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« On ne remerciera jamais assez les mères mélancoliques. Leur trône est au milieu du ciel. Elles ont jeté leur châle sur le soleil. Il sort de leurs yeux une nuit si grande que leurs enfants s’émerveillent du plus petit brin de lumière »
Christian Bobin, La dame blanche

C’est à partir de l’écoute de trois patientes que mon propos s’est articulé autour de la question du vide.

Trois femmes qui parlent d’un sentiment de vide, leur existence se trouve en suspens, tel un temps arrêté, tandis que d’autres patients parlent de l’insupportable manque de l’autre, du mal de vivre. Ces femmes ont accès à leur subjectivité, elles travaillent, elles font des études, elles ont une vie sociale. Toutefois, quand des ruptures arrivent dans leur vie, c’est l’écroulement, le naufrage. Plus rien pour les amarrer à l’existence.

Lacan nous dit que « l’absence est évoquée dans la présence et la présence dans l’absence ».

Le vide serait-il une absence ?

Une absence sans absent, une enveloppe vide, une absence hors du temps. Un lieu déshabité, déserté d’une présence, sans représentation, vide de penser.

« Il faut les deux temps présence-absence, dit Lacan, pour faire une coupure ». 

Aller et repère qui est fondateur du grand Autre comme présence, sur fond d’absence.

Car, nous dit-il,

« Le jeu de la bobine est la réponse du sujet à ce que l’absence de la mère est venue créer sur la frontière de son domaine, sur le bord de son berceau, à savoir un fossé autour du quoi il n’y a plus qu’à faire le saut ».

Comment sauter devant un trou sans limites, sans bords ? Seul le vertige permet de ne pas être aspiré par le gouffre.

Les trois femmes, dont je vous parle, ont en commun le traumatisme de l’effondrement maternel.

Quels sont les ravages de cet effondrement maternel sur la subjectivité de ces femmes ?

Comment ces femmes, qui ont eu des mères psychotiques et dépressives, peuvent avoir une subjectivité par intermittence ?

Le terme ravage vient du verbe ravir dont l’étymologie latine rapere signifie « enlever, prendre de force, faire des dégâts rapides et violents ». Mais il signifie également, « faire éprouver un mouvement d’exaltation, un vif sentiment d’admiration ». Il s’agit de ravissement, d’extase, mais aussi de destruction et d’engloutissement. Il indique un lien marqué autant par la haine et l’agressivité, sur fond d’amour exclusif.         

Le ravage, c’est la notion qu’utilise Lacan pour qualifier la nature du lien entre une fille et sa mère. Il se relève lorsqu’une mère demeure l’unique partenaire de sa fille, barrant l’accès à la féminité. La passion pour la mère maintient la fille en position d’objet, dans une fixation à une mère toute puissante qui appelle soit à la fusion impossible, soit à la persécution. Le ravage se trouve essentiellement associé à la jouissance Autre infinie, illimitée, sans médiation de la fonction phallique. Il s’agit finalement « d’un pillage, comme dit une patiente, qui s’étend en tout, sans limite, une douleur qui ne s’arrête jamais ».

La mère, quant à elle, est l’Autre primordial, lieu de discours, puissance réelle et symbolique. Elle transmet le langage, le discours premier, celui qui structure les pulsions et véhicule les mots du corps. 

Lacan utilisera le terme « Lalangue », en un seul mot, pour signifier que la langue maternelle laisse son empreinte dans l’inconscient de l’enfant. Plaisir, jouissance, premiers affects, le bébé inaugure à travers cette « lalangue » sa rencontre avec un Autre. C’est la « lalangue » de l’Autre qui fera le refoulement original.

L’amour maternel détermine une aliénation du corps de l’enfant au corps de la mère. L’enfant, au travers de cette dépendance, par les soins que sa mère lui porte et par les mots qu’elle y imprime, l’élève à une place omnipotente. Elle est détentrice des pouvoirs de la parole et des premières sentences, elle laisse des traces dans la mémoire, où on retrouve parfois des commentaires ravageants et des injonctions inoubliables.

Ce pouvoir des mots renvoie à celui des silences, des contradictions et des non-dits, lesquels interrogent l’énigme du désir de l’Autre maternel : 

Que me veut-elle ? Que me demande-t-elle ? Que suis-je pour elle ?

C’est cette question du « Che vuoi » qui conduit le sujet sur le chemin de son désir. L’enfant va, en effet, tenter de repérer dans l’énigme de l’Autre la place même de son être, par son identification au désir maternel afin d’être reconnu par cet Autre.

La deuxième opération, qui ne va pas sans la première, est celle de la séparation.

Ce parcours va d’être le phallus pour le garçon et pour la fille, à l’avoir pour le garçon ou à ne « pas tout » l’avoir pour la fille. Aussi, le parcours de cette dernière se complique un peu, elle devrait revenir à une position d’être, semblant d’être, dans la féminité. Devenir une femme ne répond à aucun standard, c’est à inventer pour chacune, à chaque fois. On ne devient pas femme, mais une femme. Avec, à l’occasion, la peur d’être folle, d’être en dehors, d’être incomprise.

