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Nous sommes tous concernés par ce qui se répète et j’ai saisi l’occasion de cette formidable observation de Freud sur le jeu de son petit-fils pour tenter d’élaborer quelque chose concernant ce qui se répète. Mon titre semble dire une évidence, effectivement ça compte !
Mais dans quel sens ?
Je vous cite Freud dans Au-delà du principe du plaisir : « On connaît ainsi des personnes chez qui toute relation humaine a la même issue : des bienfaiteurs qui après quelque temps sont quittés dans le ressentiment par chacun de leurs protégés, si différents que ceux-ci puissent être par ailleurs, et auxquels il semble donc dévolu de vider la coupe amère de l’ingratitude ; des hommes chez qui toute amitié a pour issue que l’ami les trahit ; d’autres qui, répétant cela en nombre incalculable de fois dans leur vie, élèvent une personne au rang de la grande autorité pour eux-mêmes ou aussi pour le public, et qui renversent eux-mêmes cette autorité, après un temps donné, pour la remplacer par une autre ; des amoureux chez qui tout rapport tendre à la femme passe par les mêmes phases et conduit à la même fin, etc. […] Nous sommes fortement impressionnés par ces cas où la personne semble vivre passivement quelque chose sur quoi il ne lui revient aucune influence, alors que pourtant elle ne fait que revivre toujours la répétition du même destin. Qu’on pense par exemple à l’histoire de cette femme qui épousa successivement trois hommes, lesquels, peu de temps après, tombèrent malades et durent être soignés par elle jusqu’à la mort. » Et Freud ajoute « Au vu de telles observations […] nous trouverons le courage d’admettre qu’il y a effectivement dans la vie d’âme une contrainte de répétition qui passe outre au principe de plaisir ».
Le principe de plaisir régit le psychisme mais au-delà de lui il y a la répétition. Les expériences traumatiques se répètent bien qu’elles ne génèrent pas de plaisir. Et de plus cette compulsion de répétition dirige le sujet dans son existence, elle agit comme une force, qui pousse un sujet à dire, à faire, comme si cela ne lui appartenait pas. 
Qui n’a pas l’expérience de ce processus compulsif qui ne semble pas pouvoir être arrêté par la conscience ? Pourquoi ne pas éviter ces expériences désagréables qui se répètent ? 
Freud a repéré que cette répétition émane du refoulé qui cherche à faire retour.
« ...ce qui a à se faire reconnaître […] n’est pas exprimé mais refoulé. »1.
En ce sens, la répétition révèle un savoir de ce qui ne se savait pas. 

Pour aller un peu plus loin, je vais vous parler d’un exemple que cite souvent Jean Bergès : il s’agit d’une jeune femme qui vient le voir avec son bébé de 3 mois et se plaint de ce qu’il ne voulait pas dormir. Lorsque l’entretien aborde la question de la nourriture, la mère dit alors : « Je vais vous dire, je prépare l’Internat ; l’écrit est dans deux mois. Alors je m’assois sur le divan, je lui donne le biberon sur mes genoux et je lis ma question pour le concours. Eh bien figurez-vous que Monsieur ne commence à boire que si j’arrête de lire »2.
Cela ne se passe pas à deux mais à trois, la maman, le bébé et Monsieur !
Lacan souligne que la relation suppose un autre, ici, le Monsieur, qui surgit des signifiants de la mère. Ce qui n’est pas là peut y être. Tout comme avec le jeu de la bobine. Lorsque cette mère dit « Monsieur » à son enfant, il y a un tiers, une anticipation possible. Ce n’est pas juste à sens unique, je donne, tu reçois… 
Ce n’est pas juste du côté imaginaire, du côté de la représentation figurée, Lacan nous apprend que l’essentiel est que « l’Imaginaire soit noué au Symbolique pour attraper le Réel ». Comme dans l’exemple de Jean Bergès, le Symbolique est déjà là. 
« La répétition, dans la psychanalyse, ne peut pas résider dans un principe qui soit régi par autre chose que la manière dont la chaîne signifiante insiste. » Ce qui insiste est quelque chose d’éminemment symbolique puisque c’est du refoulé ; du signifiant au sens où il demande à être historisé3, c’est de cela qu’il s’agit dans le refoulement. Et ce « refoulé est toujours là qui insiste et demande à être4. » Le refoulement nécessite la répétition qui permet une réécriture.
Si je présente les choses ainsi, c’est-à-dire en introduisant les catégories Réel, Symbolique et Imaginaire, c’est pour montrer non seulement l’importance de la chaîne signifiante dans la répétition mais également pour situer que sa causalité est aussi au niveau du Réel tout comme ce balancement de la voix cherchée par les enfants dans les comptines répétées. En effet, les enfants aiment les comptines, mais pas pour l’Imaginaire de l’histoire, car pourquoi alors les répéter ? L’important c’est le compte dans les comptines, pas le conte, mais le compte…
Les enfants aiment « le balancement de la voix, objet lancé, tombé, repris5 ». Ce qui se répète, c’est ce qui est compté, ce qui compte.

