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Il y a des autismes : le tableau clinique sera donc pluriel. Nous savons que la construction d’un ensemble cohérent de signes se fait dans un aller-retour entre la théorie et la clinique : comment la lecture de signes cliniques pourrait-elle se faire sans une pensée organisée, elle-même prise dans les évolutions de l’histoire médicale, de l’histoire sociale et culturelle, sans un sujet qui est là pour faire cette lecture et en rendre compte ?

La reconnaissance des troubles mentaux propres à l’enfance a mis longtemps à émerger dans l’histoire de la psychiatrie et dans celle de l’éducation et de la pédagogie également ainsi que dans la place qu’elle a prise dans l’histoire de la psychanalyse. Il y a eu  entrecroisements et affrontements de courants de pensée, des renouvellements conceptuels, des retours en arrière, et des enjeux économiques nouveaux. Aujourd’hui, outre ces confrontations théoriques et cliniques internes à la psychiatrie, d’autres influences d’ordre social, économique, culturel et idéologique interviennent dans ce qui va constituer le tableau clinique de l’autisme.

I- Clinique de l’autisme 

Leo Kanner : La première description

Le terme autisme a été crée par le psychiatre Eugen Bleuler au début du siècle dernier à partir du mot grec autos qui signifie soi-même, pour décrire le renfermement en lui-même de l’adulte schizophrène. Il a été ensuite utilisé en 1943 par Léo Kanner, pédopsychiatre américain venant de l’empire austro-hongrois pour décrire « un trouble inné de la communication et du contact affectif » de certains enfants qui va être distingué de l’arriération mentale et de la schizophrénie infantile qui rassemblaient alors tous les troubles graves des enfants. Il insiste sur le fait que l'autisme est là d'emblée : « il existe d'emblée un repli autistique extrême qui, chaque fois que c'est possible, fait négliger, ignorer, refuser par l'enfant tout ce qui lui vient de l'extérieur » contrairement à la schizophrénie; c'est la raison pour laquelle il qualifie de "précoce" l'autisme infantile. C’est une lecture clinique qui permet de distinguer l'autisme infantile précoce de la schizophrénie infantile.

Les deux traits pathognomoniques de l'autisme infantile présentés par Kanner sont: aloneness, solitude extrême et incapacité à établir des relations interpersonnelles, et sameness, immuabilité, maintien de la permanence : « Toutes les activités et paroles de ces enfants sont en permanence régies de façon rigide par le désir très fort de solitude et d'absence de changement ». Il souligne également des troubles du langage et de la communication : le langage, s’il est présent ne permet pas les échanges, il se limite à une écholalie ou à des répétitions stéréotypées. Kanner insistait aussi sur l’air intelligent de ces enfants et sur certaines performances intellectuelles qui les différencient des enfants déficients mentaux. Par la suite Kanner a légèrement modifié ses positions. Avec Eisenberg il définit en 1956 un âge d'entrée dans la pathologie comme critère diagnostic alors qu'il avait suggéré en 1943 le caractère inné de l'autisme. La limite fut alors fixée à trente mois. Ce point est important à souligner, à propos des discussions actuelles sur la recherche de la cause, qui fait controverse, mais aussi à propos d’une clinique qui montre bien comment  des signes prédicteurs d’autisme peuvent être repérés par les parents et certains professionnels très tôt après  la naissance d’un enfant. Dans sa forme typique, l’autisme associe plusieurs difficultés qui déclinent les traits isolés par Kanner.

De la naissance à trois ans

Concernant les bébés, le processus de développement normal peut être décrit comme une mise en place du fonctionnement pulsionnel et de la relation prise dans le langage auxquels le bébé participe activement. Son appétence symbolique le rend attentif et intéressé à l’autre. Grâce aux soins qui lui sont prodigués, un lien fondateur avec la mère va se développer qui va permettre une rencontre avec son entourage, du fait de la mise en route des pulsions qui concernent l’oralité, l’analité, ainsi que le regard et la voix. Pour le bébé à risque autistique, car dans les premiers mois et jusqu’à deux ans nous ne pouvons pas parler d’autisme, le développement ne va pas se faire selon cette construction des pulsions mais plutôt avec ce qui est souvent vécu comme une résistance à cette mise en place. Les parents et les professionnels témoignent ainsi de difficultés dans chacun des registres pulsionnels:

Les difficultés de nourrissage se rencontrent d’emblée avec des bébés qu’il faut réveiller pour les nourrir (anorexie passive), ou d’autres qui ne manifestent pas ou ne ressentent pas cette satiété qui est si manifeste avec les bébés bien portants. Il y a aussi ces enfants qui souffrent de ce nourrissage et qu’il faut porter dans les bras nuit et jour. Lorsqu’ils grandissent, les problèmes alimentaires se manifesteront par exemple par des choix spécifiques et immuables d’aliments particuliers, en nombre restreint, avec des marques d’aliments bien définies. Il y a aussi tous les désordres de la sphère digestive, avec les épisodes de déshydratation aigue, de constipation ou de débâcle intestinale, de coliques qui ne cèdent pas.

Concernant le regard, les difficultés de relation se repèrent le plus souvent par un évitement actif du dialogue œil à œil avec la mère et parfois les autres personnes qui leur donnent des soins, par le refus actif de regarder les visages, le visage maternel plus spécifiquement. L’absence de sourire intentionnel, adressé, ainsi que l’absence de l’angoisse du huitième mois devant l’étranger sont des symptômes qui doivent alerter. Nous aurons également des enfants dont le regard restera « accroché » aux sources lumineuses. Plus tard, nous aurons des enfants qui ne regardent pas leur entourage sinon par un regard périphérique très performant par ailleurs.

La voix peut rester incarcérée dans le corps, et ne pas se faire entendre, sinon dans des pleurs qui font dire aux parents que leur enfant est inconsolable. L’enfant se manifeste aussi par des cris déchirants, qu’il n’est pas possible de faire cesser de manière habituelle, en le berçant par exemple, ou en lui parlant. Plus tard, voix et parole ne se nouent pas, sinon dans un jargon qui n’est pas adressé et où il est difficile d’entendre une intentionnalité d’échange. Beaucoup de travaux ont été faits autour de la prosodie de la voix maternelle et de cette parole si particulière des mères appelée « mamanais » par les linguistes qui est la modalité de parler qu’ont les mères de tous les pays à leur enfant nouveau-né. La difficulté d’échange avec ces bébés retentit sur les capacités spontanées des mères à parler ce mamanais dit aussi en anglais motherese, et on remarque la perte de la prosodie chez les mères d’enfants autistes, ceci dès le second semestre de vie de l’enfant.

