P-Y.Gaudard : Suggestion de l’idée de mort chez Marcel Mauss, catatonie mortelle aigüe, phobie, et nodalités symboliques

Conférencier: 

 

Avec la sociologie durkheimienne, l’opposition entre l’expérience concrète du fait social et sa représentation pour une conscience, qui se doit de ne pas être individuelle, débouche sur une aporie : la conscience collective n’offre aucun accès à l’expérience concrète du social. Les représentations individuelles ne sont convoquées que pour être mieux révoquées et, avec elles, les dimensions concrètes, cliniques et effectives du social, qui dès lors restent hors d’atteinte[1]. Or, tout en réaffirmant son allégeance théorique à son oncle, Mauss introduit, presque de manière insidieuse, un continuum de représentations, subvertissant ainsi le rapport en solution de continuité entre représentations individuelles et représentations collectives :

« Il n’en est pas moins vrai qu’on peut passer des faits de conscience individuelle aux représentations collectives par une série de transitions. On aperçoit facilement quelques-uns des intermédiaires : de l’individu, on passe insensiblement à la société, par exemple, quand on série les faits d’imitation épidémique, de mouvement de foule, d’hallucination collective, etc. Inversement le social redevient individuel, il n’existe que les consciences individuelles, mais chaque conscience n’en a qu’une parcelle. Et encore cette impression des choses sociales est-elle altérée par l’état particulier de la conscience qui la reçoit[2]. »

Ce continuum représentatif permet à Mauss de dépasser l’opposition mécaniste[3] entre l’individuel et le collectif, et notamment de remettre en question la tripartition des sciences de l’homme en physiologie, psychologie et sociologie. Pour Mauss, il faut restaurer une unité anthropologique, notamment en ancrant les représentations individuelles dans l’ordre physiologique de l’organisme : « il n’y a de société qu’entre vivants. Les phénomènes sociologiques sont de la vie. Donc la sociologie n’est qu’une partie de la biologie tout comme la psychologie, car nous n’avons affaire qu’à des hommes en chair et en os, vivant ou ayant vécu. [...] La sociologie comme la psychologie humaine est une partie de cette partie de la biologie qu’est l’anthropologie[4]. » Pour Mauss l’anthropologie rejoint « à de tels points la physiologie, les phénomènes de la vie du corps, qu’entre le social et celle-ci, il semble que la couche de la conscience individuelle soit très mince[5]. »

La catégorie maussienne de la psychose

Cette pensée, dont il revendique le caractère concret, le conduit également à aborder les formes de croyance par le biais de la magie[6], car cette dernière entretient avec la religion un rapport de proximité tout en s’y opposant. Par là, Mauss prend également ses distances avec une sociologie durkheimienne qui avait jusque là valorisé la religion en tant que production de la conscience collective permettant d’étudier les croyances. Cette hypostasie des représentations collectives a notamment conduit Durkheim à rejeter la notion d’imitation telle que Tarde[7] l’a développée. Or, la pensée concrète maussienne réintroduit, par le biais de la magie, non seulement l’imitation, mais aussi la suggestion et l’hallucination collective comme représentations intermédiaires entre le psychisme collectif et le psychisme individuel. Dès 1924, Mauss - en véritable pionnier dans son champ disciplinaire - va même jusqu’à invoquer l’analyse freudienne dans sa conférence « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie ». Bien que Mauss y dénonce ce qu’il nomme les excès de Freud dans Totem et tabou - critique essentiellement ethnologique -, il retient néanmoins de la psychanalyse la notion de psychose telle que le savant de Vienne en a hérité de la psychiatrie dynamique allemande, notamment de Kraepelin, comme processus pathologique d’altération du rapport au monde extérieur et in fine de rupture avec la réalité. L’apport des neurologistes français, tout particulièrement les travaux de R. Mourgue[8] sont également mentionnés. Cela permet à Mauss d’ériger la psychose en véritable catégorie sociologique ouvrant - d’une manière qui peut sembler paradoxale - sur une conception unitaire et dynamique du psychisme qui donne un cadre au continuum représentatif qu’il cherche à promouvoir :

«  Cette hypothèse d’un état de toute la conscience, d’un état qui a par lui-même une force de développement, de prolifération, de déviation, de multiplication et de ramification, d’un état qui prend tout l’être psychologique, cette hypothèse doit nous devenir commune. […] Mais si nous redoutons [l’exagération de Totem et tabou], nous croyons que ces idées ont une immense capacité de développement et de persistance, et nous comprenons mieux la façon dont elles hantent la conscience individuelle, la façon dont elles sont crues, quand, pratiquées par le groupe tout ensemble, elles sont vérifiées par la hantise commune du groupe[9] ».

Pour Mauss, la mythomanie, la folie judiciaire, le fanatisme et la vendetta en groupe, les hallucinations collectives, les rêves collectifs et la suggestion par le groupe sont autant de représentations intermédiaires qui lui permettent d’invalider l’existence d’une réalité psychique collective surplombante, sans pour autant fondre les représentations collectives dans des représentations strictement individuelles. Les représentations intermédiaires de ce type lui sont précieuses car elles expriment autant d’états psychotiques liés au vécu social. Il faut toutefois distinguer ces états, dits par Mauss « psychotiques », de la psychose. En effet, ces états sont des croyances, ou ce qui revient au même, des délires partagés. Si les individus concernés sont fous − ce que ne prétend d’ailleurs pas Mauss qui refuse la dimension pathologique des phénomènes qu’il étudie − c’est au sens de Pascal : « Les hommes sont si nécessairement fous qu’il serait fou, par un autre tour de folie, de n’être pas fou », et il faudrait ici rajouter explicitement ce que la pensée de Pascal sous-tend, « de n’être pas fou de la folie de tout le monde ou à tout le moins du groupe ». En d’autre termes, ils ne font qu’accepter le délire proposé par le groupe, ils ne participent pas à son érection : le délire partagé est une res-publica, il ne répond pas à un quelconque impératif privé, d’imaginer un scénario ou encore d’avoir tout compris. Il faut par exemple distinguer les phénomènes de glossolalie religieuse, visant à l’unification du groupe et les phénomènes de glossolalie pathologique dans la psychose. Cette précision clinique ne doit, par ailleurs, en rien altérer l’importance de la démarche de Mauss. Et l’intérêt qu’il porte à ce type de processus sociaux « psychotiques » − susceptibles d’emporter avec eux des modifications tant psychiques que physiologiques − le conduit à vouloir mettre en œuvre « une sorte de biologie mentale, une sorte de vraie psychophysiologie[10] » et, partant, à réévaluer les notions d’hallucination et de suggestion.

