J-P. Rozenczveig : Rendre justice à l'enfant sous l'emprise d'une société d'adultes et de ses lois*

EPhEP, le 15/11/2014

Je vais compléter cette présentation. Il faut donner une grille de lecture, tous les discours doivent être décryptés en fonction des personnes qui parlent, des personnes qui écoutent, du contexte.

Je suis « honoraire » au sens où j’ai été obligé de faire valoir mes droits à la retraite. Je trouve scandaleux qu’on oblige les gens à faire valoir leurs droits. On doit leur reconnaitre des droits et on doit leur laisser la liberté d’exercer leurs droits. Leur demander d’exercer leurs droits c’est les mettre à la porte. Je suis profondément choqué, je trouve cela aberrant la manière dont l’Etat gère ses missions de service public avec 500 postes de magistrats vacants, avec un délai de 8 mois à 1 an pour obtenir une décision de justice dans certains lieux. Laisser partir des magistrats qui veulent rester en fonction, c’est une aberration. On devrait leur proposer des contrats. Il n’y a pas un chef d’entreprise qui, voyant le chef du personnel laisser partir ses meilleures troupes, ne le licencierait pas lui. Je me pose la question si je ne vais pas créer un tribunal parallèle. En devenant avocat, afin de ne pas encourir des procédures disciplinaires en venant du conseil juridique sans être avocat, le faire avec une amie ou un ami, éducatrice, psychiatre, psychologue. C’est-à-dire créer une dynamique de gestion des situations familiales, sans avoir besoin de recourir à la justice officielle. On me dit que ça n’est pas légal, ça ne serait pas la première fois, je serais en train de créer la loi de ce que pourrait être la loi. Quand on a rendu les premières ordonnances autorisant les jeunes filles à interrompre leur grossesse c’est exactement le discours qu’on nous a tenu. Depuis c’est devenu la loi de 2001 qui permet à une jeune fille d’interrompre sa grossesse soit avec l’accord de ses parents, soit avec l’accord d’une tierce personne. En 1980, c’est vieux maintenant, en 77, 78, dans les propositions sur l’IVG que nous avons rendues à Tours ou à Versailles, c’est exactement le dispositif qui avait été adopté. On peut avoir raison 20 ou 30 ans avant.

Autre élément pour compléter cette présentation, je revendique d’être militant associatif, d’être un citoyen engagé. Cela choque un certain nombre de gens qu’un magistrat puisse être un citoyen. C’est la jurisprudence du Conseil d’Etat. Je vote, j’ai le droit de dire ce que je pense à partir du moment où dans les procédures judiciaires, je suis non pas indépendant mais je respecte les règles du jeu.  On ne m’a jamais accusé d’être partial sur le plan politique. 

J’ai animé un institut de recherche, à l’époque j’ai créé et animé l’Institut de l’enfance et de la famille, j’écris, je fais des blogs. Je suis un magistrat original, j’ai un discours public engagé et je le revendique. Les autres ont un discours discret, ils ne sont pas plus neutres. Je pense que rendre la justice c’est permettre qu’elle soit critiquée. Ça n’est pas seulement rendre des décisions de justice mais c’est permettre qu’il y ait une critique.  Moi ça ne me  choquait pas qu’on critique les décisions à condition de le faire avec de bons arguments.

Je pense que le premier droit des enfants est d’avoir droit à l’autorité. Je n’ai pas un discours neutre. Je vais vous dire un certain nombre de choses qui sont mes vérités, qui ne sont pas forcément des vérités, la vérité est relative. Vous vous ferez votre vérité avec d’autres éléments, ceux que je vous donne et puis d’autres éléments qui seront les vôtres.

Pour répondre à la question que vous posez, qui en sous question pose la question du statut qui est fait à l’enfant : C’est quoi l’enfant ? Cela va même plus loin, les éléments d’enfants, les embryons c’est quoi ? Le spermatozoïde et l’ovule, ce sont des éléments de vie ou des petites choses au sens noble du terme. Pour un certain nombre de gens qui veulent recourir à la PMA ou à la GPA ce sont des petites choses. On achète du sperme comme on achète une baguette ou une femme.

