J-M. Guilé : Psychostimulants et remédiations cognitives dans la prise en charge des instabilités motrices

Ephep, 19 mai 2014

Merci à vous d’être attentif, c’est le thème de la soirée et de partager un intérêt commun pour ces enfants, ces adolescents et ces adultes, puisque maintenant dans la mesure où on considère que c’est une affection qui évolue de façon tout à fait durable, on l’identifie aussi chez les adultes, et c’est inscrit de cette façon là d’ailleurs dans le nouveau DSM 5, si on prend des références de l’Association Psychiatrique Américaine. Pour faire un contre point français, vous voyez que le titre ne mentionne pas TDAH (troubles déficit de l'attention hyperactivité), mais plutôt hyperkinésie et troubles attentionnels, et on va parler d’instabilité psychomotrice, puisque je crois que c’est un concept tout à fait intéressant, qu’il faut remettre à l’honneur......

 

J’aime bien me laisser imprégner de ce dessin, d’un jeune d’une petite dizaine d’années, c’est un dessin de famille et on a tout de suite dans cet aspect dansant, un ressenti de ce que peut être le monde environnement et y compris le monde relationnel pour un enfant instable. Je crois que ça reflète à la fois la perception de soi mais aussi la perception de l’environnement relationnel, et c’est toujours intéressant de se mettre un peu dans la perspective de l’enfant avec instabilité, d’autant qu’à ce moment là on comprend mieux que c’est un mode d’être à l’autre, ou un mode d’être au monde, qui imprègne tous les moments de la vie quotidienne, les moments relationnels, et qu’il y a une sorte de malentendu à prendre cette question de l’instabilité psychomotrice, comme une question d’indiscipline ou d’opposition. Et je crois que si vous n’avez plus cette idée là, si jamais vous l’avez eue d’ailleurs, en venant ici, j’espère qu’en faisant cette présentation vous n’aurez plus cette perception là, mais c’est vrai qu’un certain nombre de personnes avec lesquelles on peut discuter cette question de l’instabilité, que ce soient les parents, l’entourage et en particulier l’environnement scolaire, ont souvent cette perception plus opposante, voire agressive de ce syndrome, alors qu’en réalité il s’agit de tout autre chose, qui dépasse le sujet et contre lequel finalement il essaie de composer ou de lutter......

 

Il y a vraiment avec le déficit d’attention, avec l’instabilité, une composante développementale qui est extrêmement forte et qui se traduit finalement tout au cours de l’évolution de ce syndrome. Et c’est aussi, c’est la partie majeure du syndrome, l’expression est relationnelle, puisqu’effectivement cette instabilité de rapport au monde, de perception de soi et de perception de l’environnement, cette instabilité au niveau moteur, au niveau attentionnel s’exprime évidemment au quotidien dans la relation aux autres. Donc on a vraiment ces deux composantes, développementale et relationnelle.....

Alors que dans les classifications américaines qui font de plus en plus référence dans les CHU et dans les enseignements, vous avez trois possibilités : inattentive, hyperactive, ou combinée. L’étude qui nous concerne nous en France est l’étude effectuée par Lecendreux, c’est assez intéressant, ça nous donne un chiffre autour de 5 %, ce qui est énorme, puisque ça représente 5 % de la population générale infantile qui présenterait cette problématique et en particulier la moitié d’entre eux, un sous type inattentif. Se pose d’emblée un problème clinique, est ce qu’il s’agit en fait de quelque chose de si fréquent que ce n’est pas en fait une maladie, est ce que c’est quelque chose qui n’est pas suffisamment identifié, notamment pour ce qui est du sous type inattentif, ça je crois que ce sont des questions qui sont ouvertes. En tout cas il y a un taux habituellement dans les études qui est supérieur pour les garçons mais parce qu’en fait on cible le syndrome plutôt hyperactif, en revanche quand on ne considère que le sous type inattentif, vous avez une même prévalence, qu’on soit garçon ou fille....

Ce qui est tout à fait frappant dans le tableau clinique d'instabilité c’est qu’en réalité tous les auteurs, quelle que soit leur pratique, ou quelle que soit leur référence théorique, s’entendent pour considérer que ces trois dimensions suivantes sont présentes et par voie de conséquence dans le tableau de TDAH également : inattention, impulsivité et hyperkinésie....

Quelque chose va se manifester dans tous les contextes avec une intensité ou des modalités qui peuvent être différentes, mais c’est cette permanence, en fait, quelque soit l’environnement humain, l’environnement physique, même s’il y a des environnements qui sont beaucoup plus stimulants que d’autres, mais il y a ce fond qui reste présent à tout moment. Et c’est d’ailleurs cette disposition en quelque sorte qu’on retrouve après chez les adultes.

L’inattention

Plus en détail, donc l’inattention, c’est cette distractivité,  la difficulté à filtrer les distracteurs, difficulté à focaliser son attention et à la maintenir focalisée sur une tâche. Ça entraine une fatigabilité puisque ça nécessite un effort attentionnel permanent pour pouvoir répondre aux différentes tâches auxquelles on est confronté dans la vie quotidienne.

L’impulsivité

Ensuite un deuxième volet, c’est l’impulsivité, qui est en fait cette difficulté à empêcher une réponse, quelle soit comportementale ou au niveau des processus cognitifs, ou bien verbale. Soit pour l’empêcher, soit pour la remplacer par une réponse plus adaptée, adaptée en termes de timing, c'est-à-dire différée par ou adaptée en termes de prise en compte du contexte, des tours de paroles ou des tours de jeux dans une interaction à plusieurs. C’est typiquement l’impulsivité verbale avec l’enfant qui répond avant que la question n’ait été terminée. Et puis l’impatience qu’on retrouve aussi, en particulier quand l’enfant attend ce qu’il demande, ou une réponse à une demande d’information, ou d’objet ou de gratification, tout ce qui relève d’une difficulté à différer. Donc il y a une question de temporalité aussi qui apparaît très nettement dans cette dimension d’impulsivité.

