Charles Melman : "Le petit Hans" - 3

Conférencier: 

EPhEP, Séminaire de l'année Professionnelle, 21/11/2013 

  

Charles Melman : Nous avons droit à un chapitre remarquable et qui j'espère vous fera plaisir puisque chacun d'entre vous pourra y trouver la possibilité d’apporter son adhésion aux diverses thèses, facilement contradictoires, qui constituent le fond de ce chapitre. Je parle du chapitre deux, donc, du petit Hans que nous allons traiter ce soir pour, la prochaine fois, pouvoir conclure, afin de passer à la façon dont Lacan dans La relation d'objet a repris cette observation.

La gageure est donc ce soir de traiter l'essentiel des soixante pages qui constituent le paragraphe numéro deux Histoire de la maladie et analyse et vous allez voir, à votre stupéfaction, combien c'est facile et agréable.

C'est facile et agréable parce que vous allez y voir, au moment de la constitution des théories sexuelles de cet enfant, de cet enfant intelligent, vous allez assister au foisonnement des thèses les plus imaginaires, normales donc, je veux dire qui ont la caractéristique non seulement d'être propres potentiellement à chaque enfant mais qui en outre ont ici le mérite d'être successivement reprises par les honorables adultes et savants qui entourent cet enfant et qui vont à chaque fois, à partir de ces constructions à proprement parler imaginaires, essayer de construire une interprétation qui soit efficace sur le symptôme du petit Hans. Et à la limite vous pourrez vous dire en lisant ce chapitre que vous y trouvez la matrice, avec ces thèses imaginaires, des diverses écoles psychanalytiques qui peuvent se construire à partir de chacune de ces thèses ; il n'y a aucune raison pour que quelqu'un qui se sente quelque charisme ne puisse, à partir d'une de ces thèses, construire le type d'élaboration auquel vous allez assister.

Ce qui évidemment n'a pas manqué de vous surprendre c'est que finalement, dans ce cas de phobie, de phobie il n'est à proprement pas fait question ; il n'est proprement pas parlé de ce qu'est la phobie. L'observation est entièrement détournée du côté de l'angoisse, l'effet phobique devenant, je dirais, un effet secondaire de l'angoisse et à la limite accessoire. Il est donc, je dirais, assez remarquable (mais je sais que vous n’avez pas manqué de le faire) de pointer le fait que, de ce cas de phobie, eh bien il n'est tiré aucun enseignement sur ce qu'est la phobie. En revanche, toute la construction théorique est faite sur l'angoisse éprouvée par le petit Hans à l'occasion, je dirais, de ses sorties hors de la maison, et cette angoisse venant en quelque sorte justifier la thèse freudienne - le papa s'y emploie avec beaucoup de bienveillance à l'endroit de Freud -, la thèse freudienne selon laquelle l'angoisse est l'effet d'une libido qui ne peut se satisfaire, qui ne peut s'écouler, qui ne peut s'exprimer. Et Freud va à cette occasion distinguer deux types d'angoisses : l'une étant normale dès lors qu'elle peut céder à la pratique sexuelle qui permet l'apaisement de la tension libidinale ; l'angoisse névrotique venant résister à toute satisfaction de l'objet.

Vous allez donc assister à ce qui sera la démonstration de la tension libidinale érotique de ce petit garçon vis-à-vis de sa mère, de l'effet d'angoisse produit par cette montée libidinale. Et l'intervention, dont on ne comprend pas comment dans cette économie libidinale elle est susceptible d'avoir un effet satisfaisant, l'intervention salvatrice du professeur Freud, qui va donc recevoir cet enfant avec son père et qui va lui dire (et ça, ça fait partie des classiques de la psychanalyse) à cet enfant : « j'ai toujours su qu'il y aurait un jour un petit garçon qui aimerait tellement sa maman, qu’il ne voudrait pas y renoncer et qu'il éprouverait des sentiments de rivalité et d'hostilité à l'endroit de son père ».

C'est là l'unique intervention que fait Freud dans ce cas et qui a une conséquence passionnante : nullement du fait d'avoir un effet sur le symptôme, absolument pas (Hans est toujours aussi perturbé qu’auparavant), mais du fait d’une déclaration d’amour à son père, une déclaration d'amour à son père et quelque chose comme une tentative d'identification à son père, voire même d'être en quelque sorte peut-être un rival dans l'amour que ce père a pour sa femme, pour la mère. Il est donc, je dirais, assez génial, assez remarquable qu'après avoir enseigné l'Œdipe à cet enfant, qui a une réponse tout à fait passionnante puisqu'en sortant de la consultation chez le professeur Freud, il dit à son père : « Est-ce que le professeur a des relations avec Dieu pour savoir aussi bien ? » et cætera, et cætera. Et il est évident que le professeur est très flatté et très justifié dans sa proposition du fait que le petit Hans vienne ainsi placer au bon endroit finalement n'est-ce pas, ce qu'il en est du savoir, du savoir sur le désir et du savoir en tant qu'organisateur du désir.