Ce débat sur la GPA c’est ça : Est-ce qu’on renvoie les femmes à être uniquement des gestatrices, est-ce qu’on achète un enfant ? En arrière fond de la question posée c’est : quelle représentation se fait-on de l’enfant, quelle place lui fait-on dans la société, la loi n’étant qu’un instrument au service d’une société.

Une loi c’est le produit d’un rapport de forces, la loi ne fait que traduire les valeurs qui sont dans la société. Je vais vous donner un exemple concret : Vous savez qu’à tout âge l’enfant doit honneur et respect à ses patents, c’est l’article 371 du code civil. Vous ne pouvez pas imaginer la bataille qu’il y a eue et qu’il y a encore pour enlever le mot « honneur » et le remplacer par respect et solidarité. Ça me parait du bon sens. Le mot honneur n’a plus de sens dans vie au quotidien, ça ne parle plus. Les seuls qui parlent encore « d’honneur » sont les mafieux.

Au sens commun ça n’est pas cela qui caractérise la famille et les rapports entre parents et enfants. Je ne te respecte pas parce que je t’honore, je te respecte parce que tu me protèges, parce que je t’aime. Il me semble qu’on pourrait changer le texte de l’article 371 en disant « ascendant et descendant », marquant ainsi la réciprocité, non pas l’égalité mais la réciprocité dans les relations, en sachant que dans une famille il peut y avoir 4 à 5 générations.

Je rappelle que Napoléon a écrit ce texte de sa blanche à une époque où l’espérance de vie était de 21, 22, 23 ans. Actuellement c’est 84 ans pour les femmes et 77 ans pour les hommes.

Cela a fini par être voté par l’Assemblée Nationale discrètement dans une loi qui a été adoptée le 30 juin 2014. C’est une réformette. On va pouvoir redéfinir les rapports entre l’enfant et son environnement qui sont autres que des rapports respectueux en termes d’honneur. Ça n’est pas simple, on a un mal fou à passer de l’autorité parentale à la responsabilité parentale, la gauche se disant que si on enlève le mot « autorité » la droite va nous attaquer, elle nous traite de laxiste dans la rue, elle va nous taxer de même concernant la famille.

Je leur tiens un discours dialectique : « Vous êtes de gauche, donc vous êtes intelligent. Vous avez compris que l’autorité est au service de la responsabilité. Ça n’est pas parce que vous parlez de responsabilité que vous n’allez pas parler des conditions de la responsabilité. »

Etre responsable c’est rendre des comptes. C’est l’affaire Furiani, c’est l’histoire du préfet qui sera poursuivi ou pas parce que la tribune de Furiani s’est effondrée. Est-ce qu’il avait la responsabilité de surveiller le montage de la tribune. S’il a fait une délégation de pouvoir à son chef de service, il n’était pas responsable, mais s’il n’a pas donné de délégation il était responsable. Responsabilité c’est identifier qui doit rendre des comptes mais c’est exiger dans tous les sens du terme que celui qui est responsable a eu les moyens pour mettre en œuvre les missions qui lui sont données.  Je dis au gouvernement actuel « n’ayez pas peur du mot responsabilité car il induit le mot autorité. » Mme Laurence Rossignol, ministre de la famille, m’a téléphoné un jour pour me dire qu’elle avait réussi à mettre le mot responsabilité dans le titre mais qu’elle ne pouvait pas aller plus loin car ils ne voulaient pas qu’on change l’article 375 du code civil sur le thème de l’autorité parentale.

Ainsi je vous montre l’actualité du sujet qui est le vôtre, qui sous-tend l’idée que l’on se fait de l’enfant, des rapports avec l’enfant et avec ces questions : Est-ce que l’enfant est une personne ? Est-ce que l’enfant est un objet ?

