Dr J.-P Beaumont, « Névrose phobique »

Conférencier: 

Le titre que j’avais donné était « Les phobies » : que la phobie soit une névrose, ce n’est pas tout à fait l’évidence. Les phobies, c’est un sujet qui, je l’espère, va vous intéresser parce qu’il s’agit d’une pathologie en plein essor, il y a de plus en plus de phobies. Si la phobie était considérée comme relativement rare encore dans les traités des années 50, elle est devenue actuellement très courante, soit sous des manifestations légères, soit la grande phobie classique. De plus en plus, dans notre clinique, nous rencontrons des manifestations phobiques caractérisées, non seulement chez de jeunes enfants mais aussi chez de grands enfants, des adolescents et des adultes. Ce qui les rassemble, c’est un vécu d’angoisse ressenti dans des circonstances qui sont toujours les mêmes pour un sujet ; le mécanisme de l’évitement pour diminuer ce vécu de l’angoisse ; des conduites visant à se réassurer – avec, en particulier, une partition de l’espace. Cela regroupe à peu près, les phobies d’enfants et les phobies d’adultes. Vous allez voir pourquoi.

 

D’abord, un vécu d’angoisse. Le vécu de l’angoisse, tout le monde le connaît par soi-même ou parce qu’il l’a observé, mais par soi-même en général, bien sûr, tout le monde connaît ce que c’est que l’angoisse. Dans la crise de phobie, on dira qu’il y a une oppression thoracique, des difficultés à respirer, une tachycardie, c’est une [manifestation] d’angoisse banale. Cette angoisse s’accompagne souvent chez l’adulte d’une dépersonnalisation avec la peur de devenir fou, un morcellement moïque. Il est très difficile d’avoir un moi bien constitué, de savoir qui l’on est dans une crise d’angoisse ; une inhibition motrice - d’habitude, les sujets ne peuvent pas bouger. Les manifestations d’angoisse sont ressenties dans des circonstances qui sont toujours les mêmes, mais qui peuvent être très diverses. 

Par exemple, la phobie d’animaux. Les phobies n’ont rien à voir avec une expérience réelle, comme vous le savez. Un enfant mordu par un chien, par exemple, ne fait pas pour autant une phobie. La phobie serait arrivée de toute façon s’il en présente une. Comme on le voit aussi au fait qu’il y a des phobies d’animaux que le sujet n’a jamais vus. Beaucoup de gens ont des phobies de serpents, qui n’ont jamais vu de serpent, des phobies d’araignées, qui ne voient que très rarement des araignées. La phobie du loup chez l’enfant… les enfants sont rarement laissés avec des loups. Il y a quelque chose qui n’a rien à voir avec l’animal lui-même.

Les circonstances sont toujours les mêmes. Ce peuvent être des phobies associées à l’espace comme l’ascenseur, l’avion, ou les phobies qu’on appelle maintenant « sociales » — ce n’est pas un très bon mot — associées à une situation, que ce soient les phobies scolaires, la phobie des oraux, des examens, la peur d’être seul, le refus d’aller en soirée, toutes ces manifestations phobiques.

 

Je vous disais, et cela est très important, que le mécanisme du phobique, pour diminuer l’angoisse, est l’évitement. C’est très important et cela permet de faire un diagnostic le plus souvent. Le mécanisme d’évitement, pour diminuer l’angoisse, peut se traduire par une inhibition comme chez le petit Hans ou par un refus. Et ainsi, il y a une partition de l’espace. Une partition, cela veut dire une répartition, c’est dire que l’espace va être divisé entre les endroits sûrs, sans problèmes, où le sujet est normal. Il s’agit de la maison, la maison des amis, par exemple. Le phobique peut se constituer ainsi un espace privé, son domicile, d’où il ne sort plus, et d’autres zones qui sont dangereuses : l’espace public, l’école, les transports en commun… Il existe aussi des conduites visant à se réassurer : le compagnon, les objets contraphobiques, les conduites paradoxales, la chimie…

 

Puisqu’on parle en général de la phobie, il faut dire que ces troubles ne sont pas liés au corps comme dans l’hystérie. Il peut y avoir des manifestations d’angoisse au niveau du corps, mais il n’y a pas de conversion. Ce ne sont pas des troubles de la pensée comme dans la névrose obsessionnelle. Il n’y a pas de trouble du cours de la pensée. Et l’on peut donc avoir affaire à quelqu’un qui paraît tout à fait normal dans certaines circonstances, voire brillant, séduisant, agréable. Et si les circonstances changent : pauvre en idéation, silencieux, apeuré, affolé. L’important est de bien noter qu’il change suivant le cadre, suivant le lieu où il se trouve.

 

Le mot phobie vient du grec ancien « phobos », la crainte ou la frayeur. Il est utilisé pour tout autre chose que la maladie qui nous occupe ce soir. 

  • Pour des manifestations somatiques : la photophobie le fait de ne pas supporter la lumière ; l’hydrophobie - n’existe pratiquement plus, mais le fait de ne pas pouvoir supporter l’eau - cela se voyait dans la rage, par exemple…

  • Pour des maladies obsessionnelles, qui ne sont pas phobiques : phobie des microbes ; phobie d’impulsions. Elles sont souvent des manifestations obsessionnelles. La phobie d’impulsion, ce sont les mères qui ont peur de jeter leur enfant par la fenêtre. On appelle cela « phobie ». Le terme a été utilisé pour n’importe quoi et aussi…

  • Pour des manifestations qui ne sont pas phobiques, mais hypocondriaques, comme la nosophobie, qui est la peur des maladies. Ces précisions permettent qu’il n’y ait pas d’équivoque avec le mot « phobie ». L’homophobie, la transphobie, ce sont des néologismes qui n’ont rien à voir avec la « phobie » qui nous occupe ici. 

On peut rencontrer des phobies occasionnelles dans toutes les structures psychiques, mais nous allons parler ce soir de la phobie caractérisée. Il faut noter que la phobie a été conservée dans la classification du DSM V. Contrairement aux autres névroses traditionnelles, elle a été conservée sous le nom d’« attaque de panique », nom sous laquelle on la rencontre actuellement beaucoup plus souvent. « Attaque de panique » est un mot stupide, évidemment, parce qu’une terreur panique, dans l’Antiquité, c’est une terreur qui prend toute l’armée. Vous voyez « pan » ? Cela veut dire que cela va prendre toute l’armée. Quand on parle de terreur panique, évidemment, c’est tout à fait déplacé par rapport au sens originel. Il vaudrait mieux dire « crise d’angoisse » ou « crise de phobie ».

 

On va parler assez vite - même si on va vous en avez entendu parler par ailleurs - de la phobie infantile. À propos du petit Hans, on va aller très vite. Je suppose que vous en avez entendu parler déjà vingt fois. On va le faire une 21ème fois. Ensuite, on parlera d’un tableau très précis, particulièrement intéressant pour comprendre ce dont il s’agit dans la phobie, qui est l’agoraphobie. Il s’agit de la peur des espaces. Nous parlerons aussi de certaines phobies compliquées comme la peur de rougir : l’éreutophobie.

Je vais rappeler rapidement le cas du « petit Hans », pour essayer de réunir ce que vous avez appris par ailleurs. La phobie est très banale dans ce qu’on appelle la névrose infantile. On appelle ainsi une période de structuration psychique du sujet où l’enfant rencontre la castration et le réel sexuel. C’est là que se fait pour lui l’abord de la castration, c’est à dire la sexualisation du manque. Vous avez une idée précise de ce qu’est la castration ou pas vraiment ? Allez, bravo. Expliquez-nous. [Rires de l’assemblée] Vous voulez bien que je vous l’explique ? On va en parler cette année. On va sûrement consacrer le Grand séminaire de l’ALI à la castration. La castration freudienne, qui est l’émasculation, la peur de l’émasculation, n’a rien à voir ou très peu à voir avec ce que Lacan appellera la castration.

La castration n’est pas du tout l’émasculation. La castration, c’est que l’entrée dans le langage s’accompagne d’un manque, de la création d’un manque. L’animal que nous sommes ne pourra jamais atteindre son objet, comme nos frères animaux. Autrement dit, tout ce qui aurait pu être l’atteinte de l’objet chez l’animal est chez l’homme dérivé dans le langage. Il y a quelque chose de l’ordre d’un manque. On n’atteindra pas ce quelque chose, autour de quoi le langage va tourner, qui restera à jamais inaccessible. 

La sexualisation, il s’agit du fait que ce manque est considéré comme sexuel, est interprété de manière sexuelle. Qu’est-ce que cela veut dire ? Par exemple, qu’il est très difficile de faire un roman, une œuvre d’art qui ne parle pas de la sexualité. On en parle partout de la sexualité. La castration, c’est le fait que l’objet du manque qui est créé par le langage est interprété de manière sexuelle. Vous savez que cette névrose de l’enfant, cette phobie du loup, de la castration, du chien, de la sorcière, du fantôme, avec les enfants qui regardent sous le lit… se dissipe très vite de manière générale. Lacan parle dans les Écrits techniques de « psychanalyse spontanée sans psychanalyse », cela s’arrange tout seul.

 

Freud publie en 1911 un cas devenu très célèbre, l’analyse de la phobie chez un petit garçon de cinq ans, le petit Hans, qui présente une phobie infantile, mais qui se termine de manière très atypique pour une phobie, probablement à cause des interventions du père qui sont très malencontreuses et de celles de Freud qui ne sont pas très heureuses non plus. Ce n’est pas une réussite… Les Cinq psychanalyses de Freud - en dehors du Président Schreiber qu’il n’a pas vu - sont plutôt des compte-rendu d’échecs. Ce ne sont pas des choses glorieuses de Freud. 