La difficulté d’accorder la posture lorsque ces enfants sont pris dans les bras est également remarquable, avec des bébés qui vont se mettre en opistotonos lorsqu’ils sont portés ou placés dans un siège, ou que les mamans ne savent pas comment prendre, qui se laissent « couler » ou au contraire se raidissent. L’hypertonie ou son contraire l’hypotonie ainsi que l’absence de ce qui est appelé dialogue tonique entre la mère et l’enfant sont autant de signes qui peuvent être précurseurs d’autisme.

Le dénominateur commun de tous ces registres : voix, regard, nourrissage, sommeil et posture, permettant un diagnostic différentiel avec les troubles relationnels de souffrance précoce, est l’absence de relance du bébé dans les échanges pulsionnels, ainsi que l’absence de regards accompagnant ces échanges. Ces deux signes prédicteurs d’autisme ont été identifiés par la psychanalyste M.-C. Laznik et ont fait l’objet d’une recherche, la recherche PREAUT. La relance pulsionnelle de la part de l’enfant indique le plaisir et la jouissance qu’il prend à l’échange avec sa mère ou les personnes proches, mais aussi la conscience qu’il a du plaisir et de la jouissance qu’il repère chez l’autre et qu’il désire faire durer. Il est possible de répartir ces symptômes en deux types : les symptômes « silencieux », comme ces bébés qui restent silencieux et immobiles dans leur berceau, les yeux grand ouverts, ou encore ceux qu’il faut réveiller pour leur donner à manger, ou à l’inverse les symptômes dits « bruyants » de ceux qui pleurent tout le temps, inconsolables, qui ne dorment pas, que ni les soins ni le nourrissage ni les bercements ne peuvent calmer ou rassasier.

Ces mêmes enfants inquiètent leurs parents en ne réagissant pas lorsqu’on s’approche d’eux, ils ne sourient pas, ne suivent pas des yeux leur mère ni un jouet qui leur est présenté, tardent à désigner un objet pour attirer l’attention d’un tiers (pointing ) ou à regarder un objet qui leur est montré ( attention conjointe ). La rencontre avec l’autre de la relation primordiale ne se fait pas, et ce qui est du registre de la voix et du regard ne se noue pas autour de cette rencontre. L’évitement relationnel est présent le plus souvent, ce dont rendent compte ces deux signes toujours recherchés que sont l’attention conjointe et le pointing. L’attention conjointe se manifeste lorsque l’adulte, la mère ou un adulte de l’entourage veut  partager son intérêt pour un objet ou une situation avec un enfant. Pour qu’il y ait attention conjointe il faut non seulement une attention simultanée vers cet objet, mais encore la conscience de ce partage et de l’intérêt (joie, étonnement, appréhension) pour ce partage. Elle participe des premiers échanges infra-langagiers, qui préparent l’arrivée de la parole chez l’enfant. Le pointing proto-déclaratif est le comportement typique de cette attention conjointe, et lorsque c’est l’enfant qui l’initie, cela témoigne de son engagement dans les échanges avec son entourage. Il indique ainsi qu’il attend quelque chose de l’autre, que celui-ci peut, par exemple, lui donner tel objet dont il a envie. C’est donc un comportement lié à une activité symbolique, intériorisée, se soutenant du langage, car il témoigne d’une capacité de décentration en impliquant une représentation de l’autre comme interlocuteur. À contrario, l’enfant autiste va plus souvent prendre la main de l’adulte pour s’en servir comme d’un outil pour aller vers l’objet convoité.

Tableau après trois ans

Pour compléter ce tableau clinique de la première enfance il faut ajouter qu’en grandissant les enfants présentant des troubles autistiques vont présenter des difficultés ordonnées dans le DSM-IV dans trois groupes de symptômes qui se déduisent de ce qui a été décrit plus haut:

- une altération qualitative des interactions sociales : les symptômes observés à propos des jeunes enfants avant trois ans se retrouvent dans la façon de porter un regard sur autrui qui évite de regarder « en face », où par exemple l’enfant ne regarde pas dans les yeux son interlocuteur; dans les mimiques, les postures corporelles et la gestualité, qui ne sont pas adaptées au code social implicite; dans l’absence de partage social et d’intérêts communs avec les autres, que ce soit avec des compagnons du même âge ou avec les adultes, et dans l’absence de la réciprocité des émotions et des sentiments.

- une altération qualitative du langage parlé lorsqu’il est présent: on retrouve très souvent un langage peu fluide, où l’enfant  répond aux questions, s’il est sollicité, et ne va pas plus avant dans l’échange, ne pouvant faire état de quoique ce soit de personnel.

Le langage peut être absent, ou, s’il est présent, se limiter à quelques mots ou à de expressions stéréotypées, répétitives qui n’ont pas ou peu valeur de communication des faits ni des émotions. La voix n’exprime pas de prosodie, elle est sans musique ni nuances et le rythme est souvent mécanique. Le sujet de la phrase est le plus souvent absent et les pronoms mal situés, car les sujets autistes n’inversent pas les pronoms et les redisent en miroir. Ils utilisent volontiers des emprunts de bouts de phrases aux chansons et comptines, aux dessins animés, aux publicités, aux expressions toutes faites pour s’exprimer. Léo Kanner l’avait noté, en remarquant que certains enfants parmi ceux qu’il avait rencontrés savaient par cœur des parties de cantiques ou de chansons  qu’ils répétaient. Il notait également que ceux-ci, qui « parlaient » ainsi avaient mieux évolué que ceux qui étaient restés mutiques. Sont présents des stéréotypies de langage, des répétitions, des néologismes et parfois un jargon ou un langage idiosyncrasique. Même quand la syntaxe devient plus normale, la capacité à symboliser est réduite, en témoigne l’absence du jeu de semblant. Le jeu de la métaphore et de l’équivoque dans la langue ne leur est pas accessible, ce qui leur rend difficile l’accès au second degré, à l’implicite d’un énoncé, au sens de l’humour.

