N.Bon : L'hypnose ? L'École de Nancy

Conférencier: 

EPhEP, le15 novembre 2014

Je suis  Norbert Bon, je viens de Nancy pour vous parler de Freud et de l’Ecole de Nancy autour des questions d’hystérie et de suggestion.

Je vous ramène au début des années 1880. Freud dans ces années-là - il va avoir sa thèse en 81, il n’est pas encore médecin - travaille même s’il n’en avait pas vraiment l’intention, il était plutôt chercheur. Il va se décider à devenir médecin praticien pour des raisons financières, il faut vivre, vous trouvez cela souvent chez Freud. Dans les lieux de stage où il se spécialise, dans l’étude des maladies nerveuses, après avoir quitté le laboratoire du professeur Brücke où il faisait des études de neurologie, la découverte sur les testicules d’anguille que tout le monde cherchait partout… On oublie cela, ainsi que la découverte des neurones et des synapses. Comme tous les médecins de cette époque, les troubles nerveux il les traite essentiellement par l’électrothérapie, à quoi on adjoignait des bains, des massages. Il va commencer à trouver ces méthodes limitées et d’une efficacité discutable, il va se tourner vers Charcot qui utilise la méthode hypnotique à la Salpêtrière, à Paris. 

Cette méthode est encore considérée dans les milieux viennois comme une supercherie qui reste liée à l’occultisme, au magnétisme, au baquet de Mesmer etc. Un moyen d’assujettir l’autre, de l’amener à commettre sous hypnose toutes sortes de choses, des vols, des crimes, des orgies  que sa morale réprouverait. A l’époque il y a beaucoup de discussions autour de cela. Peut-on faire faire à quelqu’un n’importe quoi sous hypnose ?

Charcot, lui, entend faire rentrer l’hypnose dans le champ de la science, comme l’hystérie d’ailleurs. Les hystériques sont encore considérées comme des simulatrices, après avoir longtemps considérées comme des possédées du démon et à ce moment-là c’était l’Eglise qui les traitait. Quelquefois elles y laissaient leur corps pour sauver leur âme après avoir abjuré. Pour Charcot, l’hystérie  est une maladie qui résulte d’une lésion qu’on finira bien par trouver et en attendant on peut observer, relever, classer, expérimenter les phénomènes de façon scientifique. Souvent avec la photographie, il y a un livre de Georges Didi Huberman (invention de l’hystérie, éditions Macula), on voit les milliers de photos qui ont été prises d’hystériques dans toutes les positions, avec même le projet pour certains de photographier « l’Aura » des hystériques. Quelqu’un a cru l’avoir photographié, en fait il s’agissait d’un artéfact lié au développement. Il y aurait des réflexions à mener à propos de l’imagerie médicale aujourd’hui, à l’époque on pensait qu’on pourrait saisir la réalité de l’hystérie.

En octobre 85 Freud se rend à Paris pour un stage de six mois à la Salpêtrière et là il va voir le grand Charcot produire ses démonstrations, les manifestations comme les stigmates, les contractures, les anesthésies sensitives, la grande crise convulsive ou les faire disparaitre à souhait afin de les organiser dans une nosographie systématique. De retour à Vienne en 86 Freud s’installe comme médecin au 7 Rathhausstrasse, il n’est pas encore 19 Berggasse. Avec l’aide de son ami Breuer qui est médecin réputé, un peu plus âgé, qui l’a déjà aidé pendant ses études financièrement il va se constituer une clientèle.

 A cette époque-là Freud pratique en utilisant essentiellement la suggestion hypnotique mais il va trouver que les résultats thérapeutiques ne sont pas satisfaisants, par rapport aux démonstrations brillantes de Charcot. Il va attribuer cela à ses compétences insuffisantes en la matière. Il va alors se tourner vers l’Ecole de Nancy. Freud dit « À Paris j’avais vu qu’on se servait sans aucune réserve de l’hypnose comme d’une méthode propre à créer et à supprimer ensuite des symptômes chez les malades. Puis nous parvint la nouvelle qu’avait été créé à Nancy une école qui utilisait à des fins thérapeutiques la suggestion, avec ou sans hypnose, et ce à une grande échelle et avec un succès particulier. »

On est là à la fin des années 80, cette école de Nancy commence à rivaliser avec celle de la Salpêtrière, dans ce mouvement qui entend faire rentrer l’hypnose dans le champ de la science, avec une différence de taille c’est qu’à Nancy la visée est thérapeutique. La visée de Charcot était une visée de connaissance, de nosographie. A Nancy c’est une visée thérapeutique, ça n’est pas encore la psychothérapie c’est plutôt ce que Freud appelle le traitement psychique. On attribue ce terme de psychothérapie à Bernheim, un des maitres de Nancy.

