Dr Jean Garrabé : Fondation de l’hospice Salpêtrière. Fin des procès de Sorcellerie

Conférencier: 

EPhEP,  MTh2-ES5, le 21/01/2019


Je vais vous parler aujourd’hui d’une histoire absolument rocambolesque dont je ne sais pas trop comment il faut la qualifier, politico-médico… religieuse, qui s’est déroulée sous le règne de Louis XIII, alors que le principal ministre était le cardinal de Richelieu.

Cela vous donne déjà un contexte ; nous sommes à la fin des guerres de religions et la ville de Loudun - ce qui est intéressant à ce propos - était une ville à majorité protestante et on avait eu dans les guerres de religions, beaucoup de mal pour la réduire, ce dont Richelieu n’était pas très content. De telle sorte qu’il avait envoyé quelqu’un pour détruire les remparts de Loudun  de façon à ce que si il se produisait à nouveau des rébellions, les troupes royales n’aient pas de problème pour rentrer dans la ville. Alors en même temps, est créé un petit couvent de Sœurs Ursulines qui est d’ailleurs un couvent assez pauvre et où une des religieuses réussit à se faire élire prieure assez jeune. La religieuse en question, portait en religion le nom de Sœur Jeanne des Anges …  apparemment cela dit peut-être quelque chose déjà à certains d’entre vous.

Le couvent en question avait un confesseur, un vieux prêtre proche des Sœurs, qui meurt, de telle sorte qu’il faut lui trouver un successeur et cette jeune Supérieure, Sœur Jeanne des Anges, à l’idée un peu surprenante de s’adresser à un curé d’une paroisse que je qualifierais presque de mondaine, et qui s’appelait Urbain Grandier.

C’était un personnage très curieux qui avait d’ailleurs écrit des libelles contre Richelieu et qui était en fait un séducteur : il avait des aventures avec les paroissiennes de sa riche paroisse ; celui-ci refuse de devenir aumônier de ce couvent, en protestant simplement qu’il a beaucoup de travail à sa paroisse et donc qu’il ne peut pas consacrer le temps suffisant pour être aumônier de ce couvent, ce qui vexe beaucoup Sœur Jeanne des Anges, qui ne l’a jamais vu et qui ne lui a d’ailleurs jamais parlé. Tout ceci s’est fait par lettres.

Quelques temps après, il se produit un phénomène assez inquiétant, c’est que les Ursulines commencent les unes après les autres à présenter des phénomènes étranges, avec des crises convulsives, des moments où elles paraissent être dans une espèce d’état second, des espèces de rêves éveillés, etc., et en plus, cela est contagieux, c’est-à-dire que petit à petit toutes les Sœurs présentent à peu près les mêmes phénomènes, avec une plus ou moins grande intensité.

Alors, bien entendu, ceci inquiète beaucoup. Le bruit se répand en ville, cela inquiète les autorités religieuses et peut être politiques de la ville de Loudun, d’autant plus que très rapidement on se met à dire : « Eh bien en fait c’est une possession diabolique ». Donc toute la communauté est possédée par le diable, le démon.

A ce moment-là, la solution c’est de trouver des exorcistes et on fait appel à des exorcistes locaux, qui n’obtiennent pratiquement aucun résultat. On cherche des exorcistes plus chevronnés et on s’adresse donc à des Jésuites – une fois de plus nous sommes dans une maison qui dépend de cet ordre – et les Jésuites envoient quelqu’un qui s’appelle le Père Surin, qui est lui-même un personnage assez curieux, qui a écrit des livres très savants de théologie, d’ailleurs très difficiles à comprendre, mais qui accepte cette mission et va donc à Loudun pour entreprendre des exorcismes. Ces exorcismes sont pratiqués de manière très curieuse, puisqu’ils sont pratiqués en public, de telle sorte qu’il y a des quantités de curieux qui se précipitent, presque comme au spectacle pour voir comment cela va se passer. Et il y a même d’ailleurs des grands seigneurs qui font le voyage jusqu’à Loudun pour voir cela.

Pendant ce temps-là, Urbain Grandier est, lui, mis en accusation pour sorcellerie, parce que l’on fait sans doute une sorte d’interprétation de son comportement : s’il a lui-même refusé d’être aumônier des Sœurs Ursulines et que là-dessus les Sœurs Ursulines se mettent à présenter des phénomènes de possession, c’est sans doute lui qui est le responsable.

 Alors, il passe devant un tribunal civil, pas un tribunal religieux, comme je vous l’ai dit c’était en fait les tribunaux civils qui condamnaient dans ces cas-là, lequel tribunal civil le déclare coupable et donc, à être brûlé vif, puisque c’était la peine qui était encore appliquée aux sorciers, aux sorcières ; alors lui, nie jusqu’au bout, même encore quand il est sur le bûcher, on lui dit « reconnaissez que c’est vous qui avez ensorcelé les Sœurs », et il dit « non, non, ce n’est pas moi », « je n’ai jamais eu le moindre contact avec elles, j’ai seulement refusé d’être leur aumônier ». Donc jusqu’au bout, il continue à nier, il ne se rétracte pas, ce qui lui aurait permis d’éviter la peine de mort. Il est brûlé sur une place de Loudun, il se produit alors des choses très étonnantes car il y a des gens dans l’assistance, ceux qui sont venus voir brûler le sorcier, qui sont eux-mêmes tout à coup pris d’angoisse, disant que finalement, il n’était peut-être pas à l’origine de ce qui est arrivé aux Sœurs Ursulines.

