Marie-Noëlle Lanneval : SIDONIE GABRIELLE COLETTE et la bisexualité

   Colette, auteure, entres autres,  des Claudine, amoureuse inconditionnelle des chats, née en 1873, la même année que Freud et connue également pour sa bisexualité.


On ne peut cependant pas aborder la vie et plus particulièrement la bisexualité de Sidonie Gabrielle COLETTE ou plus simplement COLETTE, à la fois prénom féminin et nom de famille,  sans interpeller la Belle Epoque et son influence sur la romancière.

La Belle Epoque,  sera ainsi qualifiée rétroactivement car fantasmée agréable,  après les guerres et révolutions de la deuxième moitié du XIXè siècle (1848 – 1870 – 1871) jusqu’à la guerre de 1914. Une époque en pleine évolution :  le développement du chemin de fer à partir de 1870, deux prix Nobel en physique, dont une femme Marie Curie, trois en chimie entre 1896 et 1914, une industrie automobile effervescente, à la première place dans le monde en 1895, des aéroplanes avec Clément Adler et ses sauts de puces en 1897, la construction par Gustave Eiffel de sa Tour,  reine de l’exposition de 1889, la transformation brutale de Paris  par Haussmann, des arts  nouveaux comme les Impressionnistes, un romantisme littéraire qui survit grâce à Victor Hugo, musical avec Chopin, Berlioz…  ….... Des avancées à la fois technologique, économique, scientifique,  et même sociale, puisque l’Organisation Sociale du Travail voit le jour. Ces  avancées attirent des populations dans la capitale qui doublera en fin de siècle en termes  démographiques. 

Le domaine médical est également chamboulé avec Pasteur puis Charles Darwin :  la science biologique de la deuxième moitié du XIXè siècle, à la suite de la publication de son livre   La descendance de l’homme en 1871, commence à s’interroger sur la sexualité humaine qui jusqu’au XIXè siècle n’avait pour seul but que  la reproduction. Tout autre forme de sexualité relevait d’anormalité, d’immoralité. L’interrogation scientifique du XIXè siècle en termes de constitution, d’espèce, d’organicité avec  l’apport de l’embryologie permettra d’évoluer et de montrer, grâce au microscope, la bisexualité de l’embryon humain. L’indifférenciation sexuelle est originelle  et l’embryon est en effet  doté de deux potentialités, l’une masculine et l’autre féminine, le sexe final se déterminant peu à peu pendant la grossesse. Il  restera cependant des traces  du sexe éliminé.

Cette potentialité biologique n’est pas qu’humaine. En France jusqu’à la fin du XVIIIè on parlait de  bisexualité  pour certains arbres comme le noyer  ou certaines plantes  avec leurs fleurs à deux sexes, les étamines et pistils. En zoologie, les escargots, entre autres,  également bisexuels.

En Autriche au début du XXè siècle, Wilhelm Fliess, médecin et  ami de Freud,  s’intéressera à la question de la bisexualité. Il développera entre autres, l’idée d’une bisexualité biologique se prolongeant en une bisexualité psychique allant de pair avec la bilatéralité de l’organisme humain,  la gauche et la droite traduisant l’organisation corporelle  et spatiale de la différence des sexes.[1] Un pas était franchi vers une bisexualité psychique.

Freud s’en saisira et adoptera vers 1890 la thèse d’une bisexualité psychique, sans tenir compte de la bilatéralité corporelle droite/gauche. Dès 1897  il  expliquera  cette notion en tant que conflit psychologique entre deux tendances, chaque sexe refoulant le sexe opposé,  pour le traduire en 1937, dans Analyse terminée et analyse interminable,  en envie du pénis pour la femme et  refus chez l’homme de sa propre féminité et de son homosexualité.

Grâce à ses patients adultes névrosés  Freud faisait ainsi évoluer  le concept de sexualité  dès  1905. Il ne la  limitait plus à la génitalité  des adultes mais reconnaissait un sexuel inconscient  dès l’enfance.  Il affirmait également  que dans l’inconscient il n’y a pas de symbolisation « homme/femme » mais « activité/passivité » et que la libido était « masculine ». Lacan y souscrira et insistera sur le fait que la différence sexuelle tient surtout à une différence de jouissance et non à une différence d’organe.

Au-delà des technologies, du social et de la médecine, dans cette deuxième moitié  du XIXè siècle et début XXè, cette Belle Epoque est un bouillonnement. Les esprits se libèrent, s’ouvrent aux idées nouvelles et se détachent même de la loi, civile. Une certaine  société s’en affranchit. Cette  liberté des mœurs touchait essentiellement le milieu artistique, littéraire   et élégant  c’est-à-dire l’avant-garde. Des Cercles et Salons littéraires étaient réservés aux femmes poètes, romancières, intellectuelles et même demoiselles du Moulin Rouge : le péché et le vice, du moins dans certains cercles, n’étaient plus le fruit défendu, mais plutôt la mesure d’une civilisation dont la corruption définissait le raffinement [2]. Paris était devenue une capitale attrayante et attirait des vagabonds comme  les Apaches dans les faubourgs  :  une vague de débauche et de crimes paraissait déferler sur le pays …..Les transgressions de quelques uns attestaient de la dépravation générale  [3].

