S.Calmettes-Jean : Cours de Psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent - 2

EPhEP,

………. C'est vous dire que ces enfants qui ont un très bon niveau de langage, un très bon niveau de connaissances, qui apprennent bien à l'école, ne sont pas inscrits vraiment dans le langage et avec un nombre de malentendus avec les adultes qui les laissent eux tout à fait désarmés, incompris, et on passe à côté de la nature de leurs difficultés. Vous voyez, il y a comme ça quelque chose de leurs compétences, on va dire cognitives, qui fait passer complètement à côté des grandes difficultés psychologiques des enfants. Et c'est pour ça si vous voulez que l'attention vraiment particulière au langage des enfants et pas seulement leurs compétences engagées, la manière dont ils sont inscrits dans le langage, la manière dont ils vont avoir accès à la métaphore ou pas c'est vraiment important.

 

Une métonymie c'est parler d'une partie pour un tout, par exemple on dit « je vois une voile à l'horizon » en fait c'est un bateau donc c'est une métonymie parce que l'on parle d'une partie d'une voile ou d'un bateau pour désigner un bateau. Quand on dit « je bois un verre », vous voyez bien qu'on ne boit pas le verre, et ça par exemple c'est le genre d'enfant, si on dit « je bois un verre », ils vont vous regarder estomaqués en vous demandant ce que ça veut dire. C'est à dire que leur souci scientifique leur donne un souci d'exactitude du langage et donc ils interrogent les adultes et les adultes ne comprennent pas qu'ils ne comprennent pas. Vous voyez qu'il y a un double malentendu parce que les enfants ne comprennent pas les adultes et les adultes ne comprennent pas qu'ils ne soient pas compris. Donc ça c'est la question de la métonymie, mais vous voyez bien que dans la métonymie, il n'y a pas de séparation, donc, à parler d'une partie pour un tout, c'est toujours l'objet qui est désigné, on fait toujours référence au bateau mais c'est la partie qui va nommer le tout et on ne va pas dire un bateau, on va juste dire une voile.

Alors que pour une métaphore, si vous dites « aujourd'hui la mer est agitée, il y a plein de moutons sur l'eau » alors là, les moutons ça n'a aucun rapport avec l'écume des vagues, un mouton c'est un mouton. Donc dans métaphore, on voit bien comment l'image qui est employée est totalement séparée du support matériel qu'elle tend à nommer. Vous êtes d'accords avec ça ? Et ce qui est intéressant, c'est que à la fois c'est séparé et à la fois c'est lié, puisque vous une métaphore si ça fonctionne c'est que vous faites le lien entre l'écume des vagues et les moutons. Et vous voyez bien que le genre de substitution qui a opéré là, on a remplacé l'écume par un mouton qui n'a rien à voir, enfin ça a un rapport puisque dans la métaphore il y a un lien, il y a un lien et à la fois une vraie coupure entre les deux. C'est à la fois lié et totalement séparé.

Et c'est pour ça que c'est si intéressant d'être attentif à ça, parce qu'un enfant qui n'est pas séparé, un enfant qui n'est pas inscrit dans ce symbolique qui permet de faire de l'absence dans la présence et de la présence dans l'absence, cet enfant là il ne peut pas avoir accès à la métaphore. Il peut avoir accès à la comparaison, il peut avoir accès à la métonymie, vous voyez la comparaison on dit « c'est comme », vous voyez bien que ça introduit, c'est une image, c'est dans une continuité une comparaison. La métaphore c'est une vraie discontinuité, c'est pour ça qu'il faut être très attentif, parce que c'est arrivé aussi, vous avez compris que j'y prête attention, et c'est des choses que je cherche à repérer…

 

C'est justement là où nous, comme on ne parle que comme ça, avec des métaphores, on ne peut même pas comprendre que l'on puisse parler autrement. Et c'est pour ça que l'on croit que ces enfants ont accès à ces choses alors qu'ils n'ont pas accès à ces choses. Parce qu'il est possible de parler autrement que par métaphore, bien sûr, la preuve, et c'est pour ça que je vous proposais de lire « Ce bizarre incident du chien pendant la nuit » de Mark Haddon et qu'à la lecture de ce livre, vous allez comprendre comment on peut avoir une suite d'énoncés, sans énonciation et sans équivocité parce que justement toutes les équivocités du langage visent à être chassées.

On va s'arrêter là-dessus parce que c'est franchement important. Normalement quand on parle justement, cette langue elle est assez impropre aux certitudes, ce n’est pas des vérités absolues qu'on s'échange entre nous. Il y a effectivement tout le temps des équivoques, c'est à dire l'épaisseur du langage et puis quand on parle il y a évidemment du désir, de la jouissance, enfin des tas de choses, notre énonciation va aussi porter ça, ce ne seront pas des énoncés complètement désubjectivés, c'est à dire que notre façon de porter notre parole, elle va être infiltrée de toutes sortes de dimensions qui n'ont rien à voir avec la communication.