 

Avez-vous tous lu Le Petit Hans ? Vous vous rappelez qu’il s’agit d’un cas passionnant dans sa fraîcheur. Mais ce texte, agréable à parcourir, est difficile à lire sérieusement, parce qu’il est absolument foisonnant, tâtonnant et souvent maladroit et ne se lit pas vraiment comme un roman.

Hans est un enfant de cinq ans. Il s’appelle en fait Herbert Graff. Il deviendra un metteur en scène célèbre d’opéra. Ses deux parents sont des patients de Freud. À ce moment-là de son œuvre, Freud cherche à confirmer ce qu’il a pu affirmer dans les Trois essais sur la théorie sexuelle et demande à ses disciples d’observer les enfants autour d’eux. Aussi le père va noter ce qu’il observe chez son petit garçon pour en parler au maître - le maître pour le père et pour la mère. Tout se passe très bien mais Hans va présenter bientôt une phobie des chevaux. Si vous vous souvenez, il y a une lettre navrée du père, où il raconte à Freud que ce petit enfant si joyeux a une phobie des chevaux. Tout à coup, il se trouve dans une impossibilité de sortir de la maison parce que, dit-il, il a vu un cheval tomber dans un « charivari ». Je ne me souviens plus du terme allemand. Krawall ? Hans a vu un cheval qui est tombé sur le dos en agitant ses pattes. Depuis, il a peur de rencontrer un cheval qui pourrait tomber. Hans ne peut plus sortir. Voilà les symptômes d’une phobie constituée. On retrouve ici l’importance de l’angoisse, provoquée par les circonstances identiques ou la peur de circonstances identiques, la rencontre des chevaux dans la rue, que ce soit la peur du charivari ou la crainte d’être mordu. Il y a donc une partition des lieux, les lieux sûrs et les lieux qui ne le sont pas, et des conduites d’évitement. Parallèlement à ces troubles, le père observe l’intérêt de l’enfant pour le Wiwimacher, son « fait-pipi ». C’est la période où Hans aborde la castration, où il s’intéresse beaucoup à ça. 

Pour Freud, ces deux séries de faits, la phobie et la sexualité, sont à mettre en rapport. Comment ? Cela est très clair dans l’observation : Freud est partagé entre, d’une part, les sentiments d’amour du petit Hans pour la mère ; d’autre part, à cause de cet amour, une haine ou plutôt une sorte d’ambivalence vis-à-vis d’un père qui est très aimant et très attentif vis-à-vis de lui. Cette haine pour le père entraîne une crainte de rétorsion. L’angoisse qui se manifeste serait liée à une crainte de la castration. Il s’agit d’une construction. Il y aurait symptôme - au sens du psychanalyste -, puisque le conflit est inconscient et qu’il y a un retour du refoulé. Pourquoi cette crainte ? Le père, loin d’apparaître comme redoutable, est très gentil et proche. Il s’occupe beaucoup de l’enfant, finalement beaucoup plus que la mère. Il l’écoute, il le rassure. Il le rassure même trop, c’est-à-dire que le père récuse sa place d’agent de la castration, de celui qui priverait l’enfant de la mère. Dans cette phobie du cheval, quel est le statut de l’animal ? Est-ce vraiment un déplacement vers l’animal, de la haine qu’il aurait pour le père, comme le dit Freud, qui permettrait de continuer à aimer le père en ayant peur de l’animal ? Il y a ces explications psychologiques, que présente Freud. 

Le déplacement, nous savons que Freud en fait l’un des mécanismes du travail du rêve. Dans l’article sur le refoulement, plus tard, il répondra que dans le symptôme phobique, il n’y a pas vraiment un déplacement, mais une simple substitution de l’animal au père.

 

Comme vous savez, Hans guérit de sa phobie, même si c’est de manière atypique, non pas avec les interprétations, plutôt maladroites et dirigées par Freud, que fait le père, mais avec la visite chez Freud. Celui-ci fait un bizarre résumé théorique qu’il communique à l’enfant. Il lui dit : « J’ai toujours su qu’un jour, un petit enfant viendrait, serait amoureux de sa mère et aurait peur de son père. ». Est-ce que cela correspond à la réalité ? On ne sait pas bien, mais cette préscience affirmée par Freud donne à Hans un support pour construire une relation tierce, qui le fait guérir de sa phobie. On pourrait discuter du fait qu’il soit vraiment guéri... 

Vous savez aussi ce que dit Lacan et ce qu’en dit ensuite Melman ? 

Lacan dit tout à fait autre chose, et les catégories lacaniennes qui vont distinguer le père symbolique, le père réel et le père imaginaire vont permettre d’affiner plus précisément ce qui se produit dans le cas de cet enfant. Pour l’enfant, donc, pour Lacan… pour Lacan… lapsus [rires] bizarre cette fois-ci… pour Lacan, l’enfant est très proche d’une mère qu’il accompagne partout. Il l’accompagne dans les toilettes, quand elle enlève sa culotte, l’enfant est à côté. Le père n’est pas content, mais la mère n’écoute pas du tout ce que dit le père. Le père semble incapable de se poser en tiers alors que l’enfant a besoin de ce tiers pour pouvoir simplement faire une sorte de barrage par rapport à cette mère dont il est trop proche. Aussi met-il en place - c’est ce que Lacan dit dans sa première interprétation du petit Hans dans La relation d’objet, « un signifiant à tout faire ». Le cheval est un signifiant. Pourquoi un signifiant et pas un animal ?

Je vais vous donner un exemple de signifiant qui provoque une phobie. J’ai eu un patient il y a des années maintenant qui avait peur des araignées. Il avait peur des araignées, c’est-à-dire qu’il ne pouvait pas entrer dans mon cabinet sans regarder de tout côté - mon cabinet est à côté d’un jardin -, s’il n’y avait pas une araignée sur un mur ou au plafond. Au plafond, chez un psychiatre, à la limite, ça aurait paru normal… Mais il va aussi regarder sous le divan. C’était très marqué. Et un jour, il me raconte un rêve extraordinaire où il est poursuivi par une bille. Vous savez, les billes de verre avec lesquelles jouent - ou jouaient - les petits garçons. C’est très énigmatique, la bille le poursuivait partout dans sa maison. Pendant son sommeil, il fuyait, il était terrifié par une bille, jusqu’à ce qu’il se souvienne sur le divan que les petits garçons appellent « araignées » un certain type de billes. Ce n’est pas la petite bête, l’arachnide, qui provoque la phobie, mais c’est le signifiant « araignée ». On pourrait dire que chez lui aussi, peut-être la mère était la seule à régner.

 

Je vous fais valoir cela parce que c’est de ce côté-là qu’il y a des choses à trouver, pas du côté d’une peur ancestrale de l’araignée comme dans L’Homme qui rétrécit, par exemple. Le cheval est un signifiant, c’est aussi un signifiant à tout faire parce que non seulement il supplée la carence du père réel, mais il fait une espèce d’amputation de l’espace à la place de quelque chose qui serait la castration symbolique. Il constitue un tiers puissant par rapport à la mère. La mère ne peut pas vaincre la peur du petit de sortir mais il règle aussi les rapports de Hans avec le monde, avec ses parents…

 

Il faut rappeler l’issue de la névrose infantile théoriquement, même si cela paraît loin de la clinique. L’enfant qui était à la place du phallus imaginaire, objet merveilleux de la mère, opère un déplacement pour inscrire le phallus dans une dimension symbolique. Cela veut dire que, pour que ce petit enfant se reconnaisse comme un garçon, qu’il admette son sexe sans angoisse et qu’il puisse plus tard s’en servir, il n’en n’a pas seulement l’anatomie, il faut aussi qu’il passe par une castration. Ce n’est pas une émasculation, je vous le disais tout à l’heure, c’est un processus symbolique. C’est assumer que ce bout de chair, on puisse l’avoir ou pas. La castration suppose qu’il renonce à être lui, le phallus imaginaire, l’objet merveilleux qui comblerait et qui complèterait la mère. Il va se reconnaître comme pouvant avoir simplement un petit bout qui pourrait manquer. 

Par rapport à la relation duelle avec la mère où on joue avec elle, avec le phallus imaginaire, le déplacement est facilité par ce tiers légitime. Or, le papa de Hans est très gentil. C’est une véritable seconde maman, incapable d’occuper la place tierce. Il ne décide rien d’ailleurs par lui-même, le père. Il demande sans cesse à Freud ce qu’il faut qu’il dise à l’enfant. C’est très frappant. Il ne décide rien, il n’a aucune autorité en lui-même. Tandis que la mère fait tout ce qu’elle veut avec son petit garçon, qui l’accompagne dans les toilettes, la voit se changer, et ne tient nul compte de l’objection du père. 

L’enfant va se donner, avec son symptôme, un tiers qui va être le cheval redoutable parce qu’il peut mordre. Et c’est ce qui intéresse Freud, il peut mordre et c’est donc la morsure qui évoque la castration. Mais il risque de tomber en faisant un charivari et c’est la crainte qui l’agit. 