- Une immuabilité dans les investissements, les intérêts et les comportements sont restreints, répétitifs, eux aussi stéréotypés et revêtent un caractère d’obligation incontournable. On note de ce fait la présence de rituels et d’habitudes rigides qui ne peuvent être combattus sans risque d’angoisse majeure ou d’une majoration du retrait.

Lorsque le tableau clinique est plus grave, on note un retrait autistique qui laisse à penser que l’enfant est dans son monde, comme cela est souvent remarqué par l’entourage. Outre les stéréotypies gestuelles, il faut noter ici la présence parfois d’une agressivité (le plus souvent retournée contre soi-même, pouvant aller jusqu’à des conduites d’auto-agression et d’automutilation), d’une excitation motrice donnant lieu à des déambulations interminables, à des difficultés à l’endormissement, un mode alimentaire désadapté : manger de la boue, des cheveux, des excréments, pouvant aller jusqu’à une désintrication de pulsions. Ces comportements se produisent le plus souvent lors de changements dans l’environnement qui peuvent être minimes et que l’entourage ne repère pas toujours. L’ensemble de ces comportements fait penser à des procédures autocalmantes, que l’on suppose servir à contenir l’angoisse classiquement décrite comme angoisse de morcellement, de chute, de liquéfaction, de disparition ou encore d’attaque de l’enveloppe corporelle, donnant lieu à des vécus terrifiants. Dans ce tableau général, il faut encore préciser que l’on distingue l’autisme typique, qui rassemble l’ensemble des signes décrits ci-dessus de l’autisme atypique, qui présente une partie seulement des signes, et une moindre gravité de ceux-ci, ainsi que l’autisme de haut niveau.

A propos de l’autisme de haut niveau et du syndrome d’Asperger.

L’autisme de haut niveau se caractérise par une forme non déficitaire, avec une acquisition du langage retardée qui s’opère souvent grâce au support de l’écrit et grâce à l’apprentissage de l’écriture, (où la lettre alphabétique, élément isolé du sens, contrairement au mot, les aide à « apprendre » à parler à partir de l’écrit) des capacités cognitives préservées et parfois supérieures à la normale avec des intérêts spécifiques, restreints et fixés surtout dans des domaines où la subjectivité n’entre pas en jeu : mémoire hors norme pour des listes de noms, des dates, des horaires de trains par exemple, mais aussi dans des domaines très spécialisés : un certain type de musique, les dinosaures, les plantes, la Bible… Les capacités cognitives sont relativement bien conservées mais restent cantonnées à des intérêts restreints déconnectés de la vie relationnelle. Les capacités relationnelles et sociales témoignent d’une difficulté à développer et à maintenir des relations avec autrui en rapport avec leur niveau de développement, avec une mise à distance des émotions et un certain défaut d’empathie.

Le syndrome d’Asperger a été décrit en 1944 par Hans Asperger, psychiatre à Vienne, qui, pour la petite histoire, n’a jamais rencontré Léo Kanner. On trouvera le texte de Hans Asperger Les psychopathes autistiques pendant l’enfance édité en 1998 par Les Empêcheurs de penser en rond. Il décrit la coexistence d’une grande maladresse motrice, ou de particularités dans la motricité et d’un développement cognitif normal. Cette maladresse motrice n’est cependant pas toujours présente. D’après Laurent Mottron dans son ouvrage L’autisme, une autre intelligence paru en 2004 chez Mardaga, le syndrome d’Asperger, avec lequel l’autisme de haut niveau est souvent confondu, s’en différencie par l’absence de troubles de l’acquisition du langage, qui se fait à l’âge normal, même si celui-ci présente des caractéristiques : une appétence pour un vocabulaire technique ou descriptif, pour les chiffres et l’abstraction. La sphère de l’expression des sentiments est plus pauvre car mise à distance. Les capacités cognitives et intellectuelles sont souvent au-dessus de la normale, avec des domaines d’excellence, la mémoire notamment qui semble fonctionner de façon particulière quant aux stratégies utilisées. Les autobiographies d’autistes Asperger, qui se multiplient ces derniers temps, témoignent également d’un mode relationnel singulier : Ils ont peu accès à la métaphore et ne comprennent pas toujours la part d’implicite dans les relations avec autrui, ce qu’ils compensent par une démarche intellectuelle. Cela revient à dire qu’ils n’intériorisent pas, au sens de la symbolisation, les codes sociaux, ni le langage sensible, qui leur restent extérieurs. Ils font part également de la souffrance qui en découle. La biographie de Josef Schovanec, éditée chez Plon en 2012, Je suis à l’est, permet de  voir combien les caractéristiques attribuées aux autistes méritent d’être traitées avec subtilité et peut-être aussi avec humour et confiance dans la palette étonnamment large qu’ont les humains de traiter avec le langage, et dans leurs relations à autrui. Parler d’une autre intelligence, avec Laurent Motttron n’est pas sans poser de nombreuses questions d’ordre théorique, mais aussi clinique et éthique : qu’est-ce que serait une autre intelligence pour l’humain ? Par ailleurs, le syndrome d’Asperger est aujourd’hui sur le devant de la scène et brouille les cartes sociales à propos de l’autisme. En effet les enfants autistes présentent, pour près des deux tiers, un développement déficitaire alors que les autistes de haut niveau ou les sujets présentant un syndrome d’Asperger sont une minorité.

II- Psychopathologie des autismes

La psychanalyse avec l’école lacanienne: une approche structurale

Cette lecture de l’autisme se fait à partir de la définition du sujet dans la psychanalyse : un parlêtre comme le nomme Lacan, avec les effets symptomatiques de cette prise dans le langage. Cette définition implique que le symptôme d’un sujet n’est pas seulement une souffrance à réduire, mais aussi qu’il est ce qui le situe dans son rapport à l’autre, fait de langage et de parole. Ce rapport à l’autre reste toujours symptomatique, car organisé par le langage, l’équivoque de la langue, l’impossible à tout dire, à dire exactement ce que le sujet veut dire ; il est ainsi fait d’implicite, de second degré, et il échappe à une prise totale du sens du message. Les « pourquoi » incessants des enfants de deux, trois ans nous le montrent bien. Pour le dire encore autrement, le rapport à l’autre est pris dans la demande, demande de l’autre à l’endroit du sujet, et demande du sujet vers l’autre. Or il est impossible de répondre parfaitement à cette demande, et c’est précisément cet impossible qui met en route le désir.