Mais, comme vous n'avez pas manqué de le remarquer si vous avez pris soin de lire attentivement cette observation, cet effet d'identification va être transitoire. Il va être transitoire puisqu’on va découvrir en cours de route - parce que ça se lit comme un roman policier c'est très, très bien construit, je ne suis pas certain que nous serions... faut un certain talent pour être capable d’écrire un polar comme celui-là -, nous allons découvrir que, au fond, une identification se dégage… à qui ? Au cheval, qu'il est un jeune cheval.

Alors, si nous prenons soin en ce qui nous regarde, si nous prenons soin d'interroger ce qui est plus spécifiquement la phobie, et en particulier bien sûr ce qui est la phobie des animaux qui, comme on le sait, est après tout très répandue, hein… Levez le doigt ceux qui ont une phobie des araignées ? Tout le  monde, je le vois tout de suite, ce n'est pas un problème… La phobie des animaux… Et avec la question que vous vous posez immanquablement : mais pourquoi ? Pourquoi est-ce que les animaux… et alors on va voir un passage, un étalage de tous les animaux du zoo de Schönbrunn. Pourquoi cette phobie des animaux ? Pourquoi l'animal est-il si facilement pour nous, pauvres créatures parlantes, emblématique de la phobie qu'il peut nous provoquer ? Sans doute parce que chaque animal est le symbole, bien entendu, de la vie, mais symbole en tant que nous en sommes écartés, de ce symbole-là ; c'est-à-dire que nous ne relevons pas de ce règne. Et qu'il viendrait en quelque sorte représenter pour nous l'énigme de ce qu’est le symbole de la vie, dès lors que je ne peux pas m'en réclamer de ce symbole-là au titre d'une appartenance. Et, je crois que ce point est une assez bonne illustration de ce que va être le choix chez Hans de l'animal phobogène, alors qu’il en avait un sous la main qui va être forcément évoqué, et qui est la girafe. Je dis qu'il l'avait sous la main alors qu’en réalité il l'avait au-dessus de sa tête, puisqu’une représentation de la girafe se trouvait, avec celle de l'éléphant, dans un tableau, une gravure qui était située au-dessus de son lit. Et il va donc avoir avec cette girafe un rapport assez remarquable, dans une tentative identificatoire qui bizarrement va tourner court, alors que dans un rêve elle vient se présentifier sous la forme de deux girafes, l'une au long cou et l'autre chiffonnée, plus petite et chiffonnée. Ce que ne savait pas Lacan, ni d'ailleurs son auditoire, au moment où il a fait son séminaire, et même à la fin de sa vie ça ne se savait pas encore, c'est qu’il suffit donc de faire tomber une lettre du signifiant Girafe pour trouver le nom, enfin il faut en faire tomber deux, pour trouver le nom de la famille, le patronyme du petit Hans, qui était donc Graf.

