve la remplacèrent aux diverses réceptions offertes par les riches bienfaitrices ayant largement contribué à la souscription organisée en sa faveur. Le radium était devenu la coqueluche de l'Amérique et la somme récoltée était considérable.
Le 19 mai 1921 Marie fut reçue par le Président à la Maison Blanche où on lui remit son gramme de radium dans un coffre d'acajou doublé de plomb d'une cinquantaine de kilos.
Malgré des réceptions annulées, sa fragilité et son charisme avaient ému de nombreux bienfaiteurs qui lui avaient offert d'autres éléments radioactifs que le radium, très coûteux ainsi que des instruments indispensables à son travail de recherche. Sur le plan financier le sort de son laboratoire était maintenant réglé.
Puis ce fut le retour en France dans son laboratoire nouvellement aménagé.
Sa santé était toujours fragile et maintenant le radium étai suspecté d'altérer la santé. Marie s'était fait opérer d'une double cataracte à plusieurs reprises et elle résistait d'une façon incroyable. Sa force de caractère était remarquable. A près de 65 ans elle avait résisté à la tuberculose, à diverses affections des reins, de la vue et du sang.
Ses filles étaient son orgueil : Irène par son sérieux scientifique, Eve par sa spontanéité et sa façon de suivre la mode de la femme d'après-guerre. Elle avait même réussi à charmer Einstein à un congrès de physiciens éminents. Elle était attirée par le piano et le journalisme.
Un jour de 1925 Irène apprit à Marie qu'elle était fiancée à Frédéric Joliot, de 3 ans son cadet. Un jeune, exceptionnel et séduisant, qui était devenu l'assistant de Marie à l'issue de son service militaire. La légende de Mme Curie l'avait fasciné dès l'enfance......Il convenait à Marie à la fois comme physicien et comme compagnon de vie pour sa fille..... De plus il avait été l'élève de Langevin.... Par la suite il choisit de s'appeler Joliot-Curie.
Malgré son âge l'activité de Marie ne faiblissait pas. Elle entreprenait de nombreux voyages, seule ou accompagnée d'une de ses filles. Ses visites internationales contribuaient à la diffusion de la science. Et elle n'oubliait pas la Pologne.
Grâce à son nom et à une nouvelle campagne de souscription organisée par Missy aux Etats Unis, elle reçut un nouveau gramme de radium, du matériel et de l'argent des mains du Président Hoover. Un Institut du radium put être créé à Varsovie en 1928 et il resta de l'argent pour le laboratoire parisien.
Derrière son front glacé et son air réservé Marie se révélait un être passionnément protecteur et parfois possessif.
Elle était également très déterminée : le développement de la voiture et du trafic détraquaient ses instruments dans son laboratoire rue Pierre-Curie, elle fit en sorte que la circulation soit orientée dans le sens qu'elle avait imposé.
Pendant plusieurs années elle joua un rôle actif à la Société des Nations........ Alors qu'elle avait toujours eu à coeur de renoncer à toute forme de brevet sur le radium ........ au début des années trente elle adopta une position très ferme en matière de propriété scientifique et des droits des savants ........
L'Amérique l'avait changée ainsi que Frédéric Joliot.
Marie intervenait pour influencer la politique gouvernementale en matière de choix politiques et scientifiques.
A 65 ans, malgré son visage amaigri et usé, elle restait psychologiquement la femme qu'elle était 40 ans plus tôt.....Elle avait résisté aux éléments radioactifs.......Mais en 1932 elle tomba dans son laboratoire et se cassa le poignet. Elle l'ignora et cela entraina d'autres maux ....Elle mit plusieurs mois à s'en remettre. En 1933 elle souffrit d'un gros calcul dans la vessie.....Elle choisit de suivre un régime draconien plutôt que de se faire opérer et se remit au travail.
Marie tenait le coup et quand Irène voulut l'entrainer à la montagne avec sa fille Hélène de 7 ans elle s'inquiéta de l'obstination chez sa mère, à son âge et dans son état de trop demander à son corps en prenant de l'exercice..... Dans les semaines qui suivirent Marie écrivit des lettres qui tentaient jusqu'à l'obsession de mettre de l'ordre dans ce qui restait de sa vie.....Elle jeta tout ce qui avait trait à sa liaison avec Langevin et ne conserva que les lettres de Pierre Curie..... à sa jeune épouse.
Elle se sentait affaiblie à 66 ans et appela sa soeur Bronia pour qu'elle l'accompagne dans sa maison du Midi. Mais elle prit froid et sa soeur la ramena à Parisoù elle se rétablit temporairement. Elle repartit au sanatorium avec Eve et le voyage fut un désastre : en arrivant à St Gervais elle s'évanouit. Ses poumons n'étaient pas en cause, mais une analyse de sang détermina une anémie pernicieuse. En juillet 1934 son affaiblissement était total ......son état ...désespéré. Elle fut enterrée dans le cimetière de Sceaux, près de Pierre.
L'époque d'une science "désintéressée" était dépassée.
Sa célébrité ..... naquit de l'utilisation du radium dans le traitement du cancer.
Irène, qui avait suivi sa mère dans ses recherches, mourut également de leucémie en 1956. Frédéric mourut 2 ans plus tard d'une affection du foie refusant d'admettre un lien avec ses travaux sur la radioactivité.
Eve devint critique musicale et écrivain. Elle établit entre autre une biographie de sa mère.
Que peut-on dire à propos de Marie Curie ?
- Sur le plan professionnel elle s'est située à l'égal des hommes pour faire valoir ses recherches et a été reconnue comme un homme l'aurait été à son époque. Elle a bien précisé au cours de ses travaux sa part personnelle, celles de son mari et de ses collaborateurs. Très méticuleuse, elle écrivait tout ce qui était quantifiable.
- Sur le plan personnel il semble que ce soit une femme qui avait besoin de présence affective plus que de sexualité. Son mari paraît avoir été son premier homme. Son éducation religieuse à cette époque, paraît être pour beaucoup dans sa sexualité peu exigeante. Mais on peut penser que l'intérêt de ses recherches a probablement pompé beaucoup de sa libido.
Elle a été perçue comme très réservée, même froide. Très méfiante.
Jeune, les médecins polonais avaient diagnostiqué une dépression. Or elle a fait la démonstration d'une très grande résistance physique et psychique
dans les épreuves.
