Grande conférence EPhEP d'Anne Joos : "PMA nous laisse-t-elle sans voix"

EPhEP, Grande conférence, le 16/11/2017



Anne Videau :  
Bonsoir, merci beaucoup de votre présence.
Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCME) est présidé depuis janvier 2017 par le Professeur Jean-François Delfraissy, médecin spécialiste en immunologie.
Il ouvre de la manière suivante l’avis qu’il rend le 15 juin dernier concernant la question que nous allons travailler ce soir : « L’Assistance Médicale à la Procréation, AMP, recouvre un ensemble de techniques conçues par le corps médical, puis organisées par le législateur pour répondre à des infertilités qui révèlent des dysfonctionnements de l’organisme. Les demandes sociétales d’accès à l’AMP reposent sur la possibilité d’utilisation de ces techniques à d’autres fins que celles du traitement de l’infertilité liée à une pathologie ».

On assiste en effet à une augmentation des demandes de recours à l’AMP qui ne s’exprimaient pas jusqu’alors, ou très marginalement, portées à la fois par les évolutions de la société, de la loi française et de certains pays étrangers, et par celles de la technique. 

C’est donc dans ce contexte que le CCME a souhaité mener à nouveau une réflexion sur les demandes sociétales d’AMP dans leur ensemble.

La réflexion éthique porte sur trois de ces demandes :

1°. L’autoconservation ovocytaire chez les femmes jeunes,

2°. Le recours à l’AMP par des couples de femmes et des femmes à titre individuel,

3°. Les demandes de Gestation Pour Autrui par des couples hétérosexuels mais aussi par des couples d’hommes et d’hommes seuls.

C’est dans ce contexte que nous avons invité notre collègue Anne Joos à intervenir ce soir pour nous présenter cette question qu’elle a choisi de poser sur le mode que vous avez lu « La PMA nous laisse-t-elle sans voix ? »

Anne Joos est psychanalyste à l’Association Freudienne de Belgique ALI, elle a une expérience de sage-femme, elle est engagée dans la clinique, dans la réflexion sur l’aide à la Procréation Médicale depuis de nombreuses années et tu nous diras, chère Anne si tu le veux bien, dans quel cadre ta clinique s’inscrit depuis ces années.

Sandrine Calmettes a bien voulu être la discutante ce soir pour nous. Elle est psychiatre, psychanalyste, fait partie de l’Ecole de Psychanalyse de l’Enfant et de l’Adolescent ALI et travaille au CMP de la MGEN rue de Vaugirard.

Merci chère Anne, je te donne la parole.

 

Anne Joos :

C’est à mon tour de vous remercier, de remercier Anne Videau et Charles Melman de m’inviter à réouvrir ici ces questions relatives à la PMA.

Peut être une première remarque : je sais qu’en France vous parlez d’AMP, et vous parlez de PMA plus particulièrement quand il s’agit de gestation pour des femmes homosexuelles (c’est Jacques Testard qui m’a dit cela l’autre jour en Belgique).

Quand nous parlons de PMA, nous parlons de l’ensemble des techniques médicales qui permettent la procréation en dehors du processus naturel.

Je voulais remercier aussi Sandrine Calmettes d’avoir accepté d’être discutante et je vous remercie vous d’être là.

 

Oui, je vais tenter de vous amener les questions qui me travaillent autour de la PMA et de vous dire comment cette clinique s’est mise en place.

 

Dans un premier temps, je ne vais pas parler en tant qu’historienne de la fécondité humaine mais je trouvais important de ré-aborder le(s) contexte(s) dans lesquels cette clinique a émergé.

Les plus jeunes ne vont peut être pas se souvenir, mais la génération des années 50 se souvient qu’on parlait alors d’une découverte qui datait des années 1924 et 1928, à savoir la fameuse Méthode Ogino Knaus (Ogino, un japonais et Knaus, un autrichien) qui avait au début pour but de maîtriser et comprendre quel moment était le plus propice pour la femme pour concevoir un enfant : il s’agissait, en 1924, d’augmenter les chances d’avoir un enfant, et 4 ans plus tard, Knaus a transformé la méthode en méthode contraceptive.

Toujours est-il que dans les années cinquante, on a développé à large échelle cette première méthode qui était en soi une première révolution, à savoir qu’elle introduisait une certaine mainmise sur le cycle de la fécondité féminine et ses conséquences. L’histoire a suffisamment décrit que cette méthode utilisée à des fins contraceptives n’était pas fiable à 100%, un certain nombre de bébés Ogino ont vu le jour, néanmoins, je pensais important de le rappeler car la nouveauté était l’introduction d’une méthode dans les mentalités de l’époque.

Deux décennies plus tard, la pilule contraceptive est introduite et creuse plus en amont l’idée d’un contrôle possible des naissances. Pourquoi pas ?

Ce qu’il importe de souligner est que le contrôle des naissances est devenu autant une question de santé publique que privée.

Sur le plan qui nous occupe, nous pourrions dire que cette méthode introduit une modification dans les discours et les représentations.

Au fond, en quelques décennies, nous sommes passés d’une idée de limitation des naissances à celle du contrôle des naissances puis à celle de la maîtrise de la fécondité.

Tant et si bien que la clinique nous renvoie quotidiennement à l’étonnement, voire l’incompréhension d’un certain nombre de femmes quand, après l’arrêt de la contraception, elles ne tombent pas enceintes immédiatement, et la brèche qu’ouvre cette situation ne sera pas toujours mise au profit d’un questionnement quant à cette notion de contrôle, de maîtrise et de ce qui forcément, toujours, en échappe.

Nous savons, même si nous feignons parfois le contraire, qu’une femme ne tombe pas enceinte ainsi parce qu’une petite graine est là de passage et ce, juste le bon jour, celui que la courbe de température ou le taux d’hormones aura indiqué comme favorable à la rencontre des gamètes.

Pour les humains, la rencontre entre gamètes ne sera possible que si elle est aussi une rencontre signifiante et désirante, pas nécessairement une rencontre amoureuse, bien que celle-ci favorise les élans du désir, mais… pas toujours.

 

Nous pourrions donc dire que les techniques actuelles en matière de procréation n’ont fait que poursuivre et accentuer cette idée de maîtrise sans pour autant ouvrir le débat sur la complexité de la fécondité humaine.

Et celle-ci, rappelons-le, n’est pas de l’ordre de la reproduction mais bien de la procréation. Elle ne ressort pas du registre de l’immédiat mais bien de celui de la médiation, au sens où la fécondité humaine est médiée par cet ordre langagier qui subvertit chez l’humain le lien direct entre la cause et l’effet, entre le mot et la chose.

