P-C.Cathelineau : L'identité, Lacan et le Politique d'Aristote

Conférencier: 

EPhEP, MTh3 - ES9, le 21/09/2015 


Alors je vais vous parler aujourd’hui de deux choses : je vais pas faire de topologie, un peu, mais pas beaucoup. Je vais vous parler dans une première partie de ce cours de ce que Lacan a appelé le discours du maitre à partir d’un commentaire de la Politique d’Aristote, discours qui est, je dirais, le discours du lien politique.

Et je vais vous parler d’un deuxième aspect de la politique d’Aristote qui est - et pour vous donner un apercu rapide - l’identité purement constitutionnelle ; quand je dis idée purement constitutionnelle, je fais référence à la notion de constitution au sens politique du terme. C’est à dire, forme de gouvernement. Vous allez me dire pourquoi parler de psychopatholgie, d’identité constitutionnelle, quel rapport ? C’est justement pour vous montrer que chez Aristote il y a quelque chose d’extrêmement moderne et d’extrêment intéressant qui nous éloigne d’une conception de l’identité comme identité nationale ou culturelle – c’est une identité purement formelle. Donc je trouve que c’est extrêmement intéressant parce que vous le verrez il y a des penseurs contemporains, dont un que j’estime particulièrement qui s’appelle Jürgen Habermas et qui fait des interviews parfois dans le Nouvel Observateur, que je vous conseille de lire parce que c’est vraiment fort ce qu’il raconte.

 

Jürgen Habermas parle plutôt que d’un patriotisme national, d’un patriotisme constitutionnel. Vous allez me dire, oh, patriotisme constitutionnel…

Ça veut dire une citoyenneté détachée de tout mythe identitaire. En particulier de tout mythe national. C’est quand même intéressant ; enfin qui moi m’intéresse et je pense que ça vous intéresse aussi.

 

Le lien avec le discours du maitre c’est évidemment que dans le cadre d’une démocracie fondée sur une identité constitutionnelle, le discours du maitre est appelé à changer. D’où le fait que je parle du discours du maitre en première partie.

 

  1. 1.    Le discours du maître

 

D’abord, qu’est –ce qu’un maître ? est-ce qu’un maître c’est une brute ? Vous avez dans l’antiquité un texte fameux que vous avez tous lu, qui s’appelle l’Odyssée  et aussi vous avez un texte qui s’appelle l’Iliade. Et vous avez des personnages qui se trimballent sur les champs de bataille aidés par les Dieux et qui par exemple à la fin de l’Iliade réduisent Troies à l’esclavage, vous vous souvenez de ça - par le fer et par le feu. Le maître antique c’est ça d’abord, c’est un guerrier et qui s’empare des territoires ennemis pour effectivement conquérir des richesses mais aussi de la force de travail c’est à dire des esclaves.

 

Donc on pourrait dire que ça pourrait être une brute héroique comme le disait Lacan à propos du maître décrit par Hegel, une brute héroîque. Alors ce n’est pas tout à fait ça quand même quand vous regardez le Politique vous voyez que c’est d’abord le fait que les citoyens athéniens étaient tous tenus à la circonscription, ils faisaient la guerre jeunes et ils devaient effectivement prouver leur bravoure sur le champ de bataille, et au délà de cette dimension purement militaire, il y avait  une condition politique, contenue dans le Politique : le maître dirige une famille et cette famille est composée de femme, enfants et esclaves.

 

Alors, quelle est la fonction de l’esclave dans la famille ? C’est une raison - nous dit Aristote - d’utilité et de subsistance. Une citation fameuse de la Politique

 

« Si les navettes tissaient d’elle-mêmes, et les plectres pinçaient tout seuls la cithare alors ni les chefs d’artisan n’auraient besoin d’ouvriers ni les maîtres d’esclaves. »

 

Donc la première raison qu’Aristote évoque c’est que le maître doit commander à l’esclave pour des raisons économiques. La seule question c’est que – que évidemment la question de l’esclavage c’est une question qui pose problème à Aristote ; comme dit Lacan, il en cherchait la vérité. Vous devinez pourquoi. Est-ce dans la nature d’un homme d’être esclave ? Il se la pose la question. Tout le monde mérite-t-il d’être esclave ? Que faut-il penser du droit d’asservir les vaincus ? Il se la pose hein, la question, il ne reste pas allusif ; donc en fait la question de l’esclavage n’est jamais résolue chez Aristote, c’est un problème ; d’autant plus nous dit-il, que certains hommes réduits en esclavage compte tenu de leurs aptitudes ne le méritent pas. Alors la question c’est de savoir - et on le voit dans la citation que je vous ai donnée - qu’est-ce que reçoit le maitre du travail de l’esclave ? Il reçoit…il reçoit quoi ?

