Marika Bergès-Bounes : Historique de la psychanalyse d’enfant et fondamentaux (demande, transfert, corps)

Conférencier: 

EPhEP, MTh1-ES1, le 17/09/2018

Je vais vous parler de l’histoire de la psychanalyse de l’enfant – à grands traits – et ensuite de ce qui est le plus important quand on fait de la psychanalyse d’enfants : la demande, le transfert et le corps.

 
1 - La psychanalyse d’enfants est une science jeune : Freud ne s’est pas tellement intéressé aux enfants, à part le fameux petit Hans – qu’on va travailler d’ailleurs cette année à l’ALI – qu’il n’a vu qu’une fois ; en fait il suivait son père qui lui parlait de son fils phobique. La psychanalyse d’enfants est tout à fait jeune et ce sont les post-freudiens qui s’en sont occupés. À l’époque l’enfant n’était pas une personne à part entière comme maintenant, c’était une personne à dresser, ou bien un adulte en miniature, et c’est quand même Freud et la psychanalyse qui a fait de l’enfant une personne à part entière, douée de raisonnement et d’intelligence. C’est aussi la période où Jules Ferry, on l’oublie toujours, en 1882, a rendu l’école obligatoire, c’est-à-dire qu’en fait tous les enfants non seulement pouvaient savoir, mais étaient obligés de savoir. On sortait donc l’enfant de l’ignorance, car c’est aussi l’époque où les enfants allaient travailler très tôt, donc savaient un minimum de choses, pas forcément lire et écrire. C’est donc la période où on a considéré que l’enfant avait le droit de savoir, qu’il n’était pas un petit animal et qu’il n’avait pas à être dompté, mais qu’il était un sujet, on a fait l’hypothèse qu’il était déjà un sujet capable de penser, de parler, de comprendre. Actuellement, l’enfant a été placé au centre de la famille. C’est-à-dire que de ce quelque chose qui était complètement à l’extérieur, il est passé au centre de la famille, il porte sur les épaules les idéaux et les attentes des parents, et il est la courroie de transmission de l’héritage, c’est-à-dire qu’actuellement l’enfant a un statut tout à fait particulier : d’une part il a droit au bonheur, mais de plus en plus il doit être performant, c’est-à-dire bien travailler, montrer de quoi il est capable dans les évaluations. Donc à la fois il a un statut d’enfant auquel on donne à peu près tout ce qu’il a envie d’avoir, et en même temps finalement on le traite un peu comme un adulte, dans une société consumériste.

