G.Bergounioux : Introduction à la lecture de "De l'essence double du langage"

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Extrait

14 mars 2011

Sachant à peu près l’impression que peut laisser la lecture de De l’essence double du langage à qui s’y aventure, j’en déduis que si vous vous êtes déplacés, ce n’est pas pour Saussure mais pour moi, ce dont je vous remercie.La lisibilité de Saussure croît extrêmement lentement. Lorsqu’à vingt et un an, il commence par un premier coup d’éclat avec le Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes, tous les grands linguistes de l’époque, à commencer par celui à qui il s’est adressé, Karl Brugmann, une référence en matière de grammaire comparée, tous ont déclaré que ses conclusions étaient erronées. Il a fallu cinquante ans pour qu’une preuve épigraphique, le déchiffrement du hittite, démontre que Saussure avait seul compris le fonctionnement interne du vocalisme. Quant au Cours de linguistique générale, il connaît un véritable succès en France à partir des années cinquante ; or ces cours (il y en a trois) ont été prononcés à partir de 1907. D’habitude, il faudrait donc compter un demi-siècle pour que Saussure devienne lisible. De l’essence double du langage aura attendu le double, cent ans, avant de nous interroger. Comment expliquer ce délai ? Dans quelles conditions nous est-il parvenu avant qu’il ne figure en tête des Écrits de linguistique générale ?

Dans quelles conditions nous est-il parvenu…  Comme vous êtes intéressés par ces phénomènes, vous aurez peut-être noté le pluriel. Si vous ne l’avez pas noté, c’est normal, il ne s’entend pas. Mais il y était. Pourquoi au pluriel ? D’abord, pour les conditions de l’édition. Gallimard n’est pas le moins connu des éditeurs mais, curieusement, c’est dans la collection « Bibliothèque de philosophie » et non dans la « Bibliothèque des sciences humaines », où figurent par exemple les Problèmes de linguistique générale de Benveniste, que l’ouvrage paraît. Conditions de réception ensuite, et enfin conditions de présentation, une présentation très fragmentaire, difficile à lire en continu, avec l’impression qu’il y a bien des répétitions. L’édition, la réception, la présentation, vous avez le plan et à la fin, pour laquelle on garde le meilleur, on parlera du texte. C’est dire à quel point ce soir, c’est du sérieux.

Avant d’entreprendre la lecture, il y a le titre : De l’essence double du langage. Essence est un terme dont on ne se sert à peu près jamais en linguistique, ici précédé par « de », du latin de qui veut dire « au sujet de », un thématiseur, et suivi par l’essence double quand on attendrait plutôt l’antéposition de l’adjectif : « Double essence ». Autant d’indices qui nous mettent la puce à l’oreille.