Pour Hans, il faut tout à fait que le cheval reste debout. Voyez-vous pourquoi c’est intéressant ? Qui est le patron pour la famille ? Freud, n’est-ce pas ? vous voyez où je veux en arriver… Freud qui avait offert un cheval à bascule. Mais pourquoi c’est encore plus intéressant que ça ? Parce que comment dit-on « cheval » en allemand ? Pferd… Vous voyez que c’est très proche du Professeur Freud. Il y a quelque chose qui est frappant et touchant dans l’histoire de ce gosse, c’est qu’évidemment, il a très peur que le cheval ne tombe, c’est à dire que la seule autorité qui s’opposait un peu à la mère dans l’environnement, soit justement le Pferd qui tombe, qui chute. C’est de lui qu’il attend quelque chose comme la castration avec la morsure. Il est très intéressant de prendre cela du côté du signifiant et non pas du cheval réel. Je ne vous dis pas des choses extraordinaires. Il y a d’autres choses aussi intéressantes…

 

L’opération va échouer en partie. En effet, même s’il réussit à élaborer des réponses symboliques, la petite et la grande girafe, vous savez, là aussi, vous vous souvenez que le nom du patient, que Lacan ignorait, et que Freud savait bien, évidemment, c’est GRAFF qui est très proche de girafe. Il y a des choses symboliques. Il va finalement symboliser l’intervention du plombier et de l’installateur. À la place de ce père pas du tout castrateur, viendront plusieurs personnages, le plombier, l’installateur qui vient changer le derrière du petit Hans. Vous voyez que c’est derrière que ça se passe pour Hans, pas devant. On trouve sûrement sans doute le schéma de symbolisation fondamentale du complexe de castration. Mais ce qu’on pourrait appeler la sortie œdipienne de Hans se fait par le renvoi du père dans les jupons, non pas de la mère, mais de sa propre mère à lui. 

 

Pour Lacan, en 1956 - c’est La relation d’objet -, la phobie n’est pas la peur d’un objet. Plus généralement, l’angoisse n’est pas la peur d’un objet. Elle est la confrontation du sujet avec une absence, l’absence du père en tant que tel, absence où il se perd et à quoi tout est préférable, jusque – y compris -, le fait de forger le plus étrange, le moins objectal des objets, celui d’une phobie. 

Ce que je vous ai dit tout à l’heure quant à la recrudescence des cas de phobie, la question du papa, du Vati tout à fait gentil est une question tout à fait actuelle parce que les pères modernes sont extrêmement gentils. Ils ont plutôt tendance - n’ayant plus de modèle de ce que peut être le père - à rivaliser avec la mère dans la tendresse, à faire une « maman 2 » comme on pourrait le dire avec un peu d’ironie. Il y a beaucoup d’enfants qui ont un papa et une maman en apparence, mais qui sont orphelins de père. Ils ont deux mamans - je ne parle pas des deux mamans du même sexe -, même si le sexe apparent est différent. Cette première étude de Lacan est très précieuse et montre comment il faut lire Freud. C’est un matériau clinique très riche que Freud livre volontiers tel quel. Même si Freud se trompe, même s’il ne le sait pas, il nous donne des matériaux avec suffisamment de précisions pour qu’on puisse s’en resservir et en faire tout à fait autre chose. Il y a une honnêteté du scientifique Freud qui est tout à fait remarquable. Vous allez peut-être être plus intéressés par le deuxième tableau que nous allons étudier qui est l’agoraphobie.  

 

Agoraphobie - le terme grec agora, c’est l’espace public -, la peur des espaces, mais cela est plus large que ça. Le tableau n’a absolument pas varié depuis les premières descriptions. C’est exactement le même tableau que celui qui a été décrit au XIXe siècle. C’est donc bien un syndrome. Un syndrome, ce sont des choses qui courent ensemble. Il a été isolé par un auteur allemand qui s’appelle Westphal. Si vous êtes intéressés par la phobie, nous avons republié ces textes à l’Association Lacanienne Internationale, il y a maintenant une quinzaine ou une vingtaine d’années, vous y retrouverez tous ces textes, y compris cinq remarquables études de Melman sur la phobie. J’étais à l’origine de cette réédition, mais ce n’est pas pour ça que je vous en parle. Elle comprend toutes les descriptions classiques de la psychiatrie, et quelques études remarquables sur la phobie. C’est plutôt un bon livre.

 

Ce syndrome a été isolé par cet auteur allemand, Westphal, puis par un auteur français qui s’appelle Legrand du Saulle, dont la description de 1876 est tout à fait saisissante. Chose bizarre qui a beaucoup frappé Westphal et Le Grand du Saulle, c’est que l’angoisse n’apparaît pas compréhensible.

C’est à dire qu’elle n’a rien à voir avec la pensée que le sujet avait à ce moment-là. Même s’il est préoccupé par je ne sais quoi, - dans le cas princeps, c’est un officier -, même s’il est préoccupé par ses problèmes avec les autres officiers, ce n’est pas du tout cela qui provoque l’angoisse. La psychologie essaie de relier les crises à un déroulement de pensées quelconque, à un traumatisme. On dira qu’il y a une phobie par exemple après des turbulences dans un avion ou un accident d’avion dont on s’est sorti. Mais tout se passe comme si même ces phobies - je vous l’ai dit tout à l’heure pour l’enfant -, post-traumatiques, n’étaient que la révélation d’une phobie sous-jacente à laquelle l’accident ou le traumatisme a fourni un scénario. 

 

Quel est le cas que décrit Legrand du Saulle ? C’est un officier de l’armée, bien sûr, pas un officier d’état civil, pour lequel on constate plusieurs états différents, comme s’il était totalement différent, comme s’il y avait une sorte d’alternative. 

Il y a deux situations possibles. Premier état, tout va bien, il a un moi, une personnalité. Il est militaire, porte un uniforme, on le salue dans la rue, « mon officier » ... avec la main droite. Il aime les spectacles, il aime les femmes. Tout ça nous est raconté avec beaucoup de détails. Il a des souvenirs, il est rationnel. Il a des idées éventuellement modernes. À partir de là, il peut se penser comme un je, avec l’illusion qu’il sait ce qu’il dit quand il parle en disant je. Je dis « illusion » parce que nous ne savons pas très bien ce que nous disons quand nous disons je. Mais disons qu’il intervient dans le langage à titre de sujet, animé par un désir, et le sentiment d’être quelqu’un, et d’avoir le droit de prendre la parole. 

Or, il arrive un moment où cela se produit chez lui dans une situation extérieure : pour lui c’est une agoraphobie au sens strict car cela se passe dehors -, notre officier est saisi d’angoisse. Il perd ce moi et ce personnage. On parle alors de dépersonnalisation. Il perd son identité et devient presque un inconnu. Il n’a plus cette possibilité tranquille de fonctionner comme un je. Où cela ? dans les espaces publics ouverts, les places, les grands-rues, loin de son environnement habituel. Tout se passe comme si, alors, il ne disposait plus du livre je de sa pensée, comme s’il n’avait pas le droit d’être paisiblement là, tout comme s’il était en danger de mort. Il y a un morcellement, il peut être moteur, il ne peut plus bouger ses membres avec une inhibition motrice majeure. Comment les troubles s’effacent-ils ? Il y a simplement quelque chose qui lui permet de se repérer ou même simplement d’être repéré pour autrui. Par exemple, un ami. Par exemple, on s’adresse à lui en disant « Bonjour mon lieutenant. » On le salue. Là, il retrouve quelque chose comme un moi que lui prête l’autre. Il se met à jouer à l’officier et se retrouve beaucoup plus tranquille et peut rentrer chez lui.

Ce sont des crises d’angoisse aiguës qui ne semblent pas dépendre d’un contact psychologique, mais de conditions extérieures. Legrand du Saulle et Westphal, sont très étonnés parce que ce sont des patients qui ont peur de devenir fous. C’est assez caractéristique aussi de la phobie. Ils ont peur de devenir fous à cause de ces états de dépersonnalisation. Ces deux psychiatres éminents qui les ont observés ont été très étonnés de voir des types avec qui ils pouvaient tout à fait converser, sympathiques, agréables, cultivés, drôles, avec une vie normale, ne pouvant qu’à peine croire ces tableaux de phobie extrême : comme ce patient ou un autre de Legrand du Saulle, qui avait tellement peur de basculer dans le vide qu’il s’accrochait à l’herbe. Il se jetait sur le sol, il ne bougeait plus et il s’accrochait à l’herbe jusqu’à ce qu’on vienne de chercher. Je vous conseille ce bouquin parce que c’est très intéressant. Pour résumer, cette espèce de peur de perdre contrôle lorsque le patient entre dans un certain type d’espace, devient très vite peur d’avoir peur et entraîne des restrictions des déplacements. Elle est atténuée ou abolie lorsque le sujet peut s’appuyer sur l’image d’un semblable, - c’est le compagnon dont parle Legrand du Saulle - ou lorsqu’il est protégé parce qu’il porte des insignes sur-reconnus par l’autre, peu importe. 