C’est pour cela que nous avons pu nous étonner en Belgique, enfin moi j’ai pu m’étonner, je ne suis pas sûre d’avoir tant de collègues qui se sont étonnés là-dessus, que la législation belge actuelle renomme les services de PMA par un nouvel acronyme CMR, à savoir, Centre Médical de la Reproduction.

Donc, vous entendez ce glissement sémantique qui aura fait passer à la trappe, le signifiant de « procréation » au profit de celui de « reproduction ».

N’oublions quand même pas que ces techniques de PMA ont d’abord été utilisées dans la médecine vétérinaire. C’est dans un deuxième temps que des chercheurs ont tenté de les appliquer aussi aux humains.

Les techniques de procréation - ce sont des hypothèses que j’amène ici, on pourra en discuter- ne modifieront pas seulement les discours et représentations relatives à la conception mais vont également entériner une deuxième révolution, celle de la déconnexion progressive entre sexualité et procréation.

Et cette déconnexion, réelle, aura à son tour, des effets sur nos habitudes, nos attentes, nos pratiques, dont je crois, nous n’avons pas encore mesuré à ce jour, les changements et conséquences.

Si, comme le disait Anne Videau dans son introduction, les techniques de PMA ont en gros 50 ans : vous le savez, le premier bébé né par PMA, c’est dans l’équipe anglaise en 1978, ensuite chez vous en France, c’est le bébé Amandine en 1982, chez nous en Belgique, il a fallu attendre 1987.

Chez nous en Belgique, au départ, en 1987, les techniques de PMA étaient proposées à des couples souhaitant avoir un enfant. Ces techniques avaient pour but de pallier une situation de stérilité ou d’infertilité. Aujourd’hui, 40 ans plus tard, ces techniques ne sont plus limitées à cet usage strict, puisqu’aujourd’hui, des couples ou des femmes seules peuvent s’adresser aux centres médicaux pour demander une IAD (Insémination Artificielle par Donneur). D’autres encore demanderont au centre de PMA de pratiquer ce qui s’appelle ici « auto-conservation ovocytaire », qui s’appelle chez nous « le social freezing » donc la congélation d’ovules pour raison sociale.

Ces deux révolutions que je viens de rappeler, maîtrise de la fécondité et déconnexion entre sexualité et procréation, sont bien sûr à mettre en articulation avec les évolutions qu’on connaît dans nos sociétés, tant la place des femmes en matière d’égalité, de responsabilité, de parité, que les nouveaux rôles sociaux en termes de parenté et de parentalité.

Mais je crois que nous aurions également à mettre ces révolutions en articulation avec tout ce qui se développe du côté de la recherche en génétique, donc la recherche de l’ADN et aussi de ce qui est en train de se préparer - travailler sur l’ADN-même des embryons - de même qu’avec un nouveau contexte qui émerge, qui était jusqu’à présent de l’ordre du fantasme et qui, petit à petit, a basculé vers une certaine réalité : la question-même du sexe pourrait devenir une donnée non imposée, quelque chose que l’on pourrait choisir. Les théories du genre vont largement dans ce sens-là.

On ne va pas trancher ici entre ce qui serait la cause et l’effet entre la technique et ces révolutions sociétales. Il est important de les penser articulées l’une à l’autre.

 

Je vais tenter ici avec vous de déplier, à l’aide de ma pratique de psychanalyste au sein d’une équipe de PMA en Belgique, quelques points saillants de cette clinique ainsi que les questions qui se posent à nous aujourd’hui.

Je dirai en premier lieu que l’axe autour duquel s’est construite cette clinique, dans ce lieu tout à fait particulier, où des femmes et des hommes viennent solliciter une aide médicale pour procréer, aura été de ma part - c’est mon postulat depuis le départ - de soutenir que cette demande d’enfant, quand bien même elle s’adressait à la médecine et au médecin, ne pourrait se passer d’une parole. A savoir que, s’il y a demande, cette demande suppose une adresse, et la parole que j’ai tenté de soutenir dans ce lieu-là suppose quand même le sujet.

Je commencerai par une vignette clinique déjà assez ancienne.

Cela s’est passé dans les dix premières années de mon activité (j’ai travaillé 30 ans avec cette équipe).

Il s’agit d’une dame que j’ai reçue, d’une manière un peu particulière car elle était « introduite » par le médecin dans mon bureau. On pourrait dire que c’est sur quasi « injonction » médicale que je l’ai reçue. Dès qu’elle est entrée, vous savez comment çà se passe, vous voyez quelqu’un, vous avez tout à coup le décours de l’entretien précédent qui vous revient. Cette dame, je l’avais déjà rencontrée avec son conjoint et le souvenir d’un entretien quelque peu éteint me revient : il avait été question de ce désir d’enfant et des traitements tellement éprouvants. J’avais retenu que ce couple semblait se faire mal : elle, s’obstinant dans son souhait d’avoir un enfant et lui, ne sachant plus que faire.

Est-ce qu’il devait soutenir ce souhait ? Lui au fond, souhaitait arrêter les traitements, constatant les effets physiques et moraux plutôt délétères dans lesquels ils plongeaient son épouse.

Le médecin qui introduisait cette femme dans mon bureau semblait ne plus pouvoir y croire non plus, et c’est donc dans cet état que je la rencontrais pour ce second entretien qui selon ses dires « ne servira de toute façon à rien ».

Alors, à ce moment-là, n’ayant plus rien à espérer, ni de la FIV, ni des médecins, ni de son mari (ils s’étaient disputés le matin-même), elle se mit à hoqueter une histoire entre les sanglots qui l’étouffaient, dont je vous livre juste le fil des associations : elle parlait d’un cousin dont sa mère s’était beaucoup occupée quand celui-ci était enfant. Elle était alors petite, ce cousin était comme un frère pour elle. Il était décédé accidentellement et elle voulait tant offrir un enfant à sa mère déjà âgée. Dans son chagrin (là je vous parle clairement mais alors, je ne comprenais rien, les mots venaient par bribes et morceaux), c’est quand même ce fil des associations que j’ai pu retenir. Dans son chagrin se mêlaient le décès de celui qu’elle nommait « comme un frère », son incapacité d’enfanter et son vœu d’offrir un enfant à sa mère.

A la fin de cet entretien où je n’intervins quasi pas, elle se leva, me demanda pourquoi elle m’avait raconté tout ça, elle n’en avait d’ailleurs jamais parlé à personne et puis, dit-elle, cela n’avait rien à voir avec l’hôpital et la FIV.