C'est un passage qui, à lui tout seul, mériterait un colloque d'au moins trois jours. Pourquoi ?... Pourquoi ? Parce que d’abord ce rêve survient justement au moment où se pose à cet enfant la question, criante, de la castration, et en tant qu'elle est nommément dirigée sur son fait-pipi, sur son organe. Et où, là, nous voyons cette castration opérer, je dirais, sur le signifiant même qui va rendre compte ensuite de son nom, c'est-à-dire le passage du nom de l'animal phobogène au patronyme, à un nom humain, l'opération consistant en la chute d'une lettre principalement, deux si vous voulez, et où il est assez remarquable qu'à cette occasion la thèse lacanienne de la chute de la lettre comme organisatrice du désir se trouve, de façon tellement innocente chez cet enfant, présentifiée à l'occasion de ce rêve; dans une complexification qui est la suivante, c'est qu’il va, à cette occasion, vouloir dégager la girafe au long cou qui donc est préservée de tout froissement, c'est-à-dire subsiste dans son intégrité, opposer donc à ce qui serait la girafe au long cou, non castrée, l'autre, castrée. C'est-à-dire que l'opération symbolique est elle-même interprétée en terme imaginaire. Quelque chose comme la spéculation ordinaire de l'enfant qui cherche à se repérer dans le champ de l'Imaginaire à partir du fait que : y en a qui l'ont, et y en qui l'ont pas. Mais le processus lui est bien en place, et le père d'ailleurs sera tellement généreux que, à un moment donné, quittant, sortant de la maison, peut-être avec le petit Hans, etc., il va lui dire « ah ben oui donc tu laisses à la maison la grande girafe, désignant par là la maman, et la petite girafe, désignant par là la sœur, Anna ». Et ces quiproquos sont admirables, je veux dire que, vraiment, un auteur dramatique aurait à se régaler de la permanence des quiproquos qui vont là sans cesse se jouer entre les protagonistes puisque nous, nous avons la chance d'être dans une position, je dirais, en double abyme. D'une part nous avons ce que nous pouvons supposer être l'argumentation ordinaire de parents bienveillants à l’égard d'un enfant qui manifeste une phobie, donc le bla bla ordinaire conventionnel qui s'articule à ce propos ; là-dessus nous avons un premier abyme qui est que les parents dûment informés des théories de la sexualité de Freud vont introduire, substituer à ce discours commun un discours réputé savant et qui est complètement imaginaire, c'est-à-dire  finalement qui n'est pas d'un ordre différent de celui qu'auraient tenus des parents, je dirais, normaux ; parce qu'ils ne sont pas normaux, hein, les parents du petit Hans. Et donc nous assistons à ce qui est leur délire imaginaire concernant les symptômes du petit Hans. Et nous, nous avons encore une deuxième position en abyme sur ce qu'ils disent puisque nous sommes en mesure, à partir d'une lecture lacanienne de l'affaire, d'y introduire un ordre… surprenant, et dont je crois qu'on pourrait dire qu'il apparaît souverain par l'économie qu'il introduit dans l'affaire. En quoi est ce que notre lecture serait moins délirante que celle de Freud et des parents ? Mais c'est sans doute que c'est d'abord une lecture très économique, grâce à une distinction que j'ai déjà évoqué du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire, très économique, et qui je dois dire même lorsque je cherche à la secouer, à la bousculer, à la tirer s'avère extraordinairement opératoire.

Alors donc nous, nous sommes dans une position d'enfants gâtés, puisque c'est tout à fait dans une position de double surplomb que nous assistons à ce qui se déroule, avec évidemment cet espèce de contentement un peu niais d'avoir les clefs de cette affaire. Mais c'est vrai que nous les avons, c'est vrai, et en particulier sur ce qui n'est absolument pas traité, c'est-à-dire la phobie. Névrose d'angoisse… le petit Hans est traité comme une névrose d'angoisse.

Alors ceci étant, pourquoi le cheval ? Qui va donc être l'un des… finalement l'un des modes de traitement de la phobie, par identification, du petit Hans. Au lieu de le traiter comme un animal phobogène, il va dire qu'après tout il est de la famille des poulains, des jeunes chevaux, lui-même il galope. Alors le terme de galoper va servir du pont, je dirais, pour justifier cette identification.

Alors, pourquoi le cheval ? D'abord nous apprenons, au détour d'une page et dans une petite note qui tient juste une ligne en bas de page, qu’il y a eu un déménagement. On a quitté un premier appartement pour passer dans le second, et dans le second… c'est dans le second que Anna est née, la petite sœur. Que Anna est née et nous apprenons aussi que l’objet phobogène est constitué par le cheval en train de tirer des wagons chargés, il faut qu'ils soient chargés, ou des omnibus ; si c'est un wagon vide, non ! C'est pas phobogène. Et il est bien évident que s'éclairera un petit peu plus loin, à la fin du chapitre, que ce wagon chargé est évidemment représentatif de la grossesse maternelle. C'est la condition.