Si une mère est en difficulté dans sa position féminine, qu’elle devient toute-mère, sans lien avec son désir féminin, l’enfant sera voué à combler le manque maternel, à réaliser le fantasme de la mère.

Je cite Lacan : « L’enfant en tant que réel, symbolise l’image du phallus que la mère n’a pas ». 

Donc la mère est celle qui a (avoir). Position virile parce que grâce à son enfant elle est garantie de la signifiance phallique.

Cependant, dans la mesure où elle est femme, une mère n’est pas toute à son enfant, dès lors que le désir féminin en tant que tel fait l’absence de la mère. Par ailleurs, une femme n’est pas toute dans la fonction phallique, elle en est divisée par sa référence au signifiant du manque dans l’Autre (S de A barré), autrement dit signifiant de l’incomplétude de l’Autre.

Mais alors, que se passe-t-il quand le signifiant du manque dans l’Autre vient à manquer ? Quand l’instance phallique qui barre la jouissance Autre fait défaut ?

L’enfant se trouve devant la toute-puissance maternelle, sans médiation, sans pouvoir trouver un abri phallique au-delà de la mère. Il est pris dans un mirage spéculaire qui aboutit logiquement à un jeu narcissique mortifère.

De plus, la fragilité de la position féminine n’étant pas toute déterminée par la loi phallique, elle ne sera du même coup toute pas à l’abri des retrouvailles avec la jouissance maternelle. Lorsqu’une femme chute de la scène phallique du désir, elle devient la proie de la jouissance de l’Autre non barré qui envahit le sujet et le déborde de toutes parts. Les effets subjectifs ne manquent pas : anéantissement, angoisse profonde, égarement.

À propos de mes trois patientes, nous pouvons entendre que l’impossibilité de tenir une présence dans l’absence se trouve du côté maternel où le manque dans l’Autre est très fragile, puisque la fonction phallique fait défaut.

Mères dépressives, pour deux de ces femmes, aux prises avec l’alcool et les médicaments. Des mères tristes, éteintes, avec un regard vide.

Mère psychotique pour la troisième, alternant des épisodes maniaques dans lesquels elle enfermait ses filles pour les protéger de sa folie, et des moments dépressifs où elle s’enfermait avec ses filles pendant des jours.

Et les pères, où étaient-ils ?

Pour Mademoiselle A, père fautif, responsable d’avoir quitté la mère et abandonné ses enfants au marasme maternel.

Pour Madame C, elle parle d’une scène dans son enfance, où elle regarde par la fenêtre son père partir, quitter la maison. Elle se tourne et voit alors sa petite sœur dans les bras de sa mère qui crie à son mari : Je vais te détruire, je vais te broyer. Et elle se dit qu’il va falloir tenir.
Madame C se demande aujourd’hui comment une petite fille de 2 ans a eu autant de lucidité. Elle a vu la folie maternelle.
Plus tard, elle entendra que c’est elle qui a pris la place du père pour sa sœur et sa mère. Place de tiers à détruire…
Elle a subi des maltraitances, des violences physiques et psychiques, des humiliations. Elle devait résister, tenir et protéger sa petite sœur.
Elle a fait plusieurs fugues à partir de l’âge de 7 ans pour tenter de se faire entendre, alerter son père, la famille et l’école du danger et de l’insécurité où elles se trouvaient.
Mais personne n’a pris la mesure.
Elles étaient seules !

Pour Madame D, le père est indissociable de la mère. Il n’y a pas de distinction entre le discours maternel et le discours paternel.
Elle dira : « Nous étions abandonnés, nous les trois enfants, avec la clé de la maison autour du cou à partir de 6 ans. Mes parents n’ont jamais été inquiets pour nous. Il fallait se débrouiller seuls ».

Quelle est donc la référence qui ordonne pour ces trois femmes le discours maternel ?

Puisque la fonction phallique, l’au-delà de la mère qui articule son manque à l’Autre sexe, fait défaut. Elles se trouvent sans garantie, devant un espace infini sans bords, limité seulement par l’angoisse. Elles répètent l’oscillation maternelle, entre des épisodes dépressifs et des moments d’omniprésence.

Quelles sont les manifestations symptomatiques qu’elles amènent ?

Le sentiment du vide

Une patiente décrit le sentiment du vide « comme une plaie qui recouvre tout d’une grisaille désagréable. Le sol se dérobe, c’est l’aspiration vers l’infini ».

Il s’agit du vide de la dépression maternelle que ces femmes ont rencontré dans leur enfance. Elles s’épuisent à se défendre d’être engloutie par l’effondrement maternel. Elles ne trouvent plus d’adresse, la parole se défait, reste le silence et la solitude.

« L’Autre, nous dit Lacan, est le lieu d’où peut se poser au sujet la question de son existence ».

Le Heim, c’est le domicile subjectif du sujet d’où il peut assurer son existence et son lien aux autres. Freud parlera ensuite d’un sentiment d’inquiétante étrangeté, l’Unheimlich, le lieu où l’intime devient troublant. Notre lieu familier se transforme en quelque chose d’étranger, d’inconnu, d’effrayant. Le désir de l’Autre pourrait annuler le sujet, l’anéantir.
La perte soudaine de l’abri subjectif, l’absence de ce lieu dans l’Autre pour le sujet, peut se traduire par le sentiment de ne plus appartenir à ce monde, d’en être éjecté, d’occuper une place sans limite aucune. Le monde extérieur n’est plus familier, il devient alors menaçant.