Les femmes commençaient à s’émanciper avec le droit au divorce en 1884. Les Postes et Télégraphes étaient, avec l’Instruction Publique, les seules administrations ouvertes aux femmes (la Demoiselle des PTT) mais surtout  la démocratisation du vélocipède, vers les années 1880,  leur ouvre un boulevard. La mode féminine est obligée de s’adapter pour permettre aux femmes de l’utiliser : « culottes, vêtements de sport…..leur donnèrent le goût de tenues dans lesquelles elles pouvaient plus facilement s’asseoir, marcher et…….pédaler »[4]. Des intellectuelles s’emparent alors du vêtement masculin, au point que le ministre de l’Intérieur promulgue une circulaire le 27/10/1892  rappelant que le costume masculin est  réservé au vélo pour les femmes, sauf demande de permission aux autorités.  Même Le journal du Touring Club de France conseille à ses lectrices en 1895 d’abandonner le corset. Ce que nombre d’entre elles s’empresseront de faire, passant ainsi de la taille S à la taille L.

Une petite société d’Américaines évoluait dans ce monde artistique, avant-gardiste, dans le but de reconstituer en France une Académie de femmes saphiques qui revendiquaient le droit au plaisir et qui se réunissaient chez Natalie Clifford Barney. Ces femmes se rencontraient également dans les lieux de rencontre du Paris-Lesbos : le Palais des  glaces, le Bois de Boulogne.

Marguerite Emery, surnommée Rachilde, femme du directeur de l’importante revue littéraire Le Mercure de France était toujours vêtue d’un costume masculin et coiffait des cheveux courts. Elle était notoirement bisexuelle et fréquentait ces Américaines,  homosexuelles ou bisexuelles. Sophie-Mathilde Adèle Denise de Morny, dite Missy,  dernière fille du duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, et donc  nièce de l’empereur,  s’habillait en homme, conduisait sa voiture, fumait des cigares  et vivait son homosexualité au grand jour depuis son adolescence. Liane de Pougy, princesse, courtisane bisexuelle, actrice, étoile des Folies Bergères, femme de lettres, célèbre dans le monde entier, tomba sous le charme de Natalie Clifford Barney et en fit un roman Idylle saphique, en 1901.

Homosexualité, bisexualité, sodomie, travestissement, voyeurisme étaient des modes de sexualité courants dans ces milieux, à cette époque. C. FRANCIS et F. GONTIER, dans leur biographie de Colette expliquent la mode du voyeurisme et du lesbianisme par le développement de la syphilis. C’est effectivement moins dangereux. Mais est-ce exact ?

 Colette faisait partie de ce milieu transgressif. Sa liberté d’esprit était certainement due à une époque qui s’adonnait au plaisir dans le petit cosmos  des artistes, mais également à sa mère.

L’artisane d’une telle liberté s’appelle Sidonie dite Sido, sa mère, de sang colonial [5] …… (depuis plusieurs générations de) récolteurs de cacao en Martinique et de huguenots champenois qui avaient fui la persécution des protestants au XVIIè siècle. Les enfants étaient revenus se fixer en France et le père de Sido, Henri, avait intégré le corps d’élite des chevau-légers des lanciers créé par Napoléon 1er avant d’être séduit par la blancheur de cette Parisienne [6], Sophie, qu’il épousera en 1815. Sidonie, dite Sido, naîtra en 1835, un an après Irma et longtemps après Eugène 19 ans et Paul 12 ans. Elle ne connaîtra pas sa mère, qui mourra un mois après l’accouchement.

En France depuis la révolution de 1830, la vie politique était instable, Louis-Philippe avait été porté au pouvoir par les chefs libéraux. Une monarchie constitutionnelle, la monarchie de juillet, s’était mise en place. En décembre 1835 Henri accompagné de ses deux fils,  firent partie de la première vague d’exilés volontaires vers la Belgique. Deux ans plus tard, il récupéra Irma et Sido, puis la famille agrandie d’une demi-sœur illégitime,  s’installa à Bruxelles.

Fin 1847 début 1848, la monarchie française est troublée par une crise financière, économique et morale et le peuple réclame une république. Louis-Philippe est contraint  d’abdiquer en février 1848 et dès le 25 c’est la proclamation de la IIè république  dont Louis-Napoléon Bonaparte devient le Président. Mais en décembre 1851, alors que sa présidence doit se terminer   l’année suivante,  il organise un coup d’état pour rester au pouvoir, aidé par son demi-frère le duc de Morny, le père de Missy (future amante de Colette) et proclame le second empire sous le nom de Napoléon III, en décembre 1852.

A la même époque se développe un courant sociétal  utopique, l’Harmonie, inventée par Charles Fourier, philosophe et sociologue, mort en 1837. Il constate que l’harmonie règne dans l’univers grâce aux lois de l’attraction universelle découverte par Newton. Seul l’homme y fait exception car il s’abandonne à ses passions qui sont  à l’origine des   problèmes pathologiques  des sociétés civilisées. L’unité sociétale de la société future serait la phalange installée dans un phalanstère composé d’environ 1000 personnes  travaillant chacune suivant ses goûts. Ce serait un  état dans lequel règneraient l’accord et le bien-être parfaits. On peut parler de Fourier comme d’un précurseur du socialisme en montrant la puissance de l’association humaine. De nombreuses personnes avaient adhéré à ces idées et Victor  Considérant, polytechnicien et porte-drapeau de l’utopie fouriériste, sera un ami d’Eugène. Ce dernier avait même demandé à l’Assemblée  les moyens de mettre cette réforme en pratique au  cours de la révolution de 1848.