 

Il y a une autre chose qui est importante, - on va en parler tout à l’heure dans les formes cliniques -, c’est que ce qui sauve de la phobie, c’est aussi l’alcool, par exemple. Le bon repas, l’alcool... Et il y a des rencontres entre la phobie et l’alcoolisme qui sont absolument dramatiques. Il y a de très, très grands phobiques comme ça, de très, très grands alcooliques qui sont partis dans l’alcoolisme à cause de leur phobie. Là, je vous ai parlé de l’agoraphobie trop vite parce que c’est absolument passionnant, mais tant pis…

 

Très proche des phobies, ce qu’on appelle les phobies sociales. Qu’est-ce qu’on appelle les phobies sociales ? C’est l’évitement des relations publiques, des réunions publiques, des magasins, des rencontres entre les amis et les connaissances. Ces phobies peuvent aller jusqu’au fait d’éviter de manger, de parler, d’écrire en présence d’autrui, la peur de bégayer, de rougir, de trembler dans ces moments-là. Dans les phobies sociales, souvent, il n’y a pas d’objet contraphobique. C’est assez proche des phobies scolaires. Même si les phobies sociales ne sont pas calmées en principe par un compagnon, on voit quand même des paires d’amis se former à l’école, des gosses qui ne se quittent pas, dont probablement l’un des deux est un phobique et qui s’appuie sur l’autre sans cesse. L’enfant cherche immédiatement l’autre de la paire qu’il constitue pour pouvoir affronter la classe ou plus exactement la cour de récréation, quand il va se retrouver dans l’espace ouvert de la cour de récréation. L’hikikomori, vous savez ce que c’est déjà, je suppose. C’est à la mode… C’est une pathologie qu’on voit apparaître maintenant chez les enfants, chez les adolescents, le jeune adulte, qu’on voyait avant surtout au Japon. Ce sont des enfants japonais, mais ça se voit aussi ici, il n’y a pas qu’au Japon… Ce sont des enfants ou de jeunes adultes qui passent tout leur temps, d’un bout à l’autre de l’année, sauf pour aller aux toilettes peut-être, dans leur chambre, à regarder l’ordinateur, à ne plus avoir de contact avec personne, sauf avec leur mère qui leur porte à manger. Il faut une mère un peu complaisante mais cela se voit de plus en plus. Il y a cinq ou six ans, quand je parlais d’hikikomori, personne n’avait entendu parler. Vous en avez tous entendu parler plus ou moins, au moins par les journaux. Hiki ça signifie retrait et komori, l’enfermement pour les japonisants parmi vous. 

 

Il y a les phobies qui sont rapprochées de ces deux types de phobie, les agoraphobies et les phobies sociales. Il y a les phobies des transports en commun, les phobies de l’avion, du métro, du bus. Le phobique est plutôt en voiture individuelle. Dans le Paris de madame Hidalgo, il est plutôt à pied ou en vélo. Le phobique qui est en vélo a toujours un moyen de transport individuel, ou en Vespa ou scooter, il privilégie les moyens de transport individuels, tout en expliquant que c’est à cause de l’air pur… il trouvera d’excellentes raisons pour cela, la pollution ou tout ce que vous voulez. Il faut comprendre que quand on parle de transport en commun, ce qui est angoissant, c’est d’être confiné dans un espace sans moyen de sortir, d’être embarqué. On ne peut pas sortir d’une voiture qui est sur une autoroute. C’est pour ça que l’autoroute est d’habitude très phobogène. L’autoroute, n’est pas un espace libre où l’on peut s’arrêter ou prendre une voie de traverse tout de suite. Mais c’est vrai aussi du train, c’est vrai du métro, mais c’est un peu moins vrai du bus… Les gens ont plus de facilités avec le bus parce qu’ils se disent qu’ils pourraient toujours faire arrêter le bus. C’est vrai du téléphérique, par exemple. Tous ces moyens de transport, où vous êtes coincé dans un espace où vous ne pouvez pas sortir. L’ascenseur, par exemple, c’est également un moyen de transport en hauteur duquel vous ne pouvez pas sortir. […]

Le claustrophobe était souvent en général agoraphobe, il y a des choses de l’un à l’autre sans cesse… C’est pour cela que l’on ne va pas en faire deux maladies différentes. Mais claustro, ça veut dire « fermer ». Le cloître, est ce qui est fermé. Le phobique peut monter quelquefois dix étages pour ne pas monter dans l’ascenseur. J’ai connu comme ça quelqu’un qui travaillait dans des bâtiments commerciaux, dans des tours et qui était obligé de monter à pied quand c’était possible. Dans tous ces cas de phobie, il y a des circonstances identiques pour un sujet, l’évitement, la partition dans l’espace et les conduites de réassurance.

 

Mais ce qui est commun à toutes les phobies, c’est la présentification du regard. On a parlé de ce qu’il en était du regard dans les perversions, dans la manière dont le pervers, - je ne sais pas si vous étiez là quand j’avais parlé des perversions -, dont le pervers peut faire surgir le regard pour arriver à angoisser quelqu’un d’autre. Mais dans les phobies, c’est aussi une pathologie qui a à voir avec le regard. Il y a une espèce de présentification du regard. On ne peut pas sortir. Ce n’est pas le regard au sens du regard de quelqu’un... On revient si vous voulez sur l’ascenseur…  Vous n’avez pas lu le poème de Victor Hugo où il y a une histoire de regard qui se termine par « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. » ? C’est un alexandrin célèbre. Caïn qui fuit le regard de Dieu et qui même dans la tombe est encore regardé par le regard de Dieu.

Un ascenseur, c’est un endroit bizarre dont on ne peut pas s’échapper. On va dire pourquoi ça serait lié au regard et dire deux mots sur l’espace. 

Se déplacer sans angoisse dans un espace, ça suppose que l’espace soit familier, la maison, le quartier, le village ou bien une grande ville. Ça suppose qu’on y est invisible. On ne se sent pas visible dans son quartier. On ne fait pas tâche, on fait partie du quartier, si l’on peut dire. Il y a quelque chose qui est familier. Chez soi, on ne se sent pas regardé en général, sauf si on est vraiment délirant. Le domicile n’est jamais phobogène. Ce n’est pas un espace de regard. Comme on ne voit plus vraiment les choses autour de soi, également, on ne se sent pas regardé. Dans la foule, dans un magasin, dans la rue, on ne s’intéresse à vous que si vous le sollicitez avant que vous rentriez dans la visibilité, en temps normal. 

À nos sens, c’est l’un des modes de la castration comme j’en parlais tout à l’heure, c’est-à-dire que l’enfant apprend à renoncer à occuper le regard d’autrui. 

 

On pourrait dire que chez le phobique adulte, en revanche, les difficultés ont commencé très tôt et ces symptômes sont liés au regard depuis l’enfance. Par exemple, il s’agit de signes qu’on retrouve à tous les coups chez le petit enfant, la terreur d’être appelé au tableau. Il va être en face de toute la classe. Cela peut être aussi l’isolement anxieux dans la cour de récréation, qu’on ne le voie pas, on se met dans un coin de la cour. Cela peut être aussi la peur pour l’enfant - il y a beaucoup d’adultes comme ça aussi, mais maintenant, ce n’est plus vrai, ça a disparu -, la peur d’être photographié. Il y a eu beaucoup de gens qui ont des tonalités phobiques, qui ont peur d’être photographiés. Maintenant, ce n’est plus vrai parce que comme tout le monde fait des millions de photographies que personne ne regardera après, cela n’a plus du tout le caractère des gens qui s’arrangeaient pour ne pas être là le jour de la photo de classe, ou pour qui aller à un mariage c’était ne surtout pas aller se faire photographier à la fin. 

Les phobiques ont des difficultés très tôt avec l’achat des vêtements. Vous voyez tous ces endroits comme la boutique où on va les regarder. Les chaussures, dans une boutique, on est regardé, il y a des miroirs, on regarde les autres... Le phobique actuellement achète sur Internet, il évite la boutique.

 

Un autre trouble a disparu avec le GPS et les téléphones portables, ce sont les difficultés avec l’espace. Le phobique a toujours son téléphone sur lui et, en général, les écouteurs vissés sur les oreilles, car cela lui permet de se repérer. Avant, il existait un signe très clair et que l’on distingue encore chez des gens qui ne sont pas tout jeunes, c’est le fait que les phobiques n’arrivaient pas à se débrouiller avec un plan. Cela fait rire certains, certaines d’entre vous... C’était très intéressant parce que quand il était chez lui, il repérait très bien « je dois aller là, je tourne par la deuxième à droite, je prends celle à gauche, après, ça sera tout simple. » Lorsqu’il marchait, tout se passait comme si le plan ne correspondait plus à l’espace tout autour, comme s’il y avait des rues en plus ou des rues en moins. Il n’y avait plus de juxtaposition possible entre l’espace réel et l’espace tel qu’il était sur le plan. Des manifestations qui n’apparaissaient que lorsqu’il était dans cet espace public où le regard est partout. Il était dans une rue passante, dans une rue commerçante, il y avait des gens partout autour de lui et lui était avec son plan sans arriver à comprendre même comment le plan fonctionnait. 

Le GPS permet relativement d’éviter le problème. On se fait guider par le GPS sans regarder ailleurs que sur son téléphone. Nous ne sommes pas très avancés si nous disons que tout se passe comme si le phobique ne supportait pas en général le regard d’autrui, surtout le regard étranger. En revanche, d’ailleurs, un de mes maîtres disait que le phobique a un avantage, c’est qu’il a très peu de troubles sexuels. Tout se passe comme s’il payait ailleurs ce qui serait l’inhibition sexuelle banale, comme s’il payait par cette espèce d’amputation de l’espace. C’était le père de Catherine Rondepierre, que vous avez eue en cours, je crois, qui me racontait ça il y a bien longtemps. Il est mort depuis longtemps…

 

Je vais essayer d’aller un peu plus vite. Vous a-t-on parlé des théories de l’angoisse chez Freud ou chez Lacan ? Vous avez des idées de ce qu’est l’angoisse ? On aurait pu faire un cours entier sur l’angoisse… 

Je vais sauter Freud car cela serait très long d’en parler, de ce que Freud fait de l’angoisse… Puisque l’on parlait de la castration, Freud fait de l’angoisse quelque chose que l’enfant vit comme une espèce de menace… menace de castration, chez le garçon, parce que chez la fille, c’est un peu plus compliqué de parler de menace de castration. Mais pour Freud, il y a quelque chose qui joue autour de cela. Pour Freud, la castration, c’est l’émasculation et, à l’époque, on menaçait les enfants en disant « Si tu continues à te masturber, on va te la couper. » 

L’angoisse de castration reste le prototype de l’angoisse chez Freud. Il faudrait vraiment dire pourquoi ce n’est pas si bête que cela, pourquoi cela se relie à des choses intéressantes. Ce serait trop long de faire tout le raisonnement.