Ce ne sont pas des mots en l’air, voir la revendication du droit à l’enfant. Aujourd’hui ce sont des couples homosexuels, hommes ou femmes, qui revendiquent à travers la PMA et la GPA, avant c’était des couples hétérosexuels à travers l’adoption. On sait qu’il n’y a plus d’enfants adoptables et on doit s’en réjouir, personne ne le dit, 26 millions d’habitants en France en 1900, 150 000 enfants pupilles de l’Etat, aujourd’hui 64 millions d’habitants, 2200 pupilles de l’Etat. De plus en plus les enfants sont désirés, de moins en moins les enfants sont rejetés. C’est plutôt positif. On a un taux de fécondité de 2,1, un des premiers d’Europe. La France est un très beau pays. On a réussi à faire en sorte que les femmes qui ont un enfant hors mariage ne soient plus des « salopes » et à faire en sorte que les enfants qui naissent hors le mariage des parents ne soient plus des enfants naturels. Cela représente une bataille de 30 ans pour passer de l’enfant illégitime à l’enfant légitime. Je défendais que tous les enfants sont légitimes, à défaut d’être 100% naturels, je pensais aux enfants nés par procréation artificielle, un enfant, qu’il naisse dans ou hors du mariage de ses parents est légitime à « être », « il est ». 

Pourquoi était-ce un enfant illégitime, parce que la seule manière pour la bourgeoisie française, qu’elle soit de gauche ou de droite, était de faire un enfant dans le mariage. Il y a actuellement 54% des enfants qui naissent hors mariage. Il faut tenir compte des réalités. Ça ne veut pas dire que les parents démissionnent de leurs responsabilités. Dans les années 80 seulement 15% des pères, qui étaient pères de leur enfant hors le mariage, reconnaissaient leur enfant. Aujourd’hui on est à 85%. En d’autres termes le fait d’avoir un enfant hors le mariage c’est une distanciation de l’institution mariage, ça n’est pas une distanciation par rapport à la responsabilité. Les gens préfèrent sacraliser leur union avec une bouteille de Beaujolais qu’avec le maire ou le curé. Alors il y a des mariages qui tiennent mieux la « route », le mariage islamique, puis les protestants, les juifs. Il n’y a que le mariage catholique qui flanche. Quelle représentation se fait-on de l’enfant, est-ce un enfant objet ou un enfant sujet ?  Si c’est un sujet il a des droits et il peut les exercer.

Je vais vous faire part d’une donnée importante, dans ce pays on peut être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité si on a moins de 18 ans, voir le procès  « Riom»  il y a quelques jours,  un jeune homme mineur, Mathieu, qui a violé plusieurs fois et qui a tué. Pas question de dire qu’il faut le récompenser, qu’il aurait droit à la légion d’honneur etc. C’est un gamin que je ne connais pas personnellement, je suis allé au procès mais je n’ai pas discuté avec lui. J’y suis allé sur des bases juridiques. Beaucoup disent qu’il a des troubles psychiatriques mais on n’en a pas tenu compte. Ce qui est important c’est qu’il est rentré dans le tribunal avec une carte d’identité de personne mineure, il a commis ces crimes en étant mineur, il aurait dû bénéficier de ce qui s’appelle en France « l’excuse atténuante de minorité » qui veut  que lorsqu’on a commis un fait, lorsqu’on a moins de 18 ans et cela à partir de 13 ans, on encoure une peine  qui est la moitié de celle d’un adulte qui aurait commis des faits  analogues. Il rentre dans la salle et dit « j’étais mineur », on lui a dit « on vous retiré l’excuse atténuante de minorité, vous avez eu le comportement d’un adulte donc vous serez puni comme un adulte. C’est ça le droit français. Je ne porte pas de jugement sur la sanction adaptée ou pas adaptée, je sais pourquoi elle a été prononcée, il est considéré comme dangereux. Il n’a pas été jugé sur sa psyché mais sur sa dangerosité. Ce que je constate c’est qu’à 17 ans, en fait 16 ans, on peut retirer l’excuse de minorité à quelqu’un qui a moins de 18 ans, alors qu’un enfant n’a pas le droit de demander son émancipation. Il y a un statut civil qui vous considère comme un incapable et un statut pénal qui vous demande de rendre des comptes de votre incapacité. Si ça n’est pas une incohérence par rapport au sujet que l’on a à traiter… Est-ce que l’enfant est un objet, un objet précieux qu’il faut protéger ? Tous les textes de lois, les circulaires, les dispositifs qui ont été mis en place pour protéger l’enfant contre la maltraitance montent que c’est un bien précieux qu’il faut protéger  parce qu’on y tient. Mais c’est un objet. Ou alors c’est une personne, c’est le discours de Françoise Dolto cristallisant la réflexion. Ce n’est pas Françoise Dolto toute seule qui a réfléchi autour de « l’enfant  comme une personne », mais elle symbolise cette réflexion. Si c’est une personne il fut en tirer les conséquences. Comme pour toute personne il faut respecter son intimité, son corps, sa personnalité. Que l’enfant soit « objet » ou « sujet » il faut le respecter. L’objet n’exprime pas de point de vue, encore qu’il y ait des objets comme le bois qui se rétracte ou se détend selon le climat. C’est la caractéristique d’une personne d’avoir une âme, une pensée, une réflexion et elle parle.