–        Une production

Une production de biens, de biens matériels, alors l’archetype de la production c’est par exemple le tissu dont il est question dans la citation. Qui manipule les navettes ? Les esclaves. Les tissus, la poterie enfin tous les objets de la vie quotidienne, plus d’autres objets de la vie agricole, plus la production agricole enfin tout cela était effectivement à la charge des esclaves. Donc on va dire que ce que reçoit le maître ce sont des biens matériels de l’esclave.

Il donne ces biens matériels au maître. Alors justement, toute la question est de savoir qu’est-ce qu’il donne au maître. Lacan nous dit que le maitre prélève une dîme, une dîme, et qu’il laisse à l’esclave ce qui le caractérise comme esclave, à savoir « hédoné ». « Hédoné » ça veut dire quoi en grec ? Le plaisir, la jouissance.

La traduction est mauvaise, quand on dit plaisir ; en grec c’est à la fois plaisir et jouissance, c’est les deux. L’esclave il est dans un courant de jouissance corporelle. Et si ça n’était pas le cas, je pense que effectivement, Aristote n’aurait pas conceptualisé les choses de cette façon. Et donc ce que nous dit Lacan c’est que le maître aristotelicien prélève une dîme et cette dîme il lui donne un nom justement à cause de cette référence à la jouissance, il l’appelle le plus-de-jouir. Alors entendez plus-de-jouir dans tous le sens que ça peut avoir. C’est plus-de–jouir au sens de plus de jouir – on va jouir plus du fait qu’on va récupérer un maximum de biens, mais c’est plus de jouir ça veut dire pas de jouissance, terminé pour la jouissance. Donc vous avez cette ambiguîté dans le terme plus-de-jouir à la fois un surplus de jouissance et une perte de jouissance. Vous voyez donc quel est le statut des biens, et assez curieusement, Lacan va symboliser ce plus-de-jouir par une lettre Il va l’appeler objet petit a. Et alors là vous allez me dire la théorie de l’objet petit a ce n’est pas exactement ça, pour ceux qui savent, c’est pas les biens matériels, sauf que c’est ça la performance de Lacan, il met sur le même plan les objets produits par le discours du maître, objets matériels, et l’objet en tant que cause du désir. Alors qu’est-ce que c’est l’objet en tant qu’objet cause du désir ? N’allez pas chercher des choses très compliquées c’est pas compliqué, ce sont les fameux objets que Freud a repérés dans sa théorie des pulsions, les fécès, le flot urinaire, le sein, la voix, un objet mis à part et qui a un autre statut que le statut d’objet mais qui peut avoir une dimension objectale, le phallus, le souffle aussi, bref toute une série d’objets qui désignent ce que vise la pulsion sur tel bord anatomique du corps. Eh bien assez curieusement Lacan met les biens matériels sur le même plan que les objets pulsionnels. Ça c’est un forçage, en tout cas c’est comme ça que Lacan raisonne, c’est-à-dire que c’est précisément parce que la pulsion isole des objets cause du désir que cette pulsion est capable d’en produire. Vous voyez le lien ? Celui qui produit des objets est dans un rapport pulsionnel à la production et c’est ça la jouissance. Donc vous voyez que Lacan va assez loin et il va aller encore plus loin en formalisant le discours du maître. Il va dire dans le langage il y a ce qu’on appelle « commandement ». Il y a ce qu’on appelle de l’impératif. Le commandement lié à une demande qu’on adresse à l’autre. Le commandement c’est la fonction du signifiant sur quoi s’appuie l’essence du maître – ce signifiant Lacan va l’appeler S 1.

 

Alors question, quel est le champ propre de l’esclave ? Est-ce que c’est celui de l’impératif ? Non. Qu’est-ce que fait l’esclave lorsqu’il est devant son métier à tisser ? Il met en œuvre quoi ?

-       le corps -  le corps, mais quoi d’autre ?

