S.Thibierge : Qu’est-ce qu’"une femme" nomme ?

Conférencier: 

EPhEP, le 12/01/2015 


La question de ce que « une femme » signifie est une question difficile. Je vais donc reprendre ça d’une façon plus suivie, à partir d’une question très précise que je vais dérouler pour vous présenter cette difficulté de ce que « une femme » nomme.

 

Le rapport à l’image du côté des psychoses : les syndromes de fausse reconnaissance

La question dont je vais partir, c’est le rapport à l’image. Le rapport d’un sujet à son image notamment, et pourquoi ce rapport est il moins assuré, plus complexe, à certains égards plus précaire, chez une femme que chez un homme. Pourquoi c’est comme ça, et comment est ce que ça se présente ?

Le fil de cette question, je vais l’attraper pour commencer du côté par où il nous est très sensible, très évident même une fois qu’on l’a remarqué, du côté des psychoses. Et plus précisément des psychoses qui présentent des syndromes de fausse reconnaissance. Ces syndromes évoqués la dernière fois, je vais y revenir brièvement, juste pour ce qui m’intéresse. Les syndromes de fausse reconnaissance psychotiques, ont ceci qui intéresse notre question, c’est qu’ils sont, pas uniquement, mais électivement féminins. Il s’agit principalement du syndrome de Capgras et du syndrome de Fregoli. Ce sont des syndromes  dans lesquels nous observons une disjonction, une déliaison entre le nom d’un coté, et l’image de l’autre. Soit, dans le syndrome de Capgras, un nom va se délier d’une multiplicité indéfinie d’images. Par ex. au lieu de reconnaître Pierre, je vais dire, comme dit la patient du cas premier qu’on a isolée : Pierre, à chaque fois que je le vois c’est un sosie, ce n’est pas lui. Donc on a une démultiplication à l’infini, ou indéfinie, c’est important parce que vous verrez comment nous allons retrouver bizarrement ce caractère indéfini dans le rapport d’une femme à son image. Mais pour le moment, remarquons simplement que dans le syndrome de Capgras, un nom, au lieu de venir comme ça nous paraît naturel, au lieu que le nom vienne s’associer à l’image comme quand nous reconnaissons les gens, un nom  va venir se diffracter dans une multiplicité indéfinie d’images. C’est ce que un psychanalyste qui s’appelle Eric Porge, dans un article de qualité, avait résumé en disant d’un point de vue logique : Le même est toujours autre. Le même, c’est à dire un même nom, est toujours autre, c.à.d. ne cesse de se diffracter en une série indéfinie d’images. Pour le dire autrement, nous pouvons dire que L’autre, dans ce cas, pour ces sujets, dans cette forme de psychose, on peut dire que l’autre comme image, renvoie à une suite ouverte, indéfinie. Si vous avez la curiosité de lire le cas princeps du syndrome de Capgras tel que je l’ai déplié dans l’ouvrage que j’ai consacré à ces questions, Le nom, l’image, l’objet, vous verrez comment c’est très sensible la façon dont l’autre se diffracte en une suite ouverte indéfinie.

 

L’autre syndrome principal qui illustre ces questions, disjonction très radicale entre le nom et l’image, c’est une autre forme où cette fois ci un nom, au lieu de renvoyer à une multiplicité indéfinie d’images, un nom va renvoyer à toutes les images possibles. Autrement dit toutes les images possibles vont être corrélatives d’un seul nom. Un nom, va donc renvoyer à une clôture. Et c’est le syndrome de Fregoli qui s’appelle comme ça, dans la mesure où la patiente qui a la première fois révélé ce syndrome disait : l’actrice Robine - qui était un idéal pour cette patiente, pour cette femme, elle était la voir souvent au théâtre, c’est donc une femme qui avait pour elle une valeur d’idéal, cet idéal est devenu à un moment donné complètement persécutif, c.à.d. que toutes les images d’autres qu’elle rencontrait, elle disait : c’est Robine. Et elle disait : Robine me persécute, elle m’envoie des influx, elle touche, elle agit sur mon corps. Et c’est important à noter, c.à.d. que la patiente qui a révélé pour la première fois ce syndrome, parlait de son corps d’une façon très intéressante, comme partagé entre elle même d’un coté, et puis de l’autre coté l’actrice Robine. Donc son corps était des deux cotés, du côté d’elle, et du coté de l’autre. C’est intéressant de voir comment le corps n’était plus limité comme ça, à une unité imaginaire. C’était des deux côtés. Elle disait par ex. : Plus l’actrice est belle - donc du coté de l’autre - plus je dois me masturber, parce que la fatigue de mon corps produit la beauté de l’actrice. Il y avait donc une étrange non distinction entre le corps de l’une et le corps de l’autre. Il est important de noter cette indistinction entre le corps propre d’un côté, et autre de l’autre.

 

Dans ces syndromes nous observons ceci : le nom et l’image sont disjoints. Il y a le nom d’un coté, il y a l’image d’un autre coté. Habituellement dans la vie ordinaire, lorsque nous sommes pris dans nos habitudes et dans nos fonctionnements ordinaires, nous ne séparons pas le nom et l’image. Quand nous voyons quelqu’un que nous connaissons, on dit : je reconnais l’autre, je reconnais Jean, Pierre, ou Paul. Ça veut dire que dans le cours spontané, ordinaire de notre activité mentale, nous avons l’habitude de penser – je ne dis pas que nous avons raison - comme si le nom et l’image, au lieu d’être disjoints, comme si ils étaient tous les deux… habituellement nous les superposons, je ne dis pas que nous avons raison, mais en tout cas nous sommes habitués à les superposer, comme un cercle, ou comme le visage de quelqu’un. Ça fait partie de ce qui caractérise notre imaginaire et notre rapport au symbolique, il faut qu’il y ait un peu de sens. Et nous reconnaissons les choses, les gens, la réalité de cette façon. Nous superposons le nom et l’image. Ça ne fait qu’un.

