Claude Landman : Le temps des passages à l’acte

EPhEP, MTh4-CM, le 17/03/2022

Ainsi que vous le savez, j’ai choisi cette année de vous proposer mon enseignement sous ce titre : « Les temps du passage à l’acte ? ». Autrement dit, sommes-nous dans une période où nous verrions se multiplier ce qu’on appelle des passages à l’acte ? Titre dont il ne me paraît pas abusif de penser qu’il pourrait s’appliquer aux événements qui se produisent en ce moment à la frontière orientale de l’Europe.

Cela étant dit, et nous verrons lors de nos prochaines rencontres s’il est possible d’aller plus loin sur ce point sans verser dans un raisonnement trop analogique, j’ai terminé mon propos de la dernière fois en vous disant que l’étude du texte de Freud datant de 1920 sur La psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine serait l’occasion de compléter le cas Dora ainsi que de situer par rapport au passage à l’acte, ce que l’on appelle l’acting-out.

Je ne sais pas si vous avez eu tous l’opportunité de lire ce cas si riche d’enseignement sur le plan aussi bien de la direction de la cure, du maniement du transfert que des coordonnées du passage à l’acte et de l’acting-out. Quoiqu’il en soit, je vais l’aborder ce soir en vous en rappelant les articulations essentielles à partir d’un repérage structural, c’est-à-dire en prenant appui sur la distinction des trois registres du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire.

Il s’agit du cas d’une jeune fille de bonne famille à Vienne et notons tout de suite que pour une bonne famille, c’était franchir un assez grand pas que d’envoyer quelqu’un chez Freud.

C’est que, dans cette famille, quelque chose de très singulier était arrivé, c’est-à-dire que la jeune fille de la maison, âgée de 18 ans, belle, intelligente, était devenue un objet de souci pour ses parents. Pourquoi ? Parce qu’elle courait après une personne qu’on appelle « dame du monde », de 10 ans son aînée et dont il est précisé par toutes sortes de détails qui nous sont donnés par la famille que cette dame du monde était peut-être d’un monde qu’on pourrait qualifier de « demi-monde » dans le classement régnant à ce moment-là à Vienne. La sorte de lien qui l’attache à cette dame, dont tout révèle à mesure que les événements s’avancent, qu’il est véritablement passionnel, j’insiste sur ce point, passionnel, est quelque chose qui la met dans des rapports assez pénibles avec sa famille.

Nous apprenons par la suite, que ces rapports assez pénibles ne sont pas étrangers à l’instauration de toute la situation. Pour tout dire, le fait que cela rende le père absolument enragé est certainement un motif, me semble-t-il, pour lequel la jeune fille, d’une certaine façon, non pas soutient cette passion mais à proprement parler, la mène. Je veux dire l’espèce de défi tranquille avec lequel elle poursuit ses assiduités auprès de la dame en question, ses attentes dans la rue, la façon dont elle affiche partiellement son affaire sans en faire étalage, tout cela suffit pour que ses parents n’en ignorent rien et tout spécialement son père. On nous indique aussi que la mère, qui n’est pourtant pas quelqu’un de tout repos, ne prend pas cela tellement mal, contrairement au père, et en tout cas, elle ne prend pas cette affaire trop au sérieux. Et Freud nous dit même que la mère a été la confidente de sa fille à propos de cette liaison.

Alors, on vient demander à Freud d’arranger ça. Il remarque fort pertinemment les difficultés de l’instauration d’un traitement quand il s’agit de satisfaire aux exigences de l’entourage, c’est-à-dire que l’on ne fait pas une analyse sur commande, sur prescription de la famille. À la vérité, ceci ne fait qu’introduire quelque chose de plus extraordinaire encore, à savoir que Freud nous dit que cette analyse lui a permis de voir très, très loin. C’est la raison pour laquelle il nous en fait part, mais qu’assurément elle ne lui a pas permis de changer grand-chose au destin de cette jeune fille.

Pour l’expliquer, il introduit cette idée schématique qui n’est pas sans fondement, bien qu’elle puisse paraître désuète, à savoir qu’il y a deux temps dans l’analyse : le premier étant en quelque sorte le ramassage de tout ce que l’on peut savoir ; le second consistant à faire fléchir les résistances qui tiennent encore parfaitement là où le sujet sait déjà beaucoup de choses.

La comparaison qu’il introduit n’est pas une des moins stupéfiantes. Les deux temps de l’analyse, il les compare : première phase, au rassemblement des bagages avant un voyage, rassemblement des bagages qui est toujours une chose assez compliquée ; puis seconde phase, il s’agit de s’embarquer et de parcourir le chemin. Cette référence chez quelqu’un qui a une phobie des chemins de fer et des voyages est tout de même assez piquante. Mais ce qui est bien plus énorme encore, c’est que pendant tout ce temps-là, il a le sentiment qu’effectivement, rien ne se passe. En revanche, il voit très bien ce qui s’est passé auparavant et il met en relief un certain nombre d’étapes.

On peut penser que justement, puisqu’il évoque le second temps qui consiste à faire fléchir les résistances qui tiennent encore parfaitement là où le sujet sait déjà beaucoup de choses, qu’il s’est heurté avec cette patiente, nous le verrons peut-être la prochaine fois, justement à ceci que les résistances n’ont pas fléchi.