Le traitement psychique, c’est un article de Freud paru en 1890 dans un ouvrage de médecine populaire et qui a probablement été écrit autour de son passage à Nancy puisqu'il  y est venu en 89.

Cet article s’intitule Traitement psychique (traitement d’âme). Il ne s’agit pas de traiter le psychique mais de traiter par le psychique des troubles aussi bien somatiques que psychologiques. Dans ce texte Freud repère déjà ce qu’il appelle « l’attente croyante ». Il dit que « c’est l’attente croyante du patient qui met celui-ci dans une position d’obéissance crédule ». Il compare à celle de l’enfant avec ses parents ainés, (disant) que c’est cette attente croyante qui permet la guérison. Il ajoute que c’est cette attente croyante que les guérisseurs en tous genres utilisent, exploitent mais que c’est la même force qui soutient les efforts du médecin dont l’outil, pour obtenir l’état psychique favorable à la guérison, est la magie des mots. Il y a déjà là, avec cette attente croyante, la notion de transfert qui est en gestation et aussi, avec cette magie des mots, la notion d’une effectivité de la parole.

Freud quitte Vienne en juillet 89 et il vient s’instruire auprès des maitres Nancéens. Freud écrit « dans l’intention de parfaire ma technique hypnotique, je partis l’été de 1889 pour Nancy où je passais plusieurs semaines. Je vis le vieux et touchant Liébault à l’œuvre auprès de femmes et enfants prolétaires, je fus témoin des étonnantes expériences de Bernheim sur les malades de l’hôpital et c’est là que je reçus les plus fortes impressions relatives à la possibilité de puissants processus psychiques demeurés cependant cachés à la conscience des hommes. Afin de m’instruire j’avais amené une de mes patientes à me suivre à Nancy. C’était une hystérique fort distinguée, génialement douée, qui m’avait été abandonnée parce qu’on ne savait qu’en faire. »

Alors en effet il va rencontrer Liébeault qui lui pratique ce qu’il appelle « la thérapeutique suggestive » et c’est lui qui a inspiré Bernheim, plus jeune. Liebeault traite ses patients au moyen de l’hypnose, en posant que, au principe de l’hypnose il n’y a pas le magnétisme animal mais une force rationnelle, dont on espère que la science établira la réalité physique.

Je cite Bernheim : « C’est à Mr Liébeault, docteur en médecine à Nancy, que je dois la connaissance de la méthode que j’emploie, pour provoquer le sommeil et obtenir certains effets thérapeutiques incontestables. Depuis plus de 25 ans ce confrère, bravant le ridicule, le discrédit attaché à ce qu’on appelle le magnétisme animal, poursuit ses recherches et se voue avec désintéressement au traitement des maladies par le sommeil. » Il œuvre dans ce qu’il appelle sa polyclinique, que vous pouvez toujours voir à Nancy, un pavillon pas loin de la voie ferrée, il y avait aussi des poules et des lapins dans son jardin. Celui qu’on appelait le « digne Auguste » pour ceux qui le respectaient, les autres l’appelaient le médicastre de Nancy, les mauvaises langues. Il a laissé son titre de « médecin » pour celui de « charlatan » qui n’avait pas à l’époque la même connotation qu’aujourd’hui et il reçoit,  parfois gratuitement, toutes sortes d’éclopés, des paysans, des pauvres diables, des laissés pour compte de la médecine officielle. Freud raconte qu’il l’a un jour entendu s’exclamer « Ah si nous avions la possibilité de rendre tout le monde somnambule, la thérapeutique hypnotique deviendrait la plus puissante de toute » et il ajoute qu’à la clinique de Bernheim il exista bien un art pareil et que Bernheim put l’enseigner.