Vous entendez la dénégation à l’œuvre.

Deux mois plus tard, on m’apprit qu’elle était enceinte spontanément.

Je crois qu’il faut noter que, sans le transfert de cette dame à ce médecin qui me l’adressa, je crois que cela n’eut probablement pas eu lieu, et sans non plus, un certain transfert de travail fait de respect des fonctions et positions différentes de chacun, entre le médecin et moi-même.

 

Voilà le cadre de cette consultation où j’ai tenté d’être à l’écoute de ce qui, de cette manière parfois tout à fait inattendue, pouvait venir se dire.

 

Au fond, que nous rappelle cette clinique ?

Elle nous rappelle quotidiennement que nous sommes des parlêtres, des êtres dénaturés par le langage et que c’est donc d’une parole signifiante pour le sujet que dépendent aussi les organes. Ou, pour le dire sous forme de question, de quel fonctionnement langagier sommes-nous tributaires en tant qu’êtres parlant ?

On pourrait souligner que ce qui sera opérant pour la fécondité humaine, quelles que soient les techniques les plus pointues en cette matière, relève non seulement de la nécessité d’une gamète mâle et d’une gamète femelle, mais cela relève surtout de la contingence d’une rencontre signifiante, comme le disait Marie-Madeleine Chatel dans son ouvrage « Malaise dans la procréation ».

Car, vu de l’extérieur, on pourrait se dire que la PMA pourrait représenter un univers fantasmé, comme délivré de l’insu, un univers parfaitement maîtrisé.

On pourrait obtenir là une procréation opérée techniquement, soulageant les protagonistes des aléas de la sexualité, une procréation agissant à partir du seul nécessaire et qui pourrait ainsi délivrer les protagonistes de la contingence.

Et pourtant la clinique, ce n’est pas celle de cet univers maîtrisé. Les couples et pas seulement les couples, l’équipe elle-même, rencontrent le ratage de la technique et buttent sur ce réel que les techno-sciences tentent d’épuiser.

En d’autres mots, ces hommes et ces femmes font l’expérience qu’il n’est pas possible d’effacer la contingence de toute rencontre, fusse-t-elle la rencontre des gamètes.

Et d’ailleurs, que cette rencontre opère à l’insu des protagonistes continue de surprendre.

Nous pourrions ainsi témoigner du nombre de consultations pour PMA annulées à la suite du premier ou seul entretien avec le médecin, parfois juste après avoir pris le rendez-vous au Centre. A leur insu, quelque chose se sera mis à circuler autrement dans la logique du désir : pour cette femme, cet homme, ce couple, quelque parole aura fait fruit et c’est donc toujours sur un ton de surprise qu’ils nous téléphonaient pour dire « la PMA, ce n’est plus nécessaire ».

Alors concrètement comment ça s’est passé ?

 

J’ai commencé en 89. Je dirais qu’en 2002, vue l’augmentation des consultations en PMA, les médecins débordés m’ont demandé de rencontrer systématiquement tous les couples (hétéro et homosexuels).

Je vous rappelle qu’en Belgique, la loi relative aux PMA n’a été votée qu’en 2007, on avait commencé en 87 - il a donc fallu attendre 20 ans avant une première législation - et cette loi a suivi de près deux autres lois concernant les questions de parenté, de filiation et d’engendrement à savoir la loi de 2003 qui autorise chez nous le mariage des couples homosexuels et celle de 2006 qui rend l’adoption par les couples homosexuels possible.

Alors quand cette loi en 2007 concernant la PMA et la destination des embryons surnuméraires et des gamètes a été votée, les centres de PMA se sont dits « Ah, une loi va nous dire dans quel cadre travailler ». Cela n’a pas été le cas car, dans cette loi, on a défini qui pouvait avoir recours à la PMA et je ne sais pas qui a inventé cette formule qui se trouve dans le texte de loi, il est noté que la PMA est ouverte à tout auteur de projet parental.

C’est du belge !

Il y a une définition dans la loi. « Auteur de projet parental » : toute personne ayant pris la décision de devenir parent par le biais d’une PMA, qu’elle soit effectuée ou non au départ de ses propres gamètes ou embryons. »

Vous entendez dans cette formulation «  auteur du projet parental », vous ne remarquerez ni masculin ni féminin, ni pluriel - il y a du singulier - ni dissymétrie ni différence de place.

C’est une loi qui se veut libérale avec, petite note belge, un paragraphe inséré dans la loi qui prévoit que chaque centre peut s’il le souhaite, face aux demandes qu’il reçoit et en fonction d’une clause de conscience,  restreindre le cadre de cette loi. Ce paragraphe dit donc, face à la loi libérale « Si vous voulez faire moins que ça, vous le pouvez, mais il faut le notifier au(x) demandeur(s), les en informer. »

Alors dans le centre où j’ai travaillé, nous avons décidé en équipe (ça a pris de longues semaines de discussion) de ne prendre en charge que les demandes de personnes vivant en couple.

Par exemple, nous ne prenons pas en charge les demandes de personnes célibataires, mais seulement des couples hétérosexuels et homosexuels.

Ce que nous faisions déjà auparavant.

Donc quand les médecins en 2002 m’ont demandé de recevoir systématiquement tous les couples, j’ai pendant un certain temps repoussé cette demande pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’avec une démarche systématisée, une procédure, je craignais de ne plus pouvoir rien entendre, je ne saisissais pas le sens de cette demande, je résistais.

J’ai résisté pendant deux ans, et, à un moment donné, je me suis dit que je n’entendais pas leur demande. On a rediscuté ensemble, j’ai accepté de recevoir systématiquement tous ces couples.

Après coup, nous pourrions souligner que les médecins me demandaient de soutenir que pour tous les couples, il y ait un lieu où cette demande soit parlée.

Au fond, moi, ce que je désirais, c’était que eux le fassent. Mais, voilà…les choses se sont faites ainsi, et en tout cas, soutenir ce lieu n’a pas été sans effet tant pour les couples que pour l’équipe.

Et je pense que, en particulier, ce sont les biologistes qui ont le plus insisté : il faut dire que les biologistes sont aux premières loges de cette déconnexion entre la conception technique obtenue en laboratoire et le projet d’enfant du couple. D’ailleurs certaines femmes françaises que nous avons reçues, il y en a un certain nombre, ont insisté sur ce bord de paroles que nous tenons, en nous faisant part que dans d’autres équipes, en Espagne notamment, on leur envoie un devis à signer, ce qui les met dans un rapport contractuel avec le centre consulté, avec en retour pour elles, cette impression, voire ce sentiment de commander un enfant … qui dit « devis » dit « commande », ces mots vont ensemble.

