Lola Forgeot : L’éthique en pédopsychiatrie

Conférencier: 

EPhEP, le 26/03/2018

 

Bonjour à tous,

Je suis le Docteur Lola Forgeot, je suis pédopsychiatre, praticien hospitalier et chef de pôle dans un hôpital pédopsychiatrique qui s’appelle la Fondation Vallée qui se trouve à Gentilly. C'est un hôpital qui a la particularité d’être purement pédopsychiatrique. Il est rattaché au CHU du Kremlin Bicêtre, mais c’est un hôpital qui comporte 21 unités de pédopsychiatrie infanto-juvénile et au sein duquel je dirige 2 unités : une unité d’urgence qui accueille des adolescents en situation de crise. C’est une unité fermée, et une unité pour enfants de 4 à 12 ans qu’on accueille pour des séjours soit brefs soit un peu plus longs quand ils sont en panne. Je vais essentiellement vous parler de ma pratique quotidienne.

 

Pourquoi séparer un enfant de sa mère lorsqu’elle est le seul référent parental qu’il lui reste ? Peut-on imposer à un adolescent une séparation qu’il ne souhaite pas ? Dans la mesure où il ne présente pas de troubles psychiatriques avérés, son consentement peut-il être pris en compte et considéré comme éclairé ? Une question que j’ajouterais, et qui me semble être le cœur d’une réflexion éthique possible en pédopsychiatrie : quelles sont respectivement la place de la protection de l’enfance et la place du soin dans une situation comme celle-ci ? La place de l’enfant et la place des parents dans les décisions qui le concerne ? Quelle est la frontière entre la bienfaisance ou la non malfaisance et le respect de l’autonomie de la personne ? Vous voyez déjà un peu le champ des questions éthiques qui se pose. Cette question est effectivement centrale dans la pratique quotidienne de la pédopsychiatrie et en y réfléchissant, loin de moi l’idée de pouvoir brosser l’ensemble du champ des questions éthiques de la pédopsychiatrie, mais il m’est venu l’idée ce soir de vous parler de trois axes, qui me semblent être trois axes qui se répètent dans la pratique quotidienne.

Le premier c’est ce que j’appelle le style éducatif qu’on pourrait définir comme les frontières de l’intime et du social, la deuxième question dont je vous parlerai ce soir c’est celle du consentement éclairé en pédopsychiatrie, et enfin j’aborderai peut-être pour conclure l’idée d’une pratique professionnelle qui serait une forme d’éthique de la pratique clinique de pédopsychiatrie, que serait la cure institutionnelle pratiquée encore dans de nombreux services pédopsychiatriques et qui pour moi est une pratique clinique au service du sujet.

 

 

Le style éducatif.

Pour vous parler de la question du style éducatif qui bien sûr pose question parce que quand on travaille en pédopsychiatrie on est confronté à des familles qui sont déjà de cultures très différentes, de styles très différents, de références très différentes, issues d’une généalogie différente, c’est-à-dire que même entre des frères et des sœurs on ne voit pas le même style éducatif se reproduire. On est obligé pour ça de réfléchir à l’histoire de l’enfance et à l’histoire de la naissance de la protection de l’enfance. Parce qu’effectivement, comment est-ce qu’on se positionne par rapport à une famille qui pratique la fessée ? Alors vous voyez déjà que c’est une vraie question parce que ce n’est pas pareil en France que dans d’autres pays. Là j’ai été interviewée par une japonaise qui a appelé notre service parce qu’effectivement il y a une réflexion actuellement politique au Japon sur l’interdiction des brimades et des châtiments corporels, et donc ils voulaient savoir qu’est-ce qu'avait occasionné en France l’interdiction récente de la fessée. Comment est-ce qu’on contrôlait que ça avait bien lieu ou pas. C’est vrai que c’est une question de savoir quand est-ce que l’Etat rentre dans l’intimité des logis, et ce n’est pas sans effet.

Donc je vous propose de commencer par l’histoire de la protection de l’enfance parce que cela va nous donner tout de suite les grands axes.

Effectivement, la protection de l’enfance, se construit autour de deux paradigmes : le droit de la personne à disposer d’elle-même et l’autre paradigme, c’est la prématurité fondamentale de l’enfant à la naissance qui l’ancre dans une dépendance totale. La longueur du processus de maturation de l’enfant au regard de la durée de vie de l’humain par rapport aux autres espèces animales où l’enfant est très rapidement autonomisé est incontestable. Chez nous, à l’instar de certains Tanguy, cette période peut durer un certain temps !

Les questionnements sur l’histoire de l’enfance ont débuté quand l’historien Philippe Ariès en 1960 publie son livre qui s’appelle L’enfant et la famille sous l’Ancien Régime.  C'est un livre fondateur parce qu’on ne s’était pas beaucoup intéressé à l’histoire de l’enfance auparavant. Cet ouvrage a été vraiment le début d’un travail historique.

Mais même si aujourd’hui certaines thèses de ce livre sont tout à fait contestées par la poursuite des travaux des historiens sur cette question, ce travail a permis de mettre en évidence le constat que des idées et concepts sur l’enfance ne sont pas des constantes mais varient au fil de l’histoire.

Comme le dit très bien le philosophe Alain Renaut « Ce n’est pas parce que le sentiment de l’enfance et de l’amour parental ont sans doute toujours existé qu’on a toujours perçu les enfants de la même manière ».

En effet, à l’époque de l’Empire Romain, l’enfant n’est pas reconnu comme doué d’intelligence ou d’importance. Sa survie initiale est liée à la décision paternelle. Lors de l’accouchement, la sage-femme présente l’enfant au père qui peut soit saisir l’enfant et se faisant le reconnaître, ou bien l’abandonner, ce qui en latin s’appelait l’exposer sans que sa mère puisse contredire cette décision. Il est alors exposé, c’est-à-dire livré à la porte du logis ou dans des endroits spécifiques, livré à la mort ou recueilli par des esclavagistes qui l’élèvent en tant que futur esclave de la cité. Lorsqu’il est reconnu, il est confié à une nourrice jusque tard afin qu’elle pourvoie à ses besoins fondamentaux. L’enfant n’est considéré comme possédant une âme qu’à partir de l’âge de 7 ans, âge auquel il devient éducable ce qui n’a lieu qu’en fonction de ses origines socio-économiques bien sûr. Les filles et les garçons sont instruits de la même manière jusqu’à l’âge de 12 ans. Donc la parité finalement ce n’est pas une idée si contemporaine que ça. Mais effectivement il y a quelques limites, c’est-à-dire qu’ensuite, à partir de l’avènement de la puberté, leurs destins sont séparés. Les filles sont considérées comme adultes à l’âge de 14 ans où elles peuvent être mariées, elles ont deux ans quand même d’apprentissage assez rapide des fondamentaux du logis. Elles passent alors sous l’autorité de leur mari qui peut, lui, décider ou non de poursuivre leur éducation. Donc il y avait de fait dans la société romaine des femmes qui étaient très éduquées aux questions de la Cité. Les garçons eux poursuivent leur éducation pour devenir des citoyens. Bien évidemment la question des brimades et des châtiments corporels ne posait pas du tout question à cette époque-là. C’est-à-dire que cela faisait partie du processus éducatif de façon plus ou moins féroce avec des styles divers mais en tout cas, c’était tout à fait pratiqué. Le père reste détenteur du droit de vie ou de mort sur l’enfant pendant toute sa vie, toute la vie du père. C’est-à-dire que tant que le père est vivant, il peut décider à n’importe quel moment de la mort de son fils.