Le professeur Bernheim est titulaire de la chaire de clinique de la faculté de Nancy, il est le patron de la clinique médicale, qui se trouve dans le tout nouvel hôpital, qu’on appelle aujourd’hui le vieil hôpital depuis que le CHU s’est exporté à la périphérie. Il est beaucoup mieux placé que Liébeault, cet original, pour faire rentrer dans le savoir médical une pratique qui sent encore le soufre. Ce qu’il fera avec un certain succès, à l’occasion du premier Congrès International d’hypnotisme à Paris où il se rendra avec Liébeault et Freud en 89. Pourtant ce qui importe pour Bernheim ça n’est pas la profondeur du sommeil hypnotique, c’est la sensibilité à la suggestion qu’il pratique lui sur un mode autoritaire, déterminée. Tout est dans la suggestion a-t-il l’habitude de marteler à ses interlocuteurs, même si plus tard il dira qu’on lui a fait dire cela, pourtant cela figure dans sa communication qu’il fera au congrès. La cause du symptôme, sa fonction ne l’intéresse pas, seule compte pour lui la suggestion thérapeutique ou encore ce qu’il appelle la psychothérapeutique suggestive. Il s’agit donc de faire pénétrer dans le cerveau, hypnotisé ou pas, l’idée de la guérison ou la disparition du symptôme. L’hystérique que Freud a amené avec lui s’est montré réfractaire à cette pénétration. Le maitre n’a pas réussi mieux que Freud à qui cette patiente donne du fil à retordre.

Cette patiente s’appelle Anna Von Lieben, Freud l’évoque à plusieurs reprises, qu’il désigne dans ses lettres comme son professeur et elle est sa principale cliente car elle l’occupe une bonne partie de son temps, il la visite plusieurs fois par jour, chez elle, elle le convoque. Cette patiente c’est la « Cécily » qui apparait en notes dans les études sur l’hystérie. Il la traite pour toutes sortes de troubles, des troubles oculaires, des crampes, des névralgies faciales, des rhumatismes, des hallucinations et cela avec des massages, des bains chauds, des médicaments et un traitement hypnotique. Elle va lui apprendre que là où le corps souffre, il parle, elle a toutes sortes d’expressions comme « un coup au cœur » « ça a été comme une gifle », des expressions métaphoriques autour du corps.

 

Même si elle lui apprend beaucoup de choses elle est résistante au traitement. Elle est assez étonnante, elle écrivait des poèmes, notamment un recueil de poèmes qui s’appelait traumdeutung soit interprétation des rêves avant Freud. C’est une baronne, très riche.

Elle est résistante et Freud attribue cela à son ignorance. « Dans mon ignorance d’alors j’attribuais le fait qu’elle rechutait chaque fois au bout d’un certain temps à ce que son hypnose n’avait jamais atteint le degré de somnambulisme avec amnésie. Alors Bernheim s’y essaya à plusieurs reprises mais sans plus de résultats que moi. Il m’avoua avec franchise qu’il n’arrivait à ses grands succès thérapeutiques par la suggestion que dans sa pratique hospitalière mais pas avec ses patients privés ».

Les écrits de Freud à cette époque sont peu nombreux, 90 sur le « traitement psychique », mais ils  permettent  de penser que, à ce moment-là, est en train de s’opérer pour lui ce renversement  de perspective qui va le conduire de l’hypnose et de la suggestion, à la cure de paroles de Breuer, puis à l’association libre et à la découverte de la psychanalyse.

Déjà dans Traitement psychique il énonce un certain nombre de réserves quant à la thérapeutique hypnotique. Il dit que si 80% des gens sont hypnotisables les hypnoses profondes sont bien plus rares et notamment chez les malades nerveux. Et même dans ce cas le pouvoir de la suggestion est limité, « l’hypnotisé consent à de petits sacrifices mais refuse d’en faire des grands. Une seule hypnose de ce fait ne peut rien contre des troubles sérieux d’origine psychique. De plus la suggestion provoque certes la suppression des symptômes des phénomènes morbides mais seulement pour une courte durée. Les troubles tendent à réapparaitre avec le temps et alors il faut renouveler le traitement, cela épuise généralement la patience et du malade et du médecin », il termine ce texte sur « la conviction qu’une étude plus approfondie sur les processus de la vie psychique mettra entre les mains des médecins des armes encore plus puissantes pour combattre la maladie ».