Ce que va dire Freud quand il va en arriver…, après sa première période où il considère que le refoulement produit l’angoisse… : la première théorie de Freud, c’est de dire, par exemple, qu’une femme qui aurait envie de faire le trottoir - je ne sais pas s’il y a beaucoup de femmes qui ont envie de faire le trottoir -, mais qui aurait envie de rencontrer des hommes dans la rue, comme elle refoule cela, elle développe une angoisse et une agoraphobie. Le refoulement produit l’angoisse. 

C’est absolument intenable comme position, et Freud, en 1924, dans Inhibition, symptôme et angoisse, va dire, ce qui est bel et bien le contraire, que c’est plutôt l’angoisse qui produit le refoulement. C’est la menace d’angoisse qui produit le refoulement. Peu importe, laissons pour Freud…

Lacan, dans le séminaire Le Transfert, mais surtout dans L’Angoisse, va inventer l’objet petit a. Et il va produire une formulation de l’angoisse qui est radicalement différente de celle de Freud. 

La définition classique de l’angoisse, c’est qu’il s’agit d’une peur sans objet. C’est la définition classique déjà donnée par les psychiatres du début du XXe siècle. Ce qui la différencie de la peur - on peut avoir peur, par exemple, d’une averse ou la peur d’un déraillement -, ce qui la différencie de l’anxiété, qui serait une crainte associée à une situation générale, mettons une guerre, si vous voulez, une perte d’emploi. L’angoisse, on ne comprendrait pas très bien pourquoi. C’est pour cela qu’on en parle comme d’une peur sans objet. 

Lacan dit le contraire et que l’angoisse n’est pas sans objet. C’est une formulation un peu bizarre, dire que l’angoisse n’est pas sans objet. Il ne dit pas elle a un objet. Il dit que l’angoisse n’est pas sans objet, c’est-à-dire qu’il y aurait un objet à l’angoisse. Et cet objet de l’angoisse, c’est justement l’objet petit a. Tout se passe comme si dans l’angoisse, il y avait quelque chose qui était une espèce de crudité de l’objet petit a, quelque chose qui se présente à nu, sans que l’objet petit a apparaisse masqué, comme pris dans le langage. L’objet petit a n’est pas quelque chose à quoi on a affaire directement. L’obsessionnel ne cesse de se laver comme ça…

Vous savez ce que c’est l’objet petit a ? Lacan distingue quatre objets petit a - il en a distingué d’autres au passage -, qui sont le sein, les fèces - la merde si vous voulez -, le regard et la voix. On ne va pas partir dans les objets petit a, ce serait très long. Mais disons que pour Lacan, le moteur de l’angoisse c’est une proximité de quelque chose qui évoque l’objet petit a. 

Or, dans le cas de la phobie, l’objet petit a qui est menaçant, c’est le regard.

 

Pourquoi le regard dans l’agoraphobie ? On pourrait dire qu’il y a le regard des gens dans l’espace public qui est matérialisé par tous les gens que je rencontre dont je ne sais pas s’ils me regardent ou pas. Vous avez ce type d’angoisse dans les rêves, par exemple, qui sont classiques. Moi, je ne fais pas ce rêve, mais il y a beaucoup de gens qui font des rêves où ils sont tout nus. Ils sont dans une espèce d’angoisse qu’on les voie. Le regard est partout. En général, tout se passe comme si on ne les voyait pas, mais ils ont une espèce d’angoisse que le regard soit sur eux… ou le monsieur qui a oublié son pantalon... 

Le regard est partout, mais aussi, il y a quelque chose qui est très intéressant et que Melman faisait remarquer dans l’un de ses articles sur la phobie, c’est que les phobiques sont plutôt bien dans les villes ou les espaces publics où ils peuvent se déplacer. C’est beaucoup plus facile pour eux de se déplacer dans une ville ancienne, avec des petites rues qui serpentent, des coins, des boutiques ouvertes. Mettons, je ne sais pas où à Paris, dans le Marais, ou à Saint Germain des Prés... En revanche, ils ont beaucoup de mal avec les grands espaces, comme la Défense, voire l’avenue des Champs Élysées, tous ces espaces qui ont été conçus par un architecte. 

On ne voit pas pourquoi on serait phobique des espaces conçus par un architecte, sinon que dans un espace où il y a des tours, des gratte-ciels, il apparaît un point un peu bizarre qui est le point de fuite. Vous savez que c’est le point où convergent les parallèles sur un plan. Et c’est aussi - les peintres ne le montrent jamais -, mais si vous levez les yeux vers une tour, la tour Montparnasse ou une tour à New York, vous allez avoir l’impression que les parallèles des murs se rejoignent en un point. Tout se passe comme si ce point matérialisait quelque chose de l’ordre du regard, comme si c’était le point d’où on est vu. Ce que je dis pourrait paraître loufoque si Melman ne l’avait pas dit, mais aussi parce que dans la théorie de la perspective, dans les traités de la perspective, on appelle ce point « l’œil ». Vous voyez que ce n’est pas tout à fait absurde. Dans ces espaces où il y a des lignes de fuite qui ont l’air de matérialiser un point idéal, le point de fuite, le phobique est souvent très mal.

 

Il y a d’autres endroits également - car il y a beaucoup de formes de la phobie, la phobie des ponts. Vous savez qu’elle fait partie des premiers types de phobie qui étaient rencontrés aussi, même avant Legrand du Saulle et Westphal, le pont qui est aussi un espace où l’on ne peut pas... la phobie du pont en général, c’est le fait d’être absorbé dans cet espèce d’endroit où l’on est vu sur un pont.

Un pont n’est pas couvert, il y a certains ponts couverts mais il y en a très peu quand même. Ce sont des espaces publics où l’on est vu et d’où l’on ne peut pas s’échapper sur les côtés. J’ai une patiente qui a une phobie des ponts. Elle habite à côté de la Bastille, elle travaille au Sénat et ne peut pas traverser les ponts, c’est embêtant dans ce cas-là. Elle peut prendre le métro, bien sûr. Elle ne peut pas traverser les ponts. Il faut donc qu’elle trouve quelqu’un pour l’accompagner sur le pont. Elle va demander à quelqu’un, en disant par exemple qu’elle ne voit pas bien - on tombe toujours sur quelqu’un d’un peu sympa…-, pour pouvoir lui tenir le bras et traverser le pont pour passer rive gauche. C’est une drôle d’histoire quand même. Quand il y a sa fille, il n’y a aucun problème avec elle, elle n’a aucun trouble. Elle peut passer aussi à la rigueur si jamais elle est en vélo, parce que cela va très vite. Vous voyez que la phobie des ponts aussi, tous ces espaces du regard, c’est bizarre. 

 

Que se passe-t-il dans la phobie des insectes ou des arachnides ? Si l’on n’a pas d’insectes, on fait avec des arachnides. 

L’insecte va matérialiser, dans la chambre où j’essaie de dormir, où je sais qu’il y a un insecte sur le mur, un point noir. C’est ce point d’où je peux imaginer que, d’une certaine manière, l’insecte me voit. Le point va matérialiser quelque chose de l’ordre du regard. Je peux toujours penser qu’il va me voir - l’insecte s’en fiche, sauf si c’est un moustique qui essaie de nous piquer -, en général, il se fiche complètement de nous. Or, l’idée est que l’insecte me voit et qu’il va arriver à me piquer. Il y a beaucoup de phobiques qui ne peuvent pas dormir dans une pièce où il y a une araignée. Je suis sûr qu’il y en a même dans l’assistance. Il y a quelque chose du côté de la vue de quelque chose. Le point noir de l’insecte sur le mur matérialise quelque chose de l’ordre du regard. Et le phobique lui-même, quand il est dans un grand espace vide, se sent tout à fait comme le point noir de l’insecte qu’une main pourrait écraser. Il y a ce type d’angoisse qu’on peut prêter à l’insecte par une sorte de symétrie. Je me fais comprendre ou pas du tout ? Un peu… ? 

 

L’ascenseur, c’est autre chose encore… le phobique a besoin toujours d’un endroit d’où il pourrait s’échapper. C’est pour cela que c’est proche de la claustrophobie. Il faut qu’il puisse éviter l’angoisse. Certains phobiques peuvent prendre l’ascenseur seulement s’ils sont avec quelqu’un. Certains phobiques ne peuvent pas prendre l’ascenseur quand ils sont avec quelqu’un. Dans tous les cas, il y a en commun le fait de ne pas pouvoir s’échapper. C’est également le cas du téléphérique, d’être en vue et ne pas pouvoir s’échapper. Il faudrait parler plus longuement de l’ascenseur. Pourquoi les ascenseurs provoquent des phobies ? C’est le fait de se retrouver sans recours, dans un ascenseur qui serait en panne, par exemple. Imaginez que l’ascenseur... - non pas tant que l’ascenseur tombe -, mais que l’ascenseur soit coincé entre deux étages et qu’on soit absolument sous la lumière de l’ascenseur, sans pouvoir échapper à l’espace confiné dans lequel on se trouve réduit.