Ce qui est pour nous, je dirais, qui pourrait nous donner une étrange leçon, c'est que, au fond, cet animal qui, en quelque sorte, est à l'origine du mouvement des wagons, qui est comme la locomotive, qui est ce qui entraîne les wagons, nous ne pouvons pas faire autrement que y voir une projection imaginaire de ce qui entraîne la chaîne signifiante, et dont nous savons que ce qui est réputé être l'instance motrice du mouvement de la chaîne signifiante, du transport du signifiant, c'est le phallus. Et donc je dirais que d'un point de vue épistémologique il est assez… je dirais, ça fait un choc de voir qu'un élément aussi abstrait puisse venir se figurer dans un symptôme phobogène. Alors, vous me direz : « ho, c'est quand même… hein, tiré par les chevaux, par les cheveux, bon faut pas exagérer là ! ». Et cependant vous allez aussitôt trouver le deuxième argument qui vient illustrer cette thèse irréfutable, et cet élément c'est que il y a, avec le cheval, un risque : c'est qu'il vienne mordre les doigts. Et alors vous avez cette autre surprise, c'est la façon dont la menace de la castration, qui est précisément interne, liée au transport de la chaîne signifiante, et à partir du moment où elle est animée par le phallus, soit ainsi présentifiée, illustrée comme une BD, par le fait que le cheval risque de… Alors, d'où est ce que ça vient, ça, pour le petit Hans ? Ça vient de ce que, à l'âge de deux ans ou trois ans je ne sais plus où, à la campagne, avec son amie, sa copine qui s’appelait Lisa, elle caressait le museau du cheval et son père lui a dit : « Ne donne pas ta main au cheval parce qu'il pourrait te mordre »… « Ne donne pas ta main au cheval parce qu’il pourrait te mordre ». Et, à cette occasion, vous trouverez dans le texte une équivoque très jolie en allemand autour du mot « beißen » qui veut donc dire mordre, mais qui veut dire aussi démanger ; c'est amusant, ça, mordre et démanger, c'est curieux. Bon, ça, c'est en français. Démanger. Mais je veux dire que… une lésion cutanée qui irrite, qui est urticante, on utilisera pour caractériser son effet le verbe « beißen », elle « démange », et Freud ainsi que le papa vont y associer le fait que l'enfant a pu ressentir au niveau de son fait-pipi des sortes de démangeaisons, ça le mordait, là. Et donc l'association, le pont, le pont avec le fait que ça pouvait faire disparaître les doigts. Et puis, dans ce monde enchanté qui est le nôtre, vous avez encore cette surprise de trouver en allemand l'homophonie qui existe entre « Wagen », le wagon donc de transport, et « Wegen », la cause. Avouez, quand même, c'est pas beau, ça ? Humm… Comme si justement dans cette chaîne de transport - je vous dis Lacan il est freudien, vous voyez -, comme si dans cette chaîne de transport, eh bien vous aviez ce qui se présentifie à propos de chaque wagon comme la manifestation, là, d'une cause, d’un « Wegen », et qui provoque tout ce mouvement. Enfin, toujours pour rester dans notre haras, vous avez le fait que l'un des éléments de la phobie va tourner autour du cheval qui tombe ; et il aurait assisté, sa mère le confirme, au fait que se promenant avec elle eh bien il y a un pauvre cheval qui a dérapé des quatre fers sur le pavé viennois, et qui est tombé. Le cheval qui tombe. Et est associé à cette chute de cheval le charivari, le charivari, le bruit qu'il faisait avec ses pattes, et en particulier postérieures, dans cette chute ou en essayant de se relever et en n’y parvenant pas. Ce qui est amusant c'est que, dans cette crainte de la chute du cheval, on peut sûrement voir plus précisément ce qu'il en est de l'organisation phobogène de l'affaire, c'est-à-dire la crainte, l'angoisse que le phallus ne vienne à disparaître ; qu'il se casse la figue, qu'il se casse la gueule, et il est bien clair qu'à partir de ce moment-là, si c'est le cas, eh bien c'est plus embêtant.

Ce qui nous émerveille c'est de vérifier que cette affaire de charivari va être rapprochée du fait que… enfin, ça alors c'est admirable aussi… du fait que le petit Hans, comme il semble que ça soit pas mal pratiqué dans ces bonnes familles, accompagnait sa maman au cabinet et que lui-même contestait le fait d'être mis sur le pot par des mouvements charivaresques de ses membres inférieurs. Et que donc sera évoqué sa constipation, ce qui était vraisemblablement une opposition tout à fait banale à la mère, mais que ce charivari va être mise au compte, donc, d'une contestation à la propreté, à l'ordre anal, alors que on sait que le petit Hans a dormi dans la chambre parentale jusqu'à l'âge de quatre ans et qu'il est vraisemblable, c'est même sûrement peu évitable, qu'il a assisté à des charivaris d'un tout autre ordre que celui du pot de chambre. Mais, et c'est ça je dis bien le confort de notre position en surplomb, mais ce qui a dû être la crainte à ce moment pour cet enfant que dans cette affaire le cheval ne tombe et ne disparaisse, ne se fasse engloutir, eh bien que cette évocation qui, je dois dire, vient immanquablement à l'esprit des élèves de Freud et de Lacan et de… est radicalement absente. On n’y est absolument pas. Et que donc on fait basculer du côté de l'analité ce qui… on partage, du côté de l'analité, l'interprétation sexuelle de l'enfant ; je veux dire que l’enfant ne peut pas interpréter le moment sexuel de ses parents autrement que dans le champ de l’analité. Et donc on voit de quelle manière les adultes, là en l’occurrence, eh bien viennent tout simplement partager cette thèse du petit et font un blanc sur ce qui n'était pas un blanc pour ce gosse, et qui devait donc essayer de se débrouiller avec ce qu'étaient ses perceptions dans ladite situation.