« Je suis au placard » me dira une patiente. Le temps s’arrête, le sujet s’écroule, il n’est plus habité, incarné. C’est une mise en suspens de la subjectivité.

L’absence est vécue par ces patientes comme une disparition, la leur et celle de l’autre. Aussi, la présence des autres envahit leur espace vital. Trop près elles sont étouffées, trop loin elles sont abandonnées.

Hors du temps
Je cite une patiente :

« Je suis hors du temps, hors de cette ligne marquée par les minutes, les heures, les années.
Hors du calendrier.
Hors ligne.
Le temps je le regarde d’à côté, de loin, comme en suspension dans le vide, et le temps est une chose difforme, ondulante, qui oscille, s’écarte et se distord, enfle comme un ballon sur certains épisodes, leur donne des proportions énormes, colle ensemble des épisodes en écrasant le temps qui les sépare, comme les plaques continentales ferment les océans, et le temps entre ces plaques assemblées est écrasé, aspiré, englouti… il n’y a plus de repères, plus de bornes, plus de limites, c’est plus qu’un immense néant, un immense brouillard brouillon qui donne la nausée, plus de bornes, de limites, qui disent au corps ce qu’il doit faire, où il doit être, ça le laisse dans le vide où le temps n’existe pas ».
Abîmée dans sa chair et dans son être, ce n’est pas seulement un lieu qui se déshabite, c’est aussi un temps qui s’évanouit pour cette femme. 
Elle est dans le temps d’un réel traumatique, celui de son enfance. Un temps qui s’est figé dans une sorte d’éternel présent. Elle a subi des abus sexuels. Les épisodes morbides qu’elle a vécus se répètent en boucle et à l’identique. Ce n’est donc pas un souvenir comme les autres ; quand un traumatisme revient en rêve, il n’est pas perçu comme un événement passé, il est revécu comme actuel. Le souvenir s’inscrit dans le temps de l’histoire du sujet alors que la trace traumatique brille dans son éternelle présence réelle ; seul le souvenir peut être oublié. 
Cette patiente est privée d’une partie importante de ses sensations, de ses émotions et de sa vie. Elle est clouée sur place, coupée du monde et d’elle-même. Elle regarde le monde « à travers une vitre », dit-elle. 
Le traumatisme est une effraction réelle que le psychisme ne peut pas symboliser, il échappe à toute possibilité de représentation, il est indicible. Il provoque une douleur psychique et, le plus souvent, une grande frayeur qui glace le corps et l’esprit. La brutalité de l’événement traumatique est indissociable d’un excès de jouissance que le psychisme ne peut pas pallier, l’inconscient du sujet est débordé.
Au début de notre rencontre, il y a huit ans, ma patiente avait un discours pauvre, plaqué et factuel, ponctué de longs silences. Elle était rivée au récit répétitif des événements à l’origine du traumatisme. Les signifiants étaient figés, les mots collés aux choses, des images sans lien entre elles. Aucun éprouvé ni affect ne pouvait être exprimé.
Elle poussait son corps à des efforts extrêmes pour pouvoir éprouver la douleur et ainsi le rendre vivant. Cependant, quand elle éprouvait son corps, c’est la culpabilité et le dégoût qui la submergeaient. Une lutte obsédante de s’arracher à l’abject sans pour autant disparaître.
Elle se retrouvait dans deux mondes parallèles, clivés, qui se déroulaient dans deux temps différents, sans aucun lien possible entre les deux. Celui de « la gosse, là-bas », de l’horreur du traumatisme et celui de sa vie d’ici et maintenant. Entre les deux, un mur infranchissable.
Cela nous donne à entendre que, dans le traumatisme, ce réel a colonisé l’imaginaire provoquant une désintégration du corps ainsi que de ses coordonnées symboliques.   

Charles Melman nous propose un nœud borroméen où le retournement du tore du Réel emprisonnerait ceux de l’Imaginaire et du Symbolique, ne laissant au sujet, comme mode de rapport au monde, que la présence de ce réel brut et la jouissance qui lui est attachée. Il y a chez le sujet un arrêt sur image, le Moi chute et donc l’image du corps ne fait plus support.
À force de dires, de silences, d’absences et de présences, ma patiente a mis le pied à l’étrier. Sur ce terrain en ruine, il a fallu du temps pour la ranimer. Le temps de retrouver l’imaginaire de l’enfance, à travers la lecture de livres d’enfant, les coloriages et l’écriture. Le temps de reconstruire petit à petit son histoire familiale. Le lieu de l’analyse lui a permis de réhabiter sa subjectivité, de retrouver une adresse Autre pour qu’elle puisse accéder, à nouveau, à un réel un peu humanisé. Un réel qui ne l’empêche plus de mener sa vie.
Cela lui a permis de nouer le fil de son histoire de sujet avec celui du récit de son traumatisme, de mettre un écart avec l’effroi qui se transforme peu à peu en affect. L’angoisse surgit avec l’émergence de l’objet du désir, elle donnera des bords à l’abîme, lui permettant de sortir du vide sidéral.
Il était question également de l’accompagner pour qu’elle puisse trouver une place dans le discours social, lequel lui semblait inhabitable. Notamment qu’elle puisse s’autoriser à prendre des cours de dessin et, surtout, réaliser son rêve d’être libraire.