Pour essayer d’expliciter cela, je vais reprendre ce que Jacques Lacan élabore à partir des termes aristotélicien d’Automaton et de Tuché
Pour Aristote, fortune et hasard se distinguent. 
« On parle de la fortune et du hasard comme étant aussi des causes ; beaucoup de choses arrivent par l’action de la fortune et du hasard6.» . 
Le hasard, automaton, est caractérisé par l’absence « d’une finalité adéquate au résultat. »
« Quand les choses ont lieu sans avoir en vue le résultat et en ayant leur cause finale en dehors de lui, alors nous disons que ce résultat est un effet du hasard. ». Automaton signifie « en vain » qui désigne la non-réalisation d’une fin. L’automaton dans ce sens est du non-réalisé. 
En revanche, la fortune, en grec Tuché, bonne ou mauvaise rencontre, est liée à la finalité pour Aristote, c’est-à-dire qu’il intègre dans Tuché, la cause et le choix, un choix de la pensée. « Lorsqu’un homme vient par fortune sur la place publique et y rencontre celui qu’il voulait, mais sans s’y attendre, la cause [de la rencontre], c’est qu’il a voulu se rendre sur la place publique pour ses affaires. »
C’est intéressant à plus d’un titre, Aristote ici introduit l’accidentel, la Tuché dans la causalité. Il pense la fortune comme une cause7.
Pour Lacan qui reprend ses deux termes dans son séminaire qui s’intitule Les Fondements de la psychanalyse :
L’automaton est du côté de la causalité signifiante du sujet, du réseau des signifiants. Le discours qui se répète est donc à situer du côté de l’automaton, sans but, réglé comme une équation. Borsig qui est mathématicien énonce que « la mathématique est l’étude de ce qui se répète ». Ce qu’il faut entendre dans le sens où la structure symbolique se repère par la répétition. 
Prenons l’exemple du nouveau-né et de ses pulsions dans ses premières expériences de plaisir et de déplaisir, la jouissance éprouvée a à faire avec le corps mais aussi avec l’Autre, dont les actions peuvent donner de la satisfaction et l’en priver. 
Les signifiants se lient avec la pulsion mais c’est imparfait, car le signifiant ne pourra jamais nommer la pulsion, il y a toujours un reste, une béance entre le réel du corps et les signifiants.
Les signifiants suivants vont en le répétant tenter de le faire, tout en échouant. Il y a donc un reste. 
Ils ne se trouvent que répéter l’échec inaugural, ils ne parlent même que de cet échec souligne Melman. « Comme Lacan l’a évoqué à propos d’un os qu’il avait vu au musée de Saint-Germain-en-Laye et des entailles qui semblaient pouvoir évoquer le nombre de bêtes abattues, peut-être l’inconscient, lui, met-il des numéros à tous ces signifiants qui se succèdent […] peut-être que l’inconscient numérote les coups successifs8 ». 
À l’inverse, ce qui ne peut pas se répéter est du côté de ce qui ne se symbolise pas, la rencontre du Réel, de la rencontre manquée. 
Un autre mathématicien, russe, Andreï Kolmogorov amène qu’« une suite de chiffres est aléatoire quand elle ne peut pas être exprimée par une suite de symboles plus courte ». Une suite incompressible définit une suite aléatoire et inversement, ces 2 notions se recouvrent. Du côté du Réel, il y a cet aléatoire, cet impossible à compresser, à symboliser, on ne peut donc pas repérer la répétition, nous sommes dans la rencontre du Réel, dans la Tuché.
La tuché est donc du côté du Réel, comme rencontre du Réel, la rencontre manquée. 
Il s’agit pour Lacan de cerner la place du hasard dans la répétition, de ne pas se laisser duper par le hasard tout en n’excluant pas le hasard lui-même : « Ce qui se répète est toujours quelque chose qui se produit comme au hasard. C’est à quoi nous, analystes, ne nous laissons jamais duper, par principe. […] sinon qu’il se répète quelque chose, en somme plus fatal, au moyen de la réalité. ».