La suggestion chez Mauss

Mauss prend modèle sur les travaux de Mourgue, pour qui l’hallucination ne doit plus être comprise comme une « image intensifiée » ou une « désagrégation de la personnalité », mais doit plutôt être envisagée comme un « mode d’expression de la pathologie du monde des instincts »[11], il faut la rapporter à la source biologique de l’instinct et cela est également vrai pour les hallucinations collectives :

« L’interaction des individus les uns avec les autres est susceptible de provoquer une hyperactivité de la sphère instinctive […] C’est dans ces conditions que surviennent les hallucinations collectives, surtout de nature mystique, qu’on a maintes fois observées, hallucinations survenant chez des individus dont la plupart peuvent être, par ailleurs, entièrement normaux. Nous pourrions donc dire en somme, pour résumer notre pensée sur ce point, que c’est pour l’hallucination que la définition que Freud donne de la perception, est surtout vraie, à savoir que l’hallucination est un rejeton du monde de l’instinct[12]. »

La « sphère instinctive » telle que Mourgue la comprend est le signe d’un processus d’individuation subissant la détermination réciproque du biologique, du mental et du social. Mauss voit l’intérêt qu’il peut tirer d’une telle approche, car elle lui permet de renouveler l’étude des représentations intermédiaires caractéristiques d’états « psychotiques », telles que les hallucinations collectives et les phénomènes de suggestion par le groupe. Le texte de Mauss « Effet physique chez l’individu de l’idée de mort suggérée par la collectivité » constitue à cet égard une tentative de renouveler l’étude de ce genre de phénomènes. Mauss opère une rupture avec la notion de suggestion, conçue comme force obscure et causalité supra-individuelle. Chez Mauss, la suggestion n’est appréhendée qu’au strict niveau de ses effets, et ceux-ci ne peuvent se lire qu’au niveau concret des individus ; « La suggestion trouve alors son expression au plan de l’individualité elle-même : c’est le sujet qui est considéré dans sa capacité à se suggestionner[13] », et pour reprendre les termes de Mauss, c’est au niveau de sa propre « biologie mentale », de sa « psychophysiologie » particulière, ou encore de sa « sphère instinctive », selon l’expression de Mourgue,  que se produit sa propre détermination à mourir suggestionné :

« Nous considérons donc seulement les cas où le sujet qui meurt ne se croit ou ne se sait pas malade, et se croit seulement pour des causes collectives précises en état proche de la mort. Cet état coïncide généralement avec une rupture de communion, soit par magie, soit par péché, avec les puissances et choses sacrées dont la présence, normalement le soutient. La conscience est alors tout entière envahie par des idées et des sentiments qui sont entièrement d’origine collective, qui ne trahissent aucun trouble physique. L’analyse n’arrive à saisir aucun élément de volonté, de choix, ou même d’idéation volontaire de la part du patient, ou même de trouble mental individuel, hors de la suggestion collective elle-même. Cet individu se croit enchanté ou se croit en faute et meurt pour cette raison. »[14]

La suggestion par le groupe, telle que Mauss la conçoit, lui permet de rendre compte des funestes effets de l’idée de mort sur l’individu ; mais, elle n’est en rien le résultat de l’action d’une individualité psychique collective et pathologique, à l’instar d’une foule. L’idée de mort suggérée par le groupe ne produit ses effets létaux que par le médium de la croyance subjective en son efficience : croyance qui porte sur le caractère imminent et inéluctable de la mort. Les individus en meurent par « enchantement ».

Des effets physiques de la suggestion de l’idée de mort

Aussi, afin d’illustrer les effets physiques de cette suggestion, Mauss considère des faits australiens, ainsi que des faits néo-zélandais et polynésiens. A propos des premiers, il note « qu’un auteur qui avait observé vers 1870, vit un homme qui avait déclaré qu’il mourrait certain jour et qui à ce moment mourut “par pur pouvoir imaginaire” »[15]. Mauss attire également notre attention sur le rite de l’« os de mort » chez les Wonkanguru. Lorsqu’un guerrier avait transgressé un tabou, le chaman le visait avec un os de poulet pointu, ce qui entraînait la mort dans des délais relativement brefs. A propos des faits Polynésiens, Mauss cite Sir Barry Tuke, médecin qui atteste avoir connu « un individu en bonne santé, de constitution herculéenne. Il mourut en moins de trois jours de cette “mélancolie”, un autre, en excellente apparence, et “sûrement sans aucune lésion des viscères thoraciques”, se “chagrina de la vie” : il dit qu’il allait mourir et mourut en dix jours. Dans la plupart des cas étudiés par ce médecin, la période fut de deux ou trois jours »[16].

La mort se présente inexorablement, mais elle ne peut jamais être rapportée à un choix délibéré de l’individu ou à des troubles physiologiques préexistants. Face à un tel mystère Mauss fait le choix méthodologique de la description, que l’on peut même qualifier de clinique, afin de privilégier les données phénoménales rapportées par l’ethnographie. Cela le conduit à une conception radicalement nouvelle de la manière dont le social pénètre l’individuel, dont il fait corps avec lui. Le déterminisme social n’agit plus, tel que Durkheim le concevait, d’une position extérieure surplombante. Il n’est plus question de représentations collectives qui viendraient contraindre et formater un donné individuel préconstitué à partir du substrat de naturalité que serait l’organisme, n’offrant au sociologue que la seule perspective d’une histoire des représentations sociales du corps. Au contraire, pour Mauss, la socialisation de l’individu s’exprime jusque dans son corps et dans ses usages, tel que l’atteste l’un de ses autres textes importants : « Les techniques du corps [17]». Bien plus, c’est au niveau de la « sphère instinctive » que la causalité sociale est partie prenante au niveau de la constitution physiologique et de l’élan vital. Pour Mauss, la nature sociale et la nature biologique de l’homme font jonction sur un mode presque direct. Aussi bien les faits australiens, que les faits néo-zélandais et polynésiens sont :

« de ceux où la nature sociale rejoint directement la nature biologique de l’homme. Cette peur panique qui désorganise tout dans la conscience, jusqu’à ce qu’on appelle l’instinct de conservation, désorganise surtout la vie elle-même. [18]»

L’instinct de conservation se confond avec la vie elle-même dans la mesure où celle-ci est suscitée de manière immanente à l’individu, c’est-à-dire que la vie agit elle-même comme un instinct. Mauss accorde dans son texte «  Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie[19] » une grande importance aux travaux de W. H. Rivers, un psychologue anglais ayant travaillé en Inde du Sud et en Mélanésie, et qui par la suite se consacra à la psychopathologie et à la question de l’instinct[20]. Nous l’avons vu, cette dernière question permet à Mauss de penser les rapports du corps et du psychisme d’une manière nouvelle sans que les deux termes soient maintenus en extériorité : Le sociologue ou l’anthropologue doivent eux aussi penser le « rapport qui existe entre les choses et le corps et surtout l’instinct, “Trieb” de tout l’être, de ses mécanismes psychophysiologiques tout montés[21]. »

Instinct et pulsion

Mauss pointe là, en véritable clinicien, combien la vie est le résultat d’un montage. La « sphère instinctive » telle que Mauss en fait l’emprunt à Mourgue est le lieu d’un appareillage subissant la détermination réciproque du biologique, du mental et du social. Mauss est à la pointe la plus avancée d’une anthropologie qui tire les conséquences du constat clinique que chez les être humains le corps n’est pas un organisme réglé par la nature. L’évocation du mot allemand Trieb indique d’ailleurs, que l’instinct chez Mauss ne saurait être traduit par cet autre terme allemand Instinkt, et qui, lui, renvoie à l’instinct animal. L’instinct maussien est donc l’équivalent de la pulsion freudienne[22] ; et Mauss pointe d’ailleurs l’importance du langage et de ce qu’il appelle des faits de « symbolisations psychologiques et aussi psychophysiologiques[23] » :