Donc il y a eu l'intervention du professeur Freud, intervention œdipienne, et qui a sûrement eu un effet symbolique puisqu'au fond ce que lui disait le professeur Freud c'est que, au fond, cette libido qui l’embarrassait, il avait pas à chercher à la satisfaire, il avait à y renoncer ; mais ça, ce fait que dans l'économie psychique, Freud invite un enfant à renoncer à sa libido, pour entrer dans la phase de latence, ça, ça n'est nullement je dirais… ça n'est nullement pris en compte, ça n'est nullement expliqué qu'il avait à y renoncer. Et cela au profit donc de ce qui va être cette éclosion absolument admirable de l'amour pour son père. Avec quelque chose d'autre, j'ai pas retenu la page, qui va être un moment pas moins sensationnel, je l'ai souligné mais… et où il frappe le sol avec une canne, le petit Hans, en disant : « Est-ce qu'il y a quelqu'un dessous ?». C'est admirable, hein ? C'est admirable de quelle manière le contact direct de l'enfant avec les problèmes soulevés, je dirais, justement par sa capture dans l'interprétation libidinale du langage est claire… est tellement… c'est nous évidemment qui, chaque fois, tordons ça à notre manière. Mais chez le gosse, c'est d'une pureté absolument… Vous le retrouverez vous-mêmes, c'est pas la peine que je vous le cherche... Bon, vous le trouverez vous-mêmes cet épisode, et qui je dis bien est tout à fait admirable là encore dans la mise en place, comme venant illustrer la mise en place de l'ordre symbolique ; qui nous donne pas encore quelles vont être ses identifications dans l'ordre symbolique, mais qui nous montre que l'ordre symbolique il est là, il est à l'œuvre.

Et vont intervenir, pour ce qu'il en est finalement de son identification, avant qu'il ne se reconnaisse comme un poulain, comme un jeune cheval, autrement dit se réconcilie avec l'animal phobogène, deux rêves qui concernent le plombier. Le plombier… premier rêve où le plombier vient avec un perçoir lui perforer l'abdomen. Voyez, là encore, interprétation évidemment sexuelle féminisée du rapport à son père. Et puis un deuxième rêve qui est vu là par Freud comme étant un rêve de victoire thérapeutique, le plombier toujours mais qui vient modifier, enlever le postérieur et le fait-pipi pour le remplacer par un autre, et donc ce qui serait l'accession, à partir de ce remplacement fait par le plombier, l'accession à une identification, dira Freud (et le papa), virile. Question pouvant rester ouverte de savoir pourquoi le postérieur était concerné dans l'affaire… Hein, on aurait bien vu un geste chirurgical sobre, et qui se dispense comme ça d'un élargissement suspect du champ opératoire, mais c'est comme ça et justement sur ce rêve qui sera pris comme conclusif et venant illustrer la réussite thérapeutique, eh bien vous verrez de quelle manière Lacan reprend cette question. Vous verrez également donc, dans ce chapitre deux du petit Hans, intitulé Histoire de la maladie et analyse, le nombre de pages qui sont... témoignent de la pollution, introduite par les interventions paternelles voire maternelles, dans l'état du gosse, je veux dire que les questions du père sont telles que… Je crois que ça a dû être extrêmement thérapeutique pour l'enfant que le père soit complètement à côté de la plaque, c'est-à-dire ne puisse aucunement passer pour un personnage omniscient, pénétrant avec précision et justesse ses pensées, lisant dans ses pensées les plus secrètes, et où on voit très bien comment aurait pu se dessiner un personnage persécutif qui aurait rendu le gosse complètement zinzin. Donc à la fois on est agacé de voir de quelle manière le père y va avec, je dirais, sa grossièreté théorique, comment il induit chez le petit Hans des réponses, je dirais… qui entrent à partir de ce moment-là dans le jeu normal des méconnaissances, de la méconnaissance telle qu'elle règle nos communications. Hein, voilà, on fait rentrer cet enfant de plein pied dans la méconnaissance ordinaire de ce qu'est la communication. Après tout, c'est peut-être thérapeutique, ça aussi ? Faudrait savoir… Peut-être que ça fait beaucoup de bien à l'enfant de pointer le fait que ses parents, ils… pfff, ils sont complètement à côté et qu'ils disent n'importe quoi, ou bien qu'ils parlent eux-mêmes comme des enfants, dans leur interprétation imaginaire… qu'on parle d'enfant à enfant c'est-à-dire qu'on se raconte des histoires, peut-être que... Alors vous verrez, c'est un chapitre qui fait soixante pages, vous verrez que sur ces soixante pages y a bien la moitié qui est constituée du délire du papa, et qui dit au petit Hans les choses les plus aberrantes… les plus aberrantes… Par exemple, quand il y a le rêve :