Cela se traduit en langages juridique et politique par  liberté d’opinion, liberté d’expression et liberté d’association. Si on commence à reconnaître la liberté religieuse des enfants, ils vont pouvoir dire « non je fais pas ma communion » ou « je porte le voile » ou « je pars faire le Djihad », cela veut dire que ce n’est pas moi qui décide de la religion de mes enfants, ce n’est pas moi qui le baptise, ce n’est pas moi qui le circoncis ? Quand je dis cela à mes copains juifs, que je condamne la circoncision au nom des droits des enfants, ils disent que je suis un rebelle. Je dis que si cela ne tenait qu’à moi j’aurais rendu ma carte depuis longtemps. Ils me disent pourquoi ? Un peuple qui se bat depuis 2000 ans pour aller se taper la tête contre un mur… C’est de l’humour juif parisien au 3ième degré, c’est incompréhensible, ai-je au rabbin à qui je faisais cette plaisanterie, je ne supporte pas Sabra et Chatila et je vous interdis de parler en mon nom. Quand le Grand rabbin a dit que le droit premier des enfants juifs, des enfants français des familles juives, c’est d’être considérés comme des juifs, c’est d’avoir la maman à la maison, là les femmes de rabbin elles ont sifflé. Il y a encore quelques combats à mener. Si l’enfant est une personne il faut lui reconnaître les droits de la personne, le respect de son corps, de son identité, avoir un nom, une filiation. Cela veut dire aussi être respecté dans ses libertés fondamentales, notamment sa liberté d’opinion, dans sa liberté d’agir sa vie et de prendre des décisions. Histoire du fils, alors bébé qui proteste parce que le biberon est froid. L’objectif est de passer de l’enfant objet à l’enfant sujet. Ce combat n’est pas gagné d’avance. Le débat sur la GPA est intéressant car il clive et dépasse les bornes classiques, gauche/droite. J’ai fait un des premiers rapports sur les procréations assistées pour le premier ministre d’alors, Laurent Fabius. A l’époque je disais qu’il fallait que le parlement fixe le cadre, les points de repères. Ça n’est pas qu’un problème d’ordre privé,  la société est légitime à poser un point de vue. Par exemple ces Français et ces Françaises qui vont pratiquer une PMA, la GPA à l’étranger, en violant la loi française et quand ils reviennent en France ils revendiquent  d’être Français et de changer la loi. Je ne suis pas d’accord. Si on ne met qu’une amende, les riches pourront payer et pas les pauvres. Alors, on met en avant les enfants et Mme Taubira accorde alors la nationalité française pour que ces enfants ne soient pas rejetés par la société et ne soient pas dans l’illégalité. C’est une sorte de rapport de force. Demain au nom de quelles valeurs va-t-on refuser à un trio par exemple  de faire un enfant et que ces personnes revendiquent d’être reconnus pour parents de cet enfant. Comprenez-moi bien, je ne suis pas réactionnaire, mais avant d’avancer il faut se poser des questions, c’est le rôle des adultes. Démontrez-moi que c’est utile d’avoir deux pères ou trois mères. Quand on consacre un droit il faut voir comment on va l’appliquer. On est pour élargir les droits mais quand on demande à ce que les enfants aient la connaissance de leurs origines on nous dit que ça n’est pas possible.

