Charles Melman : Différence entre la clinique freudienne et la clinique lacanienne - 1

EPhEP, le 5/11/2015 

 

Bonsoir, ça fait un petit moment que nous ne nous sommes pas vus. Vous allez voir, on va rattraper en une heure le temps perdu. Enfin, perdu… En tout cas, mis en suspension. Puisque nous allons nous livrer – comme d’habitude, d’ailleurs maintenant – à un voyage qui, je pourrais à dire, à chaque fois que je le prétends pour nous, continue de me surprendre et de m’émerveiller, même si, parfois, il me déprime un petit peu. Alors, on va voir l’effet qu’il vous fait à vous, on va voir si, comme pour moi, à la fois, il vous émerveille et vous déprime.

Puisque, on va commencer par ceci, c’est que, de façon très générale, évidemment, ce qui ne va pas dans notre espèce, c’est le déficit qu’elle rencontre dans la jouissance. Personne de ce côté-là qui puisse être satisfait. Jusque-là, je crois que l’on est à peu près d’accord. Mais, ce qu’il y a de beaucoup plus drôle, et sans doute, de plus riche d’effets, c’est de vérifier que cette insatisfaction est un passage, un état nécessaire pour rendre accès à la jouissance sexuelle possible. Voilà bien l’obstacle auquel nous avons affaire : d’un côté, donc, cette insatisfaction pérenne, puisqu’elle est signalée depuis que nous avons des résidus littéraires, on ne parle que de ça, c’est-à-dire que ça va pas, que ce soit entre hommes, entre hommes et femmes, que ce soit dans le rapport à la nature, que ce soit dans le rapport à l’éducation, aux enfants, ça ne marche pas. ça dure. Mais, en même temps, s’il y a quelque chose que la psychanalyse a apporté, et qui constitue surement le nœud du problème, c’est qu’il y a une insatisfaction qui est la condition nécessaire – le terme de nécessaire est à souligner, puisque c’est un terme logique – est la condition nécessaire pour nous donner l’accès à la jouissance sexuelle. La preuve, vous l’avez immédiatement avec ce paradoxe qui mériterait à chaque fois de nous hérisser, et qui est que, pour être simple et cru, il faut perdre sa mère, y renoncer, renoncer à la relation fusionnelle qui pouvait s’établir avec elle, afin de quoi ? Afin d’avoir un accès possible à la sexualité, et pour ne plus trouver en position d’objet l’équivalent de celle qui était chérie, mais pour trouver ce qui sera désormais un semblant, un semblant de l’objet désiré. Soi-même, d’ailleurs, étant pour le partenaire un autre semblant. Ce qui est frappant, c’est que le passage se fasse chez nous par le biais familier et trivial à la fois (nous en avons la permanence dans toutes les cultures) qu’est le sacrifice. Comme si le sacrifice, c’est-à-dire le renoncement souvent à ce qui était des biens chers et considérables, était la condition du retour des saisons et du maintien de la solidarité du groupe.