Finalement, ça n’est qu’à l’arrivée du Christianisme que ces conceptions vont être un peu bouleversées. En effet, la religion chrétienne défend rapidement l’égalité de tous face à Dieu et la possibilité universelle d’accès au paradis. Ce qui est très intéressant, au vu de nos concepts psychanalytiques actuels, c’est que ça donne un Père au père. Et ça c’est l’introduction de la question symbolique. Voyez le tableau de la sexuation.

Donc au-delà du père anciennement tout puissant, la loi de Dieu domine et l’infanticide devient donc interdit par les premiers empereurs chrétiens, et punissable de la peine capitale. Donc finalement l’enfant devient un sujet, de Dieu mais un sujet quand même.

On a longtemps cru suivant les thèses d’Ariès que les enfants avaient été négligés au Moyen Age, mais des recherches plus récentes ont apporté un autre éclairage reflétant une plus grande humanité envers les enfants généralement éduqués par les moines des monastères à qui l’on confiait volontiers la succession des occupations parentales. Néanmoins il y a toujours très peu d’écrits et de témoignages à ce sujet, et les représentations de l’enfant à cette époque sont peu étoffées par des documents historiques. En tout cas on a des représentations picturales qui montrent la possibilité d’imaginer que les enfants faisaient partie d’un logis et que la question du sentiment de constitution d’une famille était en train de se mettre en place.

En revanche, après la Renaissance on trouve de nombreux écrits dont ceux d’Erasme qui n’a pas écrit que sur la folie, mais sur la place des enfants dans la société. Il semble pouvoir se rencontrer tous les styles éducatifs du plus sévère au plus laxiste, prémices de nos représentations actuelles. Les enfants sont parfois allaités par leurs mères, et c’est d’ailleurs fortement encouragé, ce qui est un grand changement dans les processus d’attachement précoce. Beaucoup est fait pour essayer de lutter contre la lourde mortalité infantile de l’époque. Les enfants sont considérés toujours comme de frêles créatures divines, qu’il faut protéger et accompagner dans leur développement. Erasme insistera même sur la place de l’attention parentale dans le processus éducatif, ce qui n’est pas rien. Finalement commencent à surgir les premières moutures de protection de l’enfance à travers l’Europe puisque c’est à cette époque que se créent les orphelinats qui ont essentiellement pour but initialement de lutter contre le vagabondage.

Mais le vrai changement intervient avec l’âge des Lumières. A l’âge des Lumières le regard se tourne vers l’enfant qui apparaît comme un être pur que la société corrompt et qu’il faut protéger. En témoignent les écrits de Jean-Jacques Rousseau ou de John Locke sur l’éducation. C’est un mouvement qui n’est pas seulement français mais qui est en tout cas assez partagé. On se met à leur proposer des jouets, des livres. C’est le début de la puériculture et le dialogue parents-enfants s’instaure dans les maisons. La simple croissance de l’allaitement maternel permet de réduire de 30% la mortalité infantile. Et ce n’est pas sans effet sur le développement psychique.

Malheureusement, la révolution industrielle ne sera pourtant pas favorable par la suite aux enfants, leur permettant de travailler très tôt, d’abord de façon saisonnière, puis de façon pérenne dans des conditions qui sont souvent dramatiques et très loin de la protection de leurs parents. Mais toutefois c’est à l’issue de cette période qu’on voit fleurir de nombreuses lois concernant la protection de l’enfance, et des lois fondatrices : en 1841 il y a la première loi qui réglemente le travail des enfants : c’est par ce biais là que la protection de l’enfance va commencer à se travailler. En 1874 c’est l’école obligatoire par Jules Ferry. En 1889 est publiée une loi sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés. C’est une loi absolument fondamentale parce qu’elle instaure la déchéance de la puissance paternelle et elle permet un contrôle judiciaire de l’autorité des parents. Pour la première fois, surgit la question : à qui appartient l’enfant ? Finalement, qui a le droit sur l’enfant dans ce registre de la dépendance ?

En 1898 il y a une loi sur la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants. Cela organise pour la première fois la possibilité de placement à visée protectrice. En 1904, ce qui est quand même très récent, il y a une loi relative à l’éducation des pupilles de l’Assistance Publique « difficiles ou vicieux », parce qu’effectivement on s'est rendu compte que les enfants maltraités étaient ensuite « un peu toniques » je pense, et du coup ça a réglementé pour la première fois la possibilité d’une responsabilité pénale des enfants auteurs d’actes délictueux. Ce qui existe toujours aujourd’hui, les juges des enfants ont, pour certains, une casquette civile et une casquette pénale.

Viennent les 2 guerres mondiales avec l’horreur qu’elles ont apportée, et le changement de regard sur l’enfance que ça a occasionné. L’enfant victime de la cruauté de l’adulte entraine l'idée de la nécessité d’un renouveau de l’humanisme, à distance des génocides ou autres cruautés innommables. C’est ainsi que l’enfant devient his majesty the baby et l’ensemble des mesures va s’orienter vers l’éducation et la protection de ce dernier.

En 1959 est rédigée la première Déclaration des droits de l’enfant dans la suite directe de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 48. Elle reprend l’idée que l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur et elle pose 10 principes : le droit à l’égalité sans distinction de race, de religion ou de nationalité, le droit à une attention particulière pour son développement physique, mental et social, le droit à un nom et à une nationalité, le droit à une alimentation, à un logement et à des soins médicaux appropriés, le droit à une éducation et à des soins spéciaux quand il est handicapé mentalement et physiquement, le droit à la compréhension et à l’amour des parents et de la société, le droit à l’éducation gratuite et aux activités récréatives (c’est joli), le droit au secours prioritaire en toutes circonstances, le droit à une protection contre toute forme de cruauté, de négligence et d’exploitation, le droit à la formation dans un esprit de solidarité, de compréhension, d’amitié et de justice entre les peuples. (Il y a encore du travail dans certains pays). C’est 1959. Le 4 juin 1970, l’autorité parentale remplace la puissance paternelle, les termes ont une importance, et l’année 1979 est déclarée l'année internationale de l’enfant.