Si on reconnait aux uns le droit d’être parents on peut permettre aux autres, les enfants, le droit de savoir d’où ils viennent et qui ils sont. Si on fait cette double avancée je suis d’accord. Dans un rapport, je dis, il faut reconnaitre les affiliations d’un enfant.

Aujourd’hui Il y a cinq types de filiation : biologique, gestatrice, sociale, affective, juridique. Avant c’était simple, le mari était tenu pour être le père de l’enfant de sa femme. Au fil du temps tout s’est déconstruit, mais il faut assumer les responsabilités de ce que l’on fait. Si on admet les nouvelles modalités de procréation cela veut dire que la filiation a plusieurs dimensions, on peut être affilié aux parents gestateurs, à ceux qui nous aiment, à ceux qui nous élèvent. Alors là ça ne va pas, ce qui prouve bien que le point commun des adultes c’est « moi je », c’est « mes droits à l’enfant » « mes droits sur l’enfant ». On est dans une période historique où la représentation de l’enfant change, on est passé de l’enfant objet à l’enfant est une personne, on est sur un choc « droit à » « droit sur », voir les résistances à condamner les châtiments corporels, et les droits de l’enfant.

Il y a des avancées des normes juridiques, par exemple on est passé du « droit de garde » à «  l’exercice de l’autorité parentale », l’exercice conjoint, partagé. Sur l’accès aux origines la loi de 2001 permet à l’enfant de demander la connaissance de ses origines, si sa mère ne s’y oppose pas il pourra y accéder, en revanche si elle s’y oppose c’est le droit de la femme qui l’emporte.

L’histoire des droits c’est l’histoire de coups de butoir et d’avancées et ensuite le combat pour la mise en œuvre.

Et puis il y a un instrument important,  vous allez en entendre parler puisque on va commémorer ces jours-ci le 25ème anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Ça n’est pas une simple déclaration, c’est un traité qui engage les états entre eux, c’est un texte qui peut créer des droits directs pour les personnes. Tout traité peut être invoqué contre une loi qui serait contraire, à fortiori contre un décret ou une circulaire. Par exemple j’ai revu hier une  juge d’instance à Lille qui avait rendu une décision qui a admis, en fonction de l’article 12 de la Convention Internationale, qu’un enfant soit présent dans la procédure de séparation des parents qui ne sont pas mariés. Il avait le droit d’être assisté d’un avocat, avait le droit de contester la décision, était partie prenante au procès parental. Elle anticipait sur une de mes propositions mais qui n’a pas encore était adoptée.

La Convention Internationale est un traité moderne qui adopte le point de vue de Françoise Dolto, l’enfant est une personne, il reconnait une série de droits civils par exemple le droit d’être élevé par ses deux parents, des droits politiques comme la liberté d’association, des droits économiques comme le fait de bénéficier de revenus décents, des droits sociaux comme l’accès à la santé, à l’éducation, aux loisirs. Cette Convention est un projet démocratique, un vrai projet politique, un projet de société c’est notre base de référence au niveau de la loi.

La ministre de la famille, Mme Rossignol, a obtenu le feu vert gouvernemental, suite à un véritable combat, d’aller à Genève, de signer le 3ème protocole additionnel à la Convention Internationale qui ouvre le droit à des recours individuels. C’est-à-dire qu’un enfant qui estimera, accompagné par un avocat, une association, que ses droits ont été violés en France pourra saisir le Comité des droits de l’enfant de l’ONU avec une décision symbolique qui va être rendue. Ça sera néanmoins une condamnation au sens moral du terme pour la France qui se targue d’être le pays des droits de l’homme. La première fois qu’un haut fonctionnaire français revenu de Genève où le rapport de la France passait en examen me disait « Vous vous rendez compte le Russe avec sa vodka il est venu me dire qu’en France c’était scandaleux parce que les filles pouvaient se marier à 15 ans et les garçons à 18 ans. En d’autres termes on permettait la pratique du mariage forcé. » Dix ans plus tard on a voté l’égalité d’âge par rapport au mariage, 18 ans, justement pour lutter contre les mariages forcés. On ne peut pas négliger dans une société mondialisée comme la nôtre la condamnation que nous pourrions avoir.