Je dois vous dire que lorsque je lis dans Platon, plus précisément l’Apologie de Socrate, que son exécution a été retardée – c’était quand même la cité intellectuelle par excellence, Athènes, la Cité des rhéteurs, la Cité des politiques, la Cité des philosophes, des écoles – et vous apprenez que si l’exécution de Socrate a été retardée, c’est parce que le bateau qu’on avait envoyé, je crois bien que c’était à Delphes, chargé des douze plus beaux jeunes gens et jeunes filles de la Cité qu’il s’agissait de sacrifier, de laisser sur une île déserte pour que s’en serve qui voudra. Eh bien ce bateau n’était pas encore de retour et que donc, on ne pouvait pas dans ces conditions procéder à l’ingestion de ciguë par Socrate. C’est quand même quelque chose, je dois dire, de penser que ces gens qui étaient si raffinés et si éduqués, sans doute plus que nous, eh bien, néanmoins, fonctionnaient autour de cette primauté accordée aux sacrifices aussi évidemment cruels et archaïques et primitifs. Ceci pour simplement nous introduire à cette notion que le sacrifice semble être, là encore, la condition nécessaire pour acquérir une assurance, une garantie du bon vouloir, ici, en l’occurrence des dieux, et comme je le disais tout à l’heure, du retour des saisons, puisque lorsque l’on voyait l’hiver arriver, on n’était jamais certain, après tout, que le printemps allait se repointer. Sait-on jamais ! Et donc, il fallait bien, je dirais, payer une assurance, c’était une forme, je dirais une forme de paiement d’assurance, sous la forme, donc, du sacrifice, pour obtenir cette garantie. Peut-être, à ce propos, et pour nous divertir un bref instant, remarquez que le jeu, la pratique du jeu, du jeu avec argent, et en particulier dans les établissements professionnels destinés à cela, est une forme de sacrifice, puisque celui qui s’y engage sait, d’une manière ou d’une autre, qu’il en sera le perdant. On n’a jamais connu quiconque qui se serait établi, ait fait fortune grâce au jeu. Et donc que, finalement, il engagerait quelque chose comme le sacrifice. Il découpe, en quelque sorte, des tranches de vie, il mise, il met sur la table, des tranches de vie pour aboutir à ce qui sera la mise derrière et qui, en général, enfin, en général…, qui bien souvent, comme vous le savez, est le suicide. Comme si, donc, il y avait cette offre répétée, mise répétée, qui engage, comme nous le savons, gravement, et afin d’obtenir quoi ? D’obtenir un petit salut de la part de celui qui là-haut veille sur tout ça, un petit salut favorable, sous la forme du gain, puis qui, aussitôt, va repartir, je dirais dans le trajet, jusque, je dis bien, cette étape souvent ultime. Il est évident que, jusqu’à ce jour, l’interdiction de l’inceste n’est pas écrite dans la loi. Il est question de l’écrire. Jusque-là, ce n’était pas le cas, et on va avancer ceci, c’est que si ce n’est pas le cas, c’est parce que c’est l’interdiction de l’inceste qui est au principe de la loi. Puisque la loi, vous savez ce que c’est ? C’est ce qui répartit ce qui est à l’un et ce qui est à l’autre, c’est ce qui dit ce qui revient à l’un et ce qui revient à l’autre. Et il faut, évidemment, une interdiction de l’inceste pour que cesse la circulation fusionnelle, trans-fusionnelle de la jouissance, et que soit enfin établi ce qui revient à l’un et ce qui revient à l’autre. Vous savez combien c’est un établissement délicat et difficile et conflictuel, ce qui revient à l’un et ce qui revient à l’autre. Et justement, ça l’est à cause de ce que j’évoquais dès le départ, c’est que la jouissance n’est jamais parfaitement satisfaite. Vous trouvez dans la littérature analytique, et depuis Freud, ce concept singulier qui est celui de : castration. La castration comme un passage obligé pour la constitution subjective, quoique elle puisse revenir à fonctionner comme un complexe. Qu’est-ce que c’est que la castration, qui est un terme dont on se sert pas plus facilement qu’on ne sait pas trop finalement ce qu’il signifie, si ce n’est que avec le renoncement à la mère, tout se passe comme si l’enfant, c’est plus évident pour le petit garçon, et je reviendrai à la petite fille, avait du même coup à renoncer à son sexe, à l’effacer de son corps, et il est bien vrai que nous nous prenons les uns et les autres, non pas en général exhibitionnistes et dénudés mais, c’est vrai, que, y compris dans notre propos ordinaire, nous nous présentons comme des gens qui, lorsque je vous parle, lorsque nous parlons, lorsque nous échangeons, etc., faisons comme si à l’endroit du sexe, il y avait un blanc. Il faut le passage à ce qui sera éventuellement la séduction pour que, dès lors, ces dispositions changent. Mais notre rapport social et que l’on vante pour l’opposer à celui des animaux est évidemment organisé autour de cette mise en suspension du sexe. En tout cas, pour l’enfant, on sait que, en même temps qu’il apprend, ou découvre, ou consent, ou ne consent pas, mais s’il y consent à renoncer à sa maman chérie, tout se passe comme si du même coup, il entrait dans ce que Freud avait isolé comme « phase de latence », c’est-à-dire qu’il va rester tranquille quant à la sexualité jusqu’à l’adolescence. Tranquille. Il n’est pas embêtant pendant ces années-là. Et puis, ce sont les années où il est accessible à l’enseignement. Parce que nous rencontrons un obstacle qui est du type suivant : c’est que, une fois qu’avec l’adolescence, c’est-à-dire l’émergence dans le corps de pulsions sexuelles, jusque-là, il était tranquille, le petit chou, puis voilà que brusquement, il se découvre qu’il a un corps, qu’il y a des pulsions sexuelles dont il ne sait pas que faire. Et puis, il arrive qu’il ait vis-à-vis de ce corps des relations, je dirais, hypocondriaques. C’est fréquent l’hypocondrie chez les jeunes ados. Qu’il y ait des relations, des interprétations hypocondriaques de ce qui se passe dans son corps, et, d’ailleurs, il est raconté par ceux qui observent les enfants comment il peut arriver un petit garçon d’aller voir sa mère qui, lui ayant une érection, lui disant : « tu vois, j’ai mal ! ça va pas ! » Donc, il reste tranquille jusqu’à l’adolescence, ce qui va également retentir, je dirais dans son cursus scolaire, bien souvent, puisque, c’est le moment où, avec cette émergence des pulsions sexuelles… Ah, il a tout compris ! Il a tout compris. Qu’est-ce que vous voulez encore lui enseigner ? Il connaît l’essentiel. Alors, évidemment, comme nous sommes soucieux de lui faire valoir que c’est très bien mais que dans la vie, bien sûr, ça compte sûrement, mais, il faut quand même qu’elle ne devienne pas caissière au supermarché, et que donc, etc. etc. Mais il est évident que c’est un moment de difficulté pour l’acquisition de nouvelles connaissances alors que le jeune, à ce moment-là, s’estime, en quelque sorte dépositaire du savoir ou des savoirs qui comptent et qui conviennent.

