Clément Fromentin : Psychopathologie, droit et déontologie de la prise en charge

Conférencier: 

EPhEP, MTh4-ES14, le 19//03/2018 

 

Bonsoir, on va commencer. Donc ce soir, j’ai le plaisir d’accueillir, dans le cadre du module, le docteur Clément Fromentin qui va nous parler de l’éthique en psychanalyse. Clément est psychiatre à l’Association Santé Mentale du 13ème arrondissement et également psychanalyste.

 

Docteur Fromentin :

Merci Céline, merci de m’avoir invité à ce séminaire.

Bonsoir à tous. Je vais essayer de vous faire un exposé sur l’éthique de la psychanalyse et je vais vous parler des rapports de la psychanalyse à l’éthique à partir de Freud et de Lacan.

Alors, aujourd’hui, il y a une inflation des questions éthiques qui succède au déclin des grands discours qui ont organisé les sociétés.

Aujourd’hui, on place l’éthique à de très nombreux niveaux et il n’est pas étranger que la psychanalyse se soit posé cette question à elle-même finalement : en quoi elle est éthique ? Quels sont ses buts éthiques ? Et en quoi elle peut orienter éthiquement les sujets auxquels elle s’adresse ?

A travers ce parcours que je vais vous proposer, je mobiliserai un certain nombre de réflexions théoriques sur la psychanalyse et je ferai référence à une question centrale pour Lacan, ce que c’est que la fin de l’analyse et ce qu’est le désir de l’analyste, c'est-à-dire qu’est ce que veut le psychanalyste pour son patient.

Lacan, au Séminaire de l’année 59-60, qui est le séminaire numéro 7 consacré justement à l’éthique de la psychanalyse où il rentre notamment en discussion avec Kant et la pièce de Sophocle : Antigone. Je m’appuierai sur cet exemple d’Antigone pour illustrer la visée de Lacan, à cette époque, sur les buts de l’analyse.

 

 

Freud n’aimait pas beaucoup l’éthique. Il s’en est ouvert dans une lettre au pasteur Pfister, en 1918, en disant : « L’éthique m’est étrangère. Je ne me casse pas beaucoup la tête au sujet du bien et du mal mais en moyenne, je n’ai découvert que fort peu de bien chez les hommes. D’après ce que j’en sais, ils ne sont pour la plupart que de la racaille, qu’ils se réclament de l’éthique de telle ou telle doctrine, ou d’aucune. Cela vous ne pouvez pas le dire tout haut, peut-être même pas le penser bien que votre expérience de la vie ne puisse pas être très différente de la mienne. S’il faut parler d’une éthique, je professe pour ma part un idéal élevé, dont les idéaux qui me sont connus s’écartent en général d’une manière des plus affligeantes. » 

Donc Freud se livre ici à un pasteur, donc un homme qui a l’habitude de trancher les questions du bien et du mal et il avoue là un certain dédain pour la question éthique et on reconnait le ton de Freud avec une certaine dureté qui lui fait voir les autres hommes pour de «  la racaille » ou des gens qui ne valent pas grand-chose.

Et pourtant Freud, on peut dire, a consacré toute sa vie, justement, à vouloir élever les hommes, élever l’humanité et la psychanalyse n’est pas étrangère à cette ambition.

S’il n’a pas lui-même formalisé une éthique, Freud a été traversé par des questionnements éthiques, des questionnements sur la morale de la société. Et, en premier lieu, dès ses premiers écrits, il a mis en avant la question du refoulement et le fait que les pulsions humaines doivent être refoulées du fait des exigences morales que lui impose la société. Il retrouvait là une question classique de la morale, celle des conflits entre les passions et la raison et qui trouvait habituellement une réponse dans une exaltation de la tempérance et des compromis. Il fallait trouver un juste équilibre entre la passion et la raison.