C’est très important cette superposition, parce que c’est ce qui fait que nous reconnaissons la réalité, les gens, les objets. Nous pensons dans ce cas que le nom et l’image sont superposés, que le nom, c’est le nom de l’image et que l’image c’est l’image correspondant au nom. Cette correspondance, en tant qu’habitude mentale, entre le nom et l’image porte un nom en psychopathologie,  cela s’appelle : la reconnaissance. Et dans les syndromes de fausses reconnaissances psychotiques, cette reconnaissance ne tient pas, cette superposition du nom à l’image ne tient pas, c.à.d. que elle n’est pas liée, et c’est pourquoi le nom part d’un coté, l’image part de l’autre. D’ailleurs dans les psychoses en général cette reconnaissance ne tient pas, mais là c’est particulièrement net et très bien présenté dans notre expérience, dans les syndromes de reconnaissance, l’image d’un coté, l’image de l’autre. Mais vous trouvez ça dans toutes les psychoses, mais pas toujours de façon aussi claire.

La reconnaissance désigne en psychopathologie le fait qu’habituellement nous reconnaissons quelque chose que nous appelons « la réalité ». La réalité c’est ce que nous reconnaissons. En ce moment même vous voyez autour de vous la salle, les lumières, le tableau, un conférencier, etc. Tout ça c’est la réalité, c’est ce qu’on appelle la réalité. Et la réalité, et la reconnaissance de la réalité sont considérées comme normales, quand cette reconnaissance se fait d’une façon apparemment spontanée, sans bruit, de manière relativement monotone, comme en ce moment. En ce moment vous voyez les couleurs pas trop accentuées, vous entendez ma voix quand je vous parle, c’est pas trop accentué non plus, c’est dans une certaine monotonie, dans une certaine uniformité qui se fait sans se faire remarquer, ça se fait comme spontanément. Nous reconnaissons de cette façon apparemment spontanée, que nous appelons normale, il nous semble qu’il n’y a pas de rupture, pas d’écart entre les mots, le langage, les noms, comme quand je vous parle là maintenant, et puis les images que nous avons à partir de ces noms, à partir de ces mots, les images que nous percevons des autres, des objets, de la réalité. Ça nous paraît constituer une sorte de continuum, de continuité, ni trop bruyant, ni trop coloré. Autrement dit, ce que nous percevons, ce que nous appelons le sensible, le monde sensible, quelque fois on dit : ça nous arrive dans cette monotonie, sans achoppement, sans rupture, comme maintenant. Vous êtes dans cette reconnaissance. Pour le dire d’une façon plus précise, ce sensible dont je vous parle, fait sens. Mais sans être trop sensible justement, sans être trop coloré et sans être trop bruyant. Et ça, ce sensible qui fait sens, et de façon discrète, souvent ce n’est pas discret, c’est hallucinatoire, ce n’est pas ça dont je vous parle, je vous dis : le sensible, quand il fait sens, mais de façon discrète, monotone, c’est ça que nous appelons, assez précisément, la reconnaissance. Il y a une continuité apparente entre les noms et nos images, ou nos représentations de ces noms.

Je précise que c’est une continuité apparente, parce que il y a des moments où nous percevons très bien que cette continuité, notre perception de la réalité, il y a des moments où cette continuité s’interrompt, il y a des ruptures. Par ex. lors de ce que nous appelons « l’angoisse ». L’angoisse, c’est la preuve que la réalité n’est pas si docile pour se laisser cadrer et reconnaître. Dans l’angoisse, la reconnaissance, ça ne marche plus tout à fait, on ne reconnaît plus tout à fait bien. C’est donc la preuve que la réalité n’est pas si docile, qu’elle se laisse si facilement reconnaître, par les noms, par les mots, par le langage.

Et puis il n’y a pas que l’angoisse qui nous montre que la reconnaissance n’est pas si assurée que ça, autrement dit que la réalité n’est pas si assurée. Les faits de la psychose que je vous rappelais tout à l’heure, cette séparation entre le nom et l’image, nous prouve aussi que cette réalité n’est pas assurée et peut de temps en temps se rompre. Autrement dit, entre le symbolique - le langage - et d’un autre coté l’image, ou encore le sens, j’ai parlé du nom et de l’image… - faisons un petit pas de plus, au lieu du nom, disons le symbolique, c.à.d. les noms, le langage - entre le symbolique et ce qui fait image, autrement dit ce qui fait sens, puisque l’image et le sens, c’est la même chose. Entre le symbolique et l’image, ou l’imaginaire, le domaine du sens, il y a parfois quelque chose qui vient faire échec à ce que leur mise en continuité, la mise en continuité des noms et des images, mise en continuité à laquelle nous sommes habitués, à laquelle nous croyons, et bien il y  a quelque chose de temps en temps qui vient faire échec à ce que cette mise en continuité, à ce que cette correspondance soit possible. Ce quelque chose qui vient empêcher cette continuité, c’est ce que nous appelons à la suite de Lacan, notamment mais pas seulement, « le réel ». Le réel, c’est quelque chose qui vient empêcher que le nom et les images soient complètement superposés, le réel c’est ce qui vient les délier, et du coup : angoisse.