« Les sociétés humaines sont, par nature, des sociétés animales, et tous les traits de celles-ci se retrouvent en elles. Mais, il est d’autres traits  qui les distinguent jusqu’à nouvel ordre. Nous n’apercevons, dans le comportement des groupes anthropoïdes les mieux formés, dans les troupes de mammifères les plus solides et permanentes, dans les sociétés d’insectes les plus hautement évoluées, nous n’apercevons dis-je, ni ces volontés générales, ni cette pression de la conscience des uns sur la conscience des autres, ces, communications d’idées, ce langage[24], ces arts plastiques et esthétiques, ces groupements et ces religions, − en un mot, ces institutions qui sont le trait de notre vie en commun. Or, ce sont celles-ci qui, nous le sentons, […], nous font non seulement homme social, mais même homme tout court. [25] »

Pour Mauss, l’homme est bien un animal dénaturé par le langage et les symboles. La « sphère instinctive » est le lieu de cette dénaturation. Bien plus, le groupe, les symboles, la religion et le langage sont les puissances sacrées qui soutiennent la vie pulsionnelle. Contrairement à la sociologie durkheimienne, il n’y a pas de naturalisme du corps chez Mauss. Il retient comme données ethnologiques les altérations des fonctions motrices, sensitives et sensorielles, ainsi que des manifestations physiologiques inattendues conduisant à la mort. Mauss repère d’ailleurs de manière précise les effets de la parole sur le corps, et ce avant même que Claude Lévi-Strauss n’en formule le concept d’« efficacité symbolique ». La transgression, volontaire ou non, d’un tabou, l’état de péché mortel ou la croyance d’être la visée d’un sort, peuvent à eux-seuls entrainer la mort rapide d’un individu en bonne santé.

« Mélancolie fatale à issue rapide » et catatonie mortelle aigüe

Le Docteur Goldie, abondement cité par Mauss, a consacré l’un des chapitres de son ouvrage Maori Medical Lore[26] à la théorie de ces phénomènes. Ce chapitre est intitulé : « Mélancolie fatale à issue rapide ». Pour Goldie, la survenue de la mort « après un intervalle de dépression plus ou moins long, de profonde dépression et de manque de désir de vivre, est due aux effets d’une crainte superstitieuse agissant sur un système nerveux particulièrement susceptible[27]. » Lorsque quelqu’un de profondément superstitieux « attribue des pouvoirs mauvais aux dieux mauvais et aux sorciers noirs, lorsque quelqu’un possédant ces caractéristiques mentales à un degré marqué, se convainc qu’il est victime d’un dieu puissant ou d’un tohunga (sorcier), le choc nerveux excessif rend tout le système nerveux “paretic”[28] ; il n’offre pas de résistance à la condition de stupeur qui intervient alors ; l’individu s’absorbe en soi et se fixe sur l’idée de l’énormité de son péché et du caractère désespéré de son cas ; il est la victime sans espoir d’une mélancolie à illusion. » L’idée de l’énormité de son péché est non-dialectisable, elle a le statut d’un véritable phénomène élémentaire. Au point que l’individu « est submergé par une illusion toute-puissante ; il a offensé les dieux ; il mourra. Il oublie l’intérêt des choses extérieures ; l’état morbide est centralisé d’une façon tout à fait aigüe ; la dépression nerveuse est grande ; il y a perte d’énergie physique, et cette dépression secondaire s’étend graduellement à tous les organes. » L’atteinte sur la motricité et sur les grandes fonctions vitales du corps est telle qu’il semble légitime de rattacher la « mélancolie fatale à issue rapide » de Goldie à la catatonie isolée par K. L. Kahlbaum en tant que mélancolie avec stupeur. Il s’agit d’un tableau principalement somatique avec une symptomatologie mentale réduite. Le corps fait l’objet d’atteintes motrices sévères, pouvant aller jusqu’à la prise en masse cataleptique (flexibilité cireuse), l’hypotonie musculaire, des troubles brutaux du tonus musculaire, l’inertie, ou au contraire être en proie à une grande agitation et à des spasmes. De même, les fonctions vitales sont l’objet d’une grande désorganisation, tant orificielle que neurovégétative, et les désordres métaboliques ainsi que les aberrations physiologiques peuvent entrainer la mort. Mauss cite plus avant la description clinique de Goldie : « les fonctions vitales sont déprimées, le cœur se déprime, les muscles involontaires s’endorment, et finalement se produit une complète “anergia” ou la mort [29]». C’est d’ailleurs en raison de cette issue possiblement fatale que le psychiatre allemand K. H. Stauder a proposé en 1934 le concept de « catatonie mortelle » afin de rendre précisément compte de ces cas de mort sine materia. A la fin de la description clinique de Goldie, Mauss cite également cette dernière phrase : « L’esprit sans équilibre succombe sans combat à la violence du choc d’une peur superstitieuse envahissante[30]. » La référence à l’équilibre de l’esprit renvoie à une autre notion empruntée à Goldie, celle de « balance mentale ». Pour Mauss, elle concerne le rôle qu’est censé jouer la conscience dans l’équilibre de la « sphère instinctive », dans la détermination réciproque du biologique, du mental et du social, ou encore au niveau de la « biologie mentale » et de la « psychophysiologie » particulière du sujet. Comme le note Mauss :

« Le chaînon psychologique est visible, solide : la conscience. Mais il n’est pas gros ; l’individu enchanté, ou en état de péché mortel, perd tout contrôle de sa vie, tout choix, toute indépendance, toute sa personnalité.[31] »

La « balance mentale » n’est plus en mesure d’équilibrer la « sphère instinctive » de l’individu, car s’est produit «  une rupture de communion, soit par magie, soit par péché, avec les puissances et choses sacrées dont la présence, normalement le soutient[32] ». Bien que ne disposant pas de la notion de symbolique au sens où Claude Lévi-Strauss et Lacan l’ont élaborée − Lacan y adjoignant le Réel et l’Imaginaire pour ce qui touche à la question du corps –, Mauss a néanmoins repéré combien le groupe, les symboles, la religion et le langage sont les puissances sacrées qui permettent le montage de la vie pulsionnelle.

Quant à ces puissances sacrées dont la présence soutient normalement la vie, et avec qui la rupture de communion entraîne la mort, il convient de noter que ni les faits australiens, ni les faits néo-zélandais et polynésiens − auxquels se réfèrent Mauss − ne sont issus de sociétés monothéistes. Le point est d’importance, et invite dans le prolongement d’une analyse maussienne portant sur la morphologie sociale[33] à étendre cette approche à une étude de la morphologie des systèmes symboliques.

Pour une étude comparée de la morphologie des systèmes symboliques

La société Maori, les sociétés mélanésiennes ou les sociétés aborigènes n’étaient pas − à l’époque où les faits ethnographiques utilisés par Mauss furent collectés – des sociétés dont l’ordre symbolique était l’un des monothéismes. Elles se caractérisaient, comme la plupart des sociétés traditionnelles où a cours la sorcellerie, par la polyphonie des esprits, des ancêtres et des divinités. Goldie se livre d’ailleurs à des considérations sur l’instabilité de l’esprit maori, qui sont reprises par Mauss ; et bien qu’elles soient largement fondées sur la conviction de la supériorité morale de la civilisation occidentale chrétienne, elles n’en possèdent pas moins l’intérêt d’attirer notre attention sur le fait que tous les ordres symboliques ne connaissent pas la même structure, et qu’il est important de se livrer à une étude de leur morphologie comparée.