L’angoisse

Le souffle court, la « boule au ventre », le cœur qui s’accélère, la gorge qui se serre… autant de manifestations corporelles qui traduisent l’angoisse. Le sujet ne peut rien en dire, il est muré dans son corps. Il ignore ce qui l’angoisse, il n’arrive plus à penser devant ce qui n’a pas de représentation.
L’angoisse, dit Lacan, c’est un affect qui n’est pas refoulé ; ce qui est refoulé ce sont les signifiants qui l’amarrent. L’affect s’en va à la dérive. 
Lacan met l’accent sur le fait que l’angoisse n’est pas sans objet, elle est en rapport avec l’objet « a », cause et support du désir qui constitue le fantasme du sujet. La réalité du sujet se déroule dans le cadre du fantasme, à chacun sa fenêtre. Comme tout bord, la fenêtre encadre un trou, une béance dans laquelle viendra se loger cet objet perdu à jamais et sujet du désir. Ce trou va devenir ce qui anime le sujet, ce qui le rend vivant, lieu d’où s’organise sa parole.
Un pas sans, c’est la trace d’un objet qui n’est plus là, ou qui y a toujours été en tant qu’absent. L’angoisse est un arrêt du désir, un signal de danger subjectif.
Ce qui est angoissant c’est de ne pas savoir ce que l’Autre va vouloir faire de moi. Son objet de jouissance, ou pire, pas d’objet du tout. Attendre dans la terreur que l’Autre me perde et ne me lâche pas.
Car le manque qui vient à manquer, c’est aussi ce débordement de présence, cet envahissement de l’Autre. D’où l’impression d’être anéanti et paralysé.
Ce qui est mis en avant par mes patientes, c’est l’absence totale d’affect. Cet affect est désarticulé du corps, un corps effacé, comme une coquille vide. Quand l’affect s’affole, autrement dit quand l’angoisse surgit, c’est que le danger de la jouissance est proche. L’angoisse donnerait des limites au corps, non comme une défense, mais comme quelque chose qui viendrait les ranimer, qui n’affecte pas encore, mais qui attend un dire.
L’angoisse serait une épreuve salutaire, un affect qui empêche de chuter dans le vide, de s’identifier à l’objet « a », autrement dit de disparaître et de perdre l’Autre du désir.
C’est d’ailleurs que Jean Bergès disait du transitivisme dans son livre Jeu de places de la mère et son enfant :
« C’est donc du Grande Autre où se situe la mère que vient la parole qui va faire intimation à l’enfant […], l’affect s’origine dans l’entendu […]. C’est au lieu de l’Autre que surgit le « aie » […] création d’un signifiant accolé à l’affect. »
Dans le transitivisme, ce que la mère dit à son enfant entame l’imaginaire du corps, elle l’ordonne au symbolique, elle l’oblige à s’identifier au discours qu’elle lui tient, discours qui dit son désir.
Sans les signifiants, le corps ne fait que signifier, il lui faut les mots pour le tenir.
Un éprouvé devient symbolique quand il s’appuie sur la présence de l’Autre. Il donne corps et profondeur à l’image. Une mère dépressive, rien ne la touche, un toucher qui n’inscrit rien, qui risquerait de faire des dégâts.

Une vignette clinique
Je voudrais vous parler de Mademoiselle A pour essayer d’articuler cliniquement les effets ravageant des voi(e)x mortelles de l’Autre maternel.

Je reçois Mademoiselle A depuis deux ans. Elle a 19 ans, elle fait des études de Psychologie à Lyon.

Elle fait des crises d’angoisse à répétition, elle se sent seule, vide.

Sa vie est pauvre et triste, dit-elle. « Je ne suis pas normale, je ne suis pas faite pour la vie comme les autres […] je n’ai pas de place dans ce monde, ils se sont trompés ».
Elle a fait deux tentatives de suicide. Une première en avalant des médicaments et une seconde en se plantant un couteau dans le ventre.

« Je voulais que mes parents entendent ce que j’ai vécu enfant […] je voulais que cette vie s’arrête ».

Ses parents se sont séparés quand elle avait 7 ans. Son père a laissé une lettre à sa mère sur la table de la cuisine et puis il est parti. Après la séparation, elle a dormi avec sa mère jusqu’à ses 10 ans.

« Ma mère ne pouvait pas être seule, elle n’a que moi, je n’ai qu’elle ».

La mère de Mademoiselle A s’est effondrée après la séparation d’avec son mari. Depuis, elle alterne entre le travail infatigable et l’arrêt maladie, passant de longues périodes enfermée dans sa chambre. Elle alterne des moments d’absence de parole, de mutisme, avec des monologues effrénés dans lesquels elle annonce à sa fille le temps qui lui reste à vivre. Parallèlement, elle s’autoprescrit des psychotropes, tandis qu’elle est aux prises avec l’alcool. 