Autrement dit nous apprenons en formulant les choses comme ça, que ce qui fait que se distingue, se sépare le symbolique et l’imaginaire, c’est quelque chose, je ne sais pas encore quoi, mais c’est quelque chose que nous appelons « le réel ». C’est le réel qui vient faire échec à ce que le nom et l’image soient comme ça apparemment superposés. Le réel empêche ça, le réel surgit, par ex. l’angoisse. L’angoisse c’est quand on est en contact avec le réel, le réel fait que cette continuité n’est plus possible.

 

Ici je fais une pause qui va nous faire faire un pas de plus par rapport à ce qui nous intéresse. Il est intéressant de remarquer que justement ce que nous appelons « une femme », autrement dit ce signifiant « une femme » - parce que c’est un signifiant, c’est un mot du langage - ce nom, il est très remarquable qu’il n’a pas ce nom pour nous, dans les sociétés humaines, dans la nôtre, mais dans toutes les sociétés humaines c’est comme ça, ce nom « une femme », n’a pas de sens ou d’image stable. Ça c’est quelque chose de surprenant qui vaut qu’on s’y arrête. Ce qu’on appelle une femme, n’a pas de sens ou d’image stable. Par là, je veux par là vous souligner que dans toutes les sociétés connues, il y a une variété plus ou moins grande, parfois très grande, très importante, d’autres fois plus réduite, mais il y a toujours une variété repérable comme telle, de parures, d’ornements, de vêtements, qui viennent orner, habiller le corps de ce qu’on appelle « une femme ». Dans toutes les sociétés, ce que nous appelons « une femme », c’est un corps, c’est quelque chose, c’est matériel, un corps qui doit être habillé, qui doit être  paré, orné, et ce qui est remarquable c’est que la diversité, la variété de ses parures est toujours remarquable. Toujours. Sauf dans les sociétés qui sont très totalitaires, l’extrême, le terme absolu du totalitarisme c’est quand justement une femme et un homme, c’est considéré exactement de la même manière du point de vue de la parure et de l’habillement. C’est une parenthèse.

Mais vous me direz, un homme, un homme aussi il a besoin d’être habillé, il ne peut pas être tout nu. C’est vrai bien sûr, mais un homme, moins, c.à.d. la variété est beaucoup moins grande. Bien sûr ça se remarque aussi, un homme peut se parer, s’orner, s’habiller de différentes manières, mais c’est beaucoup moins remarquable, ça se remarque moins, c.à.d. c’est moins fréquent. Et quand vous avez un homme qui se met à se parer, à s’orner, à  s’habiller comme une femme, ça se remarque, c.à.d. ça se distingue. Habituellement ce n’est pas courant. Il y  a donc là l’indice très riche et d’une grande diversité, culturellement, il y a pour nous l’indice de quelque chose chez une femme, qu’il faut habiller de façon extrêmement diverse, comme si, c’est à peine un « comme si », parce que c’est bien réellement comme ça, comme si ce terme « une femme » ne faisait pas image si facilement. Il ne faut pas que ça fasse image si facilement puisqu’on est toujours en train de l’habiller de différentes manières et d’inventer des modes nouvelles sans cesse et sans cesse. Bien sûr il y a des sociétés où c’est plus stable, mais dans notre société c’est  beaucoup plus rapide. En tout cas, c’est bien la preuve qu’il y a quelque chose chez une femme qui ne fait pas image si facilement, et du coup on l’habille de diverses manières, et ce sont les variations infinies que nous montrent non seulement la mode, mais les modes dans les différentes cultures. Sans aucune exception. Seule exception, c’est ce que nous trouvons dans le  totalitarisme, et encore. Je pense qu’on pourrait peut être montrer comment il n’est pas tout à fait possible de réduire à zéro ce que représente l’habillage et l’habillement du côté d’une femme.

 

Je vous disais chez un homme aussi, mais d’une façon moins sensible. Effectivement et en clinique on le remarque très facilement, dans la vie quotidienne aussi bien, un homme peut très bien se contenter du vêtement dont on l’habille, et s’en contenter dans une grisaille que nous connaissons assez bien. Un homme peut se balader dans une espèce de costume de grisaille ordinaire, comme ça, toute sa vie, ça ne le dérangera pas forcément. Il n’est pas obligé bien sûr, mais il peut le faire et c’est tout à fait ordinaire. De même qu’un homme peut très facilement se couler dans un uniforme et s’en porter pas moins bien, ça ne le gênera pas trop bien souvent. Vous me direz, une femme aussi peut se mettre dans un uniforme, bien sûr. Mais ça la tirera du coté homme, ce n’est pas ce qu’elle fera de plus féminin en tant que femme.

 

Comment pouvons nous traduire ces remarques ? Nous pourrions dire que un homme, pour ce qui concerne l’apparence, autrement dit le semblant qui concerne son image, on peut dire que ce semblant, cette apparence ne lui fait pas particulièrement difficulté. Il n’est pas spécialement en difficulté de ce côté là, du côté du semblant. Par contre, pour une femme, ce semblant est plus difficile, et la première preuve c’est la multiplicité, la variété des ornements et des habillages qu’une culture prépare pour habiller une femme. Ça c’est une preuve, mais vous avez aussi une preuve que vous pouvez allez cherche chez une femme elle même. C’est à dire que une femme en fait souvent une difficulté, et une question qu’elle adresse à l’autre, c.à.d. qu’elle lui demande : Est ce que ça va comme ça ? Est ce que l’image tient ? Ça nous fait sourire, mais c’est très sérieux pour une femme ça, quelque fois c’est même angoissant. Est ce que l’image tient ? Autrement dit, vous voyez comment pas à pas nous arrivons à cette difficulté très précise qu’une femme représente quelque chose qui a besoin d’être habillé, autrement dit qui fait difficulté dans l’ordre du semblant.