A la suite de ça vont émerger 2 textes tout à fait fondamentaux : d'abord la CIDE (la Convention Internationale des Droits de l’Enfant), c’est un texte fondamental parce qu’il est signé par plusieurs Etats et il a une valeur juridique contraignante à l’égard des pays signataires, c’est-à-dire que, effectivement, les Nations Unies peuvent inculper un pays pour le non-respect de la CIDE. Et ensuite les 2 lois qui gèrent finalement la protection de l’enfance, et voyez qu’elles sont extrêmement récentes, ce qui est une vraie question par rapport à tout le champ de la pédopsychiatrie :, la loi du 5 Mars 2007, qui est la loi qui organise la protection de l’enfance en France avec la distinction entre les informations préoccupantes et les signalements ; la place du Procureur de la République, la place des juges des enfants, la place de l’ASE. La loi du 14 Mars 2016 qui est la plus récente, qui en fait a relu simplement la loi de 2007 et a insisté sur le rôle fondamental des PMI dans la prévention. Ça a accordé finalement à l’ODPE (Observatoires Départementaux de Protection de l’Enfance) une mission de formation des professionnels éducatifs et ça a consolidé les missions de l’ASE autour d’un terme très joli qui s’appelle le projet pour l’enfant, le PPE. C’est un peu questionnant cette relecture de la loi de 2007 puisque effectivement je ne crois pas qu’avant ça l’ASE faisait autre chose que des projets pour les enfants mais quand même ça a permis d’apporter un accent autour de la question de la prévention et de la prise en charge la plus précoce possible de la question des maltraitances. Il y a maintenant plusieurs articles qui montrent que plus un enfant est placé tard, moins il s’en sort de façon correcte. Maurice Berger qui est un pédopsychiatre assez connu pour son ouvrage qui s’appelle L’échec de la protection de l’enfance, a dit que quand on pense à un placement c’est qu’il est déjà trop tard. Ça a le mérite de nous faire réfléchir.

Intervenant : A quel moment est-ce qu’on définit un enfant ? Jusqu’à quel âge ? Ou est-ce qu’on considère que c’est un enfant jusqu’à l’âge de 18 ans ?

Dr. Forgeot : Oui.

Intervenant : Ça a varié au cours de l’histoire ?

Dr Forgeot : Oui. La loi récente au sujet de la majorité sexuelle, récemment débattue est assez pauvre sur cette question. Mais néanmoins ça prouve que dans les différents champs on ne s’accorde pas de la même manière sur la définition de l’enfance. La loi de 2007 définit que l’âge de 18 ans détermine l’accession à la majorité. A partir de ça on peut être sous tutelle de l’Etat mais on n’est plus sous tutelle de ses parents. Ce qui est une vraie question. Vous voyez bien qu’il y a toujours en fait ce décalage qui va être le fondement des questionnements éthiques que je vais vous soumettre ce soir entre la question du développement psychique et la question du rapport à la société.

Intervenant : A partir de quel moment un enfant est -il considéré comme une personne juridique ?

Dr Forgeot : Dès la naissance, en revanche c’est très important parce que ça ne peut pas l’être avant. C’est un véritable problème. J’ai travaillé beaucoup en maternité, et puis j’ai dirigé une unité mère-bébé et en fait on ne peut pas faire de signalement ou d’information préoccupante pour un enfant à naître. Donc quand on sait qu’on a une maman extrêmement en difficulté - j’ai, entre autres, accompagné des mamans schizophrènes, très malades, très en souffrance, avec des traitements lourds et pour lesquelles pour le moins j’imaginais qu’il y aurait eu besoin d’un soutien de l’aide sociale à l’enfance assez rapide - on est obligés d’attendre le jour de la naissance de l’enfant. On ne peut pas le faire de façon anticipée. On peut bien sûr solliciter les partenaires en disant : « écoutez là on a une famille, les 4 premiers sont placés, il y a un 5ème qui arrive, bon, ce n’est pas très bien engagé comment est-ce qu’on peut s’organiser ? » On peut le faire, l’ASE répond, mais ils sont tout à fait débordés. Je pense que c’est vraiment un système qui est mis à mal aujourd’hui, mais l’ASE répond qu’ils ne peuvent absolument rien faire de préventif. Ils le font dans l’accompagnement des familles bien sûr, mais rien d’officiel en tout cas avant la naissance de l’enfant. Donc c’est une vraie question puisqu’on sait bien aujourd’hui que l’accompagnement périnatal, c’est un accompagnement qui permet d’éviter la survenue de troubles pédopsychiatriques ensuite.

Effectivement vous voyez bien que les questions qui pourraient émerger déjà de ce que je viens de vous raconter sont des questions. Quand doit-on solliciter la protection de l’Etat pour un enfant ? Quelle légitimité des professionnels face à l’autorité parentale ? Et comment distinguer le registre des soins et le registre de la protection de l’enfance ?

A propos de toutes ces questions, il faut surtout se hâter de ne pas répondre rapidement. En effet, le champ du soin est le mieux formé pour évaluer les dysfonctionnements interactifs entre parents et enfants, surtout quand ceux-ci sont subtils et s’étalent sur plusieurs générations. Mais être à la fois celui qui évalue et celui qui soigne ça rend difficile le travail d’alliance minimale nécessaire avec la famille pour que l’enfant s’engage dans des soins. Difficile mais pas impossible. Pourquoi ? Parce qu’il est très fréquent au quotidien de constater combien une famille est soulagée et non en colère par l’annonce de la nécessité d’un signalement ou d’une information préoccupante. Parce que cette démarche, si elle est véritablement effectuée avec bienveillance, c’est-à-dire non pas dans une optique de jugement parental mais d’un constat partagé des difficultés de l’entourage à contenir l’enfant ou à l’accompagner au mieux dans son développement, est en fait rassurante pour les titulaires de l’autorité parentale. Ça ne doit pas vous faire mésestimer la part importante de déni de certains parents sur les troubles de leur enfant, et aussi de l’agressivité potentielle que ce type d’annonce peut susciter dans un premier temps, tant elle vient entamer un narcissisme parental qui est souvent très fragile, et renommer ce que le parent a lui-même vécu dans sa propre enfance.

Donc la question des soins dans les situations de maltraitance est fondamentale, parce qu’elle permet une tentative de traitement de celle-ci pour enrayer le processus de répétition trans-générationnelle qui est inhérent à la maltraitance : on maltraite avant tout l’enfant qu’on a soi-même été. C’est toujours comme ça que ça se passe.

Et pourtant, il ne faut pas mésestimer la part fondamentale de la protection de l’enfance dans ce type de situation. Pour moi cette place se définit sur plusieurs axes : un axe réel, où l’intervention réelle des services de la protection de l’enfance viennent mettre fin à des souffrances complexes dénoncées par les victimes elles-mêmes. Mais surtout un axe symbolique, et c’est parfois ce qui est le plus difficile à faire percevoir aux acteurs de la protection de l’enfance, qui a trait à la question de la fonction paternelle comme une fonction fondamentalement subjectivante pour un enfant.