L’agoraphobie, je vous en ai parlé un peu… L’espace public, où il y a toute une symptomatologie de la phobie très intéressante avec le regard. Par exemple, le phobique peut très bien dîner avec une seule personne. Avec trois personnes, cela va encore. Mais dès qu’il y a quatre ou cinq personnes, un dîner de groupe, il ne peut plus venir dîner parce que quand vous êtes deux - à la rigueur trois -, vous contrôlez le regard de l’autre. Il vous voit, vous tenez l’autre, d’une certaine manière, vous le regardez dans les yeux... Dès que l’on est à table avec du monde, on ne peut plus contrôler le regard de l’autre. C’est pour cela qu’en général, quand on est phobique, on boit, on boit un peu de manière à arriver à tenir le coup. S’il y a cinq ou six convives, c’est très difficile... 

 

On peut se demander si la phobie est véritablement une névrose comme le sont l’hystérie ou la névrose obsessionnelle, parce que justement, l’objet apparaît à nu. Dans la névrose obsessionnelle et dans l’hystérie, l’objet apparaît à travers le fantasme. Dans la phobie, tout se passe comme si dans la réalité commune, quelque chose pouvait apparaître de cet objet qui serait l’objet du fantasme et l’objet cause du sujet. Il y a quelque chose comme une espèce de danger. Le sujet se soutient d’une absence d’un objet. S’il y a un sujet, cela veut dire que l’objet n’est pas là. C’est l’objet de son désir éventuellement, c’est la cause du sujet, mais l’objet n’est pas là. Si l’objet est là, tout se passe comme si le sujet était désubjectivé, dépersonnalisé. Cela suppose pour nous la question de l’interprétation. Est-ce qu’il y a quelque chose à interpréter par rapport au symptôme phobique lui-même, comme le faisait Freud ou est-ce qu’il faut faire autre chose ?

 

Quel est le traitement ? Le traitement spontané, c’est la vie limitée. Le phobique se débrouille pour ne pas affronter l’angoisse en limitant sa vie. Certaines vies de phobiques sont comme celles des hikikomori dont je vous parlais tout à l’heure, extrêmement réduites, la limitation du périmètre ou l’alcool. L’alcool peut être dramatique quand quelqu’un ne peut plus sortir, aller travailler, prendre le métro, que s’il a bu dès le matin. S’il ne peut assister à une présentation de résultat quelconque dans son entreprise qu’en buvant avant. Cela peut très vite s’avérer catastrophique.

Les traitements médicamenteux, puisque je vous en ai parlé l’autre jour, notamment les IRS - les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine -, la fluoxétine, le Prozac et autres paroxétines, qui sont, sans qu’on sache pourquoi, très actifs sur la phobie. Ça marche très bien, avec leurs inconvénients, par exemple cela diminue considérablement, surtout chez les femmes, la libido. Ce sont aussi de très bons médicaments de la phobie. On ne sait évidemment pas du tout pourquoi c’est efficace. 

Les comportementalistes… La phobie a été le terrain élu pour les thérapeutiques comportementales. Le problème, c’est qu’en général, le comportementalisme ne guérit pas et ne fait qu’améliorer cette phobie-là. Autrement dit, j’ai une phobie de l’avion. Les compagnies aériennes vont m’offrir, moyennant une somme modique, un stage pour me désensibiliser à l’accident d’avion. Je vais pouvoir prendre l’avion, mais je ne pourrai plus prendre le métro. Cela va simplement se déplacer. La structure phobique n’est pas changée, mais il y a juste un simple déplacement du symptôme.

La psychanalyse n’est pas non plus un traitement évident parce que le patient est toujours dans l’évitement, également sur le divan. La difficulté consistera à faire saisir à l’analysant que ce qu’il redoute, se trouve dans le langage même et pas à l’extérieur. Il ne faudra pas éviter de sexualiser ce qui est dit, c’est-à-dire faire des interprétations carrément sexuelles, ce sont souvent celles qui commencent à changer les choses chez le  - grossièrement - « freudiano sexuel », afin qu’il ne puisse pas trop vite être - sur le divan et par rapport à ce qu’il dit lui-même - dans le retranchement et l’évitement. Il y a des gens qui peuvent faire une analyse très longue en étant phobique où il ne se passera rien. On s’entendra bien, on racontera des choses sympas, mais il ne se passera rien sur le plan d’une véritable transformation. Vous voyez que pour être une pathologie qui n’est pas psychotique, bien sûr, le phobique, quoi qu’il le craigne, ne devient jamais fou. Ce n’est pas une pathologie facile. Ce n’est pas du tout quelque chose qui serait facile à traiter, ni même par la psychanalyse. 

C’est quand même le traitement de choix, à vrai dire… Si on veut vraiment faire quelque chose avec la phobie, c’est par le divan. C’est une structure… C’est toujours l’ambiguïté sur la névrose. Si l’on entend par névrose quelque chose qui est lié aux symptômes, c’est-à-dire au refoulement et retour du refoulé, ce n’est pas le mécanisme de la phobie. 

Lacan a parlé de plaque tournante. Dans un article célèbre, il a dit que la phobie était comme une plaque tournante. Cela ne voulait pas dire quand on était phobique, on pouvait devenir névrosé ou psychotique, mais que c’était quelque chose qui était un peu intermédiaire, puisqu’il ne peut pas y avoir l’espèce de rapport particulier à l’objet a qu’on trouve dans la psychose où la voix peut intervenir aussi dans sa crudité, mais il n’y aura pas non plus l’espèce de masquage de l’objet qui se trouve dans la névrose. Ce n’est pas un état limite non plus - je n’aime pas trop les états limites, mais cela revient à la mode - ce n’est pas par cela qu’on appelle les états limites. En revanche, dans le cadre de diagnostics différentiels, beaucoup de phobies sont appelées des états limites. Je vous avais parlé déjà une autre fois, ces types qui passent de la prison à des grandes manifestations d’ivresse, à des séjours à l’hôpital psychiatrique, à des espèces d’impulsions violentes éventuellement, sont très souvent des phobiques. 

Le fait de s’alcooliser rapidement pour échapper à l’angoisse, les bagarres… tout ça peut répondre tout à fait à des histoires de phobie, et qui vont éventuellement se réfugier à l’hôpital après. Il y a des grands phobiques, des instables, comme le disait Marcel Czermak, des instables qui sont en fait des phobiques. Évidemment, c’est plus intéressant de savoir de quoi il s’agit plutôt que de traiter à l’aveugle en donnant des neuroleptiques. C’est tout à fait différent, une phobie, si l’on repère ce que c’est, qu’un traitement à l’aveugle pour un patient qui passe pour violent alors qu’il est simplement angoissé. Avez-vous des questions ? C’est un peu elliptique, je suis bien d’accord. 

Etudiante : Je me posais une question, qui était de savoir si l’on prend RSI plus le nouage, le rapport avec les quatre dimensions de l’espace-temps, longueur, largeur, hauteur plus temps. Et quand on reçoit des patients psychotiques, on voit bien qu’il y a toujours quelque chose de la difficulté à faire avec l’espace en 4D, on va dire. Auriez-vous quelque chose à dire là-dessus ? 

 

Pas à propos de la phobie quand même. Le nœud borroméen ne prête pas vraiment à comprendre ce qui se passe dans la phobie. Melman a essayé d’inventer un nœud borroméen qui serait celui de la phobie. […] On n’a pas de tableau, je ne peux pas vous montrer… C’est aussi simple que je vous le dise comme cela. On va dire que dans le nœud borroméen classique - c’est très facile de le construire - , vous faites le rond du Symbolique, vous mettez le rond du Réel qui surmonte le rond du Symbolique et vous tressez ensuite entre les deux le rond de l’Imaginaire qui vient les unir tous les deux. 

Pour Melman, dans ce qu’il a appelé le nœud phobique, il y avait, il y a – même si Melman n’est plus là - le Réel qui surmonterait l’Imaginaire, le Réel qui ferait une espèce d’amputation de l’Imaginaire. Et il y aurait le Symbolique qui viendrait nouer les deux, si on peut dire. Et c’est vrai qu’on trouve souvent chez les phobiques un côté intellectuel, le fait de rationaliser et de comprendre les choses. Le phobique a souvent plein de défauts - en particulier beaucoup de choses que l’on ne peut pas faire avec lui - mais il est facilement cultivé. Il a toujours quelque chose comme une explication, un commentaire intelligent d’une situation. Il tresse toujours quelque chose de symbolique pour lier, pour lui, le Réel et l’Imaginaire. 

Je ne vous ai pas parlé des conduites contraphobiques. Vous voyez un peu ce que c’est ? Ce sont ces phobiques qui ont éventuellement des difficultés pour se déplacer dans un avion, mais qui font de l’escalade, par exemple. Melman en est arrivé même à dire, comme cela, en plaisantant à moitié, que tous les gens qui sont considérés comme des héros sont en général des phobiques. L’étoffe du héros, en général, c’est le phobique qui va y aller, dans une espèce de conduite contraphobique absolue, de ne pas rester dans l’angoisse, mais de foncer… 

Le phobique est aussi, puisque l’on parlait des traitements, un très grand consommateur de benzodiazépines. Il peut tout à fait être toxicomaniaque. J’ai cité l’alcool, car cela est très caractéristique, mais il y a aussi les médicaments. Le phobique prend beaucoup de médicaments. Actuellement, de manière à ne jamais être confronté à l’espace public à proprement parler, le phobique a toujours un smartphone avec lui pour pouvoir appeler quelqu’un, voire passe son temps au téléphone quand il est dans l’espace public. A minima, il écoute de la musique très fort pour s’isoler du reste tout autour. Dès qu’il est dans un espace où le regard peut jouer. 