-       le S1 – ah ! il ne met pas en œuvre le S1 il obéit au S 1

Non il met en œuvre autre chose, un savoir, un savoir faire, l’esclave met en œuvre un savoir faire. Et donc, assez logiquement, face à ce S 1 vous avez un autre signifiant sur quoi s’appuie l’essence de l’esclave, noté S2 et S2 c’est le signifiant du savoir. Donc d’un côté vous avez l’imperatif et le commandement, de l’autre le savoir. Et ce savoir, à quoi sert-il ? A produire. Et à produire l’objet petit a. Donc vous avez le désir d’un maitre d’avoir telle ou telle chose qui s’adresse à une place autre, celle de l’esclave celle du savoir pour produire un objet. Et en place de vérité – j’ajoute ce point qui est un point théorique important – en place de vérité, c’est à dire la vérité du maître, c’est le sujet en tant qu’il est le sujet du phantasme, c’est à dire c’est en tant que sujet qu’il va demander à l’esclave et que l’esclave lui verse cette dîme de l’objet. C’est parce que c’est un maître désirant en tant que sujet qu’il va demander à l’esclave de lui verser cette dîme, cette partie de l’objet qu’il lui reverse.

Donc vous voyez ce que fait Lacan du politique d’Aristote. Il en fait une topologie. Ça c’est une construction topologique. Et c’est une topologie qui est fondée non pas sur la condition humaine de l’esclave ou du maître mais sur –  c’est ça qui déplace un peu le curseur -  mais sur la logique du signifiant. Pour le dire autrement, il n’y aurait pas de maitre et d’esclave s’il n’y avait ce lien entre S1 et S2 dans le langage. C’est-à-dire qu’on est loin de la brute héroique, il n’y a de maitre et d’esclave, il n’y a de commandement et de savoir que parce qu’il y a du langage. C’est ça qui crée ce type de rapport particulier. Alors vous allez me dire, mais il faut peut-être rajouter un autre élément à cette théorie du langage, c’est que quand vous lisez l’Iliade ou l’Odyssée, vous avez des brutes héroiques qui passent leur temps à se massacrer entre eux – il faut dire les choses. Ça fait abstraction de quelque chose qui évidemment n’est pas visible, à savoir cette dimension du langage que suppose le discours du maître. Car le discours du maître n’opère pas seulement dans la guerre, il opère en général dans la paix. Et donc il y a une dimension qui est intrinsèque au langage et qui est une autre dimension sur laquelle Lacan a beaucoup insisté, il y a que précisément c’est cette dimension de l’impératif et du savoir, c’est ce qu’on appelle du pur semblant. Pour le dire autrement, bien sûr il a des maîtres, il a des gens qui sont dans des positions de maîtrise, et qui ne laissent pas beacoup de place à l’alternative quand ils donnent des ordres, vous qui êtes engagés dans le milieu professionnel vous savez ce que ça veut dire, il y a des gens qui sont en position de savoir et qui obéissent aux ordres et donnent ce qu’ils savent pour fabriquer tel ou tel objet ou tel ou tel savoir faire utile au maître, mais on est bien d’accord, celui qui se prend pour un maitre qui « s’y croit » comme on dit ou celui qui se prend pour un esclave, c’est la même chose. On considère qu’il est un peut zinzin parce que précisément la dimension du semblant lui échappe. Ça veut dire que la dimension du semblant tient à fonction du langage. La preuve c’est que ces places – alors ce n’était pas le cas dans l’antiquité mais c’est le cas aujourd’hui – ces places sont interchangeables. C’est à dire qu’on peut effectivement à un moment être en position d’impératif et à un autre être en position de savoir, et la souplesse de la vie sociale c’est d’être capable d’être dans une de ces deux positions à un moment donné sans trop y croire. Et en particulier, j’ajoute ça parce que ça va rejoindre le point que je vais développer plus avant tout à l’heure, en particulier dans ce qu’on appelle la démocratie. Donc voilà ce que je voulais vous dire de cet aspect, de ce commentaire que fait Lacan du Politique d’Aristote.