Le second empire institue un régime autoritaire qui durera jusqu’en 1860 :  une administration fortement centralisée qui rassure les conservateurs, la bourgeoisie est satisfaite, de même que l’armée et l’Eglise. Ce qui entraîne une répression qui fait fuir artistes, écrivains,  intellectuels et ceux qui vont vers la Belgique sont accueillis chez Eugène à Bruxelles où il fréquente les milieux libéraux,  de même que son père et son frère. Victor Hugo fait partie de ces exilés.  Mais ne se sentant pas en sécurité en Belgique, Victor Hugo  s’exilera plus loin à Guernesey. Eugène organisera un banquet à son départ  pour lui rendre hommage.

C’est dans cette ambiance culturelle,  bouillonnante d’idées avant-gardistes que grandit Sido. Cette femme  exceptionnelle, au caractère trempé et déterminé, se rebelle contre le tabou de la virginité, de l’inceste, la nécessité du mariage et de la maternité. Elle accueillera d’ailleurs chez elle des domestiques filles-mère, comme on les appelait et rejetées par la société. Colette racontait que pour sa mère le mal et le bien peuvent être également resplendissants et féconds [7].

Plus tard à Paris, encore chez Eugène,  Sido fréquentera des peintres comme Degas, Manet, Berthe Morizot …, des musiciens, des acteurs. D’ailleurs toute la famille Colette sera musicienne.

Nourrie de toutes ces idées nouvelles, émancipatrices, Sido n’avait cependant pu les adopter car la société était trop sourde. Et elle tenait à la respectabilité, au point qu’elle aura sa chaise nominative à l’église, alors qu’elle était profondément laïque. Elle se mariera deux fois : un premier mariage de raison et un second, d’amour avec Jules Joseph Colette.  Le 24 juillet 1909 elle écrivait à sa fille : je suis venue trois cents ans trop tôt au monde et celui-ci ne me comprend pas, même mes enfants. Sido  transmettra cependant certaines de ses idées  à ses enfants grâce à une éducation ouverte. Gabri en particulier  entendra ses idées libertaires.

Jules Joseph Colette, son père était  percepteur de St Sauveur en Puisaye, retraité de l’armée impériale napoléonienne pour avoir perdu une jambe à Marignan, au cours de la guerre d’Italie de Napoléon III, où il avait été capitaine des Zouaves. Mais  cette mutilation avait fait de lui un héros qui avait reçu la légion d’honneur. Sido était tombée amoureuse de  lui, alors qu’elle était encore mariée à Jules Robineau, père de  Juliette et décédé d’une apoplexie. Les trois autres enfants Achille, Léo et Gabrielle étaient de Jules.

Malgré son titre de héros de guerre, la mutilation de Jules faisait de Jules un homme dévalorisé. Devant les enfants Sido paraissait  le déconsidérer, elle l’appelait « Colette », un prénom de fille et le traitait de « pauvre papa ». Jules, lui, adorait Sido, elle seule comptait pour lui. Colette raconte dans ses Entretiens en 1950 avec André Parinaud, journaliste, par sa nature particulière, mon père a refusé…… d’être un guide pour ses enfants. Dans Le Capitaine extrait de Sido  (1930) elle écrivait : Même le chien n’obéissait pas à mon père. C’est curieux disait Sido. Jules répondait Ca prouve seulement la bêtise de ce chien….Mais nous n’en croyions rien  et mon père se sentait secrètement humilié. Sa voix de baryton avait été cependant très appréciée de Gabri. Puis  il devint aveugle à 56 ans pour encore une vingtaine d’années.

Sidonie Gabrielle Colette naîtra en 1873, après un accouchement très difficile.

C’est dans un petit village provincial bourguignon, Saint Sauveur, que Gabri va grandir. Ses parents, républicains, la mettront à l’école publique du village, école obligatoire depuis 1882, car déjà le besoin de liberté lui faisait refuser la pension. La famille, aisée, voyageait en train à Paris, Bruxelles et Gabri les accompagnait. Son avenir ? Au jeu de ce qu’on sera, avec les amies de l’école,  elle disait  Moi je serai marin ! parce qu’elle rêve parfois d’être garçon et de porter culotte et béret bleus….Quand je ferai le tour du monde [8]….

Peu à peu elle découvrait la vie.  A quatorze ans,  lisant Zola, les livres que lui interdisait cependant Sido,  je ne reconnus rien de ma tranquille compétence de jeune fille des champs. Je me sentis crédule, effarée dans mon destin de petite femelle….. Amours des bêtes paissantes, chats coiffant les chattes comme des fauves leur proie….. J’appelai à mon aide, surtout la voix conjuratrice…..je voulais que les mots doux de l’exorcisme chantassent à mes oreilles…. D’autres mots sous mes yeux peignaient la chair écartelée, l’excrément, le sang  souillé… Le gazon me reçut étendue et molle [9]. Mais Sido n’exorcisera pas ces scènes.

Impertinente, elle le sera aussi. A l’examinateur du brevet élémentaire à Auxerre, qui lui demandait comment se procurer de l’encre…… quels ingrédients ? elle répond : il y a bien des manières, la plus simple serait encore d’aller en demander chez le papetier du coin.[10] Elle sera cependant reçue.

Ces quelques faits ne sont pas spécifiques d’une gamine totalement dégagée d’une éducation stricte.  Il faudra attendre son mariage avec Willy pour que Gabri s’affranchisse d’une certaine morale.