Et donc, le Père Surin, le Jésuite, a apparemment, lui, plus de résultats puisqu’il réussit à identifier les démons qui possèdent chaque Ursuline. C’est assez curieux parce qu’on les identifie, on finit par connaître leur nom, par exemple « Asmodée » à qui on peut s’adresser en lui disant « Asmodée quitte le corps de Sœur Jeanne des Anges !». Et après les avoir identifiés, il réussit, comme ça, à faire sortir, un par un, les démons en question, ils sont très nombreux, il y en a une trentaine.

Mais ce qui est assez embêtant c’est que les démons qui sortent du corps ou de l’esprit de Sœur Jeanne des Anges n’ont qu’une idée en tête. Vous l’avez deviné, non ? Pas du tout ? C’est d’ensorceler le père Surin, de nos jours on interpréterait cela en termes de « transfert / contre-transfert » et de telle sorte que le malheureux Père Surin finit lui-même par sombrer dans un état absolument épouvantable ; ses supérieurs lui disent de quitter de toute urgence Loudun  et il va sombrer dans un état absolument extraordinaire, presque mutique. C’est pour cela que l’on se demande si il n’a pas aussi perdu la raison… ou si les démons ne lui ont pas fait perdre toutes ses facultés, si je puis dire. Mais il réussit quand même à écrire, alors au bout d’un certain nombre d’années, il écrira un ouvrage en racontant les expériences qu’il a lui-même vécues.

Là aussi c’est un document qui est très intéressant parce que c’est en quelque sorte, un récit de quelqu’un qui a été ensorcelé, mais récit qui a été écrit de l’intérieur : « voilà comment tout à coup je me suis rendu compte que tel démon était venu en moi, en sortant du corps, de l’esprit, de telle ou telle Ursuline ».

Ceci va donner lieu à l’événement suivant, selon l’ordre chronologique : Sœur Jeanne des Anges va écrire, un récit de ce qui lui est arrivé - d’ailleurs resté très longtemps inconnu -  et dans ce récit, ce qui est étonnant, c’est qu’elle présente sa guérison, comme une espèce de miracle. De telle sorte qu’elle va passer du statut peu enviable d’ensorcelée, à celui qui est éminemment enviable, par contre, de miraculée. De telle sorte qu’à partir de là, on l’invite partout, en particulier à Paris, à la Cour où elle est reçue par Richelieu, par la Reine Anne d’Autriche ; elle emporte  avec elle, la chemise qu’elle avait quand elle a été miraculée, qu’elle prête d’ailleurs à Anne D’Autriche pour qu’elle l’ait – cette chemise devenue une sorte de relique – pour qu’elle l’ait au moment de l’accouchement de son deuxième enfant.

Et elle obtient l’autorisation d’aller faire un pèlerinage chez Saint-François de Sales, le Père Surin est autorisé d’y aller aussi de son côté. Mais ils ne doivent pas se rencontrer, on leur donne l’autorisation mais ils ne doivent pas se rencontrer. Mais en ce qui concerne Sœur Jeanne des Anges, ce pèlerinage se transforme en une espèce de tournée, comme si elle était une vedette. Car évidemment à l’époque, partir de Loudun, passer par Paris, descendre à Annecy, cela prend des semaines ou des mois, alors cela devient la tournée triomphale d’une espèce de miraculée-vedette. Si on compare d’ailleurs, le sort de l’un et de l’autre, c’est-à-dire de Surin et de Sœur Jeanne des Anges, évidemment, ils sont tout à fait différents.

Donc, elle finit sa vie, sans problème très grave, mais elle écrit le récit de ce qui lui est arrivé, sa version à elle. Texte qui est resté très longtemps inconnu et qui a été redécouvert beaucoup plus tard. Très vite d’ailleurs, cela va donner lieu à des publications des deux ou trois camps : des catholiques, des protestants, à l’intérieur du clan catholique, ceux qui sont pour les Jésuites, ceux qui sont contre les Jésuites. Cette littérature est considérable, cela constitue vraiment une bibliothèque jusque, d’ailleurs, à nos jours : dans les livres récents il y a d’une part, l’historien Carmona qui a écrit, dans les années 1950 un ouvrage important : lui voit beaucoup les choses d’un point de vue politique et historique[1]. Carmona est un spécialiste de Richelieu, donc il voit les choses tout à fait sous cet angle politique : c’est une espèce de vengeance de Richelieu contre les gens de Loudun. Et il s’est appuyé sur d’autres données. Il y a quelqu’un de très curieux qui est l’écrivain anglais Aldous Huxley (que vous connaissez sans doute puisqu’il a écrit Le meilleur des Mondes) qui a écrit également un livre : Les diables de Loudun[2], traduit en français, livre extrêmement documenté et très sérieux parce que, là aussi, il ne prend pas parti, il essaye de reconstituer l’histoire autant que c’est possible.. Dernier fait curieux, c’est que cela a inspiré le livret d’un opéra au compositeur polonais contemporain, Penderecki qui a écrit un opéra sur Les diables de Loudun[3]. Cet opéra n’a jamais été représenté en France, à ma connaissance. Évidemment le chic serait d’aller le représenter à Loudun même. Mais il en existe cependant des enregistrements. Penderecki est lui-même très catholique ; l’expression par la musique des possessions diaboliques ou au contraire l’expression des guérisons de possessions peuvent inspirer un compositeur.