Alors, il voit très bien ce qu’il s’est passé auparavant, c’est-à-dire avant le début de l’analyse, dans l’anamnèse, si je puis dire, de cette patiente, il met en relief un certain nombre d’étapes. Il voit bien que dans l’enfance, il y a eu quelque chose qui semble n’être pas passé tout seul, au moment où, de ses deux frères, elle a pu appréhender à propos de l’aîné précisément la différence qui la faisait, elle, consister en quelqu’un qui n’avait pas l’objet essentiellement désirable, à savoir l’objet phallique. Néanmoins, nous dit Freud, la jeune fille n’a jamais été névrosée, aucun symptôme hystérique n’a été apporté à l’analyse. Rien dans l’histoire infantile n’est notable du point de vue des conséquences pathologiques. Et c’est bien pour cela qu’il est frappant dans ce cas au moins cliniquement, de voir éclore aussi tardivement le déclenchement d’une attitude qui paraît à tous franchement anormale : qui est celle de cette position singulière que cette jeune fille occupe vis-à-vis de cette femme un tant soit peu décriée et à laquelle elle marque cet attachement passionné qui la fait aboutir à cet éclat qui l’a amenée à la consultation de Freud

Car s’il a fallu en venir à s’en remettre à Freud, c’est qu’il s’était produit quelque chose de marquant, à savoir qu’avec ce doux flirt que la jeune fille entretenait avec le danger, c’est-à-dire qu’elle allait quand même se promener dans la rue avec la dame, presque sous les fenêtres de sa propre maison. Un jour, le père sort, voit cela et se trouvant en face d’autres personnes, leur jette, à sa fille et à la dame, un regard furieux et s’en va. Et c’est là que la dame demande à la jeune fille : « Qui est cette personne ? », elle répond : « C’est papa » et la dame ajoute : « Il n’a pas l’air content ». La dame prend alors la chose fort mal. Il nous est indiqué que jusque-là, elle avait été plutôt froide, qu’elle n’avait pas du tout encouragé ces assiduités dans la mesure où elle n’avait pas le souhait d’avoir des complications. Elle dit à la jeune fille, après cette rencontre avec le père : « Dans ces conditions-là, on ne se revoit plus ».

Il y a dans Vienne, ou il y avait, je ne sais plus si c’est le cas aujourd’hui, des espèces de petits chemins de fer, un peu comme le boulevard de ceinture à Paris, des petits chemins de fer de ceinture. On n’est pas très loin d’un ces petits ponts. Et à peine cette phrase prononcée, voilà la jeune fille qui se jette en bas de l’un de ces petits ponts. Elle choit, niederkommt. Elle se rompt un peu les os mais s’en tire.

Nous retrouvons là le caractère automatique du passage à l’acte que j’ai déjà souligné. Passage à l’acte qui se produit ici aussi, comme dans le cas de Dora, à la suite d’une phrase fatidique. Il est bien clair que le passage à l’acte peut aussi se définir comme ceci que le sujet ne sait pas ce qu’il fait. C’est automatique. Il y a quelque chose du registre d’un non-savoir qui est là évident dans le passage à l’acte. Il passe à l’acte, il ne sait pas ce qu’il fait quand il passe à l’acte.

Pour ceux qui ont pu travailler avec des enfants et en particulier avec des enfants un peu agités, voire très agités - tous les psychanalystes d’enfants en ont l’expérience : avec un enfant, quand il est reçu par l’analyste dans la salle, dans le bureau de consultation où il y a assez souvent un évier avec un robinet, immédiatement, par exemple - il y a d’autres occurrences - un enfant agité va se précipiter sur le robinet et va l’ouvrir et faire couler l’eau. Là encore, on peut dire que l’enfant ne sait pas ce qu’il fait. Il passe à l’acte et ce peut être aussi parfois un petit peu plus difficile pour l’analyste, dans la mesure où il va être amené par exemple, lorsqu’il est très agité à foutre le bazar sur le bureau de l’analyste et qu’il peut se produire ceci pendant toute la durée d’une, voire de plusieurs séances.

Donc, vous voyez, on peut dire qu’une des caractéristiques du passage à l’acte, c’est que le sujet qui passe à l’acte, ne sait pas ce qu’il fait.

Donc, nous dit Freud, jusqu’au moment où est apparu cet attachement [inaudible], le développement [semblait] non seulement normal mais […] très bien s’orienter. N’avait-elle pas à 13 ou 14 ans, eu une attitude qui laissait espérer le développement le plus sympathique de la vocation féminine, celle de la maternité. Elle pouponnait en effet, un petit garçon des amis des parents. Mais tout d’un coup, cette sorte d’amour maternel qui semblait en faire d’avance le modèle des mères, s’arrête, subitement, et c’est à ce moment-là nous dit Freud, qu’elle commence à fréquenter, car l’aventure dont il s’agit n’est pas la première, des femmes qu’ils qualifient de déjà mûres, c’est-à-dire des sortes de substitut maternel d’abord semble-t-il. Tout de même, ce schéma ne vaut pas tellement pour la dernière personne, celle qui a vraiment incarné l’aventure dramatique au cours de laquelle va tourner le déclenchement de l’analyse et également la problématique d’une homosexualité déclarée.

Le sujet dit en effet à Freud qu’il n’est pas question pour elle, mais alors pas question d’abandonner quoi que ce soit de ses prétentions, ni de son choix objectal. Elle fera tout ce qu’il faudra pour tromper sa famille mais elle continuera à assurer ces liens avec la personne de laquelle elle est loin d’avoir perdu le goût, et qui s’est trouvée assez émue par cette extraordinaire marque de dévotion pour être devenue beaucoup plus traitable pour elle depuis. Depuis quoi ? depuis cette tentative de suicide, que la dame en question, pas tout à fait à tort, mais enfin ce n’était pas le seul élément à prendre en considération dans le passage à l’acte, a pris pour une marque de dévotion à son endroit.