La famille quittera St Sauveur quand son frère Achille, devenu médecin, ira s’installer à Chatillon Coligny. Sido ne supportera pas la séparation et y entrainera toute la famille en 1890. Gabri avait 17 ans. Une nouvelle vie commençait pour elle. Devenue romancière elle ne dira presque rien sur cette période de sa vie. Ce fut pourtant une vraie rupture : quitter mes étangs, leur profonde odeur de joncs et de vernes, leurs brumes délimitées, les sources secrètes qui les abreuvent. J’en dépéris plus d’une année….[11]

Au cours d’un séjour à Paris chez la veuve d’un camarade de promotion de son père à St Cyr, le général Cholleton, elle rencontra Willy, de 12 ans son aîné, un fils des amis de la famille Cholleton, les Gauthier-Villars, éditeurs, qu’elle avait déjà remarqué dans leur librairie lors d’un voyage précédent avec Achille. Chez la veuve Cholleton elle avait appris la séduction. Et elle lisait avec avidité les publications de Willy, critique musical.

De son côté Willy avait été séduit par Gabri et dès le décès de sa maîtresse en 1891, il  confiera son fils Jacques à Achille,  qui le placera à Châtillon chez une nourrice que Sido surveillera, ce qui lui donnera l’occasion de revoir Gabri. Sido est ravie de cette situation qui pourrait donner à Gabri la possibilité de faire un mariage avec une grande famille bourgeoise, même  sans dot. Il faudra cependant attendre trois ans avant que Gabri épouse Willy qui disait avoir une dette morale envers les COLETTE. Et  le 15 mai 1893 ils se marièrent à la sauvette, effrayés par des lettres anonymes qu’ ils avaient reçues.

Il y a un gouffre, un abîme presque, entre les milieux de Gabri  et Willy, respectivement  républicain, laÏque d’un côté et extrême-droite nationaliste et ultra-catholique de l’autre. Mais ni Willy ni Gabri ne se laisseront enfermer par leur milieu.

Willy (pour Henry) est un représentant typique de la nouvelle société de la Belle Epoque. Il est  érudit, parle Anglais, Allemand, lit les textes grecs et latins. Mais les horreurs de la guerre de 1870 à laquelle son père a participé, l’inclinent à voir la vie comme absurde et  ne valoriser que les joies artistiques et les plaisirs de la vie. Il fréquentera les Hydropathes avec Alfred Jarry, le cercle des Zutistes avec Charles Cros, Alphonse Allais et Georges Courteline. Egalement Les Décadents. Il fondera le groupe des Ironistes… Il entrera  à La Revue Indépendante à laquelle collaborent Verlaine, Huysman, Barbey d’Aurevilly et Henri de Régnier. Egalement à la revue Lutèce et assiste aux réceptions du Mercure de France. Il travaille à Art et Critique puis à l’Echo de Paris, journal de la bourgeoisie catholique sous le nom de L’Ouvreuse dès 1889.

Il est passionné de musique ce qui lui permet de devenir le critique musical le plus écouté de son époque (il a de nombreux conseillers) mais également de décrire ses contemporains qui assistent aux concerts. En 1891 il tiendra la rubrique théâtrale du Chat Noir, connu pour ses spectacles sur le thème de l’homosexualité. Il deviendra le rédacteur en chef de la rubrique. Lui-même écrit des pièces grivoises, même scandaleuses.

Physiquement il se décrit : d’un blond clairsemé, poupin, un peu fat, de grosses lèvres de jouisseur, des yeux de myope, frais encore… A des succès féminins nombreux et le laisse savoir ….. grand  fumiste sous le ciel bleu.[12] « Ses » femmes l’appellent Papa.

A Paris, dans la garçonnière de Willy, au-dessus de la maison d’édition, Colette découvre l’amour. Elle est âgée de 20 ans et Willy, 32 ans. Pour Gabri c’est aussi, entre les ébats amoureux, la découverte de la vie parisienne.  Dans Claudine en ménage, elle décrit le plaisir de Claudine/Gabri avec Renaud/Willy :  pour lui la volupté est faite de désir, de perversité légère, de curiosité allègre, d’insistance libertine. Le plaisir lui est clément, joyeux et facile,  tandis qu’il me terrasse, m’abîme dans un mystérieux désespoir que je cherche et que je crains. Quand Renaud sourit… je cache  dans mes mains des yeux plein d’épouvante et une bouche extasiée…… tout ce grand corps où je fis plein de découvertes passionnantes…… Comme je vous trouve beau !

Déjà la différence de jouissance entre un homme libertin, heureux, libre dans sa sexualité et une femme qui découvre la sexualité. Colette  est saisie d’angoisse, mais au-delà   sa bouche est extasiée !  Cliniquement on repère cette angoisse chez certaines patientes : certaines jeunes femmes  qui n’ont pas encore eu de relation sexuelle peuvent présenter des signes de grande angoisse ….. devant l’incarnation phallique.[13]

Sept mois plus tard c’est  cependant la désillusion. Willy lui est infidèle avec une ancienne maîtresse et ils feront ménage à trois : ce goût du partage ne quitta pas Colette.[14]

En 1936 elle évoqua cette époque dans Mes apprentissages : J’ai eu beaucoup de peine à accepter qu’il existât autant de différence entre l’état de fille et l’état de femme…..entre l’amour et le laborieux, l’épuisant divertissement sensuel….. en somme j’apprenais à vivre.