Dans ces traits de la phobie que j’ai décrits, il y a sûrement des choses où beaucoup d’entre vous se reconnaissent. À la limite, tout le monde se reconnaît un peu dans certains traits. Parce que peut être que nos espaces modernes, qui ne sont plus du tout l’espace du village ou de la petite ville, mais cet espace ouvert de tous les côtés, infini, est un espace phobogène. Ce n’est pas parce que l’on va trouver un petit trait phobique chez quelqu’un qu’il l’est, évidemment, et qu’il a une grande phobie du type Legrand du Saulle ou Westphal.

Etudiante : Pourquoi ça bouge si peu quelqu’un de phobique en thérapie ? Parce qu’il y a bien une origine à un moment, un trauma, quelque chose qui s’est passé à un moment…

 

Je crois que ça va bouger… Souvent, si le mécanisme du phobique, c’est l’évitement, il y a beaucoup de chances qu’il évite aussi l’angoisse sur le divan. Autrement dit, si l’analyste est complice, ils vont bavarder. Si l’analyste est sympathique, cultivé, sur le divan, ça poussera le phobique qui ira volontiers raconter, faire de la psychologie. C’est en ça qu’il va nouer avec du symbolique, le réel et l’imaginaire. Il va discuter, il va essayer… C’est pour ça qu’il me semble qu’avec les phobiques, il ne faut pas que l’analyste soit trop gentil. Il faut qu’il puisse l’arrêter brutalement, qu’il puisse faire une interprétation carrément obscène, de manière à lui montrer sur quel terrain ça va se passer, sur le terrain du signifiant et pas sur celui de l’histoire et de la compréhension psychologique. Sinon, on peut être là pour 20 ans. Le phobique, si son mécanisme est l’angoisse, va éviter tout ce qui pourrait l’angoisser dans ce qu’il va raconter. Cela peut donner lieu à des analyses interminables. C’est la bonne thérapeutique, l’analyse. Je voulais simplement dire que ce n’était pas toujours si évident que cela. Si le phobique est très gêné, il va faire une analyse, il va avancer… En tout cas, c’est mieux la psychanalyse, évidemment, que l’alcool, ou que le médicament. 

La question se pose aussi à propos de l’alcoolique. Est-ce que l’alcoolique est phobique ou pas ? Faut-il le prendre en analyse ? Ce sont des questions qui se posent également. En général, l’alcoolisme est aussi un moyen de fuir l’angoisse et pas seulement chez le phobique, ce qui fait que si on prend un alcoolique en analyse, en lui expliquant qu’il va comprendre pourquoi il boit, d’abord, ce n’est pas vrai, ensuite, cela va probablement aggraver son alcoolisme. L’alcoolisme n’est pas une indication de l’analyse. On ne peut cesser de boire qu’en décidant qu’on cesse de boire et c’est quelque chose à apprendre à quelqu’un qui n’est pas tout de suite acquis. Après quoi, le divan sera peut-être possible et il saura pourquoi il a bu. L’alcoolisme n’est jamais une indication de l’analyse en soi. Je me suis occupé pendant 20 ans d’alcooliques. J’ai reçu pas mal de patients envoyés par des collègues qui n’arrivaient pas à s’en sortir avec leurs patients parce qu’évidemment, le patient buvait avant la séance pour tenir le coup pendant la séance et buvait après la séance, pour se remonter. Parfois, on voit les choses comme cela chez les alcooliques, phobiques, chez qui il y a de l’alcool aussi. Le patient va boire, au moins au début quand il n’aura pas compris. Je n’ai pas parlé de l’espace dans la psychose, ça me semble dépasser le cadre de la phobie. C’est vrai que c’est intéressant l’espace dans la psychose aussi. On ne va pas en parler là…

 

Etudiant : À un moment, j’ai compris que vous disiez que normalement, l’enfant apprend à renoncer au regard porté sur lui. Et que donc, chez le phobique, il y aurait peut-être une absence de renoncement. 

 

Voilà, il n’a pas renoncé facilement au regard de la mère, mais l’angoisse va être déplacée sur autre chose. Sur le regard du… 

 

Etudiant : Donc, il y a une jouissance ?

 

Oui, l’angoisse-jouissance, si vous voulez.

 

Etudiant : La jouissance d’être vu ? 

 

Voilà, je dis cela pour expliquer pourquoi le père a séparé l’enfant du regard de la mère, qu’il ne soit pas l’espèce d’objet que la mère ne lâche pas. Actuellement, c’est plutôt l’école maternelle qui va faire la séparation, l’enfant ne sera plus sous le regard de la mère. Mais je suis allé très vite sur le petit Hans, sur la phobie de l’enfant. Je suis allé très vite parce que je pensais que vous aviez déjà pas mal travaillé dessus. 

 

Etudiant : J’ai du mal encore à saisir le rapport entre le regard et la phobie. Pourquoi c’est cet objet petit a, là, qui est concerné dans la phobie ? 

 

Je crois qu’on ne sait pas. On a affaire à un patient. Pourquoi est-ce que dans la névrose obsessionnelle, c’est surtout la mère qui est concernée ? C’est difficile à dire… On pourrait faire des théories là-dessus. Ça ne serait pas très compliqué d’élaborer des choses là-dessus. Pourquoi c’est le regard qui apparaît chez ce phobique avec la mère toute-puissante et non pas une névrose obsessionnelle ? Dans quel cas c’est un phobique et dans quel cas c’est un obsessionnel… La phobie, ce n’est pas la mère toute-puissante, c’est la mère qui ne lâche pas son enfant, qui n’en fait qu’à sa tête et qui ne lâche pas son enfant. La mère toute-puissante serait plutôt la névrose obsessionnelle. Tout ça, c’est sûrement trop vite dit…

 

Etudiant : Je voulais revenir aussi sur les rêves de nudité parce que c’est... 

 

C’est vrai qu’ils sont racontés par Freud aussi, qui en parle dans L’Interprétation [des rêves].

 

Etudiant : Freud les classe dans les rêves typiques que tout le monde fait et qui ont une interprétation, d’ailleurs, en gros, pareille pour tout le monde. Et là, il me semble que dans les rêves de nudité... 

 

Non, je ne voulais pas parler de ces rêves en général. Je voulais dire que dans ces rêves, il y a quelque chose qui se matérialise qui est le regard. Je ne voulais pas revenir sur l’interprétation de Freud, mais dire que pour essayer de faire comprendre ce que c’est que le regard qu’on sent partout et qui est angoissant. C’est pour ça que je prenais juste ça comme exemple. Si certains d’entre vous ont fait ce type de rêve de nudité, de ce que peut être être dans un espace où il y a du regard partout. Dans ce cas, le rêveur a l’impression qu’on va le voir, qu’il est dans un espace dangereux où on peut voir sa nudité.

 

Etudiant : Mais ce n’est pas forcément angoissant…

 

Dans ses rêves de nudité dans le rêve, c’est plutôt des rêves angoissants. Où le rêveur finit par se réveiller, d’ailleurs. Je prenais juste cela comme exemple pour essayer d’expliquer à des gens qui ne sont pas phobiques... Vous avez éprouvé cela et vous n’êtes pas angoissé ? 

 

Etudiant : Non, j’ai fait des rêves de nudité et ce n’était pas angoissant.

 

Sauf si vous êtes exhibitionniste peut-être ?

 

Etudiant : Non, pas spécialement non plus [Rires]

 

C’est une plaisanterie, bien sûr. 

 

Etudiant : Non, non, je ne veux pas qu’on en parle. Je vis ça très bien. C’est tout pour l’instant. 

 

Etudiante : Bonsoir, si l’on revient sur le petit Hans, on se retrouve dans un contexte œdipien. Je me pose la question : comment fonctionne la métaphore paternelle ? Parce qu’en fait, ce père est défaillant. Il a du mal à séparer la mère de l’enfant. La loi symbolique, comment... Je suis un peu perplexe là, parce qu’Hans n’est pas psychotique. 

 

Hans n’est pas psychotique, mais faut bien comprendre que les parents... pour tous les deux, il y a un tiers. C’est ce tiers qui est le professeur Freud. Les deux parents ont été tous les deux des analysants de Freud, au moins au début. De quoi est-ce qu’ils parlent à table ? De ce qu’a dit le Maître. Autrement dit, il y a quelque chose qui va fonctionner avec un tiers, quelque chose qui va permettre ce qu’on peut appeler là, avec prudence, la métaphore du cheval. C’est le cheval, chez ce petit garçon qui est tout petit comme ça, qui va métaphoriser quelque chose du tiers. C’est ce qui fait le Nom du Père […]. C’est difficile parce qu’il a déjà quatre ans quand ça se passe, on peut penser que beaucoup de choses se sont passées. Mais depuis la naissance de l’enfant, je ne sais même pas si les parents ne se sont pas rencontrés chez Freud ou quelque chose comme ça. Depuis la naissance de l’enfant, il y a un tiers qui est le Professeur. Quand ça va apparaître ? Ça va apparaître avec l’histoire du cheval quand l’enfant va commencer à toucher son fait-pipi, quand des choses commencent à se jouer du côté de la différence sexuelle. Mais il y a sûrement une métaphore chez Hans, évidemment, qui est sûrement représentée par le cheval quand il a son symptôme. Et avant, il y a ce tiers que représente le professeur Freud, avec ce père si gentil et cette maman si gentille aussi… On dit que la mère de Hans est toute puissante. Elle n’en fait qu’à sa tête, plutôt. Elle sera dépressive après, mais elle n’en fait qu’à sa tête, surtout. C’est-à-dire quand elle va aux toilettes, si elle a envie d’emmener l’enfant avec elle, elle ne voit pas pourquoi le père pourrait dire quelque chose à ça. 