Freud, c’est quand même lui qui a introduit la psychanalyse, décrit l’enfant comme un «petit pervers polymorphe» et en même temps un «investigateur», c’est ce qu’il va dire de Hans, il va dire que Hans pose toutes les questions que la famille n’a pas envie d’entendre poser. Et notamment, dans la Vienne prude de la fin du XIXe siècle, le petit Hans pose la question « qu’est ce qui se passe entre un homme et une femme ? », « pourquoi je suis là ? Comment je suis arrivé là ? » Autrement dit, il manifeste une curiosité sexuelle qu’on peut voir chez beaucoup d’enfants, mais à l’époque tout cela était verrouillé, sous cloche. Et comme vous le savez, Freud a décrit le petit Hans non seulement comme l’investigateur, le petit curieux du côté de la sexualité, mais il s’est aussi intéressé aux femmes qu’il a appelées des «hystériques» dont il disait qu’elles disaient toutes qu’elles avaient été abusées par leur père, où plutôt que le père n’avait pas été tout à fait correct avec elles. Donc Freud a mis au milieu de la table la sexualité dont personne ne parlait à l’époque, aussi bien pour l’enfant, avec le petit Hans, que pour les femmes hystériques qui apportaient la sexualité en séance, si je puis dire. Comme vous le savez, il s’est aperçu que toutes ces dames se plaignaient beaucoup de leur père, mais en fait c’était leur désir, tous les pères viennois n’étaient pas incorrects. Donc quand il est allé aux États-Unis, il est arrivé en disant « je vous apporte la peste », et la peste c’était précisément cette sexualité au milieu de la vie de chacun de nous et très jeune, c’est-à-dire tout petit et tout de suite. Le petit Hans, il ne l’a vu qu’une fois, en cure il ne voyait que son père, et son père lui décrivait les phobies de son fils. Donc le petit Hans ne pouvait plus sortir parce qu’il avait peur des chevaux – à l’époque évidemment il y avait des chevaux dans Vienne – et le petit Hans a développé une phobie de l’espace et il ne pouvait plus sortir. Et Freud en effet s’est intéressé à cette phobie à travers ce que le père lui en racontait et surtout il a entendu que ce petit - le père arrivait avec des notes toutes les semaines à propos de son fils -, l’enfant se demandait, posait des questions sur son fait-pipi, sur comment les dames étaient faites, qu’est-ce qui se passait entre un homme et une femme, enfin tout ce que les enfants demandent souvent. Quand ils ont un petit frère ou une petite sœur évidemment leur question c’est « mais comment est-il arrivé là, celui-là ? Et moi comment est-ce que je suis arrivé là ? ». Donc, le savoir sexuel, la curiosité sexuelle a intéressé Freud, d’autant que le couple des parents du petit Hans «marchait sur trois pattes», c’est-à-dire que ce monsieur et cette dame ont divorcé par la suite, et il y avait une petite sœur qui intriguait beaucoup le petit Hans puisque, évidemment, elle n’était pas faite comme lui. Donc, très vite Freud a entendu la question de la différence des sexes, la question de la sexualité infantile et la question de la procréation : « d’où viennent les enfants, comment sont-ils faits ? ». Je dirais qu’il ne faut jamais l’oublier quand on fait de la psychanalyse d’enfant, et de toute façon, même si on l’oubliait, les enfants se chargent de venir nous en parler tout le temps : en vérité ils ont tout le temps ces questions en tête, soit qu’ils les posent, soit qu’ils les agissent dans des comportements que l’on va dire entre guillemets « pervers » ; mais ils ne sont pas pervers, ils ont des comportements chargés de sexualité parce qu’en réalité c’est ça qui les intéresse et c’est cela qu’ils viennent poser à l’adulte. Freud a guéri Hans, entre guillemet, « guérit », de sa phobie, ce petit bonhomme ensuite a pu circuler correctement et s’est développé tout à fait normalement, il est devenu chef d’orchestre, je crois d’ailleurs. Ce que l’on peut dire aussi c’est que les phobies infantiles, sont très fréquentes,  nous en avons tous eu : la phobie de l’eau, la phobie du noir, la phobie des araignées, il suffit d’écouter les enfants pour savoir : les enfants qui viennent la nuit dormir dans le lit des parents parce qu’ils ont vu des fantômes, des morts vivants, sont des phobies normales, normales parce qu’habituelles autour de quatre ans. Pour Hans c’était une vraie phobie parce qu’en effet il ne pouvait plus sortir, c’est-à-dire, c’était une phobie actée, il ne pouvait plus quitter la maison, ça devenait un symptôme, si je puis dire. Alors, pour en finir avec Hans, et avec Freud : Freud a décrit des stades dans cette sexualité infantile, en lien avec le corps de l’enfant et le corps de la mère. Le premier stade que Freud a décrit, c’est le stade oral : c’est-à-dire que le bébé, d’abord, découvre le monde – si je puis dire – avec sa bouche. En effet, le sein, le biberon, la totote, la nourriture, ... Donc le premier orifice érotique que le bébé va éprouver, avec lequel il va éprouver du plaisir, c’est la bouche, d’où le stade oral décrit par Freud. Ensuite, il a décrit le stade anal, je vous les dis les uns à la suite des autres, en vérité tous ces stades évidemment sont intriqués, pour la description, c’est plus pratique. Donc d’abord le stade oral, ensuite le stade anal, là c’est le plaisir que prennent les enfants avec tout ce qui est anal en effet, et que la mère la plupart du temps, les parents, mais c’est surtout la mère, lui demande assez vite de domestiquer, (pour rentrer à l’école, il faut que les enfants soient propres, propres ça veut dire qu’ils ne font pas pipi et caca n’importe où quand ils en ont envie), ça veut dire qu’on les a éduqués. Ensuite le stade phallique, ça, ça veut dire que l’enfant prend du plaisir avec son sexe, alors ça vous voyez beaucoup de petits garçons – les petites filles je trouve qu’elles sont plus discrètes en général – mais les petits garçons se masturbent très facilement, ils se tortillent d’un pied sur l’autre pendant qu’ils vous parlent, et puis tous les jeux entre les enfants à l’école, entre les cousins, à la maison les frères et sœurs, enfin bref tous ces jeux marquent à quel point l’enfant jouit de ses orifices – donc : la bouche, l’anus, le sexe – à quel point c’est normal aussi. Freud avait appelé l’enfant «le pervers polymorphe», mais en vérité c’était parce que c’était une description qui sortait un peu des sentiers battus. Mais en vérité tout cela est tout à fait normal, et heureusement que les enfants ont envie de connaître leur corps et ont envie de connaître le corps de l’autre, parce qu’évidemment la curiosité sexuelle c’est ce qui va être à la base du savoir, du savoir tout court. Les enfants qui ne vont pas passer par cette curiosité sexuelle vont avoir des ennuis à l’école, tout simplement, c’est-à-dire qu’ils ne vont pas vouloir savoir, comme si c’était dangereux. Lacan décrit trois passions, l’amour, la haine et l’ignorance. La passion de l’ignorance, chacun de nous la connaît, chacun de nous cultive des zones d’ombre et de silence, qui font précisément notre névrose. Tout ce que je vous décris des enfants, c’est plus que normal, c’est même obligatoire. Ensuite arrive une phase de latence, autour de 7 ans, les enfants habituellement se calment – si je puis dire – du côté de la sexualité, c’est le moment où ils font des apprentissages scolaires, et puis arrive l’adolescence et alors là tout est à reprendre, c’est-à-dire que là, la sexualité pulse dans le corps, le corps change, se sexualise – aussi bien pour le garçon que pour la fille – et donc reviennent tous les questionnements auxquels l’enfant s’était confrontés quand il était tout petit, et vous savez que de temps en temps ce peut être quelque chose de tout à fait explosif. La crise d’adolescence est normale, le docteur Male l’appelait « le pot au noir », cet endroit que les navigateurs redoutent parce qu’en effet il y a toujours des orages et des tempêtes, où ils risquent leur vie, c’est comme cela que Male appelait l’adolescence.

Pour nous en France, il y a eu l’explosion du corps (1968) et l’autorisation à la jouissance, pas de limites: «je fais ce que je veux de mon corps», «jouir sans contrainte», «sous les pavés, la plage», l’impossible en somme... sur les murs partout il y avait des choses d’écrites qui étaient du côté de la liberté sexuelle. En tout cas, c’est vrai qu’il y a eu cette explosion, en France, qui est venue donner raison à tout ce dont Freud avait déjà parlé. Ce savoir sexuel, il est à l’origine du savoir tout court, il faut avoir envie de savoir, il faut avoir envie de tout savoir pour apprendre à lire, pour apprendre à écrire, pour savoir comment les choses se passent dans la famille, comment les générations s’organisent. Tout ce savoir prend son origine dans le savoir sexuel, donc il vraiment important que les enfants passent par cette période où ils posent des questions.