Hyperkinésie

Et puis l’hyperkinésie, qui est une traduction de cette difficulté de contrôle au niveau de l’ensemble de la motricité......

En résumé je dirais que la question de l’âge c’est très important, la question du développement, et donc aussi la manière dont ça s’exprime est évidemment très dépendante du contexte relationnel.....

 

Trouble de l’attribution est un mot plutôt nord américain, pour indiquer que dans la mesure où ces enfants n’ont pas nécessairement une trace de tout ce qui se passe dans une interaction, parce que finalement ils sont toujours déjà au delà de là où on les attendait, ou de là où on est nous même, ils ont tendance quand l’interaction se détériore, quand ça finit par exemple par des échanges de mots ou de coups entre enfants, ou quand ça se termine par une punition de l’enseignant, à plutôt blâmer l’autre, plutôt que de voir un peu quelle était son implication dans l’interaction et comment les choses ont abouti à cette situation difficile. Mais ce n’est pas parce qu’il y a de la persécution ou parce qu’il y comme une espèce de mauvaise volonté, c’est vraiment parce que sur le plan strictement des fonctions cognitives, il n’y a pas eu nécessairement mémorisation de toute la séquence d’interaction et une vraie prise de conscience de ce qui s’est passé. Très banalement c’est l’enfant qui intervient, qui rentre de façon complètement inadaptée, dans un jeu ou dans une conversation avec d’autres personnes, que ce soit des enfants ou des adultes et puis qui intervient pour donner son point de vue, ce qui n’est absolument pas approprié par rapport à ce qui c’était mis en place avant qu’il n’arrive. Finalement ça peut mal se terminer, mais il n’a pas perçu le caractère inapproprié de la manière dont il était rentré dans l’interaction de groupe, dans la mesure où il n’a pas perçu tout ce qui s’était passé au moment où il est rentré dans le groupe.

 

Je propose de garder la notion de syndrome d’instabilité psycho motrice, puisque ça permet d’avoir à ce moment là une sorte de terrain un peu commun où, quelle que soit la clinique qui est la nôtre, et quelles que soient nos références théoriques, on peut parler d’enfants qui présentent un tableau qu’on connaît tous et avec lesquels on travaille. Un sous groupe qui présenterait une immaturité du développement des fonctions attentionnelles et le bilan cognitif que je vous ai développé un peu tout à l’heure, montrera des difficultés dans ces tâches standardisées, au niveau de l’attention, de la mémoire de travail, de la flexibilité cognitive. Un autre sous groupe que j’appelle les instabilités syndromiques,le même syndrome est beaucoup plus associé à des facteurs affectifs, où l’aspect relationnel sera beaucoup plus important, et dans ce sous groupe vous n’aurez pas nécessairement un bilan cognitif qui montrera des difficultés sur le plan de l’attention..........

Il y a des inattentions qui sont évidemment la traduction d’une dépression......

Le trouble sévère de régulation de l’humeur, nouveau syndrome qui décrit des enfants qui font des crises de colère fréquentes, veut mettre l’accent sur l’aspect affectif du tableau clinique, plutôt que sur l’aspect trouble de comportement, indiscipline, opposition et problèmes de relation parent enfant, plutôt sur des difficultés aussi d’auto contrôle. Il y a un certain nombre d’enfants qui vivent quelque chose de très désorganisant, vraiment comme une espèce de débordement émotionnel, ils arrivent même à identifier un moment de surstimulation puis ensuite un débordement émotionnel, une difficulté à contenir tout ça, et une explosion.....

 

Souvent on a en particulier dans la littérature nord américaine, on est dans un paradigme anatomo clinique, c'est-à-dire que finalement c’est une maladie neurologique, donc vous avez des problèmes au niveau neuronal, et puis vous avez un tableau clinique, le tableau clinique c’est l’expression de la dysfonction neuronale. Eventuellement vous on vous crédite d’un appareil psychique, mais ce n’est pas nécessaire......

Je propose quelque chose d’un peu plus modulaire, avec trois dimensions, trois axes qui me paraissent importants, parce que chacun contribue au tableau clinique. Il y a effectivement la question des réseaux neuronaux et c’est sur cet axe là qu’effectivement la médication va être positionnée et active en quelque sorte, c’est sur le plan de ces transmissions de neuromédiateurs qu’est active la médication. Vous avez l’appareil psychique, je ne vous fais aucune leçon sur ça, mais on est là dans une autre dimension, là on parle de réalité biologique et là on parle de réalité psychique. J’aime bien ce que Roussillon a bien mis en lumière ou bien synthétisé dans son bouquin de psychopatho, mais bien clairement les différents types de réalité comme des plans où chaque réalité a son organisation et en quelque sorte est un plan pertinent pour comprendre le tableau clinique, surtout que c’est un plan pertinent pour intervenir sur un plan thérapeutique. Chaque plan a un impact sur le tableau clinique mais avec des mécanismes d’action qui sont effectivement différents, et peut être que certains, selon les cas, sont meilleurs répondants pour une intervention sur le plan cognitif.....

 

Jean-Marc Guilé, Pédopsychiatre, professeur au centre hospitalo-universitaire d'Amiens