Cette relation donc déclarée, maintenue par le sujet est quelque chose à propos de quoi Freud va nous apporter un certain nombre de remarques visant à expliquer ce qui s’est passé avant le traitement et notamment à expliquer la tentative de suicide. Soulignons ici que la tentative de suicide est un passage à l’acte et disons que toute l’aventure avec la dame de réputation douteuse, qui est portée à la fonction d’objet suprême, est un acting- out.  

Si la gifle de Dora est un passage à l’acte, j’avancerai que tout le comportement paradoxal de Dora dans le ménage des K., que Freud découvre tout de suite avec tellement de perspicacité, est à situer dans le registre de l’acting-out. L’acting-out est en effet, on peut le dire comme ça, quelque chose dans la conduite du sujet qui essentiellement se montre. C’est une monstration du passage à l’acte. L’accent démonstratif, l’orientation vers l’autre, de tout acting-out est quelque chose qui doit être relevé et souligné. Dans le cas de la jeune homosexuelle, Freud insiste : c’est aux yeux de tous, c’est dans la mesure même et d’autant plus que cette publicité devient plus scandaleuse, que la conduite de la jeune fille s’accentue.

Mais ce qui se montre dans l’acting-out, se montre essentiellement comme autre que ça n’est. Ce que ça est, dans la conduite de la jeune fille, personne ne le sait bien sûr et pas elle, pas même elle. Mais que ce soit autre, personne n’en doute, autrement dit l’acting-out est ce qui appelle l’interprétation.

Ce qui ne veut pas dire qu’une interprétation, même si elle est juste, va avoir quelque effet mais assurément l’acting-out, c’est un appel à l’interprétation. Il y a quelque chose-là qui se montre mais qui est autre que ce qui est. Ça renvoie à autre chose, à une dimension autre.

Ce que ça est, c’est là évidemment que Freud est tout à fait remarquable. Il le dit : ce que ça montre, ce que ça est, c’est-à-dire : c’est autre chose que ce qui se montre. C’est-à-dire cette monstration d’une relation avec la dame, ce que Freud dit quand même, c’est quoi ? Il dit : elle aurait voulu avoir un enfant du père, c’est ça que ça dit. C’est-à-dire que ce qui se produit dans cette relation avec la dame et que la jeune fille montre aux yeux de tous, c’est ce qui se substitue à un vœu inconscient d’avoir un enfant du père.

Oui, Freud tranche remarquablement et il nous explique que c’est dans le registre d’une orientation en quelque sorte normale vers un désir d’avoir un enfant du père, qu’il faut concevoir la crise originaire qui a fait s’engager ce sujet dans quelque chose qui va strictement à l’opposé. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un de ces cas où la déception par l’objet du désir se résume par un renversement complet de la position du sujet, qui est identification à cet objet, c’est-à-dire le passage de « l’avoir, un enfant du père » à « l’être, le père ». Identification : passage de l’avoir à l’être qui équivaut pour Freud, à une régression au narcissisme. « Ce que je ne peux pas avoir, je le deviens ».

Il y a quelque chose à quoi il est renoncé dans la relation à l’objet, en l’occurrence ici le père, et une identification au père qui vient se substituer au niveau de l’être à ce qui était auparavant un rapport dans le registre de l’avoir, l’objet, d’avoir l’objet, le père, mais aussi bien l’enfant du père, le vœu d’avoir un enfant du père. Autrement dit, « l’objet que je ne peux avoir, le père et l’enfant que j’attends de lui, je le deviens » par identification : « je le suis ».

On reviendra sur ce point.

Mais quelle est donc cette déception ? J’évoquais une déception à l’endroit de l’objet du désir. Quelle est donc cette déception ? Ce moment vers la 15ème année, pour le sujet engagé dans la voie d’une prise de possession de cet objet imaginaire, de cet enfant imaginaire dont elle s’occupe assez, l’enfant des amis des parents dont elle s’occupe assez pour que ça fasse date dans les antécédents de la patiente. Quelle est donc cette déception qui va opérer un tel renversement de la position subjective de la jeune fille ? C’est que, c’est à ce moment-là, à l’âge de 15 ans, que sa mère a réellement un enfant du père, autrement dit, que la patiente fait l’acquisition d’un troisième frère. Voici donc le point clé, le caractère également en apparence exceptionnel de cette observation.

On repère le nouage, n’est-ce pas, entre les trois registres : Réel, l’enfant réel que le père fait à la mère, le troisième frère ; l’Imaginaire, l’enfant imaginaire qu’elle pouponne, le phallus imaginaire ; et Symbolique, avoir un enfant du père qui porte la promesse symbolique d’avoir par métaphore un enfant d’un autre homme.

Quoiqu’il en soit, ce renversement de sa position subjective, c’est ce qui permet au sujet ayant échoué dans la réalisation de son désir, de le réaliser néanmoins, à la fois autrement et de la même façon, en se faisant amant, c’est-à-dire en se mettant à cette place, n’est-ce pas, qui est celle de l’amant. En d’autres termes, elle se pose dans ce qu’elle n’a pas, le phallus, et pour bien montrer qu’elle l’a, identification au père, elle le donne. Elle se comporte, c’est en effet une façon tout à fait démonstrative, elle ne cesse, par toutes les marques d’attention qu’elle porte à sa dame, de donner le phallus qu’elle n’a pas. Elle se comporte, nous dit Freud, vis-à-vis de la Dame avec un D, comme un chevalier servant, comme un homme, comme celui qui peut lui sacrifier ce qu’il a, son phallus.

