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Les questions qui ont entamé mon travail autour de la topologie du fort-da viennent de réflexions avec mes collègues sur des similitudes dans le mode d’expression des plaintes, des difficultés ou des impasses chez des enfants, des adolescents et même de jeunes adultes…
Jean-Pierre Lebrun est venu à notre secours en avançant ce fait : « L’enfant avant 3 ans a été touché par le lien social en mutation ».
Nous allons aborder cette mutation autour du changement du statut de la « bobine » d’une part, et du changement autour de la fonction phallique d’autre part.

- L’avant 3 ans, c’est l’âge de l’entrée dans la fonction symbolique par lalangue maternelle.
- L’avant 3 ans est aussi marqué par cette identification première à un trait du père.

Partons de l’observation clinique de Freud, observation mythique puisque reprise plus de douze fois au cours de dix ans de l’enseignement de Lacan. Ce modèle est également repris dans les Écrits.

Cette observation a permis à Lacan de nous faire entendre comment le futur parlêtre entre dans la fonction symbolique. Cette naissance à la parole ne se fera pas sans violence.
Indiquons ici ce qui est l’invention de Lacan, à savoir « l’objet a ». Cet objet qui fait partie du corps à corps mère-enfant va s’élever comme fondateur de l’objet de la Demande et aussi du désir. Fondation vers des styles différenciés mais qui seront néanmoins appendus aux conditions de la perte.

Le triskel en est l’écriture topologique :

Voici les éléments structuraux du fort-da :

- Un enfant de trois ans, en mouvement et qui a la maîtrise sur un objet, la bobine, grâce à une ficelle qui le relie à elle…

- Il accompagne son geste et la répétition de ce geste par deux phonèmes : « fort » et « da » …

- Pendant ce jeu répétitif, son regard est orienté sur le point de disparition de sa mère. À noter qu’ici, la mère s’est absentée au-delà de ce seuil, de cette limite. L’au-delà de cette limite est pour l’enfant un pur trou.
A-t-elle disparu ?

Comme par le seuil du landau, l’objet va être lancé par-dessus bord ou au-delà du seuil de la porte pour le faire disparaître et le faire revenir, pour qu’il disparaisse et qu’il puisse réapparaître.
Une jubilation peut accompagner ce jeu. Jubilation comme éprouvé du corps propre au bord de ce qui pourrait devenir de la détresse.
Grâce à la ficelle c’est la jouissance de la maîtrise de cette limite qui peut prendre le dessus. Jouissance à partir de cette limite : un corps éprouve et maîtrise le va et vient de cet objet… Objet à faire disparaître, à jeter, à condition qu’il ne disparaisse pas pour de vrai !
Drôle de jeu…

Nous avons là quelques éléments structuraux fondamentaux.
Peut-être dire d’abord que jubilation il y a, à condition que la mère s’absente, lâche son enfant de temps en temps.
Je cite Lacan : « Ce que demande l’enfant à sa mère de sa demande, c’est quelque chose qui, pour lui, est destiné à structurer cette relation Présence /Absence que le jeu du fort-da structure et qui est le premier exercice de maîtrise » (L’Angoisse 1962/1963).
« Encore faut-il que la mère puisse s’abstenir de répondre à toute Demande par une réponse comblante. »
Lacan donnera l’exemple d’une mère qui ne quitte pas l’enfant d’une semelle. Cette réponse comblante est une fausse réponse - un mensonge ; une tromperie - et peut être le signe de l’émergence de l’angoisse.
C’est bien en soutenant et en supportant le manque de l’autre et les ratages des demandes de son enfant que ce dernier pourra se mettre au travail du Tempo de l’alternance d’une Présence/Absence.
Cette alternance de ces Présences/Absences est la condition de l’accès à l’Aliénation aux signifiants de lalangue dite maternelle.
Deux phonèmes en opposition vont nouer dans le même temps une aliénation symbolique pour une future séparation du corps à corps primordial. À partir de cette Jouissance Bulle - en termes topologiques : la sphère – qui est le premier lieu d’un corps à corps indifférencié, il y faut une découpe.
Un objet, le même, circule entre ici et là-bas, deux lieux se dessinent, des bords et des limites des corps se manifestent et se différencient.

La jubilation qu’éprouve l’enfant autour de la disparition de cet objet dont il a la maîtrise est aux prises avec cette jouissance pulsionnelle de le détruire, de le briser, de le mettre en pièces.
La symbolisation passe par la destruction de l’objet réel.
Les premières découpes de cet objet, toujours pris dans une opposition (Là/là-bas ; Vu/ perdu de vue ; ici /Là-bas), fait advenir par ces répétitions phoniques la signifiance de l’Absence de l’autre et fait passer la disparition réelle vers les aléas d’une ab-sens symbolique.
Du corps à corps mère/enfant un objet est à découper, à détruire, à perdre. C’est cette découpe biface avec deux bords qui subvertit la dialectique du rapport mère-enfant sur le versant du monde des représentations.
Cette séparation topologique de lieux nous indique la migration du futur parlêtre qui pour habiter son espace propre devra se séparer des bords maternels. Nous pouvons donc avancer que le travail sur la séparation commence très tôt… 

Le stade du miroir en serait le point carrefour. 

Il est banal de dire aujourd’hui que l’objet du lien qui persiste et résiste chez des enfants et des adolescents est dialectisé autour de l’angoisse. L’économie psychique côté ado est de se délester de ses charges symboliques en restant aliéné au discours maternel. Côté mère, la dimension sexuée de son enfant devenu grand signe le deuil de son « petit ».
Cette complicité d’une dépendance mère/ado est très souvent soudée autour de l’angoisse. L’angoisse est un signal, nous a appris Freud. Dans bien des cas elle signale au sujet une saturation de jouissance Autre, celle du corps propre.
La jouissance autour du virtuel pousse beaucoup de jeunes vers les confins d’un trop d’aliénation et d’un trop peu de manque.
Ce choix du tout virtuel est un pousse aux limites de la jouissance stoppé par les éprouvés dans le corps qu’est l’angoisse.