Une remarque, si vous le voulez, pour justifier ce que je vous raconte : comme vous le savez, il y a, et maintenant de plus en plus, des surdoués. Ils sont magnifiques les surdoués, et c’est vrai, ils existent. Qu’est-ce que c’est que les surdoués ? Eh bien, ce sont des gosses qui ont des facultés de pratiquer les combinatoires logiques et numériques fantastiques, remarquables, rapidement, vite, avec aisance, avec brio. Eh bien, vous découvrirez toujours dans ces cas-là quelque chose qui nous intéresse, c’est qu’ils n’ont aucun accès à la sexualité, comme si l’accès à la sexualité, c’est-à-dire à l’introduction d’une limite dans le champ du savoir, avec l’interdit, à la fois qu’organise la pudeur, mais que, primordialement, a organisé, je dirais, le renoncement à la mère, avec ce que tout à l’heure, j’évoquais comme castration. Eh bien, comme si l’absence de limitation leur donnait ce talent qui fait évidemment l’admiration générale, et qui leur vaut en général des vies privées, quand ils en ont une, absolument déglinguées. Alors, évidemment, qu’ils puissent fonctionner presque comme des ordinateurs, ah ! Quel progrès ! Quel succès ! Le jour où on fonctionnera tous comme des ordinateurs, on verra ce qui se passera, sauf qu’il y aura cet effet-là, je veux dire, il faudra introduire un ordre logique et signifiant qui exclut toute limitation, et qui fait que, du même coup, leur mode de « parler » lui-même devient étrange et mériterait une analyse beaucoup plus précise que habituellement elle est faite. En tout cas, cette castration, dont je disais tout à l’heure qu’elle était un thème familier aux psychanalystes, elle est non pas réelle, il ne s’agit pas d’une amputation réelle, même si la circoncision représente à cet égard une ébauche de ce qui serait une amputation réelle. Elle n’est, elle aussi, la circoncision, que symbolique. Elle n’est pas réelle, elle est symbolique. Symbolique de quoi ? Symbolique de l’accès promu, préparé, promis, à la jouissance sexuelle. Lorsque viendra cette poussée biologique de l’adolescence. Pourquoi est-ce qu’elle embarrasse l’adolescent ? Pourquoi est-ce qu’il en est encombré ? Pour une raison majeure, et qui, d’ailleurs, peut subsister dans les difficultés à exercer la sexualité, qui est que, il ne se sent pas autorisé à l’exercer puisque, comme tout humain qui se respecte, il va attendre la bénédiction venue de cette instance à qui il a été sacrifié, justement. Alors, cette instance, elle est nommée, évidemment, elle peut être Dieu, bien sûr, elle peut être la lignée ancestrale. Et, comme nous le savons, il y a, subsiste chez nous cette cérémonie du mariage qui marque donc, je dirais, l’autorisation accordée au couple, à légitimement, avec la bénédiction, même lorsqu’il s’agit d’un mariage laïque, d’ailleurs, d’une instance qui, au titre de tiers, est toujours mise en cause, sollicitée, dans l’exercice de la sexualité. Donc, l’adolescent se trouve d’autant plus embarrassé que il se sentirait être délinquant, et c’est ce qui lui arrive, à pratiquer la sexualité de façon précoce et non autorisée, puisque notre système culturel veut que cet usage de la sexualité soit retardé jusqu’à un âge qui autorise son autonomie financière et sociale. Ce qui est un pur arbitraire, évidemment. Mais enfin, c’est comme ça. C’est comme ça que nous fonctionnons.

L’autre chose qui perturbe notre adolescent, c’est que : quelle déception ! Il ne va pas retrouver l’objet qu’il a perdu, ou un équivalent. Quel équivalent ? Un objet dont les qualités seraient telles qu’elles autoriseraient une jouissance accomplie de part et d’autre. Eh bien non ! C’est, comme je le disais tout à l’heure, à un semblant qu’il va avoir affaire. Et lui-même va fonctionner pour ce partenaire comme étant un semblant. Et ce semblant qui est la condition d’une possibilité d’exercer la jouissance sexuelle. D’ailleurs, ce sera le moment, comme vous le savez, celui de l’adolescence, ce qui concerne plus précisément la clinique à laquelle nous avons affaire, où nous allons assister à l’éclosion possible de pathologies. Certaines sont bénignes, je parlais tout à l’heure de l’hypocondrie, une autre qui est si fréquente aujourd’hui, et qui est la phobie. Parce qu’on pourrait dire, sans se tromper que la phobie est, de façon quasiment régulière, un trait caractéristique de l’adolescence. Un adolescent, ça se voit à l’œil nu. Et, il  a du mal à assumer ce corps qui lui est venu, ce corps réel, il faut l’habiter, il faut le bouger, il faut, si possible, que ce soit harmonieux. Il ne se reconnaît pas, elle ne se reconnaît pas. Et puis, la phobie, ça veut dire que l’identité sexuelle n’est pas assurée, et c’est précisément ce qui arrive à l’adolescent, puisque symboliquement, elle n’est pas célébrée, il n’est pas autorisé, cette identité sexuelle, à la mettre en acte, à la faire valoir. Eh bien donc, ce qu’il balade dans les rues quand il se balade, c’est un zombie, avec le mal à l’aise lié au fait qu’il a la certitude qu’on le regarde. Qu’on le regarde parce que, il ne serait pas comme tout le monde. Ça, c’est une pathologie bénigne. Encore qu’il y a des cas, des cas de phobies, où c’est plus invalidant. Mais, ça, je vous le promets, comme vous serez attentifs et bien formés par votre passage dans notre Ecole, eh bien vous verrez que vous pourrez aider l’adolescent à passer ce cap. Vous pourrez entendre correctement ce que il vous raconte et que vous pourrez l’aider à sortir de ce qui n’est pas un mauvais pas, puisque, ce qui lui arrive, c’est de s’asseoir sur le trottoir, au milieu de la circulation et de ne plus pouvoir bouger. Mais, comme vous le savez, il arrive que ce soit des pathologies plus sérieuses qui se manifestent, et, en particulier, des psychoses et qui valent que nous y accordions un peu d’attention puisqu’elles sont tout à fait claires quant au mécanisme de déclenchement. Qu’est-ce qui se produit à ce moment-là ? Eh bien, ce qui se produit, c’est que il a affaire à ce corps qui est apparu et qui le possède, avec des pulsions sexuelles qu’il ne sait pas comment maîtriser, mais surtout, qu’il ne peut pas subjectivement assumer. Autrement dit, commencer un propos qui se trouverait organisé par un réel qui serait sexuel. Pour ça, il faut que il y ait dans sa constitution subjective un réel qui tienne, une perte qui tienne, un impossible qui tient, et cet impossible, il est lié à ce sacrifice que j’évoquais un peu plus tôt, c’est-à-dire au renoncement à l’objet chéri, à ce que la théorie a appelé la castration, et qui lui ménage, donc, dans son organisation psychique, un impossible, un énigmatique, un non-maîtrisable, dont le sens, justement, du fait de cette opération spécifique qui s’appelle le complexe d’Œdipe, eh bien, donne un sens sexuel. Il se trouve avec des pulsions sexuelles qui ne peuvent trouver dans ce qu’il a à dire aucun lieu garantissant un réel qui lui permettrait d’articuler, avec ses pulsions, ou dans sa pensée, une phrase sensée. Et de telle sorte que se produise une éclosion de réels dispensés, tels des astres, des-astres – lorsque vous lirez, si vous ne l’avez déjà fait, les mémoires du Président Schreber, il vous racontera comment, au cours d’une nuit épouvantable, il a vu ce ciel constellé d’astres soudainement apparus, et qui ne figuraient pas dans les cartes ordinaires du ciel, et qui représentent autant, je dirais, de dispersion du Réel, dans la mesure où il a perdu cette unité, ce caractère Un, qu’il tenait du fait du sacrifice, de la castration, que j’évoquais tout à l’heure. Donc, vous assistez à ce moment de l’adolescence, à ces jeunes qui se replient, qui ne sortent plus, qui n’ont plus de relations avec les camarades et qui sont souvent en proie à des hallucinations, ou qui se trahissent par des délires, et sont souvent très malheureux.