 

2. J’en viens à la deuxième partie de ce travail, qui concerne le lien politique et là je vais vous faire un exposé plus aristotelicien que Lacanien et vous allez voir on va arriver à des  conclusions modernes. (36 :28)

 

Quelle est la fin de la politique ? Aujourd’hui on se pose la question quelle est la fin de la politique à votre avis ? Servir – Servir ! Il y a une notion qui est très importante dans l’antiquité qui est une notion platonicienne mais qui est aussi une notion aristotélicienne, peut-être est-ce une notion qu’on a perdue de vue, c’est quand même une notion qui a encore son actualité : c’est – ce qu’on appelle le bien, le bien public. Comment ? L’intérêt général ; aujourd’hui on dit l’intérêt général, lui il disait le bien commun. La fin de la politique – alors je sais que ça paraît complétement surréaliste de dire ça aujourd’hui – mais la fin de la politique c’est le bien commun. Ce n’est pas l’universalisme. Alors dans la conception aristotelicienne il est évident – là vous posez une vraie question, une question qui est très juste, là je fais une petite parenthèse. Vous savez qu’Aristote était le précepteur d’un grand politique et conquérant qui fut Alexandre le Grand. Il lui a même écrit une lettre en 330, qui a été d’ailleurs exhumée il y a très peu de temps par des chercheurs, où il l’encourage dans ses conquêtes et où il lui dit qu’il va incarner, pour son empire, les valeurs de l’éthique en tant qu’il est le souverain de cet empire. Donc quand vous dites qu’il est universaliste, c’est vrai que la visée aristotelitienne et la visée de la politique c’est une visée qui dépasse les frontières de la démocratie athénienne et qui a directement inspiré Alexandre dans sa  visée expansionniste d’une totalité impériale ; vous savez qu’il est allé jusqu’en Inde donc effectivement, il y avait cette visée universaliste avec ….  ne me faites pas dire  ce que je n’ai pas dit ; je ne suis pas défenseur de l’empire d’Alexandre, mais en tout cas il y avait cette visée dans la pensée d’Aristote, avec l’idée que ce bien pouvait effectivement s’universaliser, ne pas être que le bien des cités grecques mais d’autres citées qui au départ n’étaient pas sous la tutelle grecque. Donc vous posez une bonne question, c’est effectivement la visée aristotelicienne.

 

Alors qu’est-ce que le bien ? On pourrait se poser la question, qu’est-ce que le Bien ? Et là encore, je vais vous donner une définition qui va vous decevoir, mais c’est une définition aristotelicienne, « c’est ce vers quoi toutes les choses tendent », c’est une définition platonicienne.

 

Alors quel rapport avec l’éthique du maître ? On peut dire que c’est que le maître vise un bien pour la cité. Et que ce bien pour la cité suppose une certaine éthique. Toute la question qui va se poser est de savoir si cette éthique politique concerne ou non la notion qui nous intéresse – à savoir la notion d’identité nationale. Est-ce qu’on peut dire que cette recherche du bien chez Aristote est intrinsèquement articulée à une identité communautaire et nationale ? Alors vous allez me dire oui parce que au fond, et on voit ça dans l’Iliade, mais on voit ça aussi dans ce qu’écrit Aristote. Aristote méprisait ceux qu’il appelait les « barbaroïs », les barbares, et qu’il opposait aux Grecs ; les barbares – vous voyez le mot barbare, le barbare c’est celui qui n’a pas le langage, qui parle des mots qu’on comprend pas et qui baragouine, barbare. Il y a quelque chose de péjoratif dans le terme même. Il opposait fréquemment l’éthique des Grecs et celle des barbares.