Or, justement, ce Christopher, ce héros-là, soit disant le narrateur du livre, qui est âgé  de 15 ans, il veut être dans un langage où le mot n'est pas séparé de la chose…

Quand il y a un objet, cet objet x vous allez lui donner un nom, par exemple « table », qu'est-ce que ça permet de nommer ? Ça permet de l'évoquer quand il n'est pas là, on peut parler aussi d'une personne quand elle n'est pas là et c'est pour ça qu'on a pu dire que le mot était le meurtre de la chose. C'est à dire que la chose en quelque sorte on peut s'en passer, on n'a pas besoin de sa présence devant nous pour l'évoquer. Donc le mot effectivement il tue la chose. Mais dans cet écart entre le mot et la chose, il y a quelque chose qui tombe et des choses qui vont se glisser. Il y a toute la chaîne signifiante qui va commencer à se dérouler si vous voulez parce que « table », eh bien « table » ce n’est pas forcément cette table-là dont vous vouliez parler donc, pour l'autre ça peut être la table de la cuisine, la table de son enfance, allez savoir ! Il va y avoir comme ça une espèce de chaîne qui va se dérouler – je caricature un peu– cet écart entre le mot et la chose ça va faire que le  mot ne soit  exactement la chose exacte qu'il désigne.

Quand vous parlez d'une table, c'est une table précise que vous avez en tête, mais au-delà de cette table, c'est toutes les tables que vous évoquez, toutes et n'importe lesquelles. Donc il y a quelque chose de l'exactitude qui dans la nomination va venir sombrer.

Pareil pour l'expression des sentiments, il y a un certain nombre d'adolescents qui ne supportent pas que quelques soient les efforts qu'ils vont faire, ils ne pourront pas décrire ou nommer exactement les sentiments qu'ils ressentent. Et ils éprouvent exactement cet écart entre le mot et la chose, la chose étant là le monde des sentiments, et le monde des sentiments il est effectivement hétérogène à la nomination. Le sentiment ce n’est pas du langage, ce n’est pas du même ordre, on les met en mots, mais ce ne sont pas des mots les sentiments, ce sont des choses qui sont vécues. Donc on voit dans un certain nombre d’occurrences, il y un écart entre les mots et ce qu'ils viennent représenter, tant qu'on a pas l'accès au symbole. Qu'est-ce que c'est qu’un symbole ?  C'est le représentant de  quelque chose par une autre chose qui n'a rien à voir. Vous écrivez 7, le chiffre 7 on ne voit pas 7 dans 7 et pourtant, 7 ça veut dire 7. Vous voyez bien que ce symbole du 7 il est complètement coupé de la réalité de la quantité. Ça vient le représenter, mais 7 c'est un arbitraire, ça aurait pu s'écrire autrement d'ailleurs.

Je vais essayer de reprendre le fil de la question, à savoir qu'on ne parle que par métaphore et par la métonymie, mais ça c'est ce qu'on appelle « la lalangue », la langue maternelle, c'est quand on est inscrit dans quelque chose qui dépasse le simple mot pour désigner une chose, enfin vous voyez, en terme à terme, c'est une fois qu'on est rentré vraiment dans la langue. Mais il y a des enfants qui restent en-deçà, dans la psychose on reste en-deçà de ça. On reste en-deçà de cet accès à la métaphore, à la temporalité, on est dans d'autres coordonnées langagières que celles de la métaphore et de la métonymie. Quand vous dites à un psychotique « pour faire une omelette il faut casser des oeufs », pour lui ça veut pas du tout dire que parfois pour faire des choses il faut accepter la perte – c'est un proverbe. C'est ce que ça coûte en quelque sorte, de casser des œufs ça coûte de casser. Lui pour faire une omelette il faut casser des œufs mais point barre et les métaphores qu'il emploiera vous croirez que ce sont des métaphores mais pas du tout, c'est absolument au sens propre, et c’est là où il y a les malentendus. Vous croyez qu'il parle comme vous, il ne parle pas du tout comme vous.

Je n’ai pas envie de reprendre tout ce que j'ai écrit non plus … parce que vous voyez, c'est aussi la question du mensonge, mais je vais quand même vous en parler.