L’ado contemporain est sous les feux croisés d’un futur paralysant et de l’offre exponentielle d’objets réels qui permet une jouissance immédiate et sans coupure de temps ni d’espace. La toile d’internet offre un lieu qui peut recouvrir l’espace symbolique d’un sujet singulier. Dans ces espaces virtuels le sujet singulier est tout pris par l’objet regard et l’objet voix venant du système symbolique infini de la machine.
Le virtuel est un des derniers avatars pour capter toute l’attention, hors subjectivité, et pouvoir permettre à ces adolescents d’être hors temps.
Rajoutons peut-être le dernier venu de ces objets qui se propose de nous prendre en charge, c’est-à dire-qui pourrait nous soulager de notre subjectivité et qui à l’audace de s’appeler « Intelligence »… Artificiel !
Ces pannes du désir pour des jeunes englués dans un imaginaire hors corps et hors temps vont obliger les plaignants à rencontrer un autre espace, d’abord celui du réel. L’angoisse ou les passages à l’acte en sont des figures. Ça heurte !
L’angoisse est le surgissement d’un objet « perdu » dans la trame symbolique de celui qui l’éprouve. Autrement dit, l’angoisse dans ce cas serait l’écriture du manque de manque dans la trame symbolique, qui sera éprouvé dans un corps.

En termes topologiques nous pourrions avancer cette écriture d’un faux nouage borroméen pour résoudre les malaises et malheurs de la vie. Le rond Imaginaire recouvrirait là le rond symbolique singulier. Le rond Imaginaire incluant la jouissance narcissique du corps-propre serait piégé par cette dépendance à un système symbolique virtuel.
Si nous y rajoutons le dédain, voire la rage contre le Réel, qui est de ce fait recalé, nous obtenons les ingrédients du surgissement de l’angoisse.
Des effondrements subjectifs plus ou moins durables seront ces dénouages de ces trois Dit-mensions rendant inopérants le Nom du Père R.S.I.

Le nœud borroméen peut se défaire de manière plus courante aujourd’hui. Le nœud à trois R.S.I. en est l’écriture. Le nouage des trois instances garde un lien très lâche avec les symptômes traditionnels du siècle précédent.
Les symptômes traditionnels en lien avec le non-rapport sexuel permettaient de maintenir liés les trois ronds. Le symptôme est ce 4ème rond permettant de lier les 3 autres. Ce nœud à quatre est, lui, noué voire quadrillé par le symptôme.

Les plaintes actuelles sont aux prises avec des jouissances objectales.
Les addictions sont les nouveaux baromètres de ces dépendances à partir d’objets réels offerts sur le marché et servant à pallier aux mal-heurs du manque à être ou du manque d’avoir inhérent à chaque parlêtre.
L’objet positivé pousse aux satisfactions immédiates avec la frustration comme faux réel. La positivité de l’objet peut aller jusqu’à saturer ou recouvrir le manque symbolique.

L’angoisse comme 3ème terme peut ordonner un lien « passionnel » par exemple entre mère et enfant ou père et enfant.
La virulence de ces liens plus ou moins tyranniques envers soi et/ou envers l’autre va de pair avec la violence inhérente à l’entrée dans la parole.
Cette violence pulsionnelle serait, à l’origine de l’entrée dans la langue, une réponse à l’effroi de la disparition de l’autre primordial. C’est en détruisant cet objet réel pour l’élever dans la Dit-mension de la parole que nous pouvons prendre la mesure du « meurtre » de la Chose comme étant un processus de la subjectivation.

Cette perte réelle est le prix à payer pour pouvoir advenir subjectivement par la Demande à partir de ce qui manque.

Qu’est-ce qui manque au-delà du besoin ?

L’immersion dans lalangue maternelle met d’abord l’enfant en place d’objet d’Amour dans le meilleur des cas. Au départ de chaque subjectivité il y faut cet Amour gratuit pris dans le don, pas nécessairement dans la dette aujourd’hui.
Ce fait d’amour mettra l’enfant dans ce leurre qui l’unit à cette instance primordiale. Tout pris dans ce leurre il se vivra comme pouvant combler le manque à être maternel.
D’être accueilli par un Amour inconditionnel, ce qui est nécessaire au futur parlêtre, va cependant mettre le bébé dans une fiction où il serait la cause du désir maternel. Ce fait primitif, première croyance prise dans le réel d’un corps à corps, peut orienter un destin comme celui, par exemple, de ne pas vouloir céder sur cette fiction première !
Du côté maternel sa responsabilité sera de soutenir, à partir des échanges avec son petit, le signifiant du manque dans l’Autre. Cette responsabilité passe par la nécessité d’être aux prises avec son propre désir, au-delà de cet enfant-là. Cette dialectique s’inaugure donc bien au-delà du seuil de la porte… 

Le signifiant du manque dans l’Autre, côté maternel, est la pièce maîtresse du destin du futur parlêtre.

Nous pouvons seulement évoquer le destin funeste pour le petit d’homme qui serait assigné à cette place d’avoir à combler le manque à être maternel. Le leurre côté enfant deviendra le piège d’une clôture infranchissable, d’une Altérité empêchée, entravée voire impossible.
La responsabilité côté enfant n’est pas à négliger puisqu’il faut accepter d’être écorné et délogé d’une jouissance toute-puissante d’être à cette place de phallus imaginaire (petit phi). 

Les pervers narcissiques en sont des figures contemporaines.