Les études sur l’hystérie sont parues en 1895 mais visiblement elles portent sur des patientes suivies au cours des années 89. On voit dans ces études un certain nombre de notations qui laissent apparaitre cette évolution théorique de Freud  dans sa confrontation à la clinique. Ce constat que les troubles réapparaissent ou se déplacent, que les symptômes principaux résistent, que la suggestion est plus efficace si on a laissé la patiente parler autour, cela va s’élargir, au début on la fait parler sur son symptôme, après on la laisse parler autour, puis progressivement on en arrivera à la formulation de la règle fondamentale c’est-à-dire « dites ce qui vous passe par la tête », Freud dira « je laisse le patient choisir le sujet de la séance ».

On va en arriver à cette idée que le symptôme parle, et c’est précisément ce que demandent les hystériques qu’on les laisse parler et non pas qu’on les fasse taire. La suggestion à l’époque c’est « Vous n’avez plus mal à la tête », d’ailleurs il y a une patiente à qui Freud suggère qu’elle n’a plus mal à la tête, à la séance suivante elle dira « je n’ai plus mal à la tête mais j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose à la tête ». Une ablation par la suggestion !

Freud ne va pas renoncer à l’hypnose mais il va s’en servir d’une autre manière. Il écrit « Je me servais d’elle pour explorer chez le patient l’histoire de la genèse de son symptôme que souvent, à l’état de veille, il ne pouvait pas communiquer du tout ou seulement de manière très imparfaite. Non seulement  ce procédé paraissait plus efficace que la simple injonction ou interdiction suggestive, il satisfaisait  aussi le désir du médecin qui avait tout de même le droit d’apprendre quelque chose de l’origine du phénomène qu’il s’efforçait de supprimer par la monotone procédure suggestive. » 

C’est là le désir de savoir de Freud, sur lequel il va falloir qu’il travaille un peu pour arriver à la psychanalyse. Mais déjà avant sa visite à Nancy, Freud n’adhère pas « au tout est dans la suggestion » de Bernheim et il a la conviction que les faits observés par Charcot sont des faits hétéroclites que Charcot rassemble abusivement sous l’entité hystérie et qui, pour Bernheim, relèveraient purement de la suggestion. Quand Bernheim énonce cela, Freud écrit « je crois donc que l’attaque de grande hystérie que la Salpêtrière donne comme classique, se déroulant en phases nettes et précises comme un chapelet hystérique  est une hystérie de culture ». Pour Bernheim, vous avez vu ce tableau de Charcot à la Salpêtrière, avec cette hystérique qui est pâmée devant tout cet auditoire, tout cela est produit par la suggestion elle-même. C’est un peu aussi la thèse de Didi Huberman dans ce livre avec les photos d’hystériques, l’hystérique étant très malléable, impressionnable, se prête à cette époque-là à ce procédé. La photographie donne à voir. Pourtant pour Freud cela n’empêche pas qu’il y ait une structure, ça n’est pas seulement produit à la demande. Il exprime son désaccord avec Bernheim dans sa préface à l’édition allemande d’un ouvrage de Bernheim La suggestion et son utilisation dans le traitement, il a traduit plusieurs ouvrages de Bernheim, Freud écrit « Mais l’essentiel de la symptomatologie hystérique échappe au soupçon de procédé de la suggestion du médecin. Les comptes rendus provenant d’époques antérieures et de pays lointains recueillis par Charcot et ses élèves ne laissent aucun doute sur le fait que les particularités des attaques hystériques, les zones érogènes, les anesthésies, les paralysies et les contractures se sont partout et toujours manifestées comme à la Salpêtrière au temps où Charcot se livrait à ses inoubliables recherches sur la grande névrose »  Ces citations sont extraites de Ma vie et la psychanalyse.

On a fait un travail avec quelques collègues sur ce passage de Freud à Nancy. On aurait aimé que pendant son séjour Freud oppose son « attente croyante » qui va mettre au travail le « bon vouloir du patient », à la tyrannie de la suggestion de Bernheim qui met tout le pouvoir du côté du médecin.

Il le fera plus tard notamment dans Psychologie collective et analyse du moi où il écrit que s’il reconnait les tours de force extraordinaires qu’il a pu voir chez Bernheim il a éprouvé une sourde révolte contre cette tyrannie de la suggestion. Lorsqu’à un malade récalcitrant on criait « Que faites-vous, vous vous contre suggestionnez, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’on se livrait sur lui à une injustice et à une violence. L’homme avait parfaitement le droit de se contre suggestionner quand on voulait le soumettre par la suggestion ».