Le recours à une topologie nodale trine

A cet égard, la topologie nodale de la structure, distinguant le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire, telle que développée par Lacan, permet non seulement une redéfinition du pôle subjectif, qui prolonge celle opérée par Mauss − dans son dépassement de l’opposition mécaniste entre la conscience individuelle et la conscience collective −, mais offre sans doute également un outil à la hauteur des ambitions d’une véritable morphologie comparée des systèmes symboliques. A partir de 1972 Lacan a recours à un entrelacement de trois ronds dont la propriété majeur est que la rupture de l’un d’entre eux entraîne la déliaison des trois. Il s’agit d’un nœud dit borroméen parce qu’il figure au blason de la famille italienne Borromé. L’intérêt de cet objet mathématique qui, plus qu’un nœud est à proprement parler une chaîne de trois nœuds, réside dans ses propriétés permettant de dépasser les limitations de la logique binaire et d’introduire une autre logique articulant différemment les liens de trois éléments entre eux. En outre, afin de ne pas substantialiser le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire, le nœud borroméen permet de penser ces trois dimensions en terme de trous, tout en instaurant nulle genèse et hiérarchie entre elles.

Cette nouvelle logique trine se fonde sur les propriétés réelles de cette chaîne nodale. Il est ainsi possible d’affirmer que si le rond du Réel surmonte celui du Symbolique, ce dernier surmonte donc le rond de l’Imaginaire, mais dans le cas ou le rond du Réel surmonte celui de l’Imaginaire, alors celui-ci surmonte le rond du Symbolique. Dans une représentation dite - en mise à plat du nœud borroméen −, lorsque qu’un rond en surmonte un autre, il le fait en deux points. Cela s’écrit en ayant recours à des dessus-dessous représentés conventionnellement par le fait que le tracé du rond du dessous s’interrompt pour laisser passer le tracé du rond du dessus.

EPhEP - la recherche -RSI

 

Ici, nous pouvons clairement lire que le tracé du rond du Symbolique en bas à droite s’arrête, alors que le rond du Réel est continu sauf quand il croise le rond de l’Imaginaire. Cette écriture est conforme aux propriétés borroméennes : si le rond du Réel surmonte le rond du Symbolique, alors celui-ci surmonte le rond de l’Imaginaire et donc en conséquence celui de l’Imaginaire surmonte le rond du Réel. Il est, dès lors, possible de formuler l’hypothèse selon laquelle les propriétés réelles du nœud borroméen en font, non seulement, un outil à la hauteur des ambitions d’une véritable morphologie comparée des systèmes symboliques, mais elles ouvrent également la possibilité d’une analyse comparée des effets de nouages entre le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire sur le lien social et de l’articulation nodale d’un sujet avec le corps social, c’est-à-dire la chaîne des autres « parlêtres ». Il s’agit sans doute d’un champ nouveau qui s’ouvre à une véritable anthropologie psychanalytique.

« Biologie mentale », « psychophysiologie » et nœud borroméen

D’une manière sans doute moins ambitieuse, on s’accordera à reconnaitre que la « sphère instinctive » − empruntée à Mourgue par Mauss, en tant que lieu d’une détermination réciproque ternaire entre le biologique, le mental et le social − peut être avantageusement remplacée par le nouage borroméen du Réel, de la pulsion, de la jouissance, avec le corps Imaginaire par l’appareillage qu’autorise le Symbolique. Une autre manière de le dire serait de considérer que le nouage borroméen permet de rendre compte, selon les termes de Mauss, d’une véritable « biologie mentale » et d’une « psychophysiologie ». Il permet une approche maussienne des mécanismes psychophysiologiques, montages pulsionnels, de l’appareillage du corps, tout en tenant compte de la morphologie ou de la « nodalité » de l’ordre symbolique où ils sont « montés » pour reprendre le terme de Mauss.

Les monothéismes

Ainsi, dans les systèmes monothéistes, nous savons que le nœud borroméen à quatre permet de rendre compte du fonctionnement de la « normalité » névrotique ; le rond quatrième étant celui de l’Œdipe, de la religion, du Nom-du-Père, ou du symptôme.

EPhEP - la recherche - Symptôme Nom du Père

 

Dans une telle structure, l’instance symbolique, ou si l’on veut, le phallus symbolique est érigé en point d’exception général. Il ne s’agit pas ici, de l’organe sexuel masculin, ni de l’une de ses multiples représentations fondées sur la fascination religieuse ou magique pour la turgescence pénienne, comme par exemple dans les cultes dionysiaques. C’est même de la négativation de cet imaginaire de la toute-puissance que naît le phallus symbolique, et c’est aussi la raison pour laquelle il s’écrit (-φ). Il est le signifiant de la jouissance sexuelle, et le point d’exception où s’articulent les différences dans le rapport au corps, à l’objet et au langage. La jouissance sexuelle, le désir, et plus largement, le fonctionnement du corps humain et la satisfaction de ses besoins, sont irrémédiablement altérés par le langage et le phallus en est le symbole, symbole du manque. Mais le phallus est également ce qui situe le Nom-du-Père comme exception fondatrice de la différence des sexes et de l’impossibilité du rapport sexuel. En d’autres termes, il fait valoir la castration symbolique en tant qu’amputation de la jouissance par le Symbolique et mise en place de l’impossible. Cela se traduit par le fait que dans une mise à plat du nœud borroméen, le Réel surmonte le Symbolique et que c’est ce dernier qui fait trou. Le phallus symbolique permet ainsi la mise en fonction des objets a et autorise les montages de la spécification pulsionnelle, c’est-à-dire le double parti pris de la pulsion, d’une part, quant à son arrimage à un bord-orifice du corps (lèvres, “enclos des dents”, marge de l’anus, sillon pénien, vagin, fente palpébrale, voire cornet de l’oreille), et d’autre part, quant à l’objet qu’elle vise. Comme l’abord de la psychose par Marcel Czermak[34] le met particulièrement en exergue, c’est la clinique qui donne à voir ce qu’il advient du corps et de son hypocondrie lorsque, pour parler le langage de Mauss, la « puissance » et la « chose sacrée »[35] ne permettent pas un nouage borroméen. Cela correspond, soit à des ronds qui sont déliés, soit à la mise en continuité des trois registres RSI sous la forme d’un nœud de trèfle.

          EPhEP - la recherche - Ronds déliés                         EPhEP - la recherche - RSI - noeud de Trèfle

A contrario, lorsque le sujet est parvenu à trouver abri dans le langage – c’est-à-dire à être représenté par un signifiant pour un autre signifiant – l’acceptation, qui est la sienne de voir sa jouissance amputée pour partie, lui donne accès à l’existence grâce au rond du symbolique. Il faut même écrire que le sujet ek-siste au langage. Il ne doit pas son ek-sistence à ce qu’il en serait de son être supposé, mais à sa propre division subjective et à sa soumission à l’aliénation langagière. Mais surtout, en faisant ce choix de la névrose, il est durablement et individuellement protégé par une castration symbolique au prix de son symptôme. Avec les monothéismes, la nomination est symbolique et elle est le résultat de la fonction phallique. Avec le Nom-du-Père, les monothéismes autorisent une castration individuelle dont les effets subjectivant sont durablement établis, au point que Lacan a pu évoquer l’« increvable névrose ».