Grâce au signifiant du manque dans l’Autre soutenu par la mère l’enfant va pouvoir rompre avec la chaîne signifiante maternelle pour faire advenir la sienne. Il faut pour cela quitter le leurre pour entrer dans le monde du semblant, du jeu, et pouvoir être représenté par ce qui se dit.
Le nouage de la fonction symbolique singulière avec le corps propre doit cependant passer par le meurtre de la chose et par le traumatisme de l’émergence du sujet.
La violence de cette intrusion signifiante dans le corps fait apparaître le Sujet de la parole qui par cet acte de violence disparaît.
La violence est d’autant plus éprouvée que le Sujet – c’est à dire la subjectivité à venir – est d’abord écrasée pour advenir. Cette incarnation des signifiants, ces morsures, ces prises dans le corps, en est l’écriture du traumatisme.
Chacun de nous a eu à faire avec ce traumatisme primordial. Certains enfants peuvent rester sur ce seuil en évitant un certain temps ou en refusant d’entrer dans la langue.
La définition du traumatisme nous indique cet acte d’écrasement du sujet : « C’est un acte de violence acté sur un autre qui ne peut se défendre ni voir venir l’agression ». Le Sujet émerge par ce trauma, émerge à partir de ce troumatisme.

En termes topologiques ce troumatisme permettra ce nouage par et dans le corps, avec la fonction symbolique soit celle d’une parole subjectivée. Ce nouage ouvre à une jouissance, celle du sens, jouis-sens par le jeu et l’ouverture du monde du semblant avec ses semblables…
Le S2, soit la suite des signifiants tournera autour du Savoir de la jouissance du corps.
Cette chaîne symbolique est d’abord une chaîne ouverte sur l’infini…

À la question de Charles Melman : « Qu’est-ce qu’un corps sans tête ? », il répondra : « Le grand Autre ». Le signifiant du manque dans l’Autre sera ce trou-ma pour l’entrée dans le monde des représentations.

Le jeu de la bobine nous permet de dégager la dialectique du Triangle imaginaire sur fond symbolique maternel. La mère primordial M ; un enfant ; un objet a et la place de l’enfant prise dans le leurre le petit phi comme devant être celui qui comble le manque maternel, le manque dans l’Autre.

Ce triangle met au travail le nouage Imaginaire/Symbolique, ce nouage de L’Imaginaire, pris dans le corps et dans la fonction symbolique. Ça parle d’une parole singulière.

Lacan indiquera cette racine de la répétition comme commémoration de cette émergence du Sujet ou comme tentative de retrouver ce temps logique d’un sujet équivalent à l’objet.
Nous retrouvons ce choix de jouissance chez le toxicomane qui va répéter sans cesse cette tentative de retrouver l’extase de son premier shoot – le big-bang - moment zéro de la rencontre de l’objet (du fantasme) et du sujet. Cette rencontre mortifère peut aussi se lire comme une répétition autour de ce trauma initial.Ces répétitions peuvent aussi être une mise au travail pour symboliser ce manque réel.
Chez des adolescents les passages à l’acte seraient ces cailloux sur le chemin de leur migration. L’impératif de leur désir surgissant peut les emporter. Les jouissances d’une transgression ou d’une saisie réelle de l’objet mettent le sujet en position d’évanouissement. Le passage à l’acte fait équivaloir S et a. Le S barré <> petit a qui est l’écriture du fantasme s’écrit dans ces passages S = a.

Revenons au jeu de la bobine où la capacité à soutenir le signifiant du manque dans l’Autre du côté maternel passe par ce qui l’occupe Ailleurs. Nous avons l’enfant ; sa bobine ; sa mère absente. Un troisième lieu se dessine, un troisième personnage observe la scène, regarde et se tait. Freud pour ne pas le nommer !

Charles Melman a posé un jour la question à Marc Darmon sur ce qu’il en était de l’objet côté mère et de l’objet côté père.
Si la bobine illustre cet objet perdu de la Demande dans la dialectique mère/enfant, du côté père c’est autre chose.
Le père (tiers) habite un lieu Autre, Réel. Étranger à la jouissance « bulle » mère-enfant, il sera le trouble-fête de cette jouissance narcissique, moïque qui lie l’enfant à la mère.

Ce père dans le réel sera le représentant en puissance de l’instance phallique. Ce monstre au pied d’argile incarne cet opérateur mental qui est « ce qui sépare et unit et ce qui ordonne des places sexuées ».
Cette puissance d’un père dans l’Autre (le S1 qui ordonne) a la vulnérabilité d’être dépendante de la reconnaissance symbolique de sa femme qui le reconnaîtra (ou pas) dans sa fonction paternelle.

Cette instance est dans notre modernité sous le coup d’un tsunami, la clinique autour des troubles du genre en témoigne.

Le père, dans la tradition, est celui qui en tant qu’homme occupe cet au-delà de la mère. La scène primitive pour l’enfant en sera la signifiance sexuée et la mise sur orbite duTemps. Sexualité-naissance-mort.

Ce père a aimé, cet amour du père sous condition permet à l’enfant de rester moins soumis aux énoncés, aux impératifs, aux injonctions, ou bien encore aux caprices venant de l’Autre primordial.
Cet Amour sous condition fait entrer l’enfant dans les obligations et les contraintes d’un Idéal du moi qui porte en lui le désir de grandir (cf. le triangle Symbolique du schéma de la Réalité).
L’opérateur mental qui découle de cet amour sous condition sera pour l’enfant la mise au travail de l’anticipation et des projections pour l’avenir.
Cette instance tierce est responsable à la fois de ces temps de séparation soutenant la signifiance du manque dans l’Autre et en même temps cette instance permet à l’enfant de faire le saut pour rompre d’avec la chaîne signifiante de l’Autre Primordial.
Ces ruptures ou ces séparations sont nécessaires pour que l’enfant puis l’adolescent puisse pouvoir accéder à ses propres chaînes signifiantes ou pouvoir s’en autoriser.