Mais que dire de ce niederkommen, de ce « laisser tomber », sinon que c’est le corrélat essentiel du passage à l’acte, quelque chose qui est dans la chute, dans le laisser-tomber. Chute comme la chute d’un objet et au moment du passage à l’acte, pas susceptible de se différencier du sujet, c’est-à-dire que le sujet devient cet objet qui choit. C’est au moment du plus grand embarras, le regard furieux du père avec l’addition comportementale de l’émotion, comme désordre du mouvement - c’est cela que veut dire émotion, é-motion, motion, c’est le mouvement, quelque chose qui pourrait se dire ex-motion, c’est-à-dire quelque chose qui est en mouvement, qui devient désordonné ; dans l’émotion, il y a évidemment des effets sur la motricité, sur le mouvement quand on est ému – cette émotion comme désordre du mouvement produit par la phrase de la dame « On ne se revoit plus ».

Donc, c’est au moment du plus grand embarras associé à l’émotion au désordre du mouvement, qu’elle se précipite de là où il était, le sujet qui se précipite. Et alors où était-il, le sujet, jusque-là ? Il était, pour faire référence au théâtre, sur le lieu de la scène comme sujet fondamentalement historisé, ce que nous sommes tous - n’est-ce pas, nous nous tenons sur le lieu de la scène, c’est dans ce lieu que nous nous maintenons -, c’est-à-dire dans ce lieu éminemment construit par le Symbolique.

Il pouvait se maintenir, le sujet, dans son statut de sujet tant qu’il était sur la scène et c’est là qu’il bascule par le passage à l’acte, essentiellement hors de la scène, dans le trou. Oui, c’est ce moment tout de même très important, le passage de la scène où se tient le sujet à une bascule hors de la scène, dans un trou. C’est là la structure même, comme telle, du passage à l’acte. Passage de la scène au monde réel, en l’occurrence ici - nous y reviendrons un peu plus loin - cette précipitation par-dessus la barrière du pont du chemin de fer, et la chute. Elle tombe.

Il y a dans la clinique du passage à l’acte, notamment du passage à l’acte suicidaire, et en particulier chez le mélancolique, il y a, ce n’est pas rare, un mouvement de précipitation : en général par la fenêtre dans le cas du mélancolique, pas toujours mais souvent ; le sujet se précipite dans le vide, dans le trou, sans même savoir ce qu’il fait, quelle est la signification de ce passage à l’acte.

C’est là, la structure même comme telle du passage à l’acte : la jeune homosexuelle saute par-dessus la petite barrière qui la sépare du chenal où passe le petit tramway demi-souterrain à Vienne, et en chutant au bas de ce pont, elle fait un acte symbolique que repère Freud, qui n’est autre chose que le niederkommen d’un enfant dans l’accouchement, puisque ce terme est employé en allemand pour dire qu’on est mis bas. Niederkommen renvoie à l’accouchement, c’est ce que Freud repère, en tout cas, et qui n’est pas la dimension essentielle de ce passage à l’acte ; c’est un redoublement en quelque sorte, mais c’est évidemment ce qui donne à cet acte une dimension symbolique.

Il y a à la fois une dimension réelle, la chute dans le trou, automatique, et puis la signification symbolique de ce passage à l’acte, mettre bas un enfant. Réelle, la chute dans le trou, automatique, et puis la signification symbolique de ce passage à l’acte : mettre bas un enfant. On dit accoucher d’un enfant.

Quant à Dora, c’est au moment de l’acmé d’embarras où la met la phrase-piège de Monsieur K. :« Ma femme n’est rien pour moi », qu’elle passe à l’acte. La gifle ici ne peut exprimer rien d’autre que la plus parfaite ambiguïté : est-ce Monsieur K. ou Madame K. qu’elle aime ? Dans le cas de Dora, le passage à l’acte, c’est la gifle retentissante qu’elle donne à Monsieur K.

Cette évasion de la scène – j’y reviens à la scène, la scène comme étant ce lieu éminemment symbolique où le sujet se tient, peut se tenir parce qu’il est déterminé par des coordonnées symboliques - c’est ce qui nous permet de distinguer et de reconnaître le passage à l’acte de l’acting-out. Dans l’acting-out, le sujet est sur la scène encore. Ça peut basculer dans un passage à l’acte mais tant qu’il est dans l’acting-out, il est sur la scène. Il joue un rôle qui, comme le nom l’indique, est un acting-out. En anglais, c’est ça, c’est au fond, jouer en dehors, jouer à côté. Donc, c’est bienvenu comme terme. C’est pour cela que, je crois, Lacan l’a maintenue, cette traduction anglaise, la traduction d’agieren par acting-out.

Alors, pour vous en donner un autre exemple et combien manifeste : qui songe – si vous songez, vous me le direz - à contester cette étiquette du passage à l’acte à ce que l’on appelle la fugue - je crois que je l’ai déjà évoquée dans la séance inaugurale de cet enseignement - ? Qu’est-ce que c’est que la fugue chez le sujet toujours plus ou moins mis en position infantile, qu’est-ce que c’est que la fugue du sujet qui s’y jette ? Vous voyez, il y a aussi une dimension là aussi d’un sujet qui se jette, qui se précipite dans la fugue. Et puis, c’est quasiment automatique, souvent mis en rapport avec ceci que le sujet – alors, c’est variable en fonction des cas - n’a pas d’autre issue possible que de se précipiter, de fuir, de fuir, de fuir, de sortir de la scène.