 

Freud a décrit le mythe de l’œdipe. C’est un mythe, dont on peut voir les traces dans la clinique infantile. C’est autour de trois ans le moment où la petite fille voudrait bien vivre pour toujours avec son père et même l’épouser, si vous avez des enfants autour de vous, le moment où la petite fille dit que son amoureux c’est papa, et donc sa concurrente c’est maman, c’est mathématique. Et dans l’autre sens, pour le petit garçon, donc, l’amoureuse c’est maman, et donc, oui, la bête à abattre c’est papa. Ce mythe de l’œdipe, Freud l’a beaucoup utilisé, et notamment avec Hans justement puisque Hans voulait aller dormir dans le lit de sa mère, voulait aller voir ce qui se passait sous les jupes de sa mère. Ce mythe de l’œdipe, en ce moment, bien que dans la clinique on le rencontre, et on le rencontre très souvent, actuellement il est un peu décrié premièrement parce que la figure du père dans notre société, n’est plus ce qu’elle était. C’est-à-dire que le père – du temps de Freud – qui était en haut de la pyramide avec les enfants au dessous obligés de lui obéir, on le rencontre de moins en moins. Les familles sont souvent éclatées, le père n’a pas disparu, mais il a perdu beaucoup de son prestige et de sa puissance, souvent c’est la mère qui prend les affaires en mains. Donc on n’est plus devant ce dispositif pyramidal de la famille, mais on est dans un dispositif plus horizontal avec des tiers, des copains de la mère ou le nouveau mari de la mère, idem du côté du père. Donc ce mythe d’œdipe, est-ce qu’il «tient encore la route» ? C’est une question que les psychanalystes d’enfants posent sans arrêt. Je dirais que dans la clinique, on continue à voir des petites filles qui ont du mal à imaginer qu’elles vont vivre avec quelqu’un d’autre qu’avec leur père, et pareil pour le garçon. Mais en même temps je crois que ce mythe est en train de s’effilocher ou de s’émietter sous les coups de la nouvelle économie psychique, du nouveau social, et de la démocratie, où tout est censé être horizontal.

 

Qu’est devenue la psychanalyse d’enfants après Freud ? Je vais vous parler de trois élèves de Freud qui sont quand même incontournables.

 

Premièrement : Mélanie Klein, qui était une psychanalyste en Angleterre. Pour Mélanie Klein – qui a écrit un bouquin qui s’appelle « Envie et gratitude » – le corps de la mère, c’est tout à fait sexualisé, le corps de la mère contient toutes sortes d’objets, c’est-à-dire que la mère avale, ingère les seins, le caca, le pipi, les frères et sœurs, les enfants à venir, le sexe du père : l’intérieur du ventre de la mère est une caverne de trésors, sexuels – comme vous l’avez entendu –, que l’enfant veut incorporer. Donc, l’enfant veut – il a compris que le ventre de la mère est le lieu du trésor – et il veut rentrer dans le ventre de la mère, il veut l’envahir, il veut se faire dévorer et en même temps il veut voler à la mère tous ses trésors. La position de Mélanie Klein est assez originale, et elle avait mis l’accent – ce que Freud avait beaucoup moins fait – sur l’agressivité. C’est-à-dire que l’enfant prend du plaisir avec sa bouche, mais c’est surtout pour dévorer, mordre, pour attaquer. On le voit aussi dans les cours de récréation combien les enfants entre eux se mordent, se cognent. Donc elle a mis l’accent sur l’agressivité et sur le fait que finalement l’enfant est actif, il voudrait bien rentrer dans le corps de la mère. Il n’y a pas de père, le père a été avalé par la mère aussi, chez Mélanie Klein. Elle passait beaucoup par le jeu, dans des thérapies, les trains, les robinets, elle n’avait peur de rien et Lacan l’appelait « la géniale tripière » parce qu’en effet elle était capable de donner des interprétations que personne n’aurait osé donner du côté du sexuel.

 

À côté de cela, toujours à Londres, la fille de Freud, Anna Freud, s’est intéressée à la psychanalyse d’enfants mais pour elle l’enfant était un être à dompter, il fallait le borner, le canaliser, parce qu’il était capable de tout compte tenu de ce pulsionnel sexuel qui l’habitait. Donc Anna Freud a beaucoup été du côté de l’éducatif, dans la psychanalyse d’enfants, ce qui lui a beaucoup été reproché, mais en même temps le côté éducatif est toujours là souterrain dans la psychanalyse d’enfants, parce que les enfants tombent tout de suite sous le coup des lois : le langage, la «police du corps», aller à l’école, apprendre à lire, à écrire, et ils ne peuvent en effet pas faire tout ce qu’ils ont envie de faire.

 