Alors, côté père c’est l’arrimage dans la chaîne signifiante qui serait « l’objet » paternel. 

En termes topologiques cet arrimage par l’instance phallique noue la fonction symbolique au Réel. La découpe mœbienne de l’objet ne peut se produire sans cet arrimage dans l’instance réelle habité par un tiers. La Jouissance Phallique, hors corps, noue ces deux lieux du Réel et du Symbolique.

Cette jouissance phallique, hors-corps, est au cœur de l’éducation de chaque enfant. C’est bien grâce aux plaisirs de faire, de bien faire, de pouvoir grandir pour être aimé que les processus de socialisation prennent leur sens et leur efficace.

La clinique contemporaine qui nous occupe aurait à voir avec des « fixations » et des traumatismes vécus autour de cet arrimage.
Ces traumatismes sont d’autant plus prégnants que l’irruption du sexuel est en soit traumatique.
Ce défaut ou la récusation ou encore le déni autour de cet arrimage laisse en souffrance ce Lieu du Réel.

Ce corps sans tête qu’est le grand Autre reste, par ces fixations, serf du grand Autre maternel et du corps propre.
Pour cette clinique nous pourrions avancer qu’il y aurait là un plafond de verre plus ou moins indépassable rendant inopérant la dit-mension symbolique aux prises avec le réel. 

L’engagement, la projection dans l’avenir et le rapport au temps restent figés pour ces jeunes et moins jeunes pris dans cette dialectique.
Les jouissances prises dans l’immédiateté en témoignent.

La proximité du Moi Idéal et de l’Idéal du Moi dans cette clinique laisse ces « souffrants » aux prises avec l’axe imaginaire. C’est de cet axe qu’exultent les rivalités, jalousies, voire les haines puisque cet axe est commandé par le moi et ses affres dues au narcissisme. Les déchaînements de violence par les réseaux sociaux reposent sur cet axe imaginaire où le réel est remplacé par le virtuel. Dans ces espaces tout est possible en l’absence du réel et des corps…

À chaque passage important de la vie nous retrouvons les mêmes difficultés.

« Je te tiens, tu me tiens par la bobinette » 

- Ces souffrances des séparations des corps à l’entrée en maternelle. Ces enfants sont dans l’impossibilité de pouvoir s’approprier les bords de leur corps sans la présence maternelle. Le recours aux A.V.S. [Auxiliaires de Vie Scolaire] en témoigne. Ce recours assez courant en maternelle où une présence physique est nécessaire pour que l’enfant se « tienne » est aujourd’hui une difficulté rencontrée chez des collégiens voire des lycéens…
L’ordinateur comme tiers pour apprendre est un moyen moderne pour tenir le corps et l’attention de ces mêmes jeunes. L’intelligence artificielle offre les bords nécessaires par captation pour barrer la suite des signifiants prise par l’infini. L’ordinateur peut compenser certaines faillites phalliques, comme celle de n’avoir pu barrer le désir de la mère sur son enfant… La faillite des limites laisse cette jouissance du corps propre asservie à l’excitation d’un bord à bord maternel. Pour ces enfants c’est sur leur moi en agitation que la séparation du corps à corps s’exprime. 

- Les impossibilités au C.P. de pouvoir lâcher les lettres pour apprendre à lire et à écrire. Ce saut psychique est périlleux puisqu’il désaliène, sépare l’enfant de certains signifiants maternels.

- Les « troubles » du comportement, à partir de la 5ème en général, avec l’entrée dans l’adolescence et l’impossibilité d’être soutenu par une signifiance phallique qui ordonne des places sexuées et différenciées.

Pour rendre compte de cette servitude où les séparations ne peuvent pas ne pas être vécues comme des traumatismes, comme des intrusions réelles, je vous propose quelques vignettes cliniques.
Pour ces jeunes et moins jeunes l’identification au trait unaire a manifestement eu lieu. Cette identification à un trait du père, donc dans l’instance du réel, est nécessaire pour la subjectivation à venir. C’est de cette identification avant le langage que pourra s’inscrire une chaîne symbolique singulière grâce à cette inscription du S1.

- Cette petite fille, d’environ trois ans, élevée par une mère qui, prenant acte de son âge et de son célibat, a décidé de l’avoir grâce à l’aide de la science.
Mutation sociale s’il en est, cette petite fille va plutôt bien à part des cauchemars pendant des périodes…
Dernièrement elle a mis en émoi son entourage en se jetant dans les bras des hommes qu’elle croisait et en les appelant « papa » ! Elle fait la distinction garçon/fille ; homme/femme ; père /mère. L’identification au trait unaire a eu lieu, c’est-à-dire l’inscription d’un Un dans le réel.
Le signifiant « papa » se déploie pour elle dans une adresse sans corps réel. Ce signifiant « papa » a émergé mais elle réclame un corps pour le loger, l’inscrire et pouvoir de ce fait s’inscrire dans une autre lignée que celle maternelle.
L’embarras, la gêne, la honte et la culpabilité ont, grâce à ce signifiant hors-corps, obligé cette mère à s’interroger sur son acte : d’avoir un enfant sans lui donner de père. Cette petite fille aura obligé sa mère à réorganiser sa vie pour rencontrer un homme. En attendant, oncle et parrain prennent cette place de tiers qu’elle appelle, réclame et revendique. Cette petite fille vive et intelligente bataille sur le passage d’être l’objet du désir de maman (cette mère désirait un enfant) vers celui d’être un sujet, la fille de papa. Où s’accrocher pour que cette mère la lâche un peu ?
Elle a réellement été privée de cette signifiance sexuée dont elle est pourtant le produit.