La fonction paternelle c’est celle qui décolle l’enfant de la mère et qui lui permet de sortir d’une situation imaginaire, où il pourrait penser qu’il est tout pour elle, dans une dyade symbiotique plus ou moins harmonieuse. Généralement la pulsion vient un peu troubler l’harmonie. Lorsque cette fonction symbolique ne peut advenir, cela impacte gravement le développement de l’enfant pouvant lui laisser, pouvant parfois ne lui laisser la possibilité que d’une structuration psychotique. Bien sûr les services sociaux n’interviennent pas seulement lorsque le père réel ou symbolique est absent. Celui-ci peut tout à fait être présent et inapte à s’occuper de l’enfant soit du fait de sa propre souffrance, soit aussi parfois d’une malveillance active, mais le plus souvent, de l’impossibilité pour la mère de laisser une place quelconque à un tiers. Cette fonction symbolique elle est essentielle à situer parce que c’est elle qui pose le plus de questions à ces intervenants lorsqu’ils sont sollicités dans le cadre des soins. Il peut arriver qu’il soit nécessaire, même lorsque le jeune est clairement entré dans la pathologie, qu’un soutien éducatif soit demandé du côté de la protection de l’enfance. Ceci a pour but de pallier à la fonction symbolique paternelle défaillante. Bien sûr ce n’est qu’un remplacement partiel et on sait qu’un contrat ne peut remplacer la loi quand celle-ci n’est pas symbolisée. C’est d’ailleurs pour ça que ce contrat doit être répété dans le réel, et ça donne du sens peut-être à quelque chose que vous savez déjà qui est que quand un enfant est placé, il est reçu très régulièrement par le juge des enfants et les placements ont tous une durée limitée. Ils ne sont jamais à vie. Il y a des audiences qui sont fixées au rythme que le juge estime nécessaire pour que la famille puisse s’emparer de la situation. En tout cas l’intervention des services de la protection de l’enfance n’est jamais sans effet, sur la famille et sur l’enfant. C’est parfois incroyable de voir à quel point des situations extrêmement conflictuelles peuvent retrouver la possibilité d’une rencontre dans des visites médiatisées. La simple introduction même symbolique dans la parole de la question du tiers fonctionne et est en soi thérapeutique. Donc vous voyez que la question des soins et la question de la protection de l’enfance sont intimement liés puisque parfois , solliciter la protection de l’enfance c’est déjà soigner. Voilà, c’est un axe thérapeutique que je défends comme tel. Parfois, il faut que ça s’incarne dans le réel autrement qu'avec des psychotropes. En tout cas je pense que la question de l’articulation des services sociaux et du soin, c’est ce qui garantit la possibilité réelle de travailler la question de la maltraitance.

L’interrogation qui se pose à propos de l’intime et du social peut aussi parfois se refléter dans des interrogations culturelles liées à l’immigration. En effet, comment considérer certaines pratiques culturelles qui sont parfois contradictoires avec nos lois ?

Je vous en donne un exemple tout de suite. J’ai reçu en urgence une famille d’origine africaine où le père, bien présent, et occupant une place symbolique plutôt adéquate avait été interrogé et mis en garde à vue par la brigade des mineurs concernant les coups qu’il donnait à ses enfants, certes avec un ceinturon, lorsque ceux-ci n’obéissaient pas. Je ne dis pas du tout que tous les papas africains frappent leur enfant mais néanmoins le style éducatif parfois dit « à l’africaine » est un peu plus tonique et peut inclure des brimades et des châtiments corporels dans certaines ethnies, dans certaines cultures, dans certaines formes d’éducation. La fessée est interdite chez nous, et il est bien évident qu’il est toujours mieux de ne pas recevoir un coup, mais néanmoins j’étais très embarrassée parce que cet enfant, en l’occurrence, lui, était effectivement dans une position de défi tout à fait adolescent à l’égard de son père. Et c’était très embêtant ce qui c’était passé parce que je me suis demandé comment il avait pu percevoir l’intrusion de l’Etat dans des pratiques intimes et familiales qui avaient lieu sur plusieurs générations. C’est-à-dire qu’il savait très bien que son père avait été éduqué comme ça, que ses cousins avaient été éduqués comme ça, que certes ce n’était pas le cas forcément de tout son pays, enfin de tout son pays d’origine, mais qu’en tout cas ça se faisait comme ça dans sa famille. Et s’il est bien évident qu’il est toujours préférable pour un enfant de ne pas être roué de coups, comment percevoir et définir pour lui la nécessité d’un père qui l'éduque et qui lui donne des limites acceptables.

Sur le plan psychologique, la réponse est très complexe parce qu’on peut tout à fait évoquer le respect indispensable du corps de l’enfant mais aussi le besoin psychologique indispensable pour chacun de se confronter à la limite parfois arbitraire du père qui nous permet, en nous y confrontant, de rentrer dans le socius et d’en intégrer les règles. Aujourd’hui l’aide sociale à l’enfance propose des guidances parentales. C’est ce qui a été proposé à cette famille. L’enfant n’a pas été placé mais on a proposé une guidance parentale pour accompagner ses parents vers, je dirais, la possibilité de poser des limites autrement que par la violence. Mais néanmoins je ne sais pas quel sera l’impact de cet évènement pour cet enfant. En effet, pour lui, à tout jamais l’autorité de son père aura été supplantée par la loi du pays d’accueil créant ainsi une scission entre la langue de l’intime qui contient les règles et les limites, et la langue du pays d’accueil qui autorise un défi à la loi fondamentale du père pourtant tout en essayant de le protéger. Donc vous voyez que c’est extrêmement complexe parce qu’on peut se demander quel a été le plus pertinent pour cet enfant.

De nombreux autres exemples, et par exemple quand j’ai rédigé le texte je pensais aux mères adolescentes dans les milieux des gens du voyage qui peuvent nous poser de vraies questions, illustrent la mise en tension très fréquente de l’éthique en pédopsychiatrie entre faire valoir les nécessités du développement psycho-affectif de l’enfant et le champ de la protection de l’enfance. Donc c’est un des aspects que je voulais vous soulever. Je pense qu’il n’y a pas de réponse simple à chaque question et que parfois d’ailleurs les réponses cliniques qu’on trouve en fait sont plutôt de l’ordre du compromis, de l’ordre de la possibilité de situer la place de chacun, d’introduire du tiers, de faire en sorte que chaque sujet, enfin que chaque jeune puisse devenir un sujet, c’est-à-dire puisse avoir une place individuée par rapport à un grand Autre maternel et je dirai l’intégration de la loi symbolique fondamentale.

Est-ce que déjà sur cette première partie vous avez des questions, des interrogations, des remarques ?

Intervenant : Dans cette situation tout dépend peut-être de l'âge ?

Dr. Forgeot : Oui, il avait 12 ans cet enfant.

Intervenant : Est-ce que cela aurait été moins problématique s'il avait été petit plutôt qu'adolescent ?