Ce qu'on appelle un mensonge chez un enfant – ça part un peu dans tous les sens, mais c'est pour préciser la question de la métaphore chez l'enfant, la question de ce que c'est que la vérité dans le langage – Souvent les parents disent « mon enfant me ment ». Est-ce que vous pensez que c'est un mensonge quand il ment ? Quand ils disent «ben voilà il a cassé un verre » il dit « mais non ce n’est pas moi ». Est-ce que vous pensez que c'est un mensonge ? Il y a des enfants qui disent « il s'est cassé tout seul » et là c'est du côté de l'exactitude, mais un mensonge c'est vouloir tromper l'autre, mentir c'est vouloir induire l'autre en erreur. Je ne suis pas sûre que les enfants cherchent à induire les adultes en erreur pour les tromper, ça comme je ne sais pas qu'on si on peut dire qu'un enfant ment. Mais si un enfant ne peut pas dire qu'il est responsable de sa bêtise, le plus généralement, c'est qu'il ne veut surtout pas détromper les adultes justement sur l'image que les adultes ont de lui : un enfant qui ne fait pas de bêtises. Il veut garder comme ça la bonne image que ses parents ont de lui, il veut conserver ça, et donc il ne peut pas se reconnaître dans une image qui serait un peu abîmée par la bêtise qu'il vient de faire. Donc pour moi ce n’est pas un mensonge, c'est plutôt un refus d'accepter qu'il peut se tromper et parfois rater ce qu'il a entrepris. Mais c'est parfois pour les parents que les enfants font ça, ce n’est pas forcément pour eux, ce n’est pas pour les décevoir, c'est pour pas qu'ils soient tristes d'avoir un enfant qui fait des bêtises. Donc à proprement parler, moi je n’appelle pas ça un mensonge, vous voyez ce n’est pas pour tromper, ce n’est pas contre l'autre, c'est pour tout le monde quoi.

 

Et donc ce Christopher du « Bizarre incident dans la nuit », il a horreur du mensonge parce qu'il ne sait pas mentir. Les enfants psychotiques, les adultes psychotiques, ils ne savent pas mentir, il faut toujours qu'ils disent la vérité et à la fois parce qu'ils pensent – grossièrement je vous le dis – qu'on peut deviner leurs pensées, qu'il y aurait comme ça une espèce de transparence par rapport à l'autre, et à la fois parce qu'il y a quelque chose où ils ne peuvent pas faire un pas de côté. De la même façon qu'il ne peut pas y avoir d'écart entre le mot et la chose, il ne peut pas y avoir d'écart entre ce qu'ils disent et ce qu'ils savent.

« Je ne mens pas » dit Christopher dans le livre - donc c'est un livre, c'est un roman et en même temps c'est très juste -  « C'est parce que je ne sais pas mentir, mentir c'est dire que quelque chose s'est passé, alors que ça ne s'est pas passé, et il y a un nombre infini de choses qui ne se sont pas passées à ce moment-là et à cet endroit-là ». Parce que vous comprenez, d'inventer quelque chose qui ne se serait pas passé à la place de ce qui s'est passé, il ne peut pas mentir. Et lui il dit mais il y a une infinité de choses qui ne se sont pas passées à ce moment-là et à cet endroit-là. « Rien que d'écrire ça j'ai la tête qui tourne et j'ai peur, comme quand je me retrouve au sommet d'un très grand immeuble et qu'il y a des milliers de voitures, de maisons et de gens au-dessous de moi et les choses se bousculent tellement dans ma tête que j'ai peur d'oublier de me tenir bien droit et de m'accrocher à la rambarde et alors je me dis je vais tomber et me tuer ».

Vous voyez le genre de vertige qu'il a quand il est face à l'infinité des possibles du mensonge. Il se raccroche, c'est une explication, une rationalisation, c'est une image de ce qu'il peut vivre. Mais ça donne quand même une idée de sa difficulté à faire écart avec ce qui s'est passé vraiment. Parce que c'est une invention un mensonge aussi, vous inventez, un truc qui s'est passé à la place d'un truc qui s'est pas passé. Et cette invention là pour lui ce n’est pas possible.

« c' est aussi une des raisons pour lesquelles je n'aime pas les vrais romans, ils racontent des mensonges sur des choses qui ne se sont pas passées, alors ça me fait tourner la tête et j'ai peur. ». Vous voyez aussi comment le monde de l'imaginaire il est aussi très compliqué pour lui parce que c'est pas de l'imaginaire pour lui, vous voyez c'est pas une histoire quoi.