Ce qui est intéressant, c’est que l’automaton et la tuchè alternent l’un l’autre dans ce qui se répète, mais contrairement à l’automaton inscrit du côté du nécessaire, de la chaîne signifiante qui ne cesse pas de s’écrire, la tuché ne se programme pas, elle est du côté du contingent, de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire9.
Si un événement traumatique, un réel donc, cherche à s’amortir par une liaison avec le Symbolique dans un rêve par exemple, le refoulé saisit ainsi l’occasion de revenir. 
Mais d’un autre côté, la chaîne signifiante provoque également certaines rencontres ou peut en exclure d’autres. 
Prenons pour exemple ce conte repris par Freud de la Gradiva de Wilhem Jensen. Il s’agit de l’histoire d’un jeune archéologue, Norbert Hanold, spécialiste de l’Antiquité romaine. Il reporte tous ses intérêts sur son métier :
« Il passait son temps entre ses quatre murs, ses livres et ses sculptures, n’éprouvant pas le besoin de fréquenter ses semblables ; au contraire, fuyait le plus possible tout contact avec les autres, ne tenant pas à perdre stupidement son temps : il ne se montrait que rarement en société et, encore, à regret, quand il ne pouvait éviter les visites que lui imposait la tradition familiale. »
L’intérêt de ce jeune archéologue « s’était détourné de la vie réelle pour s’attacher aux débris du passé classique et […], par un étrange et très régulier détour, est ramené à la vie réelle.10».
Il est attiré par une découverte qu’il fait à Rome. Un bas-relief qui représente une jeune fille surprise dans sa marche : Gradiva. Ce nom est la féminisation de Gradivus, surnom du dieu Mars, et signifie celle qui s’avance... 
Il est heureux d’obtenir un excellent moulage de ce bas-relief, moulage qu’il peut suspendre en son cabinet d’études, situé dans une petite ville universitaire allemande, ainsi il peut l’étudier à loisir. Cette image représente une jeune fille qui marche et relève un peu sa robe à plis nombreux, de telle sorte que se voient les pieds chaussés de sandales. L’un des pieds est posé sur le sol, l’autre dans une posture particulière est déjà dans un mouvement. Cette démarche représentée lui semble être d’une grâce si particulière et le fascine.
Il le considère du point de vue de la compréhension et tente de comprendre comment elle marche, les aspects techniques qui peuvent le fasciner autant, évidement sans succès, c’est sur une autre scène que les causes de sa fascination peuvent s’expliquer. 
Un moment charnière est le rêve qu’il fait alors. Il se trouvait dans l’ancienne Pompéi le 24 août 79, jour de l’éruption du Vésuve. Il la reconnut tout de suite tellement la reproduction en pierre qu’il avait d’elle lui semblait exacte jusque dans les moindres détails. Elle marchait d’un pas tranquille et souple à la fois en direction du temple d’Apollon. Elle semblait plongée dans ses pensées et ne paraissait ne rien remarquer de la catastrophe de l’éruption qui s’abattait sur la ville.
Son rêve le marque profondément, il a du mal à s’en extirper. Il a une grande influence sur lui, renforçant ses fantasmes, ce qui le guide vers l’Italie, sans qu’il sache bien pourquoi. Il décide d’aller à Rome.
 « Bien que cette envie subite de partir fût née d’un sentiment difficile à préciser, il se l’expliqua toutefois, après réflexion, par le désir d’effectuer un travail scientifique. Il s’était rendu compte qu’à Rome il avait négligé d’approfondir, sur le plan archéologique, certaines questions essentielles se rapportant à un certain nombre de statues. À présent, il roulait vers la capitale italienne où il arriverait après un voyage d’une seule traite d’un jour et demi. ».
Freud développe un lien entre la science du jeune archéologue et ses fantasmes. L’archéologie lui a permis de chasser ce qu’il refoule. Ce fonctionnement se retrouve jusqu’à son départ en Italie où il explique malgré l’importance du rêve pour lui, son départ par un intérêt scientifique. 