Ce lieu d’une parole, serait-ce aussi maintenir le statut de la demande plutôt que de la commande et aussi de l’engagement d’une parole subjective pour autant que ce soit possible. En tout cas, inviter à cette parole.

Voilà le contexte dans lequel les choses se sont mises en place.

 

Alors, on pourrait se demander « Y aurait-il des spécificités de cette clinique par rapport à d’autres cliniques que l’on pourrait soutenir en milieu hospitalier ? »

Je dirai que la première de ces spécificités, je vous en ai déjà dit quelque chose, concerne le lieu de cette clinique qui, aujourd’hui est la médecine. Je ne suis pas très optimiste, je ne pense pas que la PMA va continuer à se faire dans le champ clinique de la médecine : on voit déjà comment ça se passe. Vous pouvez commander les paillettes sur internet, on vous les livre par DHL.

Je ne sais pas si dans 20 ans, ça va encore se passer dans ce lieu-là de la médecine.

Aujourd’hui, cette clinique a pour adresse principale la médecine et les médecins spécialisés, là où, auparavant, il y a très longtemps, c’était au ciel et aux dieux que cette requête de pouvoir avoir un enfant était faite.

Mais le ciel étant dorénavant vide, nous sommes passés du paradigme divin au paradigme scientifique. Et pourtant, c’est intéressant à remarquer quand on travaille là, l’adresse à un supposé savoir ou à un supposé pouvoir est restée présente. On a changé de paradigme, mais cette adresse est restée active pour tout un chacun.

Ce qui a changé, c’est le type de réponse.

On pourrait souligner au passage que, puisqu‘on parle d’adresse, l’adresse est double, au sens où elle concerne le praticien consulté, mais aussi l’Autre, le Grand Autre, cet Autre de la demande primordiale, cette altérité à qui les demandes ou les attentes sont implicitement adressées.

Alors, quand les traitements en PMA ne fonctionnent pas, cette demande non accordée vient faire retour au sujet, avec difficulté d’ailleurs, car notre monde contemporain nous illusionne en termes de fonction et de gestion ; tel ce monsieur qui, en consultation, nous dit : «  J’ai tout programmé dans ma vie, je suis un homme anxieux, donc je programme tout. Mais la stérilité, ça, je ne l’avais pas programmée ».

Surprenant d’entendre ça, il faut un lieu comme ça, pour que quelque chose vienne se dire.

Je dirai que la butée du réel fait violence, d’autant plus quand on pensait pouvoir le gommer. Et, ce retour de la question sur le sujet, que peut-il en faire ?

Je dirai que c’est dans des moments pareils que, comme analystes, comme cliniciens, nous avons peut être à venir rattraper quelque chose qui fait retour sur le sujet. Pour autant qu’il le veuille bien.

 

Une deuxième spécificité n’est pas le lieu, mais bien le temps, plutôt, la temporalité.

Je dirai que dans ces entretiens, tout est centré sur l’attente d’un événement à venir et non vectorisé par l’histoire des sujets. Celle-ci tendrait plutôt à se résumer à l’histoire du trajet déjà effectué sur la route de cette fécondité espérée. Et comme le disait un couple rencontré « Nous sommes un couple sans histoire » ; vous l’écrivez avec « s » ou sans « s » ?

C’est bien ça le problème, quand on n’a pas d’histoire, comment peut-on se projeter dans un avenir?

L’histoire subjective de chacun est bien souvent mise à l’arrière-plan de ce qui émerge en priorité, à savoir, la liste de tous les examens médicaux déjà effectués, l’espoir ravivé par les traitements de PMA… Je dirai que là aussi, ce sera tout un travail de faire émerger le bord subjectif de ces désirs en impasse.

 

Et une troisième spécificité (il y en a peut être plus de trois), serait celle de l’objet. Du rapport, au fond, très particulier qu’entretiennent les deux membres du couple à l’enfant. Cet enfant, on pourrait le qualifier d’objet non encore advenu, un objet fantasmé de tous les possibles, un objet narcissisant par excellence, un objet dont les couples disent bien souvent que s’ils en avaient déjà un, leur mal serait apaisé.

Au fond, on pourrait dire un objet dont le manque réel vient pour eux remettre en question tout ce qu’ils avaient projeté dans leur vie.

 

Cela, vous le savez, si la vie de famille avec enfant peut avoir cet effet d’obturateur du manque, d’illusion de plein, les couples qui ne peuvent avoir d’enfant, seront confrontés sans ménagement à la question du manque.

Et là aussi, cette clinique est intéressante car elle nous permet de penser combien, aujourd’hui, les hommes et les femmes sont peu introduits à la catégorie du manque.

Notre monde nous sature en objets de besoin et de pseudo-besoin, alors quand l’objet vient à manquer, quand l’enfant ne vient pas, même avec ces techniques, c’est, pour certains, vécu comme un deuil insupportable, une injustice terrible, et parfois le premier moment où ils sont confrontés au fait que dans la vie, çà ne tourne pas nécessairement toujours … rond.

 

Et ce qu’on peut entendre aussi, c’est qu’il s’agit là d’un objet mis en position d’objet positivé : cet enfant, mis en position d’objet positivé, est-il ce qui vient confirmer le couple - de nombreux couples qui ont encore deux adresses différentes, m’ont dit « ….d’abord l’enfant, ensuite se marier, acheter une maison, etc… » Les choses se sont inversées par rapport à ce que nous connaissions - donc, cet enfant est-il en position de venir confirmer le couple ?

Du coup il n’en deviendrait plus l’effet, mais la cause.

Aurait-il pour fonction de venir recouvrir ce manque, de faire comme si nous n’étions pas troué de l’intérieur (expression empruntée à JP Lebrun) ?

 

Voilà trois manières de spécifier quelque chose de cette clinique et je poursuivrai en vous disant, au fond, durant les 30 ans où j’ai travaillé là, nous avons assisté à beaucoup de changements dans ce domaine, et j’aborderai les changements que j’ai vus opérer et qui m’ont obligée à intervenir autrement : ce sont aussi des questions dont je voudrais débattre avec vous.

Le premier changement est que l’introduction de ces techniques de PMA s’en est suivi d’une certaine banalisation qui, certes, propose une avancée technique mais repousse à plus tard tout questionnement sur ce qui leur arrive.