Mais qu’est-ce que la fugue chez le sujet, toujours plus ou moins mis en position infantile, qui s’y jette, si ce n’est cette sortie de la scène, ce départ vagabond, dans le monde pur, supposé pur, où le sujet part à la recherche, à la rencontre de quelque chose de refusé partout ? C’est à dire que toutes les portes se ferment, pour un adolescent par exemple, toutes les portes se ferment. Il a le sentiment, à tort ou à raison, qu’il est jugé et refusé, partout. Et donc, il fugue.

En même temps, c’est un passage à l’acte qui est dans le fond, une issue possible à une situation intenable, et il va partir à la rencontre de quelque chose qui lui est refusé partout. Sortir de ce monde du refus dans lequel il était lorsqu’il était sur la scène.

Alors, je vais m’arrêter là. Je pense que la prochaine fois, je reprendrai le cas de cette jeune fille homosexuelle, en vous proposant d’essayer d’expliquer les raisons de l’échec reconnu par Freud de cette analyse.

Nous sommes ce soir « en mixte ». Il y a les étudiants, des élèves qui sont dans l’amphithéâtre et puis il y en a d’autres qui sont en zoom. Si vous avez des questions dans la salle ou ceux qui sont sur la mosaïque là que je vois ?

Etudiante 1 : Bonsoir Monsieur. Je me rends compte qu’on utilise le mot « désir » quand on parle de désir sexuel et quand on parle de désir inconscient, mais on ne fait pas de différence quand on en parle. Je voulais savoir : est-ce que c’est différent et comment on peut les différencier si c’est différent ?

C. Landman : pour ce qui concerne Freud, il est bien clair que le désir inconscient a une dimension sexuelle incontestablement. C’est ce que nous apprend Freud et la découverte de la psychanalyse, ce désir qui est refoulé dans l’inconscient a une dimension sexuelle. Pour un certain nombre de raisons, cette dimension sexuelle a été refoulée. C’est un des buts, peut-être pas le seul, c’est un des buts de l’analyse que de le révéler, ce désir sexuel refoulé. Encore une fois, c’est pour chaque cas différent mais oui, il y a une dimension sexuelle du désir inconscient, bien sûr.

Etudiante 1 : Et au niveau lacanien, c’est toujours la même chose ou il y a d’autres interprétations ?

C. Landman : Au niveau lacanien comme vous dites, le désir est soutenu par un fantasme inconscient. Pour Lacan, le fantasme inconscient et l’écriture algébrique que propose Lacan du fantasme inconscient $ ◇ a, renvoie à une dimension sexuelle. $ ◇ a est ce qui soutient le désir et qui a éminemment une dimension sexuelle. Ce qui est plutôt l’axe du travail d’une analyse lacanienne, c’est effectivement d’essayer de repérer ce qu’il en est de ce fantasme inconscient qui porte le désir mais sur ce point, Lacan est resté, si je puis dire, l’élève de Freud.

Étudiante 2 : Bonsoir, dites-moi, le désir d’avoir un enfant est un fantasme infantile sexuel, est ce qu’on pourrait le dire ?

C. Landman : Oui bien sûr, c’est un fantasme inconscient, oui

Etudiante 2 : Le désir d’enfant est un fantasme inconscient, d’accord ?

C. Landman : Le désir d’avoir un enfant du père, du père, c’est cela qui est refoulé.

Etudiante 2 : dDu père uniquement ?

C. Landman : Du père uniquement… ça peut être de l’oncle, ça peut être du grand-père, je ne sais pas.

Etudiante 2 : uUniquement ? mais ça ne peut pas être du mari ?

C. Landman : Si, dans le meilleur des cas, ce fantasme d’avoir un enfant du père se transforme en un fantasme susceptible de se réaliser, qui est celui d’avoir un enfant d’un autre homme que le père, pour une fille.

Etudiante 2 : D’accord, merci beaucoup

C. Landman : Je pense que sur ce point, c’est assez clair.

Etudiante 2 : Oui, merci beaucoup

Etudiante 3 : Bonsoir, j’avais une question dans le cas notamment de la jeune homosexuelle, sur la demande. Puisque, en fait, la demande de l’analyse vient du père, c’est le père qui amène la jeune homosexuelle à Freud. La jeune homosexuelle n’a absolument aucune demande. Est-ce que Freud aurait dû la prendre en analyse ?

C. Landman : Oui

Etudiante 3 : Oui, enfin bon, il la bombarde d’interprétations.

C. Landman : pardon ?

Etudiante 3 : Il l’a un peu maltraitée quand même dans l’analyse.

C. Landman : Oui, il l’a un peu maltraitée.

Etudiante 3 : Elle ne demandait rien.

C. Landman : cCe n’est pas parce qu’elle ne demandait rien… parce que vous savez, Freud disait que c’était beaucoup plus difficile. Mais il semble, on y reviendra peut-être la prochaine fois, que dans le déroulement même de l’analyse faite contre son gré, et en tout cas sans qu’elle ait elle-même formulé une demande, dans le cours du déroulement des séances avec Freud, quelque chose aurait été susceptible de permettre l’analyse. Et on verra pourquoi Freud peut être, n’est-ce pas, n’a pas pu aller jusqu’au bout.