Donc nous aussi psychanalystes d’enfants sommes obligés de tenir compte de l’éducatif de l’école, du temps de l’école, des exigences de l’école, d’autant plus en ce moment que l’enfant, de plus en plus, l’enfant moderne, si je puis dire, est un être qui a des troubles, et ces troubles se traduisent surtout à l’école, et ces troubles maintenant on a les moyens de les faire taire : soit avec des médicaments, alors là je fais référence aux enfants TDAH avec la Ritaline, soit avec des méthodes plus coercitives de rééducations. Il arrive sans cesse que pendant une thérapie, un enfant qui a du mal à lire et à écrire, soit repéré par la maîtresse – ça vient souvent de la maîtresse – qui dit « Celui-là, il a une maladie neurologique, il faut qu’il aille consulter, qu’il fasse un bilan neurologique », et il va consulter, et il ressort de là avec un médicament, c’est-à-dire qu’il ressort de là « malade ». C’était un petit bambin qui avait du mal à lire et à écrire et à la fin de la consultation neuropsychologique il est «handicapé» et «malade". On est dans une période, où les enfants sont des enfants normés, doivent être performants, l’inconscient n’existe plus. Oui, l’inconscient justement, je fais bien de prononcer ce mot parce que c’est quand même la première découverte de Freud, l’inconscient. Autrement dit on a tous en nous quelque chose qui nous mène, qui nous fait faire des choses qui nous étonnent, ou dont on n’avait pas l’impression qu’on avait envie de les faire. Actuellement, l’inconscient est en berne, la psychanalyse de l’enfant est actuellement très malmenée et par contre tout ce qui est neurosciences prend le pas. Vous commencer une thérapie avec un gamin, vous recevez le père, vous recevez la mère, tout le monde parle, se questionne et puis tout à coup on vous dit :  « ah ben non, on lui donne de la Ritaline », et la thérapie s’arrête, c’est-à-dire qu’en effet tout le travail qui avait été fait avec cet enfant et ses parents autour de qui il est, à l’intérieur de la famille, quelle place il a, qu’est-ce qu’il est pour ses parents, et cetera, tout ce travail est balayé en une après-midi et ce petit bonhomme – la plupart du temps ce sont des garçons d’ailleurs – est devenu handicapé, malade et il n’a plus rien à faire avec le langage, ce n’est plus la peine qu’il vienne parler, ce n’est plus la peine que la famille vienne parler. Donc, les psychanalystes d’enfants sont actuellement très soucieux et inquiets de la tournure que prennent les choses dans le social.

 

 

Il faut que je reprenne cette notion de Freud qui est en effet l’inconscient… c’est-à-dire que l’on peut voir des enfants qui n’arrivent pas à lire et à écrire, pas du tout parce qu’ils seraient intellectuellement incapables, mais parce qu’ils sont pris dans des histoires, soit dans des histoires de famille, soit dans des histoires d’identifications, parce qu’ils s’identifient à un père qui lui-même a été dyslexique, par exemple, et il intéressant de pouvoir en parler et il intéressant que la famille comprenne qu’ils n’ont pas affaire à un débile profond mais simplement à un enfant en difficulté. Or maintenant, ces enfants en difficulté, à partir du moment où ils passent dans la «moulinette» de la MDPH (Maison Départementale des personnes handicapées), c’est-à-dire des tests neuropsychologiques, ils cessent d’être des enfants en difficultés, ou des enfants pris dans les avatars de la vie, et ils deviennent des «malades», et on les médique et ils ne parlent plus, la parole s’arrête, les familles considèrent qu’elles n’ont plus besoin de comprendre qu’est-ce qui se passe avec ces enfants-là, la thérapie s’arrête.

Lacan, lui, n’a pas parlé de la psychanalyse d’enfants, sauf dans une lettre – qui est intéressante – à Jenny Aubry. Mais celle qui, du temps de Lacan, a pris en mains la psychanalyse d’enfants, elle tout le monde la connaît, c’est Dolto, Françoise Dolto dont on a beaucoup parlé je crois ces jours-ci. Elle faisait partie de l’École freudienne, avec Lacan, et elle a beaucoup fait connaître la psychanalyse d’enfants. Elle a montré que la psychanalyse concernait pour tout le monde, finalement tout le monde pouvait aller parler ; et elle a montré surtout que toutes les familles avaient des difficultés, que tout le monde se débattait dans des problèmes liés à son père, à sa mère, à la place qu’on occupe ou qu’on n’occupe pas dans telle ou telle famille. Elle a beaucoup amené la psychanalyse dans la société, une psychanalyste de «bon sens»,  elle était assez crue aussi, notamment avec les petits enfants «œdipiens» dont je vous parlais toute à l’heure, elle leur disait « Non, ce n’est pas du tout prévu que tu vives avec ton père, c’est complètement interdit ». De temps en temps elle a été critiquée parce qu’elle a été assez «cash», et elle disait « Ton père, c’est le patron, toi tu seras le patron plus tard, pour l’instant tu la boucles ». Elle avait aussi un langage de bon sens, mais aussi assez cru qui parlait à tout le monde.

 

Maud Mannoni, il faudrait en parler aussi. Elle s’est beaucoup intéressée à la psychose, aux enfants autistes, et avait ouvert un hôpital, qui continue d’ailleurs, qui s’appelle Bonneuil où étaient des enfants psychotiques et autistes en liberté, c’est-à-dire que l’on écoutait ce qu’ils avaient à dire, avec des mots et avec leur corps. Car, les enfants, ça parle avec des mots et avec leur corps, il vous suffit d’assister à des consultations d’enfants pour comprendre que les enfants mettent d’abord leur corps en avant. Un enfant, ça bouge, ça parle, ça mange, ils sont tout le temps en train de manger des bonbons... Tous les orifices, ils arrivent dans votre bureau, ils ont envie de faire pipi, naturellement, donc tous les orifices sont en éveil. En psychanalyse d’enfants, il faut savoir que l’enfant ne va pas s’asseoir sur une chaise et rester tranquillement à vous parler, non, il va circuler à travers la pièce, il va ouvrir les portes, il va manger, il va ouvrir les placards, faire avec son corps tout ce qu’il a envie de faire. Donc la psychanalyse d’enfants, c’est un peu spécial. L’enfant n’est pas allongé trois fois par semaine sur le divan, non, il circule, il crie, il fait des tas de choses.