C’est surprenant aujourd’hui d’entendre ces hommes et femmes ne plus prendre à leur compte le symptôme dont pourtant ils viennent faire état.

Ce n’était pas comme ça il y a 30 ans quand j’ai commencé à travailler dans ce lieu : ils étaient questionnés par ce qui leur arrivait, comme ils le pouvaient, ils se demandaient pourquoi, comment c’était possible, ce qu’ils avaient fait ou pas ?

Aujourd’hui, ma question est « Est-ce encore un symptôme ? ».

D’ailleurs c’est ce que je disais à Sandrine Calmettes avant de venir, les mots « stérilité » , « infertilité » ne sont quasiment plus prononcés en consultation. Ce qui importe c’est de pouvoir y remédier.

 

Alors ma question est la suivante : en n’entendant plus le symptôme comme étant celui du couple, ou de cet homme ou de cette femme, la médecine à son insu, ne participe-t-elle pas à cette logique d’une clinique hors sujet ?

Puisque le symptôme est ce que le sujet a de plus réel.

Le symptôme insistera quitte à se répéter, à se déplacer dans le corps, ou à la génération suivante.

Du sujet du questionnement qu’advient-il dans cet abrasement, cette réduction du symptôme ?

Aussi, dans les dernières années, je me suis surprise au fond, c’est vrai, je ne me suis pas dit un jour « il faut que je travaille autrement », ça s’est fait petit à petit. Et je me suis surprise à leur demander ce qu’ils en pensaient, eux, de cette stérilité.

Vous voyez, moi j’ai réintroduit les termes de stérilité, d’infertilité, dans les consultations pour aller avec eux à la recherche de leur savoir insu, ce savoir qu’ils auraient eux-mêmes abandonné en cours de route, comme si cela n’avait aucune importance, aucun poids.

Et certains se sont surpris de ce qu’ils disaient, comme cette dame qui, à ma question, a pu répondre

- « j’ai toujours su que, plus tard, j’aurais des difficultés à avoir des enfants »,

- « Ah oui, lui dis-je, qu’est ce qui vous fait penser cela ? »

- « Eh bien, ma mère a fait plusieurs fausses couches avant de m’avoir, alors je me disais que moi aussi… »

Voilà, donc si on ne va pas à a recherche de ce qu’eux-mêmes savent, ils n’en font plus rien.

 

Deuxième remarque, la question du sexuel.

Il y a 30 ans, les couples ayant recours à la PMA, évitaient d’en parler autour d’eux, en famille. Ils évoquaient une certaine gêne, honte, un tabou que je relie à la question du sexuel.

Pour beaucoup d’entre eux, la représentation de la procréation était encore intimement liée à celle de la sexualité : en 30 ans, ça a disparu.

D’où ma question, qu’est-il advenu du sexuel dans sa liaison avec la procréation ?

Vous savez par ailleurs que tout le discours techno-scientifique qui entoure ces PMA va dans le sens de désexualisation de la procréation.

Il est question de gamètes, de cycles, de tentatives de stimulation ovarienne, de spermatozoïdes, et de même dans l’éducation sexuelle donnée aujourd’hui aux enfants, on parle de la graine, de l’œuf, et non plus d’homme et de femme.

Ce n’est pas que le signifiant sexuel soit absent, mais il ne semble plus avoir de valeur dans le discours social lui-même. Et j’irai peut-être un peu plus loin, je dirai que la déconnexion « procréation/sexualité » concerne tous les couples aujourd’hui, tant les couples hétérosexuels qu’homosexuels. Et c’est ce que nous renvoient d’ailleurs ces couples-là. Ainsi par exemple ce monsieur qui disait « Maintenant que la médecine s’occupe que ma femme puisse être enceinte, je peux à nouveau lui faire l’amour ». Il s’en arrangeait comme cela.

Vous entendez la déconnexion.

Deux femmes en couple soulignaient cette différence de génération d’une façon différente : l’une, plus âgée que sa compagne, disait que de son temps, le fait d’assumer son homosexualité allait de pair avec la maternité, c’était soit l’un soit l’autre. Sa compagne, plus jeune de 20 ans, disait que ça ne lui avait jamais traversé l’esprit puisqu’elle savait que plus tard elle aurait des enfants parce que l’IAD le permettait. Vous entendez comment en 20 ans les choses changent.

 

On pourrait se demander quelle place prend la technique quand elle modifie nos façons de penser. D’ailleurs, nous aussi, face aux demandes homoparentales, il nous a fallu tout un temps pour les entendre puis penser ce qui émergeait de ces entretiens. Et le penser avec ces femmes d’ailleurs.

Comment ne pas tomber dans l’ornière qui consisterait à penser que, si elles sont deux femmes, nécessairement l’une serait en position de père, l’autre en position de mère? C’est ce qu’on a pensé au début, mais au fond, ce n’est pas du tout comme ça que ça fonctionne.

Comment aussi, se déloger de la symétrie de certaines femmes en couple ? Dans les entretiens avec ces couples de femmes, il n’est pas rare dans un premier temps, qu’elles se présentent comme ayant un même désir de fonder une famille. Elles ne disent pas un désir partagé, mais un même désir.

Il n’est pas rare non plus de les entendre ne pas introduire de différence entre elles vis à vis de l’enfant (c’est une question qui revient souvent) et pour elles, leur nomination se fera naturellement. Comme ces deux femmes le soulignaient : « Ce sera à lui de trouver comment nous appeler, un petit nom pour chacune ».

Alors, je vous dirai qu’à partir de leurs propos, et avec elles, nous avons soutenu le questionnement, nous ne sommes pas restés dans le silence, nous avons mis en relief la difficulté, tant pour elles que pour l’enfant, de penser leurs positions comme pareilles, symétriques. Positions qui, quelque part, annulent l’altérité.

Donc à ces deux femmes qui proposaient que ce soit l’enfant qui les nomme, je me suis autorisée d’introduire de l’étonnement, à partir de l’enfant, et à partir d’elles aussi.

Je leur ai dit: « Mais, vous n’allez pas vous nommer à lui, lui présenter qui vous êtes ? Et je leur ai même demandé : « Et vous, comment vous avez fait, vous avez vous-mêmes trouvé un nom pour votre père, votre mère, ou bien… ? ».

Penser les choses avec elles.