Il se trouve, et là aussi, et j’attire votre attention sur ce fait, que, si ces épisodes sont correctement abordés dans la relation avec un psy bien formé, eh bien, vous pouvez avoir la satisfaction de constater qu’ils peuvent s’apaiser, et que l’épisode peut s’effacer et disparaître, et le jeune être restitué à une existence normale, après ce qui sera étiqueté « bouffée délirante ». Et, si vous devez vous livrer à des travaux, vous pouvez très bien venir sur ce terrain mal exploré, c’est-à-dire, justement la manière, les manières qu’il y a à faire pour contribuer à ce que ce jeune puisse retourner, retourner…, oui, trouver enfin un échange avec autrui et avec lui-même, qui puisse être satisfaisant, c’est-à-dire où lui-même se trouvera phalliquement identifiable et identifié – je reviendrai là-dessus, sur ce que ça veut dire.

Une remarque, encore, clinique, à propos du semblant auquel le jeune est affronté, et qui fait qu’il ne retrouve pas, il ne peut avoir que la nostalgie de cette facilité de jouissance archaïque première, primitive, avec un objet alors pleinement satisfaisant, et dans la mesure où il ne se satisfera pas du semblant, eh bien, il va trouver dans la pharmacopée les produits qui, eux, assurent une jouissance accomplie, parfaite. Et c’est pourquoi, évidemment, les drogues rencontrent ce succès chez les jeunes. C’est parce que, de ce côté-là, il n’y a pas de tricherie sur la jouissance, hein, ça va jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la perte de conscience, puisque le terme de la jouissance, c’est assurément, la perte de conscience, qu’on appelait autrement quand il s’agissait de sexe : « la petite mort ».