 

Ceci m’amène à faire un pas de plus et à vous dire quelque chose qui vous a déjà été dit, mais nous allons l’amener à partir des remarques que je suis en train de vous faire. Homme ou femme, ce ne sont pas des réalités ayant un sens ou une image assurée par la nature ou par la biologie, ou encore  par l’anatomie. Homme ou femme, ce sont des termes symboliques, ce sont des termes du langage renvoyant à un corps. Pas n’importe quel corps, qui est le corps de l’animal affecté par le langage, l’animal humain. Autrement dit, homme et femme, ça renvoie au corps de ce que Lacan appelle non pas un être, mais un parlêtre, pour bien souligner que coté homme, coté femme, d’un coté comme de l’autre, il n’y a pas là d’être stable, il n’y a pas  de stabilité attrapable, et attrapable comme être, il n’y a que du parlêtre justement. C’est à dire du semblant. Puisque vous entendez bien, dans « parlêtre », il y a une  proximité avec « paraître », ce parlêtre, ce n’est pas « paraître », c’est  lié au semblant, semblant d’homme et semblant de femme. Et la manière dont aujourd’hui j’aborde cette difficulté, la difficulté de ce qui les distingue, semblant d’homme et semblant de femme, c.à.d. ces deux cotés sexués du parlêtre, la manière dont j’aborde ici la difficulté, c’est en vous disant qu’une femme a plus de difficulté avec le semblant, que le parlêtre du coté homme. Et ça, ça n’a rien de naturel, ce n’est absolument pas une réalité anatomique biologique ou naturelle.

 

Quelle est cette difficulté d’une femme avec le semblant ? C’est par ex. : quelle image donner à ce nom ? Comment l’habiller ? C’est la question qu’une femme peut se poser le matin. Qu’est ce que je vais mettre aujourd’hui ? Ce n’est pas seulement une difficulté pour elle, c.à.d. que cette difficulté n’est pas seulement une difficulté subjective, c.à.d. vécue du côté d’une femme. C’est aussi une difficulté que l’on peut dire objective pour une société humaine. C’est à dire que chaque société humaine, à sa façon, pose la question : « une femme », qu’est ce que ça a comme sens, ou qu’est ce que ça a comme image, qu’est ce que cela signifie, autrement dit. Et là, vous voyez que - par chance, je vous fais cette conférence quelques jours après que vous avez pu entendre Barbara Cassin vous évoquer comment depuis Aristote, dans la tradition occidentale, on s’est barricadé contre tout ce qui ne venait pas faire sens dans un schéma de significations, où justement le nom et l’image sont superposés. Aristote est le premier qui a dit : tout ce qui se dit sans faire sens, autrement dit tout ce qui ne signifie pas quelque chose de précis, ce n’est pas digne de figurer au titre de langage. Barbara Cassin rappelait très bien que pour Aristote,  ce qui parle sans signifier quelque chose de précis, c’est comme la plante. Vous voyez où ça nous mène cette histoire de rapport  d’une femme et du semblant. Toutes les sociétés humaines se sont demandées « une femme », qu’est ce que ça signifiait, autrement dit comment habiller ce nom avec ce sens ? Autrement dit les sociétés humaines par rapport à ce que dit Aristote, ont  toutes  posé la question en quoi une femme c’est une plante, si je prends la terminologie d’Aristote. Mais toutes les sociétés humaines ne sont pas aussi bornées qu’Aristote sur ce point. Parce que Aristote disait que si on a affaire à quelque chose qui ne signifie rien de précis, alors c’est du langage comme d’une plante. Il faut bien dire que de ce point de vue là, la difficulté qu’une femme représente, c’est la difficulté de la plante… C’est à dire que justement, on se demande ce qu’elle signifie, « une femme », ce que ça signifie. Et ça, ça vient faire question dans une société, d’une façon que je vous demande de remarquer, je ne dis pas que c’est bien ou que ce n’est pas bien, je vous demande juste de remarquer ce point que toute société se demande comment faire image avec une femme, c’est à dire comment l’habiller. Ce qui n’est pas le cas avec les hommes. C’est quand même quelque chose d’extrêmement propre à nous faire questionner.

 

-  Pourtant il y a de plus en plus de magazines de modes masculins.

 

ST : C’est vrai, mais on pourrait montrer sans difficulté que aujourd’hui nous avons une sorte de tendance, de ce point de vue là à… Parce que un homme et une femme ne sont pas des réalités naturelles, vous avez donc des femmes qui peuvent très facilement venir du côté homme, comme des hommes peuvent venir du côté femme. On pourrait dire sans simplifier trop qu’il y a aujourd’hui une sorte de féminisation qui est très sensible, du rapport à l’image.