« Le plombier est venu et il m'a d'abord enlevé, avec des tenailles, le derrière et alors il m'en a donné un autre, et puis la même chose avec mon fait-pipi. Il a dit : « Laisse-moi voir ton derrière », alors j'ai dû me tourner et il l'a enlevé et alors il a   dit : « Laisse-moi voir ton fait-pipi » ».

Alors Freud dit :

« Le père saisit le caractère de ce fantasme de désir et ne doute pas un instant de la seule interprétation qu'il comporte. »

Le père disant :

« [...] - Il t'a donné un plus grand fait-pipi et un plus grand derrière.

Hans - Oui.

[Le papa] - Comme ceux de papa, parce que tu aimerais bien être papa ?

[…] - Ha, oui j'aimerais aussi avoir une moustache comme toi et aussi des poils comme toi. [...] »

Donc vous voyez, vous voyez dans quoi…

Alors « il faut », ajoute le père :

« […] rectifier l'interprétation du fantasme précèdent de Hans, dans lequel le plombier était venu, avait dévissé la baignoire et lui avait enfoncé un perçoir dans le ventre. La grande baignoire signifie le « derrière », le perçoir ou les tenailles, comme nous l'avions déjà interprété, le fait-pipi. Ce sont des fantasmes identiques. »

Voilà. Bon, voilà par exemple le genre de chose, le genre de baignoire dans laquelle plonge le papa, et tout ça, je dis bien, je vous passe tous les détails sur la présence du petit Hans dans les toilettes avec maman, mais vous vérifierez ça vous-mêmes, bon… les histoires de cigognes… enfin bref, bon.

Et puis après ce rêve, donc, du plombier-thérapeute, le père de Hans écrit à Freud la chose suivante :

 

« Cher Docteur,

Je voudrais ajouter encore ce qui suit à l'histoire de la maladie de Hans : [Premièrement] La rémission qui suivit les premières révélations que je lui fis, relativement aux choses sexuelles, n'était pas aussi complète que je l'ai peut-être représentée. [Ah, il est honnête ; il dit que la rémission…] Hans allait certes à la promenade, mais rien que quand on l'y forçait et avec une grande angoisse. Il alla une fois avec moi jusqu'à la station de la Douane Centrale, d'où l’on voit encore notre maison, mais rien ne put le décider à aller plus loin. »

Donc vous voyez, hein, pour ce qui est de la phobie, le papa il dit : j'ai peut-être exagéré les bonnes nouvelles parce que Hans, il est toujours aussi phobique…

« [Deuxièmement] Sirop de framboises, fusil. [Parce que intervient dans un rêve du sirop de framboise et le fusil ; mais c'est intéressant, pourquoi ?] On donne à Hans [dit le père] du sirop de framboise quand il est constipé. Schiessen [qui veut dire « tirer », schiessen, et même pas seulement tirer une voiture mais tirer au fusil, schiessen] et scheissen [qui veut dire aller au cabinet] sont des mots que Hans ainsi confond souvent »

Il confond schiessen, tirer et scheissen, faire caca. Voyez, voilà un élément du réseau, là, associatif qui se précise.

« [Troisièmement] Hans avait environ 4 ans quand on lui a donné une chambre à part ; jusque-là il avait couché dans notre chambre ; »

C'est drôle que le père éprouve, à ce moment-là, au moment où il donne une lettre conclusive, hein, à Freud le besoin de préciser ça.