Alors, j’entends chez vous une objection, vous direz : « oh, ce n’est pas vrai, quand même, que cette insatisfaction est, comme ça, généralisée, au parlêtre, ce n’est pas vrai, parce que, si on considère le fonctionnement social, on voit bien qu’il y en a, premièrement, qui portent toutes les marques d’une satisfaction parfaitement accomplie. Ils sont tellement contents d’eux-mêmes, hein ? Aucun problème, hein, de ce côté-là ! Tandis que c’est l’autre qui est accablé par toutes les insatisfactions sans compter celles dont on l’accuse de les provoquer. Donc, il y a une répartition, en réalité : il y en a qui jouissent parfaitement, ils sont très heureux, très contents, très fiers, et puis, il y a les malheureux. Ce n’est pas tout à fait ça. Ce n’est pas tout à fait ça parce que, quand vous y accorder un petit peu d’attention, vous voyez qu’en réalité, la jouissance des bonhommes, c’est une jouissance de quoi ? C’est une jouissance narcissique, ils sont contents d’eux, ils sont contents d’eux puisque ils sont porteurs d’une marque anatomique, d’un signe anatomique qui fait que, ils sont en conformité avec cette instance phallique tierce et constitutive dont la référence est nécessaire pour être constitutive de l’identité aussi bien masculine que féminine, pour s’autoriser de son identité et la voir reconnue. Soyons pratiques, soyons simples, si mes formulations vous paraissent abstraites : il faut quand même que vous ayez été identifié par vos parents, comme fille ou garçon, et, autrement dit, qu’ils vous autorisent, dans votre assomption de ce sexe-là. Et, comme vous le savez, si les parents ont décidé que, à la place du garçon, c’est une petite fille qu’ils voulaient, et inversement, que la petite fille doit venir remplacer le petit frère qui est mort, eh bien, c’est ce qui sera prévalant, sur la réalité anatomique. C’est ce qui sera prévalant, ce qui a l’avantage, si j’ose dire, de vous témoigner combien la reconnaissance symbolique, et qui vient d’une instance tierce, cette reconnaissance symbolique est incontournable pour assumer son identité sexuelle. Donc, en tout cas, le bonhomme, lui, dans la mesure où il est conforme au caractère phallique de cette instance bénisseuse, eh bien, s’estimera accompli, et ne manquera pas d’être affecté du fait que sa compagne, c’est quand même désolant, elle n’est pas comme lui. C’est pas désolant, ça ? Non, ça n’a pas l’air de vous désoler. Parce qu’il y a quand même deux choses qui se passent : c’est que, d’abord, il faut beaucoup d’efforts pour qu’elle le soit, comme lui. Et ensuite, elle-même peut faire beaucoup d’efforts pour être comme lui, un copain, parce qu’il aime les copains, être comme lui, un copain, et cela quand, le brave homme, sensible à ce qui est la difficulté de sa compagne est généreux, pas du tout égoïste, eh bien, il décide que, allez, c’est elle qui le portera, l’instrument, il le lui délègue. J’espère quand même que dans cette espèce de bande dessinée que je vous fais, vous êtes quand même sensibles à la façon sans doute crue et directe, dont je suis en train d’évoquer pour nous une vie de couple qui est la vie banale ordinaire, et en même temps, source de tous les conflits. Ce que j’évoquais avec mon départ pour dire l’insatisfaction de la jouissance, comme génératrice du défaut de notre rapport au monde, source de tous les conflits puisque personne n’est content. Lacan disait que « l’homme est un ravage pour la femme ». Vous voyez, il était beaucoup plus dur que moi, et puis, lui n’essayait pas de vous distraire avec des bandes dessinées. L’homme est un ravage, pourquoi ? Ben justement, parce que, au fond, ce qu’il ne supporte pas, ce qu’il ne supporte pas c’est que la maîtrise dont il se réclame, la virilité, elle soit mise en échec par le fait qu’elle ne couvre pas l’ensemble du champ des représentations puisqu’il y a des femmes. Et donc, la maîtrise dont il se réclame, celle de l’ancêtre, celle de Dieu, eh bien cette maîtrise, elle échoue à faire que elle puisse totalement s’accomplir puisqu’elle se trouve limitée, justement, coupée, par l’existence des femmes. Et donc, la présence même de la femme est une offense, une insulte faite à la maîtrise masculine, à la virilité masculine. Et comme il va, alors exercer vis-à-vis d’elle la dénonciation permanente de son insuffisance, il est bien un ravage pour elle. Et qu’est-ce que c’est que l’homme, pour une femme ? Vous l’avez déjà entendu ce bateau dans notre Ecole, ou pas encore ? Vous ne l’avez pas encore entendu ? Vous voulez le savoir ? L’homme est un symptôme, l’homme est un symptôme, c’est-à-dire le témoignage qu’il y a quelque chose qui ne va pas puisque la jouissance prend pour objet le phallus chez l’un ou chez l’autre, et aucunement le corps ou la personnalité, la subjectivité, ni les qualités du partenaire. Il y a donc autour de la présence de ce tiers Un phallique, il y a autour de lui, je veux dire dans les effets qu’il provoque, il y a des conséquences : qu’il se présente comme étant un seul objet à désirer, à désirer, d’où, vous l’avez deviné, d’où, je dirais, la présence latente permanente d’une homosexualité dans un sexe comme dans l’autre. Parce que, il ne faut pas quand même exagérer, les féministes, elles sont beaucoup plus phalliques que les bonhommes, encore. Parce que pour les bonhommes, ils savent quand même que leur pouvoir est lié à une détermination symbolique, c’est-à-dire une castration. Pas les féministes ; pour les féministes, ça ne passe pas par la castration, ça passe par une assomption parfaite, totale et complète. Il suffit de tenter quelques échanges avec ces personnes – j’allais dire « ces femmes » – avec ces personnes, pour voir que on est pris, enfin, l’interlocuteur, quand il est masculin, est pris comme un petit garçon, quoi ! C’est pas sérieux, ses prétentions sont mini, il est un mini, ouais…

Alors, vous ne trouvez pas que le chemin que je suis en train de parcourir à toute allure, il est à la fois magnifique et déprimant, non ? Vous ne trouvez pas, hein ? Pourquoi cette espèce de condensé que je vous fais, comme ça. C’est pas seulement parce que le temps presse. Mais c’est aussi parce que ces vérités simples et premières restent, je dirais, à l’écart du savoir commun partagé. C’est merveilleux le refoulement collectif, parce que tout ce que je dis est su, tout le monde le sait, je n’apporte pas, je ne fais pas de révélation, je dis simplement ce que tout le monde sait. Et vous voyez ce que ça veut dire, le refoulement : qu’il ne faut surtout pas dire, il ne faut pas dire parce que ça gâcherait le plaisir. Quel plaisir ? Eh bien, celui du masochisme, parce que la grande, la grande marque, je dirais, que nous avons, et qui nous spécifie, c’est évidemment le masochisme. Si nous n’étions pas masochiques, est-ce que nous supporterions la vie qu’on nous fait ? On ne se laisserait pas faire, comme ça. On dirait : « ça va pas ! » Alors que, comme vous le savez, il y a des coups qui sont recherchés. Et si l’entourage est un peu trop bienveillant, bénévolent, eh bien, on s’offre des coups réels bien plus durs. Avec ce fait sur lequel je pourrai revenir : c’est que si l’opération, je dirais, de la mise en place d’un réel, d’un impossible, de ce qui est interdit, si elle ne s’est pas faite, cette mise en place, eh bien le sujet n’aura de cesse qu’à organiser dans sa réalité, un manque tel, artificiel, une création originale, et de telle sorte qu’il sera enfin confronté à un impossible qui ne sera plus, je dirais, organisé par le symbolique, et donc prometteur, porteur d’une jouissance sexuelle, et qui sera simplement organisé par un déficit et auquel il tiendra. Et ça, c’est le registre d’une clinique très riche et très abondante. Il y a des accidents qui ne sont pas totalement inexpliqués et dont, je dirais, l’organisation qui a présidé à leur mise en place tient à des mécanismes de ce genre. Autrement dit, comment substituer un handicap réel à ce qui autrement aurait simplement été un handicap quant à la jouissance, mais laissant les quatre membres, et même tous ceux que vous voudrez, pour s’en débrouiller, de cette jouissance.