Sa vie familiale, tardivement, a été riche de tendresse avec ses filles, après sa relation avec Paul Langevin.
Elle n'était pas un homme même si elle a conduit ses recherches comme les scientifiques hommes de son époque. Son désir de séduire Paul Langevin, comme une femme, en fait foi.
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HATSHEPSOUT [35] (en Egypte -1495 à environ -1457)
Ces informations sont extraites de manuscrits retrouvés, de stèles, de statues, de bas reliefs de monuments érigés par les architectes d' Hatshepsout ainsi que par Sénènmout qui a beaucoup contribué à leur conception.
Après le règne d'Ahmosis, le roi libérateur contre les Hyksos et d'Ahmès Nofrétari, son Epouse Royale,
C'est celui d'Aménophis Ier-Djeserkarê et son Epouse Royale Méryt-Amon.
La reine mère, Ahmès Nofrétari, veuve du roi Ahmosis, avait secondé son fils Aménophis Ier après l'occupation étrangère et sa grande expédition punitive au pays de Koush, autour de la Quatrième Cataracte du Nil, en Nubie.
Elle s'était penchée sur l'organisation du clergé et du culte d'Amon. Mais elle veillait aussi à l'avenir de la couronne encore vulnérable car la femme de son fils Aménophis Ier était stérile.
Lorsque Aménophis Ier mourut la reine mère joua un rôle important pour lui trouver un successeur.
Thoutmosis, officier d'Aménophis Ier, qui l'avait suivi dans ses diverses expéditions militaires et peut-être apparenté à la famille royale par une branche latérale, lui sembla un candidat de choix.
Près du palais, à Thèbes, Ahmès, Noble Dame et demi-soeur du Noble Thoutmosis mettait une fille au monde, si ravissante que sa mère s'écria Hat-Shépésout c'est-à-direelle est à la tête des Nobles Dames. Ainsi fut nommée le futur roi d'Egypte.
Ahmès devenait ainsi la Grande Epouse Royale, l'épouse principale de Thoutmosis Ier et leur fille Hatshepsout, 9 ans, Princesse Royale.
La fillette grandissait et Thoutmosis Ier lui reconnaissait une étonnante maturité, des qualités exceptionnelles et il voulait l'initier à toutes les étapes de la vie de l'Egypte : la préparer à jouer un rôle important dans le royaume. "Je la mettrai à ma place" avait-il déclaré un jour.
Il l'envoya faire un séjour "éducatif" pour la connaissance de la vie paysanne, loin de la capitale Thèbes pendant quelque temps.
Alors que le roi était en expédition militaire, le temple de Louxor fut le théâtre d'un miracle. Des oracles furent rendus à la face du monde entier, destinés à soutenir l'ascension d'Hatshepsout. Il semble que Thoutmosis I ait monté ce stratagème avec les prêtres d'Amon avant son départ en expédition.Peut-être avait-il pensé à sa possible disparition durant son expédition ? Car les trois fils de l'épouse secondaire de Thoutmosis ne semblaient pas compter : les rejetons de Moutnéfèrèt paraissaient moins aptes à régner. On parlait de "fragilité" mentale.
Hatshepsout croyait à ces oracles, qu'elle avait été désignée pour gouverner les Deux Rives. L'oracle du dieu l'avait mise en avant plus que celui qui était dans le palais, Imenmès, l'ainé de ses demi-frères. Et elle admettait être prédestinée par la grâce d'Amon. Sa nourrice, sceptique, tentait cependant de calmer l'exaltation d'Hatshepsout.
Au retour de Thoutmosis Ier, vainqueur, Hatshepsout vint lui raconter les oracles, ce qui ne surprit pas son père. Par ailleurs fut évoqué le départ sa soeur décédée vers le globe solaire.
Hatshepsout demeurait maintenant la seule héritière et son père la présentait ainsi et elle recevait de lui l'éducation d'une héritière au trône.
En tournée avec son père vers le Delta, ils s'arrêtèrent à Memphis chez son demi-frère Imenmès, généralissime de l'armée du roi son père. Sur le plateau de Guiza au pied du grand Sphinx, elle lut que son père avait déjà inscrit son nom dans le cartouche royal : Amon avait "désigné" la princesse comme promise au trône des pharaons.
De retour d'une nouvelle campagne, en Asie, Thoutmosis I pensa, plus que jamais qu'il fallaitveiller à l'avenir de la Couronne et accompagné de sa fille, il se prépara à un séjour plus officiel vers le grand centre religieux d'Héliopolis, siège d'une étape essentielle du couronnement en Basse Egypte.
Mais en attendant, avec son père ils firent le tour de tous les sanctuaires proches de Memphis, ce qui faisait d'elle l'unique héritière du roi, et il l'associait également à l'exercice de certaines fonctions royales. Mais était-ce mythe ou réalité ?
Car de retour à Thèbes, à 18 ans elle fut mariée à son demi-frère Thoutmosis, 17 ans, fils de l'épouse secondaire de son père. Ils s'installèrent près du Palais Royal puis Hatshepsout mit au monde une fille, Néférouré. De la concubine Isis un petit prince, Thoutmosis, avait vu également le jour, lui qui serait plus tard Thoutmosis III.
Le couronnement de Thoutmosis II eut lieu quatre ans après leur mariage. Elle devenait Grande Epouse Royale et une seconde fille d'Hatshepsout, Mérytrê Hatshepsout, naquit. Mais cette enfant fut systématiquement tenue dans l'ombre. Un mystère entoure cette naissance.
Il fut nécessaire de leur choisir un Père nourricier et tuteur. Thoutmosis II choisit Sénènmout, jeune militaire qui avait déjà accompagné Thoutmosis Ier dans une expédition militaire et s'était fait remarquer par ses actions d'éclat. Très tôt en effet le jeune Sénènmout était allé guerroyer à trois reprises contre une tribu installée à 30 km au sud de Louxor et avait été récompensé par la remise d'un bracelet spécial dont il était très fier.
Sénènmout devint ensuite le précepteur attitré de la princesse Néférouré, première fille d'Hatshepsout.
Mais très vite il jouera un rôle essentiel dans la vie d'Hatshepsout, après un règne de Thoutmosis II de trois années environ et terne, étant donnée la personnalité falote du roi.