Néanmoins, je vais essayer de vous montrer, tout le Politque est construit pour tenir compte des formes de gouvernement autres que celles pratiquées dans les cités grecques. Alors avant de répondre positivement à la question, je voudrais d’abord esquisser une définition : qu’est-ce que l’identité nationale ? A quelle époque émerge en Europe l’idée de nation ? Certainement pas dans l’antiquité. On va voir pourquoi. L’idée de nation émerge tardivement au 18ème siècle. Vous avez un texte qui s’appelle « Essai sur les mœurs et l’esprit des nations » de 1756 de Voltaire, et où Voltaire définit la nation comme ça : « La nation ou ses membres se distinguent par leur mœurs, leurs caractères, leur genie respectifs » c’est ça la nation et puis vous avez un texte très celèbre, je ne sais pas si on le lit encore, mais enfin il est très emblématique de la conception républicaine de la nation, c’est celui de Renan « Qu’est–ce qu’une nation ? » où il dit que « la nation comporte entre ses citoyens des points communs visibles portant sur la race, la langue, les intérêts, l’affinité réligieuse ». Evidemment un autre point qui vient tout de suite, qui vous vient à l’esprit la géographie  et avec la géographie, c’est assez logique, quand on a un territoire on a tendance à vouloir le défendre - les nécessités militaires. C’est l’avènement au 19ème – de ce qu’on appelle à travers ces conceptions philosophico-historiques - dans toute l’Europe – de ce qu’on appelle l’Etat-nation. Qu’est-ce qu’une nation ? Il le définit encore d’une façon assez exemplaire – « une âme, un principe spirituel, se résumant par un fait tangible, le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune » ; ça c’est de la part des citoyens de la nation. « le désir de continuer la vie commune » - alors vous allez me dire, mais est-ce que ça suffit pour penser la nation au 19ème et au 20ème siècle ? Il y a un autre élément qui s’y ajoute, qui est encore pire si je puis dire, qui est la foule. Car ce qui caractérise la nation c’est qu’elle peut se constituer en foule, en masse. Ce que montre au 20ème siècle l’avènement à la fois du faschisme, du nazisme et du communisme. Il y en a un qui était très sensible à ça, c’est un sociologue dont Freud s’est inspiré, qui a écrit « La psychologie des masses », Le Bon, et Freud sur la foi de ce qu’écrit ce Le Bon, Freud écrit un texte que je vous conseille tous de lire cette année en particulier, qui s’appelle « Psychologie des masses et analyse du moi ». 1921. Alors qu’est-ce qu’il dit de façon très rapide dans « Psychologie des masses et analyse du moi ? Il dit que le moi dans une foule est susceptible de s’identifier à ce qui va représenter pour lui un Idéal, un leader ou un trait de cet Idéal ; le trait il l’appelle le trait unique, « einziger Zug ». « einziger Zug » ; vous notez que Zug en allemand ça veut dire train aussi. Je ne sais pas si ça vous rappelle quelque chose, mais entre le trait et le train, et les effets du trait sur le train, enfin bref, einziger Zug. Le trait unique qu’il prend comme exemple, le trait unique auquel s’identifie la foule nazie, c’est la moustache du Führer. Cette identification de masse à un Idéal, a quels effets sur le moi ? Eh bien, un effet de libération de tout ce qui oblige le moi à maintenir le – pour utiliser un terme freudien – le refoulement. Et donc il y a une levée du refoulement nous dit Freud. Contre qui ? Eh bien contre tous ceux qui ne font pas partie de la masse. C’est à dire – on ne va pas donner d’exemple, mais les exemples historiques ne manquent pas, surtout avec le nazisme, et donc la formation de cette masse autour de l’Idéal du moi qui lève le refoulement pour le moi, a pour conséquence le meurtre ; le meurtre et la tentation homicide, c’est ce que nous dit Freud, vous verrez, le meurtre, l’exclusion, la ségrégation la tentation homicide. Le texte de Psychologie des masses et analyse du moi a été écrit en 1921 au moment de l’avènement du faschisme mais c’était aussi l’avènement de Hitler en Allemagne ; Hitler a commencé ses activités militantes à cette époque. Et Freud a eu cette intuition étonnante. La moustache du Führer dans un texte de 1921, c’est juste prophétique !

Alors la question c’est, est-ce qu’on en est là avec Aristote ? Eh bien la réponse c’est que le Politique d’Aristote concerne une toute autre dimension moderne de la politique, et où l’identité nationale fondée sur l’esprit du peuple, la masse, et l’idéal charismatique d’un chef, n’est pas présente. Alors qu’est-ce qu’on a à la place ? On a une réflexion sur l’idée de citoyenneté, qu’est-ce qu’un citoyen ? L’idée de constitution, qu’est-ce qu’une constitution ? Et la possibilité de ce que Habermas appelle – et je tiens à cette expression parce que je la trouve extraordinairement éclairante et intéressante, la posssibilité de ce que Habermas appelle un patriotisme constitutionnel. Où dit-il ça ? Je vous conseille de le livre 3 de la Politique, livre 3 de la Politique. Habermas a écrit des articles excellents dans la presse,  il a fait de très bons interviews sur l’Europe aujourd’hui.. Je vous les conseille, c’était dans un numéro du  Nouvel Observateur du mois de Juilllet où il parle de la Grèce, de l’Europe de toute cette dimension de la citoyenneté européenne.