Or ce n’est pas du tout le parti pris de Freud. Freud, au contraire, lui, parie sur les pulsions. Il parie sur ce qu’il découvre et il n’est pas du tout quelqu’un qui cherche à soutenir cette pression de la société sur l’individu, pour lui, le malaise dans la civilisation est réductible à un malaise du désir. C’est parce que l’individu doit taire ses désirs qu’il tombe malade. Il s’agit d’une thématique à laquelle il est resté fidèle dès ses premiers écrits et jusqu’à la fin de sa vie. Il souligne à maintes reprises combien la demande qui est faite à l’individu par la société est un prix lourd à payer et il insiste notamment sur le refoulement qui est demandé du côté des pulsions sexuelles et des pulsions agressives.

Même à titre personnel, on s’en aperçoit dans son autobiographie : Freud parle avec une certaine douleur du fait que la vie d’un couple est obligée de passer, du fait des périodes de fertilité, et du fait de la pression sociale qui s’exerce sur une famille, par une certaine frustration sexuelle, une continence sexuelle qui est demandée par la société et Freud dit combien lui-même ça lui coute.

Donc la morale de la société est une morale du refoulement, de la maîtrise des pulsions et Freud distingue dans un texte consacré au début de la maladie que deux types de contraintes pèsent sur l’individu : ce qu’impose la civilisation et ce que s’impose le sujet. Il appelle ce refus la « versagung », «  le refusement » et il indique que certains sujets ont beaucoup de mal à céder sur leur désir inconscient lorsqu’ils se tournent vers la réalité.

Il donne par exemple une vignette clinique. Un jeune homme qui a jusqu’alors satisfait sa libido par la masturbation et qui décide de renoncer à cette pratique pour faire un choix d’objet réel, c'est-à-dire le choix d’une vie de couple, d’une vie sociale. Il tombe malade justement parce que ce choix lui est impossible : ce déplacement de libido, de la dimension fantasmatique à la dimension de la réalité, lui est impossible du fait d’une résistance interne. Cette résistance interne, Freud la nommera un peu plus tard «  Le surmoi ». C’est ce surmoi qui intériorise les exigences sociales et culturelles et qui frustrent le sujet.

Freud souligne ainsi combien le refoulement des pulsions agressives, qui est demandé par la société, va se retourner sur le sujet, va être intériorisé et va nourrir une conscience morale et une culpabilité. Freud repère ce fonctionnement très paradoxal de cette instance morale qui fait que plus on lui sacrifie ses désirs ou ses envies, plus cette instance morale va être forte. Plus quelqu’un va mener une vie ascétique faite d’exigences et de devoirs, plus il va avoir tendance à renforcer son surmoi au lieu de l’apaiser et de le rendre plus docile à ce qu’il souhaiterait vraiment.

Alors, face à cette organisation psychique, l’analyste ne reste pas neutre même s’il ne va pas prendre parti pour l’un ou l’autre coté du conflit. C’est ainsi qu’on peut véritablement comprendre la position analytique, cette attention d’égal niveau, à savoir que l’analyste considère avec une importance égale, les deux termes du conflit qui se pose pour le sujet, entre ses désirs et l’exigence qui lui est demandée par la société.

Freud n’est pas du tout dans une position éducative où il va se mettre à aider l’analysant à faire un choix ou il va favoriser une voix plutôt qu’une autre ou il va lui imposer ses idéaux. Freud refuse de se poser en modèle et en idéal et il va renvoyer au sujet ce choix. Un choix compliqué mais que personne d’autre ne peut faire. Et donc on est là dans une position qui est très différente des thérapies cognitives ou comportementales où des psychologies positives ou du développement personnel qui sont fondées sur l’idée qu’il pourrait y avoir une réconciliation du sujet et du monde, du sujet et de ses désirs.

La position de l’analyse est une position qui traverse cette difficulté, cette aporie de la subjectivité qui est qu’il n’y a pas de réconciliation avec ses désirs et qu’on doit être plutôt dans un état de déchirement par rapport à eux.

Bien sûr la psychanalyse n’est pas qu’une pratique sur le modèle du stoïcisme qui voudrait qu’on accepte un état de chose et qu’on se résout à cet état sans pouvoir agir sur lui.

