C.Landman : Le statut du symptôme depuis Freud

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Extrait

30 mai 2011

 

Alors, si vous voulez bien, nous allons nous attacher ce soir à commenter les premières lignes d’un texte très important de Freud « Pulsions et destins des pulsions » que Lacan a traduit, retraduit de la façon suivante : « Les pulsions et leurs vicissitudes ». Une autre traduction qu’il a donnée c’est : « Les aventures de la pulsion ». Je pense que la traduction à laquelle il s’est arrêté, c’est « Pulsions et vicissitudes des pulsions », texte écrit en 1915, et qui fait partie, avec ceux sur le refoulement et sur l’inconscient, d’un ensemble de textes recueillis en un même recueil intitulé Métapsychologie.

Je saisis cette occasion pour vous dire que nous essayerons d’approfondir ensemble, au cours des prochaines rencontres, jusqu’à la fin de l’année, c’est-à-dire jusqu’à la fin du mois de juin, les concepts freudiens de libido et de pulsion, et la manière dont il est possible à la suite de Freud de les articuler entre eux. Ce programme se rapporte à la question du statut du symptôme depuis Freud, puisque comme vous le savez probablement, un des destins possibles de la pulsion, de cette modalité de matérialisation de la libido qu’est la pulsion - et dont je vous rappelle qu’elle est pour Freud de part en part sexuelle, c’est même la manifestation par excellence de la dimension du sexuel dans l’inconscient - un des destins possibles donc de la pulsion consiste dans son refoulement. Refoulement qui - comme je l’ai longuement développé - est à l’origine du symptôme, refoulement qui porte, selon Freud, sur une représentation inconciliable avec ce qu’il appelle les exigences du moi qui se trouve ainsi être l’agent du refoulement selon des modalités qui resteraient à préciser ; le moi, agent du refoulement, au moins jusqu’à 1920, c’est-à-dire jusqu’à la seconde topique de Freud, puisqu’à partir de la seconde topique, le surmoi sera également agent du refoulement.

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Ce que nous avons du mal à mesurer aujourd’hui avec ce terme de pulsion (der Trieb) qui s’est banalisé dans la psychanalyse… mais aussi ce terme est passé dans le discours commun : « esclave de ses pulsions », c’est des choses que l’on entend, …ce que nous avons du mal à mesurer aujourd’hui, c’est à quel point la notion de Trieb chez Freud, est une notion absolument nouvelle par rapport à une longue histoire du mot, tant dans la psychologie, que dans la physiologie, et même dans la physique. Ce que Freud a fait du mot Trieb est quelque chose d’entièrement nouveau.

Alors aujourd’hui, bien sûr, tout ça on ne le repère plus. C’est bien entendu le problème de ce que l’on appelle l’historicité des concepts et des mots pour dire ces concepts.

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Il y a donc dans ce texte, dans le début de Pulsions et destins des pulsions, un souhait clairement formulé par Freud d’un empirisme, référence à l’expérience, aux matériaux de l‘expérience, autrement dit à la clinique ! Faut pas se tromper sur ce point, il s’agit de la clinique. Mais ce souhait d’un empirisme clairement formulé par Freud est strictement corrélatif d’un autre vœu absolument essentiel et qui est tout autant le vœu de Freud sans lequel il n’y a pas d’empirisme possible, c’est très clair dans le texte. Et c’est quoi ce vœu ? C’est celui d’une conceptualisation incroyablement poussée. Si vous avez un petit peu la pratique des textes de Freud, c’est véritablement quelqu’un qui poussait très loin en effet la conceptualisation, c’est quelqu’un qui vraiment nous a laissé des concepts extraordinairement travaillés. Et c’est pourquoi il est très important de toujours faire retour aux textes de Freud. Vous en aurez toujours un bénéfice. Toute lecture de seconde main de Freud est catastrophique. En tout cas, si elle se résume à être cette lecture de seconde main. Il faut lire Freud, contrairement à ce que pense un pamphlétaire que je ne citerai pas, dont je ne citerai pas le nom plus exactement. Faut lire Freud. Je crois que c’est quasiment une nécessité qui relève de l’hygiène mentale (rires). Je vous assure !

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Il est clair et même explicite que pour Freud - il le dit, il l’écrit - le concept de pulsion est un concept fondamental de la psychanalyse. Vous savez peut-être que Lacan le reprendra comme tel, comme un concept fondamental, dans le séminaire de 1963-1964 intitulé d’ailleurs Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Le titre a changé : au départ c’était pas celui-là, c’était Les Fondements de l’être, mais Lacan l’a transformé pour l’intituler Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Eh bien, il reprend dans ce séminaire la pulsion comme un des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, la pulsion au même titre que trois autres concepts fondamentaux : l’inconscient, la répétition et le transfert. Ça marche souvent par quatre. Et vous allez voir que la pulsion elle-même est écartelée et se divise en quatre. Pourquoi quatre ? Probablement par ce que quatre c’est le chiffre qui correspond au minimum de la structure. C’est pas pour rien, c’est pas par hasard que Lacan a parlé des quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, c’est pas par hasard que Freud a décrit, a divisé la pulsion en quatre parties. Il y a là, qu’il l’ait su ou pas, une référence à la structure.