Polyphonie des sorts, des esprits, des ancêtres et divinités

Or, dans les sociétés où a cours la sorcellerie, et dont l’ordre symbolique se caractérise par la polyphonie des sorts, des esprits, des ancêtres, sans oublier les divinités, l’instance symbolique ne constitue pas la clé de voute du système, ou pour mieux dire sa clé de manque (- . Bien qu’indispensable à la nomination − car il n’y a de nomination qu’en rapport avec le symbolique −, cette instance reste latente et ne met pas en place un Nom-du-père. Il n’y a pas de nouage à quatre possible individuellement. Dans de telles morphologies ou nodalités symboliques, la nomination par la fonction phallique opérante, mais latente, est une nomination imaginaire, qui met l’accent sur les corps. La structure n’en est pas moins borroméenne, avec un nœud à trois et non à quatre. Mais, dans ce cas de figure le rond moyen est l’Imaginaire entre le Réel et le symbolique. Cela évoque le nœud phobique tel que Charles Melman[36] l'a décrit et présenté. Ce nœud ne correspond pas au nœud borroméen classique RSI.

Le nœud phobique

Nœud borroméen classique                                                      Nœud phobique        

    RSI                                                                                              RIS

EPhEP - la recherche - RSI - noeud phobique

 Dans RSI, c’est le Réel qui surmonte le Symbolique, l'Imaginaire ayant à assurer la consistance du nouage, alors que dans le nœud phobique, le Réel surmonte l'Imaginaire et la consistance du nouage revient au Symbolique. Or, effectivement, cliniquement la phobie correspond souvent à une inflation de l'Imaginaire et à une castration dont il est difficile de rendre compte dans le registre Imaginaire. La castration est en place, mais pas sur un plan strictement individuel et elle a du mal à valoir dans sa modalité symbolique. Par exemple, souvent dans la phobie la négation n'est pas vraiment en place sur le plan grammatical et la perspective d’une chose et de son contraire est parfaitement possible. La superstition occupe également une grande place. En outre, alors que l’Imaginaire vient par le biais du phantasme masquer le trou du Symbolique dans RSI, ici l’Imaginaire fait trou et assure l’ek-sistence.

Rapport à l’espace et animal phobogène

Ce qui porte le plus la marque de cette « amputation » de l’Imaginaire par le Réel qui le surmonte, c’est, comme le note Melman, l'espace. En effet, la phobie s’organise autour de ce trou imaginaire d’où sourd l’angoisse, ou pour le dire autrement, elle s’articule autour d'une zone magique, d’un « espace réservé, ce trou, qu’elle habite d'une créature, certes phobogène, mais qui exerce aussi dès lors un effet rassurant ; mais cette créature, nous le savons se maintient elle-même dans le registre de l'Imaginaire[37]. ». Il ne s’agit pas d’un substitut du Nom-du-Père qui viendrait faire rond quatrième. Puisque c’est l’imaginaire qui assure l’ek-sistence, l’animal phobogène peut se maintenir dans ce trou, dans cette zone magique sans avoir à ek-sister. Il n’est qu’une représentation du phallus, mais néanmoins du phallus symbolique et non pas un phallus imaginaire comme dans la perversion. L’animal phobogène n’est pas un fétiche au sens que l’on accorde à ce terme dans le fétichisme, il peut néanmoins être un fétiche au sens de la superstition et des féticheurs : puissances protectrices, mais également craintes, comme le sont les esprits, les ancêtres et les chamans ou sorciers. Nous voyons dès lors, comment dans un ordre symbolique structuré borroméennement par RIS, l’instance symbolique est disséminée dans une multitude de représentations, autorisant la nomination, mais sur le mode de l’imaginarisation. L’instance symbolique reste latente et, bien qu’indispensable à la nomination, elle reste en mal de symbolisation et donc d’ek-sistence.

L’ek-sistence au corps

La dissémination du phallus symbolique sous la forme d’une multiplication de ses représentations introduit également un type de rapport spécifique à la limite. Comme le note Melman à propos de la phobie, c’est dans le registre de l’Imaginaire que fonctionnent l’interdit et la clôture. Il est possible de rendre compte théoriquement de ce point à partir d’RIS. En effet, si l’ek-sistence est prise en charge par l’Imaginaire qui fait trou en raison de son surmontage par le Réel, les inhibitions qui ressortissent du Symbolique dans RSI se reportent ici sur l’Imaginaire. Sur le plan clinique, cela se traduit par le constat des limites à leurs déplacements que peuvent s’imposer les phobiques. Mais ce fonctionnement de la limite, de l’interdit et de la clôture comme modalité d’une castration imaginaire trouve également sa correspondance ethnographique. Mauss avait lui-même noté que :

 « l’un des tabous que l’on rencontre fréquemment, en particulier en Polynésie (Maoris, Hawaï, etc.) - et aussi en Afrique du Nord, - consiste à défendre de passer - ou même de faire passer - son ombre sur autrui[38]. »

De manière plus éclairante encore, la prise en charge de l’ek-sistence par l’Imaginaire est attestée par la pratique des autopsies vernaculaires[39]. Il s’agit d’autopsies pratiquées encore aujourd’hui dans les Grassfields de l’Ouest camerounais (autrefois pratiquées dans une bonne partie de l’Afrique Centrale jusqu’au Bénin). Elles consistent à ouvrir le corps d’une personne décédée, de la zone pubienne jusqu’à la gorge à l’aide d’une machette, d’en sortir les organes internes afin de les examiner. Cette pratique vise à répondre à un certain nombre de questions sur la vérité du sujet mort : était-il un sorcier ou au contraire une victime de la sorcellerie. Ces autopsies se pratiquent publiquement devant les anciens du village regroupant hommes et femmes. Chacun commente ce qu’il voit et des tests peuvent même être pratiqués sur les différents organes[40] et sur les substances corporelles. Il s’ensuit une discussion générale dont la conclusion est exprimée par un personnage ayant autorité pour le faire devant l’ensemble du village réuni. Ce n’est donc pas le rond du symbolique qui assure l’ek-sistence du sujet en tant qu’il est représenté par un signifiant pour un autre signifiant et que sa vérité se dit au détour de sa parole. Ici, la vérité du sujet est à chercher du côté de son corps et de ce qui s’y dissimule et c’est l’autopsie vernaculaire qui permet d’y avoir accès. Une autre manière de le dire, et qui indique bien, que c’est l’Imaginaire qui prend en charge l’ek-sistence avec RIS, c’est qu’ici le sujet ek-siste plus au corps qu’au langage.

