Stéphane Renard : Bouche trou

La question de la fin de l'analyse rapportée au nœud borroméen est un grand mystère. Y aurait-il un lieu qu'indiquerait le nœud borroméen à trois comme étant celui de la fin de la cure ? Autrement dit  ça se termine où une analyse?

 

La dernière séance est une blague. Le transfert ne se résout pas de la sortie du divan un jour de semaine. C'est même le contraire puisqu'il n'est jamais si fort que dans l'intervalle des séances. "Ma seule erreur c'est d'être là" disait Lacan lorsqu'il enseignait, il le faisait d’une position d’analyste. C’est valable aussi en séance.

 

En présence de l’analyste l’hystérie légèrement paranoïaque de l’analysant s’élabore ordinairement du processus de la cure. Celui-ci la favorise par ce en quoi il consiste  : un horaire fixe et régulier, une position qui déleste de la verticalité, une règle celle de l'association libre et la présence d'un analyste avec en paiement le prix de son attention. Il y a de quoi se demander ce qui est attendu. Les repères habituels sont bousculés : stabilité quasi astronomique des rendez-vous, mise à plat de la station humaine ordinairement dévolue aux temps de réparation, incitation à la parole libre, présence énigmatique et bienveillante cependant de l'analyste intervenant quelquefois autrement  que par la simple manifestation d’une présence, et en fin de séance un don, toujours le même, absolument intraduisible, c'est à dire qu'il est impossible d'en établir une corrélation à la qualité de la séance. L’analysant est alors sujet d’un désir qui cherche a se faire reconnaître non sans ce demander ce que lui veut l’analyste. Ce qui n’est jamais que sa propre interrogation sur son désir, c’est à dire le transfert.

 

La liquidation du transfert en fin de cure reste dans la théorie comme ce qui vient dire de la dernière étape avant ce qu’il en serait d’une fin d’analyse. Que serait-ce alors que la liquidation du transfert et où cela viendrait-il s'inscrire, s’il est possible de l’y lire, dans le nœud borroméen à trois ?

 

Le terme liquidation peut évoquer la fin brutale et violente. La liquidation renvoie aussi la dissolution dans quelque chose de plus grand, de plus vaste, qui rendrait infime,   réduirait a une dimension infinitésimale,  à rien, ce qui serait à liquider.  C’est par cette  forme de la transformation du transfert en transfert de travail qu’il est possible de l’entendre.  Le transfert limité à l’analyste viendrait s’étendre au travail. Plus précisément encore, à  partir de cette fin d’analyse serait qualifié de travail, ce qui aurait qualité de transfert.

 

Ceci invite à saisir que si la fin de la cure est bien la liquidation du transfert en tant que par liquidation du transfert il s’agit d’imaginariser un trou dans le savoir, trois formes  ou étapes sont invitées à entrer en jeu. La liquidation du transfert consisterait d'abord à prendre la mesure d’un trou dans le savoir. La liquidation consisterait ensuite pour l’analysant à reconnaître, une fois qu’il en est averti, que l’analyste est porteur de ce même trou dans le savoir : dimension de l'altérité, l'autre est semblable et autre. Enfin transfert de travail : la liquidation consisterait cette fois à reconnaître que l’autorité qui s’attache à l’instance phallique ne comble rien de ce trou dans le savoir.  Il semble qu'à partir de là, la liquidation du transfert pourrait être considéré comme achevée. Avec cette réserve, qu'animée d'un désir qui s'origine d'un trou dans le savoir la question transférentielle organise désormais un rapport à la vie même.

 

Lacan produit en Novembre 1974, lors d'une intervention au congrès de Rome intitulée La troisième, ce schéma qui représente un nœud borroméen à trois. Peux-t-on y repérer le lieu de la fin d'analyse et donc le lieu de la fin de la cure ? 

 

 fig Bouche trou

 

  

Le nouage borroméen organise autour du trou central une série de lieu délimitée précisément par les consistances croisées des ronds du Réel de l’Imaginaire et du Symbolique. Peut-être serait-il possible de lire dans l’un des trous de la structure le lieu de la fin de l’analyse ?

 

Commençons par celui du  sens. Qualifié de faux trou par Lacan, commun au Symbolique et à l'Imaginaire qui le délimitent,  le sens borde le Réel.  La presque totalité de la cure consiste a se déprendre du sens et des sens qui font jouissance. C’est ce que l’analyste d’une intervention habile, fait vaciller chez son patient lorsqu’il souligne l’ambiguïté d’un signifiant. Assurément ce n'est pas là le lieu, ce lieu du sens, que nous investissons en fin de cure.