En 1901 Colette avait  rencontré Georgie Raoul-Duval, qui était devenue sa maîtresse, puis celle du couple. Cette Américaine  faisait partie de l’Académie de femmes saphiques et fit pénétrer Colette dans ce cercle de femmes avant-gardistes. Colette devint ainsi la maîtresse de plusieurs de ces femmes et fit ses débuts au théâtre dans divers tableaux vivants. Le couple, très libre,  se partageait les maîtresses et les amants. Souvent les maîtresses de Colette devenaient celles de Willy. Et inversement. Ainsi de Marguerite Maniez, dite Meg que Willy épousera plus tard.

Au  trio Willy – Colette – Meg, s’ajoutera Missy que Willy présenta en 1905 à Colette. Ce quatuor sera épinglé dans Le Cri de Paris, qui titre son journal En Famille. Mais la rencontre avec Missy n’était en rien due au hasard.

La vie de Willy-Colette était faite  de procès, de retrouvailles, de menaces, de dénonciations, mais le couple ne parvenait pas à se séparer.  Cependant Willy qui souhaitait poursuivre sa relation avec Meg,  et  mettre Colette à l’abri de ses propres déboires financiers de joueur,   pensa à Missy, de 10 ans l’aînée de Colette, nièce de Napoléon III, divorcée depuis 1887 et homosexuelle notoire.  Colette déménagera près de chez   elle à Villejust, puis  s’installera très vite chez elle jusqu’à son mariage suivant.  Missy était-elle androgyne ?  La séduction qui émane d’un être au sexe incertain ou dissimulé est puissante…. Anxieux et voilé, jamais nu, l’androgyne erre … écrira Colette dans Le pur et l’impur, en parlant de Missy.

Willy  sera le déclencheur  du talent de romancière de Colette. Dans un premier temps il la présenta aux milieux de la presse, de la littérature, de la musique. Elle rencontrera Marcel Proust, Anatole France, Ravel, Debussy …… des théâtreuses, des mondaines….. Puis il la poussera à écrire ses souvenirs d’école, de jeune fille (la série des Claudine) pour   l’enrôler ensuite dans son atelier de nègres et continuer les Claudine qu’il signera sans vergogne, jusqu’à ce qu’elle assume sa propre signature …… de femme mariée, Colette Willy.  Et bien que divorcée en 1910, elle signera ainsi jusqu’en 1922. Le couple a du succès, ils écrivent dans une cinquantaine de quotidiens, d’hebdomadaires, de magazines…

Les Claudine dès 1902 étaient devenus  un vrai succès littéraire et même portés au théâtre. En tant qu’actrice, dès 1906 elle avait acquis également une certaine notoriété sur des scènes françaises, belges, suisses. Mais la pièce de théâtre « Rêve d’Egypte » qu’elle joua à Paris avec Missy déclencha un scandale auprès  de la communauté aristocratique parisienne qui ne supporta pas de voir la nièce de Napoléon III étaler sur scène son homosexualité et salir le blason de la famille. Le baiser de Missy/Colette sur la scène du théâtre avait été de trop. Colette continuera cependant : en 1907 dans La chair Je veux faire ce que je veux… je veux danser  nue…chérir qui m’aime… Sa mère lui avait écrit dans une lettre du 24 mars 1907  à propos de cette performance  : la pudeur qui consiste à ne pas montrer ce que nous cachons par des vêtements, non tu n’as pas celle-là .

Séparée de Willy la même année, le divorce sera prononcé en 1910, trois ans après, comme la loi l’exigeait. Une nouvelle vie allait ainsi commencer avec Henri de Jouvenel, un des deux rédacteurs en chef du journal Le Matin où elle venait d’être engagée comme journaliste en 1910. Il était de 3 ans son cadet et père d’un fils, Bertrand.

Jusqu’au printemps 1911, il semble que leurs relations aient été professionnelles. Elle avait rompu avec Lily de Rême, qui avait interprété Claudine à l’école à Tunis, peu de temps auparavant mais elle était toujours  la maîtresse de Missy et d’Auguste Hériot, le fils des Grands Magasins du Louvre, qu’elle voulait épouser. Ce projet tomba cependant  à l’eau dès qu’elle fit la connaissance d’Henri. De son côté ce dernier rompit avec sa maîtresse officielle, Isabelle de Comminges dite la Panthère, mère de  Bertrand et qui menaça de tuer Colette. Cette menace fut prise au sérieux car des gardes de la Sûreté  surveillèrent Colette jour et nuit jusqu’à ce que cette menace cesse  sur un coup de théâtre : Auguste Hériot et la Panthère  dont il avait fait la connaissance, embarquèrent pour une croisière de 6 semaines.

La relation avec Missy avait également  cessé.

Celle de Colette et Henri qu’elle appelle Sidi, était passionnelle. Sido lui écrivit dans une lettre du 30/07/1911 : Tu t’es donnée un maître !! Pauvre chérie. Colette disait de lui : j’aime cet homme là …. Tendre, jaloux, insociable et inguérissablement honnête. Puis vinrent les orages et les réconciliations. Le 19 décembre 1912 ils se marient et le 03 juillet 1913 c’est la naissance de leur fille, Colette. Ce sera ensuite la première guerre mondiale à laquelle Henri participera.

