Édito de Claude Landman : Parlêtres

Le néologisme le parlêtre, forgé par Lacan et préféré à lêtre parlant pour caractériser notre espèce, signifie d’abord que l’être, quelle que soit la forme sous laquelle son concept se décline, ne précède pas la parole mais est la conséquence de son exercice. C’est la parole qui fait surgir à l’horizon la dimension de l’être dans sa complétude.

Mais cette écriture, le parlêtre, témoigne aussi, dans la forme même qu’elle revêt, que la parole est non seulement la condition de l’invention, à la naissance de la philosophie occidentale, de la catégorie de l’être, mais également ce qui, par le jeu de la lettre, le décomplète.

La référence au terme de parlêtre nous permet également de nous passer de celle qui est faite habituellement depuis Aristote à l’homme en tant qu’espèce, défini tantôt comme animal parlant ou raisonnable selon la traduction qui est faite de logos, parole, langage, ou raison, tantôt comme animal politique.

Le parlêtre, contrairement à l’être ou à l’homme, n’est pas un concept universel et ne nécessite aucune définition : il s’agit d’une écriture qui produit un effet de sens.

Cette terminologie lacanienne, absolument inédite, susceptible de désigner finalement tout un chacun en tant qu’il est déterminé singulièrement par son rapport au signifiant, accentue l’importance dans la pratique de la chaîne signifiante, telle qu’elle se déroule dans l’émission de la parole du sujet qui vient nous consulter. Aborder la clinique à laquelle nous sommes confrontés par la voie de ce déterminisme signifiant, structural, peut sembler bien aride, mais ne permet-elle pas d’éviter bien des difficultés, à commencer par les méprises qui concernent la nature du symptôme tel qu’il se présente à nous en psychopathologie, dans sa variété ?

En effet le symptôme, au même titre que le néologisme parlêtre, est inclus dans un procès d’écriture. Son interprétation ne relève pas d’une explication, ainsi que Freud l’avait repéré dans Au-delà du principe de plaisir, mais d’une lecture littérale à partir du discours qui est effectivement prononcé par le patient.

Autrement dit, une pratique rigoureuse de l’interprétation par le psychanalyste ou le psychothérapeute pourrait être du même ordre que la production du néologisme le parlêtre par Lacan, en tant qu’il fait entendre ce que les concepts d’être et d’homme refoulent dans notre culture.

 

Claude Landman

12 janvier 2023