 

J’attire votre attention sur cette question remarquablement posée par les sociétés humaines, de ce qu’une femme signifie, autrement dit de la difficulté qu’il y a là à faire sens. Nous pouvons relever cette question  et cette difficulté à partir de la variété d’habillages, d’ornements dont les sociétés  habillent une femme, mais nous pourrions aussi relever cette difficulté  dans la clinique, dans la clinique ordinaire. Prenez par ex. le névrosé obsessionnel classique. Pour un obsessionnel, de façon très banale, « une femme », c’est un terme dont il est très difficile de faire image. Parce que pour un obsessionnel, ce terme « une femme » va être pris de manière inconciliable, d’une manière dont vous ne pourrez pas faire la synthèse entre d’un côté la dame que l’obsessionnel va idéaliser, la dame qui va être pour lui l’idéal qui commande ses pensées, son monde, sa bulle, ses ronds. Il y a d’un coté cette dame, et d’un autre coté il y a l’objet dégradé, ce n’est plus du tout  la dame, c’est plutôt la putain, l’objet dégradé avec lequel il va satisfaire son désir en tant que sexuel pulsionnel. Là, il y a deux côtés de ce que « une femme » désigne, qui sont parfaitement inconciliables. Donc vous voyez encore la difficulté de faire sens avec ce terme « une femme ».

 

Cette difficulté d’une femme avec l’image, je vais essayer d’en interroger plus précisément avec vous les modalités. C’est à dire, comment ça se présente, et comment ça se fabrique cette difficulté. Cette difficulté concerne le rapport à l’image. Ce rapport n’est pas le même pour un homme ou pour une femme. Il faut que je vous rappelle brièvement comment se constitue l’image, l’image dans le miroir, et voir comment ça se passe d’un côté et comment ça se passe de l’autre.  Je ne vais pas être long sur ce rappel, parce que ce n’est pas ce qui m’intéresse spécialement ce soir, mais je voudrais simplement vous rappeler les éléments fondamentaux suivants : pour qu’une image puisse se constituer dans le miroir - je vous rappelle que ça se passe entre l’âge de six mois et dix huit mois - au départ nous avons un corps, le corps du petit parlêtre, le corps du bébé qui vient de naitre, je le représente souvent comme ça parce qu’il est effectivement morcelé, c’est un corps qui n’a aucune image, qui n’a aucune unité, qui est aussi morcelé qu’on peut l’imaginer, qui est cessible à l’autre, et qui est un corps de jouissance. « Jouissance », c.à.d. de tensions, d’excitations, de perceptions diverses, d’inconforts, de rapport au langage aussi, c’est un corps qui est déjà complètement pris dans le langage. Et la question va être : comment est ce que ce corps va pouvoir être représenté ? S’il n’est pas représentable, il n’y aura pas d’images. Pour qu’il soit représentable… vous avez ce multiple, ce réel, ce morcellement premier, cette jouissance aussi, nous sommes en plein dans la jouissance,  pour que quelque chose de ça – qui est à la limite pas nommable - puisse être représenté, il faut qu’un peu de jouissance, il faut que ce corps complètement investi de jouissance, il faut que quelque chose de la jouissance tombe, il faut qu’il y ait quelque chose qui soit soustrait de cette jouissance. Ce quelque chose on peut l’appeler X, c.à.d. un objet, qui va… ou non d’ailleurs, puisque dans les configurations des psychoses, ce quelque chose ne tombe pas, mais en fait il est nécessaire pour que le corps du petit parlêtre puisse être représenté, il est nécessaire que quelque chose de ce réel morcelé, de cette jouissance tombe. Ce quelque chose qui tombe, c’est d’abord, en premier lieu, ce qui est valorisé par l’Autre, c.à.d. bien souvent par la mère, au titre du phallique. C’est à dire, pour le garçon comme pour la fille, ce phallique, ça renvoie à un manque qui affecte le corps du petit bébé. L’Autre maternel, la mère, perçoit qu’il y a dans ce corps, garçon ou fille, une zone qui va être investie d’une certaine valeur, d’un certain prix, valeur phallique pour le garçon comme pour la fille, mais ce qui va être là investi du corps, est ce que c’est déjà du phallique réellement ? Non c’est du manque, c’est du phallique comme manque. Là où les choses deviennent à la fois complexes et nous intéressent, c’est que ça n’est pas le même manque du coté homme et du coté femme. Autrement dit, comme je vous l’avais dit la dernière fois déplié autrement et d’une manière qui ne m’a pas paru satisfaisante, ce qui fait la différence entre une femme et un homme, c’est le rapport au phallique, et au phallus, c.à.d. à ce manque que l’Autre va en quelque sorte marquer sur le corps du parlêtre, dont l’Autre va marquer le corps du parlêtre. Et ce rapport au phallus va être chez le garçon comme chez la fille, au début de la vie, à la fois marqué et refoulé, refoulé pour que quelque chose puisse tomber de la jouissance. Cette chute, c’est le refoulement, et ce refoulement, il ne se fait pas de la même façon pour un garçon et pour une fille.

 

Le phallus

Nous arrivons à ce terme fondamental du phallus, qui n’est pas simple, mais très important en psychopathologie. Mais avant, une chose est certaine, c’est que la chute, la soustraction de cet objet investi par l’Autre comme objet phallique, pour le dire autrement, comme objet sexuellement valorisé, érotisé, c’est le refoulement de cet objet érotisé qui va permettre que se constitue de l’autre coté du miroir, en quelque sorte, le « un » imaginaire. L’image, l’image du corps, l’image que vous voyez dans le miroir ne peut se constituer qu’à partir de cet objet manquant. C’est cet objet manquant qui est représenté dans le miroir. Quand vous vous voyez, vous voyez quelque chose que vous méconnaissez, parce que c’est très refoulé, c’est inconscient, c’est le refoulement premier de cet objet premier qui a été investi par l’Autre, comme ayant une valeur phallique. Il faut ça pour qu’il y ait image. Si il n’y a pas ça, il n’y a pas image. Ça, je ne peux pas vous le démontrer, ce n’est pas mon propos ce soir, mais je vous demande simplement de l’avoir présent à l’esprit, parce que dans cette image, quand le garçon ou quand la fille se reconnaît dans le miroir, tout petit, le phallus, chez le garçon comme chez la fille, est négativé dans l’image. Autrement dit le petit garçon comme la petite fille reçoit une image, qui ne comporte pas positivement de phallus, il est négativé, il est manquant pour les deux, au moment où l’image se constitue, c.à.d. entre six et dix huit mois. Qu’est ce que ça veut dire que le phallus est négativé à ce moment là ? Ça veut dire que pour la fille comme pour le garçon ça renvoie à un manque qui est éprouvé réellement, qui est éprouvé par le corps, mais qui a aussi un aspect imaginaire, ce manque a aussi un aspect imaginaire, c.à.d. ce manque est aussi perceptible du côté de l’image, et il a également un bord symbolique, un bord lié au langage.