Ce troisième protocole additionnel qui est en train d’être adopté par la France permet à un Etat d’interpeller un autre Etat. La loi, que ce soit celle de la république ou internationale, offre un cadre à la réflexion sur le sort et le statut qui doivent être réservés aux enfants. La critique majeure qui nous est renvoyée par le Comité des droits de l’enfant de Genève, c’est qu’il n’y a pas en France de politique explicite concernant les enfants ni de politique coordonnée de la protection de l’Enfance. Il faudrait les deux. Il n’y a pas de ministère de l’Enfance, alors que nous  sommes nombreux à le revendiquer. Il y a un ministère de la jeunesse et des sports, c’est aberrant. Les politiques ne voient pas le déphasage entre les mots et ce qu’ils font. Il aurait dû y avoir un ministère de la condition parentale et un de l’Enfance car un des grands problèmes actuellement pour ceux qui sont parents c’est d’allier les responsabilités à l’égard des plus jeunes et des plus anciens. Comme il y a eu des débats sur la condition pénitentiaire, sur la condition féminine, dans la période historique actuelle c’est la condition parentale qui se pose et dans ce débat se pose le statut des personnes âgées.

Je milite contre le mot placement tant pour les personnes âgées que pour les enfants, car ce mot renvoie au mot objet. Dans les milieux populaires cela renvoie à la déchéance d’autorité parentale alors que l’enjeu c’est de travailler sur le lien. Cela n’est pas une position « familialiste ». Le droit premier des enfants est d’être élevé par ceux qui leur sont chers. Il ne s’agit pas de rompre le lien, il s’agit d’étayer le lien, de lui permettre de fonctionner. Il y a un certain nombre de cas dans lesquels il faut le rompre. Dans tous les cas si on veut se donner une chance de pouvoir travailler sur, il ne faut pas disqualifier ce lien, il faut parler d’accueil d’enfant. Il y a 140 000 enfants chaque année qui sont accueillis dans des services sociaux alors qu’on les qualifie d’enfants placés. Nous devons clarifier qui est responsable de quoi dans le champ de l’enfance, dans le champ public, dans le champ privé. Dans le  champ public il s’agit là du débat sur les compétences entre l’Europe, l’Etat, la région, le département, la collectivité. C’est loin d’être des débats théoriques, voir par exemple le débat sur la suppression du département. Si on supprime le département à qui va-t-on donner la compétence de l’action sociale ? A la grande région ? On revient à l’avant décentralisation alors que le rapprochement des territoires a été un bien. Cette appropriation par les élus territoriaux à un échelon intermédiaire des politiques sociales a plutôt été un bien. On évoque les disparités mais il n’y avait pas d’égalité avant. Aujourd’hui les Conseils généraux connaissent le  budget consacré à l’enfance, hier ça n’était pas le cas. Alors région, municipalité ou inter-municipalités ? Imaginez comment cela pourrait se passer pour les gens du voyage….. Au Congrès de l’Assemblée des départements de France (l’ADF) la semaine dernière, le premier ministre a dit qu’on ne toucherait pas aux départements. Au niveau Européen le mot enfance n’existe pas. On connait le mot « élève » c’est-à-dire futur travailleur et futur consommateur, on connait la famille entité de consommation mais le mot « enfant » n’est pas dans les objectifs publics  européens. En 89 nous avons perdu la bataille dans le cadre de la réécriture du traité, nous aurions voulu que l’Europe ait une politique de l’enfance. Elle a une politique de consommation. Nous devons avoir un droit de l’Enfance Européen harmonisé car les couples mixtes vont se multiplier. Pensons aux enfants étrangers isolés qui sont venus en France pour échapper pour 15% d’entre eux aux persécutions de toutes natures dans leur pays, pour 85% pour aller à l’école, travailler pour envoyer de l’argent au pays d’origine. Ils sont mineurs, pas tous mais au moins deux tiers. Qui est compétent ? L’Etat ou le Conseil général de Paris qui a vocation ? En fait ce sont les deux. C’est la circulaire de 2013 qui essaie d’articuler les compétences. Au sein du champ privé c’est le même problème, entre père, beau-père, grand-père… Qui est responsable de l’enfant ? Là on retrouve le débat sur le statut des tiers. L’enfant parfois est amené à vivre une succession de relations avec des adultes différents, il s’attache ou il s’oppose, quel est alors son statut et celui des adultes qui gravitent autour de lui ? Il faut identifier les responsabilités du père biologique, celles du beau-père.