- Ce jeune homme maintenant. Il a 28 ans. Je le reçois après un effondrement dû à une séparation. Il décrit des relations passionnelles tyranniques dont il est coutumier où « à chaque fois je me fais jeter ! ».
Depuis son adolescence il soutient sa subjectivité par des consommations régulières de cannabis et d’autres produits occasionnellement. Il passe d’une jouissance du corps propre ou d’une jouissance mentale à un effacement voire une disparition subjective qu’il recherche avec l’alcool par exemple.
Il parlera de son incapacité à se séparer et de ses difficultés à appréhender de nouvelles obligations.
De la séparation de ses parents lorsqu’il avait 3 ans il ne se rappelle rien. Sa mère lui a raconté les crises terribles à chaque passage de l’un à l’autre de ses parents. Étant occupée par le « jeu de la bobine » je lui ai demandé s’il avait un doudou pour soutenir le saut entre les deux lieux. Sa réponse m’a interloqué. « J’en avais deux. Un pour chez ma mère, un pour chez mon père avec interdiction d’amener l’un chez l’autre… ». Pris en étau dans des règlements de compte entre ses parents, nous pouvons avancer que ce jeune homme a eu à faire à une instance phallique bipolaire et à des espaces clivés. À chaque séparation, c’est lui et sa subjectivité qui étaient anéantis.
Ce black-out mental, il ne cesse de le répéter dans ces rencontres amoureuses et au travers de ses addictions. Les répétitions de ses jouissances mentales où il apparaît, réapparaît et disparaît peuvent être lues comme une tentative désespérée de symboliser l’Absence, c’est-à-dire d’une présence dans l’absence. Il passe d’une toute-puissance à un anéantissement subjectif, en alternance.
Il serait resté coincé à cette place de petit phi où c’est d’avoir à combler l’autre qu’il a idéalisé l’amour. Ce qui finit toujours mal. Les seuls liens qui tiennent pour lui et qui sont précieux tournent autour de la fraternité. Fidèle en amitié, il peut de ce côté-là engager des liens dans le temps un peu au-delà d’une réciprocité imaginaire. Ce jeune homme est tout pris par cette alternance subjective où les passages à l’acte sur lui-même indiquent qu’il « est » lui-même la « bobine » c’est-à-dire cet objet qui doit choir pour pouvoir émerger du trou-matisme comme sujet. Actuellement il vit chez son père et sa mère, en alternance.

Ces deux vignettes peuvent nous faire entendre ce versant de l’instance phallique qui unit notamment par la fonction du Moi mais soutient difficilement la différenciation et le manque dans l’Autre malgré l’identification première au trait Unaire.

La dialectique autour du manque à être et du manque d’avoir est ravalée vers ce qui ferait signe.

Nous entrons là dans ce discours courant contemporain de l’auto-nomie où il deviendrait possible de s’affranchir de cette instance responsable de l’assignation d’une place sexuée et d’une nomination à partir de deux filiations.
Les souffrances, les difficultés, les inhibitions d’avoir à soutenir le semblant d’être ou le semblant d’avoir le phallus peuvent actuellement être prises en charge par le médical dans une visée de résolution réelle.
Les actes chirurgicaux et/ou hormonaux à partir de ce nouveau signifiant maître du « genre » tentent de résoudre les malaises autour de l’émergence du désir de l’Autre.
Ces interventions tentent de faire coïncider une image mentale de soi-même avec une image à donner à voir.
« L’anatomie n’est pas le destin » puisque le parlêtre est assujetti à la fonction symbolique qui peut être en discordance avec la fonction imaginaire et le réel du corps.
Cette idéologie repose sur du « même » avec un idéal social promettant de corriger ce qui serait la cause de l’émergence du malaise de l’adolescence toujours en lien avec le désir de l’Autre. Malaise dont il faut peut-être rappeler qu’est dû à cette place marquant la différence sexuée et qui ouvre à cette énigme pouvant être vertigineuse du Que Vuoi ?, « Que me veut-il ? » ou « Que me veut-elle ? ». Ce désir de l’Autre au cœur du malaise qui surgit à l’adolescence est aujourd’hui pris dans ce leurre qu’il pourrait trouver une résolution en corrigeant l’image pour faire advenir un être-en-soi, sans lien avec l’autre.

Je reçois deux jeunes filles aux prises avec ce signifiant du « genre ».
Pour l’une c’est autour de la nomination symbolique qu’elle exige une correction. Depuis son entrée dans cette nouvelle dimension d’être nommée au masculin - ce qui est possible dans l’Éducation Nationale - en gardant son prénom féminin, elle n’est plus malmenée par les autres. Petite fille elle a eu à faire à des maltraitances à l’école dont ses parents pourtant attentifs n’ont pas pu la protéger.
Elle assume son image du corps très féminine et c’est grâce à cette « nouvelle » nomination qu’un écart dans sa parole lui permet de tenir une place parmi les autres avec l’humour comme moyen de se faire reconnaître. Elle a un petit copain et elle a accès à une sexualité. Reste pour elle l’énigme autour du Semblant, actuellement elle est devant cette question d’avoir recours ou non à des hormones.

L’autre jeune fille que je reçois ne veut pas particulièrement être un homme mais ne veut pas être une femme. Garçon manqué dans l’enfance elle en garde une image androgyne à laquelle elle reste fixée. La sexualité ne l’intéresse pas. Ce qu’elle souhaite est une correction de son image du corps pour qu’elle corresponde à ses nouveaux papiers d’identité. Elle exige de ses parents qu’ils acceptent une intervention hormonale. C’est pour sa mère un véritable drame. 

Ces deux jeunes filles peuvent nous faire entendre ce côté dramatique d’avoir à soutenir une place « d’objet ». 