Veuve maintenant, Hatshepsout devait affronter l'avenir, et assurer celui de ses deux filles ainsi que celui d'un petit prince, son beau-fils et neveu, d'environ 4 ou 5 ans.
L'Histoire se répétait, c'est encore l'enfant mâle de la reine secondaire qui supplantait l'héritière légale au trône. Il semble cependant qu'Hatshepsout, devenue de droit régente, ne s'y soit pas opposée, mais elle avait très fermement l'intention de monter sur le trône de son père ..... Et dans un premier temps, assumer une cogérence avec le petit prince, Thoutmosis.
Elle fit figurer son nom d'Hatshepsout et une dédicace sur les flancs des obélisques à la gloire d'Amon et érigés selon le projet de son mari Thoutmosis II , au nom de l'enfant roi.
Elle donna des directives à Sénènmout, qui deviendra concepteur de grands projets architecturaux, pour réparer, compléter, édifier , ici une chapelle, là un temple à Thoutmosis II, plus loin des petits temples, des statues, des stèles.
Dès le début de la cogérence Hatshepsout montra un réel respect au petit roi, en lui réservant le dernier titre du protocole, Sa-Rê, fils du Soleil, mais très vite elle se fit appeler Maâtkarê, roi de Haute et de Basse Egypte. Avant même d'avoir été couronnée, alors que ce sont les prêtres qui choisissent le prénom du roi, elle avait décidé de son prénom tout en respectant la coutume de le terminer par Rê, le soleil.
Elle laissait ainsi planer une ambigüité certaine autour du couple de la cogérence. Il en ressort néanmoins que la régente assure véritablement le pouvoir mais en compagnie de son neveu. Sur les inscriptions figurent en parallèle leur deux noms.
Sénènmout continuait son ascension.
Il fit ériger une stèle au nord du temple de Karnak, en granit rose, matière royale, avec des inscriptions portant les noms jumelés de Maâtkarê, roi de Haute et Basse Egypte et de Menkhéperrê. Il y est question du transfert de biens, de terres.....et même de deux serviteurs. Il faisait ce don à Thoutmois III au bénéfice du temple d'Amon. Sorte de retour à l'enfant qui était supposé lui avoir fait ce don auparavant. Mais ce don aurait peut-être avoir été fait dans l'intention de se concilier les prêtres d'Amon qui géraient les richesses du dieu et lui permettre d'être investi de la charge de Grand Intendant d'Amon.
Sur la stèle il faisait également allusion aux Ateliers que le roi de Haute et Basse Egypte, Maâtkarê (Hatshepsout), avait établi pour son père Amon dans le désert, à Deir el-Bahari, où elle fera construire son propre temple jubilaire selon les conseils de Sénènmout, le concepteur.
Au moment de la nomination d'un nouveau vizir, sorte de Premier ministre, Maâtkarê avait 30 ans et le roi 9 ans,
Régulièrement le vizir et le Chef Trésorier rendait compte des activités du pays à Maâtkarê. Mais officieusement le Chef Trésorier dépendait du Trésorier du roi du Nord, Sénènmout. En fait, dès cette nouvelle intronisation du vizir, ces deux plus hauts fonctionnairesétaient dominés par l'exceptionnelle autorité.... de la régente .....Sénènmout paraît même avoir, le cas échéant, officieusement emprunté l'autorité du vizir, dans le fonctionnement de nombre de charges. Il était monté au second rang dans la hiérarchie derrière le roi Maâtkarê.
A cette époque Hatshepsout fit rouvrir les mines de cuivre et de turquoise du Sinaï pour y marquer la présence royale. Une stèle au nom du "Fils du soleil Menkhéperrê" et du "roi du sud et du nord Maâtkarê" (Hatshepsout) témoigne de cette préoccupation royale. Plus loin un graffito la montre encore vêtue d'une longue robe, la perruque couverte des ailes du vautour royal et dominée des hautes plumes de l'Epouse du dieu.
Des troubles agitaient la Moyenne Egypte, elle devait donner réplique à ceux qui pourraient reprocher cette régence féminine prolongée, peu familière au régime de la couronne...... prouver qu'elle était digne de monter sur le trône.
Ainsi fut gravé une scène sur un rocher de la région, texte dans lequel le Prince héréditaire, le Gouverneur.....affirment .....Je l'ai vu renverser les nomades, leurs chefs lui ont été amenés prisonniers..........tous les pays du Sud ( la Nubie) sont sous ses sandales, comme cela fut fait par son père........Elle a accompli devant les fonctionnaires qui l'accompagnaient le geste de la destruction de l'adversaire menaçant le pays ....... genou à terre devant elle.
Elle avait agi en souveraine et elle fit édifier deux temples et deux obélisques consacrés au patron de la Cataracte : La partie intérieure est décorée au nom d'Hatshepsout, mais à certains endroits dans la partie postérieure, les deux noms d'Hatshepsout et de Thoutmosis III figuraient parallèlement.
Puis un deuxième temple à la Deuxième Cataracte.
Elle s'entoura de très hauts personnages et de techniciens dont le dévouement paraissait total.
Dans la région minière Hatshepsout avait accordé des concessions aux hautes personnalités qui entouraient Sénènmout.
Ce dernier préparait l'ultime ascension d'Hatshepsout avec un consensus très approbateur et la totale adhésion du vizir et du Premier Prophète d'Amon. Hatshepsout jouissait aussi de l'admiration de ceux qui avaient servi son père avec talent, témoins de la princesse depuis sa plus tendre enfance. .....Elle était perçue comme une autorité solide et indiscutable.
Mais elle devait affirmer encore plus son autorité, face à des troubles au Nord de l'Egypte, qu'elle soit officiellement proclamée.
Aussi décida-t-elle d'organiser des cérémonies qui justifieraient sa visible prise de pouvoir, tout en respectant le calendrier de couronnement du jeune roi, qu'elle représentera toujours à ses côtés....... une éternelle cogérence.
Ce dernier âgé de 10 ans recevait toujours un enseignement intensif auprès des clercs du temple : l'initiation aux armes dont le tir à l'arc, le cheval......
A cette époque il accompagna même les officiers en expédition militaire au-delà de la frontière orientale et revint la veille du premier mois de l'Inondation (crue habituelle du Nil) pour le "couronnement de la régente".