Animal mythique, différence des sexes et écriture tégumentaire

Une autre conséquence de la nodalité symbolique RIS est à lire du côté des modalités de la différence des sexes et du lien social. En effet, dans son article sur le nœud phobique Melman tire les conséquences du rapport au phallus symbolique qu’induit la référence faite par le phobique à l’animal phobogène. Contrairement au Nom-du-Père, cette imaginarisation du phallus symbolique autorise la mise en place :

 « d’une communauté de semblables qui se trouvent, en quelque sorte, confrontés à un animal mythique ; ceci induit, du même coup, entre ces semblables ce mode de relation, de fascination moïque, ce mode de réciprocité particulièrement libidinalisé que l’on voit entre le phobique et son entourage.[41] »

Cet animal mythique, qui autorise la mise place d’une communauté de semblables, invite dès lors à une réévaluation de la notion de totémisme et ce à la lueur des apports, tant théoriques que cliniques, de la nodalité RIS. La dimension réduite du présent travail n’autorise pas, cette relecture. Il faut, néanmoins, noter au passage la détermination de Lacan à ne pas se contenter du seul Symbolique et de la psychologie intellectualiste d’un Claude Lévi-Strauss. La critique majeure de ce dernier à l’endroit du totémisme consiste à prétendre que le Totem, n’est en fait qu’un pur opérateur logique, il est dès lors réduit à la seule dimension d’une combinatoire de la « pensée sauvage ». Alors que, pour peu qu’on le rapproche de l’animal phobogène, le Totem peut être pensé, non plus comme pure condition de possibilité du Symbolique, mais comme soutien de la symbolisation dans le registre de l’Imaginaire, pour une communauté de semblables.

Cela conduit à mentionner une autre caractéristique de cette communauté. Elle est relative à la différence des sexes. En effet, comme l’indique Melman, la référence faite par le phobique à cette créature tapie dans le rond de l’imaginaire autorise le phobique à instaurer un rapport au phallus qui n’induit pas la différence des sexes. Il faut dès lors se demander si, dans des sociétés régies par la nodalité RIS,  les peintures corporelles, les tatouages et les scarifications ne viennent pas soutenir dans le registre de l’Imaginaire, la difficile symbolisation de la différence entre les hommes et les femmes. Les corps masculins et féminin ne sont pas tatoués ou peints de la même manière et parfois les matières utilisées sont différentes. Ainsi chez les Iafar (Nouvelle-Guinée Papouasie)[42], le minéral est réservé aux hommes et le végétal aux femmes. Plus largement, il semble que les lieux du corps que la femme peut voir tatoués ou scarifiés sont surtout orificiels. À l’opposé, les tatouages masculins portent sur les surfaces planes. Là aussi, ces oppositions binaires, si elles constituent la batterie minimale du Symbolique, ne suffisent pas à symboliser la différence des sexes. Il faut recourir au marquage réel du corps, véritable trou dans l’Imaginaire pour que sa symbolisation soit soutenue. Dès lors, les inscriptions tégumentaires sur les hommes et les femmes ont un point commun : leur nécessité, celle de soutenir l’instance symbolique - en mal d’ek-sistence  et avec elle la différence des sexes. Ainsi, alors que l’usage veut que dans certaines ethnies de Nouvelle-Guinée, une jeune fille pubère reçoive des scarifications, si celles-ci n’ont pas été prodiguées, il peut s’ensuivre une aménorrhée. Cela ouvre d’intéressantes perspectives quant au statut symbolique des peintures corporelles ou des scarifications, peut-on les considérer comme une forme d’écriture dont la symbolisation est imaginarisée ? Une telle approche aurait pour conséquence de relativiser l’idée qu’il se trouve des sociétés sans écriture aucune et surtout sans effet de la lettre.

Mort sine materia et nodalité RIS

La nodalité RIS permet également de rendre compte de la grande efficacité létale de la parole dans les sociétés dont l’ordre symbolique se caractérise par la polyphonie des sorts, des esprits, des ancêtres, sans oublier les divinités. Il est à noter que dans sa présentation des faits tirés des sociétés australiennes, Maoris et Malayo-Polynésienne de Nouvelle-Zélande, Mauss fait référence à Robert Hertz et à ses recherches préparatoires à un travail qu’il n’achèvera jamais, fauché qu’il fut dans les tranchées. Ce travail devait porter sur « Le Péché et l’expiation dans les sociétés inférieures[43] ». Mauss dit dans sa note 1, de bas de la page 315 de Sociologie et Anthropologie : « J’ai eu à me préoccuper de ces faits à propos de recherches sur l’origine de la croyance à l’efficacité des mots ». Cette efficacité doit être analysée à la lueur de RIS et plus particulièrement à l’aune du type de lien social que sous-tend le rapport spécifique entretenu avec les représentants phalliques caractéristiques des sociétés à sorcellerie ; sociétés qu’Hertz, Mauss et toute l’anthropologie du 19ème ou de la première moitié du 20ème siècle ont eu tendance un peu rapidement à considérer comme inférieures. Ce rapport à l’animal mythique dans la phobie, en tant qu’il est une représentation du phallus, met certes en place une castration, mais celle-ci n’est ni symbolique ni individualisée, comme c’est le cas avec la névrose dans la nodalité RSI. Là aussi, la présentation du nœud phobique par C. Melman revêt un intérêt heuristique important. Comme il le porte à notre attention :

 « Le rapport à ce représentant phallique est un rapport non individualisé ; c’est un rapport immédiat ; cela signifie que seule la distance, puisqu’on est dans le registre de l’Imaginaire, est susceptible d’introduire une variation dans la relation qu’on peut avoir avec ce représentant phallique ; la distance, et non un élément métaphorique ou métonymique.[44] »

Si la castration est en bien en place, ce qui ne renvoie pas ici à la psychose, elle l’est néanmoins sur un mode imaginaire et non individualisé. Les conditions de son effectivité sont à mettre en relation avec la participation à la communauté de semblables. C’est l’appartenance à celle-ci qui maintient collectivement la nodalité RIS, chaque individu ne bénéficiant collectivement des bienfaits de la castration qu’à la condition du maintien de son caractère de semblable et notamment du rapport spécifique avec l’animal mythique ou quelque autre représentation du phallus, fétiche, divinité, esprit et ancêtres. L’altération de ce rapport peut entrainer la mort. Mauss mentionne que si un jeune Wakelbure (fille ou garçon) mange du gibier défendu, etc., il tombe malade, et probablement se consume et meurt poussant les cris de la créature en question. Un autre cas concerne un jeune Kurnai (aborigène). Un jour son employeur le trouve malade. Le jeune homme, fort et sain, lui explique qu’il avait fait ce qu’il ne devait pas, ayant volé une femelle opossum avant d’avoir la permission d’en manger. Il savait qu’il ne grandirait plus, car les vieux l’avaient découvert : « Il se coucha, pour ainsi dire sous l’effet de cette croyance ; il ne se releva plus jamais et mourut en trois semaines[45]. » Mauss cite également William Mariner et John Martin[46] à propos des Iles Tonga : « un homme qui avait mangé de la tortue interdite en eut le foie grossi et en mourut », puis il ajoute, « c’est surtout aux Samoa que les tabous (totémiques) violés se vengent. L’animal absorbé parle, agit à l’intérieur, détruit l’homme, le mange, et il meurt »

Mauss note que c’est la mort par « péché mortel » qui est fréquente en pays Maori : « l’expression est d’ailleurs d’eux. […] l’âme est rendue pesante ; elle est liée, nouée dans des cordes, des filets et des nœuds ; elle est absente ; elle est prise ; elle n’est pas le seul esprit qui habite le corps ; elle a un voisin qui la hante ; ou elle est heurtée par un animal ou une chose qui envahit le corps ou l’envahit elle-même[47] ». De telles descriptions ont valeur clinique, il y est question du retour de l’objet a dans le Réel du corps. Alors que jusque là, la communauté de semblables avait protégé l’individu d’un moment psychotique, pour faire écho à l’idée même de Mauss, la transgression d’un tabou autorise le retour de l’objet a et, pour reprendre l’approche de Stéphanie Hergott et de Nicolas Dissez, suspend la rythmicité du corps organisée par la conjonction et la disjonction. Mauss mentionne également des faits qu’il considère comme « les plus considérables et les plus tragiques » à propos des Morioris des Iles Chatham. Après leur défaite contre les Maoris en 1835, ces derniers les avaient déportés dans les îles du Sud où leur nombre fut réduit de 2000 à 25. Il s’appuie sur l’un des leurs qui était également leur interprète, un certain Shand, qui rapporte ce que dirent les vainqueurs[48] :