On ne sait pas ce que Bernheim a pu penser de ce séjour de Freud. La seule information qu’on ait figure dans une lettre datée du 30 juillet 89 écrite à Forelles, Directeur de l’hôpital de Zurich qui avait recommandé Freud à Bernheim « Le Dr Freud est actuellement à Nancy, il ira au Congrès, c’est un charmant garçon ».

A l’issue de son séjour Freud part à Paris pour le Congrès en compagnie de Bernheim et de Liébeault. Il y a deux congrès en même temps en 89, un sur l’Hypnotisme, un de psychologie physiologique. La communication de Bernheim reçoit un certain succès, mais « le charmant garçon » n’est déjà plus dans le train de l’hypnotisme qu’en touriste. D’ailleurs il va partir avant la fin du congrès et à son retour à Vienne il va se consacrer exclusivement à la méthode de Breuer, c’est-à-dire la cure de paroles « talking cure ». Breuer ne pratiquait pas l’hypnose, il s’agissait de ramener les choses dans la parole, avec l’idée de revivre des émotions et que ça produise une catharsis. Freud écrit « Je ne fis d’ailleurs plus rien d’autre, surtout après que la visite chez Bernheim en 1889 m’eut montré la limite de l’efficacité de la suggestion hypnotique ». Dans L’introduction à la psychanalyse, il va énoncer très clairement la délimitation qu’il fait entre hypnose et psychanalyse « J’ai pendant des années  appliqué le traitement hypnotique associé d’abord à la suggestion de défenses et à l’exploration du patient selon la méthode de Breuer. J’ai donc une expérience suffisante pour parler des effets du traitement suggestif ou hypnotique. La thérapeutique hypnotique cherche à masquer et à recouvrir quelque chose dans la vie psychique, la thérapeutique psychanalytique cherche au contraire à le mettre à nu et à l’écarter. La première agit comme procédé cosmétique la dernière comme procédé chirurgical. » Il y a là un rapport à la castration qui n’est pas le même.

Freud n’est pas manichéiste, il ne pense pas qu’il y a les bons d’un côté et les mauvais de l’autre.

Il sait bien que cette ligne de partage entre psychanalyse et suggestion n’est pas si évidente que ça, elle n’est pas établie une fois pour toutes et on retrouve la question sur le terrain même de l’analyse.

Il écrit « nous devons nous rendre compte que si nous avons dans notre technique abandonné l’hypnose, ce fut pour découvrir à nouveau la suggestion sous la forme du transfert. » D’où les élaborations ultérieures qui vont être faites par Freud sur la question du transfert, l’amour de transfert, la résistance etc., par ses successeurs, par Lacan notamment qui a fait tout un séminaire sur le transfert, mais qui est à faire quotidiennement par chaque analyste dans la cure pour à la fois laisser agir ce transfert, car, comme il apparaitra à Freud, c’est le moteur de l’analyse. Pas de transfert, pas d’analyse. Donc le laisser agir mais sans retomber dans la suggestion et l’assujettissement de l’analysé, c’est-à-dire lui permettre de se défaire de ce transfert et de l’ascendant de l’analyste. Quand on lit le souci de Freud  qui ne le quittera pas tout au long de son œuvre - contrairement à ce qu’on peut entendre aujourd’hui sur ce qui aurait été le dogmatisme de Freud, alors qu’il questionne et requestionne sa pratique et sa théorie - on ne peut que se désoler et s’inquiéter de voir aujourd’hui se répandre et revenir avec des arguments pragmatiques à des méthodes cosmétiques fondées sur la suggestion, sous forme de procédés, de procédures qui seraient à appliquer sans se poser de question et qui visent à faire taire le plus rapidement possible et au moindre coût le symptôme. Il est tristement remarquable que cette figure - je cite Pierre Henri Castel - , du psychisme subjectif que les cliniciens de la fin du 19ième siècle voyaient émerger sous leurs yeux, ce sujet riche de la psychopathologie doté d’une intentionnalité complexe et dont Freud montrera qu’il se définit moins par ses contenus cognitifs que par ses désirs… Je suis attristé en ce début de 21ième siècle car ce sujet on est en train de le ré-endormir. Dans le même temps, quelqu’un posait la question quand j’arrivais tout à l’heure… Dans de nombreuses institutions de soins les temps et les lieux pour parler disparaissent. C’est du temps perdu ou alors du débriefing, tandis que nos disciplines sont insidieusement  infiltrées par des énoncés et des notions issus d’un discours bureaucratique, d’une logique gestionnaire, voire mercantile, qui visent à faire taire ceux qui persistent à vouloir laisser la parole aux patients.