Beaucoup plus tard, un médecin, le Dr Gabriel Legué – qui est un des collaborateurs à cette bibliothèque diabolique qui avait été fondée par un des élèves de Charcot, Bourneville – publie un ouvrage avec son ami Gilles de la Tourette, sous le titre Sœur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun : autobiographie d’une hystérique possédée.

C’est assez intéressant parce qu’en fait le texte de Sœur Jeanne des Anges n’est pas une autobiographie, c’est une espèce d’auto-observation, c’est ce qu’elle a éprouvé. Elle a éprouvé des phénomènes qui ont été interprétés à son époque comme une possession diabolique mais le terme d’hystérie, c’est bien entendu Legué et Gilles de la Tourette qui le rajoutent. Alors voilà l’ouvrage en question, mon exemplaire personnel, je ne vous dirai pas par quel moyen je me le suis procuré. Ce n’est pas des moyens diaboliques, je vous rassure tout de suite. D’autant plus que l’exemplaire que j’ai eu est signé de Gilles de La Tourette avec un envoi à un de ses collègues que je n’ai pas réussi à identifier. Je pourrai vous le faire passer, si vous le voulez, la page de garde est intéressante car il est indiqué « Bibliothèque diabolique, collection Bourneville, Sœur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun XVIIe siècle. Autobiographie d’une hystérique possédée d’après le manuscrit inédit de la bibliothèque de Tours annoté et publié par les Docteurs Gabriel Legué et Gilles de la Tourette, préface de M. le Professeur Charcot, membre de l’Institut. 1886 ».

Vous voyez qu’il y a une espèce de volonté d’officialiser : il y a une préface de l’autorité suprême, Charcot, alors qu’il est déjà élu membre de l’Institut. C’est en fait le texte écrit par Sœur Anne des Anges auquel ils mettent sans arrêt des notes de bas de pages par lesquelles ils essayent, à chaque fois, de montrer que ce qu’elle dit c’est, en fait, des manifestations d’hystérie. On en parlera peut-être au moment où en reparlera de cette époque.

Peut-être vous ai-je parlé du livre de l’historien Carmona : c’est intéressant parce que Carmona donne en particulier un tableau chronologique très minutieux ou il met en parallèle les événements politiques et les événements religieux qui se sont produits entre le 24 août 1572, le massacre de la Saint-Barthélémy et le 16 octobre 1685, révocation de l’Edit de Nantes. Donc vous voyez que pour Carmona, c’est vraiment la conséquence de la fin de la guerre des religions … la fin pas exactement, puisque la révocation, par Louis XIV, de l’Edit de Nantes va provoquer de nouveaux conflits, mais qui prendront d’autres chemins.

Oui, ce tableau est très précis : c’est dans la nuit du 21 au 22 septembre 1632 au cours de laquelle, deux saintes femmes du couvent des Ursulines sont prises de convulsions – là aussi, on peut souligner, convulsions – et par ailleurs, elles se mettent à proférer les pires obscénités ; on ne nous dit pas par contre quelles ont été ces obscénités, cela, c’est censuré, intéressant…Le père Jean-Joseph de Surin commence à exorciser le 21 décembre 1634. Puis, le 3 janvier 1633, Jeanne des Anges fait une tentative de suicide.

L’Académie française est fondée par Richelieu le 27 de ce mois de janvier. Je ne sais pas si cela a un rapport quelconque. Richelieu fonde l’Académie française, pour assurer la pureté de la langue française, de telle sorte que, je ne sais pas si il avait derrière la tête qu’il fallait que l’on dise exactement ce que c’était qu’une possession, ou ce qu’étaient des convulsions. Auparavant c’est vrai que les mots sont utilisés d’une manière qui n’est pas très précise.

L’ouvrage écrit par le père Surin s’appelle : Triomphe de l’amour divin sur les puissances de l’enfer et la possession de la mère supérieure des Ursulines de Loudun et sciences expérimentales des choses de l’autre vue. Le texte de Surin est tout à fait étonnant, on en a fait d’ailleurs des rééditions modernes, et c’est une espèce d’auto-analyse d’un délire mystique, si l’on veut parler avec des termes contemporains.

Alors sur les possédées de Loudun, est-ce que vous avez des questions ou des remarques à faire, des demandes de précisions ?

J. Garrabé : La collection qui est dirigée par Bourdeville ? Il crée cette bibliothèque sous le nom « bibliothèque diabolique ».

Je dois dire d’ailleurs, tout ce qu’ont publié ces élèves de Charcot, c’est très intéressant, car ils redécouvrent des textes écrits deux siècles avant et qui étaient souvent restés inédits, ils ont fait un véritable travail de recherche ; par contre, l’erreur qu’ils font c’est qu’ils interprètent ces textes d’une manière univoque : « tout ça, ça veut dire que c’était des hystériques » et à l’époque on ne savait pas reconnaître l’hystérie. Quand on regarde les notes de bas de pages, on voit pour chacune : « ça, c’est ce que nous appelons de nos jours dans la névrose hystérique, telle ou telle chose ».