Hatshepsout était âgée de 31 ou 32 ans. Elle envisageait déjà sa fille de 11 ans, Néférourê, harpiste de talent, mariée au jeune roi, doté de qualités d'intelligence et de coeur appréciables. Un silence sur sa seconde fille, Mérytrê Hatshepsout.
Elle portait également une attention particulière à un jeune nubien, Maïherpéra, âgé de 14 ans, prisonnier de "guerre" et que personne ne réclamait. Sa fière allure, sa beauté, son intelligence le destinaient à devenir une sorte de page, ce qu'il fut durant la cérémonie du couronnement.
Afin qu'on ne lui conteste pas la liberté de célébrer les rites et le droit de posséder les insignes de la royauté, elle voulait une confirmation officielle de son pouvoir,avec l'appui total du clergé d'Amon, pour contrer une éventuelle opposition d'une autre branche princière.
Elle s'organisa, au cours de processions à Karnak, le domaine d'Amon, pour qu'une série d'oracles se répandent, rappelant ceux qui s'étaient produits pendant le règne de son père la désignant comme héritière.
La barque sacrée portée par ses prêtres rendit un grand oracle à la porte du palais, puis un autre à la Double Porte du palais près du fleuve. Hatshepsout sortit de son palais et se prosterna en disant : mon Maître que désires-tu voir se réaliser ? J'agirai conformément à ce que tu as ordonné. Puis après les purifications, elle se dirigea vers le sanctuaire...... Elle mit
les insignes de sa fonction et .......sa parure de Grande Epouse Royale. .......
Puis elle retourna au Palais pour prendre place dans le Grand Siège ...... et revint vers le temple........pour de multiples rites. Elle fut ensuite conduite par les dieux dans la grande maison de la déesse Uraeus, l'habitat divin des premiers âges de haute Egypte, pour l'investiture suprême par la déesse. Ce fut l'instant où le serpent sacré apparut sur son front. Puis Amon posa successivement les neuf couronnes sur la perruque d'Hatshepsout agenouillée devant lui et lui tournant le dos.........Elle put ensuite quitter les parures d'Epouse divine et arborer les ornements de Rê. Le protocole établissait Hatshepsout en tant que roi parfait au sein de l'Egypte.......Elle venait de recevoir les couronnes du pouvoir.
Elle reçut ensuite les instructions d'Amon et prit place sur le trône d'or fin.
Aucune allusion au roi vivant, qui lui, avait cependant reçu l'initiation aux secrets des horizons divins.
Son habileté résidait dans la suppression des longs rituels habituels de couronnement, hautement symboliques et qui font que tout dépend d'Amon et de ses oracles, distribués avec générosité.... Mais comme ce n'était pas suffisantHatshepsout a introduit la présence du père dont elle détient l'héritage dispensé dès sa tendre enfance, de surcroît un père qui lui indique la date de son couronnement, le jour de l'An, jour de l'Inondation prenant possession de toute l'Egypte par la force du flot nourricier avec lequel le roi est confondu.
Tout s'était déroulé avec l'aide de Sénènmout et l'accord des prêtres d'Amon, qui en échange avaient bénéficié de largesses royales.
Toutes ces cérémonies l'avaient ainsi confirmée dans ses droits à l'autorité qu'elle avait acquis depuis le début de sa cogérence ainsi que celui de porter les couronnes et la longue barbe divine factice.
Mais en dépit de ses prétentions, son nom de naissance, Hatshepsout, ne contenait aucune mention de divinité car elle n'était pas fille de roi le jour de sa naissance. Dans le cartouche royal elle fera alors suivre son nom de "unie avec Amon" se référant, selon une ancienne légende à la Vè dynastie, bien antérieure.
Elle avait ainsi toutes les prérogatives d'un souverain régnant mais placée sur un trône double et la majorité des documents étaient signés des deux souverains. Pour officialiser cette position elle devra dorénavant au cours des cérémonies officielles revêtir le costume masculin de la royauté et....... pour les actes civils ses atours féminins.... Dans les textes religieux c'est le genre féminin qui lui est attribué.
Elle n'avait pu créer son cycle de règne personnel car son neveu avait été réellement investi en tant que roi sept ans plus tôt. Ses plus fidèles soutiens ne voulaient pas risquer un coup d'état, mieux valait innover et trouver un compromis. Pour éviter la lourdeur des deux noms des deux souverains accompagnés de leur titre, dans les textes officiels des monuments édifiés par Hatshepsout, le scribe prit la liberté de les remplacer par le terme égyptien de leur résidence "la Haute Demeure" PER-DA ......PHARAA ......PHARAON. Le mot devint ainsi dorénavant le titre du souverain.
Mais elle en était toujours à vouloir être Sacrée, pouvoir affirmer sa prédestination miraculeuse..... devenir fille d'un dieu.
Sénènmout, Grand Majordome, fut chargé de démontrer les origines divines d'Hatshepsout.
C'était un personnage habile, un homme aux pouvoirs officieux exceptionnels, aussi bien dans le domaine civil que sacerdotal, 66 charges différentes, une stupéfiante étendue.... Mais même écrasé sous les titres il était demeuré discret.
Il était le Grand ami qui remplit le coeur de l'Epouse du dieu.
Il fit une démonstration imagée et écrite de l'histoire de la naissance d'Hatshepsout sur un rouleau de papyrus : Amon était le géniteur et Ahmès, Grande Epouse Royale de
Thoutmosis I, la mère. Amon prit l'aspect de Thoutmosis I et entra dans la chambre d'Ahmès, endormie. Elle s'éveilla à son approche et ils s'étreignirent : "Ta rosée a pénétré toute ma chair". Ilrépondit "Hat-shepsout-khénémèt-Amon..... tel sera le nom de cette ....fille que j'ai placée dans ton sein" et il se retira.
La composition se déploie jusqu'à sa naissance et son baptême où elle reçut l'eau purificatrice pour ta dignité de roi de Haute et de Basse Egypte.
Cependant Hatshepsout n'était toujours pas un nom divin. Il lui fallait donc agir en faveur du soleil, puisqu'elle s'affirmait "sa fille".
