Hubert Ricard : Introduction à la lecture de textes philosophiques en psychopathologie

EPhEP, le 18/03/2011

Je vais tout de même évoquer, dans une brève conclusion, je dirais, comment on peut référer cette dialectique au grand registre lacanien de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel. L’Imaginaire, je vous l’ai dit, c’est ce qui, d’une certaine façon, correspond au souci de Lacan quand il aborde la dialectique du maître et de l’esclave, et, en prenant les choses au plan de l’image spéculaire, on peut dire que la lutte à mort hégélienne illustre fort bien le fait que tant qu’on en reste au seul imaginaire, rien ne vient tempérer la destruction qu’implique la transitivité de l’image.

Il n’y a pas à se rassurer sur l’idée d’un Moi qui ferait synthèse et constituerait par lui-même un repère du sujet dans l’Imaginaire. Lacan a substitué à cette référence au Moi la relation spéculaire, la relation à l’image de l’autre, relation transitive puisque ça signifie qu’il n’y a pas de frontière, à la limite, entre le Moi et le petit autre, et relation agressive dans la mesure où rien ne la règle, c’est-à-dire qu’on passe aussi bien d’un sentiment positif à un sentiment négatif.

(…)

Ce que Lacan visait, ce n’était pas Freud, c’était la psychanalyse telle qu’elle émergeait de son temps : la psychanalyse de l’Institut, la psychanalyse de l’adaptation et la psychanalyse, qui voulait d’ailleurs s’appuyer sur le Moi, c’était la psychanalyse américaine aussi, pour renforcer les défenses du sujet, et qui prenait donc un tour absolument contraire à celui qui était la voie même de la psychanalyse aux yeux de Lacan, c’est-à-dire une dimension que Freud avait admirablement pointée même si, lui aussi, fait beaucoup de références au Moi, et qui est celle de la vérité du sujet. Et, à partir du moment où une psychanalyse est centrée sur le Moi, il est bien sûr que ce n’est pas une véritable psychanalyse et qu’elle évite en quelque sorte les questions fondamentales qui concernent le sujet.

Alors il est certain, en outre, que ces psychanalystes avaient un grand mépris pour la culture philosophique. C’était une culture essentiellement médicale. Je me souviens d’avoir entendu un de mes amis, je peux le nommer, Claude Dorgeuille que nous avons perdu récemment, qui me disait que, quand Lacan a lancé un séminaire sur le Banquet de Platon, ça avait provoqué des ricanements. Qu’est-ce que venait faire Platon dans la psychanalyse et dans la science, n’est-ce pas ? C’est que la philosophie spontanée de ces analystes, c’était une psychologie extrêmement banale, qui ne va pas de soi, et tout l’effort de Lacan au début des Écrits, c’est précisément de montrer qu’il faut faire intervenir tout autre chose, c’est là qu’il fait intervenir le schéma L qui nous montre le grand Autre dans la position de se situer par rapport au Sujet et de créer une distance par rapport à un Imaginaire qui n’est pas lui-même d’ailleurs homogène et qui est soumis, dans la relation spéculaire, à l’incertitude de la transitivité.