 

Je vais peut-être arrêter avec l’histoire, mais il faut mentionner Winnicott ; lui, il était à Londres, c’était un pédopsychiatre initialement. Et il a apporté surtout la notion d’objet transitionnel, ce qui est devenu le doudou dont les enfants ont besoin pour dormir, pour aller à l’école, cet objet qui leur permet de lutter contre l’angoisse. Il a aussi introduit, entre autres, ce qu’il a appelé la capacité à être seul : il a beaucoup insisté sur la «folie de la mère», la folie de la mère quand elle accouche d’un enfant, elle est folle de cet enfant, elle ne pense qu’à lui, elle va regarder comment il dort, enfin il n’y a que lui qui compte. Et comment l’enfant, lui aussi, est fou de sa mère, évidemment. Autrement dit, ce moment d’aliénation – que Lacan a beaucoup repris après – obligatoire : il faut qu’un bébé soit l’objet de sa mère, il faut que la mère soit «folle» de lui, il faut qu’il soit le trésor, il n’y en a pas de plus beau, elle a vraiment fait, «pondu», une petite merveille, donc il faut qu’on soit la merveille de notre mère, et que notre mère soit folle de nous dans cette folie de la mère dont Winnicott a beaucoup parlé, mais évidemment on ne peut pas rester la septième merveille du monde toute sa vie. Et après ce moment d’aliénation qui nous fonde, en effet on est l’objet de l’autre, on est l’objet de notre mère qui est aussi notre objet, et après ce moment d’aliénation donc, il faut que le corps de la mère et de l’enfant, le langage, tout cela se sépare. Donc, cette aliénation, il faut qu’elle soit suivie d’une séparation parce qu’on ne peut pas rester l’objet de notre mère toute notre vie même si c’est un rêve, un vertige, une tentation, un symptôme. Winnicott a décrit cette séparation nécessaire d’avec la mère, après ce moment de folie, qui amène la «capacité à être seul», c’est-à-dire qu’il faut que l’enfant puisse halluciner la mère ou la rêver, mais la mère n’a pas besoin d’être là tout le temps avec lui, il devient capable de se séparer d’elle et elle de lui parce que les deux peuvent penser l’un à l’autre, mais aussi désirer ailleurs.

 

Habituellement, le bébé est là bien avant que la mère accouche de lui : le bébé de sa mère, il est dans sa tête depuis qu’elle est toute petite, elle rêve de ce bébé, donc il est là bien avant, on le parle, on le nomme. La séparation dépend aussi des mères et aussi des enfants, il y a les angoisses de séparation le matin au moment d’aller à l’école, ça peut durer longtemps. Et les enfants qui font des phobies scolaires à 16 ans ou à 17 ans au moment de passer le bac, et qui restent toute la journée at home parce que comme cela, ils ne quittent pas leur mère, ça n’a pas d’âge non plus. Alors ce qu’on peut dire c’est que la «folie de la mère» est liée à l’accouchement, au moment où la mère produit ce dont elle rêvait avec un homme qu’elle aime, habituellement – c’est important quand même, on va mettre un peu de père – c’est mieux, un enfant qu’elle va aimer puisqu’elle aime celui avec lequel elle l’a fait. Et les difficultés de séparation sont même dictées par le social, c’est-à-dire qu’une femme qui travaille doit recommencer à travailler à partir de trois mois, donc il faut que le sevrage soit fait à partir de trois mois, ce qui est très tôt et toujours très douloureux.

 

Je vais vous dire,  cette histoire d’aliénation-séparation c’est vraiment ce qu’il y a de plus important, pour chacun de nous. Il faut qu’on ait été la folie de notre mère - on voit bien les difficultés des enfants qui, pour des raisons diverses, n’ont pas été cette folie -  combien c’est compliqué pour eux ; depuis l’adoption, jusqu’aux mères déprimées… Cette aliénation, cette manière d’être l’objet de l’autre, c’est vraiment très important, c’est le rêve de toutes les petites filles qui vont devenir mère. Mais en même temps, cette séparation, il faut aussi que la mère la prévoie tout de suite, avant même d’avoir accouché, il faut que la future mère se dise « je vais avoir une petite merveille, mais cette petite merveille, il va falloir qu’elle devienne un homme ou une femme, je ne peux pas en faire mon objet toute la vie ». Autrement dit, cette séparation, il faut que la mère l’anticipe, c’est pour cela que c’est difficile, il faut que la mère l’anticipe avant même que le bébé soit là. Sinon, les enfants n’arrivent pas à «décrocher de la mère», de ce que  j’appelle la planète mère, c’est-à-dire l’odeur de la mère, les mots de la mère, la maison, ils n’y arrivent pas. Un exemple bien illustratif : je vois un enfant qui m’explique qu’il ne veut pas aller à l’école, qu’il ne veut pas apprendre à lire parce qu’il ne veut pas aller à l’école, il veut rester à la maison, et je lui dis « mais qui est à la maison ? », il me dit « ben personne », alors je lui dis « alors pourquoi est-ce que tu veux rester à la maison ? », il me dit « je voudrais rester avec maman », je lui dis « mais elle n’est pas là », réponse de l’enfant : « elle n’est pas là, mais elle pourrait y être ». Lui, il ne peut pas anticiper la séparation, il est toujours au conditionnel : elle pourrait y être. Et comme elle pourrait y être, évidemment il ne veut pas quitter la maison. Quand les enfants quittent la maison, ce peut être le drame pour certaines ou pour certains pères, c’est-à-dire qu’ils n’avaient pas du tout prévu que les enfants allaient quitter la maison un jour, et il y peut y avoir des états dépressifs à ce moment-là. Cette séparation il faut qu’elle soit anticipée, il faut qu’elle soit préparée, si les mères et les pères ne peuvent pas anticiper cette séparation, il va être compliqué d’être un sujet parlant et désirant.