Pourquoi ça a un bord lié au langage ? Pourquoi est ce que le manque lié à cet objet investi phalliquement, pourquoi est ce que ce manque est sensible du côté du langage ? Parce que c’est ce manque que le langage parle et dit, et l’enfant très tôt, s’il n’est pas psychotique bien sûr, va remarquer que tout ce qu’on lui dit, fait référence de près ou de loin à cet objet manquant. Tout ce qu’on lui dit, s’étalonne du point de vue de la valeur et du sens, en référence à cet objet manquant. Cet objet manquant, cet objet phallique, le petit garçon comme la petite fille, va s’apercevoir très tôt que c’est l’indice du sens et de la valeur, de la valeur érotique, au sens phallique. C’est ce dont l’enfant très tôt va réaliser le prix, il réalise que ça a du prix, de la valeur, mais l’enfant réalise aussi qu’il ne peut représenter cet objet manquant que comme manque. Il ne peut que le représenter parce qu’il ne l’a pas, ni le garçon ni la fille. Ce n’est pas conscient bien sûr, mais c’est ce que nous pouvons logiquement déduire de l’accès au langage en tant qu’accès au symbole. Le symbole, c’est d’abord le symbole de  cet objet manquant. Et c’est cet objet manquant qui donne du prix à la représentation.

 

Maintenant du coté de l’image, puisque tout au long de cette soirée j’ai choisi de m’intéresser à l’image, c’est très important, du coté de l’aspect imaginaire de cette mise en place de l’image spéculaire, la petite fille que va t-elle réaliser du point de vue imaginaire, du point de vue de l’image ? Elle va réaliser qu’elle ne l’a pas, autrement dit qu’il y a là quelque chose que son petit camarade a, et que elle, n’a pas. C’est l’origine imaginaire de ce que Freud a appelé le Pénisneid, c.à.d. la revendication du côté de la petite fille d’être réparée de cette privation initiale,  ou de ce qui est éprouvé imaginairement comme une privation initiale. Je l’ai pas.   Autrement dit, qu’est ce que ça veut dire ? Ça veut dire qu’elle se perçoit comme privée de ce qui fait valeur pour l’Autre. Vous voyez la difficulté de la petite fille, elle se perçoit dans le miroir comme n’ayant pas ce qui fait valeur pour l’Autre.   Du coup, si je n’ai pas ce qui fait valeur pour l’Autre, comment je vais faire pour me faire reconnaître, pour faire reconnaître mon éventuelle valeur ? Question difficile pour une fille, et puis plus tard pour une femme. Si elle ne l’a pas, ce qui est censé faire valeur pour l’Autre, elle ne peut donc pas le laisser à l’Autre, puisqu’elle l’a pas, elle ne peut pas l’abandonner à l’Autre. Elle ne peut pas le laisser soustraire par l’Autre. Du coup on conçoit pourquoi pour une petite fille le refoulement est une question difficile. Et à la limite il n’y a pas de refoulement. Evidemment il n’y a rien à refouler, imaginairement. Et comme l’image – ce que je vous indiquais à l’instant - est corrélative de l’objet refoulé, est liée à l’objet refoulé, c’est pour ça que Lacan, très justement, là je vous recommande de lire – les conseils de lecture que je vous ai donnés la dernière fois, il y en avait trop - si cette question vous intéresse, si vous êtes débutant, lisez juste le séminaire L’angoisse, c’est vraiment quelque chose de très extraordinaire sur cette question, c’est d’une richesse impressionnante. L’image contient l’objet c’est pour ça que  Lacan peut appeler l’image spéculaire i (a), c.à.d. image d’un objet mis entre parenthèses, c.à.d. refoulé. Le problème, c’est que étant donné que imaginairement la petite fille se perçoit comme n’ayant pas cet objet valorisé par l’Autre, comme n’en étant pas pourvue, et bien  chez elle, le refoulement va être plus précaire. Puisque imaginairement elle se voit comme n’ayant rien à refouler, d’une certaine façon. Vous me direz ça n’est qu’imaginaire, mais ça a des effets très importants dans l’inconscient, et du coup le refoulement en question, refoulement de cet objet, va être plus problématique pour elle que pour le petit garçon, puisque justement, si cet objet elle ne l’a pas, eh bien le refoulement corrélatif, il ne se fait pas  non plus, ou en tout cas il ne se fait que de manière très mal assurée et problématique. Et du coup l’image spéculaire pour une femme ne tient pas du tout aussi solidement que pour un homme. Ça me paraît important de vous le souligner comme ça, puisque en préparant ce que je vous dis ce soir, je me suis dit que cet aspect là de la question n’est pas très souvent évoqué  ou en tout cas… Moi même je me suis dit souvent que j’allais l’évoquer, que j’allais le présenter ou le travailler, et puis finalement ça ne se fait pas. Donc, c’est sans doute que ça touche à des questions qui sont assez difficiles pour que nous les laissions un peu de côté, et je ne suis pas mécontent avec vous, d’en mettre en route quelque chose ce soir.