Si les changements d’identité, les mouvements de transsexualité ont toujours existé, nous assistons aujourd’hui à un changement statistique autour de la répartition de ces attentes de changement. Ce sont aujourd’hui des filles qui majoritairement veulent quitter cette place « d’objet » du désir de l’Autre. Nous pouvons faire l’hypothèse que ce refus autour de cette place d’objet reste lié à une impossibilité à soutenir le semblant d’être et des liens dans l’Altérité. Ces difficultés qui ne datent pas d’aujourd’hui sont prises dans ce leurre qu’une solution médicale et réelle pourrait en venir à bout.
Le « Pas-tout phallique » est là en déroute puisque le social par la science propose à chacun son petit phi et le leurre qui le soutient. Ces nouveaux êtres ne peuvent se soutenir qu’en s’aliénant à des communautés de « mêmes » où chaque particularisme doit être nommé et reconnu.
La différence sexuée qui ordonne des places différenciées et oblige à se coltiner l’altérité trouve une résolution dans des systèmes « communautaires » où la différence est rejetée. Ce qui est rejeté du symbolique réapparaît du côté du réel. Dans cette idéologie ce qui réapparaît dans le réel peut se lire dans ces lettres désignant ces nouveaux genres. LGBTQ+. Le « plus » indiquant les futurs particularismes « communautaires » à venir… La différence rejetée d’un côté fera par son retour toujours signe. Ce fait est dû à l’essence même du signifiant, toujours lié à un autre signifiant. Nous ne pouvons y échapper. « Le signifiant est un sujet pour un autre signifiant ».

Pour conclure sur notre modernité nous aurions là à faire avec l’impossibilité d’une découpe moebienne dans « je te tiens tu me tiens par la bobinette » parce que l’objet reste empêtré dans l’être.

Lacan (1973, Séminaire 17) : « C’est la topologie sphérique de cet objet dit (a) qui se projette sur l’autre du composé, hétérogène, que constitue le cross-cap“ (S)

La découpe biface, elle, met l’accent sur l’être puisque l’objet « perdu » colle, reste englué d’un côté ou de l’autre des deux bords. 
L’ambiance « paranoïde » pour ne pas dire paranoïaque de cette découpe explose dans l’espace virtuel avec la violence que l’on connaît… Dans cet espace c’est l’être de l’objet qui est ciblé, visé et rejeté pour ne pas dire découpé…

En termes topologiques l’écriture pourrait être le nœud olympique avec l’imaginaire comme moyen terme entre le symbolique et le Réel. Ce nœud nous montre la faillite de l’instance phallique et l’asservissement du moi tenu par la jouis-sens et les jouissances du corps propre dans les liens à l’autre.

« Être beau », « être bi », « être net » pourraient border ce nouveau triskel d’un moi-Idéal orphelin d’un manque nécessaire pour advenir dans des liens d’Altérité.

Je te tiens, tu me tiens par la « beau-bi-net » …

Stéphane Thibierge : Je voudrais remercier les collègues de l’ALI Manosque et Claude Rivet de m’avoir invité à participer à votre Journée dans ce lieu vraiment très agréable, et sous les auspices de l’EPhEP, bien sûr… mais aussi de l’Université des Saveurs et senteurs [rires].
C’est vraiment très agréable de parler sous ces signifiants.
Et merci aussi à Gisèle Bastrenta pour l’exposé que vous venez de nous faire, qui présente toute la complexité - vous l’avez fait avec beaucoup de simplicité et en même temps, en respectant cette complexité, vous nous avez introduit aux enjeux principaux de ce que Freud a isolé, avec le génie qu’on lui connaît. Il fallait quand même le faire pour repérer dans ce jeu de son petit-fils de trois ans les articulations fondamentales de la manière dont nous sommes articulés à l’objet perdu.
Alors, j’aurais envie peut-être de vous poser..., j’aurais une remarque à vous faire.
Vous avez évoqué la façon dont, par le Fort-da, par la production de ces deux signifiants alternatifs, et contraires d’une certaine façon, l’enfant cherchait à acquérir, à trouver la maîtrise.
C’est le terme que vous avez employé, et je crois que c’est ce que dit Lacan d’ailleurs à certains moments… Mais à d’autres moments, il est moins catégorique. C’est-à-dire, il dit surtout que plutôt que d’une maîtrise, c’est de l’articulation du petit parlêtre à cet objet perdu… dont il est en train d’inscrire la perte, c’est davantage de cet appareillage, d’une certaine façon, de cet appareillage à la parole qu’il s’agit.
Quelquefois Lacan dit : attention, ce n’est pas exactement une maîtrise, c’est plutôt une façon de, n’est-ce pas… ?

Gisèle Bastrenta : …de travailler, de se mettre au travail.

