L. Sciara : Transfert et modalités de la cure aujourd'hui

Conférencier: 
                                

Nouvelle phénoménologie

 

… J’ai tendance à évoquer plutôt une nouvelle phénoménologie, voire psychopathologie, certains aspects psychopathologiques, et qui évidemment prend des caractères quelques peu inattendus, mais en lien avec l’évolution de notre social. Et donc ça interroge les cliniciens à la lumière d’une certaine expérience clinique quand même, au fil du temps, sur ce qu’on pourrait appeler des modalités plus contemporaines ou actuelles, qui n’étaient pas si flagrantes, ou en tout cas peut-être pas aussi caractérisées il y a encore quelques années.

 

Je vais maintenant insister sur le contexte actuel, puisqu’il est question d’une clinique contemporaine, en sachant que ce terme est évidemment à discuter. Moi j’entends par « clinique contemporaine », le Réel de la clinique, rencontré dans l’actualité de sa pratique....

Dans la clinique contemporaine, évidemment on a pu constater qu’il y avait quelques modifications, et que ces modifications touchent à ce Réel de la clinique et que pour arriver à entendre ces modifications, il faut aussi avoir un certain recul et une temporalité, qui s’inscrit et qui laisse entendre que le clinicien est toujours immergé dans l’actualité des discours ambiants et qu’évidemment les choses évoluent. Qu’il n’y ait pas de psychologie individuelle qui ne soit pas non plus corrélée à une psychologie collective, c’est pour cela que Lacan employait les termes de « discours ». Il avait défini un certain nombre de « discours », pour définir les structures du langage, la façon dont ça pouvait s’intriquer, s’agencer, circuler entre les discours. Ces discours définissaient différents types de liens , et de là différents types de liens sociaux. Cette affaire-là est importante puisque ça permet d’entendre dans quel tissu social s’inscrit une parole,  comment une parole s’inscrit aussi dans un discours, et comment on peut arriver à repérer un certain nombre de phénomènes à partir de ces éléments-là...

 

Les jeunes générations, qui sont imprégnées par les discours dans le social, et moi j’insisterais en particulier sur des particularités du tissu social, des discours qui circulent, qui viennent contextualiser les conditions du transfert. Et ce que j’appelle l’implication, l’influence considérable dans nos sociétés occidentales, modernes, post modernes, du néo libéralisme, du discours du capitalisme, sur ce qu’on appelle en psychanalyse le discours du maître....

 

Lacan à un moment donné a évoqué le Discours du capitaliste. Le discours du capitaliste, c’est une façon de faire valoir que le néolibéralisme était de plus en plus mondialisé, galopant, et qu’évidemment… il a inscrit une fois ce discours, pour faire valoir que c’est un discours qui n’a pas de point de butée, c’est une espèce de court-circuit, où ce qui est en marche c’est une production d’objets de consommation ou d’objets divers qui viendraient donner l’illusion – c’est comme ça que je le traduis – donner l’illusion aux sujets, en tout cas névrosés, de pouvoir enfin se libérer de leur manque, qui les constitue comme sujet, manque qui est essentiel, puisque c’est ce qui détermine la dynamique du désir de quelqu’un. Et donc, un certain nombre d’éléments me semblent aller dans le même sens, c'est à dire que dans le contexte actuel, il y a un impact considérable, je dirais même une sorte de subversion de plus en plus importante dans le discours social ambiant, de cette appétence néo libérale qui pousse à une espèce d’omnipotence, à une toute jouissance sur ce qu’on appelle la division du sujet, ce qu’on appelle le discours du maitre. C’est à dire qu’il y a quelque chose-là qui viendrait colmater le manque et qui fait illusion. Tout ça accrédité par les progrès de la science avec tous les bienfaits que ça peut avoir mais aussi donnant l’impression au sujet d’une certaine maitrise. Il y a les autres aspects qui me paraissent importants, je vous les cite : il y a une façon de conceptualiser, de prendre en compte la parole de plus en plus comme un outil, un instrument neurologique, une fonction neurobiologique surdéterminée, ce qui est juste, mais en omettant le fait que c’est le propre de la condition humaine.  Si on parle de transfert d’un point de vue analytique et pas simplement d’un point de vue psychopathologique, c’est bien parce que la dimension de l’inconscient apparaît dans le langage. Il y a aussi, ce que vous avez lu un peu partout, les modalités actuelles et les évolutions sociétales qui concernent évidemment les places dans les familles, la place du père, la mise à mal du patriarcat, les difficultés que ça soulève, les interrogations avec, au bout du compte, un certain nombre d’incidences dont il me semble qu’on commence à voir la portée...

 

Quelles sont ces caractéristiques dont je vous parle ? Je vais insister sur un premier point, qui est ce que j’ai appelé le flottement subjectif. Ces patients que j’inscris dans le champ des névroses, ce qui les caractérise, c’est cette sorte de flottement subjectif dans le transfert. C’est comme si il y avait un manque de plasticité. Pour moi ça touche pratiquement 5, 10 % de mes patients, ce n’est quand même pas tout le monde. Leur parole donne l’impression d’une pauvreté imaginaire d’élaboration. Parfois ça peut donner aussi une connotation dépressive, d’indifférence. Ou alors à l’inverse, une sorte d’activisme qui permet de ne rien élaborer de sa position. La demande qu’ils formulent semble ne pas concerner directement une difficulté qui leur est propre. Cela c’est un point important. La personne peut venir expliciter ses difficultés, mais va employer des mots qui circulent dans le social : par exemple « je suis déprimé », est dit au titre non pas de ce qui la concerne parce qu’elle est déprimée, mais au titre d’un signifiant dans le social qui vient se plaquer à ses difficultés. C’est une sorte de non reconnaissance de leur implication subjective dans la demande. Evidemment je suis très influencé par la clinique des adolescents, des adultes jeunes, aussi des quartiers de misère sociale où le niveau socio culturel est le plus bas, mais ce n’est pas simplement une question de catégorie sociale, c’est un phénomène beaucoup plus large, même si c’est plus marqué. Il me semble que la parole est comme éteinte et disqualifiée. Parfois ces sujets sont attentifs à ce qu’elle soit prise en compte dans le transfert, mais en même temps, ils ne paraissent pas la prendre eux-même en compte, ni en tirer des conséquences. Plus qu’une dérobade à en assumer la responsabilité, ce serait une démission à lui accorder toute sa valeur. Ce n’est pas de l’ordre d’une inhibition névrotique, ni  de ce qu’on peut voir avec beaucoup de patients obsessionnels...

 Je lui attribue, moi, une sorte de position subjective, qui tiendrait à ce que j’ai appelé une pseudo suture...

Cette pseudo suture, ça rend compte surtout d’un discours qui serait impersonnel, peu consistant, à une adresse trouble, avec une demande sans conviction. Parce que justement, et c’est ça le point essentiel, il n’y a pas de crédit accordé à sa propre parole. Ce point me semble essentiel. Ce défaut de crédit à la parole, il est lié au scientisme ambiant bien sûr, puisque c’est traité comme un outil de communication, alors que la communication et le langage, ça n’a rien à voir, et non plus comme une spécificité de l’espèce humaine.