À partir de ce préambule, l’autisme va se présenter comme une difficulté majeure à établir le lien avec l’autre, sans présager pour autant d’une cause précise à cet état de fait. Il existe probablement un ensemble de causes, qui ont des effets, et pour l’enfant, et pour son entourage direct, en tout premier lieu sa mère. L’émergence du fonctionnement psychique s’articule à l’organisme neuro-bio-physiologique déjà hautement complexe et différencié à la naissance, qui fait support à ce fonctionnement grâce aux fonctions déjà en place. Face au réel du bébé, c’est l’autre, le prochain secourable comme le nomme Freud, qui attribue un sens à ses manifestations et à ses éprouvés, à partir de son histoire, présente et passée. Le bébé s’identifie cette attribution et ainsi s’aliène, au sens de se lier, à la parole de cet autre, s’identifie ses signifiants. Le non de l’enfant est aussi une façon de s’approprier ces attributions. Cette prise dans l’univers signifiant est aussi l’entrée dans les représentations qui vont lui permettre une vie intérieure et qui le soutiendront dans les moments de tension et de solitude, cette détresse fondamentale du nouveau-né.

Chez l’enfant qui deviendra autiste, cette capacité à entrer dans ce temps structural de l’aliénation fait défaut de manière plus ou moins grave. C’est dans la vie pulsionnelle que cela se joue: la mise en route des pulsions, dans l’échange non seulement corporel mais aussi langagier qu’elle suppose avec l’autre ne se fait pas de manière satisfaisante. À partir de la lecture de la pulsion et de son circuit que fait Lacan à partir de l’œuvre freudienne, la psychanalyste Marie-Christine Laznik a dégagé pour l’autisme, la notion de ratage de la mise en place du circuit pulsionnel : ce circuit, qui suppose un échange et une participation active de l’enfant, ne se boucle pas avec la satisfaction, qui n’est pas satisfaction du besoin, mais satisfaction de la rencontre, jouissance partagée avec la mère. La mère, ou l’autre des soins maternels, initie l’échange, que ce soit au moment de la tétée, du bain, du change ; elle parle à l’enfant, elle le regarde, elle suscite un partage, mais l’enfant ne répond pas. Dans la rencontre pulsionnelle avec sa mère, il évite la part active de la rencontre : il ne s’intéresse pas à l’intérêt que l’autre lui manifeste, ne cherche pas à se faire regarder par sa mère, ou son substitut, et il ne cherche pas à susciter les échanges jubilatoires avec sa mère, en absence de sollicitation de sa part. Cette non-réponse de la part de l’enfant entraine des effets de sidération chez la mère et dans son entourage, qui renforcent ce comportement car les deux circuits pulsionnels, celui de la mère et celui de l’enfant restent en circuits fermés l’un à l’autre. Outre l’aliénation primordiale aux signifiants maternels, la deuxième opération structurante pour le sujet est la séparation symbolique, la coupure, qui permet la reconnaissance de l’autre séparé de soi, de la part de l’enfant, la mise en place de l’altérité : l’autre n’est pas moi. C’est le tiers entre la mère et l’enfant qui permet cette opération de séparation, qui donne une limite à la jouissance : c’est la fonction paternelle qui vient garantir l’existence du sujet séparé de l’autre primordial. On comprend bien que cette opération symbolique ne peut avoir lieu pour l’enfant autiste qui, pour vivre, maintient, du fait de l’impossible aliénation, un clivage étanche entre soi et l’autre au prix d’une mutuelle exclusion. Ici le réel de l’exclusion remplace le symbolique de la séparation qui permet une intériorité psychique.

Cette approche a donné lieu à la création de l’association PREAUT (pour prévention autisme), par une douzaine de praticiens qui s’intéressaient à l’autisme, soutenue par Charles Melman. Parmi les travaux de cette association il y a la mise en place d’une recherche dont l’objectif est de mettre au point un outil de dépistage du risque autistique dès la première année de vie, et qui puisse s’articuler aux résultats de Simon Baron-Cohen avec son CHAT, Check list for autism intoddlers, qui a examiné 16000 bébés de 18 mois à 2 ans et a dépisté 6 enfants autistes, dont le diagnostic a été confirmé à 3 ans. Il fallait trouver un outil qui soit utilisable avec des bébés plus jeunes. La grille Préaut comporte deux signes : le signe du regard : le bébé échange-t-il spontanément des regards avec sa mère, et le signe de la relance, qui vise à vérifier le troisième temps de la pulsion où le bébé se fait l’objet de satisfaction pour l’autre, c’est à dire qu’il calcule l’autre et cherche à partager avec lui cette jouissance des premiers échanges comme se faire croquer, embrasser, dévorer pour de semblant, se faire regarder, écouter par cet autre primordial,. L’hypothèse est que, si le premier signe du regard est absent, il faut alors aller chercher le signe de la pulsion et de la relance. La recherche est entrain de valider ces deux signes qui ne sont au départ que des signes de la relation précoce. 15000 bébés sont en passe d’être examinés. Cette recherche a été menée par Graciela Crespin (qui va la présenter dans ce numéro de la Revue Lacanienne).

D’autres modèles psychanalytiques ont cours :

Margaret Mahler, 1897-1985, psychiatre et psychanalyste américaine d’origine hongroise, s’installe d’abord comme pédiatre à Vienne où elle est proche de Freud et du cercle psychanalytique. L’Anschluss la fait émigrer à New York où elle pratiquera la psychanalyse. Elle pense que tous les nourrissons traversent un autisme normal durant les quatre premières semaines de leur vie, et que la pathologie autistique est une fixation ou une régression à cette phase. Elle distingue l’autisme, qu’elle nomme psychose autistique, de la psychose symbiotique.