Etudiante 3 : Si je me souviens bien, l’analyse s’arrête au moment où la jeune fille parle d’un rêve à Freud où elle indique qu’elle veut revenir à des relations hétérosexuelles et que Freud s’aperçoit que, en fait c’est complètement inventé pour lui faire plaisir. Je crois que c’est quelque chose comme ça.

C. Landman : Disons, il l’interprète comme un rêve trompeur, menteur

Etudiante 3 : Menteur, et il met fin, au lieu de l’interpréter comme un transfert positif, il a mis fin à l’analyse à ce moment-là

C. Landman : Il s’est un peu précipité pour penser qu’elle voulait le rouler dans la farine et qu’elle lui disait finalement tout à fait le contraire de ce qui aurait pu être entendu. C’est là qu’en effet, Freud s’est un peu précipité à son tour et d’ailleurs il faut bien noter, ce n’est quand même pas rien, qu’il l’a laissée tomber. Il s’est trouvé reproduire en quelque sorte ce qui avait été le noyau douloureux et actif, n’est- ce pas, de sa relation conjointe entre la dame et son père à elle, la jeune homosexuelle.

Étudiante 3 : Sachant qu’au début, elle n’avait aucune demande. Donc, c’est quand même étrange de prendre quelqu’un en traitement, qui n’a absolument aucune demande.

C. Landman : Non, c’est vrai, vous avez raison. D’ailleurs il le dit, c’est compliqué de prendre quelqu’un qui vient sur prescription de la famille. Mais, ce n’est pas absolument rédhibitoire et d’ailleurs vous le dites, vous dites que ce n’est pas rédhibitoire, vous dites qu’il y a eu un transfert. Donc à partir du moment où se met en place la dimension du transfert, quelque chose est possible dans l’analyse même si les conditions de départ ne sont pas, loin de là, les meilleures. Quand même quelque chose aurait pu être possible, enfin en tout cas, c’est une hypothèse. Il faudrait, il faudra peut-être la prochaine fois qu’on revienne sur ce qui s’est passé dans le déroulement de la cure.

Etudiante 4 : Bonsoir, je n’ai pas lu tout le cas Dora, mais j’ai commencé…

C. Landman : Le cas Dora ou le cas de la jeune homosexuelle ?

Etudiante 4 : de Dora, …ah, excusez-moi, j’ai fait une confusion alors…. C’est une autre, ah excusez-moi, je suis désolée, …

C. Landman : Je n’ai pas parlé de Dora ce soir, enfin si, j’ai dit deux petits mots…

Etudiante 4 : Excusez-moi, j’étais sûre, j’ai fait une confusion

C. Landman : Cela a dû vous troubler, parce que si vous pensiez que c’était le cas Dora, elle n’était pas homosexuelle.

Etudiante 4 : … oui, voilà. Le cas Dora m’avait vraiment interpellée sur une autre leçon que vous aviez donnée. Si je peux revenir dessus, pardon de cette confusion. Dans Dora, il y a cette relation à Monsieur K. et ce qui m’a vraiment surprise, c’est qu’au début quand il relate les faits, Dora a 14 ans. Elle est prise par monsieur K., enfin elle est coincée par M. K. dans un magasin et il l’embrasse sur la bouche. Là-dessus Freud dit : « Dans cette seconde scène antérieure quant à la date, le comportement de l’enfant de 14 ans est déjà tout à fait hystérique. Je tiens sans hésiter pour hystérique toute personne chez laquelle une occasion d’excitation sexuelle provoque surtout ou exclusivement du dégoût, que cette personne présente ou non des symptômes somatiques. Ça m’a vraiment étonnée.

C. Landman : Cela vous a choquée ?

Etudiante 4 : Oui, aujourd’hui, vu…

C. Landman : Oui, c’est vrai qu’aujourd’hui si Freud avait dit cela aujourd’hui, il aurait été mitraillé, c’est sûr.

Etudiante 4 : En fait justement par rapport au cas de cette jeune homosexuelle, je me disais à la lumière d’aujourd’hui, évidemment tout a changé, mais comment ça pourrait se relire ?

C. Landman : De ce point de vue-là, elle est beaucoup plus dans le coup, la jeune homosexuelle.

Etudiante 4 : Oui [rires], oui, c’est cela.

C. Landman : Oui, c’est ça, formidable, ça pourrait être un idéal.

Etudiante 4 : Oui. Idéal, je ne sais pas.

C. Landman : Si, une fille quand même qui est... Si on ne s’intéresse pas comme on le fait ce soir à ce qui est mis en jeu pour cette jeune femme et d’ailleurs c’est souvent ce qui se produit aujourd’hui. C’est qu’on est dans une période d’un obscurantisme absolument phénoménal et je dirais d’autant plus difficile à percer cet obscurantisme qu’il y a des jugements moraux à l’endroit de ceci ou de cela. Donc oui alors évidemment, Freud dit aussi qu’à 14 ans, une fille sait très bien, ne peut pas être surprise par les marques d’attention et de séduction d’un homme, en l’occurrence d’une quarantaine d’années.

Alors sur la question de ce qui est dit de ceci, que dans ce cas, il s’agit d’un dégoût hystérique quand il l’embrasse sur la bouche, ça se discute en effet.

Etudiante 4 : Oui, c’est parce que ça m’avait étonnée en le lisant. Je pense que ce qui m’a ce soir - même si je me suis trompée, excusez-moi – [étonnée], c’est cette lecture que l’on peut faire justement des textes qui sont du début du XXe siècle et parfois même en lisant Le petit Hans...