Dr. Forgeot : C’est une vraie question. L’âge de l’enfant et son développement psycho-affectif, son niveau cognitif, sa capacité de compréhension sont toujours importants. Néanmoins je dirais que c'est une question qui est au delà de celle des âges qui se pose ; c’est-à-dire c'est la question de savoir comment son père réel est institué comme étant détenteur de la loi. Bien sûr, on peut s’apercevoir notamment au moment de l’adolescence que nos référents parentaux ne sont pas parfaits, défaillants en tout cas et pas forcément complètement en conformité avec la loi. Mais néanmoins ça pose toujours des problèmes pour un jeune ado de voir que son père n’est pas raccord avec la loi, parce qu’effectivement pour s’autoriser à être adolescent, il faut s’autoriser à faire des va-et-vient et à travailler sa propre question du manque à être par rapport au manque à être de son père. C’est très complexe quand on a l’impression finalement que le manque à être paternel ne peut pas être reconnu. C’est-à-dire que si on se dit que son père est à côté de la loi, ça, ça rend difficile la question de la confrontation adolescente.

La question se pose vraiment là dans un registre culturel.

On pourrait évoquer la question des mères adolescentes dans le milieu des gens du voyage. Les jeunes filles sont mariées très tôt et elles sont enceintes très tôt, ce sont les grossesses adolescentes les plus jeunes qu’on voit, parfois elles ont 13 ans quand elles arrivent à la maternité, avec un suivi qui est plus ou moins approximatif en fonction de la relative sédentarisation de la communauté à laquelle elles appartiennent. A partir de ce moment-là elles ne sont plus du tout sous l’autorité de leurs parents, de leur père en tout cas, elles passent sous l’autorité du mari qui est généralement pas beaucoup plus vieux qu’elles, et ça pose de vraies questions éthiques, c’est-à-dire : est-ce qu’on estime que c’est possible à 13 ans et 14 ans d’élever un enfant et d’être en couple ou est-ce qu’on estime que c’est une pratique culturelle un peu particulière puisqu’on sait bien que ces enfants-là ils sont aussi élevés dans un cercle familial qui est beaucoup moins individualiste je dirais que notre société actuelle. L’enfant il fait partie d’un groupe qui a ses règles, ses valeurs, qui sont d’ailleurs aussi parfois complètement à côté de nos lois. Mais voyez, ce sont des vraies questions de savoir quand est-ce qu’on estime, quand est-ce que moi, en tant que pédopsychiatre, je vais estimer que cet enfant il est en danger. C’est ça la question.

Intervenant : Quel type de réponse a pu être apporté à ce garçon de 12 ans ? Vous parliez de compromis la plupart du temps, est-ce que vous pourriez nous dire ce qui a été trouvé ?

Dr. Forgeot : Alors ce qui a été trouvé c’est justement la question de la guidance parentale du côté de l’Aide Sociale à l’Enfance, c’est-à-dire la possibilité de ne pas discréditer la façon dont son père a instauré la loi dans le réel, ce qui comporte toujours un peu d’arbitraire, la loi du père elle s’exerce toujours sur un enfant avec un peu d’arbitraire, c’est comme ça. Voilà, vous savez dans les familles on dit : « écoute c’est papa qui l’a dit ». Voilà alors il y a des familles où il y a le droit à, je ne sais pas, tout le week-end on regarde les écrans, il y a des familles où il n’y a pas d’écran du tout. C’est dans tous les champs en fait. Ce n’est pas encore réglementé par la loi ça. La question c’est justement quand est-ce que la loi vient réglementer ce qu’il y a dans nos foyers. Actuellement, on a de plus en plus de lois qui concernent la question de l’intime. Donc ce qui a pu être apporté à cet enfant , c’était peut-être la possibilité d’avoir un espace aussi dans un CMP avec un psychologue pour pouvoir réfléchir à sa propre question adolescente et pourquoi est-ce qu’il était dans un défi de la loi assez constant. Effectivement je trouve que peut-être la seule façon de le re-situer par rapport à la loi de son père c’est de l’inscrire à nouveau dans la possibilité d’une parole et d’une parole par rapport à ses actes et de l’aider à pouvoir faire le lien entre ce champ de l’intime et ce champ du public. Parce qu’en fait c’est dans cet écart là qu’il va se retrouver. Je travaille dans le Val de Marne, c’est une banlieue complexe, c’est un ensemble de banlieues où il y a des jeunes qui ne peuvent plus du tout s’identifier à une généalogie parentale parce que leurs parents sont venus en France trouver l’eldorado et ça n'a pas vraiment marché et ce faisant, ils ont abandonné toutes leurs valeurs, leurs valeurs culturelles, pas forcément leurs pratiques religieuses mais en tout cas leurs valeurs, et leurs pratiques culturelles pour certains, ce qui fait que ces enfants-là n’arrivent plus à être dans une identification verticale. Ils se retrouvent dans des systèmes d’identification qui sont horizontaux avec leurs pairs uniquement, et c’est comme ça que se constituent les bandes.

 

On passe du père au pair, en fait et c’est comme ça que se constituent les bandes où ils s'appellent « mes frères » d’ailleurs et ça les met dans une identification qui laisse sur un axe imaginaire. On n’est plus du tout dans quelque chose d’un axe symbolique où on viendrait recevoir son message sous une forme inversée d’un grand Autre qui est porteur, vous le savez bien, de valeurs culturelles qui sont adressées effectivement de façon verticale dans les générations. Et donc ça entraîne forcément dans des luttes « à la vie, à la mort ». Cela peut aller jusqu’au meurtre. Il y a 2 ans il y a eu un meurtre entre le Kremlin Bicêtre et Gentilly, les 2 bandes se sont rencontrées et se sont battues, il y a un ado qui est mort. Donc voyez c’est la question du hiatus entre les représentations intimes de la loi de la famille et les représentations sociales. C’est un peu, je dirais, l’échec de notre immigration intégration, ça n’intègre pas, justement.

La protection de l’enfance avait été sollicitée par le médecin scolaire parce qu’évidemment, il avait aperçu lors de l’examen que l'enfant avait des traces, de coups mais c’était une réponse compliquée pour l’ASE je pense. Et c’est pour ça qu’ils nous ont sollicités à juste titre, pour les accompagner dans cette réflexion.

Intervenant : Juste une petite observation : dans quelle mesure l’Etat peut aller dans l’intime par rapport à la fessée ?