Une fois à Rome, il ne trouve pas ce qu’il cherche et sans y réfléchir poursuit son voyage jusqu’à Pompéi, guidé malgré lui. Il fait alors, comme par hasard, la rencontre d’une jeune femme à Pompéi qui correspond à ses recherches, il voit en elle Gradiva et lui parle. Mais il s’agit en fait d’une amie d’enfance, une voisine, qu’il n’a pas revue depuis des années. Elle se nomme Zoé Bertgang. À l’aide de son rêve, il est donc parti à la rencontre de son fantasme mais cette rencontre semble s’être faite par hasard. Il rencontre à Pompéi cette femme qu’il avait fuie dans sa ville. Il vient à la rencontre de son désir, sans le vouloir. Mais les signifiants relatifs à Zoé ne l’ont-ils pas mené à Pompéi ?
Au départ, il ne la reconnaît pas, elle lui dit « Tu n’as pas encore compris, Norbert Hanold. Je n’en suis pas autrement surprise, car tu m’y as depuis longtemps habituée. Pour refaire cette expérience, il ne m’était point nécessaire de venir à Pompéi ; et tu aurais pu me la confirmer à cent bonnes lieues d’ici. — À cent lieues d’ici ? répéta-t-il abasourdi et bégayant à moitié. Où donc ? — Dans la maison du coin en face de la tienne, sur le côté ; à ma fenêtre se trouve une cage avec un canari. ».
La voix de Gradiva, a une importance particulière, c’est un objet perdu, il dit « Je savais que tel était le son de ta voix ». 
Il remarque par ailleurs que « Bertgang a la même signification que le latin Gradiva et désigne "celle qui resplendit en marchant". »
Cette rencontre, selon Aristote, tuchè, suppose un choix de la pensée, c’est ce qui distingue la tuchè du hasard, c’est-à-dire du non réalisé où la répétition est alors sans finalité. 
Mais Lacan nous permet de cerner un peu mieux ce qui se passe pour Harald en mentionnant que ce choix est un choix du sujet inconscient, il est à situer dans le champ de l’inconscient. « La rencontre de Harald et de Gradiva n’est pas une pure répétition dans l’actuel. Ce qui se produit comme par hasard vient à la rencontre du fantasme. Il s’agit donc bien de la part prise par le désir du sujet dans la rencontre. La tuché est déterminée par un désir qui ne se sait pas7». 
Pour le dire autrement, ce qui arrive par « fortune », comme par hasard, où le sujet est exclu, se répète et nous pouvons dire qu’il s’agit d’un choix, comme Aristote pouvait le mentionner mais un choix inconscient. 
Je vais vous donner un dernier exemple en vous parlant d’une jeune femme de 25 ans dont parle Hélène Deutsch en 1930 dans un recueil de textes qui s’intitule Les Introuvables. Ce cas est présenté par son auteure comme de névrose sans symptôme. En effet, cette patiente ne présente pas de symptôme de conversion comme nous pouvons en trouver dans l’hystérie. En revanche pour elle, la répétition mène à ce qui apparaît dans cette dénomination de névrose de destinée ou névrose d’échec.
Je cite Hélène Deutsch : « La patiente qui n’avait pas de symptômes, et qui, pas plus que ses amis et parents, ne soupçonnait les éléments pathologiques de son destin, était néanmoins sujette aux mêmes difficultés et aux mêmes fixations pathologiques dans sa vie psychique que d’autres êtres souffrant de symptômes hystériques graves ». Elle a fait une tentative de suicide sans savoir pourquoi, c’est cet acte qui est à l’origine de sa demande d’analyse.
Ce qui se répète pour elle, c’est qu’elle tombe amoureuse d’hommes veufs ayant un attachement très important pour leur femme décédée. 
Pour Hélène Deutsch, elle répétait dans sa vie amoureuse le même type de choix que pendant son enfance. Son père était en effet un homme de savoir, inflexible, actif, elle avait beaucoup d’admiration pour lui et du mépris pour sa mère et sa soumission. Son premier amour était un homme plus âgé, de savoir, tout comme son père. Cet homme lui dit un jour à quel point il avait aimé sa femme morte. Ce qui va se répéter pour cette jeune femme, c’est ce fantasme « être aimée comme avait été aimée la femme morte », avec évidement les impasses que cela peut comporter. 
Mais c’est au moment où un homme la reconnaît comme sa femme que cela va aboutir à un passage à l’acte, c’est à ce moment précis qu’elle s’identifie à la femme morte. 
Pour H. Deutsch, le trauma infantile est la cause de la répétition, c’est-à-dire la déception avec le père. Avec ce que nous avons vu de l’élaboration de Lacan, nous pouvons dire que ce qui s’articule pour cette femme est d’une part l’automaton du signifiant « la femme morte » et la tuché, en tant que rencontre manquée avec l’objet a11 en lien avec un homme en deuil : d’une part la détermination symbolique du sujet et d’autre part la rencontre avec l’objet. C’est cette rencontre qui fait surgir le signifiant mortel.
Ce qui se répète n’est jamais à l’identique, nous l’avons vu, il faut passer par la répétition, non pas celle qui fixe en arrière mais celle tournée vers l’avant, qui dévoile l’objet a cause du désir et qui la sous-tend.
À quelle condition le destin de la patiente d’Hélène Deutsch peut-il se rejouer dans la cure psychanalytique ? Peut-être est-ce à la condition d’entendre ce qui est dévoilé et de ce que l’objet cause du désir a fait surgir comme signifiant mortel. La chute de ce signifiant mortel, auquel la patiente était aliénée, est alors un élément décisif de la fin de la cure11.