Elle devait donc dresser des monuments au soleil. Elle choisit à Karnak un endroit à l'est où faire ériger un temple face au soleil levant, appelé Temple d'Amon qui écoute les prières. Encadrant la façade, ses deux obélisques décorés à la base d'images d'Amon en relief et dans un naos des images assises d'Amon et d'elle-même dans une robe féminine et non dans un costume masculin de souverain, expression visible du divin qui l'avait engendrée. Face au soleil levant qui l'irradiait elle devenait ainsi la fille d'Amon-Rê.
C'était une réforme discrète mais une innovation fondamentale qui allait établir le contact entre l'homme et le divin. Ce que souhaitait Hatshepsout puisqu'elle voulait communiquer avec son peuple. Grâce à l'architecture Karnak était redevenu le chantier le plus important....... Le point de départ de l'allée des Sphinx conduisant à un temple divin était l'objet d'une attention particulière de la part de Sénènmout car Hatshepsout l'avait autorisé, par faveur particulière, à construire une petite chapelle sur le côté, pour lui.
Hatshepsout souhaitait s'allier les princes et rois des tribus situées le long du Nil, jusqu'au pays du Pount (le Soudan) , ouvrir les chemins directs vers la Terre du dieu Amon et ramener les arbres à oliban pour les planter dans le domaine de son créateur. Et passer des accords avec eux. Elle organisa une expédition pour rapporter en Egypte des produits orientaux, des arbres à oliban, de l'ébène, un couple de guépards, des babouins, des essences.......
D'imposantes cérémonies célébrèrent le retour triomphal de l'expédition à Karnak et une exposition fut organisée pur offrir tous ces produits à Amon.
Ces moments furent si forts qu'Hatshepsout fut saisie d'ivresse, sa Majesté elle-même répand de l'huile sur tous ses membres, son parfum est comme un souffle divin..... l'instant unique de communier avec la Terre du dieu... Les Grands, les prêtres, les courtisans, le peuple l'acclament.
Le petit roi, âgé d'une dizaine d 'années, était toujours associé aux cérémonies. Cogérent il était et roi, sacré selon les rites les plus secrets, Thoutmosis III.
Tout à la gloire de son père divin Amon et à la profonde dévotion vouée à son père terrestre Thoutmosis I, elle a beaucoup fait pour son existence publique. On en sait beaucoup moins à propos de sa vie personnelle. En dépit d'apparences dues à son obligatoire jeu royal, cette femme ne renia jamais sa féminité.......Vers la quarantaine elle était arrivée au fait d'une gloire acquise et méritée. Mais peut-on penser que l'affectueuse fidélité des compagnons de son père et le dévouement de ses collaborateurs lui suffisaient ?
L'attention se porte ainsi sur Sénènmout, personnage central de son entourage.
Qui était Sénènmout ?
Il est resté célibataire, statut exceptionnel en Egypte où tout Egyptien est voué au mariage dès la puberté. Issu d'une famille de six enfants (deux filles et quatre garçons), ils étaient vraisemblablement originaire du Sud, de l'autre côté de la Première Cataracte, en Nubie égyptienne.
Déjà dès l'époque de Thoutmosis Ier (le père d'Hatshepsout) et bien que Sénènmout ne fut pas issu de seigneurs thébains apparentés aux libérateurs du pays, il avait connu une ascension fulgurante grâce à ses qualités personnelles exceptionnelles et son comportement remarquable au cours d'expéditions militaires. Il s'était installé à Thèbes auprès de la famille royale et lui était vite devenu indispensable.
Beaucoup d'égyptologues l'ont pensé ambitieux car d'extraction modeste. Or le Grand Intendant fut d'une grande discrétion sur son intimité avec la reine, seuls transparaissent des témoignages de vénération, d'attachement à Hatshepsout qui excluent semble-t-il toute flagornerie.
Très jeune il avait partagé la vie, l'intimité de la famille royale. Selon un graffito tracé sur un bloc de granit d'Assouan on peut voir Sénènmout, ce Serviteur "très aimé" représenté devant Hatshepsout, sur un plan d'égalité, la main sur le coeur en signe de respect. Elle porte encore un vêtement féminin..... et tient dans sa main une sorte de bâton de commandement
On ne peut que remarquer le souci de chacun des deux personnages de se déclarer par l'image, très aimés. Tout reste dans la plus grande discrétion car Sénènmout n'apparaît pas dans les scènes officielles.
Avant même la mort de son époux, Hatshepsout avait permis à Sénènmout de faire creuser un des premiers cénotaphes[36]du règne, au nord de la Première Cataracte du Nil, là où l'impétueuse Inondation s'engouffre vers l'Egypte à travers un rétrécissement des berges.
A l'entrée on pouvait lire "La fille aînée du roi, Hatshepsout, qu'elle vive, aimée d'Amon Seigneur des trônes des Deux Terres, roi des dieux". Sans titre et sans mention du roi régnant. Ce cénotaphe était une faveur exceptionnelle.
Il fera également graver Grand intendant de l'Epouse du dieu, titre qui précédera son nom en encadrement de la niche contenant sa statue dans le fond du cénotaphe. De même lui fut affecté un sarcophage en quartzite, auquel fut donné un aspect tout particulier, un arrondi à la tête et aux pieds formant un quasi cartouche, donnant ainsi une identité parfaitement royale à la dernière enveloppe de Sénènmout. Dans son caveau il avait fait représenter un de ses frères à la place rituelle du fils ainé, ce qui signifiait qu'il n'avait pas engendré d'enfant.
Au plafond de la salle du caveau les deux noms d'Hatshepsout et Sénènmout sont jumelés.
Il ne semble donc pas avoir été traité comme un sujet de la reine mais comme un alter ego.
Il s'était également fait construire, sans aucun doute avec l'accord d'Hatshepsout, une magnifique chapelle funéraire au-dessus de la petite sépulture de ses parents face à Thèbes, de l'autre côté du Nil, vers l'époque du couronnement d'Hatshepsout.
Et il s'était aperçu que par un "jeu de la nature" le fronton rocheux sur lequel il devait édifier le monument d'Hatshepsout faisait face à sa chapelle : deux sanctuaires aménagés pour leur commune éternité.
Autour de cette chapelle il avait fait ensevelir de nombreux proches, de sa famille et de ses amis ainsi qu'une petite jument et un singe entourés de bols de nourriture : ainsi le plus grand des grands, le plus puissant des puissants, après la souveraine, avait accepté que la cour de sa fastueuse chapelle funéraire soit utilisée pour recevoir d'humbles sépultures, émouvantes par les liens qu'elles révélaient.......Sénènmout un être profondément simple et sensible envers ses frères les hommes et ses amis les animaux familiers.