Ce que nous avons du mal à mesurer aujourd’hui avec ce terme de pulsion (der Trieb) qui s’est banalisé dans la psychanalyse… mais aussi ce terme est passé dans le discours commun : « esclave de ses pulsions », c’est des choses que l’on entend, …ce que nous avons du mal à mesurer aujourd’hui, c’est à quel point la notion de Trieb chez Freud, est une notion absolument nouvelle par rapport à une longue histoire du mot, tant dans la psychologie, que dans la physiologie, et même dans la physique. Ce que Freud a fait du mot Trieb est quelque chose d’entièrement nouveau.

Alors aujourd’hui, bien sûr, tout ça on ne le repère plus. C’est bien entendu le problème de ce que l’on appelle l’historicité des concepts et des mots pour dire ces concepts.

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Lacan a parlé de son retour à Freud. Ce n’est pas un retour aux origines, ce n’est pas de ça dont il s’agit. Le retour à Freud de Lacan est à entendre au sens d’un deuxième tour, d’une deuxième boucle qui est susceptible de venir se refermer sur la première. C’est ça le sens du retour à Freud de Lacan. C’est un re-tour, un deuxième tour.

La deuxième remarque concerne le choix fait par Lacan de substituer à la référence aux concepts, c’est-à-dire à ce qui est sensé saisir… Concept en allemand, ça se dit Begriff, c’est-à-dire quelque chose qui a à voir avec la saisie, avec la main qui saisit, prendre, concept... Substituer à la référence aux concepts (c’est-à-dire à ce qui est sensé saisir une part du réel) la référence à la lettre et à sa combinatoire, c’est-à-dire référence aux mathèmes, à ce que l’on a appelé, à la suite de Lacan, les mathèmes. Et il est vrai qu’à part peut-être… et encore, je ne vois pas… j’allais dire la jouissance, mais je ne vois pas chez Lacan, dans l’enseignement de Lacan qu’il ait avancé un concept. Si vous n’êtes pas d’accord, vous pouvez me contredire, je serais content de savoir si Lacan a avancé un concept. Il a repris, il a fait un retour aux concepts freudiens, mais je ne suis pas certain, loin de là, qu’il ait lui-même avancé des concepts. Il me semble qu’il a substitué cette référence au concept, qu’il lui a substitué une référence aux mathèmes et à la topologie. Puisque la topologie ne peut se penser que par rapport à une combinatoire littérale, même si elle a aussi, bien entendu, à se présenter dans l’imaginaire. Imaginaire qui n’est pas l’imaginaire euclidien, mais qui néanmoins se présente sous forme de figure. Et il est bien clair que si Lacan a tenté d’écrire des mathèmes, c’est parce qu’il pensait que ça serait plus facile de transmettre des mathèmes que de transmettre des concepts, que peut-être les mathèmes, du fait de cette écriture de type mathématique, de cette écriture littérale, eh bien il était peut-être plus difficile de les voir en quelque sorte absorbés dans le discours commun, dans le discours courant. Il y a une résistance de l’écriture littérale qui fait qu’elle est peut-être moins susceptible d’être émoussée que le concept. C’est une question : est ce qu’il a réussi ? C’est une question que je me pose, que beaucoup se posent, c’est évidemment une question. Il disait souvent : vous pouvez…, finalement mes mathèmes il y en a dix, cent lectures possibles, mais l’écriture en tant que telle, l’écriture du mathème, elle reste et elle est évidemment bien difficile à éroder.

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Je vous demande pardon, on peut ne pas être d’accord avec moi, en l’occurrence là je m’appuie sur la position qui est celle de Lacan, il n’y a pas d’éthique naturelle. L’éthique, fondamentalement, elle n’est mise en jeu que par l’intermédiaire du signifiant. Avant le signifiant, il  n’y a pas d’éthique pensable.

Peut-être encore un tout petit mot sur ceci que Lacan va proposer de substituer au terme convention à propos de la pulsion, le terme fiction.

Une fiction, c’est ce qui n’est pas représentable directement. Mais une fiction, c’est ce qui permet de faire avancer justement ce qui est à prendre en considération du rapport au réel. Le réel qui, comme je vous l’ai souvent dit, n’est pas représentable. Bentham distinguait et opposait les entités fictives, n’ayant aucune substance, crées par les mots, et les entités réelles, au sens de la réalité, c’est-à-dire au sens des entités qui ont une représentation, au sens des substantifs, des mots qui renvoient à une substance.