De la même manière, Christopher considère toute métaphore comme un mensonge, il n'accède pas à la fonction de la métaphore qui fait lien, nouage dans la substitution et la séparation – c'est ce que je vous expliquais tout à l'heure -. Donc voilà ce que dit Christopher dans ce roman : « je trouve les gens déconcertants », il n'arrête pas de dire ça dans tout le roman : « je trouve les gens déconcertants ». Vous voyez le malentendu, parce qu'en fait ce qui est intéressant c'est que c'est lui qui dit ça alors que, dans la vraie vie, tout le monde trouve Christopher très déconcertant. Lui il trouve les gens déconcertants. « La seconde raison essentielle est que les gens parlent souvent par métaphore, on ferait mieux d'appeler ça un mensonge. ». Et donc il dit « Voici quelques exemples de métaphore : c'est une bonne pâte, il était la prunelle de ses yeux, avoir un squelette dans le placard, il fait un temps de chien, elle est à la fleur de l'âge. ». Tout ça on n'a pas besoin de l'expliquer, vous comprenez très bien ce que ça veut dire. Alors il continue, et vous allez voir ce que c'est un enfant qui a un souci de l'exactitude, de la scientificité du langage. « Le mot métaphore veut dire : transporter quelque chose d'un endroit à un autre ». Vous voyez bien comment il est précis. « Et il y a des mots grecs, metá (d'un lieu à un autre) et  phérô (porter) » Et je vous jure qu'il y a certains enfants qui vont être d'une culture aussi importante que ça, et qui vont vous faire des démonstrations et qui vont vous bluffer et qui n'ont pas accès à la métaphore. Vous allez croire je ne sais pas quoi alors qu'ils sont complètement en panne du côté du symbolique. « C'est quand on décrit quelque chose en utilisant un mot qui désigne autre chose ». Donc il a très bien compris, il a très bien compris avec la rationalisation ce que c'est qu'une métaphore, avec des énoncés il a compris ça. « ça veut dire que le mot métaphore est une métaphore. Je trouve qu'on devrait appeler ça un mensonge parce qu'un chien n'a rien à voir avec le temps et que personne n'a de squelette dans son placard. ». Vous voyez sur le plan de l'exactitude, c'est vrai, c'est en quelque sorte un mensonge. « quand j'essaye de me représenter certaines de ces expressions dans ma tête, ça ne fait que m'embrouiller parce que imaginer une prunelle dans un œil ça n'a rien à voir avec aimer beaucoup quelqu'un, et là je ne me souviens plus de ce qu'on était en train de me dire. ».

Ce petit paragraphe se termine par là et vous allez voir ces histoires de nomination et de reconnaissance : « mon prénom est une métaphore, il veut dire « qui porte le Christ ». Christopher, qui porte le Christ. Ces enfants-là ils vont vous gaver d'informations comme ça, de connaissances comme ça, donc vous avez l'impression qu'ils se prennent pour votre prof, qu'ils sont pas à leur place, mais c'est pas ça, c'est leur façon d’appréhender le monde, vous voyez, dans une espèce de suite, de connaissances et d'énoncés.

Alors, il continue, voilà « c'est le nom qu'on a donné à Saint Christophe parce qu'il a fait traverser une rivière à Jésus Christ. On ne peut que se demander comment il s'appelait avant d'avoir porté le Christ le long de la rivière. » (Rires)...

Vous voyez comment c'est drôle, en même temps on rit jaune dans ce livre parce que on voit bien comment cette espèce de logique poussée à l'extrême ça les met juste en panne, vous voyez. C'est à dire que ces questions-là, il n'y a pas la méconnaissance, ça ne tombe pas, il y a quelque chose qui ne tombe pas. Ils ont une espèce de vigilance sur tout, on peut dire aussi qu'ils ont un manque de confiance sur tout, dans la relation, voilà, ils ne se fient à rien d'autre qu'à l'exactitude des choses, vous voyez. Il faut que tout soit extrêmement clair, précis, sinon ils sont perdus.

Et il continue, donc voilà, mais je vous assure qu'avec certains enfants on est dans ce style d'énoncé quand on parle de tout et de n'importe quoi. On se met à parler des racines étymologiques et il continue donc – il a 15 ans quand même-. « En fait il ne s'appelait pas du tout parce que c'est un récit apocryphe ce qui veut dire que c'est un mensonge là encore. Mère disait que cela signifie que Christopher est un joli prénom parce que c'est l'histoire de quelqu'un de gentil et de serviable. Mais je ne veux pas que la signification de mon prénom soit l'histoire de quelqu'un de gentil et de serviable, je veux que la signification de mon prénom ce soit moi. ».

Vous voyez, pas d'écart, entre moi et mon prénom, il faut que ce soit collé, sans écart. C'est ça qui est intéressant là-dedans. Et en fait, sous la métaphore qu'il accusait d'être mensongère, c'est bien évidemment le signifiant qui est visé par Christopher. Et Lacan dans le séminaire sur les psychoses, il indique que le signifiant n'est pas là pour indiquer quelque chose, [donc comme un signe], mais précisément pour tromper ce qu'il y a à signifier.