De même pour ces deux femmes qui se pensaient comme « une » dans ce désir, dans un effacement complet de leur singularité respective, alors que dans leurs propos c’était audible, je me suis permise de leur dire que j’avais pu entendre qu’elles n’étaient pas tant « une » qu’elles le disaient et ce, en m’appuyant sur des points de singularité dans leurs propos.

Ce qui est intéressant, c’est l’effet d’ouverture qui s’en est suivi et nous a tous surpris (elles et nous) : c’est comme si, à partir de là, quelque chose d’autre avait pu se mettre à circuler entre elles, leurs propos avaient pu prendre des nuances singulières, comme si suite à mon arrêt devant cette pseudo « mêmeté » (elles n’étaient pas mêmes, elles se présentaient comme cela), elles avaient pu se saisir de mon arrêt pour rompre avec le discours égalitaire ambiant.

Cette question nous a beaucoup travaillés : si cette tendance à l’égalisation qui traverse tout le discours social semble vouloir récuser toute forme de dissymétrie, il y a pourtant à souligner que cette dissymétrie n’est pas à confondre avec une différence entre deux semblables. C’est d’une altérité de positions qu’il s’agit.

Et sans cette reconnaissance de l’altérité, la différence et la dissymétrie n’ont plus qu’une valeur discriminatoire. C’est quelque chose qui est ressorti rapidement des entretiens : quand nous utilisions le mot différence, il suscitait suspicion et rejet.

Il m’a fallu du temps pour comprendre ces questions et je dirai que, parmi un certain nombre de textes, il y a ce petit texte de François Jullien qui s’intitule « L’écart et l’entre », c’est sa leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité : il y propose de « faire travailler les écarts plutôt que de souligner les différences qui, dit-il, opposent des mondes entre eux ainsi qu’y conduit la différence dans son projet identitaire ».

Cela m’a aidée à comprendre ce qui se passait là puisqu’en effet, il ne s’agissait pas pour nous de venir exacerber des positions identitaires, mais bien de tenter d’introduire de l’écart entre des positions subjectives et un discours égalitaire.

 

Par ailleurs, il est important de le souligner, le schéma de la sexuation introduit par Lacan, qui nous a offert un énorme appui dans ce travail avec les couples homosexuels mais également avec les couples hétérosexuels, nous permet de penser que pour qu’il y ait de l’Autre dans un couple, il importe que l’un des deux, l’une des deux, aille se loger du côté de l’Autre, du côté droit du schéma. Et c’est une migration qui importe puisqu’elle permet que viennent se conjuguer (je m’appuie là sur des textes de Charles Melman) le lieu du « un » et le champ de l’Autre.

L’altérité passe par cette prise en compte qu’il y a de l’Autre, qu’il y a du réel, et que chacun de nous n’est pas logé à la même enseigne, enseigne phallique, tant au niveau de ce qui cause notre désir que dans notre rapport au semblable.

Donc, qu’on soit deux femmes en couple n’implique pas d’être les mêmes, et nous savons combien la venue d’un enfant vient ré-ouvrir cette question : l’enfant étant lui aussi autre, il aura à son tour à assumer cette altérité en lui.

D’ailleurs pour un couple hétéro, la question se pose de la même façon: être parent ne se résume quand même pas à un partage égal des tâches et des places.

Donc, est-ce qu’on ne pourrait pas dire que le sexuel, c’est aussi le manque, à savoir la manière dont nous nous rapportons au manque.

Il me semble que si la différence sexuelle n’est plus nommée en termes d’hommes et de femmes, elle peut l’être en appui sur l’altérité dans la langue.

Et donc, là où les PMA risqueraient de devenir une clinique hors sexuelle, il me semble que réintroduire lors des entretiens cette disparité dans le couple, dans le rapport au manque de chacun et chacune, pourrait être une façon de ne pas participer à cet effacement du sexuel.

 

Dernier point, je ne vais que l’évoquer, celui de la science au réel.

On pourrait se dire au fond, à partir de cette clinique et d’autres cliniques contemporaines comme la dysphorie de genre, les demandes de changement de sexe, est-ce l’impensable qui recule et nous oblige à penser où se trouvent les appuis fondamentaux et structuraux pour l’humain - et ce serait là une position éthique de tenter de penser ce qui jusqu’à présent n’était pas pensable - donc est-ce l’impensable qui recule ou l’impossible, à savoir le réel, qui recule à force d’être ainsi grignoté par la science et les techno-sciences ?

C’est une question : qu’est-ce que la science tente d’évacuer? Est-ce le sexuel ou la mort, ou les deux, puisqu’ils sont intimement liés ?

Ou est-ce la catégorie-même du réel qui tend à être complétement chiffrée par la science comme l’écrit Gérard Pommier dans « Qu’est ce que le réel ? ».

Mais alors, si c’était ça, qu’adviendrait-il de la contingence, qui échappe à toute préméditation, qui permet tout de même de soutenir qu’un enfant, quelles que soient les déterminations sociales, langagières, culturelles, génétiques, et quelle que soit sa conception, un enfant est toujours inédit ?

Je vous remercie.

 

Sandrine Calmettes

- Tu nous amènes un certain nombre de questions, une clinique et un abord des questions qui t’ont été posées qui donnent beaucoup à penser aux pédo-psy, je vais expliquer pourquoi.

Ce qui m’a paru faire fil dans ton propos c’est ton propos historique : tu as repris d’avant maintenant pour penser après maintenant, et réintroduit ce fil dans les entretiens que tu as avec les couples qui viennent te voir. Tu as dit que ce n’était pas temporalisé et que tu cherchais à ce qu’il y ait une certaine historicisation pour que ce ne soit pas des « couples sans histoire ».

On sent ce fil historique au-delà des précisions intéressantes que tu nous apportes d’emblée sur la contraception et sur le fait que, la reproduction, c’est plutôt dans le règne animal que ça se pratiquait…

Donc tu essaies de te dégager du présent de l’attente qui est introduit avec cette « commande » d’enfant et de réintroduire une demande : et l’on est là assez proche de la clinique avec les enfants, puisqu’ils nous sont amenés par une difficulté, par les parents, l’école et que pour tenter de leur faire endosser une certaine responsabilité de sujet, on en passe, comme ce que tu sembles faire, par le crédit d’une demande. On leur fait crédit d’une demande, d’une adresse, et il semble que c’est ainsi que tu as réussi à te situer avec des gens qui venaient te voir systématiquement. Tu dis bien combien au départ, tu étais embarrassée et souhaitais ne recevoir que les gens qui le demandaient, puis tu as été amenée à recevoir tout le monde : cet embarras-là, de faire crédit d’une demande à ceux qui venaient sans demande, nous rapproche.

