Charles Melman : La psychanalyse au chevet de la politique ?

Nice, Journée ALI-EPhEP, le 23/03/2019

 

On ne peut qu'être sensible à votre exposé, Anne, qui outre ces nombreuses références et les recherches dont il témoigne, nous rappelle que ce dont nous sommes tributaires et dépendants, c'est finalement de la parole publique, que notre sort lui est lié ; et que dans la mesure où celle qui aujourd'hui prévaut, est devenue immaîtrisable.

 

Il faut dire que lorsque l'on ouvre un poste ou la télé, on est évidemment frappé par le fait qu'on sait à l'avance tout le contradictoire qui va être produit, parce que ce ne sont que des positions pré-inscrites auxquelles les orateurs ne font que donner voix sans retrait, sans recul, sans analyse, sans réflexion, sans référent ; et donc on assiste à une sorte, dans l’arène publique, de combat permanent, sans que rien ne puisse s'en trouver élaboré ni abouti.

 

Moi, ce qui me frappe, et ce que effectivement vous avez eu raison de rappeler, c'est que Trump a été le grand initiateur à partir de son expérience de la télé-réalité - je veux dire de ce qu'il a vu - il a vu que ceux qui étaient élus par le public avaient un certain profil, un certain discours, un certain propos. Ce n'était pas l'élite, ce n'était pas les types qui sortaient de Harvard. C'était le garagiste, la boulangère, le boucher, etc. Il a su en tenir compte, et depuis ça flambe évidemment partout. Et ce qui frappe dans le débat actuel, c'est l'absence de toute référence à quelque texte que ce soit.

 

Je dis ça pour souligner avec vous l'importance de ce qu'est devenu le slogan. C'est-à-dire faute d'un texte de référence permettant une analyse, une réflexion, un parcours, une origine, des conclusions, etc., il ne reste plus pour essayer de trancher, que ce que vous avez justement rappelé comme étant le performatif.

 

Ce qui est connu, c'est que dans des situations de ce type, comme celles que nous sommes en train de vivre et dont beaucoup de gens mesurent la gravité - mesurent la gravité, parce que lorsqu'il n'y a plus rien qui puisse venir maîtriser un discours collectif ainsi morcelé, réduit en miettes - eh bien il n'y a évidemment que le pouvoir politique fort qui traditionnellement vient mettre un terme à ce qui autrement devient si rapidement insupportable et non commercialisable. Je veux dire moment où les échanges matériels, où la vie économique s'en trouve atteinte, et pas seulement par le blocage des routes, mais ça va forcément plus loin.

 

Donc ce que nous touchons peut être... comment dirais-je ? ...un petit peu trop illuminé par ce qui se passe, c'est la vérification finalement de ce que sont nos références, c'est-à-dire la primauté dans l'organisation de nos vies de notre rapport au langage, de ces éléments constitutifs des communautés que constituent les discours et l'importance évidemment des textes. Et que... comment dirais-je ? Malgré ce que j'évoque souvent, c'est-à-dire la modicité extrême de nos moyens, il est en tout cas nécessaire d'en parler.

 

Il est bien évident que les psychanalystes ne sont pas eux-mêmes à l'abri du populisme. C'est même quelque chose qui m'a touché depuis bien longtemps. C'est-à-dire le fait que ceux-ci, et parfois les meilleurs, se réfèrent au fait que finalement chacun d'entre nous n'a aucunement besoin de se référer à quelque texte que ce soit puisque le savoir il l'a. Et que finalement, ce qui compte, c'est son savoir. Alors ce qui, d'une certainement façon a sa validité. Sauf le fait que ce savoir ainsi intime, personnel, n'est jamais que de ce qui cause le mal. Ce que je sais comme ça, spontanément, intuitivement, sans avoir besoin d'avoir fait d'études, c'est ce qui est la cause de mon mal. Et il est bien évident qu'à partir du moment où un rassemblement se fait pour que chacun des autonomes se reconnaissent dans une communauté de reconnaissance de ce qui serait, à partir de ce moment-là, le mal commun, et qu'il lui donne un nom, qui peut être un nom propre, qui peut être le nom d'un système économique, et peut être le nom d'une nation étrangère, tout ce que l'on voudra, à partir de ce moment-là... qu'est-ce que je dirais ? Je dirais que ça devient quand même embêtant, et ça a rarement de bons résultats.

 

Donc je disais, les analystes eux-mêmes, combien de fois j'ai pu entendre le fait que : à quoi allez-vous vous référer ? Oui Freud, Lacan… Contentez-vous de ce que vous savez et finalement qui vous sert à jouir ! Quoi ? Qu'est-ce que vous vous embêtez avec tout ça ?

 

Bon, Anne, merci en tout cas de nous avoir rappelé que ce n'était pas aussi direct, ni aussi simple, et d'avoir bien voulu travailler, beaucoup, pour nous aujourd'hui, merci donc.

 

Transcription : Solveig Buch