Stéphane Thibierge : C’est ça. De se mettre au travail à partir de l’articulation parlée, l’articulation dans la parole, de cette perte littéralement en train de se faire. J’ai beaucoup apprécié, la façon dont vous avez développé la complexité et les différents aspects de ce moment. Je relève juste, parmi d’autres points que vous avez évoqués, vous avez très bien parlé de la tendance, plus que la tendance, cette idéologie lourde, contemporaine, qui consiste à... Vous avez évoqué comment, de plus en plus, dès la maternelle, dès les tout premiers temps de l’éducation sociale, les enfants sont…, on leur colle une sorte d’aide, une sorte de Nebenmensch qui va venir, qui va devenir, qui va venir les normer en quelque sorte de force, c’est-à-dire apporter ce qui serait les corrections nécessaires pour les rendre adaptés. Avec ce présupposé que, de toute façon, ils sont adaptés, ils doivent l’être, s’ils ne le sont pas, ils doivent l’être.
Vous avez rappelé comment, évidemment, on ne peut pas être adapté. Et notamment, vous avez évoqué ce que Lacan appelle le signifiant du manque dans l’Autre. Nous ne pouvons pas être adaptés puisque, et Lacan le dit très clairement, Freud le manifestait aussi, il ne le disait pas aussi clairement, mais c’était manifeste dans son œuvre : il n’y a pas, pour l’animal humain de représentant psychique du sexe. Autrement dit, nous sommes avec le sexe, la sexuation, nous sommes aux prises avec quelque chose qui ne peut être articulé que depuis ce que Lacan appelle le grand Autre. C’est-à-dire seulement depuis des signifiants. Il n’y a aucun représentant psychique du sexe pour l’animal humain, ni pour un homme ni pour une femme. Et donc, ça ne pourra se faire qu’à partir de cette prise sous le signifiant, c’est-à-dire ce qui met en route cette aliénation et cette séparation dont vous avez très bien parlé. Je n’ai pas envie moi-même de parler trop, mais je voulais vous remercier de cette mise au point, de cette entrée dans cette Journée que vous nous avez ménagée, avec beaucoup de précision et d’une façon pas trop traumatique.

Gisèle Bastrenta : Merci. Je voulais parler… je voulais dire quelque chose parce que ce qui m’a intéressée moi dans le Fort-da, c’était, topologiquement, la mise en place des bords, la question des bords, et puis parler de cette jeune fille qui, à partir du moment où elle s’est fait appeler au masculin, ça lui a permis de sortir de cette place d’objet réel qu’elle était pour les autres et elle a acquis de l’humour. La particularité de cette fille, qui est très très féminine, qui a un corps très féminin avec des formes qu’elle assume tout à fait, ce que dernièrement j’entendais, c’est qu’elle était prise... - c’est une fille très sympathique -… du côté de l’amour du père, qui fait qu’elle est là où elle est. Son père voulait un garçon après avoir eu une fille ; pas la mère, le père. Et c’est ce qui fait qu’en intégrant la fonction symbolique dite au masculin, puisque c’est comme ça qu’elle peut le faire, elle a changé ; elle a changé puisque sur le plan symbolique, elle est à une meilleure place. Je pense qu’au niveau phallique, elle est à la meilleure place, mais elle ne veut pas se débarrasser de son corps féminin. Donc c’est une question classique du malaise de l’adolescence. Et moi je tire un maximum pour qu’elle diffère sa prise d’hormones et je pense qu’elle n’en prendra pas. Parce qu’elle se questionne sur le malaise de sa place. Voilà, je voulais dire ça.

Noureddine Hamama : Juste pour une forme de question, de remarque. La première sur cette question de l’absence et présence, qui m’a fait penser à un film, japonais : Nobody knows, et l’histoire de ces quatre enfants abandonnés par leur mère qui rejoint son amant. Elle les laisse seuls dans un appartement et ils vont rester plusieurs mois, ils vont s’organiser pour tenir jusqu’au jour où ils ne peuvent plus rester enfermés et ils vont sortir. Et là, ils vont être confrontés un peu au social qui va du coup un peu poser problème pour eux. Et il y a quelque chose de grave qui tire, qui touche le dernier enfant. Ma question était : est-ce que la carence - si on peut parler de carence -, est-ce que l’enjeu de la carence n’est pas du côté de l’absence-présence, parce que, dans ce film, les gamins arrivent à tenir, mais plutôt du côté de la transmission de la symbolisation, et donc du coup d’une langue, avec l’inconscient qui va avec… une présence-absence.
Ma deuxième remarque, c’est par rapport à la petite qui ne dit pas papa. Moi je l’ai entendu dire, il y a quelque chose qui vient dire : « non – pas ». Il y a quelque chose qui vient le dire, du côté des symptômes qui viennent dire non.

Gisèle Bastrenta : Oui, oui, oui.

Noureddine Hamama : Et peut-être que, du coup, sa mère a entendu quelque chose. Est-ce que justement, elle n’était peut-être pas totalement prise cette petite ? Je dirais, elle ne réalise pas l’objet du fantasme de sa mère, il y a quelque chose d’autre, me semble-t-il.
Ma troisième remarque, c’est sur la fin, sur la question du biface. Donc, quelque chose de paranoïaque. Est-ce que dans ces symptômes, notamment les symptômes des questions du côté du genre, est-ce que justement parce que ce n’est pas forcément paranoïaque, est-ce qu’il n’y a pas du « comme » biface, c’est-à-dire du coup quelque chose d’hystérique ?, qui est adressé un peu comme ça.

Gisèle Bastrenta : Quand ils se mettent à parler, oui. Quand ils se mettent à parler, quand ils rencontrent quelqu’un.

Anne Videau : Tu veux répondre davantage ?

Gisèle Bastrenta : Non, non. C’était très bien ces remarques.

Anne Videau : D’autres souhaiteraient prendre la parole ? Oui, Philippe, si vous voulez bien descendre, si tu veux bien descendre.

Philippe Candiago : Oui, merci Gisèle, c’était vraiment très intéressant. Je voulais revenir sur la question de présence-absence. Faire disparaître l’objet à condition qu’il ne disparaisse pas pour de vrai. Et je me demandais s’il y avait un seul temps ou deux temps dans ce moment du Fort-da ou trois temps. Est ce qu’il n’y a pas un moment où la disparition est pour de vrai et pas définitive ?

Gisèle Bastrenta : C’est l’effroi.

Philippe Candiago : C’est l’effroi, mais ce n’est pas définitif. Gisèle Bastrenta : Bah non, parce qu’on en revient.

Philippe Candiago : Ça va revenir, mais ça reste de l’ordre d’une vraie présence et d’une vraie absence. Gisèle Bastrenta : Oui, oui, oui.