Son amour pour la reine était tel qu'il voulait faire vivre son nom intensément. Il utilisa la cryptographie pour chanter par rébus le nom de sa souveraine sur trois statues-cubes, le mur d'un temple et des scarabées. On pouvait y lire Hatshepsout-unie-à-Amon et Maât-ka-rê, le nom de couronnement de la reine . Ce fut la naissance officielle en Egypte de la cryptographie, cette écriture secrète, XV siècle avant J.C. Après les noms jumelés il y eut les images rapprochées qui sont la représentation du couple en Egypte.
Tous ces indices font penser à une intimité de couple.
Mais peut-on en être sûr ?
Il semble que cette image de couple que Sénènmout représentant Hatshepsout en femme, à ses côtés constituait une allusion à peine voilée à la vie privée qu'il devait partager avec Hatshepsout dans l'intimité, lorsqu'elle n'était pas contrainte de figurer officiellement revêtue des attributs masculins des cérémonies officielles et religieuses...... reproduire le ménage impossible à officialiser, celui de la souveraine et du prince "consort" inavoué...... Ce secret du Palais semble avoir été respecté.
Deux graffiti représentant deux scènes érotiques des deux "amants" semble attester de leur intimité : l'une des images représente une femme nue coiffée du khépéresh royal et penchée vers l'avant avec un homme debout très proche derrière elle.
Il semblerait également qu'un jeune page d'Hatshepsout, Maïerpéra, mort vers l'âge de 21 ans, ait été un fils issu de leur union, alors que Thoutmosis II, l'époux d'Hatshepsout était encore en vie. Sa sépulture fut découverte dans le temple de sa mère, en construction à l'époque de sa mort, ce qui incite à penser qu'il s'agit d'un membre de la famille royale. De plus la momie était parée de bijoux et entourée des offrandes habituelles pour un jeune noble. Il avait le teint brun foncé mais aucun caractère négroïde........Son type rappelait beaucoup celui des Thoutmosis, mais également le type nubien de Sénènmout.
Hatshepsout poursuivait sa trajectoire de symbolisation pour sa renaissance jubilaire, en se faisant représenter par l'image d'Osiris-soleil : le contemporain de la reine connaissait bien les figurations d'Osiris .........l'ancêtre de tous les rois d'Egypte représenté sur son trône tenant en main ses insignes traditionnels, le fouet et le crochet. L'aboutissement du voyage serait suggéré par le signe de vie et le sceptre à tête de chien..... deux signes solaires qui évoquent le souffle de vie, l'action solaire.
Au cours de ce jubilé la souveraine devait passer par des mutations : d'abord la mort apparente puis la résurrection solaire grâce à des symboles animaux familiers, la vache/Hathor et le chien/Anubis. Le lait de la vache/mère n'est autre que la nourriture fournie par le placenta......Le chien était le guide des trépassés dans la zone des mutations jusqu'à sa réapparition comme un soleil.
Ainsi de nombreux monuments et fêtes jalonnaient le règne d'Hatshepsout toujours accompagnée de son cogérent, Thoutmosis III.
Après 15 ans de règne Hatshepsout organisa une fête spéciale déjà imaginée par les anciens souverains pour revitaliser ceux qui avaient assumé 30 années de règne. Il lui paraissait essentiel d'affirmer une fois de plus ses indiscutables droits au trône.
Elle se référa une fois de plus au premier oracle d'Amon qui l'avait désignée à la royauté dès l'avènement de son père....... Elle rattacha son règne à celui de son père comme une sorte de première cogérence.......Et additionna le règne des trois ans de son époux ainsi que les seize années de cogérence avec son neveu.....Elle parvenait quasiment aux trente années nécessaires pour bénéficier des honneurs et des avantages du parfait jubilé. Et ainsi jouir définitivement de l'aura d'un souverain à part entière.
Il semble que Sénènmout ait assisté au jubilé d'Hatshepsout mais qu'il ait refusé d'édifier les obélisques prévus pour commémorer les festivités dans la salle sacrée où son père, son époux et son neveu avaient été couronnés et initiés aux suprêmes secrets, ainsi qu'elle-même, mais pour une partie des rites seulement. Introduire ces obélisques dans la salle était une inimaginable violation des lieux sacrés.
Sénènmour refusa et c'est Aménhotep qui devint Grand intendant et assuma la responsabilité des festivités jubilaires.
Il semble que le rituel complet ne fut pas accompli, en omettant les ultimes instants d'initiation comme pour le simulacre de son couronnement.........Les preuves matérielles de ce "semblant" de jubilé ne nous sont pas parvenues ...........ni dans ses écrits ni dans les bas-reliefs de ses temples.
Mais ses obélisques furent cependant édifiés dans la salle sacrée, après 19 mois de travail, de la carrière à leur édification, sans qu'elle se rende compte de la difficulté de les faire entrer dans le temple et du sacrilège que cela porte à l'intégrité des lieux sacrés aménagés par son père......Au lendemain de la cérémonie Sénènmout avait spontanément glorifié l'inspiration divine de sa souveraine bien-aimée. Ils s'étaient réconciliés.
Mais Hatshepsout avait décidé de clore le programme architectural qu'elle poursuivait pour son père divin, Amon...... Elle avait suivi avec détermination, les ordres de son créateur. Elle avait été suffisamment forte pour triompher des embûches, des complots. Elle avait rétabli l'ordre..... "J'ai accompli les desseins de celui qui m'a créé".
Pour ce faire elle organisa une seconde fête mais elle n'a pas pu préciser que ces monuments auraient pu être les témoins les plus spectaculaires de la première fête de son règne....Elle accomplit la célèbre course accompagnée du taureau.... coiffée de diverses couronnes .....Elle portait la couronne blanche (du Sud) alors que Thoutmosis, supposé partager le rite avec elle, portait la couronne rouge (du Nord).
Thoutmosis III avançait en âge et il apparaît sur des fresques aux côtés de sa Grande Epouse Royale, Mérytrê-Hatshepsout, fille ou nièce de la reine ?