Chaque fois que Mademoiselle A retourne chez sa mère, un souvenir d’enfance lui revient :

« Je rentrais de l’école, la maison était plongée dans le noir. Je restais longtemps devant la porte sans pouvoir l’ouvrir, j’avais peur de la trouver morte ».
La mère s’est trouvée démunie et seule devant la violence du frère de Mademoiselle A, qui frappait sa sœur, l’insultait, la terrorisait. Elle disait alors à ses enfants qu’elle allait se pendre dans le garage.

« Quand ma mère va mourir, c’est fini » dira-t-elle. 

Y aurait-il là enfin une possibilité d’accéder au manque, ou elle mourra après ?

Le lien mère/fille est extrêmement puissant, sans mesure, passionné. Un idéal maternel de maîtrise absolue sur son enfant, surtout sur son corps, idéal d’esthétique et de beauté.

Cette jeune femme porte des vêtements de sa mère, c’est elle qui l’habille. Quand elle était petite sa mère se moquait d’elle, elle la traitait de « grosse » et de « moche », lui disant que jamais un garçon ne voudrait d’elle.

Elle se décrit comme ayant été une petite fille modèle, obéissante, soumise à une mère qui l’écrasait et la fascinait par son amour et ses exigences, mais sans l’écouter, ni lui parler. Elle était captivée par la beauté de sa mère, attendait tout d’elle et aimait être tout pour elle.

Aujourd’hui, elle est asservie au seul regard maternel. Il n’y a que sa mère qui sait ce qui est bien pour elle. Une mère tyrannique, ayant désiré modeler sa fille à sa façon. Injonction maternelle qui refuse toute parole et savoir chez sa fille. Mademoiselle A est prise par des impératifs ravageants que sa mère déverse sur elle, alimentés par la frustration d’une vie considérée comme ratée. Elle a réussi l’opération de l’asservir au point que cette jeune femme lui raconte tout. Aucune porte ne se ferme dans la maison, cette mère a eu accès à tout l’espace physique et mental de sa fille.

Ainsi, si Mademoiselle A s’éloigne de la présence maternelle, si elle se détourne, elle est perdue, elle doute de ses choix, de sa vie, de son avenir. Elle est écrasée de culpabilité et d’angoisse.

Mademoiselle A ne sait pas pourquoi elle revient sans cesse chez sa mère, elle ne peut plus penser, sa tête est vide et son corps figé. Le temps s’arrête.

Cela nous donne à entendre une panne du jeu de la bobine. Ce n’est pas un morceau de corps qui est en perte mais soit la mère réellement, soit elle subjectivement.

Mademoiselle A n’est pas affectée par son passage à l’acte, lorsqu’elle s’est planté un couteau dans le ventre. Elle dit d’ailleurs qu’elle pourrait recommencer, mais que cette fois elle réfléchirait à « une mise en scène spectaculaire ».

Une tentative d’inscrire un manque chez l’Autre maternel ? 

Comment trouer la situation dont elle se trouve ? Il y a une saturation, l’adresse à l’Autre est exclue des signifiants qui pourraient la représenter pour que le lieu de sa parole soit habité. L’absence se traduit en disparition et la présence en intrusion et, entre les deux, le vide. L’objet regard reste pris dans l’Autre maternel, c’est un objet réel. C’est finalement cette impossible perte qui empêche la circulation des signifiants au-delà de sa mère, pour aller vers son désir.

Le lien mère/fille est si puissant que la fille devra « se détourner par force de la mère » dit Freud.
Se détourner implique de s’éloigner vers un autre chemin tout en gardant la présence de ce lieu, pour y revenir autrement.

Se détourner de sa mère, pour Mademoiselle A, impliquerait la mort de sa mère ou la sienne. Ses passages à l’acte pourraient, à cet égard, être un appel et une monstration.

Néanmoins, malgré le marasme mère/fille, elle engage un certain nombre de tentatives pour mener ses séparations et peut-être faire advenir le manque en lieu et place du vide. Sa capacité sublimatoire met à disposition la fonction symbolique pouvant lui permettre une migration vers d’autres nouages subjectifs. L’instance phallique du côté paternel est quant à elle pour l’instant repoussée, mais à sa disposition pour un autre découpage.

Pourrait-elle rêver à des rencontres pacifiantes ?

Envers et contre tout elle vient de Lyon pour assister à ses rendez-vous. De plus, en mon absence elle a des rendez-vous téléphoniques. Tout en le repoussant, elle accepte également un tiers accompagnateur, un médecin et un psychiatre que j’ai pu introduire. 
 

In fine, dans ces trois rencontres cliniques autour de la question du vide, nous pouvons entendre les accidents de la signifiance phallique du côté paternel et maternel où le phallus qui unit et sépare est dissocié, voire clivé.
Soit uni, soit séparé, fait disparaître.
C’est de structure qu’une femme comme pas toute est confrontée à la limite du phallique, à la limite de l’empire du Un. Ainsi, en tant que pas toute, elle a, d’une part, un rapport au phallus, et d’autre part au signifiant du manque dans l’Autre.  Se tenir au bord de la faille dans l’Autre, c’est faire l’expérience de « l’ab-sens », d’un savoir-faire Autrement qui ne passe pas par la disparition mais par la mise en place d’un semblant qui fait barrage au trop réel de la jouissance de l’Autre.