Dr. Forgeot : Et oui. Et oui c’est une très bonne remarque. C’est vrai que c’est une question de savoir où se situe la limite. C’est une vraie question aussi pour les soignants en institution de savoir comment faire face à des enfants qui, de plus, du fait de leurs difficultés psychiques ont parfois des troubles du comportement très sévères. Ils suscitent des mouvements très difficiles, des contre-transferts très négatifs, de l’agressivité. Il faut savoir que ce qu’un enfant maltraité sait reproduire la maltraitance parce que c’est le seul mode communicationnel qu’il connaît. La première chose qu’on voit dans une équipe, c’est comment il vient chercher la maltraitance ; c’est vraiment pour moi le premier signe qui m’inquiète dans une dynamique familiale, quand les soignants ont le courage de venir me dire « ah non mais celui-là on a envie de le claquer ». C’est très compliqué, comment est-ce qu’on peut travailler ça dans une équipe ? Mais s’autoriser déjà à le formuler c’est ne pas l’agir. Il y a néanmoins beaucoup de maltraitance dans les institutions et les internats.

 

Intervenant : La maltraitance psychique peut-elle aussi être repérée, objectivée et déclencher une assistance voire un signalement ?

Dr. Forgeot : Absolument. C’est ce que je fais au quotidien. Il y a un graphique mais je ne l’ai pas là de l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance qui montre qu’en fait les cas de maltraitance les plus nombreux, 70% des cas de maltraitance en fait sont des cas de maltraitance par négligence, et c’est le plus difficile à repérer.

Quand est-ce qu’on estime qu’un parent est négligent ? Il y a eu beaucoup d’échelles conçues notamment aux Etats-Unis avec des items assez étonnants comme ne pas faire de câlins à ses enfants, ne pas leur fêter leur anniversaire. La maltraitance psychique la plus grave c’est l’impossibilité de s’individuer. Donc dans les noyaux très symbiotiques psychotiques malheureusement ça se dépiste très tard, c’est-à-dire uniquement quand les symptômes de l’enfant permettent d’amener aux soins. J’ai mon collègue psychologue dans l’unité pour adolescents qui tient une consultation spécifique pour adolescents dans un CMP qui a présenté l’autre jour une étude de son protocole, comportant un chiffre qui m’a absolument choquée : dans sa consultation ado, c’est-à-dire 12-18 ans, il a 64%, 64% d’enfants qui dorment avec leurs parents, dans le même lit. On parle d’ados. Il dit bien qu’il y a 50% de cas qui ont besoin d’une prise en charge pédopsychiatrique et 50% de cas qui bénéficient effectivement d’une prise en charge sociale, au-delà de la question du soin.

 

Le consentement éclairé.

 

Un autre axe que j’ai choisi de vous présenter ce soir, c’est la question du consentement aux soins pour les mineurs. En effet aujourd’hui, un mineur ne donne pas son consentement aux soins sur le plan légal. Cela ne sous-estime pas l’importance de travailler son adhésion aux soins, et de faire en sorte qu’il puisse se sentir subjectivement concerné par ce qui lui est offert. Mais le choix d’être ou non hospitalisé est confié au titulaire de l’autorité parentale ou à défaut à l’inspecteur de l’Aide Sociale à l’Enfance ou à un juge des enfants. Ce point entraîne parfois de vrais questionnements éthiques, encore une fois situés sur l’axe de la bientraitance et du respect des droits de chacun.

Le consentement éclairé est défini par deux lois : la loi du 29 juillet 94 qui dit qu’ « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ». Vous voyez bien que déjà dans cette phrase, tout est posé dans les questions, je ne sais pas qui est à même de consentir à quoi dans cette affaire, et dans cet entretien. Le consentement doit être libre, c’est-à-dire en l’absence de contrainte, et il doit être éclairé, c’est-à-dire précédé par une information. L’information puis le consentement sont des moyens de remédier à la fameuse dissymétrie relationnelle existant entre le médecin qui sait et le patient qui ignore. Au terme de la loi Kouchner du 4 mars 2002 le malade devient acteur de cette décision puisqu’il prend avec le professionnel de santé, et compte tenu des informations et préconisations qu’il lui fournit, toute décision concernant sa santé. Et ça c’est dans le Code de santé publique.

Mais, toutefois ceci vient je dirais en contradiction avec deux aspects fondamentaux de la pédopsychiatrie. Le premier est directement lié à la question de la minorité et de l’âge auquel un jeune serait apte à consentir à des soins. Jusqu’à 18 ans en France, ce sont les tuteurs légaux qui décident pour l’enfant. Il existe toutefois une dérogation en ce qui concerne les soins d’urgence vitale et à partir de 16 ans pour les interruptions de grossesse. A partir de 16 ans une jeune femme peut se présenter pour une interruption de grossesse et être accompagnée du majeur de son choix. Avant ça, les titulaires de l’autorité parentale doivent être prévenus et informés. Je ne sais pas si vous voyez les difficultés.

Au cas où une jeune fille est violée par son père, je fais un signalement et je contacte directement ce qu’on appelle la DAFMI c’est-à-dire le parquet des mineurs pour qu’il me donne l’ordre, et je le consigne par écrit, de ne pas prévenir le titulaire de l’autorité parentale pouvant être incriminé par la brigade des mineurs le temps de l’enquête.

 

Le deuxième aspect qui est en contradiction avec la question du consentement éclairé est lié à la pathologie mentale dont une des caractéristiques en psychiatrie comme en pédopsychiatrie est ce qu’on peut appeler le déni des troubles. On a tous un peu un point obscur par rapport à nos difficultés, et quand on est en grandes difficultés je dirais que le point obscur il scotomise parfois l’ensemble du champ visuel. Le patient ne peut prendre la mesure de ses difficultés, il n’est parfois pas apte à donner son consentement du fait de ses troubles. Quand j’ai des patients extrêmement délirants, je ne crois pas qu’ils puissent être considérés comme aptes à consentir aux soins. Et le problème c’est qu’en pédopsychiatrie on a affaire parfois à des tuteurs légaux qui eux-mêmes présentent des troubles psychiatriques. Donc finalement, ce que je tiens à dire, c’est que ça ne dispense jamais, même la maladie mentale des parents, d’une information la plus complète possible sur les troubles de l’enfant, sur les soins qui sont nécessaires, sur la façon dont on peut accueillir leurs difficultés globales, familiales, parents-enfants. Cette information doit être adaptée à chacun, c’est-à-dire au niveau de compréhension de chaque parent, ce qui implique parfois l’évaluation de leur capacité de compréhension, de leurs difficultés psychiques éventuelles, et d’une possible barrière de la langue. Quand on voit bien que les parents ne peuvent pas comprendre ce qui se passe, je ne fais pas d’admission tant qu’on n’a pas d’interprète, hormis urgence psychiatrique. Effectivement il est très important aussi de pouvoir écouter, d’avoir une écoute singulière et répétée de leurs croyances, de leurs inquiétudes, et de leur détresse.