 

Alors qu’est-ce qu’une constitution au sens aristotelicien ? Ça n’est rien d’autre qu’une certaine manière d’organiser ceux qui vivent dans la cité. Vous allez me dire, ça ne va pas très loin. D’une certaine manière d’organiser ceux qui vivent dans la cité. Et qui vit dans la cité ? Le citoyen. La cité est une collectivité déterminée de citoyens. Donc le critère n’est pas la nation, c’est la cité, ce n’est pas tout à fait la même chose. Alors on va partir de définitions basiques : qu’est-ce qu’un citoyen ? C’est quelqu’un qui paye des impots oui – quelqu’un qui a droit de cité oui alors donc s’il a droit de cité, droit de vote oui? On va dire que c’est quelqu’un qui participe a la vie de la cité et là Aristote dit, un citoyen au sens absolu ne se définit que par sa participation - alors çà c’est ce qu’on appelle la démocracie directe au sens athénien du terme – que par sa participation aux fonctions judiciaires et aux fonctions publiques en général. Alors vous allez me dire, mais ce n’est pas le cas pour nous, nous on ne participe pas aux fonctions judiciaires ? Alors si, vous pourriez si vous faisiez partie d’un jury, vous pourriez participer aux fonctions judiciaires, vous pouvez participer aux fonctions publiques sauf qu’il faut se faire adouber par un parti politique, enfin en tout cas si on veut avoir quelque chose…, y participer directement, ça veut dire que la démocracie telle que nous la vivons n’est pas une démocracie directe au sens ou ça l’était dans l’antiquité ou chaque citoyen participait à l’assemblée, vous comme moi on était conviés à participer à l’Agora et à dicuter des décisions politiques dans l’Agora. Dans la société athénienne, les citoyens n’était pas représentés ils participaient directement aux fonctions et aux décisions publiques. Alors, ces fonctions sont discontinues, mais certaines sont continues dans le temps. Ce qui est important avec cette notion c’est que dans cette conception de la démocracie directe il y a eu confiance faite à quoi ? A la parole et à ce qu’on appelle l’espace de la délibération. Quand vous êtes dans des associations par exemple, vouz avez un espace délibératif. Les assocations sont typiquement un exemple de démocracie directe. Eh bien, c’est ce qu’il dit. Alors il y a des variétés, si vous comparez par exemple Sparte et Athènes, à Athènes vous avez la démocracie directe, et à Sparte qui était un état militaire, vous aviez des conseils élitistes, dirigés par des militaires ; donc on était dans un régime - on va dire - de semi-dictature. Mais en tout cas, l’idée d’une cité fondée sur un espace délibératif, c’est ce qui permet à Aristote de penser pour la première fois la notion d’Etat. Alors la question evidemment qu’on se posait c’est qu’est-ce qui fait - par rapport à la conception qu’on a de l’identité constitutionnelle - qu’est-ce qui fait l’unité de la cité ? Est-ce que c’est par exemple le peuple ? A votre avis, est-ce que c’est le peuple ? C’est les citoyens. Est-ce que ce sont les citoyens qui font l’unité de la cité ? La langue, alors ça, on est dans une conception moderne, c’est pas la langue. Voilà, ce qui fait l’unité de la cité, ce sont les institutions. Il dit une chose que je trouve excellente : Il est manifeste que nous devons définir l’identité de l’Etat en ayant principalement égard à sa constitution. C’est à dire si la constitution s’effondre au sens de la constitution que vous connaissez aujourd’hui, c’est à dire la défintion du pouvoir, si la constitution s’effondre, il n’y a plus d’Etat, il n’y a plus d’unité. Donc c’est ce qui fait l’unité de la cité ce n’est pas l’identité nationale, c’est l’identité – on va dire - constitutionnelle ou politique. Il dit une chose que je trouve assez juste, « la vie collective perd son unité politique qui en était le couronnement, si la constitution vient à changer ». Alors vous allez me dire, mais qu’est-ce qui fait tenir cet Etat et cette identité de l’Etat, grâce à la constitution ? Qu’est-ce qui permet que l’Etat tienne sur des bases solides ? La parole donnée, oui mais c’est quoi précisément ? Qu’est – ce qui garantit la solidité de la constitution ? C’est le citoyen . Et donc c’est la vertu du citoyen. Qu’est-ce que c’est l’œuvre du citoyen ? Il le dit de façon très claire, c’est le salut de la communauté. Et la communauté, nous dit-il, c’est la constitution. Alors est-ce qu’il s’arrête précisément à une notion je dirais athénienne de la constitution ? Est-ce qu’il va dire que constitution démocratique est la seule ? Pas du tout ! Il nous dit, il y plusieurs types de constitution, et c’est le premier à établir la typologie des constitutions. Pour le