 

La jouissance phallique jouissance d'organe n'est pas non plus le lieu du terme d'une cure puisque ce serait alors l'organicité qui s’imposerait. Le langage et ses effets, autrement maître de notre condition, autorise Lacan à élaborer pour la fin de cure une conception qui module traversée du fantasme et mise en place d’une procédure particulière, la passe. Le sujet y reconnaîtrait l'objet de son fantasme comme une réponse singulière qui ne donne pas le dernier mot d'une réponse universelle. Ce sera un échec. Avec cet échec s'effondre l'option un moment envisagée par Lacan de l'analyse en tant qu'infinie. Retour à la case départ, puisque la conception d'une analyse inclue désormais son terme. 

La jouissance Autre, vrai trou borde le Symbolique à la croisée de l'Imaginaire et du Réel. Ce lieu indique-t-il celui de la fin de la cure ? En tant que jouissance fut-elle de l’Autre,  il s'agit de ce qui fait stase, bouchon. Il reste avec ce lieu une série d’interrogation puisqu’une une bonne partie du travail de l’analysant consiste justement à perlaborer une séquence signifiante jouissante pour en réduire à rien la sidération qu'elle générait. La jouissance Autre n’en est pas moins une jouissance et asservissante à ce titre. Il ne semble pas possible, au-delà de la difficulté particulière que pose chez Lacan cette définition qu’il donne de ce lieu en tant que vrai trou, de le retenir comme celui de la fin de la cure.

 

Le symptôme qui borde le Symbolique dans le Réel ne peut pas être le lieu de fin de cure non plus dans la mesure où c'est précisément le transfert qui le représente le mieux ou même qu'il est. La prescription est de s'en débarrasser.

 

De même, le lieu qui abrite l’objet petit a, cause du désir, au centre du nœud, au croisement des trois ronds, ne suffit pas à donner les coordonnées d’un lieu qui viendrait dire la fin de la cure. Certes la cause du désir, trou central dans le nœud borroméen, à l'intersection commune des trois dimensions, semble  bien  indiquer ce lieu qui fait trou dans le savoir. Est-ce suffisant ? Pas sûr puisqu'en effet rien n'indique comment l'analysant vient à situer ce qu'il en est d'un sujet pour la cause qui l'anime. Dans la névrose obsessionnelle le sujet identifie clairement la cause qui l'anime et même un peu trop puisqu'elle est toujours derrière lui, il y a quelques chose là, dont il faut sans cesse aller vérifier que ça ne va pas venir le rattraper, le confondre, l'accuser et qui en permanence  l'annihile.

 

Il semble que chacun des trous et des débords du nœud borroméen soit susceptible de participer à l’élaboration de ce qui serait le lieu d’une fin d’analyse sans parvenir à lui seul à le saisir de manière conclusive.

 

Que  reste-t-il alors quand ont été explorés et éliminés les trous du nœud borroméen à trois ? Rien d'autre que le nœud lui-même. Un simple nœud élaboré par Lacan dans les années 70 et transmis jusqu'à votre paume ouverte par ceux qui font acte de psychanalyser et enseigner. Ce nœud organisé par le trou dans le savoir vous arrive comme un don, de surcroît. C'est le Lacadon auquel nous introduit Charles Melman, "le lacadon, c’est ce qu’il (Lacan) nous a laissé, donné, un enseignement unique dans la mesure où il est lui même organisé par ce trou dans le savoir : c’est là le cadeau, le plus grand !".

 

Quand on observe le nœud borroméen à trois placé sur la paume de sa main un premier temps consiste à le voir, un deuxième à le montrer. Le troisième temps celui de la transmission  est bien celui qui consiste à le placer dans la paume d'une main tendue par un autre. Voir, montrer, donner trois choses impossible quand il s’agit du nœud borroméen, comme ces trois autres impossible auxquels s’affrontait Freud : psychanalyser, gouverner, enseigner.

 

Voila donc que le quanteur temporel de l'interrogation sur la fin de la cure, « quand ? », est transformé une première fois en un quanteur topologique, « où ? », puis élabore la réponse à  « quoi ? », par un objet. Le lieu du trou dans le savoir s'écrirait dés lors d'un nœud borroméen à trois comme la réponse du sujet au manque dans l'Autre pour venir sceller la fin de la cure.

 

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