Mais dans ma pratique de pédopsychiatre je retiens une chose essentielle et qui va peut-être vous surprendre par rapport à ce que je viens de vous dire : l’ensemble des parents que j’ai rencontré est préoccupé par le bien-être de l'enfant. Il y a plusieurs intervenants du champ de l’aide sociale à l’enfance qui le disent : l’ensemble des parents peuvent vous dire « moi je veux le bien de mon enfant ». Mais simplement, moi je n'ai jamais rencontré de parents volontairement malveillants, je crois que c’est parfois parce qu’ils sont dans une détresse immense, que l’enfant n’est pas du tout repéré comme un être séparé d’eux-même., Quand ils cognent ils ne savent pas qui est-ce qu’ils cognent, mais quand on leur demande, ils disent tous qu’ils veulent le bien de leur enfant. Par contre ils sont parfois dans l’incapacité totale de pouvoir accompagner leur enfant vers des soins, soins qu’ils n’ont parfois eux jamais reçus. Finalement la question ce n’est pas tellement la malveillance parentale, c’est plutôt la question de la bientraitance. Mais comment est-ce qu’on définit la question de la bientraitance.

Récemment, il y a eu un rapport qui est sorti en janvier 2018, entre décembre 2017 et janvier 2018 parce que c’était un aspect juridique tout à fait particulier. Le rapport de la Contrôleuse générale des privations de liberté sur les mineurs est sorti en décembre. Elle met en avant des problématiques éthiques qui sont liées par exemple aux chambres d’isolement, qui sont liées à ce qu’on peut appeler les restrictions de libertés dans les services psychiatrique. Effectivement il y a beaucoup des restrictions de libertés ; dans le service où je travaille les jeunes n’ont pas accès à leur nécessaire de toilette. Voilà, à leur gel douche, à leur brosse à cheveux, à tout ça. Ça a deux objectifs : le premier, c’est de susciter une demande bien évidemment, on les garde dans le poste de soins ; mais ils viennent demander aux soignants leurs effets personnels, ça permet parfois de rencontrer certains qui restent généralement sans cela reclus dans leurs chambres. Cela permet aussi, parce que j’accueille aussi des patients autistes en grandes difficultés, et parfois un peu agités, d’éviter les ingurgitations massives de gel douche, ce qui nous a déjà valu beaucoup de bulles de savon mais aussi quelques passages aux urgences qui ne sont pas forcément bénéfiques. La question de la protection du groupe parfois prévaut sur la question des libertés individuelles. Ce sont des réflexions éthiques qu’on a dans le service sur l'adaptation des restrictions de liberté de chacun selon son état. Par ailleurs dans ce rapport de la Contrôleuse générale des privations de libertés, il est inscrit qu’aucun entretien téléphonique ne devrait être médiatisé pour une quelconque raison de santé mentale. Alors moi qui dirige une unité où on accueille des enfants autistes de 4 à 12 ans qui n’ont pas de langage, je veux bien qu’elle m’explique comment on fait pour qu’un appel téléphonique ne soit pas médiatisé avec les parents parce que ce n’est pas facile quand un enfant ne parle pas.

Je pense qu’il y a des choses à voir, et effectivement ça pourrait paraître légitime qu’on puisse dire « mais pourquoi est-ce qu’il faudrait une médiation » ? Est-ce que ça n’empêche pas l’enfant de dire qu’il vit des choses difficiles dans l’institution ? C’est très complexe. On est en train de réfléchir à un système un peu visuel, avec des pour et des contre sur la question de ce que ça va générer psychiquement.

Alors, comment est-ce qu’on peut accompagner ce type de situation ? Je dirais qu’un des axes éthiques consiste à mettre en perspective l’asymétrie de la position soignant-soigné, tout en respectant les convictions individuelles de chacun. Ça ne peut se faire qu’avec le recours à un tiers commun qui s’appelle la loi. Dans les cas de désaccords, et malgré nos tentatives d’accompagnement vers les soins, lorsque ceux-ci nous paraissent indispensables, nous sollicitons le Parquet des mineurs en urgence via un signalement pour que ceux-ci saisissent, le cas échéant, un juge des enfants qui peut prendre une mesure d’ordonnance de placement provisoire, la fameuse OPP à l’hôpital. Ce mode d’hospitalisation est le seul qui dégage les soins de l’autorité parentale. Il fait prévaloir un terme qui apparaît dans tous les textes du champ de la protection de l’enfance : l’intérêt supérieur de l’enfant. L’OPP soins est prononcée pour une durée initiale de 15 jours et elle doit ensuite être réévaluée régulièrement pour être prolongée ; quand elle est prolongée elle est prolongée pour des durées répétées de 1 mois. Mais c’est très complexe puisque du coup le certificat initial doit être fait par un psychiatre extérieur à mon établissement. Je ne sais pas si vous imaginez la complexité quand il est 3 heures du matin, puisqu’on a une garde de nuit, et que j’ai un jeune délirant, les parents qui s’opposent aux soins, et qu’effectivement je suis généralement le seul pédopsychiatre présent sur place. Voilà, ça pose quelques questions.

En cas de suivi préalable à l’Aide Sociale à l’Enfance, l’enfant peut être placé en OPP ASE, c’est-à-dire qu’il est confié à l’aide sociale à l’enfance, et l’autorité parentale n’est pas pour autant levée. Un enfant qui est placé, ses parents gardent l’autorité parentale pour tout ce qui concerne les soins. Et à ce moment-là il faut demander une délégation d’autorité parentale. C’est l’inspecteur de l’Aide Sociale à l’Enfance qui signera les papiers d’admission. C’est vraiment important à savoir parce que ce n’est pas du tout sans effet psychique. Pour le jeune c’est fondamental de savoir qui a signé, qui a décidé qu’il était à l’hôpital. Bien sûr il est préférable de pouvoir travailler l’adhésion aux soins dans une alliance avec le patient et sa famille ; toutefois, le constat peut être fait de façon répétée que l’introduction d’un tiers neutre est déjà une action thérapeutique en soi. En effet, dans les familles où la psychose fonctionne sur plusieurs générations, c’est justement la question de la loi fondamentale de l’interdit de l’inceste et la capacité d’individuation qui est niée. Le règne de la pensée unique et de la confusion est promu par ces systèmes familiaux. Ainsi l’introduction d’un tiers représentant la loi vient incarner dans le réel ce qui est manquant dans le symbolique. Cela réalise, en quelque sorte, un point de capiton, là où s’effiloche le tissu de la psychose. A charge ensuite du réel de répéter cette injonction, car ce qui n’est pas symbolisé ne peut être pérenne, c’est ce que je vous ai expliqué tout à l’heure. C’est pour ça qu’il y a des audiences régulièrement et que les OPP ne valent que pour des durées limitées.

 

 

La cure institutionnelle, pour une éthique de la pratique en pédopsychiatrie.

La cure institutionnelle serait-elle une pratique au service du sujet ?