« [Quatrièmement] Un résidu du trouble subsiste encore, seulement il ne se manifeste plus sous forme de peur, mais sous la forme de [l'instinct] normal chez les enfants, [de] poser des questions. Ces questions se rapportent principalement à ceci : de quoi sont faits les objets (tramways, machines, […]), qui fait les objets, etc. Il est caractéristique [de] la plupart de ces questions que Hans les pose bien qu'il y ait déjà répondu lui-même. Il recherche simplement des confirmations. Comme un jour, fatigué de ses questions, je lui disais : « Crois-tu donc que je puisse répondre       à tout ce que tu demandes ? » il répliqua « Mais je croyais, parce que tu as su la   chose à propos du cheval, que tu saurais ça aussi » »

C'est très amusant, ça, ce que fait Hans, parce qu’il persécute son père à l'envers, hein, il l’emmerde : « Toi qui es tellement savant, alors explique-moi toutes les choses, hein qu'est-ce quelles sont, qui les a faites, qui les a fabriquées, d'où elles sortent, d'où elles viennent ? Hein, puisque tu es si fort ». Je trouve ça absolument délicieux. Alors :

« [Cinquièmement] Hans ne parle plus de sa maladie que comme d'un fait historique passé [alors qu'il l'a toujours, il dit] : « [alors] quand j'avais la bêtise...» ; »

Alors je suis désolé, j'ai pas eu le temps d'aller rechercher le terme allemand pour bêtise ; mais il faut le faire puisque c'est une affaire de bête, cette histoire. Il y a des germanophones parmi vous ? Non. Il n’y a pas de bonne volonté germanophone. Donc faudra que je me tape d'aller rechercher.

 

Myriam Bacarisse : Je me demande si c'était pas Dummheit ?

 

Charles Melman : J'en suis pas sûr, j'y ai pensé spontanément mais j'en suis pas sûr. Si c'est Dummheit, euh… Dumm, c'est pas… c’est une bêtise abstraite, c'est pas spécialement animal. Si vous avez ça sous la main, un dictionnaire, c'est formidable. Alors :

« [Sixièmement] Le résidu qui [se cache] derrière est celui-ci : Hans se casse la tête pour comprendre ce que le père a à faire avec l'enfant, puisque c'est la mère qui met celui-ci au monde. On peut le voir d’après ses questions, par exemple, quand il demande : « N'est-ce pas, [quand il dit à son père] j'appartiens aussi à toi ? » (Il veut dire, pas seulement à sa mère.) Mais de quelle manière il m'appartient, cela ne lui est pas clair. [Par contre], je n'ai aucune preuve directe qu'il ait, comme vous le supposez [il dit à Freud], épié un coït de ses parents »

Dit le père. « J'appartiens aussi à toi », donc ce qui veut dire que l'ordre symbolique pour avoir été ébauché, ben il est pas… il s'est pas conclu. Le rond du symbolique est là ouvert, problématique. De quelle manière lui Hans, qui a maintenant plus de quatre ans, il appartient à son père ? « J'appartiens aussi à toi », il y a quelque chose là qui le tourmente.

« [Septièmement] En exposant ce cas il faudrait peut-être souligner la violence de l'angoisse, car sans cela on pourrait dire : « il [aurait] bien vite [été] promener si on lui avait seulement donné une bonne fessée.» »

Finalement le père, au point où il en est là de son parcours, il dit, après tout hein on s'est bien compliqué la vie, si on lui avait filé une bonne fessée au moment où il a démarré son machin, on se serait peut-être évité... Il nie le spectacle du coït parental… Elle est d'une ambivalence à l'endroit de Freud remarquable, hein, cette dernière lettre.

Freud maintenant… heu c'est le père ou Freud ? Oui, c'est Freud qui termine la lettre du papa en disant :

« J'ajouterai pour finir que, dans le dernier fantasme de Hans [celui du plombier], l'angoisse émanée du complexe de castration est surmontée, l'attente anxieuse muée en attente [bienheureuse]. Oui, le docteur (le plombier) vient, et lui enlève son pénis, mais ce n'est que pour lui en donner un plus grand à la place. Quant au reste, notre jeune investigateur a simplement fait de bonne heure la découverte que tout [savoir] est fragmentaire et que sur chaque degré gravi de la connaissance un résidu non résolu demeure. »

Donc vous voyez, il y a là un élément de dialogue avec la persécution que fait subir le petit Hans à son père, en essayant de lui dire : puisque tu es tellement malin, explique-moi, puisque tu sais tout expliquer, vas-y…