Ce que propose la psychanalyse, bien sûr, c’est un approfondissement de son désir, c’est une construction de son désir qui n’est pas une envie, pas une lubie, quelque chose qui se dégage progressivement tout au long de la cure.

Et puis, la psychanalyse, Lacan a beaucoup insisté, elle est fondée sur la structure du sujet. Et la structure du sujet c’est celle de la division subjective. Le sujet est divisé par le signifiant, divisé par sa parole et le conflit est à la base du psychisme. Il n’y a pas d’idéal, pas d’homéostasie qui serait possible.

Freud l’illustre dans une lettre à Ferenczi, l’un de ses collègues, en 1911, il se confie en lui disant : « L’homme ne doit pas vouloir exterminer ses complexes mais s’arranger avec eux. Ce sont les chefs d’orchestre qualifiés de son comportement dans le monde. » On voit un Freud très réaliste qui dit qu’on ne peut pas vaincre ses pulsions, qu’on ne peut pas les réduire mais qu’on a à s’arranger avec eux. Freud n’est pas partisan d’une exaltation pulsionnelle.

On dit souvent que la libération de la sexualité par exemple, de l’immédiate après guerre, doit beaucoup à la psychanalyse. Mais Freud, lui, qui n’a pas connu cette libération sexuelle, n’en était pas pour autant un partisan.

Il n’est pas du tout un soutien de Wilhelm Reich qui lui est partisan d’une interprétation sexologique de l’éthique analytique et qui voudrait libérer la société de ses interdits notamment dans le domaine sexuel.

Donc Freud était, politiquement, assez conservateur et ne visait pas une transformation de la société. Néanmoins, on peut dire que la psychanalyse est anti-sociale dans la mesure où son soucis, c’est d’abord le bien de l’individu et non pas celui du collectif ou de la société.

Freud dit encore dans ses Conférences d’introduction à la psychanalyse des années 17, 18 : « L’analyste n’a qu’un désir, celui de voir le malade prendre lui-même ses décisions. ». La psychanalyse est fille des Lumières, l’idéal de l’individu, c’est un idéal d’autonomie qui serait susceptible de penser par lui-même. Mais il pense par lui-même non pas à partir d’un rapport homogène à quelque chose, une activité ou un objet qui lui serait parfaitement adéquat, mais il pense par lui-même à partir de ce conflit, de ce déchirement des valeurs.

Le choix de Freud c’est de ne pas prendre parti pour l’un des deux adversaires du conflit inconscient. C’est ce que Lacan formalisera un peu plus tard dans le Séminaire 11 de l’année 1964 en parlant des modalités logiques de l’aliénation et la séparation. Il prend l’exemple d’un Bourgeois qui se fait attaquer dans un bois et on lui dit : «  La Bourse ou la vie !  » Il est devant un choix, soit il perd la bourse, soit il sacrifie sa vie. De toutes les façons, il va être obligé de faire un choix et de toutes les façons il sera confronté à une perte. Cette dimension de perte ne peut être évitée. Tout choix humain en comporte un et c’est ce que Freud appelait la castration.

Non seulement nous sommes devant des choix forcés, le hasard c’est ça : c’est le bandit de grands chemins qui nous demande de choisir entre la bourse ou la vie, ce n’est pas ce qu’on aurait voulu et pourtant on est obligé de le faire et en plus, la perte est assurée.

Donc la psychanalyse est une pratique foncièrement dés-idéalisante. Il n’y a pas d’idéalisation de l’analyste, pas d’idéalisation de l’analyse comme si cela pouvait être une pratique qui pouvait résoudre complètement les tourments ou les problèmes du sujet. Et l’analyste n’a pas à se mettre en exemple pour son analysant.

Freud se sépare ainsi de tout idéal médical. L’idéal médical c’est quand même celui de guérir le symptôme, de le faire disparaître, de le liquider. Au contraire, Freud parie sur le symptôme, en ce sens que dans le symptôme, qui mêle à la fois souffrance et plaisir, il y a un sens à retrouver, le sens d’un désir inconscient et qui est, d’une certaine façon, le secret du sujet.