            La vie de Gabri/Colette ne s’apaisera cependant pas avec son mariage, ni avec la naissance de sa fille, puisque dès 1921 elle aura une liaison avec Bertrand, son gendre de  30 ans son cadet. Une cougar bien avant l’heure, et incestuelle. Henri la quittera pour une autre femme fin 1923 et le divorce sera prononcé en 1925. Mais déjà, dès l’hiver 1924-1925, à 52 ans, elle avait fait la connaissance de Maurice Goudeket,  36 ans. Elle l’épousera en 1935 et elle acceptera ses maîtresses, très féminines, pour  baiser dira Renée Hamon, une amie de longue date. Elle vivra la deuxième guerre mondiale avec Maurice. Il restera  à ses côtés jusqu’à sa mort en 1954.

 

                Comment s’est élaborée sa sexualité ?

Vers 10 ans elle parlera de sa « première séduction » car  bébé elle avait goûté au sein d’une amie de sa mère, Adrienne, les deux mères ayant un jour échangé les bébés par jeu.  Lorsqu’Adrienne lui rappelait ce moment elle rougissait si follement que (sa) mère……. cherchait sur mon visage la cause de ma rougeur ……. le sein brun d’Adrienne et sa cime violette et dure. Ce qu’elle aimait en Adrienne était ce qui l’opposait  à sa mère : elle était plus coquette, plus féminine et moins ménagère : une femme encore belle…. l’encens de ses cheveux crépus et de ses bras dorés …..elle ressemblait à George Sand et portait en tous ses mouvements une majesté romanichelle….. sa maison lui ressemblait par le désordre raconte-t-elle dans La maison de Claudine.

Puis vinrent ses 13 ans avec son premier chagrin d’amour : Maurice un ami de son frère Achille venu passer deux mois de vacances dans la famille, mais en écoutant les deux jeunes gens, Gabri entendit parler de son prochain mariage. Ce fut une très profonde déception.

Il lui faudra attendre sa rencontre avec Willy pour avoir une première relation homme/femme. C’est également avec lui, l’associant à sa relation avec sa maîtresse Charlotte Kinceler, que Colette  découvrira l’amour homosexuel. Dans Claudine en ménage, Claudine met en scène sa relation avec Renaud et Rézi, l’héroïne :  l’inoubliable perfection du périlleux baiser (de Rézi) ne saura jamais qu’en mes yeux le désir….. la volupté se teignent toujours de nuances sombres. Je revois cet animal sursaut des reins, ce geste de buveuse qui l’a jetée vers ma bouche ……. La violence de mon attrait pour Rézi, tout me presse ….. de m’énivrer d’elle jusqu’à tarir son charme ……Renaud, Rézi, tous deux me sont nécessaires….. Une relation à trois qu’elle décrivait déjà.

Dans les  Lettres de la Vagabonde (1911) : Deux femmes enlacées  sont l’image mélancolique et touchante de deux faiblesses peut-être réfugiées aux bras l’une de l’autre pour y pleurer, fuir l’homme souvent méchant et goûter, mieux que tout plaisir, l’amer bonheur de se sentir pareilles, infimes, oubliées.

Mais autant Claudine cherche la jouissance avec Rézi et Renaud, autant les Lettres de la Vagabonde  parlent de nostalgie, de la fragilité de la femme.

Dans Claudine en ménage elle parle de ce mari qu’elle appelle Kiki-la-Doucette, cet amant paternel….. il m’a découvert le secret de la volupté donnée et ressentie et j’en jouis avec passion….. Le plaisir me terrasse et m’abîme dans un mystérieux désespoir que je cherche et que je crains. La volupté m’apparut comme une merveille foudroyante et presque sombre…… Mon ami, ma chère vie, celui à qui je me confierai comme à un papa chéri. Willy un mari-père. Mais plus tard, en 1950 elle avouera à André Parinaud : en peu d’heures, un homme sans scrupule fait d’une fille ignorante un prodige de libertinage, qui ne compte plus aucun dégoût. Une rancune tenace.

Et que dire de sa relation à Missy, une homosexuelle notoire qui se faisait appeler Monsieur le Marquis et qui, à l’époque conduisait sa propre voiture ? Il semblerait que Missy ait été, en même temps  qu’une compagne sexuelle, un substitut maternel qui la soignait quand elle était malade, lui offrait des cadeaux… mais aussi un substitut maternel possédant et ne possédant pas le phallus. Peut-être une interrogation de Colette sur ce que sa mère avait pu trouver auprès de Jules « castré », qui lui avait cependant donné des enfants. Mais Colette abandonna Missy dès sa rencontre avec Henri de Jouvenel, porteur du phallus.

En 1924 dans La femme cachée qui préfigure  Ces Plaisirs ……Le pur et l’Impur, elle raconte la vie sexuelle libre d’Irène, une prostituée :  il était sûr qu’elle n’attendait ni ne cherchait personne et que les lèvres qu’elle tenait sous les siennes, abandonnant comme un raisin vide les lèvres qu’elle tenait sous les siennes, elle allait repartir l’instant d’après, errer ….., cueillir chez quelque autre passant  le monstrueux plaisir d’être seule, libre ……. d’être l’inconnue à jamais solitaire. …... Elle parle encore le monstrueux plaisir.

D’autres facettes de relations sexuelles interrogeaient Colette.