dire de façon très rapide, mais c’est facile à retenir, vous imaginez une pyramide, vous avez des constitutions qui sont des constitutions monarchiques, avec un seul au sommet, et qui définit le Bien de tous, vous avez des constitutions aristocratiques avec les meilleurs au sommet, qui définissent aussi le Bien de tous, et puis vous avez des constitutions dites républicaines et où tous définissent le Bien de tous. Donc monarchie, aristocratie, république. Et vous avez évidemment des dérives propres à ces constitutions. La monarchie c’est quoi ? La tyrannie. L’oligarchie pour l’aristocratie, c’est à dire le pouvoir des plus riches sans considération de leurs mérites, et puis la dérive de la république, c’est ce qu’il appelle de façon péjorative la démocratie. Il y a des pages fameuses de son maître Platon dans la République où on parle de la démocracie comme d’un lieu où se déchainent les rhéteurs, ceux qui font de beaux discours pour raconter des balivernes ; et où c’était aussi un travers de la démocracie athénienne,. Vous avez aussi ce qu’on appelle dans le champ de la démocracie athénienne les sophistes, qui sont là précisement pour développer l’art du discours et l’art, précisément de la persuasion. L’art de la persuasion pourquoi ? Comme c’est dit dans le Gorgias, pour conquérir c’est ça ce à quoi sert le discours dans une démocratie pervertie, pour conquérir les suffrages de ceux qui vous soutiennent. C’est ça, l’art de la persuasion. Et donc, vous avez un certain nombre de dérives de la démocratie qui sont des dérives qu’on connaît même aujourd’hui, je veux dire qui sont bien connues, et qui définissent effectivement des tendances lourdes de la vie collective. Qu’est-ce qui est important à retenir là dedans ? C’est que fondamentalement, la politique a un fondement qui est un fondement - on va dire - éthique. C’est à dire dans la mesure où c’est le citoyen qui est garant de la constitution, la constitution repose sur quoi ? Et bien sur la vertu du citoyen. Si effectivement le citoyen n’est pas vertueux, eh bien il y a de forts risques, que l’ensemble du système s’éffondre. Et donc il y a un fondement éthique de la politique, une éthique fondée sur quoi ? Sur les vertus, sur la justice par exemple, sur le sens de la justice, sur le sens de l’équité, sur le sens du courage pour défendre ces institutions. Vous savez que Rousseau qui est un penseur moderne disait que celui qui séparait la morale et la politique n’avait rien compris ni à la morale ni à la politique. Eh bien, c’est un peu ça la pensée d’Aristote, avant Rousseau bien sûr, de dire qu’effectivement ce qui fait le socle du lien politique, c’est l’éthique. C’est l’éthique pour créer quoi comme type de fonctionnement ? Eh bien il nous dit que si la finalité de la politique c’est le Bien, la finalité de l’Etat c’est la communauté du bien vivre. En vue d’une vie parfaite qui se suffise à elle même. Il y a l’idée aussi dans cette cité aristotélicienne, l’idée d’une certaine autarcie, la cité tranquille avec sa constitution et dont la vie se suffit à elle même. Alors vous allez me dire mais quelle est la modernité de ce concept, en quoi cette pensée est-elle intéressante ? Précisément elle est intéressante – et c’est le seul message que je voulais vous apporter ce soir – c’est qu’elle définit l’identité – il le dit très clairement – elle définit l’identité uniquement à partir d’un point de vue constitutionnel. La question du nationalisme est au second plan. C’est cela que je pense et si je fais référence à cet auteur, Jürgen Habermas, c’est parce que dans un texte qu’il a publié dans les années 80 à propos d’une polémique qui s’appelle en allemand « Historikerstreit » - la querelle des historiens – la querelle des historiens allemands c’était qu’un certain nombre d’entre eux défendaient la thèse selon laquelle le nazisme pour l’Allemagne et pour l’Europe n’était qu’une défense contre le bolchevisme. Donc ils reprenaient tout bonnement les thèses nationalistes, national-socialistes telles qu’elles avaient été développées 30 ans plutôt. Et ils étayaient ces arguments en disant que le nazisme était en quelque sorte une protection de l’Europe par rapport à l’expansion du communisme Et donc, dans cette polémique, curieusement, Habermas a pris position en disant non, il ne faut pas raisonner comme ça. Et précisément, après guerre, une forme de citoyennenté en rupture avec le passé nazi est appurue. Et cette forme de citoyenneté a priscorps dans une loi fondamentale où est défini ce qui s’appelle le droit des minorités. Pourquoi le droit des minorités ? Vous imaginez pourquoi – par rapport à ce qui s’était passé…..