Alors, pour conclure ce soir, je vous rappellerai le secret que je vous ai déjà à dire vrai, je pense, transmis, enseigné (mais peut-être faut-il vous le rappeler), c'est que, comme vous le savez, le couple des parents était en analyse chez Freud. C'était très audacieux, très moderne, très avant-gardiste, très progressiste. Et ils l'étaient l'un et l’autre justement pour pouvoir bien élever leurs enfants, et également pour avoir une vie conjugale plus satisfaisante. Rien de tout cela, de ces souhaits ne se réalisera puisque le petit Hans a été bien cogné, pas la sœur, Anna, c'est lui qui a pris. Et que d'autre part le couple s'est séparé, et s'est séparé sans doute à cause d'une rivalité à l’intérieur du couple, d'une rivalité virile à l’intérieur du couple et où la mère supportait mal que le papa soit l'enfant chéri de Freud. Parce que le papa lui a fourni toute cette documentation sur le petit Hans, que le papa était invité aux réunions du mercredi, réunions qui se tenaient chez Freud et ils étaient une douzaine comme ça de personnes qui balançaient comme ça des thèses, des théories, qui racontaient des cas, etc. Et donc Freud estimait beaucoup le papa qu'il trouvait intelligent, courageux. Et manifestement la mère, elle, était écartée. Et on peut même supposer que, à l'endroit du petit Hans, cette rivalité à l'égard de Freud dans la quête de l'amour de Freud, cette rivalité entre la mère et le père, et dans la volonté de la mère d'afficher, je dirais, sa valeur aux yeux de son enfant, alors que c'était le père qui était le favori de Freud, on peut imaginer (ça coûte rien) que ça a pu avoir un rôle déterminant dans la phobie, dans l'histoire du petit Hans.

Mais en revanche le secret, et c'est drôle que Lacan l'a pas, ce secret, il ne l'a pas mentionné ou peut-être que je le lui ai pas transmis… ça doit être ça. Eh bien, ce secret c'est que, comme vous le savez, le cheval en allemand se dit « Pferd ». Et que toute la famille, le père et la mère, étaient suspendus à un réfèrent organisateur de leur vie familiale qui était Pfreud, le professeur Freud... Pferd-P(r.)Freud... Professeur Freud dont le pauvre petit Hans, je dirais, était, de la référence à ce professeur, exclu, il n'en était pas de cet ancêtre-là, du « Pferd-P(r.)Freud », humm… Lui, il n'en était pas, il devait en entendre parler à longueur de journée. Et puis il savait qu'il était sous observation, pour le professeur, etc., etc. Et c'est à partir du jour où, une fois, il a été reçu par P(r.)Freud, une fois, où donc il a été admis et reconnu, que ça a eu un effet, je dirais, essentiel dans son, pas la guérison de sa phobie mais dans son identification à un père, son père. Qui malheureusement était sans doute incapable de soutenir la validité de cette identification, du fait de la rivalité avec une mère qui était sans doute, je dirais, assez remontée dans l'affaire ; elle était assez remontée dans l'affaire et d'ailleurs quand vous relirez l'observation vous verrez que ses interventions, c'est admirable, elles se font sans cesse dans le registre du bon sens maternel et contre toute idée d'une référence aux théories freudiennes. C'est toujours comme une bonne maman, hein, qui répond à son petit gamin, y compris quand elle accepte qu'il l’accompagne au cabinet, qu'il vienne dans son lit, qu'ils fassent des câlins, etc. Alors le papa dénonce, « mais non ! Il faut pas, parce que ça fait monter la libido et faire monter la libido ça fait monter l'angoisse, tout ça... », mais la mère, « du calme, du calme ».

Et donc, voilà… Donc vous voyez que ce qui nous manque encore avant que nous puissions conclure, la prochaine fois, l'observation de Freud, avec ce qui sera donc son commentaire, avant que nous puissions donc conclure, ce qui nous manque c'est l'auteur dramatique qui aura le talent de mettre ça en musique parce que c'est un passage tellement pur, tellement significatif de la discordance propre à la communication… à nos discordances. Et on aimerait penser que c'est le contact avec cette discordance qui a fait du petit Hans un musicien de talent. Transmission indirecte… Le père était musicologue et réputé, le père Graf; ses chroniques dans la presse sur les évènements musicaux étaient toujours suivies, enfin jouaient un rôle dans la vie culturelle à Vienne. 

Donc, l'un des exercices que nous ferons au moment de clore notre étude du petit Hans, ce sera sûrement la tentative d'écrire le nœud borroméen du petit Hans. Chacun de vous sera invité… ça sera notre devoir, le devoir terminal, chacun de nous sera invité à imaginer ce qu'a pu être le nœud borroméen du petit Hans.

Charles Melman