Tu as été assez pudique sur tes embarras, on les sent dans la manière que tu as eue de les dépasser, d’être possiblement dans l’accompagnement de tous, ce qui n’est pas évident, d’aller ouvrir du possible dans ces entretiens parfois tellement vissés.

J’ai beaucoup aimé ce crédit que tu faisais et ce soutien à ce « lieu d’un dire qui ne sera pas sans effet ». On sent la pratique psychanalytique là, et ton métier bien assis, quel que soit le lieu, hors cabinet du psychanalyste. Je crois que c’est aussi ça parfois les embarras qu’on peut avoir, j’aimerais bien t’entendre sur les embarras d’un psychanalyste dans une institution qui n’est pas de cet ordre.

 

Et j’ai une question autour des enfants, de la place du couple, parce que les enfants, tu les rencontres au temps « d’avant l’enfant », et nous, ces couples et ces enfants, on les rencontre parfois au temps de leur séparation, et finalement les questions que tu poses sur la place de l’enfant, par exemple pour les couples homoparentaux, ces questions d’altérité, quand elles n’ont pas été pensées dans l’écart que tu proposes, effectivement - et cette pratique de l’écart est bienvenue - elles éclatent à la figure des couples qui se séparent. Car ce n’est bien sûr pas pareil quand une femme a porté un enfant et qu’elle se sépare de sa compagne qui n’a pas porté l’enfant.

A ce moment-là, il y a des règlements terribles, pour les enfants et pour ces femmes qui n’ont pas porté d’enfant.

Tu dis « l’enfant devient la cause et non plus l’effet du couple» et donc quand le couple se sépare, ça vient questionner.

Et puis une autre question, souvent pour ces enfants conçus par AMP, c’est la manière dont on le dit à l’enfant, est-ce qu’on le dit ? Quand ?… Est ce que ça fait écart ou différence ? Et comment l’enfant va-t-il réagir ?

Voilà, merci beaucoup, à chaque fois tu nous apportes des éléments d’appui pour notre clinique lorsqu’elle n’est pas forcément dans des lieux habituels ou pour des demandes….il faut bien dire que la clinique à laquelle tu te confrontes est celle à laquelle on est de plus en plus confronté quand même. C’est à dire la surprise d’avoir à faire advenir ou pas chez celui qui vient, une position subjective un peu plus affirmée.

 

Anne Joos

- Je pourrai peut être rebondir sur ce signifiant de « crédit » parce que je crois important de souligner qu’il y a bien sûr ce crédit de la demande, que j’ai tenté de soutenir, mais je crois que ça n’aurait pas été possible si, par ailleurs, on ne m’avait pas fait crédit.

J’ai eu la grande chance de pouvoir travailler là, au début, au moment où les choses se sont constituées, dans les balbutiements de cette équipe.

Les médecins avaient commencé à faire des premières fécondations in vitro ; ils avaient eu affaire à un couple qui avait déjà fait une série de tentatives, rien n’était remboursé alors, c’était costaud aussi sur le plan du couple, sur le plan financier, et ils avaient finalement eu un enfant après x tentatives, et, ce qui avait bouleversé les médecins, c’est que, peu de mois après la naissance de l’enfant, ce couple s’était séparé.

Ils étaient venus avec cette question, on entendait la question du médecin qui était là à l’œuvre et je disais : « Mais enfin, aurait-on fait pis que bien ? »

C’est le « Primum no nocere », l’éthique médicale qui remontait à la surface, et c’est autour de ça qu’on s’est rencontré. Ils étaient pris eux-mêmes par cette question, si finalement ces nouvelles techniques n’allaient pas engendrer de nouvelles difficultés.

Il y a un crédit qui m’a été fait, également par la direction, qui ne m’a imposé aucune manière de travailler, donc c’est un grand bonheur, même si c’est une grande difficulté et beaucoup d’embarras, mais c’est pouvoir inventer sa clinique, on ne m’a pas donné un listing de 25 points à cocher à chaque entretien – j’aurais refusé - donc le crédit était mutuel.

Les choses ont quand même évolué. Je n’aurais pas changé ma pratique, mais il faut dire que la médecine a changé en 30 ans : d’une direction générale occupée par un médecin, nous sommes passés à une direction générale occupée par un économiste, puis par un financier.

Et qu’est-ce qui permet à un médecin de soutenir son travail ?

Une fois que vous avez une direction générale tenue par un financier qui entre dans une réunion du service de PMA et nous dit « Moi, ce que je veux, c’est du chiffre », les questionnements éthiques sont compliqués à tenir…

Néanmoins, on a continué à essayer de soutenir ce travail, je crois que ce que la psychanalyse et notre propre travail analytique nous enseignent, c’est que, là où il y a des êtres humains, il y a de la rencontre, deux sujets possibles, et c’est ça que l’on tente de soutenir avec ces notions d’écart.

Je pense à un couple rencontré hier. Avec cette question « quand parler à l’enfant ? ». Pour eux, c’est une question à des années lumières, puisque la première chose qu’ils veulent c’est qu’on vienne obturer cette confrontation à la stérilité.

L’homme venait d’apprendre qu’il avait un problème de stérilité masculine. De là à en parler à l’enfant, c’était quand même un travail de des demander comment cette question serait abordée entre eux, comment est ce qu’ils comptaient en parler ?

 

Sandrine Calmette

Merci aussi pour ta définition du sexuel, qui permet de réintroduire du sexuel là où tu dis que tu le cherches…On voit bien qu’il faut inventer, face à des choses inédites, on est aussi dans une clinique inédite et parfois, pour retrouver non seulement les appuis fondamentaux et structuraux nécessaires à tout être humain, nous aussi nous devons retrouver nos appuis. Et il faut que tu puisses ne pas les perdre de vue quand bien même tu es face à de l’inédit.

 

 

Questions de la salle

- Bonjour, je me demandais : si un enfant a deux parents de même sexe, quelle incidence a sur le développement d’un enfant le fait de ne plus appeler son père et sa mère « papa, maman » ?

 

Mme Joos

- On y est confronté. Ce qui est intéressant, c’est d’entendre comment ces couples pensent les choses. Alors, il y a des couples pour lesquels c’est évident, comme ce couple de femmes rencontré hier : « C’est celle qui porte l’enfant qui portera le nom de « maman », et l’autre va se faire appeler « Dadou ». Oui, on ne sait pas d’où ça vient… (rires) mais on dira « Dadou . Maman et Dadou. »

Alors, pour le développement de l’enfant, je ne sais pas ce que çà va faire, si ce n’est que, d’avoir entendu un certain nombre de couples, il y en a qui peuvent se parler de choses non-symétriques, qui peuvent penser une différence entre l’une et l’autre, pas nécessairement en terme de « elle va faire le papa, elle va faire la maman », mais on entend que quelque chose a été pensé par elles et sera proposé à l’enfant.