La cure institutionnelle pour ceux qui ne la connaissent pas est un mode de prise en charge qui a émergé après la seconde guerre mondiale, de Tosquelles à Oury en passant par Daumezon. Ce courant thérapeutique consiste à concevoir le soin dans l’appréciation des liens et des mouvements psychiques chez les patients, mais aussi chez les soignants. La cure institutionnelle c’est surtout la prise en compte de l’autre dans toute sa complexité. C’est une appréciation humaniste des relations intersubjectives, ce qui sous-tend l’attention particulière qui est accordée aux liens entre professionnels, L'attention est apportée aussi à la temporalité parfois longue mais nécessaire à la mobilisation psychique d’un patient, mais aussi à la mobilisation psychique des soignants quelle que soit leur formation initiale. Il fau prendre en compte également les effets de la maladie mentale sur l’environnement proche. Dans son histoire des traitements institutionnels des enfants psychiquement troublés, Jacques Hochmann, valorise la cure en institution en soulignant qu’ « elle articule au sein d’une organisation cohérente et contenante les différentes démarches thérapeutiques, éducatives, rééducatives et pédagogiques que nécessite le soin d’un enfant lourdement atteint par la maladie mentale et/ou la déficience intellectuelle, ou encore dont le comportement obère gravement le développement psychique et l’insertion sociale ». Ce dispositif ne peut donc se concevoir que par la mise en place d’équipes pluridisciplinaires qui vont établir des liens avec les structures de soins extérieures mais aussi avec l’Ecole et avec les intervenants sociaux quand cela est nécessaire. Ainsi comme l’écrit Roger Misès, la cure comporte une dimension éducative qui repose sur l’engagement direct, le soutien apporté à l’enfant, l’ouverture à de nouvelles expériences et une dimension psychothérapeutique appuyée sur la compréhension et l’élaboration des investissements mutuels qui se dessineront dans la vie quotidienne, et ça c’est vraiment fondamental. C’est-à-dire qu’il faut vivre avec ces enfants-là pour pouvoir travailler quelque chose. L’analyse des mouvements psychiques collectifs nécessite la mise en place de réunions régulières qui sont vouées à l’expression des vécus de chacun autour d’un patient. Ces espaces peuvent être pluriels et différenciés prenant la forme de réunions cliniques, d’élaboration de pratiques professionnelles, ou même de réunions de travail institutionnel autour du cadre de travail. Dans ces réunions, pourtant théoriquement centrées autour du cadre du service, c’est bien de la clinique qu’il s’agit car émerge le rapport à la loi et aux limites de chaque soignant, et la prise en compte d’un positionnement collectif qui permet de contenir chacun et de le situer au-delà de ses convictions personnelles, dans une fonction de soignant adossée sur l’institution. Je vais vous illustrer tout de suite pourquoi c’est très utile.

Quand on accueille un jeune sur l’unité d’urgence, parfois cela peut être assez tonique, assez tonique dans la violence corporelle qui peut se dégager d’une admission. On est parfois obligé d’en arriver jusqu’à une contention physique initiale pour pouvoir hospitaliser certains jeunes. Et effectivement se prendre des coups, ou se prendre des insultes, parfois. Je pense que recevoir ça ce n’est pas simple, quand on est soignant, mais c’est possible quand justement on est là au titre de sa fonction, pas au titre personnel. Je pense que c’est la seule chose qui permet de se dégager de la violence massive qu’on reçoit parfois et qui est la projection de mouvements psychotiques extrêmement forts. Donc c’est pour ça que la cure en institution permet d’être là en tant que soignant dans un positionnement collectif autour d’un certain cadre avec lequel peut-être personnellement on n’est pas complètement en accord, mais en tout cas, ça dégage de ça. Et donc ça permet d’être là avec sa fonction psychique, puisque l’outil de travail c’est quand même notre appareil à penser.

Une des choses les plus importantes, c’est que les patients sont également parties prenantes de l’élaboration de ce cadre, qui, même s’il est fixé par l’équipe, peut être questionné et discuté par chacun et parfois aménagé lorsque la dynamique singulière l’exige. Par exemple, sur l’unité de crise pour adolescents, il est mis en place une semaine, qui s’appelle la semaine de séparation à l’arrivée des jeunes. Ils ne peuvent, lors de cette première semaine, avoir aucun contact direct avec leur famille. Cette restriction de liberté fondamentale a pour objectif de permettre une réponse à la crise psychiatrique que je définirais comme un état de souffrance individuelle qui n’est plus contenue par l’environnement. Pendant ces premiers jours, la mise à l’abri des stimuli extérieurs permet à chacun de se repositionner, d’éprouver dans le réel du corps également la séparation lorsque celle-ci n’est pas symbolisée, et nous permet d’avoir accès à la clinique singulière de chaque patient par une observation bienveillante et contenante de leurs symptômes en dehors du contexte familial. Le cadre de l’unité leur est distribué, sous forme écrite, dès l’admission, leur permettant en fonction de leurs disponibilités psychiques, puisque parfois initialement celle-ci est un peu mise à mal, de pouvoir le consulter et nous interroger à ce sujet. Tous les lundis, on se rencontre effectivement dans une réunion qui s’appelle la réunion soignants-soignés, où il y a tous les médecins, le cadre de l’unité, et les représentants des soignants et tous les patients. Finalement dans cette réunion se discute ce qui est inscrit dans le règlement de l’unité. On peut discuter du pourquoi du comment, pourquoi ils n’ont pas accès à leur portable, pourquoi il y a une semaine de séparation, à quoi ça sert et c’est assez étonnant parce que finalement ça permet pour certains de mettre des mots sur la lutte qu’ils éprouvent depuis le début de leur hospitalisation. Ça ré-instaure la possibilité de mettre une parole là où celle-ci n’existe plus, et ça permet aussi des identifications latérales avec leurs pairs, avec lesquels ils peuvent partager un vécu et déjà se rendre compte qu’on vit la même émotion que l’autre, même si c’est du registre du démantèlement, c’est déjà quelque chose, d’un miroir, un peu étrange, mais c’est un miroir. La valeur de ce cadre de travail permet également à chacun d’héberger un processus pathologique du patient, et de pouvoir, utilisant pour cela sa propre fonction symbolique, ou fonction alpha, on peut l’appeler comme ça aussi, le mettre en mots.

 

Alors finalement pour conclure, je commencerai par insister sur le fait qu’il ne peut y avoir d’éthique sans questionnement permanent de notre écoute et de nos savoirs. La seule éthique possible face à la maladie mentale dans le champ de l’enfance c’est une praxis axée sur l’accueil singulier de chaque cas clinique. Ça nécessite toujours d’être attentifs à nos propres mouvements, et implique pour ma part un travail d’analyse, et je trouve que c’est absolument important de pouvoir faire ce travail personnel pour accueillir ce à quoi on fait face.

Le cadre de la cure en institution se prête particulièrement à cette éthique du soin par une approche plurielle de patients souvent morcelés et sans possibilité d’une parole qui les définirait comme sujets, c’est-à-dire qui leur viendrait d’un grand Autre. Toutefois c’est une pratique exigeante qui met chacun de ses acteurs en équilibre, comme pourrait l’être un funambule, en quête du fil de la subjectivité.

Je vous remercie.