Stéphane Thibierge
Je remercie beaucoup Fabrice Venuat pour son intervention.
Si alors je vous ai bien entendu, ce que vous avez accentué, c’est que notre rapport au signifiant comme à l’objet qui cause… enfin, et en même temps à l’objet qui cause le désir, prend appui d’un côté sur l’automaton, c’est-à-dire le réseau des signifiants qui existent, pour chacun d’entre nous, et de l’autre côté, sur une ouverture qui est de l’ordre de la tuchè qui est aussi déterminée par le signifiant, mais, comment dire, d’une manière qui… est-ce que vous pouvez un tout petit peu préciser la façon dont vous l’entendez dans le registre de la rencontre et en même temps lié au signifiant.

Fabrice Venuat 
Oui je vais essayer, c’est une question difficile.

Stéphane Thibierge
Ce que j’ai entendu de ce que vous me disiez, c’était : par différence avec l’automaton, le registre de la tuchè serait celui des signifiants qui articulent l’inconscient du sujet… ?

Fabrice Venuat  
Oui, c’est ça, tout à fait, ça reste pour moi une question difficile, la question de la répétition.
Ce qui m’a intéressé sur cette question de la tuchè, c’est qu’il y a effectivement quelque chose du signifiant qui a cette implication, mais en même temps ça arrive comme par hasard.
Et sans nier cette dimension du hasard, il y a quand même quelque chose, pour la Gradiva par exemple, ce moment où [le personnage] est attiré, il ne sait pas pourquoi mais ce sont bien des signifiants qui l’ont guidé quand même. La rencontre de hasard, elle arrive par hasard quand même. Il voit parce que c’est une retrouvaille et il la voit parce qu’il a fait ce rêve qui l’a guidé vers Pompéi.

Philippe Candiago : 
Tous les automaton - est-ce qu’on pourrait écrire ça ? -, c’est ce qui structure le travail de la cure, ça se répète dans la cure : d’une séance qui se répète ; il a y aussi le propos du patient.
Alors je me suis posé une question - c’était peut-être complètement à côté - : est ce que automaton c’est ce qui est écrit, et tout ce qui est [tuchè], c’est dans l’énonciation…
On travaille sur L’Envers de la psychanalyse en ce moment, et donc ce que j’ai cru attraper du propos de Lacan, c’est que le commentaire du Midrash… il rapproche le commentaire du Midrash du travail de l’analyse, il explique leur proximité. Et donc il me semble que dans la tradition hébraïque, la Torah - c’est le texte -, le texte fait entendre la présence, donc en l’occurrence la présence de Dieu, et que c’est un Dieu mort, et, dans le travail d’interprétation, d’exégète, du Midrash, il y a quelque chose qui va du côté de la vie mais à l’endroit où cette présence s’absente. C’est-à-dire que c’est à l’endroit où ça s’absente qu’il y a de la tuchè… Je l’ai entendu : à l’endroit où quelque chose s’absente de cette présence, il y a tuchè, au sens peut-être d’une interprétation d’une métaphore, effectivement, d’une rencontre avec le Réel, en tant que nécessairement ratée.
C’est un petit aparté, mais je ne sais pas si je ne suis pas tout dans le décor, ou pas… [rire].