Quand même encore un peu, un tout petit peu, hein ? Quelque chose, quelque chose sur la vie du couple. Parce que la prochaine fois, j’essaierai d’évoquer pour nous ce qu’il en est, dans tout ça, spécifiquement pour une femme. Il n’est pas habituellement le sujet, je dirais, le plus fréquemment abordé. On parle toujours de l’homme, de l’homme, de l’homme. C’est très, très bien, mais, il se trouve, néanmoins, que le monde est complètement différent pour une femme. C’est évidemment le péché de la philosophie, elle parle de l’homme. La philosophie, je ne connais pas un philosophe qui prenne en compte le fait que, pendant qu’il écrit, pendant qu’il gratte, il y a sa femme à la cuisine. ça fait des problèmes parce que lui, il est là, en train d’écrire, pendant que elle, hein… Eh bien, si le philosophe tenait davantage compte dans ses spéculations de la femme… On aurait affaire à une philosophie autrement plus efficiente. Le problème que j’évoquais au départ, c’est-à-dire celui de la castration, eh bien, justement, la vocation de la philosophie me permet de revenir un instant sur ce point : les grecs, qui ne connaissaient pas cette nécessité de la référence à un tiers pour ordonner leur identité sexuelle, un tiers symbolique, pour ordonner leur identité sexuelle, donc, je dirais, son caractère mâle ou femelle, comme on sait, l’homosexualité était, enfin, ils étaient « bi », comme on dit, sans problème. Mais, ce que vous trouvez tout de suite dans l’élaboration philosophique, c’est l’éloge d’une qualité que l’on traduit en français en l’appelant « tempérance », la « tempérance ». La tempérance, ce n’est pas la peine que je donne le terme grec, ce qui veut dire simplement que premièrement, on ne se laisse pas aller, on ne fait pas n’importe quoi, et qu’on se contrôle. On ne se permet pas tout, on se donne à soi-même une limite qui est celle de la civilité et qui permet de distinguer le citoyen comme il faut : celui qui est tempérant. Avouez que c’est quand même drôle que, sans avoir affaire à un Dieu relevant du monothéisme, ou sans être pour autant – je parle des grecs – plongé dans le culte du Père, puisque, à la maison, c’est la mère qui dirigeait le domaine, c’était la matrone, eh bien, chez les grecs, vous voyez, parce qu’il vous faudra vous demander : « mais, d’où est-ce que ça sort ce caractère universel ? »

Tout à l’heure, je vous parlais du sacrifice, et j’évoque maintenant le fait que, pour les grecs, il y avait la spéculation sur la tempérance, alors que, toutes les jouissances étaient permises, autorisées. Ils cherchaient à se construire une morale, une éthique, d’où l’avantage que vous avez à lire, les éthiques, précisément, qu’ils ont pu écrire, et en particulier Aristote, bien sûr, qui étaient fondées, donc, sur cette idée de tempérance. La rationalité, puisque ils passaient leur temps à l’évoquer, la rationalité, il l’appelait le « logos », nous, nous traduisons pas « rationalité » parce que, depuis, il y a eu des événements que je ne vais pas évoquer. Il y a eu le Verbe, le rôle du Verbe, qui est venu modifier notre rapport au logos. Les grecs, ils ne connaissaient pas le Verbe, ils ne le connaissaient que dans l’art oratoire, mais, il n’y avait pas chez eux d’éloquence attendue, je dirais, de la part d’un Dieu et qui viendrait les éclairer sur ce qu’ils avaient à faire dans la vie. Ça, ils ne l’ont pas inventé. Eh bien donc, la rationalité, le logos, qu’est-ce que c’était d’autre que, justement, mettre un frein à l’expression non réfrénée des désirs. Et le fait qu’ils l’aient appelé logos nous ramène, je dirais, à ce qui est la spéculation des psychanalystes depuis Freud et depuis Lacan, c’est-à-dire que c’est du fait de notre rapport au logos, au langage, et du fait de notre rapport au logos, que nous subissons, nous, l’espèce animale la plus belle, la plus triomphante parmi toutes celles créées par la nature, ou par qui vous voudrez, eh bien, nous, nous sommes les tordus, les tordus du logos. Vous pensez que c’est une image, que c’est une métaphore. Mais quand vous en serez, certains d’entre vous sont peut-être déjà à l’étude de la bande de Moebius, vous verrez que de dire que nous sommes des tordus du logos ça a du sens et que ce n’est pas seulement une image.

