Édito de Claude Landman : Les plaideurs. Remarques psychopathologiques

En 1668 déjà, Racine repérait en le décrivant dans un style burlesque et en alexandrins le goût immodéré des plaideurs pour les tribunaux et la jouissance obscure qu’ils retiraient de leur quête revendicative et procédurière sans frein ni fin, au sujet d’un dommage réel insignifiant ou imaginaire (ici la volaille du voisin qu’il laisse aller et manger dans le pré du requérant nommé Chicanneau) :

Quatorze appointements, trente exploits, six instances,

Six-vingts productions, vingt arrêts de défenses,

mais aussi et surtout la jouissance de perdre leurs procès puis d’être déboutés, de voir leur demande de pourvoi rejetée comme non-valable et injustifiée :

Arrêt enfin. Je perds ma cause avec dépens,

Estimés environ cinq à six mille francs. 

Est-ce là faire droit ? Est-ce là comme on juge ?

Après quinze ou vingt ans ! Il me reste un refuge :

La requête civile est ouverte pour moi…

 

Certains patients, pas nécessairement psychotiques, ne présentant pas un délire de revendication avéré, peuvent venir consulter pour essayer de faire entendre le dol dont ils disent avoir été la victime et autour duquel ils organisent exclusivement leur vie, au détriment de leurs relations familiales, sociales, professionnelles, sans se préoccuper de l’argent qu’ils dépensent sans compter en frais d’avocats et de procédures, pouvant les conduire à la ruine.

La question qui se pose ici est celle de savoir quel type de plus-de-jouir est en cause, aboutissant souvent, malgré une justice de plus en plus compassionnelle, à un jugement qui satisfait la tendance à l’autopunition du sujet, à condition qu’il puisse prendre à témoin celui auquel il s’adresse en position de thérapeute.

Ce dernier ne doit toutefois pas mettre en danger la relation engagée en tentant de faire appel au bon sens du plaideur aux fins d’essayer de le déplacer de la position de type masochiste qui est la sienne. À savoir, être battu par la présentification dans la réalité d’une trique qui se substitue à l’instance énigmatique qui loge dans le réel et que des noms, les noms-du-père, métaphorisent en donnant accès à la signification commune.

Le déplacement attendu de cette place forte, celle d’un plus-de-jouir produit par l’instrument de la loi positive, juridique, sera à rechercher, sans garantie de succès, dans la tentative de faire entendre au sujet le mode de relation qu’il entretient, haine ou amour, avec l’instance paternelle.

 

Les plaideurs

Remarques psychopathologiques

19 Mars 2023