Nous ce qui nous pose plus question, c’est celui qui dit : « Nous, on ne prend pas position, c’est à l’enfant de voir comment nous nommer ».

Cela c’est compliqué car, un enfant est nommé par les parents et, en général, on se présente à un enfant.

Voilà.

 

Question

- Dans un 1er temps, je tiens à témoigner de mon admiration pour la Belgique où la question de la PMA est vraiment en avance, toutefois, dans votre exposé, on entend peu les deux papas, or si je ne me trompe pas, l’hôpital de Gand les accueille depuis 2011, comme tout couple homosexuel.

En avez-vous rencontrés ?

Mme Joos

- Non. L’hôpital de Gand rencontre des pères dans le cadre d’une Gestation Pour Autrui, ce qui se pratique  mais n’est pas légalisé chez nous.

- Vous dites que la GPA n’est pas légalisée et n’est pas comprise dans les PMA ?

- Non, mais je sais que ça se pratique. Moi personnellement, je n’ai pas rencontré ces couples d’hommes dans le cadre de cette clinique-là (dans un centre de fécondation in vitro, pas d’hommes), mais dans d’autres cadres.

C’est vrai qu’à Gand, non seulement la GPA mais toute la dysphorie de genre se fait là. Puisque le médecin qui tient ce service a elle-même opéré un changement de sexe, c’est une euro-députée socialiste d’ailleurs, très militante à propos cette question-là.

 

Question

- Est ce que dans votre clinique, un des effets des entretiens a fait renoncer à la PMA par acceptation de l’infertilité ? Avec quelles conséquences sur le couple?

 

Mme Joos

- Oui, mais pas à la suite du seul entretien. Les renoncements se sont, en général, faits à la suite de plusieurs échecs de tentatives, mais le travail de renoncer à poursuivre le traitement et de penser autrement l’accueil d’un enfant ou de renoncer à avoir un enfant, c’est quelque chose qui a été régulièrement travaillé avec les couples, d’autant plus que, avant 2002, il n’y avait aucun remboursement de la PMA en Belgique. C’est un peu particulier, car, vu qu’il n’y avait aucun remboursement, aucune limite n’était donnée aux couples. J’ai rencontré pas mal de femmes dans ce cadre-là, elles avaient fait x tentatives de fécondation in vitro, étaient en difficulté pour arrêter, rien ne venait signifier l’arrêt.

Avec l’introduction du remboursement par la sécurité sociale, un nombre de tentatives a été limité et c’est par le biais de l’économique qu’il l’a été.

Les gens disent maintenant « On vient faire x tentatives (6 sont remboursées en Belgique), on va en faire 6 et pas plus ; ils pourraient en faire plus. Donc le renoncement vient par le biais de l’économique. »

 

Question

- Dans votre exposé vous avez différencié « même désir » et « désir partagé » , ce n’est pas pareil, puisqu’il y a un grand Autre qui se place dans le désir partagé, et que certaines places sont occupées à la place du grand Autre ; quelle est l’attitude de plus jeunes thérapeutes qui se sont retrouvés en face d’une société où l’objet est omniprésent, qu’on consomme comme on consomme autre chose, et ce désir partagé faisant appel à autre chose que le même désir, quelle peut être leur influence sur ces jeunes, immergés dans une société où on « like » sur Face Book sans jamais rien donner de réel.

Mme Joos

- Je ne sais pas si je peux répondre à cette question , mais, j’ai été surprise que le mot « différence » renvoie tout de suite à une question discriminatoire. Pour moi, on est différent mais ça ne veut pas dire que l’on est nécessairement sur l’axe aa’ de la rivalité, à savoir si on est différent, c’est nécessairement plus ou moins.

Donc on a dû penser à partir de cette société beaucoup plus en réseau : important pour nous de penser plus en horizontalité, ce qui demande toute une gymnastique quand on a été fabriqué dans une certaine verticalité. C’est pour ça que je n’entendais pas pourquoi, quand j’amenais ce signifiant de « différence » , que cela suscitait de telles réactions quasi-défensives, agressives dans les entretiens.

Voilà, je ne réponds pas à votre question, mais les jeunes ont à nous enseigner aussi, ils nous apprennent des choses.

Je ne dis pas que c’est mieux ni moins bien, je ne veux pas dire que c’est différent, mais quand même, voilà !

 

- Denise Sainte Fare Garnot

- Les inséminations avec donneurs (IAD), çà ne veut rien dire, éternel problème des abréviations, IAD, mais c’est une insémination avec donneur ! Cela me paraît aussi important que l’IVG, que la PMA.

Les sigles cachent la réalité des choses. Etant donné mon vieil âge, l’idée de la fécondation dans les couples homosexuels, ça me paraît….toute la question de la filiation me paraît évacuée !

Moi cela m’affole pour la suite. J’ai vu plusieurs couples se séparer…le père disait tout d’un coup « Mais il ne me ressemble pas celui-là » ! Alors qu’il avait été parfaitement consentant ! »

 

Mme Joos

- Je trouve cette question de filiation plus complexe : je pense à un couple de femmes que j’ai rencontrées. Quand il a été question de la nomination de l’enfant, l’une des deux femmes a dit, à propos du nom que porterait l’enfant « Moi je souhaiterais que cet enfant porte mon nom, puisque ma famille est originaire des pays de l’est, il n’y a plus personne qui pourra donner ce nom-là à l’enfant et si ce n’est pas moi, toute cette part de l’histoire s’en va. Donc, c’est la question.

Quant aux acronymes, je suis tout à fait d’accord. Les premières femmes qui venaient de France nous disaient « On vient pour une insé », je leur disais « quoi ? », je ne comprenais même pas ce qu’elles disaient. …On devrait se demander quel « sé » ?

 

Merci Anne, Merci Sandrine.

 

Retranscription réalisée sous la responsabilité des étudiants de l’EPhEP

Retranscription faite par : Nathalie Feldman

Relecture faite par : Frederique Chaillou


 

Retrouvez la vidéo de la conférence : 

Anne Videau, Anne Joos et S.Calmettes

Anne Videau, Anne Joos et Sandrine Calmette