L’auditoire : Donc au temps de Charcot, l’interprétation apparemment c’était l’hystérie et aujourd’hui ? Quelle est l’interprétation aujourd’hui que vous feriez de ces épisodes ?

J. Garrabé : Ah moi, je me garderai d’interpréter quoi que ce soit, car si vous voulez c’est peut-être une erreur que l’on fait, comme l’ont fait des médecins par ailleurs éminents comme Gilles de La Tourette ( il a décrit la maladie de Gilles de la Tourette) : c’étaient des excellents cliniciens mais l’erreur c’est, je crois, de situer les choses historiquement en leur appliquant des concepts bien postérieurs ; j’ai un peu commis ce péché, en disant tout à l’heure que c’était presque du contre-transfert. À l’époque, on n’avait pas la notion du tout de ce qui était un transfert, ou un contre-transfert. Donc, c’est pour cela que je me suis beaucoup tourné vers l’histoire de la psychopathologie ou de la psychiatrie alors qu’on fait toujours cette erreur de vouloir interpréter les choses avec nos concepts actuels.

Je pense que le livre de Carmona, qui est un historien spécialiste de Richelieu, est également intéressant parce que c’est un historien très rigoureux. Bien qu’il soit un historien politique – il traite de  Richelieu en tant que ministre de Louis XIII - eh bien, lui ne tombe pas du tout dans un excès d’interprétation. Il fait une chose un peu curieuse : il établit une chronologie excessivement minutieuse de tout ce qui se passe dans le royaume de France, d’une date à une autre date. Et les dates sont intéressantes, parce qu’il prend pour point de départ la Saint-Barthélemy et il termine par l’abolition de l’Edit de Nantes, dates qu’on peut considérer comme le début puis la reprise des guerres de religions en France.

On a beaucoup parlé, à l’époque, de la publication de Michel Foucault Histoire de la folie à l’âge classique[4] - ce qui est curieux, car quand j’étais jeune il n’y avait pas grand monde pour s’intéresser à l’histoire de la psychiatrie ou l’histoire de la folie – mais il est incontestable que cette publication qui était une thèse de philosophie au départ, a été lue comme une histoire de la psychiatrie. Foucault, n’emploie pas le thème de psychiatrie, il parle de la folie au sens philosophique, puisque c’est une thèse de philosophie ; et en même temps, lui aussi, Foucault, est très minutieux dans ses références : il dira : « untel, dans tel livre, dit ceci… », mais il ne fait pas d’interprétation. Il se mettra à faire des interprétations plus tard, quand il sera professeur au Collège de France, là il se mettra à dire « voilà ce que ça voulait dire… », mais dans Histoire de la folie à l’âge classique il ne le fait pas encore.

Il y a par ailleurs, un autre livre de Foucault, qui est à mon avis beaucoup plus intéressant, qui s’intitule : Naissance de la clinique, parce qu’il décrit bien dans Naissance de la clinique[5], qu’à un moment donné, à Paris précisément,  apparaît la clinique moderne : c’est la naissance de la clinique.

Sur les possédées de Loudun, pas d’autres questions ?

Alors, on va enchaîner, pour arriver à l’époque de Louis XIV, bien que j’ai déjà fait allusion au fait que Louis XIV est le fils d’Anne d’Autriche, qu’il a été conçu avec beaucoup de mal, de sorte qu’il a été baptisé sous le nom de Louis Dieudonné - cette grossesse tardive a été considérée comme un don de Dieu - et puis ensuite Anne d’Autriche a eu quand même un deuxième enfant, grâce à la chemise de Sœur Anne des Anges !! Louis XIV, dès qu’il est majeur – et les Rois de France étaient majeurs dès 13 ou 14 ans, ce qui créait quelquefois des conflits avec leur mère, quand leur mère était Régente – dès qu’il est majeur, il publie un édit royal où il crée ce qu’on appelle l’Hôpital Général à Paris. Là aussi attention aux termes : hôpital, ça n’a pas le même sens que de nos jours.

L’hôpital général regroupe toute une quantité d’établissements qui existaient déjà, et notamment un établissement qui avait été installé à la Salpêtrière. Une salpêtrière était un endroit où l’on faisait du salpêtre pour fabriquer de la poudre à canons et comme cet établissement risquait d’exploser à tout moment on l’avait installé en dehors de Paris. C’est d’ailleurs curieux parce qu’il ne se passe pas de semaine, sans que tout à coup à la télévision on apprenne que tel établissement industriel extrêmement dangereux vient de sauter et qu’il était bâti dans une banlieue qui était quand même habitée, etc. Dans le temps, ils étaient plus prudents que nous…

À la Salpêtrière vont être d’abord conduits les enfants et les femmes jusqu’à un certain âge ; par la suite, il y aura un certain nombre de grands seigneurs qui feront des donations pour construire des bâtiments supplémentaires à la Salpêtrière, en particulier Mazarin, qui obtient que du coup on accepte à la Salpêtrière des maris âgés qui accompagnent leur épouse, elle-même âgée. Donc, les hommes d’un certain âge peuvent quand même être admis à la Salpêtrière mais il y aura une séparation radicale avec les hommes jeunes qui vont, eux, à l’hospice de Bicêtre. On confond très souvent, en particulier à propos de Pinel, ce qu’il a fait à la Salpêtrière et ce qui a été fait à Bicêtre, je vous en parlerai.