C. Landman : Oui, c’est vrai. Vous savez, il ne faut pas trop relativiser tout ça. Il ne faut pas croire qu’on est passé dans une autre époque forcément à ce niveau-là. Il y a des jeunes filles de 14 ans qui se font embrasser par des hommes de 30 ans et à qui ça plaît. Il faut le dire quand même, on ne peut pas continuer à tout le temps à refouler, n’est-ce pas, à censurer quelque chose qui est quand même enfin…

Etudiante 4 : Là, elle est coincée par cet homme, enfin dans le magasin.

C. Landman : Oui, on peut discuter le diagnostic de dégoût hystérique.

Etudiante 4 : D’accord merci Monsieur.

Etudiante 1 : Monsieur Landman, il n’y avait pas que le baiser de Monsieur K., il y avait son organe érigé.

C. Landman : Oui, écoutez là aussi, je suis désolé, je suis obligé de remettre les pieds dans le plat ! Il n’est pas exceptionnel qu’une jeune fille de 14 ans puisse ne pas avoir de dégoût lorsqu’un homme a son organe érigé et qu’elle se fait un peu coincer. Je ne suis pas en train de dire que c’est bien de coincer une jeune fille de 14 ans quand on a 40 ans. Ce n’est pas ce que je dis. Mais de fait, la pratique de l’analyse et puis aussi ce qu’on entend. Maintenant peut être que c’est plus censuré, mais ce n’est pas du tout exceptionnel qu’une fille de 14 ans apprécie et ça ne veut pas dire qu’elle va avoir de rapports sexuels avec l’homme qui tente de la séduire mais elle peut ne pas être dégoûtée par le fait qu’un homme puisse avoir une érection et qu’elle le sente. On vit dans un univers, je dirais…

Etudiante 4 : Oui mais ce n’est pas ça qu’on dit. C’est dire « le dégoût hystérique ». Personne ne conteste que n’importe quelle jeune fille de 14 ans puisse avoir du désir et apprécier. Mais le fait de dire que le dégoût est hystérique, c’est un peu raide. Et puis ces jeunes filles qui ont 18 ans et viennent voir Freud, elles ont 18 ans. Elles sont vraiment jeunes et je trouve que dans les interprétations qui sont faites et la manière dont il a conduit ses cures, c’est à la limite de la maltraitance quand on les relit à l’aune d’aujourd’hui ! C’est hard quand même.

C. Landman : Oui, si vous le dites. Sur la question du dégoût hystérique, ça existe, le dégoût hystérique. Ce n’est pas quelque chose qui n’existe pas. Les réactions de dégoût à l’endroit de la sexualité existent, pas seulement chez les filles, d’ailleurs.

Etudiante 5 : Moi, je me permets, ça me fait penser à certaines femmes qui subissent des viols et qui sont encore plus traumatisées parce qu’en fait elles en jouissent

C. Landman : Elles ont ?

Etudiante 5 : Elles jouissent

C. Landman : Écoutez, on s’engage dans quelque chose d’un peu scabreux

Etudiante 5 : C’est pour cela que je dis ça en fait. Ça me fait penser, ce dégoût hystérique, à cette ambivalence entre le déplaisir et le plaisir, à cette façon de ne pas comprendre ce qui nous arrive. Ça ne veut pas dire qu’on comprend, qu’après par la suite on sera heureux de ce qui nous est arrivé mais on est, ce sont des pulsions je suppose qui font ça, qu’on est complètement, parfois clivé entre quelque chose qui est dégoûtant et quelque chose qui, que, enfin voilà. Ça m’a fait penser en tout cas

C. Landman : Oui, vous avez raison, c’est bien ce qui est dérangeant dans la sexualité, que ce n’est pas correct. C’est pour cela aussi que Freud a été considéré comme quelqu’un de pas correct. Il disait ce qui était, quoi. Il pouvait se tromper, bien sûr.

Etudiant 6 : Je me demandais en quoi le fait de passer donc du vœu, du désir d’avoir le père, enfin du désir d’avoir un enfant du père et d’être déçue, et au moment où elle est déçue, la jeune fille, donc, substitue en fait ce désir d’avoir le père, d’avoir un enfant du père par une identification au père. Je me demandais en quoi ça apporte, ça peut lui apporter une solution en fait ?

C. Landman : Si vous voulez, c’est une solution mais c’est toujours pris dans une relation qui est une relation de défi à l’endroit de son père. Elle montre à son père au fond, qu’elle est, elle, capable de donner ce qu’il faut donner à une femme, ce que, autrement dit, il ne lui a pas donné dans l’inconscient, dans le fantasme inconscient, elle montre n’est-ce pas, ce dont elle est capable en position virile, en position d’amant comme je disais tout à l’heure, en position d’homme.

Etudiant 6 : D’accord

C. Landman : Et c’est toujours adressé au père et la preuve, c’est que le père réagit immédiatement. C’est là quand même, je trouve, que Freud apporte un éclairage. En quelque sorte, en donnant la raison de cette monstration qui consiste, n’est-ce pas, à être le chevalier servant pour elle, d’une dame. Autrement dit, c’est une façon, en quelque sorte de montrer au père qu’il a été à son endroit défaillant, qu’il n’a pas donné ce qui était attendu. Mais c’est dans l’inconscient. C’est éclairé, mais avant Freud, on n’aurait absolument rien compris, non seulement rien compris mais on n’aurait rien pu avancer, même si ces avancées sont partielles, on n’aurait rien pu avancer de ce qui était en jeu dans toute cette affaire.