Il commença à prendre un rôle actif : il organisa une expédition punitive contre les Bédouins du Sinaï, la zone des turquoises.
Sur une paroi rocheuse, en l'an XVII,[37] le scribe du Vice-Roi de Koush fit graver un graffito faisant allusion à Thoutmosis III, sans mention de Maâtkarê. Cela n'est pas suffisant pour évoquer la disparition de la reine, mais incite à penser que le rôle de Thoutmosis était devenu prépondérant.
Cependant son nom est encore mentionné en l'an XX. Ensuite c'est le silence sur ses actes. Mais en l'an XXII un texte très dégradé, sur une stèle, semble résumer les principales étapes du règne de Thoutmosis Menkhépérê, ce qui laisserait entendre qu'il régnait seul. Et peu de temps après la date indiquée sur la stèle, Thoutmosis partit en Asie pour sa plus glorieuse expédition militaire.
Selon des recherches d'un historien engagé par Ptolémée II[38], il en ressort qu'Hatshepsout aurait régné 21 ans et 9 mois (en tant que cinquième souverain de la XVIIIè dynastie), à partir du moment où l'oracle d'Amon l'avait désignée pour monter sur le trône, ce qui correspond aux prétentions d'Hatshepsout.
Elle n'apparaît cependant pas sur les listes royales des souverains, établies par les premiers ramessides, probablement parce qu'elle n'a jamais été investie de l'ensemble des prérogatives royales, malgré ses fêtes et son semblant de couronnement. Et il n'y a aucune mention de son décès, seul son vieux précepteur aurait laissé une trace gravée sur les murs de son propre tombeau indiquant le décès d'Hatshepsout en tant que Grande Epouse Royale. Mais le peuple la considérait comme roi du Sud et du Nord.
Thoutmosis ayant été déjà été investi, selon les rites les plus secrets dès son enfance, il ne fut vraisemblablement pas utile de préparer les cérémonies d'investiture, ce qui aurait pu permettre de situer le décès d'Hatshepsout.
Et aux environ de -1457, après 22 années de cogérence, âgée d'environ 50 ans, Hatshepsout fut enterrée dans son gigantesque caveau de la vallée funéraire royale , Deir-el-Bahari, et Thoutmosis III conduisit certainement les cérémonies.
Qu'apprend-on d'Hatshepsout ?
- Elle a été une cogérente loyale :
Elle n'a jamais ignoré Thoutmosis malgré de nombreux atouts pour appuyer sa légitimité, mais elle s'est probablement inclinée devant la "raison d'état" au détriment de sa complète et personnelle ambition...... Elle assura à Thoutmosis III une formation digne d'admiration.
- Elle a cherché à se faire "naître" et reconnaître de son père divin, symbolique, au cours de nombreuses fêtes dédiées à Amon.
A plusieurs reprises elle a tenté de bénéficier de la transmission du pouvoir royal allant jusqu'à renouveler les obsèques de son père biologique pour le réensevelir dans son propre caveau, en digne héritière du trône. Thoutmosis le transfèrera plus tard dans son propre caveau à lui.
- Elle a administré l'Egypte à l'égal d'un homme
Elle a mené des expéditions militaires contre des rebellions, de même qu'un roi l'aurait fait.
- Elle a également suivi l'oracle d'Amon en allant nouer des liens commerciaux avec la terre de l'oliban, au-delà de la Cinquième Cataracte. Il s'agissait de la première expédition scientifique d'envergure avec géographes, ethnologues, hydrologues, botanistes, zoologues, ichtyologues, minéralogistes, métallurgistes .....et dessinateurs (comme Darwin le fit au + 19è siècle).
- Elle sut choisir un ensemble de hauts fonctionnaires fidèles et compétents, capables de l'aider pour affronter toutes les difficultés du pouvoir. Sénènmout fut le plus puissant.
- Elle ouvrit la "Vallée des Rois" qui devint la nécropole des souverains jusqu'à la fin du Nouvel Empire.
C'est sous son "règne" que le mot PHARAON (Per-âa, la Haute Maison) fut créé par un scribe. De même l'invention de la cryptographie.
Pour les Egyptologues Hatshepsout/Maâtkarê fut le Premier Réel Pharaon.
Longtemps après sa mort elle fut persécutée, victime d'une proscription : Ses monuments ont été l'objet d'une vindicte ......Mais on ne sait pas pourquoi
Ses effigies, ses noms et certains textes concernant son couronnement, son culte du divin .....
furent martelés et même détruits d'une façon systématique et très précise dans certains cas, en respectant les murs sur lesquels ils étaient apposés. Mais on retrouva de nombreuses statues en quasi miettes dans la carrière de pierres qui servit à construire son temple de Deir-el-Bahari.
Il semble que Sénènmout vécut longtemps après la disparition de la reine mais qu'il avait subi une grave disgrâce royale de la part d'Hatshepsout. On ne sait pas pourquoi.
On ne sait rien non plus sur sa mort, bien qu'il ait été accepté par Thoutmosis. Le caveau qu'il avait préparé pour lui à Deir el- Bahari fut scellé par un mur de briques sans sa cuve funéraire et il subit après sa mort, de même qu'Hatshepsout, une "petite" persécution, moindre que celle de la reine.
Thoutmosis III détourna certaines constructions architecturales d'Hatshepsout à son bénéfice, peut-être encore inachevées à la mort d'Hatshepsout..... Mais il n'a rien négligé de ce dont la reine avait enrichi le pays
Je laisserai le mot de la fin à l'Egyptologue Christiane Desroches-Noblecourt :
Cette femme, portant officiellement les parures d'un roi, très féminine cependant, était d'un modernisme hors de son temps, mais ultra discrète sur sa vie privée.......Cependant d'infimes détails permettent de découvrir le lien très brûlant tissé entre la reine et son Majordome, un savant, un sage mais aussi un homme d'Etat.
CONCLUSION GENERALE
Dans les biographies de Georges Sand et de Marie-Curie on voit qu'elles ont emprunté le phallus. Le père symbolique s'est manifesté par la rectitude de leur comportement.
En tout état de cause Hatshepsout, 15 siècles avant notre ère tentait déjà de mettre en place le père symbolique. Elle ne l'a jamais pu, en tant que femme.
Y parviendrons-nous au XXIè siècle ? Si garçons et filles se réclament du père symbolique, peuvent-ils être reconnus au même titre ?