Cet édit relatif à la création de la Salpêtrière, Michel Foucault le qualifie dans l’Histoire de la folie de « grand enfermement », en disant, « c’est un moyen de mettre à l’écart toute une population … ». On peut porter des jugements, mais je ne suis pas sûr, que laisser ces femmes et ces enfants en bas âge, errer sans domicile fixe dans Paris, mourant de faim, c’était mieux que de les enfermer à la Salpêtrière. D’ailleurs celles qui protestaient beaucoup, c’étaient les filles de mauvaise vie, parce qu’effectivement à la Salpêtrière, elles perdaient leur gagne-pain. Mais là encore les questionnements actuels : « faut-il interdire, d’ailleurs non pas le racolage mais le recours à des prostituées », montre que c’est très difficile de régler ces questions d’un point de vue légal. Si vous êtes allé à la Salpêtrière, vous avez vu qu’il y a une chapelle, qui à la taille d’une cathédrale c’est la Chapelle Saint-Louis – alors là, c’est Louis XIV qui a fait un don plus tard pour construire cette construction – et vous avez vu que cette chapelle a un plan très étonnant, en croix grecque de huit chapelles avec au centre le maître-hôtel ; de telle sorte qu’en assistant aux offices, à partir d’une des chapelles – on verra le maître-hôtel – mais on ne verra pas qui est dans la chapelle d’à côté ; ainsi, par exemple, les enfants ou les jeunes filles ne voient pas la chapelle où sont les prostituées.

Il y a donc une espèce de répartition qui est assez intéressante parce que cela prouve bien qu’on ne mettait pas à la Salpêtrière n’importe qui et d’ailleurs les registres sont très bien tenus. Dans le registre des admissions (maintenant on met sa carte vitale) mais à l’époque on enregistrait soigneusement le nom, en mentionnant quelquefois, « dit s’appeler untel » ou « dit avoir tel âge », parce que c’était incertain, « sans domicile » ou quelquefois avec des précisions, « poitrinaire », parfois des indications un peu médicales. Parce qu’à cette époque, les médecins n’existent pratiquement pas à la Salpêtrière, ce n’était pas du tout conçu comme à l’hôpital aujourd’hui, les médecins étaient des personnages tout à fait aléatoires, si je puis dire. Voilà donc tout le contexte, à l’époque de Louis XIV de la création de ce grand hôpital comprenant différents établissements qui vont chacun avoir leur histoire.

Je crois vous avoir déjà dit que c’est Louis XIV qui interdit les jugements pour sorcellerie ; les jugements pour sorcellerie par les parlements, les tribunaux de l’époque, c’est terminé ! Là aussi il y a un édit très précis et daté ; par contre, les procès pour empoisonnements peuvent toujours avoir lieu. Parce que encore du temps de Louis XIV, il y a des histoires de morts suspectes, de maris qui meurent très rapidement en laissant une grosse fortune à la veuve éplorée : « ça, il faut les maintenir ». Par ailleurs sur le plan médical, on pourrait souligner que l’époque de Louis XIV est marquée par une médecine très étonnante, dont Molière s’est énormément moqué avec, bien sûr, Le malade imaginaire. Les comédies de Molière, celles qui ont pour thème la médecine, sont assez intéressantes d’ailleurs parce que Molière qui avait, lui, fait des études au Collège des Jésuites, actuel Lycée Saint Louis, se moque beaucoup du latin que parlaient les médecins de son époque qui évidemment n’a rien à voir avec le latin classique que lui avaient appris les Jésuites.

 Pourquoi d’ailleurs, les médecins utilisaient-ils ce latin, ce mauvais latin ? On a formulé deux hypothèses. L’une qu’ils cachaient ainsi leur ignorance, l’autre hypothèse, que ça leur permettait de communiquer entre eux, de se dire des choses que l’on ne voulait pas que le patient comprenne. Ils se disaient entre eux « le pauvre malheureux, il est perdu, etc. » : il valait mieux que le malade ne l’entende pas. Il y a aussi une troisième hypothèse, c’est qu’ils se référaient toujours à la médecine hippocratique, c’était comme une bible, si je puis dire ; mais non pas Hippocrate dans le texte grec mais celui traduit en latin. Donc c’était souvent des citations faites en mauvais latin des aphorismes d’Hippocrate. On rejoint là l’histoire de la fondation de l’Académie française - c’est un rapprochement que j’ai fait - parce que va apparaître aussi petit à petit un français médical. Mais on ne commencera à écrire des œuvres médicales en français que très tardivement. C’est d’ailleurs Pinel, qui va être un des premiers à le faire.

Tout ceci nous montre qu’il y a des champs différents qui se recouvrent les uns les autres. Voilà, il y a un médecin qui est très connu à l’époque, qui est Guy Patin, qui s’en tenait à ce qu’avait dit Hippocrate, il était un adversaire furieux de la circulation sanguine qui a été découverte par un Anglais, Harvey  (celui-ci a d’ailleurs publié son livre d’abord en latin, puis en anglais, et ensuite en français) : or, l’argument essentiel de Guy Patin, c’était « non, la circulation sanguine, ça n’existe pas puisque Hippocrate n’en parle pas ». Pour lui c’était un argument décisif !