En 1910, peu après son entrée comme journaliste au Matin, elle avait envisagé le thème de la relation d’une femme mure avec un jeune homme Clouk ou Chéri. En 1919 il y eut l’amorce d’une pièce de théâtre avec Clouk  ou Chéri qui se transformera en livre,  Chéri, à paraître  en 1920. Colette y évoque l’amour entre Vial d’environ 35  ans et Léa, 59 ans : Faut-il te l’avouer  Vial, je ne songe jamais à la différence d’âge….. Est-ce l’annonce de sa future relation en 1921 avec son beau-fils Bertrand de 30 ans son cadet ?  A 47 ans, se sentait-elle vieillir et cherchait-elle à retrouver une verdeur sexuelle ? Apporter son expérience à un jeune homme ?  Se comparant à sa mère qui avait été tentée par son fils Achille le très beau, le séducteur elle   évoquera dans La naissance du jour en 1928 sa propre relation à Bertrand : combien je suis son impure survivance (de ma mère)….. La perversion de combler un amant adolescent ne dévaste pas assez une femme, au contraire. En 1923 dans Le blé en herbe, elle avait déjà évoqué sa liaison avec Bertrand.

Ces relations cougar étaient cependant dans l’air du temps. Flaubert, entre autres,   les abordera dans L’éducation Sentimentale.

Avec Maurice se seront des relations entre époux puis elle acceptera de bonne grâce ses maîtresses lorsque son état de santé ne lui permettra plus de le satisfaire : Maurice trouve le moyen de me soigner sans négliger sa bonne hygiène d’homme bien portant, écrivait-elle à son amie Moune en 1952. Il rapportera dans son livre Près de Colette : la virilité chez Colette c’est ….. autant dans ce qu’elle s’est retenue de dire que dans ce qu’elle a exprimé.  

 

Une sexualité sans aucun tabou :  on peut s’interroger sur la façon dont la sexualité infantile peut y conduire ! Comment se met en place la sexualité de l’enfant ?

Au moment de l’Œdipe, l’enfant doit  « choisir » son identification, masculine ou féminine. La fonction phallique qui positionne le père en tant que représentant de la loi symbolique incite en principe le garçon, déjà porteur des attributs virils, à abandonner ses vues incestuelles envers sa mère et à s’identifier à son père réel, c’est la castration symbolique.

La fille aura un cheminement plus malaisé car elle se croit déjà castrée. Freud lui propose trois voies :  choisir son père comme objet d’amour et porteur du phallus, ce qui l’orientera vers un homme pour son  futur sexuel, renoncer à la sexualité ou devenir homosexuelle. Choisir le père est la voie la plus classique car l’interdiction de l’inceste est pour chaque sujet la condition de son désir.

 

Colette a choisi deux de ces voies 

La Belle Epoque s’autorisait de multiples transgressions. Mais au-delà de l’époque on ne peut effacer l’influence du couple parental.

Sido ne s’était pas donnée un maître, contrairement à sa fille mariée à Henri de Jouvenel qu’elle semble adorer. Elle dirigeait la maison. Mais Jules, amputé, pouvait en faire un père « castré ». Son image auprès des enfants et de Sido était médiocre : Sido l’appelait « Colette »,  prénom féminin et les enfants se moquaient de son manque d’autorité même envers le chien. Gabri  appréciait cependant  son orgueil : mon père et moi n’acceptons pas la pitié,  mais elle fait dire à Claudine dans Claudine à Paris  que Willy/Renaud était le père qu’elle aurait adoré plutôt que ce noble père …. lunatique qui est le mien.

Jules n’avait en effet pas été  le moteur de la famille.  Cependant à la ville Jules n’était pas « castré » : il était percepteur, c’est-à-dire un représentant de l’état, de  la loi, avec toutes ses prérogatives et animé d’un certain  idéalisme : j’irai dans les campagnes évangéliser. Il chercha un temps  à faire de la politique mais  les campagnes électorales où il emmenait Gabri étaient des échecs et il en faisait le témoin de ses déconvenues. De même pendant très longtemps il  avait  affirmé écrire des livres qu’il classait soigneusement dans sa bibliothèque. Or  à sa mort, ils ne révélèrent que des pages vierges.  On peut penser que l’origine du désir d’écrire de Colette vient vraisemblablement de son père : réaliser l’œuvre qu’il n’avait pas finalisée à sa mort en 1905.  Il était également incapable de reconnaître une seule plante des champs, alors qu’il vivait à la campagne depuis de nombreuses années. A l’évidence  Jules avait déçu ses enfants.

Ph. Julien rapporte dans L’Apport Freudien : Tout enfant au moment du déclin de l’Œdipe se tourne vers un père qui soit digne d’être aimé…….père idéal  ayant le phallus et pouvant le donner…. Or l’hystérique sait qu’elle n’a pas un tel père……. Certes il en a les titres symboliques, mais comme un ancien combattant….. Il est hors service.  Ce que Lacan a su lire en Freud  c’est ….. l’amour inouï de l’hystérique (masculin ou féminin) pour le père en tant qu’impotent, blessé ou diminué,  pour ce qu’il ne donne pas… et (l’hystérique) trouve sa place auprès de lui en se donnant la vocation de le soutenir en sa défaillance désignée, marquée et par là supposée sue.

Sur le plan sexuel L’hystérique peut …. tout à tour se dévouer, rivaliser avec les hommes, les remplaçant lorsqu’ils sont jugés trop médiocres affirme M.C. Cadeau dans Le Dictionnaire de la Psychanalyse.