Philippe Candiago : Et du coup, est ce que le temps du Fort-da c’est ce temps-là ? Et par rapport à un trouble-fête dont tu parles - j’ai beaucoup aimé, ça me fait penser à ce que disait Melman sur la fête quand il dit - c’est un vieux texte, je crois - la fête, c’est quand on dit non à la castration. Avec notamment pendant la fête, possiblement, des effets d’angoisse, ça peut arriver, et après la fête, des effets de culpabilité.
Et donc, qu’est-ce que c’est ce trouble-fête… ? La fonction, c’est que cette présence-absence ne soit pas signe de présence et signe ou signe d’absence, mais vienne maintenir... Je ne sais pas comment te poser la question, vienne maintenir dans ce moment d’absence un fond de présence et dans ce moment de présence, quelque chose qui s’absente. Est-ce que c’est au niveau de ce tiers que ça se constitue ? Et puis j’avais une autre question après sur le social, si tu peux me...

Gisèle Bastrenta : Je peux te dire comment j’entends les choses quand je l’ai travaillé. C’est qu’il faut, il y faut une instance tierce qui va soutenir l’absence maternelle pour une présence signifiante à venir : présence dans l’absence. Topologiquement, c’est cette question de la jouissance phallique. C’est comment le phallique va soutenir cette perte dans l’Autre, je le dirais comme ça.
Ce qui me paraissait aussi intéressant en faisant ce travail, c’est que ce qui coince - mais quand ils viennent parler, ça bouge très vite en fin de compte -, c’est que, dans la mesure où le Réel est mis de côté avec la question phallique qui est du côté de ce Réel, il y a cette extrême difficulté à pouvoir habiter le semblant. Voilà, je dirais.

Stéphane Thibierge : Ah oui, ça c’est très juste.

Philippe Candiago : Ah oui. C’était cette difficulté à habiter le semblant ?

Gisèle Bastrenta : Oui. Parce que, quand on parle du Fort-da, l’intérêt, c’est que ça rentre après au niveau de plus en plus élevé, c’est-à-dire que ça rentre après dans la complexité des signifiants. C’est ce qui permet de faire advenir les signifiants et la parole.

Philippe Candiago : Oui. Cette difficulté à habiter le semblant est-ce que, quand tu as évoqué cette mutation sociale, tu as employé le signifiant inconditionnalité... est-ce que du coup, cette inconditionnalité, c’est le nom justement qui a indiqué cette difficulté à habiter le semblant ? Gisèle Bastrenta : Mais oui.

Philippe Candiago : Parce que, cette inconditionnalité, est-ce qu’elle est congruente aussi à ces effets de clivage que tu as soulignés ?
Est-ce qu’il y a quelque chose d’une forme de congruence entre cet appel à l’inconditionnalité que j’entends comme quelque chose qui refuse justement cette dialectique de l’absence et de la présence, c’est-à -dire soit une présence qui fait signe, soit une absence qui fait signe, c’est-à-dire, d’une certaine façon, un refus de la condition.

Gisèle Bastrenta : C’est ça.

Philippe Candiago : En tant que coupure.

Gisèle Bastrenta : C’est pour ça que j’ai un peu insisté du côté de la bobinette : parce que j’ai insisté sur le fait que, côté maternel, où l’amour est inconditionnel, il le faut. Mais, du côté paternel ou du côté du tiers, c’est un amour inconditionnel aussi, du coup ça pousse à être du côté des objets de satisfaction et des objets de jouissance directe. Et ça casse la question du temps, c’est-à-dire que c’est une immédiateté, sans cesse une immédiateté.
C’est pour ça que le virtuel a son importance, parce que ça permet de mettre des objets du désir, la voix et le regard, tandis que d’habiter hors fantasme personnel, ça permet de soutenir cette subjectivité dans une immédiateté perpétuelle, sans projection dans le temps. C’est ça que j’essayais de dire par cet amour conditionnel classiquement, qui n’est plus. C’est pour ça que je parlais d’un géant aux pieds d’argile, parce que si la grosse voix s’élève, ça, ça, ça peut franchement traumatiser.

Maria Japas : Oui, je pensais aussi : dans la clinique de l’enfant, on reçoit, depuis quelques années déjà, ces situations-là, où, le discours maternel et paternel, il n’y a pas une distinction entre les deux. C’est « on » tout le temps, on parle de « on », donc la place de l’enfant est compliquée à trouver.
Et en même temps, la question des jeux dont l’Imaginaire n’est pas là. Il n’y a pas l’Imaginaire puisqu’il n’y a pas... C’est la question de raconter des histoires : même s’il y a des dessins, il n’y a pas une histoire qui se raconte. C’est des enfants qui sont en CP, CE1, CE2, et les dessins, c’est des enfants qui font des dessins de maternelle, on va dire. Il y a quelque chose qui est difficile à venir du corps : avoir un corps - comme disait Dolto, qu’est-ce que c’est avoir un corps ? -, [là], ça reste le corps de la mère, l’Imaginaire reste toujours noué à la mère. Et donc ce travail assez difficile de différenciation des places.
Je vais voir comment je m’appuie beaucoup sur le signifiant d’un monde à l’autre maternel, pour trouver son désir à elle quelque part, de cette femme : où est ce qu’elle est ? Parce que, il n’y a pas de place pour le père, en tout cas pas la place qu’il devrait. Comme tu dis, la question de « sous condition ».

Anne Videau : Si vous voulez bien, nous allons faire une petite pause afin que Stéphane Thibierge puisse se reconditionner pour l’exposé. [Rires]

Stéphane Thibierge : Non, c’est bien aussi parce que ça permet qu’il y ait des échanges entre les gens qui soient autres que seulement en scène. C’est pas mal.


 

Notes