Etudiant 5 : D’accord, merci

C. Landman : Moi je trouve que c’est assez éclairant, malgré toutes les insuffisances - on reviendra peut-être sur les insuffisances qui furent celles de Freud - mais il a quand même porté un coup d’éclairage sur toutes les manifestations cliniques qui autrement et avant lui étaient complètement incompréhensibles. Il n’y avait aucune intelligence de la situation, ça se réduisait à juger moralement. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question

Etudiant 5 : Si.

 C. Landman : Mais c’est quand même toujours adressé au père.

Etudiant 5 : D’accord, je ne sais pas si on peut dire, c’est une sorte de vengeance ou si c’est une sorte de…

C. Landman : Moi, je dirais que le terme de défi me paraît pas mal.

Etudiant 5 : D’accord

C. Landman : Il y en a peut-être d’autres. Oui, il y a une dimension là aussi passionnelle à l’endroit de sa relation au père.

Est ce qu’il y a encore une question ?

Etudiant 7 : J’ai une question ou une remarque sur le lien entre la chute et l’accouchement. En TD, on a eu un texte autour du petit Hans où la personne faisait la même chose. Je ne me souviens plus exactement ce que c’était : tombé du balcon et une fausse couche. Enfin, je vois l’image de l’accouchement ou du bébé qui descend et la chute. Mais comment dire ?

C. Landman : Oui…

Etudiant 7 : Est-ce que c’est quelque chose qu’il faut prendre comme ça, comme quelque chose d’un peu éclairant et se dire : « Ah oui, ça descend », « Tiens, c’est un peu pareil » ? ou j’allais dire, si j’avais lu ça il y a quelque temps, je me serais dit « Ah, mais c’est tiré par les cheveux ». C’était ça, ma remarque ou ma question.

C. Landman : Oui, en tant que tel… effectivement une situation…, ça peut être tiré par les cheveux, d’interpréter. Mais là en l’occurrence, si on rapporte la chute au fantasme qui était celui de cette jeune fille, avoir un enfant du père, ça peut effectivement être moins tiré par les cheveux, disons. À chaque fois qu’il y a une chute, ça ne se rapporte pas à l’accouchement. Cliniquement, il peut y avoir des passages à l’acte et un sujet qui tombe, ça n’est pas nécessairement en rapport avec l’interprétation sur le versant de l’accouchement.

Non, c’est dans ce cas-là qu’on peut, avec aussi le jeu, le terme... Freud repère cela par rapport au terme niederkommt. Ce n’est pas quelque chose qui tombe comme ça du ciel. C’est parce qu’il y a dans ce terme, une référence, enfin disons qu’il veut dire à la fois la chute et aussi l’accouchement en allemand. Enfin, je ne suis pas germaniste mais enfin il semble quand même que ça a été noté par Freud lui-même, qui quand même connaissait un peu l’allemand !

Il a insisté sur ce point mais ça ne se résume pas de ce qu’il en est de ce passage à l’acte

Etudiante 8 : Excusez-moi, si je peux me permettre une dernière question ?

C. Landman : Oui, bien sûr

Etudiante 8 : Vous avez parlé de la fugue de l’adolescent par exemple. Si j’ai bien noté, vous avez dit : là, c’est un exemple de passage à l’acte, il s’en va, il quitte la scène. Mais une fugue, parfois, peut être préparée. C. Landman : Oui.

Etudiante 8 : Donc, [l’adolescent] peut avoir réfléchi etc., et puis le faire quelque temps après. Est-ce que c’est aussi un passage à l’acte dans ces cas-là, parce que là il sait ce qu’il fait, il l’a préparé ?

C. Landman : Oui, dans ce cas-là, ce n’est pas nécessairement, cela peut être justement…

Etudiante 8 : Un acting-out

C. Landman : justement, un… mais faut-il encore que cette fugue comme vous le dites soit préparée, c’est-à-dire qu’il reste sur la scène en quelque sorte. Ce n’est pas parce qu’il fugue et à partir du moment où il l’a préparée, où il a assuré ses arrières, à ce moment-là effectivement il reste sur la scène. Il ne s’évade pas de la scène, d’une scène pour monter sur une autre

Etudiante 8 : D’accord. Donc c’est un événement, ce n’est pas l’événement,

C. Landman : Pardon ?

Etudiante 8 : Excusez-moi. Donc, ce n’est pas l’événement lui-même qu’on peut qualifier d’une catégorie ou d’une autre. C’est ce que le sujet a voulu montrer ou ce qui était derrière.

C. Landman : Oui, c’est ce que j’ai essayé de vous dire. C’est-à-dire que s’il a préparé sa fugue en allant ailleurs mais sur une autre scène… Il y avait le cas d’une jeune fille-là, qui avait disparu, qui est revenue chez sa mère, vous aviez entendu ça ? Alors, on n’a pas les détails, mais il semble qu’elle avait préparé cette fugue puisqu’elle avait en quelque sorte trouvé un refuge avant. Elle était en tout cas, je ne sais pas si elle l’avait trouvé avant, mais elle était arrivée chez quelqu’un qui l’avait accueillie, donc elle n’est pas allée au hasard comme ça peut arriver.

Remerciements

transcription : Isabelle HUBINET

relecture : Perline ROCHE et Anne VIDEAU