L’école anglo-saxonne :

Donald Winnicott, 1896-1971, pense l’autisme comme une non intégration des différents états du self qui serait du à une relation pathologique avec la mère qui se trouve dans l’incapacité de jouer son rôle de filtre à l’endroit des excitations extérieures et de pare-excitation, c’est-à-dire de sa capacité à rêver et à penser son enfant et les états intérieurs qu’il rencontre. Donald Meltzer, 1922-2004, américain installé à Londres et élève de Mélanie Klein, a amené la notion de mantèlement si intéressante pour penser la construction de l’image du corps à partir des sensations et des perceptions. Manière de penser la mise en place du fonctionnement pulsionnel. Chez l’enfant autiste nous avons ainsi un démantèlement du moi, ou plus précisément, un non-mantèlement du moi, qui est le résultat du clivage évoqué plus haut, qui a pour conséquence que l’unité du corps ne peut se faire, l’enfant autiste restant dans un monde de sensations non ordonnées, juxtaposées. Il amène aussi la notion de bidimensionalité de la relation d’objet de l’enfant autiste, relation de surface, sans profondeur, sans intériorité. C’est une notion qui se déduit du démantèlement, et qui se repère cliniquement. Il s’en déduit aussi une identification qu’il a nommé identification adhésive. Frances Tustin, 1913-1990, psychanalyste anglo-saxonne, également élève de Mélanie Klein et, comme Meltzer enseignante à la Tavistock Clinic, définit l’autisme comme une réponse à une terreur primordiale conséquente d’une non-rencontre. Elle aborde cliniquement la question de l’autisme en décrivant son univers « asymbolique » : l’inexistence des objets d’investissement, la non-perception de la voix comme véhicule de communication, la tendance à s’envelopper de bruits, de salive, d’excréments, de stéréotypies comme autant d’enveloppes protectrices réelles contre un extérieur terrifiant car non symbolisé. Enfin, et contrairement à ce qui est communément pensé, Bruno Bettelheim prend en compte la part active que doit prendre le bébé dans les premières relations, il la nomme mutualité. C’est l’échec de cette mutualité qui entraine l’autisme avec un retrait important du monde des relations, l’enfant ayant le sentiment de ne jamais pouvoir rencontrer sa mère.

En France

Serge Lebovici, 1915-2000, bien qu’ouvert aux travaux de la neurobiologie et de la neuropsychologie, a toujours gardé une approche psychanalytique notamment en ce qui concerne l’autisme qui serait une fixation aux modes archaïques d’investissement libidinaux  et des relations d’objet qui restent fixées à ces modes archaïques. Il a contribué à faire connaître John Bowlby et sa théorie de l’attachement, inspirée de l’éthologie animale, qui rend compte des interactions comportementales entre le bébé et ceux qui s’en occupent, en premier lieu sa mère. Il met l’accent sur la nécessité d’articuler les notions de développement et de structure psychique. Il a été un chef de file des psychanalystes freudiens et a exercé les plus hautes responsabilités au sein de l’API (Association psychanalytique internationale). Il a fondé avec René Diatkine le centre Alfred Binet, dans le treizième arrondissement de Paris. Sa conception de l’autisme est une conception développementale et génétique, plutôt que structurale. Geneviève Haag, également membre du Centre Alfred Binet, et fondatrice avec Marie-Dominique Amy en 2004 de la CIPPA (Coordination internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes s’occupant de personnes avec Autisme), a élaboré tout au long de son travail avec les enfants autistes les étayages de la communication primaire de l’enfant telle qu’elle s’inscrit dans le fonctionnement du corps, grâce à ce qu’elle nomme des identifications corporelles qui se font par le contact et le dialogue œil à œil, ainsi que par le portage de l’enfant. Elle a élaboré une grille aidant au repérage des étapes évolutives. Elle insiste ainsi pour faire passer l’idée qu’il n’y a pas une vision unique de l’autisme, qu’il existe des autismes. Quatre étapes : Au delà de l’état de départ caractérisé comme état autistique sévère, nous avons la restauration de la « peau », sentiment d’entourance circulaire,  puis la réduction de la coupure verticale de l’image du corps, la réduction du clivage horizontal de cette image, et la phase de la constitution d’une individuation par la séparation. Chaque étape est précisée en étudiant l’état de l’image du corps, les symptômes autistiques, les manifestations émotionnelles, le regard, l’exploration de l’espace et l’investissement des objets, le langage, le graphisme, le repérage temporel et les conduites agressives. Cette grille est un véritable outil de travail au quotidien avec les enfants autistes, très précieux notamment en institution.

De nombreux travaux cliniques et théoriques autour de l’autisme sont actuellement menés par des psychiatres et psychanalystes et leurs équipes, comme Bernard Golse à l’hôpital Necker-Enfants malades, et professeur à l’université René Descartes à Paris, qui a travaillé sur les processus de sémiotisation et de symbolisation. Pierre Delion maintenant responsable du diplôme universitaire autisme à Lille, a développé et théorisé, entre autres travaux, le soin par enveloppement humide, appelé packing, des enfants et adolescents autistes, récompensé par le prix spécial 2009 de l’Évolution psychiatrique et accordé toute son importance dans le travail institutionnel. Didier Houzel, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’université de Caen s’inscrit dans l’enseignement de M. Klein et Bion. Enfin Jacques Hochmann à Lyon est lui aussi responsable d’un diplôme universitaire sur l’autisme et professeur émérite à l’université de Lyon I, membre de la SPP et auteur d’une Histoire de l’autisme récente. Il a crée un service, l’ITTAC, qui est un centre de soins en ambulatoire, recevant notamment des enfants et des adolescents autistes et psychotiques.

Les approches cognitivistes

Il s’agit d’une conception déficitaire congénitale de l’enfant autiste.La plus connue est la théorie de l’esprit qui ferait défaut à l’enfant autiste. Il s’agit de la capacité à attribuer et à comprendre les intentions d’autrui, se mettre à la place de l’autre, adopter le point de vue et prendre en compte les sentiments d’autrui qui se met en place beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait. Il s’agit classiquement de la dimension transitiviste et de ses avatars, présente dans le développement de l’enfant. Cette capacité fait défaut à l’enfant autiste. Ceci a été décrit par S. Baron-Cohen, A.M Leslie et U. Frith.