 

Stéphane Thibierge : J’étais en train de me dire qu’un des traits de notre époque c’est qu’on prend énormément de mesures pour apprêter le dispositif qui va permettre d’enregistrer, de filmer de recueillir l’objet précieux (rires dans la salle) qui serait sensé être ce qui anime les paroles que nous disons.
C’est quand même un trait de l’époque qui est... On enregistre tout. Mais bon, c’est normal ici…
Je fais cette remarque parce que ça intéresse aussi la question des Journées, C’est à dire qu’on fait moins confiance qu’avant à l’écriture et davantage à l’enregistrement réel. C’est une question qui mérite que, au moins, nous l’ayons présente à l’esprit.
Alors, merci beaucoup à Maria Japas pour l’exposé qu’elle vient de nous faire, centré sur les difficultés que nous connaissons quand nous avons – pour peu que nous ayons eu ou que nous ayons – des patientes qui nous parlent de mères dépressives ou mélancoliques et toute la difficulté que cela peut représenter déjà, dans un lien à la mère qui est toujours difficile..., les impasses d’une relation entre mère et fille.

Maria Japas : Oui.

Stéphane Thibierge : Mais là, ces impasses sont redoublées par le fait qu’il y a une sorte de... saturation presque parfaite de la jouissance maternelle dans la mélancolie ou la dépression, qui rend alors extrêmement improbable… qu’une fille puisse trouver à faire sa place dans ce dispositif ; et du coup, j’avais envie de vous poser une question. Vous nous avez évoqué notamment le cas de mademoiselle A. Apparemment, mademoiselle A, elle, se débrouille grâce à vous, et grâce aux deux autres qui sont dans le circuit...

Maria Japas : Oui, oui.

Stéphane Thibierge : Elle se débrouille pour... comment dire... oui, pour appareiller quelque chose d’un rapport à l’objet qui ne soit pas cette saturation que sa mère représente...

Maria Japas : Oui.

Stéphane Thibierge : …présente même, plutôt...

Maria Japas :présente, et omniprésente, c’est ça la question. Et quand elle est présente – ces trois femmes – il y a cette question de l’omniprésence maternelle..., de leur omniprésence maternelle chaque fois et, dans l’absence, il n’y a plus personne. Mais quand elles sont présentes, parce qu’il y a la dépression, donc c’est vide. Oui.

Stéphane Thibierge : Elle a un garçon dans sa vie ?

Maria Japas : Oooh, non. 

Stéphane Thibierge : Non, hein...

Maria Japas : C’est-à-dire que je n’ai pas parlé là de ce à quoi cela mène ces femmes : ce sont des rencontres d’une violence épouvantable avec les hommes.

Stéphane Thibierge : La mère ?

Maria Japas : Non, mes patientes. Les jeunes femmes qui vont de vingt ans jusqu’à trente ans. Et c’est ce que, chaque fois, ces femmes rencontrent. Comme elles se trouvent aussi, évidemment, en place d’objet, pur objet- demande dans la relation de rencontres avec les hommes. Mademoiselle A a eu une aventure – on va dire comme ça – ça n’a pas duré longtemps, mais du côté des femmes, elle a rencontré une jeune femme, ça a passé pendant une année. Mais elle a beaucoup de difficultés avec tout ce qui pourrait être une différenciation de l’un à l’autre. C’est-à-dire qu’elle rêve de relations, comme elle l’a dit il n’y a pas longtemps, de relations qui seraient comme une relation maternelle. C’est-à-dire sans parole, que l’autre devine, et d’un amour inconditionnel...

Stéphane Thibierge : C’est ça.

Maria Japas : « Je ne voudrais que ça », « Cet amour, jamais, je ne trouverai un amour comme celui de ma mère ». 
C’est donc difficile, parce que chaque fois que la situation arrivait avec sa compagne, elle partait en courant, parce qu’elle disait qu’elle ne pouvait pas supporter l’écart, aucun écart. Difficile à supporter au cabinet aussi. Petit à petit c’est pour cela que j’ai fait appel à deux autres personnes. Parce qu’au bout d’un moment, je me suis dit : est-ce que je reçois la mère ? J’ai dit : non, ce n’est pas possible de recevoir la mère parce que c’est son espace à elle.

Stéphane Thibierge : Ah oui.

Maria Japas : Donc j’ai mis en place médecin, psychiatre, à Lyon, pour qu’elle soit entourée, parce que je suis inquiète. Parce qu’il y a toujours la question que « je veux mourir » ... « Je veux mourir ». Elle n’a pas de vie sociale, cette jeune femme. Elle a dix-neuf ans quand même. Ça ne se passe pas avec les autres. Comment ça se fait ?

Anne Videau : Elle est très brillante intellectuellement...

Maria Japas : Oui. Elle a 18 de moyenne en philo. Elle était la meilleure de la classe. Elle est passé en psycho. Le seul écart qu’elle a fait, c’est que sa mère voulait qu’elle soit avocate et elle a décidé d’être psychologue. Donc là, elle a dit non à la mère. Je me suis dit : ah ! il y a une petite entorse, là. Peut-être cette entorse de côté... Ah oui, je prends toutes les petites entorses, petits écarts comme ça, pof, j’accroche !