Le gouvernement actuel a imaginé une usine à gaz : en effet chaque parent doit par écrit noter ce que fait le nouveau conjoint/e, ce document doit être adressé à l’autre parent et ensuite être validé par un notaire ou le tribunal. Il aurait fallu dire, comme nous l’avions proposé, que toute personne qui s’occupe légalement d’un enfant est en droit et en devoir d’exercer les responsabilités de la vie quotidienne de l’enfant. Tous les actes importants, scolarité, opération, sortie du territoire relèvent de celui qui est juridiquement le père ou la mère. Il faut articuler les responsabilités, ne pas les monter les adultes les uns contre les autres. Jusqu’à peu de temps le législateur ne se préoccupait pas des relations entre mari et femme quand la porte était refermée, n’intervenait pas dans la chambre à coucher. Le viol entre époux n’était pas reconnu. Depuis 1995 les femmes ont obtenu la reconnaissance  par la cour de cassation du viol entre époux intégré dans la loi seulement depuis 2005. La puissance publique, l’Etat est légitime à s’occuper des violences, au sein de la famille comme dans l’entreprise. L’Etat doit fixer les règles du jeu.

Le rôle de la justice : Il n’y a pas de droit sans justice. Sinon on est sur un autre registre : la morale, l’éthique, la mauvaise conscience etc. Si c’est un droit il faut une consécration juridique. La justice n’intervient pas qu’en direction des enfants délinquants, d’enfants en conflit avec la loi.

De mon point de vue, c’est ma thèse dans ce livre, j’ai identifié quatre grands axes concernant le rôle de la justice :

Premier axe, garantir à l’enfant une identité, une filiation, le situer. C’est le rôle du juge aux affaires familiales, la loi prévoit que les deux parents exercent conjointement l’autorité parentale sauf décision de justice. L’avis de l’enfant sera requis.

 Deuxième axe, depuis 1958, garantir à tout enfant le droit d’avoir des parents qui exercent correctement l’autorité parentale. C’est protéger les enfants des parents démissionnaires, des parents maltraitants, à partir du raisonnement selon lequel on ne nait pas forcément parent, on peut faire des erreurs, on peut traverser des crises personnelles, on peut avoir des problèmes psychiatriques ce qui entraîne un exercice inadéquat de l’autorité parentale. C’est le rôle de la procédure d’assistance éducative, introduite en 1958, confié au juge pour enfant, de venir étayer des parents un certain temps, et non pas ad vitam aeternam comme le disent un certain nombre de juges. L’utopie du juge pour enfants c’est de dire à une famille « On ne vous verra plus, je considère que vous êtes de bons parents ». Les personnes au bout d’un temps ont le droit au statut de non suivi parle le tribunal ou le juge. C’est parfois difficile d’arrêter avec une famille car souvent ces familles ont peu de réseau, si elles m’ont vu à la télévision pour elles je représente « une richesse ». « C’est mon juge ». C’est un sacré problème de savoir se retirer d’une situation.