 

2 - Spécificités de la psychanalyse de l’enfant : est-ce que la psychanalyse de l’enfant est la même chose que la psychanalyse tout court ? Moi, je crois que oui, c’est-à-dire que le même travail avec l’inconscient se fait avec un enfant ou un adulte, ce sont les modalités qui sont différentes. Les modalités, elles sont de trois ordres :

a/ D’abord, la demande : quid de la demande de l’enfant ? Quand un adulte vient pour une analyse, c’est lui qui demande, il a peut-être mis du temps à la demander, il a peut-être mis du temps à trouver un analyste, mais il est là et il pose sa demande, et quelque chose peut démarrer. Avec les enfants, ce n’est pas du tout pareil. L’enfant n’arrive jamais tout seul ; les adolescents peuvent arriver tout seuls, mais c’est rare, il faut qu’ils aient 18 ans pour qu’ils arrivent avec une demande. L’enfant arrive flanqué de son père et de sa mère, donc la demande de l’enfant est tributaire de la demande de ses parents. Très souvent l’enfant n’a pas de demande, il arrive parce que les parents l’amènent, mais lui n’a aucune envie d’être là. Alors pourquoi un enfant arrive voir un psychanalyste ? Parce qu’il fait pipi au lit, parce qu’il ne dort pas, parce qu’il travaille mal en classe, parce qu’il fait des crises… bon, toutes choses qui, lui, lui vont très bien. Parce que, au travers de ce symptôme, il a une position dans la famille, c’est l’enquiquineur,  mais au moins il existe. Donc le symptôme qui amène l’enfant auprès d’un psychanalyste, souvent c’est un symptôme auquel l’enfant tient beaucoup, parce qu’il le fait exister et parce qu’il lui donne sa carte d’identité dans la famille, à l’école. En revanche, les parents arrivent en disant « on voudrait qu’il arrête de faire pipi au lit », « on voudrait qu’il apprenne à lire et à écrire », « on voudrait qu’il cesse de venir toutes les nuits dans notre lit, parce qu’il faut qu’à trois heures du matin on le ramène dans son lit ». Donc les parents, habituellement, ont une demande, pas toujours… pas toujours : quelques fois, c’est la demande de l’école, notamment dans ces fameux TDAH en ce moment. Alors TDAH, je vous dis ce que cela veut dire : trouble du déficit de l’ttention avec ou sans hyperactivité. Ces enfants, à l’origine agités, avaient du mal à se concentrer. Petit à petit, ils deviennent TDAH – c’est le nouveau fléau – tous les enfants qui présentent des difficultés de concentration sont TDAH, donc tous les enfants angoissés sont TDAH, tous les enfants qui ont des angoisses de séparation, qui parlent mal, qui sont épileptiques, qui sont déprimé... C’est devenu un fourre-tout, tout le monde est TDAH.Actuellement, on voit arriver des familles qui n’ont pas de demande propre, mais qui viennent parce que l’école leur enjoint de venir, alors là c’est encore plus compliqué ... vous voyez le mille-feuilles : l’école, les parents, l’enfant qui lui ne demande rigoureusement rien ! Rien, sauf qu’on lui fiche la paix. J. Bergès disait même que l’enfant a « une non-demande » : l’enfant ne veut pas être là… et pourtant c’est avec la demandee qu’on va travailler. Tant que l’enfant n’a pas dit «oui, je suis d’accord pour revenir », ce n’est même pas la peine de commencer. Les premières consultations en psychanalyse d’enfants, c’est là que tout se joue : une famille entre, chacun avec une demande exprimée, ou pas exprimée, et le psychanalyste va se trouver dans cette intrication de demandes, de passages à l’acte, de « je veux », « je ne veux pas », c’est vraiment le plus intéressant, et l’analyste fait partie du tableau. Et à l’issue de la première consultation, la question est toujours la même : qui va revenir ? Est-ce que c’est la mère qui demande… , est-ce que c’est le père ? Les parents ? Est-ce que l’enfant demande quelque chose ou bien est-ce que personne ne demande rien finalement ? Et ce qui est toujours intéressant, c’est qui va revenir la seconde fois. Exemple d'un enfant qui faisait des crises, qui débordait tout le monde par ses crises, la première fois je l’ai vu avec son père et sa mère, qui eux voulaient qu’on fasse quelque chose, lui n’avait aucune demande ; la deuxième fois il n’y avait personne, au deuxième rendez-vous personne ne s’est présenté, et – on avait pris un troisième rendez-vous, fort heureusement – au troisième rendez-vous, c’est le père qui est arrivé avec la sœur. C’est intéressant, vous vous dites « qu’est-ce qu’une famille ? », quelle est la place de chacun dans une famille ? C’est quand même de cela qu’il s’agit dans la psychanalyse d’enfant : quelle est la place de l’enfant ? d’où il parle ? comment il parle ? avec quels symptômes . Parce que les enfants peuvent faire des symptômes qui ne passent pas du tout par le langage : le pipi au lit par exemple, quand vous interrogez un enfant sur pourquoi il fait pipi au lit, vous n’avez aucune réponse. Il est honteux, il ne sait pas, mais en tout cas il ne peut pas vous expliquer pourquoi. En revanche, il peut agir, il peut acter, des choses qui vous donnent, et qui peuvent lui donner à lui – c’est ça le plus important – des petites idées. Exemple d’un adolescent de 14 ans qui faisait pipi au lit toutes les nuits. À 6 heures du matin, comme sa mère en avait assez de laver ses draps, son pyjama, etc. – c’est ce qu’on voit tout le temps – à 6 heures du matin, il se réveillait, s’apercevait qu’il avait fait pipi au lit, allait se doucher, mettait son pyjama et ses draps dans la machine à laver, et qu’est-ce qu’il faisait ? Eh bien, il allait dormir avec maman. Les parents étaient séparés, donc après avoir fait son petit ménage, il allait dans le lit de maman tous les matins à 6 heures ½. Il ne pouvait rien en dire de son pipi au lit évidemment. On voit bien là ce qu’en psychanalyse on appelle les bénéfices secondaires : en effet notre symptôme nous procure des bénéfices auxquels nous n’avons aucune envie de renoncer. Le garçon n’avait aucune envie d’arrêter de faire pipi au lit, aucune. D’ailleurs, je l’ai vu durant trois mois et puis il a disparu. Alors, la question est : est-ce que dans ces cas-là, il ne vaudrait pas mieux voir la mère ? Puisqu’elle, elle avait une demande, sauf que ce n’est pas elle qui venait, c’est-à-dire qu’elle arrivait avec son adolescent devant elle en disant que c’est lui qu’il faut soigner. En psychanalyse d’enfants, la question de la demande est une question compliquée et à la fin de la première consultation, souvent on se dit « mais voyons, voyons, que faire, que faire dans cette constellation familiale ? ». Autre exemple : un monsieur et une dame étaient venus me voir tous seuls, parce qu’ils voulaient divorcer. Ils avaient prévu de divorcer, mais ils voulaient faire le moins de dégâts possible – comme si on peut ne pas faire de dégâts en divorçant – et ils venaient prendre des conseils, ils ne savaient pas comment s’y prendre pour que les enfants soient le moins perturbés. Je les recevais très tard le soir, ils ont exposé beaucoup de choses de leur vie… et après la consultation, le monsieur invitait la dame à dîner. Et au bout de cinq séances, eh bien ils m’ont expliqué que finalement ils ne divorçaient plus, ce n’était plus du tout d’actualité, ils avaient décidé de rester ensemble. Voilà un exemple de ce à quoi on est confronté quand on reçoit une famille, donc quand vous voyez entrer une famille vous ne savez absolument pas l’explosif,  le feu d’artifice qui va en sortir, et quand ils partent vous ne savez pas toujours qui vous allez suivre de cette famille. Habituellement, à partir du moment où quelqu’un dans la famille a dit « moi, je suis d’accord pour venir », une demande a été exprimée, évidemment la thérapie peut démarrer. On ne commence jamais une thérapie d’enfant si tout le monde n’est pas d’accord. C’est l’idéal. Dans la clinique c’est un peu plus compliqué parce que les pères ont souvent du mal à venir : ils travaillent beaucoup, ils travaillent très tard le soir... – c’est un peu comme s’ils laissaient à la mère le soin de gérer toute l’affaire. Les pères laissent facilement à la mère le soin de s’occuper de l’enfant. Il faut que tout le monde soit d’accord, mais quelquefois on commence la thérapie même si le père n’est pas encore venu, il viendra en cours de route, quelquefois il ne viendra pas du tout, il ne se manifestera pas.