Un dernier mot, encore, pour ce soir. La vie de couple est exemplaire du fait que elle est organisée sur un sacrifice. C’est bien ce que les enfants éprouvent : ils critiquent que les parents leur donnent l’exemple de gens qui sacrifient leur jouissance personnelle pour justement sacrifier au devoir familial. Donc, la présence du sacrifice, bien qu’elle ne soit pas identifiée comme telle, elle est au centre de la vie du couple. Et si il y en a un des deux qui en a assez, on sait ce que ça provoque. Il dit : « j’en ai assez, moi, de passer ma vie à me sacrifier, comme ça ». Et hop, il fiche le camp, parfois pour aller recommencer ailleurs, et, c’est comme ça. Et puis, surtout, ce qui est pour nous plus illustratif, c’est que la vie de couple s’exerce toujours sous le regard de ce tiers qu’il s’agit de satisfaire, ce tiers qui peut, à l’occasion, s’il s’agit d’un couple purement laïque, être représenté par les ancêtres dans la lignée. Cette lignée que chacun d’entre nous a la tâche de devoir poursuivre. Autrement dit, maintenir la vie, à la poursuivre. Et donc, que, finalement, pour ce couple, est-ce que ce qui va compter, c’est la jouissance sexuelle qu’il est susceptible d’éprouver dans son intérieur, ou bien est-ce que c’est le fait d’être bien identifié comme homme et comme femme dans ce couple. Un homme, et, immanquablement, bien sûr, une femme, dans le couple. Comme si, dès lors, nous en revenons à mon début, la jouissance narcissique qui consistera pour chacun à se faire reconnaître comme Un, Un dans le groupe, Un comme membre du groupe, comme si cette jouissance-là, une identification, donc, sexuée, constituait le dernier mot de la jouissance espérée, attendue, et qui se trouverait, celle-là, accomplie, et non pas manquée, comme d’habitude, dans la vie du couple. Dans la vie du couple, alors là, narcissiquement, je sais que je fais mon devoir d’homme, mon devoir. Et puis, la femme sait qu’elle fait son devoir de femme. Alors, il y a eu cette affaire nouvelle et qui agite les esprits, à juste titre, et qui est l’affaire du Judith Butler et de la théorie du genre, c’est-à-dire la démonstration que cette identification, c’est des conneries, et que, finalement, chacun est légitimé à vivre comme il l’entend sans se soucier d’une identification pérenne, c’est-à-dire, en étant parfaitement susceptible, selon les occasions, les rencontres, les situations, voire les goûts, les envies, les personnes, le climat, la latitude, la chaleur…, de prendre son plaisir en assumant le sexe qu’il voudra et avec le sexe qu’il voudra. Autrement dit, assez ! Nous avons bien le droit de vivre à notre fantaisie !

Cette affaire qui est importante, et qui ne peut pas être traitée comme ça, rapidement, que ce soit dans le refus, ou que ce soit dans la célébration, mérite un petit peu d’attention. Ce qui est amusant, alors que tout le monde sait que Judith Butler est une élève de Foucault, que tout ça vient de Foucault, qui a passé toute son œuvre, et surtout le succès de toute son œuvre tient à la démolition de cette instance tierce de référence : le père, le dieu, le policier, le juge, l’enseignant, le médecin, le gardien de prison… Bon, très bien. Mais c’est intéressant pour une raison bizarre : c’est que, sans doute, Judith Butler, je ne suis pas sûr qu’elle  ait  l’idée, que tout ceci est lié à un progrès technologique. Un progrès technologique qui s’appelle internet et la pratique du tchat sur internet, parce que c’est la première fois que s’instaure ainsi la possibilité d’un dialogue avec un semblable, dont j’ignore tout et avec qui va pouvoir, éventuellement, s’effectuer la recherche d’un accord possible, car on cherchera toujours la possibilité d’un accord, justement indépendamment, sans se soucier de l’identité sexuelle, ni de l’un ni de l’autre, voire savoir si c’est la même identité ou une identité différente. Elle n’intervient plus comme déterminante de l’initium de l’engagement verbal, c’est-à-dire, on engage cet échange sans partir de ce qui est une identité affirmée, dans la quête d’une possibilité de rencontre dégagée de toutes les contraintes ordinaires dont celle de l’identité sexuelle, et de la nécessité jusque-là de respecter la différence des sexes. Alors, il est bien normal que les progrès de la technologie, et dans la mesure, où, justement leur particularité est de construire des champs qui n’ont pas de limites, il est bien normal qu’il n’y ait rien qui soit interdit, hein, dans les échanges sur internet. Vous trouvez, tout ce qui est interdit pas la loi y a sa place, et évidemment, son succès, puisque c’est interdit par la loi. Alors, évidemment, il arrive que les pédophiles soient poursuivis, etc., mais, c’est peu de chose par rapport aux virtualités que cela ouvre dans les échanges, et je dirais, par retour, par effet rétroactif, sur l’identité de celui qui est l’émetteur, et de celui qui est le récepteur. Comme s’il y avait une espèce de quête, comme si internet permettait la quête d’une rencontre qui serait enfin accomplie, parfaite, où ça viendrait parfaitement s’emboiter, et indépendamment de tous les facteurs habituels d’identification, d’identité qui viennent contrarier ce type de parfait emboîtement. La réalisation du fait de pouvoir être un Un accompli avec l’autre, d’être ensemble Un. De retrouver cet aspect fusionnel que j’évoquais tout à l’heure.