Freud se sépare aussi de la médecine en ce sens qu’il refuse tout orgueil thérapeutique. Il souligne, notamment dans des écrits recueillis sous forme d’écrits techniques, que lorsqu’il s’est mis à l’hypnose à ses débuts, avant d’inventer l’analyse, il était conduit à employer la suggestion et à aboutir à des résultats impressionnants qui lui revenaient puisque le patient avait l’impression que tout était dû au talent du clinicien. Mais Freud refuse cette technique notamment à cause de ces bénéfices narcissiques qui retombent sur le clinicien. Il s’inspire de la formule d’Ambroise Paré : « Je le pansais, Dieu le guérit » pour dire que c’est avant tout le sujet analysant lui-même qui est le moyen de guérison et que celui-ci n’est pas l’analyste qui se contente de l’accompagner.

Alors il y a des exemples assez savoureux pour illustrer cet aspect dans la correspondance de Freud où, par exemple, il reçoit un jeune analyste américain, S. Brunton (?) en 1935 et il dit à celui-ci : « Il est possible que vous soyez trop anxieux à l’égard de vos patients. Il faut les laisser dériver, les laisser travailler à leur propre salut. » Ce n’est pas du tout une position sadique ou perverse mais c’est l’idée que ce qui opère dans l’analyse c’est d’abord les transformations du sujet, celles qui sont mises en œuvre par le sujet et non pas celles qui sont appliquées par l’analyste.

Il donne également ce conseil à Jung avant leur rupture : « Vous n’avez  pas encore acquis dans la pratique la froideur nécessaire. Vous donnez beaucoup trop de votre personne. Vous demandez quelque chose en retour. Puis-je en digne vieux maitre vous avertir qu’avec cette technique on fait régulièrement un mauvais calcul et qu’il faut bien plutôt rester inaccessible et se borner à recevoir. Ne nous laissons jamais rendre fous par les pauvres névrosés ». Donc il y a cette prise de distance, ce souci de ne pas s’impliquer au sens de ne pas attendre de bénéfices narcissiques chez l’analyste. Donc, il y a une véritable éthique, un éthos au sens de l’habitude, chez l’analyste qui doit se garder de susciter l’amour chez son analysant et de recevoir des bénéfices en termes de reconnaissance qu’il soit d’ordre thaumaturgiques ou sociaux.

Et puis surtout Freud va développer cela dans les années 20, c’est qu’il y a le vœu de guérir de l’analyste et, ce vœu de guérir, il ne rencontre pas forcément l’assentiment du sujet. C’est une découverte, c’est celle de la résistance à la guérison, un désir inconscient de punition qui va donner dans les années 20 un profond pessimisme à l’égard de sa technique.

Il indique par exemple à Edoardo Weiss, un autre psychanalyste venu se former auprès de lui : « La patiente que vous avez accompagnée chez moi ne cédera certainement pas aussi longtemps qu’elle pourra deviner le prix que vous attachez à son rétablissement. Le fait que la patiente sache exactement l’importance particulière de son rétablissement pour votre cause est préjudiciable au traitement.» Freud évoque le désir qu’à la patiente de frustrer le triomphe du médecin. Témoignage d’un transfert négatif dont l’analyste n’est pas innocent : « Par exemple dit Freud, il suffit souvent de féliciter ses malades ou de leur dire des paroles encourageantes au sujet des progrès de l’analyse, pour voir leur état empirer. »