 

Etudiante : Cela veut dire que quand on rencontre un enfant phobique, la métaphore paternelle a forcément fonctionné ?

 

Oui, c’est-à-dire qu’il ne va pas devenir psychotique. Il faut se demander seulement où elle est et si elle n’est pas atypique par rapport à ce qu’on rencontre. Il y a quelque chose comme ça qui est à se poser. Il faut éviter de faire trop vite, malgré le vocabulaire de la métapsychologie, avec la métaphore paternelle quand même. On peut voir comment ça se passe pour lui, comment ça se passe dans l’équilibre de la famille, quels sont les signifiants qui comptent et sur quoi on peut jouer en faisant valoir ses signifiants, plus que de se demander où est la métaphore paternelle, qui est un peu loin de la clinique immédiate. C’est comme du temps de Lacan, il y avait des externes qui écrivaient « Forclusion du père + + + » sur leurs observations. Ce que j’ai envie de dire, c’est que ce n’est pas évident.

 

Etudiant : Bonsoir, j’avais une question concernant l’apparition de phobies ou de symptômes phobiques chez les personnes âgées, chez le sujet vieillissant. On a vu avec notamment le Covid, beaucoup de personnes âgées, après le Covid, le confinement, ne plus sortir de chez elles, avoir des phobies de prendre l’ascenseur. Est-ce que c’était lié au confinement ou est-ce qu’il y a dans le grand âge, pour les personnes âgées, des types de phobie qu’on ne rencontrait pas avant dans leur vie ?

 

Il y en a évidemment chez la personne âgée qui a du mal à intégrer des données nouvelles. Il peut y avoir une tendance à s’enfermer chez elle ou chez lui ou à ne sortir plus beaucoup ou le moins possible, outre les infirmités qui, malheureusement, engravent cet âge-là. Mais sûrement le fait d’être déshabitué, si on peut dire, de la familiarité du quartier tout autour. Si dans le quartier on peut mourir d’une infection virale, le quartier devient lui-même un espace dangereux, avec ses masques, avec tout ce qui est accompagné de la phobie. Je crois qu’il y a quelque chose comme une diminution de l’espace familier. L’espace familier devient étrange, alors que c’était si sûr que l’on connaissait les voisins. Ça devient un espace où la mort peut guetter…

 

Etudiant : Donc, il n’y a pas de spécificité de l’apparition de symptômes phobiques pour les personnes âgées du fait de la proximité de la mort, pour le dire rapidement. 

 

Je ne crois pas. Il me semble plutôt que la personne âgée masque ses déficiences qui ne peuvent manquer d’arriver, justement en répétant des choses qui lui sont familières. Le même commerçant, le même service, les mêmes endroits où elle s’assied sur un banc. Mais en fait, il y a des déficiences, le fait de ne pas pouvoir bouger pendant un certain temps… Je vous dirais plutôt une déficience d’intégrer des données nouvelles, ce que demande le contact à l’extérieur en général. Le fait d’avoir été enfermé pendant plusieurs mois, ça doit... c’est très intéressant comme question, c’est sûrement vrai. Je réfléchis s’il y a des patients à qui c’est arrivé. Ça a dû enlever le caractère rassurant pour des gens qui étaient peut-être phobiques déjà un peu auparavant, ça a dû enlever le caractère rassurant de l’entourage. C’est une question très intéressante…

 

Etudiante : Bonsoir, je me posais la question suivante : on entend beaucoup que les thérapies cognitivo-comportementales sont très efficaces sur les phobies. Avec tout ce qu’on apprend dans les cours, je me demandais justement comment c’était possible. Si tant est que ça marche, le fait de confronter la personne à son objet phobique peut finalement le faire désinvestir cet objet. Je ne sais pas. Du coup, j’essaie de le transposer.

 

Ça marche très bien. Janet en parlait déjà dans son livre sur les psychothérapies. Si vous avez quelqu’un qui a peur des araignées, vous allez d’abord mettre une araignée tout à fait au fond là-bas, et puis vous allez la rapprocher peu à peu, et puis vous allez finalement la mettre sous le nez et finalement apprendre au patient à se balader avec une araignée sur la main. Le problème, c’est que ça ne change rien au fait qu’il est phobique et qu’il ait ce problème avec le regard. 

Ça va simplement se transposer ailleurs. Ça ne change pas sa relation à l’objet d’angoisse. Ça va arranger les choses par rapport à l’objet en question, à condition que l’on y mette beaucoup de patience. Ça ne va pas évidemment soigner. La phobie n’est pas quelque chose qui ressortit à la crainte d’un objet réel auquel il faudrait s’accoutumer. C’est un objet imaginaire qui va déclencher la phobie, ou réel si vous voulez. Imaginaire et réel. Quand bien même vous approcheriez l’arachnide peu à peu, qu’est-ce que vous allez faire si jamais le patient fait des rêves où il y a toujours une bille qui le poursuit ? Vous voyez comment c’est un signifiant. Ce n’est pas simplement la proximité d’un objet de la réalité commune. 

 

Etudiante : J’avais toujours la même question sur la mère qui ne lâche pas son enfant. Est-ce que dans la clinique, vous avez vraiment vu que les patients phobiques que vous aviez, c’était vraiment cette problématique-là ? 

 

On ne voit pas la mère en général. Moi, je vois surtout les adultes. La problématique, c’est ce que vous disiez... Il y a quelque chose... Comment dire ?... qui reste sous le regard... sous le regard de la mère qui ne lâche pas. Vous voyez, il y a les mères modernes qui ne bougent pas, qui ont peur que l’enfant s’écorche le moins du monde. 

 

Etudiante : Je vois, mais est-ce que vous voyez dans votre clinique ? Est-ce que c’est ça qui ressort dans... ? 

 

Chez un phobique adulte, on ne retrouve pas ça parce que ce sont des choses qui se sont passées quand l’enfant était tout petit. C’est très difficile de savoir comment était la mère. On repère mieux la mère de l’obsessionnelle, toute-puissante, éventuellement méditerranéenne. Méditerranéenne, c’est ce qu’on appelle la mère juive, ce n’est pas une mère juive, c’est la mère dans tout l’ensemble du bassin méditerranéen. C’est la mère qui considère que la virilité, son petit garçon la tient d’elle et non pas de son père. C’est elle qui en a fait un homme et qui l’enjoint d’être un homme pour elle. Il y a des mères comme ça qu’on peut repérer. C’est aussi bien la mère grecque, italienne, juive, tout ce que vous voulez. La mère juive, c’est un truc de New York, mais on voit bien à quoi ça correspond dans la clinique. 

Je ne crois pas que l’on puisse repérer la mère du phobique. Disons qu’on voit chez Hans un peu comment ça a pu se constituer, comment Hans a eu besoin d’un tiers qui soit à l’extérieur de cette cellule familiale tellement attentive où on ne regarde que lui, où l’on s’intéresse à lui pour raconter ensuite au Professeur, où il est sous le regard familial tout le temps. Il a pu s’en séparer de ce regard à condition de constituer un objet extérieur qui était justement le Pferd. Tout cela est un peu flou. Je n’aime pas trop la manière dont je vous le dis, mais vous voyez à peu près ce que je veux dire. D’autres questions ou on s’arrête ? 

 

Etudiant : Oui, moi, j’ai une dernière question, Monsieur. En analyse, justement, je me posais la question, qu’est-ce qui décoince finalement ? Qu’est ce qui peut guérir ou diminuer la phobie en analyse ? 

 

Je crois, je vous l’ai glissé tout à l’heure au passage, je crois que c’est le fait que le phobique se rende compte que l’objet qu’il craint est dans le langage. C’est quelque chose qui est du côté des signifiants et pas à l’extérieur. Il y a quelque chose qui va se passer du côté du langage. Quand il va renoncer à cette espèce de jouissance / angoisse de l’objet phobique — parce que j’ai passé les rapports de l’angoisse et de la jouissance […] Je ne sais pas si c’est pour ça que je vous disais qu’une interprétation, même un peu musclée, de la part du thérapeute, ce n’est pas si mal. Ça l’oblige à entendre des jeux de mots obscènes éventuellement dans le moindre propos. Parfois, c’est une interprétation précise…

Je me souviens d’un phobique… ce qui avait changé c’est qu’il racontait qu’il avait peur du regard de son père. L’analyste lui dit « Vous êtes dans sa mire ». La mire, c’est ce qui se trouve dans une arme, ce qui permet de viser. Et là, le signifiant bizarre, - parce que ce n’était pas un signifiant du patient lui-même mais le signifiant de l’analyste, et qui plus est, on ne comprend pas tout de suite ce qui est dit - cela a ouvert quelque chose pour l’analysant en situant les choses du côté de la mère, bizarrement. Il y a quelque chose qui est passé, l’objet, la phobie, le garçon parlait du regard de son père… Mais tout à coup, l’analyste, bizarrement, à propos du regard du père, ne dit pas « Oui, vous avez peur de votre père… ». Il lui dit « Vous étiez dans sa mire. » Et vous voyez comment, à travers le signifiant, il y a quelque chose qui bascule du côté de la mère. Il y a quelque chose qui se déplace. L’analyste arrête la séance là-dessus, l’analysant sort interloqué et quelque chose commence à se mettre en place du côté de l’objet de la phobie qui est dans le langage et non pas dans la réalité familiale.

Il n’y a que des trajets. Il n’y a pas une espèce de parcours, comme un parcours de triathlon dans la cure d’un phobique. 

 

transcription : M.-A. Menuet-Sahler

relecture : M. Lasry & A. Videau