La théorie du genre nous interpelle car où est le père symbolique dans cette théorie ? Peut-on encore parler de castration ?
NOTES BAS DE PAGES
[1] Extrait du tome II des Bulletins de la Société d'anthropologie en 1861 et repris dans un article d'Elena Sender - L'homme et la femme ont-ils des cerveaux différents - Hors série Sciences et Avenir - juillet/août 2009 :.
2 P. BART, Zucker Hillside Hospital, N.Y. Notre matière blanche n'atteindrait sa totale maturité qu'entre 20, 30 ou même 40 ans inSciences et Avenir, n° 805, Mars 2014
3 Les secrets de l'intelligence , SCIENCE et Connaissance - Déc.2013, janv. et fév.. 2014
4 Sciences et Avenir - janvier 2013 - Selon une anthropologue Dean Falk de l'université de l'état de Floride (spécialiste du cerveau chez les primates supérieurs), les circonvolutions du cortex frontal (raisonnement, planification) et celles des lobes pariétaux inférieurs (mathématiques et vision dans l'espace) d'Einstein seraient plus nombreuses que celles d 'autres cerveaux. Donc un plus grand nombre de synapses. Des coupes histologiques photos de son cerveau sont désormais en vente sur iTunes, sur l'application iPad "Einstein Brain Atlas".
5 Sciences et Avenir - Février 2012 - Extrait de Cerveau Rose, Cerveau Bleu, Lise Eliot, - Robert Laffont, 2011
6 Janet Hyde, Professeur de psychologie à l'université de Berkeley (Californie) in Hors série Sciences et Avenir Juillet/août 2009
7 Sciences et Avenir - - Hommes - Femmes , la science face aux idées, Février 2012 -
8 Sciences et Avenir - Février 2012 - Daniel Vaiman, chercheur en endocrinologie à l'hôpital Cochin (Paris)
9 Michel DUYME, psychologue et généticien à l'université de Montpellier, cité par Elena Sender, Hors Série Sciences et Avenir, juillet/août 2009
10 Patrice Van Eersel, Votre cerveau n'a pas fini de vous étonner, Livre de Poche, 2014
11 Boris CYRULNIK, Notre cerveau est plastique, Entretiens avec Patrice Van Eersel, Votre cerveau n'a pas fini de vous étonner, Livre de Poche, 2014
12 C. MELMAN, Nouvelles études sur l'hystérie, Erès, 2010
13 S. FREUD, Résistances à la psychanalyse, 1925, PUF.
14 Question longuement développée dans Totem et Tabou (1913) qui a suscité beaucoup de remous du fait de ses nombreuses inexactitudes anthropologiques.
15 JJ. TYSZLER, A la rencontre de Sigmund Freud, OXUS Littérature, 2013
16 Les pulsions n'ont rien à voir avec l'instinct. Elles sont le représentant psychique des excitations issues de l'intérieur du corps. Elles ne peuvent jamais devenir objet de la conscience. Elles ont une poussée constante, sans montée, ni descente, qui interdit toute assimilation à une fonction biologique, qui, elle, a toujours un rythme. Freud les a d'abord divisées en
- pulsions du moi qui privilégient l'individu et non l'espèce.
- pulsions sexuelles qui privilégient l'espèce ET qu'il remplacera en 1920 par
- pulsions de vie (qui regroupent une partie des pulsions sexuelles assurant la
survie de l'espèce et une partie des pulsions du moi assurant la survie de l'individu) et
- pulsions de mort (l'autre partie des pulsions sexuelles exclusivement au service de l'espèce et qui peuvent mettre en péril l'individu)
17 S. FREUD, Le moi et le ça, 1923 in Essais de psychanalyse - PBP - 1983
18 privation : manque réel d'un objet symbolique
19 JJ. TYSZLER, A la rencontre de Sigmund Freud, OXUS Littérature, 2013
20 pulsion : un des quatre concepts de la psychanalyse chez Lacan avec l'inconscient, le transfert et la répétition
21 D'après le blason de la famille italienne Borromée. Les 3 ronds symbolisaient une triple alliance. Si l'un des anneaux d'une famille se retirait, les deux autres étaient libres. Chacun renvoyait à la puissance d'une des trois branches de la famille
22 Un des trois manques spécifiés par Lacan :
privation : manque réel d'un objet symbolique (enfant) ; frustration : manque imaginaire d'un objet réel (sein, pénis) ; castration : manque symbolique d'un objet imaginaire (phallus) qui renvoie à l'interdit de l'inceste.
23 M.C. CADEAU, Séminaire inédit, La clinique du Pas tout, octobre 2007
24 M.C. CADEAU, Séminaire inédit, octobre 2007
25 M.C. CADEAU, Séminaire inédit du 16/11/2006
26 J. LACAN, La chose freudienne 1955 in Les Ecrits, Le Seuil, 1966
27 WIKIPEDIA : En mathématiques, un nombre réel est un nombre qui peut être représenté par une partie entière et une liste finie ou infinie de décimales.
28 Philosophe et mathématicien américain (1839/1914)
29 J. LACAN, D'un discours qui ne serait pas du semblant, 17/02/1971, Ed. A.L.I. 1996.
30 Le Nouvel Observateur du 07/04/2014
31 P. SALOMON, George Sand, Editions de l'Aurore, 1984 - Toutes les citations sont de ce livre
32 Robert REID, Marie Curie derrière la légende, Ed. Seuil Sciences, 1983
toutes les citations sont extraites du livre
33 la tour Eiffel de l'exposition 1889, symbole d'une industrie moderne, les réverbères électriques, les véhicules à 3 et 4 roues avec un moteur à combustion, le vaccin contre la rage, l'amélioration des levures de bière, applications des recherches de Pasteur.
34 Paul Langevin, physicien, Jean Perrin, chimiste et physicien, Edouard Chavannes, sinologue et Henri Mouton ,
naturaliste
35 C. DESROCHES NOBLECOURT, La reine mystérieuse, Hatshepsout, J'ai lu, 2003
36 monument élevé à la mémoire d'un mort mais qui ne contient pas de corps.
37 Difficile de déterminer l'année exacte, probablement vers - 1455 puisqu'il semble qu'Hatshepsout était encore en vie
38 Pharaon de -285 à -246