Bon, je crois que nous sommes arrivés à une aire de repos qu’on a bien méritée, que vous avez bien méritée. Je ne sais pas du tout, mais vous aurez sans doute l’occasion de le faire savoir comment vous recevez ces trivialités. Mais, si on s’intéresse à ce champ de la psychopathologie, c’est-à-dire de ce qui ne va pas pour nous, et des formes cliniques de ce qui ne va pas pour nous. Il faut bien reconnaître que la première des grandes formes cliniques de ce qui ne va pas pour nous, c’est notre normalité. La première des pathologies, puisqu’elle nous plonge dans le masochisme partagé, c’est ce que nous appelons « notre normalité ». Nous verrons donc la fois suivante, nous verrons à la fois le privilège qui échoit  aux femmes dans ce dispositif, et deuxièmement de quelle manière s’organise la pathologie classique, elle, c’est-à-dire la pathologie de la pathologie. C’est ça la pathologie classique, oui ! Et donc, à votre grande surprise, vous découvrirez enfin que cette pathologie de la pathologie, elle est orientée par les réactions de défense contre un point unique. Et c’est à partir des diverses modalités de défense à l’endroit de ce point unique que vous pouvez commencer à décrire et identifier les diverses pathologies que vous rencontrerez parce que, comme vous vous en doutez, elles sont infiniment plus diverses et plus nombreuses que celles qui se trouvent recensées dans les ouvrages. Et, si on veut être attentifs à nos patients, il ne s’agit de venir leur coller un diagnostic, mais il s’agit de venir identifier leur singularité, leur particularité, leur spécificité dans le traitement de cette pathologie première que j’évoquais tout à l’heure.

Est-ce qu’il vous reste quelque part une vague possibilité de poser une question ?

 

Etudiant : Bonsoir, vous avez effectivement, sur la fin de votre exposé, parlé d’identité sexuelle, on a vu, il y a quelques semaines un article paraître dans le Monde qui expliquait qu’un citoyen ou une citoyenne, enfin quelqu’un s’est vu accorder le sexe neutre. Voilà, est-ce que c’est pour vous, enfin, est-ce que c’est aussi une conséquence de l’évolution technologique ? Est-ce que ça, je dirais, ça traduit effectivement la volonté d’évacuer le tiers ? Et puis, quelles sont les conséquences de ce, je dirais, de ce nouveau sexe, si on peut dire ? Si ça en est un ?

 

Ouais, ouais, ouais, ça en est un. J’apprécie beaucoup votre question. Ça en est un, bien sûr. Ça en est un parce que, justement, il doit être beaucoup plus facile de pouvoir réaliser une opération de cohésion avec un semblable, avec un autre, à la condition de mettre le sexe, d’écarter le problème de l’identité sexuelle. Il est même très vraisemblable que c’est la condition très générale, mise à l’écart du rapport au sexe, la condition très générale pour qu’une relation à deux puisse être réussie. Il y a, il ne faut pas se leurrer, il y a beaucoup de couples homosexuels qui vivent comme ça. Je veux dire, la sexualité ne joue pas de rôle dans leur échange et, ça peut assurer des couples très solides, très accomplis. Donc, le sexe neutre, ça existe, effectivement, et là, encore, ça va tout à fait dans le sens de ce que je disais à propos des échanges sur internet, c’est-à-dire on peut facilement avec un interlocuteur se mettre d’accord sur le fait que on va s’aimer d’autant mieux et d’autant plus fort que ce sera un amour pur. Il faut avouer aussi que c’est pas rare, donc, finalement, le sexe neutre, il est déjà largement présent parmi nous sans avoir été nommé comme tel. En revanche, ce que j’ai vu, et peut-être vous aussi, c’est un article signalant que, c’est Denise Sainte Fare Garnot qui me l’a apporté, un article racontant qu’au Brésil, un mariage à trois avait été reconnu par un notaire. Alors, vous dites un mariage à trois, hein, c’est drôlement coquin de mettre l’amant, comme ça, je veux dire, inclure l’amant ou la maîtresse, l’officialiser dans le couple. Non, non, ce que le titre ne dit pas, c’est que c’est un amour à trois lesbien, et pour comble, je dirais, de bonheur, l’une de ces femmes va évidemment être enceinte, et pour que cette union soit officialisée aux yeux de tous, l’enfant portera les trois noms, portera le nom, il aura un triplet. Comme déjà les noms de famille brésiliens sont assez compliqués et assez longs, ça va être… C’est intéressant. C’est intéressant, mais vous voyez quant au problème d’identification pour ce gosse, pour le gosse qui va naître, il aura intérêt de venir ici pour m’écouter.

Bon, eh bien, bonne soirée.

Vous voulez poser une question ?

 

Etudiant : Oui, vous parlez d’une phase de latence jusqu’à l’adolescence, moi, j’aurais voulu savoir, en tout cas par rapport à ce que je connais mieux dans la religion juive, quand on situe ce qu’on appelle la bar-mitsva en hébreu, communion, cette phase d’initiation, où c’est le père qui porte les Tables de la Loi pour aller à l’autel, et au retour, c’est l’enfant, et il y a les premières cigarettes, peu importe, même si c’est pour faire semblant, donc cette majorité dite religieuse, qui est à peu près à 13 ans, entre 12 et 14, est-ce que c’est quelque chose, comment vous pouvez en situer peut-être un impact vers un premier chemin, une première initiation aux premières pulsions, qui sont là ou pas, comment…Voilà.

 

Oui, vous posez une question intéressante parce que, à l’époque, je veux dire, où cette cérémonie de la bar-mitsva a été instaurée, elle signifiait la maturité sexuelle et le droit à vivre sexuellement. Je veux dire que les filles étaient nubiles, et du même coup, il était estimé que cette nubilité était le témoignage du fait qu’elles étaient prêtes à la vie sexuelle et que, du même coup, les garçons devaient l’être. Il se trouve que l’évolution qui s’est produite a reporté cet âge où la sexualité se trouve célébrée aussi bien par la famille que par la (…), ce qui fait qu’il y a un décrochage entre cette opération symbolique qui signifie la maturité et le droit à l’exercice de la vie sexuelle. Et, comme nous le savons, ces jeunes sont aussi tourmentés et aussi chastes que possible, que possible, je dis bien, malgré, je dirais, la reconnaissance symbolique qui leur a été donnée. C’est vrai.

Allez, bonne soirée.