C’est précisément ce qu’on peut appeler avec Habermas dans la polémique qu’il a engagée contre des historiens comme Molte, ce qu’il appelle un patriotrisme constitutionnel, c’est à dire une référence à une certaine idée de la citoyenneté qui considère l’appartenance politique comme l’exercice réglé de droits et de devoirs dans le cadre d’une constitution.

C’est très important car cela peut résoudre les dérives auxquelles on a pu assister au XXème siècle.

Est-il possible – c’est la question – de faire masse avec une telle définition de la citoyenneté ? Est- il  possible d’adhérer à une identité collective sur un mode ségrégationniste ou destructeur avec cette définition de la citoyenneté. ?

Vous allez me dire mais quel rapport avec la psychopathologie ? Mais le plus étroit rapport, parce que si vous admettez que ce type de conception a le minimum de fondement, les dérives du nationalisme ou du populisme peuvent être je dirais au moins endiguées par une conception ouverte de la citoyenneté.

Là vous allez me dire, mais quel rapport avec la première partie du cours que je vous ai présentée. Là encore, le plus étroit rapport. Puisque cette citoyenneté, elle suppose – j’ai commencé là dessus la deuxième partie – elle suppose le discours du maître. C’est- à-dire un certain nombre de personnes qui commandent et d’autres qui executent, y compris dans une démocratie. Les fonctions honorifiques à Athènes, elles étaient altérnées c’est à dire que celui qui était responsable, avait un mandat de 3 ans et au cours de ce mandat il pouvait imettre en oeuvre ce qu’il voulait, en fonction des délibérations, aux autres citoyens. Donc ça veut dire que la citoyenneté dans la démocracie, c’est une citoyenneté qui s’accomode d’un discours du maitre et d’un semblant où l’alternance des places est possible. On n’est pas en position de maîtrise tout le temps, ni en position de savoir tout le temps et c’est justement ce qui implique le semblant. Et donc vous voyez comment on peut penser le patriotisme constitutionnel par rapport à cette idée précisément d’un jeu possible des places. Vous le vivez dans vos associations. Et puis si vous avez des mandats politiques et il se peut qu’il y en ait quelques uns qui militent, vous voyez bien que c’est comme ça que ça fonctionne. L’autre point important qui est un point sur lequel je finis c’est que cette question du semblant dans l’usage du discours du maître et en particulier dans le champs politique, nous y sommes de plus en plus confrontés avec cette idée que les détenteurs de l’autorité ont perdu tout crédit dans le registre du semblant. On ne les croit plus. Ils disent, je vais faire telle réforme, je vais faire telle chose, je vais décider telle chose , et on a comme réponse une espèce de dégoût de la vie politique qui est assez endémique. Et en même temps une aspiration avec ce qu’on peut reconnaître dans les réseaux sociaux, à quelque chose qui s’appelle la délibération, la décision collective. Et donc, on est à une période charnière où le rapport au maître, où le rapport à celui qui detient l’autorité, qui donne l’impératif, est en train de changer. Où les relations qui sont des relations verticales, qui peuvent être des relations hiérarchiques, deviennent des relations de type horizontale. Vous voyez le rôle des réseaux sociaux dans le printemps arabe. Vous avez vu comment les réseaux sociaux ont engendré une révolution pas du tout à partir de leaders, mais à partir d’un échange délibératif. Donc on est dans une mutation très importante. Et donc c’est sur ce point je voudrais terminer en vous disant que le patriotisme constitutionnel tel que Habermas le conçoit, c’est une façon probablement de répondre avec intelligence au risque de l’identité nationale et c’est aussi une façon d’envisager la vie politique sous un jour nouveau qui est en train de naître, qui est en train d’émerger. Alors moi je pense que ça fait partie de ce qu’on appelle la psychopathologie collective .