Vous savez d’ailleurs, ce qui est curieux, c’est que l’on continue à employer en français des termes qui n’ont aucun sens, si on se réfère à l’étymologie. On dit « artère », artère, ça veut dire « qui contient de l’air », mais les artères ne contiennent pas de l’air ; on sait tous qu’elles contiennent du sang néanmoins on continue à utiliser le terme « artère ». C’est parce-que quand on faisait une autopsie en ouvrant l’artère, on trouvait … de l’air.

Alors, je pense que j’ai assez déliré sur cette médecine du temps de Louis XIV, j’ai quand même voulu continuer à vous montrer qu’il y a des échanges entre quantités de domaines : la linguistique, les idées scientifiques, les idées religieuses, la politique… qui ont toujours de l’influence les uns sur les autres. Et ça va se reproduire, cette fois-ci sous Louis XV avec une autre affaire, au moins aussi retentissante que celle des possédées de Loudun, qui est celle des convulsionnaires de Saint-Médard. Qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? Alors effectivement, sous Louis XV, il se produit à nouveau une querelle religieuse, qui est assez difficile à comprendre, puisqu’il y a un certain nombre de catholiques qui se réclament de la doctrine qui était prêchée par un évêque, Jansenius, et on appelle ces catholiques-là des Jansénistes. La doctrine janséniste a beaucoup de succès, plutôt dans les classes cultivées, la haute bourgeoisie et même l’aristocratie. Il y a par exemple, un fils du membre du parlement qui, après avoir mené une vie dissolue dans sa jeunesse, se convertit au jansénisme et devient diacre. Il refuse d’ailleurs, par modestie de devenir prêtre, il reste au grade le plus bas, diacre, il mène une vie très austère, et il meurt. Je ne sais pas si c’est à cause de l’austérité, mais en tout cas, il meurt. Et il est enterré au cimetière de Saint-Médard, le cimetière qui entourait l’église de Saint-Médard ; à l’époque, les cimetières entouraient les églises comme de nos jours en Angleterre où il n’y a pas du tout de cimetières municipaux ou quoi que ce soit. Il est donc enterré au cimetière de Saint-Médard, la famille fait quand même une tombe très impressionnante, qui est un peu surprenante d’ailleurs pour quelqu’un qui faisait preuve de modestie, et tout d’un coup voilà que les dévotes qui s’allongent sur la pierre tombale du diacre Pâris sont prises de convulsions. Alors évidemment les Jansénistes disent que c’est un miracle, que c’est la preuve de la sainteté du diacre, et les ennemis des Jansénistes, les Jésuites – toujours eux – disent que c’est une supercherie, que les convulsions en question, sont des mouvements faits volontairement. Du coup, il y a des curieux qui affluent voir ces femmes prises de convulsions et au cours de ces convulsions, certaines de ces femmes montrent des parties qu’il n’est pas décent de montrer, de telle sorte qu’il y a aussi des curieux qui viennent pour cela… Il y a aussi quelque chose d’étonnant, c’est que pendant les convulsions ces femmes paraissent insensibles à la douleur, de telle sorte qu’il y a des gens qui viennent les piquer pour vérifier que vraiment, elles sont insensibles à la douleur, donc ça devient vraiment un spectacle très troublant. Le lieutenant de police prévient le Roi Louis XV, qui là aussi, fait un édit royal, interdisant ou même fermant le cimetière de Saint-Médard au public, si bien que le lendemain, on affiche l’édit royal, et comme toujours à Paris, le lendemain apparaît un slogan contraire qui est « De par le Roi, défense à Dieu de faire miracle en ce lieu ». A nouveau toute la France est séparée en deux clans ! Il semble d’ailleurs qu’il apparaisse une nouvelle profession, celle d’une catégorie de convulsionnaires professionnelles, qui se rendent à domicile, chez des riches bourgeois ou des aristocrates pouvant payer une somme suffisante, pour convulser à domicile. Puisque le Roi interdit qu’il y ait des convulsions à Saint-Médard eh bien, contournons cet interdit royal, en provoquant des convulsions à domicile. Il y a d’ailleurs des quantités de choses surprenantes : il y a une femme qui est contre les Jansénistes, qui par moquerie se couche sur la tombe du chanoine et manque de chance, est totalement paralysée au point qu’il faille la transporter en civière à la Salpêtrière, pour savoir si on peut la guérir de ce miracle, si je puis dire ! Là elle est examinée par des chirurgiens, parce qu’il n’y avait pas de médecins mais il y avait déjà des chirurgiens à la Salpêtrière qui disent « mais non, mais non, ce n’est pas grave, ça va se guérir ».

Il y a aussi un autre personnage qui est très intéressant, Philippe Hecquet, qui était un médecin extrêmement connu de l’époque, qui avait été médecin des religieuses de Port Royal, il était par ailleurs Doyen de la Faculté Royale et il publie des lettres sur la convulsionnaire en extase, où il se prononce de manière très curieuse, parce qu’il dit qu’ « il y a des phénomènes surnaturels qui ressemblent beaucoup à des phénomènes naturels et que c’est difficile de les distinguer ». Et il fait aussi l’hypothèse que la femme a un système nerveux beaucoup plus sensible que celui de l’homme et qu’elle peut être beaucoup plus facilement affectée par des émotions qui laissent les hommes, indifférents ou insensibles. Il critique beaucoup la pratique des secours, ces gens qui vont piquer les convulsionnaires pour voir si elles sont insensibles ou pas. On en reparlera, puisque Charcot critiquera Hecquet « qui ne s’est pas rendu compte que tout ceci c’était de l’hystérie ».