 

Temps d’échanges avec la salle

Salle : Que reste-t-il aujourd’hui de l’école de Nancy, à Nancy, quels liens y a-t-il avec les autres formes d’hypnose dont on entend parler, l’hypnose d’origine américaine, eriksonienne ?

Mr Bon : Il reste de l’Ecole de Nancy, parce que ça n’était pas que de la psychiatrie, il reste des édifices, de l’art nouveau et il reste l’Ecole de Nancy pour la psychanalyse que j’ai créée avec quelques collègues il y a une quinzaine d’années. On a gardé ce signifiant « Ecole de Nancy » qui est donc une école régionale de l’Association Lacanienne Internationale. Sur le plan de l’hypnose il y a quelques praticiens mais avec lesquels je n’ai pas de relations. Quand on a créé cette école de psychanalyse on a jugé intéressant de garder ce signifiant et cette prise dans l’histoire, ce passage de Freud durant 3 semaines, où il a logé, mangé. D’ailleurs il y a quelques lettres à Martha où il parle essentiellement de ce qu’il mange, sa visite des trois évêchés. On a assez peu de choses, mais on a écrit un livre qui est resté inédit sur ce passage.

Salle : Qui est ce explique selon vous ce retour, vous avez fait un parallèle entre l’imagerie médicale et les photographes qui essaient de voir l’aura des hystériques, d’autre part dans les méthodes aujourd’hui pourquoi revient-on à cette idée de faire taire le symptôme et de faire taire le patient ?

Mr Bon : Ça n’est pas nouveau, déjà dans certains textes de Freud il rapporte régulièrement que tel ou tel lui dit qu’on pourrait trouver peut être le moyen de raccourcir les analyses, de trouver des méthodes plus rapides, moins couteuses. Il a eu de son vivant avec certains de ses élèves, de ses proches à se bagarrer pour maintenir ce travail d’analyse. Avec cette idée que c’est forcément un travail long car il faut permettre toute une élaboration, que les résistances soient surmontées. Sinon, Freud fait le constat que le traitement hypnotique court-circuite les résistances, on peut aller plus vite mais ça ne tient pas. C’est ça la position Freudienne, ça nous revient par les Anglo-saxons, il faut que cela soit pragmatique, efficace, avec des effets rapides, arguments qui restent à démontrer. Je me souviens en avoir parlé avec des collègues qui font de l’EMDR, cela pose question sur l’étayage de ces pratiques. Il s’agit de reprogrammer par certains mouvements des yeux des éléments neurologiques. J’ai eu l’occasion de discuter avec des neurologues là-dessus, c’est évident que ça ne tient pas. C’est étonnant parce qu’il y a un engouement chez les psychologues ou chez les psychiatres sur ces méthodes. Quand on questionne les collègues sur comment ils soutiennent théoriquement des pratiques comme ça, ils répondent qu’ils ne savent pas mais ils disent que cela marche. Ils invoquent souvent qu’on a découvert la pénicilline un peu par hasard et on s’est aperçu que ça avait des vertus thérapeutiques. Manifestement il y a un effet de suggestion, il y a un programme, vous écoutez la personne, vous voyez son affaire et vous le faites revenir six mois après, ça n’est pas très rentable dans les premiers temps, pour voir où cela en est. Il y a donc un travail comme cela qui agit par suggestion. L’air du temps est à cela, vous n’entendez parler que de performance, de pragmatisme, d’efficacité et quand les psychologues dans les institutions posent des questions on leur dit qu’ils ne sont pas là pour ça mais pour apporter des réponses. On est là pour répondre : un problème, une question une réponse, une maladie, un médicament et si cela ne marche pas c’est que le patient est réfractaire. On a remis tout du côté du savoir médical qui s’est combiné à un discours managérial, mercantile. J’ai écrit un papier sur les annuaires, il y a des choses extraordinaires sur les annuaires : j’ai reçu récemment plusieurs jeunes filles qui m’ont téléphoné en me disant voilà «  Je viens vous voir parce que je suis borderline » « Oui, dites-moi, expliquez-moi » « Bah je suis borderline, vous ne savez pas ce que c’est un borderline, vous êtes spécialiste des borderline ». Je suis allé voir sur ces annuaires internet et j’ai vu que je suis spécialiste des borderline. Il y a un certain nombre d’annuaires qui se constitue comme ça avec des mots clés qui sont affectés à des praticiens de façon aléatoire et vous avez des gens qui vont sur internet et qui recherchent  des médecins en fonction d’un autodiagnostic. Si vous tapez sur internet « Etes-vous borderline ? »  Vous trouvez 232 000 entrées et là vous avez tout, des articles scientifiques, des questionnaires pour savoir si vous l’êtes, ensuite vous allez voir un spécialiste des borderline qui doit avoir une réponse précise.