« Ce n’est pas le nombre que nous en avons tué qui les réduisit ainsi. Mais, après les avoir pris comme esclaves, nous les trouvions très souvent morts le matin dans leurs maisons. C’était l’infraction de leur tapu (tabou) obligation de faire des actes qui dessécraient leur tapu). Ils étaient un peuple très tapu[49]. »

Cela a un rapport direct avec la sorcellerie. En effet, comme Hertz l’avait montré, la mort par magie n’est souvent possible que par suite d’un péché préalable. A l’inverse le péché mortel n’est souvent que le résultat d’une magie ou d’une contrainte qui a fait pécher, le wakapahunu étant selon l’ethnographe Best[50] le « faire pécher », faire en sorte que « la conscience pince » l’enchanté. Et Mauss d’ajouter, que « ce sont de véritables maux de conscience qui entraînent les états de dépression fatale et qui sont eux-mêmes causés par cette magie de péché qui fait que l’individu sent être dans son tort, être mis dans son tort[51] ».

Le bannissement de la vie

Dans la communauté de semblables, le lien social se paye au prix fort, au point de menacer la communauté tout entière si elle est vaincue, mais elle n’est jamais qu’une somme d’individus contraints individuellement de modifier leur distance avec leur « tapu ». Toute modification de la distance avec l’animal mythique ou avec une autre représentation du phallus peut effectivement entraîner la mort, une mort - pourrions-nous dire - par singularisation. Nous touchons là un point d’importance, quant au lien social dans les sociétés où a cours la sorcellerie. Toute forme de singularisation expose, dans la mesure où la promotion d’une individualité menace d’altérer la communauté de semblables. Il faut d’ailleurs se demander si l’essor de l’économie libérale dans un certain nombre de sociétés traditionnelles ne se heurte pas à la nécessité de maintenir un lien social conforme avec RIS. Si la mondialisation conduit assurément à une érosion plus ou moins rapide de la communauté de semblables, dans ces sociétés la sorcellerie garde, néanmoins, une importance considérable, et elle n’est jamais loin lorsque l’on se livre à des considérations cliniques. La nomination imaginaire et les bienfaits de la castration permettent une symbolisation imaginaire du Réel, mais tout bannissement, tout sort, tout rituel d’expulsion de la communauté vient modifier la nodalité RIS, ce qui peut entraîner la mort. On comprend dès lors, en quoi la parole du sorcier ou du chaman prive l’individu, en rupture de communion, en voie de singularisation, des bienfaits du nouage à trois RIS. Sachant qu’un nouage à trois ne présente pas de stabilité, aussi bien d’ailleurs RSI, que RIS, et que seul un nouage à quatre par le Nom-du-Père dans les monothéismes présente le bénéfice d’une castration symbolique durable et individuelle. Nous avons peut être là, quelques éléments de réponse quant à la question de savoir pourquoi Spinoza n’est pas mort des suites de son excommunication. Il en va tout autrement dans la nodalité RIS où il n’y a pas de Nom-du-Père et où l’instance symbolique est disséminée en moult représentations. La polyphonie des sorts, des esprits, des ancêtres et des divinités risque de provoquer la mort d’un individu singularisé et en rupture de communion. La « mort Voodoo » survient après cette rupture qui désorganise les montages pulsionnels de l’individu, le privant de l’Autre comme dans la catatonie mortelle aigüe, c’est-à-dire ici de son appartenance à une communauté de semblables. Ainsi la sorcellerie opère-t-elle par une modification du moyen de la nomination, c’est-à-dire un changement de rond moyen. Le rond de l’Imaginaire assurant l’ek-sistence, c'est-à-dire nouant le Réel et le Symbolique dans la nodalité RIS, qui était jusque là stabilisée par l’appartenance au groupe, se voit destitué.

 

 

Le nœud rendu labile, c’est le Réel de la mort qui vient nouer le Symbolique et l’Imaginaire. La voix du chaman − jetant un sort, prononçant une malédiction ou le bannissement hors du groupe − a pour effet de substituer à une nomination imaginaire, une nomination réelle. Cette substitution est susceptible d’altérer le Réel du corps et l’activité pulsionnelle de celui qui se trouve dès lors banni de la vie : « cet individu se croit enchanté ou se croit en faute et meurt pour cette raison. »

 

 

Cotonou, du 28-10-2012 au 4-11-2012

Paris, du 5-11-2012 au 20-11-2012

 

Pierre-Yves Gaudard,

Psychanalyste, Maitre de Conférences en Anthropologie à l’Université Paris-Descartes.

Membre du département de recherche Autres et Outre-cliniques de l’EPhEP




[1]              Cette démarche est parfaitement illustrée par son œuvre majeure qu’est Le suicide où il montre, qu’il n’est nul besoin de se lancer dans des considérations cliniques sur les personnes qui se suicident pour comprendre pourquoi le taux de suicide ne varie pratiquement pas d’une année sur l’autre. Il faut pour cela recourir à une explication en termes de structures et de régulation sociales. Ainsi, le statut matrimonial, l’appartenance religieuse et le lieu de résidence (ville ou campagne) sont des facteurs déterminants du suicide, comme le prouve l’approche statistique menée par Durkheim.

[2]              M. Mauss, « sociologie », in Œuvres III, Minuit, p. 161, cité par B. Karsenti.

[3]              L’adjectif de mécaniste est emprunté ici à B. Karsenti qui le préfère à celui de dialectique avancé par C. Lévi-Strauss et G. Gurwitch, L’homme total, sociologie, anthropologie et philosophie chez Marcel Mauss, Paris, Puf, 2011, p. 63.

[4]              M. Mauss, Sociologie et anthropologie(SA), 1950, Paris, 8e édition Quadrige, Puf, 1999, p.285.

[5]              M. Mauss, op. cit. , p. 289.

[6]              M. Mauss et H. Hubert, « Esquisse d’une théorie générale de la magie » in SA, pp. 3-138.

[7]              G. Tarde, Les lois de l’imitation, 1890, Paris, Slatkine, 1979.

[8]              R. Mourgue, Neurobiologie des hallucinations, Bruxelles, 1932.

[9]              M. Mauss, « Rapport réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie », in SA, p. 293.

[10]             M. Mauss, op. cit. , p. 296.

[11]             R. Mourgue, Neurobiologie des hallucinations, p. 22, cité par B Karsenti, op. cit., p. 88.

[12]             R. Mourgue, op. cit, p. 252, cité par B Karsenti, op. cit., p. 89.

[13]             Ibid.

[14]             M. Mauss, « Effet physique chez l’individu de l’idée de mort suggérée par la collectivité », in SA., p.314.

[15]             Ibid., p. 320.

[16]             M. Mauss, « Effet physique de l’idée de mort … », in SA, p. 326.