Troisième axe, historiquement c’est celui qui a préoccupé en premier, On ne nait pas délinquant on devient délinquant. Depuis 1912, rectifié 1945, il y a un droit spécial pour les enfants délinquants, qui sont en conflit avec la loi, le texte de base c’est l’ordonnance du 2 février 45, mais on oublie que cette ordonnance a une mère, la loi de 1912 et deux pères, Pétain et De Gaulle. On a un dispositif qui garantit un droit pénal spécial en direction des personnes de moins de 18 ans qui commettent des délits. L’idée est que la délinquance s’origine dans une défaillance de l’éducation, si on intervient intelligemment on peut garantir le droit à l’éducation dont ont été privés les enfants. En 1958 on disait qu’on n’allait pas attendre que l’enfant commette un délit, ce qu’on appelait le délit « prétexte », on allait intervenir plus tôt pour lui. Je ne sais pas si vous avez vu ce film « Chiens perdus sans collier » avec Jean Gabin, ce dernier dans le rôle d’un juge pour enfants à Paris. Il avait placé un gamin en institution, après une fugue le juge est très embêté car il doit trouver une solution pour cet enfant. Confronté à cet enfant qui transgresse les règles, il lui dit « Dis-moi que tu es délinquant et l’Etat assure ton avenir ». Le changement est qu’à partir de 1958 on peut s’occuper de la situation globale d’une famille en difficulté éducationnelle. Depuis 10 ans sans cesse cette spécifité pénale des mineurs subit des attaques pour la rapprocher du champ pénal des majeurs.

 On a signé la Convention internationale sur les droits de l’enfant qui prévoit que la majorité c’est 18 ans, ensuite le Conseil Constitutionnel considère que la loi de 1906 qui fixe à 18 ans la majorité pénale a valeur constitutionnelle. De ce fait ne pouvant pas abaisser la majorité pénale de 18 à 16 ans, on a essayé de vider de son contenu l’ordonnance de 1945. Malgré tout on a sauvé les meubles et l’ordonnance bouge toujours. D’ailleurs je vais vous donner un scoop : toutes les lois qui ont été votées depuis 10 ans ont eu pour objectif de permettre des sanctions plus rapides, plus sévères à l’encontre des enfants. En 2002, 8000 condamnations à des peines de prison ferme, 12 000 à des peines de prison avec un sursis simple, 8000 à des peines de prison avec sursis mis à l’épreuve. 2013, 4500 condamnations à des peines de prison ferme, 8000 à des peines avec sursis simple, pareil pour les peines avec sursis mis à l’épreuve. En fait il se passe l’inverse de l’objectif proclamé. Les détentions provisoires des mineurs ont baissé, en 1999, 700 prononcées par le juge pour enfant et 3600 par le juge d’instruction, aujourd’hui 1600. Plus les lois sont répressives et plus ça bénéficie au mineur ! Malgré tout il y a toujours 800 mineurs en prison. Le rapporteur UMP de la loi de 2011, Monsieur Lecerf, qui vient de dire que dans 87% des cas un mineur délinquant n’est plus délinquant lors de sa majorité. 87% ça n’est pas un échec !

Quatrième axe, la justice garantit aux enfants victimes le droit de se faire rendre justice. Un enfant victime cumule trois handicaps : être non crédible parce qu’enfant, d’être parfois une fille, d’être victime. Il a fallu construire un droit spécial des mineurs, qui, en creux, dessine un statut positif de l’enfant, dessine même un statut de l’enfant virtuel. En matière de pédo-criminalité ça n’est pas la personne de l’enfant qui est protégée, c’est la représentation de l’enfant qui est protégée. Un droit pénal dessine ce que doit être l’environnement familial idéal, l’environnement social et sociétal de l’enfant et puis un deuxième de ce statut des victimes, un statut procédural original, par exemple est condamnable en France le fait d’aller faire du tourisme sexuel à l’étranger.

La justice n’est que l’expression des règles posées par la loi, la loi est la représentation,  avec ses contradictions, de l’image que veut se donner la société. Le pari politique qui nous est posé est le suivant : Saurons-nous aller jusqu’au bout de cette idée révolutionnaire « l’enfant est une personne » ? On en est encore loin, voir le sort du rapport que j’ai commis en janvier dernier pour le ministère de la famille, il n’a pas été rendu public ou diffusé. Il est sur mon site internet. Il résume tout, et propose de nouveaux droits pour les enfants.

Monsieur ROSENCZVEIG, Magistrat honoraire, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny, président du bureau international des droits de l’enfant*.


Site de Monsieur Rosenczveig : rosenczveig.com 

Référence de l’ouvrage de Monsieur Rosenczveig cité à plusieurs reprises : La Justice et les Enfants chez Dalloz