L’étiologie neuro-biologique et génétique

C’est la piste actuelle, qui n’est pas du registre d’une psychopathologie. Le cerveau de l’autiste est étudié, mesuré, son activité est enregistrée à la recherche d’une localisation. Ce fut tout d’abord le tronc cérébral, puis le cervelet, et maintenant le sillon temporal supérieur qui sont étudiés.

La piste biochimique se fonde sur des hypothèses sur certaines molécules. Cependant la recherche neurochimique sur l’autisme s’est révélée décevante, selon le chercheur américain George Anderson : il n’y a pas de remède spécifique de l’autisme et les médicaments utilisés de plus en plus facilement cherchent à limiter les comportements agressifs et violents et évitent le questionnement du symptôme. La génétique reste actuellement le domaine le plus porteur d’espoir dans le grand public et pour les parents, et ceci malgré des résultats reconnus par les chercheurs eux-mêmes comme minimes. Jacques Hochmann, dans son ouvrage Hisoire de l’autisme rappelle un certain nombre d’arguments allant dans ce sens : la prépondérance masculine : quatre à cinq garçons pour une fille, la proportion de 10% de risque d’autisme est présent dans des maladies génétiques comme la maladie de Bourneville ou le syndrome de l’X fragile, ainsi que les recherches sur les jumeaux homozygotes qui montrent que, lorsqu’un des jumeaux est autiste, le risque que l’autre le soit est de l’ordre de 90%. Il est possible de penser que l’on découvrira des composantes génétiques, mais ce qui restera également à prendre en compte est la fonction de l’épigénétique, c’est à dire la capacité du fonctionnement et de l’expression génétique à être modifiée en retour par l’environnement, car c’est actuellement ce qui est en cours d’études.

III- Soins, éducation et apprentissages : l’enjeu actuel

La mise en œuvre d’un traitement de l’autisme va bien entendu dépendre du modèle théorique qui sera pris, mais pas seulement. Il y a une dimension sociale et politique à la prise en charge de l’autisme. À l’heure actuelle, une controverse est largement reprise et aggravée  par les médias, et mise en œuvre principalement par les associations de parents d’enfants autistes contre le traitement psychanalytique. Cette controverse a vu un nouveau chapitre s’écrire l’été 2012 avec les nouvelles recommandations de la Haute Autorité de Santé dont les recommandations sont défavorables à la psychanalyse comme soin aux enfants diagnostiqués autistes.

La psychothérapie psychanalytique

Elle a été dans un premier temps pensée difficile, sinon impossible, notamment chez les petits autistes, du fait de leur absence de langage. C’est d’ailleurs une idée qui demeure d’actualité dans nombre de lieux de soins ou de prise en charge éducative. Cependant, dès les travaux de Meltzer ou de Tustin, et plus encore avec ceux de psychanalystes comme Françoise Dolto, qui, si elle s’est peu intéressée à l’autisme, a toujours pensé que le bébé est un être de langage pour qui tout peut être « parole », et, plus proche de nous Jean Bergès ou M.-C. Laznik, de nombreux psychanalystes, psychiatres et psychologues, ont suivi ces enfants en cure. Ce travail nécessite une alliance thérapeutique avec les parents : leur confiance et un transfert de leur part sont une part importante pour la mise en place d’une psychothérapie psychanalytique. La psychothérapie mettra en effet les parents, et notamment la mère, à contribution dans leurs capacités à se laisser questionner par les symptômes de leur enfant.

Nous retrouvons là ce que Jean Bergès amène avec le transitivisme tel qu’il l’a repris dans son livre avec G Balbo : Jeu des places de la mère et de l’enfant, essai sur le transitivisme. A partir des travaux d’Henri Wallon sur le transitivisme, J. Bergès et G. Balbo vont élaborer la fonction du masochisme et de sa limitation dans les relations entre une mère et son enfant. Un enfant tombe, ou heurte de sa jambe un obstacle, la mère dit « aïe ». Pourquoi transitive-t-elle ce qu’elle éprouve ? La suite nous le montre : l’enfant généralement se met à pleurer après qu’elle lui ait dit quelque chose, qu’elle lui ait manifesté sa douleur, et qu’elle l’ait nommée. C’est son propre masochisme qui lui fait éprouver la douleur, qui rappelle à la mère - mais aussi à tout un chacun - comment s’est constitué pour elle son masochisme. Ce transitivisme a donc pour but de limiter le masochisme de l’enfant en lui donnant des représentations qui lui permettront d’organiser son organisme en un corps articulé aux signifiants maternels, articulé au langage. Plus généralement une mère va pouvoir lire ou pas, les comportements de son enfant, elle va pouvoir s’occuper de lui parler, à partir de ses propres éprouvés inconscients, qui lui viennent de ce qu’elle-même a vécu avec sa propre mère lorsqu’elle était bébé. Il est attendu de l’enfant qu’il « s’identifie » à ses signifiants, qu’il se les incorpore, qu’il les fasse siens car ce sont eux qui construisent un corps de signifiants, par le biais du transitivisme. C’est ce qui ne se passe pas avec un enfant autiste. La cure va se donner comme but de nouer les éprouvés supposés de l’enfant aux signifiants maternels et paternels, dans un travail transférentiel avec l’analyste. Avec les avancées de M.-C. Laznik sur le ratage de la mise en place du circuit  pulsionnel, nous avons un apport supplémentaire. Si le circuit pulsionnel tourne en circuit fermé, s’il n’est pas articulé à la rencontre avec l’autre par le partage des jouissances et la relance de la part de l’enfant, alors nous avons à tenter l’articulation des boucles interactives entre elles.

Le travail thérapeutique va se faire en trois étapes : une mise en relation du monde de l’enfant avec celui de l’autre, la rencontre avec cet autre et la possibilité qu’il manque, ce qui ouvre la possibilité d’une symbolisation et l’expérimentation, dans le transfert, de cette rencontre au travers de nombreuses situations d’imitation et d’identification. Cette rencontre avec l’autre peut être l’objet d’un forçage, dans la mesure où l’enfant autiste la refuse. Elle va se faire en utilisant le registre sensoriel que l’enfant privilégie, en essayant d’entrer comme partenaire de jeu, en se faisant lieu d’adresse possible pour lui et en travaillant à ne pas se laisser sidérer par son habileté à nous ignorer. Entrer dans son circuit de satisfaction autistique pour lui permettre ensuite d’inclure l’autre dans sa jubilation. Si cela a lieu, alors l’autre peut jouer avec la possibilité de faire des scansions, des coupures, des reprises, ce qui aura comme effet d’introduire une dimension symbolique de manque possible et par conséquent de désir de jeu, de relance. C’est une étape qui peut durer très longtemps car l’enfant autiste ne sort pas facilement de l’immuabilité et de l’autosatisfacion sensorielle.