Stéphane Thibierge : Et elle se présente comment dans son rapport à l’autre ?  À vous, par exemple ?

Maria Japas : Hou, la ! C’est mademoiselle « non ». Tout est « non ». Sauf que elle respecte tous ses rendez-vous. 
Elle ne peut pas faire de demande, aucune demande, aucune, la demande téléphonique, parce qu’elle m’a fait bien entendre une fois, que son temps à Lyon, c’est un temps mort. Donc il fallait mettre quand même un rendez-vous téléphonique dans la semaine. Mais c’est ma demande, c’est à ma demande le rendez-vous téléphonique. Et là quand je suis partie cinq jours, une semaine et qu’il n’y a pas eu de rendez-vous téléphonique… j’ai entendu hier matin qu’elle m’en voulait, mais elle ne pouvait pas le dire. Et à la fin elle m’a dit que : « de toute façon vous m’avez abandonnée en partant ». 

Stéphane Thibierge : Il y a quand même quelque chose qui...

Maria Japas : …qui s’accroche !

Stéphane Thibierge : …qui s’accroche. Et son apparence ?

Maria Japas : Oh... magnifique évidemment ! Parce que la mère, elle a bien travaillé de ce côté-là (rires dans la salle). Ah oui, l’idéal esthétique. En plus il y a une question avec le poids. C’est sa mère qui la regarde, sa mère, elle dit si elle est belle et pas belle. Sa mère la trouve belle quand elle pèse quarante kilos, vous voyez ?

Stéphane Thibierge : Mmm.

Maria Japas : Oui, c’est une fille qui est magnifique, toujours très bien habillée. Alors c’est rigolo...

Stéphane Thibierge : Maquillée ?

Maria Japas : Maquillée, évidemment. Maquillée, habillée, coiffée, avec des couleurs de cheveux qui changent tout le temps, on dirait presque avec les vêtements. Il y a quelque chose, parce que cette question que sa mère l’habille…, il y a un jour, elle me dit : « J’ai fait un passage à l’acte. J’étais à Lyon, je passais dans une boutique et je me suis acheté une jupe ». Je dis : « Eh bien, très bien ». Elle me dit : « Ma mère va la détester ». J’ai dit : « Oui, et vous ? - Moi, je ne sais pas ». J’ai dit « Eh bien, écoutez, vous pouvez la porter la prochaine fois au rendez-vous ». Donc elle s’amène avec sa jupe...

Stéphane Thibierge : …Mmm.

Maria Japas : …magnifique ! Depuis là, ça fait un mois qu’elle vient à tous les rendez-vous, habillée avec la jupe (rires dans la salle). Elle s’est mise devant moi, j’ai dit : « Vous êtes très élégante ! - Merci ». Et hop !

Stéphane Thibierge : C’est très intéressant (rire).

Maria Japas : Oui c’est des petites... c’est incroyable, ce que nous apprennent ces femmes. 
Il y a une autre femme, celle qui a vu partir son père et qui dit « Il va falloir tenir », c’est son fantasme.
Elle, elle est artiste - elle est fantastique cette femme -, elle est artiste et il arrive des moments, comme elle a vécu avec sa mère, où il n’y a plus personne. Sa subjectivité, c’est la chute libre. Elle reste enfermée chez elle pendant quinze jours sans manger, sans rien. Elle y allait à fond. Heureusement que de l’autre côté, ils sont séparés, elle n’affronte pas ce côté du père. Quand, hop, il y a plus, elle se met sous sa couette, comme sa mère, comme quand elle était petite, et elle attend que ça passe. « De toute façon, là, je suis morte, je suis morte, je suis morte ». À ce moment-là, je l’oblige à venir quand même, même en pyjama - une fois elle est venue en pyjama avec un manteau -, pour quitter le lit. Et puis il y a la question sociale : elle s’accrochait, ça fait quand même sept ans que je la reçois, donc il y a quelque chose de social, elle a rencontré sa place. Avec des associations féministes. Voilà. Donc elle fait son coin de ce côté-là et ça va beaucoup mieux. Parce qu’il y a beaucoup moins d’intermittences pour elle. Alors, elle me dit : « Est-ce que je vais vivre toujours avec ce traumatisme avec la mère ? », je dis « Ben oui… mais autrement ». « À quel moment ? », elle me dit. Parce qu’il y a toujours quelque chose chez elle de ce traumatisme et ça a été vraiment l’humiliation pour elle.
L’entourage, l’école, personne n’a fait quoi que ce soit. 
Il y a quelque chose aussi, je pensais, pour la troisième [femme], du narcissisme. Parce que cette jeune, la troisième femme, ses parents, elle ne fait pas la distinction même dans le discours quand elle parle, on ne sait pas à qui, de qui, elle parle. Elle a été enceinte, elle a eu une grossesse très, très, difficile, un accouchement terrible pour elle. Elle a failli y passer, elle et son enfant. Et c’est là qu’après cet accouchement, elle a fait une bonne dépression qui a continué et qui s’est logée dans le corps. Elle ne peut plus bouger, elle a des maux de dos, elle ne peut plus marcher. Elle a fait un arrêt maladie, au printemps. Il y a quelque chose qui est tombé et elle s’est dit « Ben je savais... » comme si elle ne savait pas qu’elle était mortelle... Il y a quelque chose de ce moment de la naissance de son enfant et de sentir que la mort était là, elle s’est dit « mais elle était là », « j’étais toute puissante, je pouvais tout faire et me débrouiller seule ».
Donc petit à petit elle entend, ah, qu’il y a les autres et qu’elle peut faire des demandes.
Mais toutes elles ont en commun cette impossibilité de demander...