Salle : Ça s’installe dans l’esprit du patient qui attend une réponse, car il faut reconnaitre que l’analyse c’est long et difficile. Il faut le reconnaitre, il y a une difficulté à endosser son symptôme longtemps jusqu’à ce que l’on puisse débrouiller la situation. J’ai tendance à penser que pour le patient c’est légitime de vouloir que ça aille plus vite afin de moins souffrir.

Mr Bon : Bien sûr c’est légitime mais je ne sais pas faire plus vite. Quand j’ai commencé à travailler, le premier enfant que j’ai reçu je l’ai soigné en une séance, il était énurétique. Evidemment c’était une erreur thérapeutique, c’est-à-dire que le petit garçon, face à ma précipitation, a remballé son symptôme et puis les parents m’ont téléphoné pour me dire qu’il ne faisait plus pipi au lit. Evidemment ça s’est déplacé ailleurs, je ne l’ai pas revu mais c’est-à-dire que la fonction de ce symptôme, dans son histoire, son rapport aux parents, a été chuinté, j’ai fait taire le symptôme. Ce qu’il essayait de dire à travers cela je n’en sais rien. J’espère qu’il a rencontré quelqu’un d’autre de plus expérimenté que moi parce que évidemment le conflit en jeu était toujours là. Les patients qui viennent nous voir sont partagés entre s’engager dans un travail ou au contraire qu’on boucle tout cela et que cela leur fiche la paix. On sait bien que ça revient sur un mode ou un autre. L’homme aux rats quand il va trouver Freud vient avec ses embarras, ses obsessions, il dit que la seule chose qui l’a soulagé est une cure thermale pendant l’été, en fait ça n’est pas la cure mais la rencontre avec une dame avec laquelle il a pu avoir des relations sexuelles. Freud lui demande pourquoi il met en avant ces questions et l’homme lui raconte qu’il a lu un de ses livres Psychopathologie de la vie quotidienne où il a trouvé des élucubrations qui ressemblent aux miennes. Après coup il dira à Freud qu’il était venu lui demander un certificat comme quoi (histoire de la dette d’argent) celui à qui il demandait de servir de tiers dans cette histoire devait se soumettre au scénario de l’homme aux rats pour lui permettre de guérir. Comme Freud n’a pas pris les choses de ce côté-là ça a pu tourner autrement. L’homme aux rats dira aussi qu’à chaque fois qu’il butait sur une difficulté il était tenté de lui demander le certificat, ce qu’il n’a jamais fait. Les gens qui viennent nous voir viennent à la fois pour que ça change et que ça ne change pas, ils viennent dans une répétition aussi.

Donc selon la manière dont le thérapeute va prendre les choses soit les gens vont se mettre au travail, s’interroger sur leurs symptôme, ça va mobiliser leur intérêt, leur libido pendant un certain temps, ça va leur prendre du temps, de l’argent, soit au contraire ils peuvent se saisir de l’opportunité de boucler les choses rapidement.

Salle : Si j’ai bien compris vous êtes psychanalyste, vous ne pratiquez pas l’hypnose ?

Mr Bon : Je suis psychanalyste. J’ai reçu une formation mais je n’ai pas pratiqué, je ne me sentais pas de dire « Vous allez dormir », je ne suis pas très autoritaire.

Salle : Je vais revenir sur la première question qui vous a été posée qui me semble-t-il n’a pas eu sa réponse, sur le lien à faire entre l’hypnose de Nancy et l’hypnose ericksonienne. Pouvez me dire s’il y a une différence.

Mr Bon : Cela je ne sais pas

 

Retranscription faite sous la responsabilité des étudiants de l’EPHEP

Retranscription faite par Sylvie CARRÉ

Relue par Thomas BOUVATIERÉ