La seconde étape, décrite par Graciela Crespin comme celle de l’engagement, est celle où l’enfant témoigne de la reconnaissance de la présence du thérapeute. La relation est établie, mais elle est à mettre en jeu dans des échanges dont l’enfant ne va pas toujours être le maître. La satisfaction peut s’arrêter du fait de l’adulte, la toute puissance de l’enfant peut et doit se limiter afin que la séparation se vive de manière symbolique et pas seulement réelle. Ce qui entraîne souvent des comportements violents, désespérés, de la part de l’enfant.

La troisième étape est celle de la complexification des échanges, qui ouvre sur les identifications et les imitations, porteuses de la possibilité d’apprentissages et de socialisation. En résumé, pour le psychanalyste, le trouble autistique, avant d’être un déficit cognitif, témoigne d’un empêchement majeur du désir. La question est donc : comment amorcer ce désir, désir de rencontre, d’identification, d’imitation, désir d’un sujet supposé?

Les prises en charge institutionnelles

L’objectif du soin est de réaliser la meilleure prise en charge possible pour les enfants autistes, selon le degré de gravité des troubles et des symptômes entre soin ambulatoire et hospitalisation en journée pour la très grande majorité des enfants, répartis sur cinq jours par semaine, suivant grosso modo le rythme de l’année scolaire. Thérapies individuelles spécialisées, rééducations, pédagogie adaptée avec, le plus souvent, un enseignant dégagé de l’éducation nationale, pour ceux qui ne peuvent rester en classe ordinaire, activités de socialisation ou de jeu sont organisées, à partir des années 1970, dans un projet de soin individualisé dans les hôpitaux de jour des secteurs de psychiatrie infanto-juvénile. Cette prise en charge est pensée par l’équipe de soins, et cette réflexion est partie prenante du soin lui-même. Les hôpitaux de jour ont ainsi une fonction institutionnelle, ils peuvent faire véritablement lieu, domicile pour les enfants autistes. La pensée qui sous-tend la plupart de ces services est issue de la psychanalyse parfois également de la psychothérapie institutionnelle avec Tosquelles et Oury.

Un traitement résidentiel en hospitalisation complète, est parfois rendu nécessaire, selon la gravité des troubles de l’enfant, ou de son éloignement géographique des lieux de soins. Ces cas restent exceptionnels. Les enfants présentant un autisme déficitaire sont accueillis dans les Instituts Médico-éducatifs (IME) avec parfois une prise en charge double avec les hôpitaux de jour. Ces hôpitaux de jour sont peu à peu devenus la cible des critiques, parfois justifiées, des associations de parents qui préfèrent souvent, à l’heure actuelle, une prise en charge totalement ambulatoire le plus souvent en libéral et une scolarisation en milieu ordinaire, avec le soutien d’une Aide à la Vie Scolaire (AVS) financée par l’Éducation Nationale. Le désir des parents est de normaliser le plus possible la vie de leur enfant autiste, s’appuyant sur le postulat que l’environnement des enfants non autistes est soutenant et normalisant. Ceci est en lien avec le fait que beaucoup de parents se sont éloignés des prises en charge reposant sur la pensée et la clinique psychanalytique pour se soutenir d’une pensée scientifique des troubles de leur enfant, avec l’espoir qu’une cause génétique ou médicale soit enfin avérée, et que s’éloigne définitivement la notion de maladie mentale.

La méthode comportementaliste

La méthode ABA (Applied Behaviour Analysis), ou analyse appliquée du comportement, elle, été mise au point par Lovaas dans les années 70, aux Etats Unis. C’est une méthode visant à modifier les comportements problématiques du sujet et à développer par imitation et de façon systématique et très progressive toutes les compétences. Elle emploie une technique de thérapie comportementale visant à faire disparaître les comportements désadaptés en leur associant des stimuli désagréables ; ces stimuli-punitions ont été remplacés aujourd’hui par des « renforcements » positifs : friandises, caresses et sourires, jeux préférés, bons points, ou négatifs comme le retrait de l’attention donnée à l’enfant : l’attitude dite du still face qui signifie en anglais visage immobile. L’éducateur oppose à l’enfant qui n’a pas le bon comportement un visage sans émotion aucune, marquant ainsi un désintérêt total . Il s’agit de faire cesser les actes  indésirables, stéréotypies, colères, pour des comportements socialement valorisés. C’est une prise en charge hors sens de la pathologie autistique car les récompenses au sens d’échange et de désir envers autrui, n’intéressent pas les enfants autistes. Lovaas a reçu un financement très important de l’Etat américain pour sa méthode et la faire connaître. Le pourcentage de 46% de guérison avancé a été mis en question par une chercheuse américaine de Caroline du Nord en 2004 : Victoria Shea, qui a été rechercher les études non publiées car ne donnant pas les résultats escomptés et démontre une méthodologie fragile. En fin de compte il n’y a aucun enfant guéri véritablement et seulement entre 16% et 23% d’amélioration. Virginie Cruveiller, à Paris, a fait en 2012 une revue critique de la littérature récente concernant « les interventions comportementales intensives et précoces auprès des enfants avec autisme » qui montre les mêmes résultats. Pour la méthode comportementaliste, la question est donc : comment rendre cet enfant socialement présentable dans ses relations aux autres ?