Question auditoire sur les vêtements portés par les femmes convulsionnaires

J. Garrabé : Je pense que, dans le domaine de la vêture, les vêtements ont été déterminés très longtemps par la classe sociale, il n’était pas question qu’un aristocrate s’habille comme un bourgeois, un bourgeois comme un homme du peuple, etc. Il  y avait déjà à la Révolution, les Sans-culottes. Les Sans-culottes ainsi nommés parce qu’ils portaient un pantalon. Et chez les femmes pendant très longtemps, on portait des jupes en nombre presque proportionnel à la classe sociale. Je pense que des femmes du peuple devaient porter une ou deux jupes et ne portaient pas de dessous, donc si elles faisaient des cabrioles, elles montraient ce que l’on appelait « les parties honteuses ».

L’auditoire : Qu’est-ce qui fait que de nos jours, on n’entend plus parler de personnes qui font des convulsions, disent des bêtises comme ça, cela avait l’air d’être monnaie courante à l’époque. Etait-ce un phénomène de mode ? Ou il y avait vraiment une maladie ou est-ce que c’est vraiment religieux ? C’est quoi en fait ?

J. Garrabé : L’explication à l’époque ? C’est ce que j’essaye de vous montrer. Dans l’exemple que j’ai pris de Hecquet, un médecin connu sur la place de Paris, Doyen de la Faculté, etc., cet homme est connu comme Janséniste, ce qui ne l’empêche pas d’être médecin des religieuses de Port-Royal, donc c’est un Janséniste qui n’est pas un Janséniste rigoureux opposé aux catholiques ordinaires. Mais on s’aperçoit que Hecquet veut donner une explication scientifique mais qu’en même temps il est embêté par ses idées religieuses. Je crois d’ailleurs que c’est quelque chose, je dirais, qui se prolonge jusqu’à nos jours. Je ne sais pas si de nos jours, il existe des médecins – restons dans le domaine de la médecine – qui ont des idées médicales qui ne sont pas mélangées à des idées religieuses ou politiques. A ce propos, on vient de condamner un prix Nobel de médecine, à cause des propos racistes qu’il a tenus pour la deuxième fois. Alors voilà, Watson, qui est quand même quelqu’un de génial, qui a quand même fait une découverte extraordinaire ne peut pas s’empêcher de dire des choses que moi je considère comme des absurdités totales ; mais c’est peut-être moi qui raconte des bêtises !

Je crois, si vous voulez que l’on est constamment pris par des difficultés comme celle-ci. À un moment donné, il y a eu des attaques contre la psychanalyse naissante, au moment de Freud  on a dit : « c’est une science juive ». Cela a été tenu pour des propos racistes, mais d’un autre côté les premiers disciples de Freud étaient tous juifs, alors donc c’est extrêmement difficile de séparer les choses. En France, il y a un médecin qui a fait une découverte sensationnelle, et lui n’a pas eu le prix Nobel parce que c’est un catholique intégriste. Il a fait une découverte des plus importantes en médecine de ces cinquante dernières années, donc on ne prononce presque pas son nom, je me garderai de le prononcer. Donc, je pense que dans une certaine mesure, il faut essayer autant que faire se peut s’isoler soi-même de ces pressions. Mais on ne le peut pas totalement. Alors peut-être aussi je vais répondre indirectement à la question que vous avez posée, parce qu’il va apparaître encore un personnage extrêmement curieux, c’est aussi le fils d’un membre du Parlement qui s’appelle Montgeron. Et Montgeron, après avoir lui aussi mené une vie dissolue, tout à coup se convertit au jansénisme.

Souvent les conversions sont très brutales. Les gens passent d’une chose à l’autre. Montgeron (après s’être rendu personnellement à Saint-Médard) écrit un livre pour montrer que la doctrine janséniste est vraie et que les histoires des convulsions de Saint-Médard sont aussi des miracles. Ce qui est intéressant, comme ça je réponds en partie à votre question, c’est qu’il fait illustrer son ouvrage et que donc on voit dans le livre de Montgeron comment sont habillés les gens qui font des convulsions, ceux qui regardent qui fait les convulsions, etc., donc on peut les situer socialement, si je puis dire. Mongeron était quand même un peu fou, parce qu’il réussit à faire imprimer son ouvrage sans obtenir l’autorisation des censeurs royaux, et il va à Versailles où il réussit à en offrir un exemplaire à Louis XV. Louis XV sort de la réunion du Cabinet royal et …« Majesté, voilà ». Alors Louis XV qui était très gentil le remercie et passe le livre à son Premier ministre qui était le cardinal de Fleury. Montgeron quitte Versailles et immédiatement, évidemment, le cardinal de Fleury donne l’ordre aux gardes royaux de partir à toute allure rattraper ce personnage pour l’emmener à la Bastille. A la Bastille, Montgeron réussit à faire une deuxième édition. Alors là, je dois dire c’est absolument extravagant parce que tous les exemplaires de la première sont saisis et brûlés, et cependant il a refait une deuxième édition. Il a continué à en faire comme ça pendant un certain temps, étant toujours à la Bastille ; de temps en temps on le laissait sortir et puis on le ré-embastillait, en lui disant « écoutez, vous continuez à publier ce livre, alors que le Roi l’a interdit ! ». Pour nous l’intérêt de ces éditions de Montgeron, comme je viens de dire à l’instant, c’était ses illustrations.