Nous revenons donc avec cette question de l’image, qui pour une femme ne tient pas du tout de façon aussi assurée que pour un homme, nous revenons après ce parcours, à ce que ce que je vous disais de la difficulté d’une femme avec le semblant. Nous y revenons par un autre aspect. C’est à dire que pour elle l’image n’est pas aussi assurée que pour son petit camarade.

 

Difficulté d’une femme avec le semblant, ça veut dire quoi concrètement ? Ça veut dire qu’elle va être davantage du côté du réel du corps. Réel du corps dont je vous disais que c’est le réel d’une jouissance morcelée, que l’image, précisément parce qu’elle ne tient pas d’une façon assurée, ce réel du corps, l’image chez une femme, ne va pas pouvoir le contenir, l’enclore en quelque sorte, comme quelque fois nous avons l’impression que notre image enclot, ou contient notre corps. C’est une représentation complètement imaginaire bien sûr, mais nous pouvons plus ou moins être dans cette représentation. En clinique c’est tout à fait visible chez le névrosé obsessionnel. Le névrosé obsessionnel est quelqu’un un qui vous donne vraiment l’image d’un sujet porté par la conviction que son image doit englober son corps, et que coûte que coûte il faut que le réel du corps obéisse à cette image, et rentre dans le cadre qu’elle définit. Mais une femme elle, est beaucoup plus du côté du morcellement de ce réel du corps, sans que l’image parvienne à contenir ce morcellement. Autrement dit, nous y arrivons, sans que l’image puisse parvenir à faire concept. Parce que qu’est ce que c’est qu’un concept ? Ce n’est rien d’autre qu’une image qui contient du sens, et qui contient du sens en référence à un réel dont on suppose que le concept le contient. Ça c’est la supposition Aristotélicienne. Mais le problème c’est qu’Aristote justement, Barbara Cassin l’a bien évoqué, Aristote et toute la philosophie qui en découle, considère que l’image doit pouvoir maitriser le réel. Le seul problème c’est que l’image n’a jamais maitrisé le réel. L’image c’est ce que montre la psychopathologie et notamment la psychanalyse, et c’est une des raisons d’ailleurs qui fait que la psychanalyse n’est pas bien reçue, c’est que la psychanalyse empêche de croire que l’image ou le concept peut maitriser le réel. Puisque dès le stade du miroir, nous constatons, nous sommes obligés de constater d’une part que l’image ne contient pas le réel, elle le contient seulement de façon imaginaire, il y donc  du réel qui échappe. Et en plus la psychanalyse peut nous montrer qu’une femme reste beaucoup plus du coté du réel, que un homme qui lui, est beaucoup plus dans quelque chose, ordinairement bien sûr, il y a toujours des exceptions est du côté du symbolique. Et puis on peut être plus du côté homme, plus du côté femme, ce n’est pas une affaire d’anatomie, c’est une affaire de rapport au refoulement, de rapport à l’Autre, et du rapport à l’image qui en découle. Mais le point important, c’est qu’une femme va donc être davantage du côté du réel du corps, réel que l’image comme concept – « concept », c.à.d. prendre ensemble, l’image est un concept – ce concept ne va pas enfermer, ne va pas contenir ce réel. Je voudrais d’ailleurs vous souligner ici que ce qu’on appelle en clinique les dysmorphophobies, l’impression par ex. que peut avoir un sujet, que son nez est trop long, qu’il fait tache sur son visage, ou qu’il y a des taches, ou quelque chose de disgracieux qui vient rendre l’image étrange et parfois insupportable. Les dysmorphophobies sont fréquentes chez les femmes et pas seulement chez les psychotiques. Et justement, plus l’image est précaire, plus il y a cette fréquence des troubles et des symptômes qui sont liés à cette image, notamment, comme les dysmorphophobies. C’est de plus en plus fréquent d’ailleurs à notre époque.

 

- Les ados aussi.

 

ST : Oui, tous les sujets qui sont en difficulté avec leur image. Il y en a de plus en plus aujourd’hui, les hommes aussi. Mais c’est très fréquent chez les femmes.

Maintenant, pour arriver au terme de mon propos, je voudrais par différence, vous parler du garçon. D’habitude on présente toujours d’abord le garçon, ensuite la petite fille. Là j’ai fait le contraire.

Le petit garçon, lui, ça se passe autrement parce que imaginairement, du point de l’image, il a le ticket, il a le petit zizi, il a le petit trait, il a le ticket dans la poche.  Simplement le problème c’est que comme la petite fille, son ticket, il est tout à fait négativé. Il n’est pas négativé de la même façon, mais il est négativé aussi parce qu’il ne peut pas s’en servir de son petit zizi. Il peut pas s’en servir et puis il aura évidemment l’occasion de comparer son machin à celui de son père ou de son grand frère, etc. Mais, lui, il a quelque chose à donner au refoulement, imaginairement il a ce trait. Imaginaire, qui fait image, il peut le donner en gage.