Dans un ordre de pensée et d’appui théorique assez proche sont nées à Tours, chez le professeur Gilbert Lelord : les Thérapies d’Echanges et de Développement, les TED qui se veulent d’ordre physiologique, c’est à dire ayant une action de stimulation et de mobilisation de l’activité des systèmes intégrateurs cérébraux. Il s’agit de réaliser des rééducations fonctionnelles des fonctions déficientes chez l’enfant autiste : la communication, l’attention, l’imitation l’intention. Ces thérapies ont la structure du jeu et sont indépendantes d’un système de punition et de récompense. Il faut souligner également que cette méthode met l’accent sur la dimension thérapeutique, plutôt que sur le conditionnement du comportement et ne repose pas sur la même conception de l’éducation.

Les méthodes pédagogiques fondées sur le cognitivisme

La méthode la plus reconnue est la méthode TEACCH (Treatment and Education of Autistic and Related Communications Handicapped Children : traitement et éducation des enfants autistes ou souffrants de handicaps de communication apparentés)

Eric Schoppler, ancien assistant de Bettelheim, est le créateur de cette méthode. C’est un pédagogue, ses intérêts sont donc différents de ceux de Lovaas. Il part de l’observation que l’enfant n’apprend pas et se demande comment lui apprendre à apprendre. Il s’intéresse au processus cognitif. Il sera au départ de tout un mouvement de pensée et de recherche fondé sur la cognition. Même si c’est une hypothèse du déficit neuro-développemental qui mène la prise en charge des enfants, comme la méthode ABA, la démarche est totalement différente car le but et la façon d’y parvenir restent suffisamment respectueuses du symptôme et de l’enfant lui-même.

En France, l’amalgame entre comportementalisme et cognitivisme est souvent source de malentendus. Pour le cognitivisme, la question serait : comment cet enfant peut-il apprendre, apprendre à parler, à bien se conduire avec les autres, à échanger avec eux, apprendre à apprendre ? Tout pourrait donc s’apprendre de l’extérieur, ce qui exclut la dimension subjective préalable.

Les modes de classification : CFTMEA, CIM-10, DSM

Dans la classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA) l’autisme est classé dans les psychoses infantiles, dont il est la forme la plus grave. Dans cette classification, intitulée troubles envahissants du développement (TED) pour se mettre en harmonie avec la CIM-10 et le DSM, nous avons l’autisme infantile précoce de Kanner, les autres formes de l'autisme, avec ou sans retard mental, la psychose précoce déficitaire, le  syndrome d'Asperger, le trouble du développement multiple et complexe appelés classiquement dysharmonie psychotique, les troubles désintégratifs de l'enfance, les autres troubles envahissants du développement, ou psychoses précoces et  psychoses précoces non spécifiées.

Rappelons que la CFTMEA est l’œuvre de Roger Misès et de nombreux collaborateurs. À la différence du DSM, le repérage des organisations psychiques s’appuie sur une psychopathologie qui tient compte de la vie intérieure de l’enfant, d’une écoute de son discours, et fait des hypothèses sur la vie mentale. Il ne se limite pas à un enregistrement de ses comportements.

Dans la classification de l’OMS, la CIM-10, comme dans la classification du DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders), l’autisme n’est plus considéré comme une psychose, laquelle d’ailleurs disparaît, mais comme appartenant à cette nouvelle entité clinique : les troubles envahissants du développement, TED. Le terme psychose infantile disparaît de cette classification. On y trouve l’autisme typique, l’autisme atypique, le syndrome de Rett, les troubles désintégratifs de l’enfance, le syndrome d’Asperger, l’ensemble appartenant au spectre autistique, et enfin les troubles envahissants du développement non spécifiés : TED-NOS. La notion de spectre autistique a bien sûr comme conséquence une augmentation de la fréquence du trouble qui a été multiplié par dix, et selon certaines études par vingt.

L’évolution des classifications actuelles s’oriente, avec le DSM-V, vers une disparition des TED au profit de l’autisme. Ils se nommeront tous troubles du spectre autistique : TSA, qui de ce fait occuperont un très large spectre clinique, allant de l’autisme précoce caractérisé à des formes partielles plus légères et incluront ce qui était discriminé cliniquement auparavant dans le DSM-IV. La place du syndrome d’Asperger dans cette nouvelle classification est en question.

DSM

Actuellement le diagnostique d’autisme se fait  à partir du DSM, diagnostic and statistical manuel of mental disorders, et repose sur les comportements dans les trois domaines des interactions sociales, du langage et des intérêts restreints apparus avant l’âge de trois ans et fixés ensuite.

Dans le DSM-IV, outre l’autisme typique décrit plus haut, sont répertoriés un autisme atypique, un autisme de haut niveau, ainsi que le syndrome d’Asperger qui fait encore partie des autismes, ce qui est sujet à controverse pour le DSM-V. Certaines atteintes qui favorisent l’apparition de comportements autistiques complètent la liste, comme le syndrome de Rett (encéphalopathie d’origine inconnue qui atteint seulement les filles, et qui fait penser à un tableau autistique au début, avant une régression générale), la maladie de l’X fragile, la sclérose tubéreuse de Bourneville, la trisomie 21… L’ensemble, auquel il faut ajouter les Troubles Envahissants du Développement Non Spécifiés (TED-NoS), c’est à dire ne présentant pas de symptômes identifiés comme autistiques, constitue les Troubles Envahissants de Développement dans le DSM-IV.

En conclusion,

La multiplication des hypothèses explicatives de l’autisme nous amène à faire les remarques suivantes : L’idéologie a toujours tenu une grande part dans l’abord de l’autisme et a contribué à en obscurcir l’abord et la compréhension. Il n’y a pas une cause unique à l’autisme, psychologique, sociale et éducative, génétique. Il y a un faisceau de causes, les unes influant sur les autres, avec des effets de retour et de rétroaction, même dans les causes les plus organiques,  l’épigénétique est là pour en faire la démonstration. L’autisme n’est pas Un, en revanche il y a des autismes. L’avenir nous permettra certainement de séparer ce qui est à l’heure actuelle classé dans le spectre autistique, sans autre unité que des comportements peu différenciés, si ce n’est en terme de facteurs d’intensité, sans autre contenu psychopathologique. Enfin n’oublions pas qu’un autiste est d’abord un enfant issu de la rencontre sexuelle et sexuée d’un homme et d’une femme, rencontre qui les rend parents et qui fait de cet enfant leur enfant, avec toutes les conséquences de bon heurt ou de mal heurt…

Dominique Janin Duc.

Notes