Editorial du doyen Claude Landman, "Le sans-père"

Dans le film d’entretiens avec Charles Melman intitulé Un psychanalyste dans la ville, qui sera projeté le samedi 14 octobre prochain à 13 heures au Théâtre Saint-Martin, avec entrée libre, ce dernier répond avec entrain et pour notre plus grand intérêt, aux nombreuses questions relatives à la psychopathologie que lui pose la réalisatrice Sylvie Blum.

Je n’en retiendrai qu’une qui servira ici mon propos : L’autre, qu’est-ce que l’autre ? La réponse, pour le moins déconcertante, ne tarde pas à venir : l’autre c’est le sans-père ! Autrement dit, celle ou celui qui incarne l’altérité ne se trouve pas inscrit dans une filiation repérable, une langue immédiatement reconnaissable, qu’elle soit familière ou étrangère. Il est ainsi bien difficile de considérer cet autre qui se présente à nous comme un semblable fait à notre image. Et ce contrairement à l’étranger, qui, bien qu’il parle une autre langue, et même s’il relève d’une référence à un père différent, à une religion, une nation ou une culture distinctes de la nôtre, reste néanmoins parfaitement identifiable. Si la figure de l’étranger peut devenir rapidement dans certaines circonstances celle de l’ennemi, la figure de l’autre, du sans-père, du sans identité, du sans-abri, du sans domicile fixe, est plutôt source d’angoisse et d’inquiétante étrangeté.

Une des figures majeures de cette altérité, de ce sans-père, source de malaise, de difficulté de contact et d’échange, reste celle du sujet psychotique. Lacan préconisait à cet égard, dans un discours adressé aux jeunes psychiatres, de ne pas se défendre de l’angoisse que leur procurait la rencontre avec le fou, de ne pas la tamponner en interposant entre eux et lui un savoir constitué qui aurait permis de l’épingler sur un mode naturaliste. Mais bien plutôt d’assumer cette angoisse et d’opérer, dans l’échange dialogué engagé, à partir de la découpe sonore du signifiant. Il s’est ainsi employé régulièrement à cet exercice, plusieurs dizaines d’années durant, dans sa présentation de malades qui fut plusieurs fois source d’inventions cliniques reprises et discutées lors de son séminaire quelques jours plus tard.

Au-delà de la psychose, cette figure de l’autre, du sans-père, aujourd’hui si largement répandue nous oblige à reprendre ce qui fonde le lien social.