L’Autre souhaite ça ? Et bien il peut le mettre en quelque sorte, dans le processus de refoulement. Et du coup pour le garçon l’image va tenir à la mesure même  du refoulement. Et le refoulement tient mieux, du coup l’image tient mieux, dans la mesure justement où le petit garçon a le trait que demande l’Autre. Du coup ce petit garçon va être lié à une image « une » plus assurée, plus facilement close, propre et nette en quelque sorte, bien distincte du réel. Avec la difficulté qui en résulte, et que vous retrouvez très bien dans la clinique des hommes, c.à.d. l’image investie, d’une valeur imaginaire, bien sûr, c’est le cas de le dire, et idéale de défense contre le réel du corps. C’est à dire la façon dont les hommes peuvent, justement, rejeter en dehors de ce qui appartient à leur narcissisme, le réel du corps. Et vous savez combien c’est fréquent de remarquer en clinique, que les hommes ne font pas attention à leur corps, qu’ils « n’écoutent » pas leur corps. Valeur, donc,  souvent importante accordé par les hommes aux concepts, à ce qui fait sens, et à ce qui fait sens d’une manière qui est supposée maitriser le réel. Je dis bien «  est supposée », parce que ça ne maitrise pas tant que ça. Mais aussi chez un homme, une plus grande facilité corrélative de ce que je viens de dire, c.à.d. de cette maitrise imaginaire, qui n’est qu’imaginaire bien sûr, mais qui a des effets réels, un homme va beaucoup plus facilement pouvoir venir se situer dans le langage, dans une place qui soit une place maitresse, une place qui commande. Exactement comme l’image, pour lui, est censée commander au réel. Le rapport d’un homme au symbolique, au langage, va être imaginairement marqué, et du coup réellement marqué par cette plus grande facilité à venir du coté du « un », puisqu’il y est imaginairement, spontanément, en quelque sorte. Ce qui donne aux hommes, souvent, plus grande facilité qu’aux femmes, par exemple à prendre une initiative, ou à parler, tout simplement. Alors que chez une femme, on est parfois surpris d’observer comment elle est embarrassée pour dire ce qu’elle veut. Parfois elle a même l’impression qu’elle ne sait pas elle même ce qu’elle veut. Et évidemment, il y a une dépendance par rapport à l’Autre beaucoup plus grande chez une femme. Enfin… pas beaucoup plus grande, parce que chez un homme et chez une femme, il y a la même dépendance à l’égard de l’Autre, mais la sensibilité à cette dépendance est plus grande chez une femme, puisque dès le départ la petite fille éprouve devant  le miroir et dans cette situation complexe dans laquelle elle se trouve, la petite fille se dit : moi je n’ai pas ce que l’Autre attend, donc du coup quelle est ma valeur ? Donc du coup la demande à l’égard de l’autre concernant la valeur va être d’autant plus forte et d’autant plus fragilisante, de ce point de vue là.

Coté homme par contre, le prix dont se paie cette maitrise imaginaire que les hommes présentent souvent, le prix c’est une fermeture narcissique à l’Autre. Une fermeture narcissique à l’Autre que vous observez très facilement, là encore, en clinique chez beaucoup d’hommes. C’est difficile pour chacun d’être attentif à l’autre, mais il y a parfois quand même  une sorte de fermeture très remarquable de ce point de vue là, imaginaire.

 

Un dernier point que je voulais vous souligner : vous avez sans doute déjà entendu parler à propos de ce qui concerne un homme et une femme, du paradoxe d’Achille et la tortue. A partir de ce que je vous dis là, vous pouvez effectivement l’appliquer à ce qui distingue beaucoup un homme et une femme, dans le rapport au réel.       

Le paradoxe d’Achille, c’est un vieux paradoxe, vous avez au départ Achille, et puis vous avez la tortue. Ils ne partent pas en même temps, la tortue est là. C’est comme un homme et une femme, ils ne sont jamais au même point, il faut toujours qu’il lui coure derrière. Donc vous avez Achille qui est ici, et puis la tortue qui est là. Achille, d’un bond, va aller jusqu’à la tortue ici. Mais pendant que Achille bondit tel le lion, la tortue, elle, aura fait un petit peu de chemin, elle sera ici, c.à.d. qu’il ne pourra pas l’attraper. Il va faire ensuite un autre bond et il va aller là où il est la tortue, mais pendant ce temps là, la tortue aura fait un petit bout de chemin en route. Ce qui fait qu’Achille n’attrape pas la tortue, et on peut montrer facilement comme ça, qu’Achille n’attrapera jamais la tortue, puisque à chaque fois qu’il aura fait la distance nécessaire, la tortue aura fait un petit peu plus. Ça, ça semble être un paradoxe. Pourtant il a ceci de vrai, par rapport à ce que je vous disais avant,  c’est que la façon dont un homme, bien souvent – pas toujours, encore une fois il y a des femmes côté homme et des homme côté femme, là je vous présente les choses de manière qui ne peut être que schématique -  ce rapport au concept qui est celui d’un homme, essaie toujours d’attraper le réel, et notamment le réel du corps, mais le réel tout court on pourrait dire, avec des concepts qui font « un », des concepts qui sont fermés. Donc pour attraper le réel, ils vont faire comme Achille avec la tortue, ils vont essayer à chaque fois d’imposer ce « un » sur le réel, pour le contenir. Moyen en quoi, le réel nous échappe de tous les côtés, comme vous l’avez souvent remarqué. Tandis qu’une femme, elle, elle est maladroite à attraper le réel avec de « l’un », en revanche elle est beaucoup plus directement en affinité avec le réel, justement, parce que l’image de son corps ne fait pas « un »,  ou en tout cas ne le fait qu’avec peine. Le réel, contamine déjà l’image, il la défait déjà.