 

b/ : Le transfert. C’est ce qui soutient l’analyse. Est-ce que le transfert de l’enfant s’exprime autrement que le transfert de l’adulte dans une analyse ? Je dirais que le transfert de l’enfant peut être très fort, il peut être extrêmement passionnel, et il est souvent agi, surtout avec les jeunes enfants, les jeunes enfants sautent dans vos bras, ils vous font des bises, ils vous font des cadeaux, ils arrivent avec des bonbons, avec des morceaux de gâteaux, ils vous nourrissent. C’est un transfert plus agi que celui des adultes, évidemment, donc il existe, il y a des enfants qui vous disent carrément qu’ils vous aiment, qu’ils ne veulent pas vous quitter et qu’ils ne vous quitteront jamais - il peut y avoir des mouvements passionnels - qui vous écrivent… Donc, le transfert de l’enfant existe et il faut qu’il existe pour que la thérapie puisse se faire, le levier de l’analyse, c’est le transfert. Pour qui un enfant se débarrasse de son symptôme, ou allége son symptôme, c’est en effet parce qu’il a un transfert au thérapeute et parce qu’il a envie que ça change. Donc, ce transfert, il faut s’assurer qu’il est là, et ne rien démarrer tant qu’il n’est pas là, et il faut aussi que le transfert des parents à nous existe. Si les parents ne nous aiment pas – pour aller vite – la thérapie ne pourra pas marcher. M. Klein était très vigilante à maintenir actif le transfert des parents  sur elle et faisait les thérapies d’enfants au domicile de la famille.

 

Donc il faut sans cesse «naviguer» pour maintenir actif le transfert des parents et celui de l’enfant. Ce peut être très compliqué parce que certains parents – certaines mères surtout – peuvent nous percevoir comme des rivales, . Certaines mères ne supportent pas que les enfants viennent nous parler de leurs affaires parce que ce n’est pas à elles qu’ils disent les choses, surtout à l’adolescence; les mères d’adolescents ont l’impression qu’ils viennent nous confier des choses qu’ils ne leur confient plus. L’analyste est toujours une rivale en puissance, par ailleurs les parents nous demandent d’être efficaces – ils ne viennent pas pour rien – et à la fois quand on l’est trop vite, cela ne va pas non plus. Ce transfert des parents sur nous, il faut le ménager, il faut apprivoiser les parents, les amadouer, sinon il ne peut rien se passer avec leur enfant, et cela, c’est délicat. Et puis, dans le transfert, il y a notre transfert, à nous analyste, ce que l’on éprouve pour l’enfant epsilon, ou pour les parents de l’enfant epsilon ;  il y a des familles qui peuvent nous agacer, parce qu’elles viennent toucher chez nous quelque chose de trop vif, ou qui nous ressemble trop. Ou bien certain enfants sont plutôt crus dans leurs démonstrations sexuelles, quelquefois c’est trop, un enfant sur les genoux de sa mère en train de l’embrasser sur la bouche, de lui faire des démonstrations vous met dans une place  de témoin complice. Autrement dit, quelquefois  ne pas intervenir dans des spectacles très érotisés que les familles viennent nous montrer, c’est pas simple.