Fabrice Venuat  
Oui je peux peut-être en dire deux mots mais…, la tuchè c’est…, comme je le comprends quelque chose vraiment du Réel, voilà ce que je peux dire…

Philippe Candiago : En tant que c’est articulé à l’énonciation.

Stéphane Thibierge Ou au fantasme.

Fabrice Venuat Ou au fantasme 

Stéphane Thibierge Oui, plutôt au fantasme. 

Fabrice Venuat Plutôt au fantasme articulé à l’objet a. Comme dans l’exemple que j’ai donné, où vraiment le personnage est guidé par quelque chose, et c’est le fantasme qui le guide.

Stéphane Thibierge
Juste une [remarque] à propos du fantasme, Fabrice, là, c’est juste un point, une précision :
vous avez dit la Gradiva, vous avez proposé, vous avez évoqué la traduction « celle qui marche… », comment ?

Fabrice Venuat « Celle qui marche ».

Intervenants et Fabrice Venuat 
Gradiva veux dire « lumineux »… comment dire « celle qui avance » …il y a cette idée d’auréole…

Fabrice Venuat « Celle qui avance ».

Stéphane Thibierge
Mais vous avez évoqué une traduction, vous avez traduit d’une certaine manière : « celle qui marche » et puis ça m’a échappé… Ce n’était pas « auréole », mais vous avez dit quelque chose, j’ai trouvé, c’était assez parlant.

Fabrice Venuat « Celle qui s’avance ». Stéphane Thibierge Oui, « celle qui s’avance ».

Fabrice Venuat C’est cela, j’ai cité cité le texte de Johnson : Gradiva, féminisation de Gradivus, surnom du dieu Mars, c’est-à-dire « celle qui s’avance ».

Intervenants Oui mais après tu as une autre phrase un peu plus loin dans ton texte…  qui était différente… quand elle marche à Pompéi… Dans son rêve…

Fabrice Venuat Dans son rêve… Stéphane Thibierge Oui vous avez une formulation…

Fabrice Venuat D’un pas tranquille, souple à la fois… 

Intervenant « Celle qui se déplace avec grâce… ».

Fabrice Venuat C’est ça : « celle qui se déplace avec grâce », oui.

Stéphane Thibierge C’est ça celle qui se déplace avec grâce.

Fabrice Venuat C’est ça : c’était vraiment la démarche qui justement a activé son fantasme.

Stéphane Thibierge C’est ça.

Fabrice Venuat Et ce qui est étrange, c’est que dans le texte, justement, cette jeune femme dit avoir changé complètement d’apparence…, elle n’avait pas dû changer de démarche visiblement puisqu’il l’a reconnue à ça [sourires] : oui, puisque lui avait ce souvenir de quand il était enfant ; après il s’est plongé dans l’archéologie et s’est beaucoup éloigné, il s’est éloigné tout à fait.

Intervenant Il s’est enfermé.

Fabrice Venuat Oui, ce que vient pointer Freud d’ailleurs en disant : donc il oubliait, c’était une façon pour lui de refouler finalement ce qu’il pouvait éprouver, en se mettant dans la science. Ce qu’il a fait d’ailleurs au moment de partir en Italie, puisqu’il s’est dit que c’était pour une cause scientifique [rire], oui.

Stéphane Thibierge Merci beaucoup, merci.


 

[1] J. Lacan, Le Séminaire, livre II, Seuil.

[2] J. Bergès, Le Corps dans la neurologie et la psychanalyse, érès, p. 330. 

[3] D. Lachaud, La répétition.

[4] J. Lacan, Le séminaire, Livre II, Seuil.

[5]Ibid, p. 343.

[6] Aristote, La Physique.

[7] D. Eleb, Figures du destin, érès.

[8] C. Melman, Nouvelles études sur l’hystérie.

[9] A. Sofiyana, Tuchê et Automaton, Introduction à l’Introduction au Séminaire sur la lettre volée.

[10] S. Freud, Délire et rêves dans la ‘Gradiva’ de Jensen.

[11] D. Eleb, Figures du destin, érès.

[12]Ibid.

[13]Ibid.

Notes