Reprenant  Les fantasmes hystériques et leur relation à la bisexualité de Freud, Serge André dans son livre Que veut une Femme ?  parle de mise en scène du conflit entre deux jouissances, Autre et phallique :   Ce fantasme (bisexuel est celui de)….. l’hystérique (qui) s’effraie  de ce que sous le masque de la phallicisation de l’image du corps, il n’y ait que « ça » …. c’est-à-dire le réel organique…   à quoi se réduit le corps désexualisé ….. La femme s’est rendue compte qu’elle n’était que l’objet « a », cause du désir d’un homme. C’est ainsi qu’elle oriente son désir plutôt vers le pôle de l’amour que vers celui de la jouissance….. Ce faisant l’hystérique est entrainée vers un mode de désirer analogue à celui de l’amour courtois du côté masculin avec pour rançon que le sexe de l’objet dont elle s’éprend  peut bien être indéterminé. On peut penser à Missy au sexe incertain.

      L’amour  est effectivement  le sentiment qu’elle n’a cessé de chanter  dans presque tous ses livres et qui a toujours guidé ses relations sexuelles, hommes ou femmes. Déjà dans Les Vrilles de la Vigne en 1908 : Quel plaisir je me donne en aimant. En 1911 elle avait écrit à Missy on ne se donne pas par pitié, on se donne par amour, lui racontant une visite chez un certain Louis de Robert qui voulait l’embrasser. En 1946 dans l’Etoile Vesper elle écrit : … pain de ma plume et de ma  vie, amour.  Dans L’Angoisse, leçon du 13 mars 1963 Lacan écrivait  l’amour est la sublimation du désir…. Me proposer comme désirant c’est  me proposer comme manque de a. Dix ans plus tard dans Encore, il affirmait : dans l’amour il ne s’agit pas de sexe. Pour Lacan, la femme, l’Autre, n’est pas toute dans la jouissance phallique  car elle n’a pas dans son corps le support pour cette jouissance phallique. Elle doit donc faire une identification sexuée, une identification à la jouissance phallique. Mais ce n’est pas parce qu’elle n’y est pas toute qu’elle n’y est pas du tout. Elle y est à plein mais il y a quelque chose en plus, poursuit Lacan. Il s’agit de la jouissance Autre.

Ce besoin d’amour de Colette pouvait sembler insupportable à certains proches. Henri de Jouvenel, son deuxième mari, ne lui dit-il pas : tu ne peux donc pas écrire un livre qui ne soit d’amour, d’adultère, de collage mi-incestueux, de rupture ? Est-ce qu’il n’y a pas autre chose dans la vie ? Dans La Naissance du jour elle montre qu’elle avait cependant une certaine lucidité :  N’importe quel amour tend à s’organiser à la manière d’un tube digestif. Il ne néglige aucune occasion de perdre sa forme exceptionnelle …….

A André Parinaud  qui l’interrogeait en 1950  sur  les sens et le plaisir (sont-ils)  un moyen suffisant pour la femme d’atteindre l’amour ?  elle avait répondu : ce plaisir qu’elle réclame avec tant d’effort, tant de violence, si elle ne découvre pas qu’elle pourrait s’en passer, je la plains. On repense à la différence entre l’amour et l’épuisant divertissement sensuel  qu’elle évoquait en 1946 dans Mes apprentissages, entre la jouissance Autre et la jouissance phallique.

 

Alors  ……. Colette ?

Scandaleuse, dira Cocteau, son voisin au Palais Royal et son admirateur, puis tout bascule et elle passe au rang d’idole. Elle achève son existence de pantomimes, d’instituts de beauté, de vieilles lesbiennes, dans une apothéose de respectabilité.[15]

Simone de Beauvoir ne dit pas autre chose, après l’avoir rencontrée peu avant sa mort : percluse, les cheveux fous, violemment maquillée, l’âge donnait à son visage aigu, à ses yeux bleus, un foudroyant éclat……..elle m’apparut, paralysée et souveraine, comme une formidable Déesse-Mère.(16)

Elle a exploré toutes les sensualités, les sexualités, par amour plutôt que par jouissance. Elle dira : l’heure de la fin des découvertes ne sonne jamais. Le monde m’est nouveau à mon réveil chaque matin et je ne cesserai d’éclore  que pour cesser de vivre (16).

           

  Elle mourut à 81 ans, en 1954.

 

Marie-Noelle Lanneval    

 

 

 




[1] E. ROUDINESCO, M. PLON, Dictionnaire de la psychanalyse, Fayard, 2000.

[2] WEBER  Eugène, Fin de siècle, Fayard, 1986 

[3] COLETTE, Danseuses in Paysages et Portraits, œuvre posthume, Flammarion, 1973

[4] WEBER  Eugène, Fin de siècle, Fayard, 1986

[5] COLETTE, Prisons et par février adis, 1932 février.

[6] COLETTE, L’étoile Vesper,  1946, Livre  de Poche, 2004

[7] PARINAUD  André, Colette, mes vérités, Ecriture, 1996. Propos que Colette rapportera au journaliste André Parinaud en 1950

[8] COLETTE, La petite in La maison de Claudine, 1922, Le Livre de poche, 2006

[9] COLETTE, Ma mère et les livres in La maison de Claudine, 1922, Livre de poche, 2006

[10] COLETTE,  Colette à l’école, 1900, Livre de poche, 2005

[11] COLETTE, Paysages et portraits, Flammarion, 1958

[12] H. GAUTHIERS-VILLARS, Art et Critique, 7 décembre 1889

[13] M.C. CADEAU, Séminaire inédit du  28/06/2007, Logique et  clinique du pas-tout, p.11.

 [14] C. FRANCIS et F. GONTHIER, Colette, Perrin, 1997

[15] Le Nouvel Observateur – juillet 2014 – n° 2595