Par ailleurs, la psychanalyse d’enfants est souvent faite par des femmes et il y a toujours le risque d’un transfert maternel. Autrement dit, les enfants peuvent avoir vis-à-vis de nous un transfert maternel, et nous aussi, c’est-à-dire qu’il faut se méfier de notre pente à cocooner, materner, rassurer, réparer. «Ce n’est pas de la psychanalyse, la psychanalyse n’est pas là pour que nous soyons une bonne mère», (sous-entendu à l’opposé de la mère qui en aurait été une mauvaise), La psychanalyse est là pour permettre à l’enfant d’entrevoir la place où il a été mis dans telle famille, telle histoire, etc... et de trouver peu à peu sa place dans la famille, à l’école, dans la société plus tard, sa place sexuée, l’héritage dont il va être le lien. Il faut donc être toujours très prudents avec nous-même,  pour ne pas projeter sur l’analysant des choses qui faudraient à l’analyste ou qui nous mettrait dans des réponses maternisantes.

 

c / Le corps et les médiations

Le fait que l’enfant mette le plaisir du corps et de ses orifices en avant, a fait penser que l’enfant ne parlait pas - ce qui est évidemment faux. L’enfant parle, et il faut lui faire le crédit qu’il est capable de prendre la parole et de parler de lui, et avec ses signifiant et à travers les manifestations de son corps, nous l’avons évoqué tout à l’heure.

Comme l’enfant agit, l’analyste peut avoir tendance à lui répondre avec des objets : on lui donne un papier, des crayons, de la pâte à modeler, des objets, des poupées, des trains, enfin… Mélanie Klein avait une boîte à jouets absolument formidable, et elle laissait l’enfant jouer. Dolto passait beaucoup par le dessin. Alors, les psychanalystes d’enfants se servent beaucoup de ces médiations, en partant du principe que les enfants ne parlent pas, qu’ils agissent mais qu’ils ne parlent pas. A partir du moment où on se dit que cet enfant vient nous voir parce que précisément il a quelque chose à dire, même si c’est dit maladroitement, même si c’est dit avec un retard de langage, il a quelque chose à dire. Les médiations risquent précisément d’empêcher l’enfant de parler. Que faire d’un enfant qui joue, ou qui fait de la pâte à modeler, sans rien dire. Il faut lui demander : « mais qu’est-ce que tu as fait avec cette pâte à modeler ? », pas faire une interprétation sur cet objet pâte à modeler, mais lui demander ce qu’il a voulu faire, le laisser s’exprimer à partir de cette production. Autrement dit, on peux se laisser aller à la tentation de la médiation, avec des enfants très silencieux, mais à la condition ensuite de lui dire « mais qu’est-ce que tu as voulu faire là ? », « qu’est-ce que tu as voulu dire ? ». Donc que cet objet puisse solliciter ce qu’il a à dire, et qu’il puisse le dire après. Quand un enfant a un retard du langage, est trop petit, on peut le recevoir avec la mère et l’enfant entend ce que la mère a à dire de lui dans une séance d’analyse, plutôt que de le mettre devant des objets dont ensuite. Beaucoup de psychanalystes d’enfants passent par des médiations, et je pense même que ces médiations empêchent la parole. Au même titre que la Ritaline empêche la parole, la médiation peut empêcher la parole, l’analyse, c’est quand même l’endroit où «ça» parle. L’analyse, c’est l’endroit où l’inconscient parle. C’est-à-dire, que se disent là des choses que l’on ne peut pas nécessairement dire, mais qui nous mènent, qui nous font faire des actes qu’on ne comprend pas, ou dire des choses qu’on ne comprend pas. La psychanalyse c’est l’endroit où l’inconscient va venir se manifester. Lacan disait « l’inconscient, c’est comme la belle qui ouvre ses volets, la fille ouvre ses volets pour se montrer un peu, elle entrebâille, mais après elle les referme et Lacan disait « il faut être là quand la belle ouvre ses volets » c’est-à-dire, quand quelque chose est à dire il ne faut pas le rater, parce cela ne va pas ressortir pendant un moment, mais l’inconscient on en a pas accès sans cesse, on refoule. Qu’est ce qui donne accès à l’inconscient ? ce que Freud appelait les formations de l’inconscient : ce sont les lapsus (vous dites exactement le contraire de ce que vous vouliez dire, et de préférence en public, les rêves (vous vous dites « mais qu’est-ce que je suis allé rêver cette nuit ? »), les actes manqués, cela vous donne une idée de ce qui vous habite et dont vous ne voulez pas parler, ou dont vous avez peur de parler mais qui est là et qui fait un travail souterrain sans arrêt. Je veux passer un examen, je veux absolument cet examen, et le jour de l’examen, je n’y vais pas : je passe une année, deux années pour préparer ce concours, et le jour du concours, pour une raison minime, je ne me présente pas au concours. C’est une formation de l’inconscient, c’est un acte manqué : consciemment, je veux ce concours, je veux absolument ce concours, et bien finalement non, je ne le veux pas puisque je n’y vais pas. Ces formations de l’inconscient sont précisément l’objet de la psychanalyse d’enfant ou d’adulte.