Nouredine Hamama : Maria, moi derrière tes vignettes, j’ai entendu une autre question aussi. C’est la question : comment devient-on femme ? Il me semble qu’il y a quelque chose dans les vignettes où c’est une étape, c’est-à-dire comme si elles n’ont pas pu justement être placées dans le champ de l’Autre. C’est-à-dire de se faire reconnaître.

Maria Japas : Oui, oui.

Nouredine Hamama : Parce que justement une femme ne peut pas se faire reconnaître par l’Au-moins un, d’où la position d’hystérique de venir se reconnaître comme l’Au-moins une. D’ailleurs on peut même se poser la question de comment ça se fait qu’elles se coltinent des hommes où justement elles sont objet, comme tu disais. C’est-à-dire du coup comme si elles n’avaient pas été spécularisées dans leur rapport à leur mère, sanctionnées comme des objets.

Maria Japas : Oui, mais...

Nouredine Hamama : Des objets petit a. Et c’est pour ça que Lacan disait justement : les cas les plus favorables – et notamment pour la psychanalyse –, c’est quand l’enfant vient représenter le symptôme familial, parental.

Maria Japas : Oui.

Nouredine Hamama : Les symptômes les moins favorables, c’est quand il représente l’objet petit a du fantasme de la mère, ça s’est beaucoup plus compliqué.

Maria Japas : Très. Oui, quand bébés ils ne sont pas reconnus dans l’imaginaire maternel, je veux dire qu’ils ne sont pas reconnus autres que maternels, à l’âge qu’ils ont aujourd’hui, ils sont dans des relations en miroir avec la mère : c’est pour ça qu’il n’y a pas de différenciation de places. Moi j’attends même qu’ils me parlent de leur mère, et il n’y en a pas. Il n’y en a pas. 
Comment on peut faire part à un homme, à l’autre sexe, s’il n’y a pas une différenciation ?

Anne Videau : Merci Maria. Qui veut intervenir ? Si vous voulez bien vous déplacer s’il vous plaît.

Intervenante 2 : Rébecca Bachelet, je suis adhérente de l’Association ALI Manosque. La question que je me posais c’est : vous disiez que les femmes auraient besoin d’être reconnues par… probablement leur mère. Moi ce que j’entends et ce que je ressens par rapport à ce que vous avez pu évoquer tout à l’heure c’est que c’est plutôt là les mères qui ont besoin d’être reconnues vis-à-vis de leur fille.

Maria Japas : Oui.

Rébecca Bachelet : Et aussi probablement dans leurs symptômes et dans leur détresse et en effet, ça ne laisse pas la place...

Maria Japas : Oui vous avez raison parce que c’est la question que c’est elles qui tiennent la mère. Eh oui ! C’est elles qui tiennent la mère. Donc comment quitter cette place ?

Gisèle Bastrenta : Je voudrais évoquer la deuxième personne.

Maria Japas : Madame C ? Gisèle Bastrenta : Madame C.

Maria Japas : L’artiste ?

Gisèle Bastrenta : L’artiste dont vous avez parlé. Je trouve qu’elle est artiste.

Maria Japas : Oui.

Gisèle Bastrenta : Elle invente. Maria Japas : Oui.

Gisèle Bastrenta : Je trouve que c’est génial ce qui lui est arrivé à deux ans. Au moment où sa mère hurle en voulant détruire le père, elle se retourne et elle dit « Il faut tenir ». 

Maria Japas : Oui.

Gisèle Bastrenta : Son Nom-du-Père, je le voyais… je le dis comme je le voyais, parce que j’ai beaucoup travaillé le schéma R, avec la question du principe de réalité, et comment, grâce à « Il faut tenir », du côté de l’Autre, il y a quelque chose qui s’est mis en place de son fantasme et de sa circulation et grâce à cela, c’est ce signifiant qui la tient dans la vie. C’est génial. Elle a deux ans. Voilà, je voulais dire ça par rapport à cette personne. Alors le père était dans le vœu du massacre de la mère.

Maria Japas : Oui.

Gisèle Bastrenta : Elle a pu dire, l’inverse... Maria Japas : Oui.

Gisèle Bastrenta : Et se tenir avec ça.

Maria Japas : Et il faut qu’elle se tienne toujours à l’écart.

Gisèle Bastrenta : Eh oui, c’est ça le Nom-du-Père.

Maria Japas : Parce que, sa sœur a été diagnostiquée depuis des années schizophrène, et sa mère, elle, est enfermée chez elle. Elle ne prend pas de médicaments, elle est psychotique. Donc il faut qu’elle se tienne loin des deux folles. Il faut que me tienne loin et en même temps avec une responsabilité pour sa sœur qui l’attend, qui reste là. « Il faut tenir ».

Notes