[17]             M. Mauss, SA, pp. 365-384.

[18]             M. Mauss, « Effet physique de l’idée de mort … », in SA, p. 329.

[19]             M. Mauss, « Rapports réels et pratiques … », in SA, pp.285-309.

[20]             W. H. Rivers, The Todas, New York, 1906 ; The history of Melanesian society, Cambridge, 1920 ; Dream an Primitive culture, Manchester, 1917 ; Psychology and ethnology, Londres, 1926 et Instinct and unconscious,  Cambridge, 1920.

[21]             M. Mauss, « Rapports réels et pratiques … », SA, p.296.

[22]             Le terme de pulsion étant d’ailleurs la traduction française retenue pour tous les textes freudien faisant référence au Trieb.

[23]             M. Mauss, « Services à rendre par la sociologie à la psychologie », in SA,  p299 ; plus loin Mauss ajoute « Sont des signes et des symboles, les cris et les mots, les gestes et les rites, par exemple, de l’étiquette et de la morale. Au fond, celles-ci sont des traductions. En effet, elles traduisent d’abord la présence du groupe ; mais aussi elles expriment encore les actions et les réactions des instincts de ses membres, les besoins directs de chacun et de tous, de leur personnalité, de leur rapports réciproques.[…] Les mots, les saluts, les présents solennellement échangés et reçus, et rendus obligatoirement sous peine de guerre, que sont-ils sinon des symboles ? Et que sont, sinon des symboles, les croyances qui entraînent la foi, qui inspirent et les confusions de certaines choses entre elles et les interdits qui séparent les choses les unes des autres ? », ibid., p.300.

[24]             Souligné par nous.

[25]             M. Mauss, « Place de la sociologie dans l’anthropologie », SA, p. 286.

[26]             W. H. Goldie, Maori Medical Lore, Aukland, 1904, pour la rédaction de cet ouvrage, le Docteur fut aidé par l’un des meilleurs ethnographes, M. Elsdon Best, dont les travaux constituent une source déterminante de l’Essai sur le don.

[27]             W. H. Goldie, op. cit, p. 77, cité par Mauss.

[28]             Paralysé.

[29]             W. H. Goldie, op. cit, pp. 79-81, cité par M. Mauss, « Effet physique de l’idée de mort … », in SA, p. 328.

[30]             Ibid.

[31]             M. Mauss, « Effet physique de l’idée de mort … », in SA, p. 329.

[32]             M. Mauss, « Effet physique chez l’individu de l’idée de mort … », in SA, p.314.

[33]             Les travaux de Mauss sur les sociétés eskimos « Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos, Etude de morphologie sociale », in SA, pp. 389-470.

[34]             Voir à ce sujet les travaux de Marcel Czermak, Stéphanie Hergott et Jean-Jacques Tyszler, notamment « Remarques sur la déspécification fonctionnelle dans son rapport à la pulsion », in Disparité clinique de l’oralité, Le trimestre Psychanalytique3/4, 1997.

[35]             La citation exacte utilise le pluriel : « Cet état coïncide généralement avec une rupture de communion, soit par magie, soit par péché, avec les puissances et choses sacrées (souligné par nous) dont la présence, normalement soutient. », Mauss, op. cit. p.314.  Nous verrons plus avant que ce pluriel n’est pas anodin.

[36]             C. Melman, « Le nœud phobique », in Le Trimestre psychanalytique, Troisième trimestre 1989,  pp. 137-144.

[37]             C. Melman, op. cit., p. 139.

[38]             M. Mauss, « Services à rendre par la sociologie à la psychologie », in SA, p. 300.

[39]             A propos des autopsies vernaculaires on se reportera à M. Salpeteur et J.-P. Warnier , Looking for the truth through vernacular autopsy in Cameroon, Communication présentée au colloque CAS@50, Edinburgh, juin 2012, à paraître dans Critical African Studies, numéro spécial (oct. 2013), ‘The Vitality and Efficacy of Human Substances’, sous la direction de John Harries et Joost Fontein., J.-P. Warner Cameroon Grassfields Civilization, African Books Collective (3 juillet 2012), M. Salpeteur, Du palais à l’autopsie. Les doublures animales dans une chefferie bamiliéké (Cameroun), Thèse de doctorat en anthropologie, Paris ; Museum National d’Histoire Naturelle, 2009, D. Miaffo, Rôle social de l’autopsie publique traditionnelle chez les Bamiléké, mémoire de DES de » sociologie, Université de Yaoundé, 1977, P. Gebauer, Spider Divination in the Cameroons, Milwaukee Public Museum, 1964 ? La nouvelle recommandation d’autopsie psychologique en cas de suicide formulée par l’INSERM serait peut-être à interroger au regard de ces pratiques traditionnelles fondées sur une inflation de l’Imaginaire.

[40]             Dans les cas où par exemple la vessie ne peut être trouvée, cela indique que le mort a été vendu par l’un de ses parents en tant qu’esclave dans une plantation occulte et que ce parent touche directement sur son compte en banque le salaire de cet esclave. Afin de s’assurer que la vessie est bien là, le chirurgien traditionnel injecte de l’eau dans l’urètre, si la vessie est présente elle se gonfle, mais si la vessie a effectivement disparue l’eau se répand dans le bas ventre, M. Salpeteur et J.-P. Warnier, op. cit.

[41]             C. Melman, op. cit., p. 140.

[42]             S. Tornay, Voir et nommer les couleurs, Nanterre, Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie comparative, 1978.

[43]             L’introduction de l’ouvrage est parue dans la Revue de l’histoire des Religions, 1921.

[44]             Ibid.

[45]             M. Mauss, « Effet physique de l’idée de mort … », in SA, p. 319.

[46]            M. Mauss, op. cit. p. 324, W. Mariner et J. Martin An Account of the natives of the Tonga islands, in the south pacific ocean, London, 1817.

[47]             M. Mauss, « Effet physique de l’idée de mort … », in SA, p 325.

[48]             On peut mettre en relation les propos de Shand avec les travaux de Nathan Wachtel, La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la conquête espagnole, Paris, Gallimard, 1971. La mort de l’Inca, représentant du Soleil sur terre, véritable lien entre les hommes et les dieux, entraîna une destruction de l’ordre symbolique hénothéiste et néanmoins largement animiste sur lequel était construit l’Empire. La disparition d’Atahuellpa se traduisit par ce que Wachtel nomme « le traumatisme de la conquête ». Comme il le montre très bien, cela ne manqua pas d’avoir des effets sur l’économie pulsionnelle des Incas. Au point, qu’il attribue la forte baisse de la population indienne, non pas tant aux massacres perpétrés par les Espagnols, ni aux épidémies, ni aux travaux forcés, mais bien plutôt à ces désordres pulsionnels, notamment ceux de la fonction de reproduction, les hommes n’avait plus d’érection et les femmes étaient sans ovulation et aménorrhéiques.

[49]             Shand, Morioris, J. P. S., III, p. 79, cité par M. Mauss, ibid. p. 328.

[50]             M. Elsdon Best, Maori Magic, Transact. N.-Zeal. Inst., XXXIV, p. 81, sur le whakahehe, Mauss cite également, V. Shortlland, Traditions, p. 20, cité par Mauss, op. cit. 325.

[51]             M. Mauss, ibid. p. 325.