Sur les convulsionnaires de Saint-Médard, il y a aussi l’historienne Catherine Laurence-Maire qui a écrit en 1985 un ouvrage qui je pense était aussi une thèse : Les convulsionnaires de Saint-Médard, miracles, convulsions et prophéties à Paris au XVIIIe siècle.

Quand je vous donne des références, cela ne doit pas vous empêcher de poursuivre un travail de recherche dans un tel ou tel domaine, car, j’ai reçu, il y a 48 heures, un mail de quelqu’un qui me dit qu’il a rédigé une thèse d’histoire sur des Jansénistes sous la Révolution française, dont un prêtre janséniste qui officiait encore sous la Révolution française, il m’a dit d’ailleurs qu’il allait m’envoyer un exemplaire de sa thèse, pour que je le lise et que je m’instruise parce que moi j’ignorais totalement ça – je me demande d’ailleurs comment il peut y avoir eu un prêtre janséniste sous la Révolution française – et ça prouve que l’on redécouvre constamment des choses nouvelles et donc je crois que c’est intéressant de s’intéresser à l’histoire en mouvement. 

Y a-t-il des question sur les possédées de Loudun et les convulsionnaires de Saint-Médard. Non, pas de questions ? Moi alors, je vais faire comme l’on fait dans ces cas-là, je vais vous en poser une. Est-ce que ce sont des choses dont vous aviez déjà entendu parler ou pas du tout. Pas du tout ! C’est la première fois ?

L’auditoire : Si, bien sûr, enfin après, il y a des choses que vous approfondissez vraiment, et c’est riche en culture générale et c’est très intéressant, ça contextualise et cela permet de comprendre un peu plus l’évolution de la psychiatrie à travers les âges, même si on ne parle pas encore de psychiatrie à l’époque, mais sur les conditions. C’est très instructif, moi en tout cas je n’ai pas appris tout cela à l’école quand on a évoqué ces périodes de l’histoire. Donc c’est instructif, beaucoup de culture.

J. Garrabé : Il y a périodiquement en France des interrogations sur la manière dont on doit enseigner l’histoire. Il y a eu d’une part de grands historiens français, par exemple, Michelet qui a fait un travail gigantesque, l’Histoire de France, en je ne sais pas combien de volumes ; puis ensuite, l’Histoire de la Révolution française, et puis ensuite il est passé un peu de mode : « non ce n’est pas comme ça qu’il faut faire l’histoire… il faut faire l’histoire par des grands thèmes transversaux, etc., surtout pas sur un mode chronologique ». Donc moi j’ai vu ça par mes enfants, mes petits-enfants. Alors du coup ils n’y comprenaient plus rien, les Romains c’étaient à peu près contemporains… pour les Romains, ils avaient quelques notions parce qu’ils lisaient Astérix, mais les autres… ils étaient complètement perdus. Alors quand ils entraient dans les études supérieures, ils avaient le sentiment d’un manque.

Concrètement, quand les gens faisaient des études de médecine par exemple, il y avait une très grande ignorance de l’histoire de la médecine. De telle sorte que lorsque l’on commençait à vous apprendre je ne sais pas, par exemple la physiologie, la circulation du sang, on ne vous disait pas que la circulation du sang a été découverte au XVIIIe siècle et que jusque-là on n’avait pas du tout la notion que le sang circulait, etc.,

Je crois que, à un moment donné en tout cas, en psychiatrie, la thèse de Foucault a été très bénéfique parce que les gens ont dit « ah, alors ça vaut le coup de s’intéresser à l’histoire, ne serait-ce que pour voir si ce que Foucault dit dans sa thèse est exact historiquement ». Il faut dire d’ailleurs que Foucault, est l’élève de Canguilhem qui était professeur de philosophie à la Sorbonne et docteur en médecine. Dans la thèse de médecine que Canguilhem  a écrite alors qu’il était caché dans un hôpital psychiatrique pendant l’Occupation, parce qu’il était résistant - de bonnes conditions pour écrire une thèse de médecine - on s’aperçoit que c’est une thèse que ne peut pas écrire quelqu’un qui n’aurait pas fait des études de philosophie. Il y a un autre auteur beaucoup plus récent, mon excellent ami Georges Lanteri-Laura, que je vous citerai sans doute, pour qui c’est la même chose : Georges Lantéri-Laura était agrégé de philosophie et docteur en médecine, et donc sa thèse de philosophie est basée en grande partie sur l’histoire de la psychiatrie.

Bien. Eh bien donc, à la prochaine séance.

 




[1]Sœur Jeanne des Anges de Michel Carmona (2011)

[2]The Devils of Loudun (1952)

[3]Les diables de Loudun (Die Teufel von Loudun), opéra, 1969.

[4] Michel Foucault, Histoire de la folie à l'âge classique, 1961.

[5] Michel Foucault, Naissance de la clinique. Une archéologie du regard médical, 1963.