Ce genre de choses quand il est repéré en clinique nous amène souvent à avoir des injonctions paradoxales aux patients par exemple quelqu’un qui va nous amener un nouveau symptôme, on va avoir tendance à surenchérir au niveau de la prise en charge qu’on va lui proposer de telle façon à obtenir dans le sujet un contrecoup. Parce qu’on sait que parfois le patient prend le contre-pied de ce que lui propose l’analyste ou le médecin. C’est ce que Lacan aussi travaillera en disant que souvent l’analysant ne peut accepter d’être libéré par un autre que par lui-même ou que, ce que le patient attend c’est que l’analyste participe à son malheur. Il y a la demande explicite du sujet qui est «  Guérissez-moi des symptômes » et puis au fond c’est souvent pas ça, c’est plutôt : « Contemplez comme je vais mal, plaignez-moi ou soutenez-moi mais en tous cas ne m’aidez pas à savoir ce qu’est le statut de ma véritable demande ! »

C’est pour ça que c’est souvent mal vu par les gens qui ne connaissent pas l’analyse, c'est-à-dire que c’est tout ce que Freud a développé sur l’inconfort de la cure. Il faut maintenir l’analysant dans une situation difficile, compliquée, de frustration, d’abstinence. Non pas une frustration qui est voulue ou qui est calculée mais plutôt que le sujet demande inconsciemment à l’analyste, une réparation, de l’amour, de l’attention. Mais l’analyste sait très bien qu’en lui donnant ça, il n’ira nulle part et qu’il faut bien plutôt le conduire sur le chemin du déchiffrement de son psychisme, déchiffrement de son histoire, de ses symptômes et que ceci conduit nécessairement le sujet à un état de frustration.

On a donc une éthique de l’analyse qui se dégage avec Freud, qui est moins une éthique de la guérison qu’une éthique de la véracité.

 

L’Analyse, vous savez que Freud est friand de métaphores guerrières ou de métaphores inspirées d’autres discours, d’autres disciplines scientifiques, et il emploie « analyse » au sens du chimiste, c'est-à-dire décomposition, désagrégation. Il faut pouvoir défaire le symptôme, l’histoire du patient, en éléments séparés et séparer les représentations des affects ou les représentations de la souffrance en visant donc moins les satisfactions narcissiques que le sujet peut en tirer qu’un effet qui est un effet de savoir, qui est que le sujet va pouvoir voir en face son véritable désir, ses demandes infantiles, sa propre agressivité ou sa propre destructivité.

Ce que Freud découvre chez le sujet qu’il a analysé tout au long de sa vie c’est finalement cette espèce de constat : « Il y a de la racaille en nous » que ce qu’on découvre en l’homme ce n’est pas de l’ordre du bien, mais de quelque chose qui va au-delà d’une vision simpliste ou naïve de l’homme. Il faut pouvoir s’affronter à cette tendance native de l’homme, à la méchanceté, à l’agression, à la destruction et à la cruauté. Et c’est le sens de la psychanalyse quand elle prend tous ces aspects de l’homme au sérieux.

 

Alors, je vais maintenant passer à Lacan : Lacan qui a, lui, intitulé un de ses séminaires « L’éthique de la psychanalyse ». Son septième séminaire publié. Et un séminaire auquel il tenait beaucoup puisque, tout au long de sa vie, il a dit que ça serait un des premiers qu’il publierait, en tout cas, qu’il tenait spécialement à celui-là.

Et contrairement à Freud qui faisait l’aveugle et n’aimait pas beaucoup l’éthique, Lacan dans ce séminaire a engagé une réflexion de fond avec les penseurs les plus importants de l’éthique : Aristote, Bentham, Kant et Sade et cette pièce de Sophocle, Antigone, qui est un problème cardinal pour l’éthique depuis longtemps.

Nous en étions arrivés à cet au-delà du principe de plaisir découvert par Freud, qu’il y a chez le sujet qui répète les mêmes expériences déplaisantes, à travers par exemple les réviviscences traumatiques, ou les symptômes, par exemple les tocs du névrosé obsessionnel, qu’il y a dans cette répétition elle-même, quelque chose qu’on ne peut pas comprendre en terme de plaisir mais qui est un « au-delà du plaisir », un au-delà du principe de plaisir, qui est un mélange de souffrance et de plaisir et que Lacan va nommer « jouissance », isolé comme un concept et qui va prendre une très grande importance au fur et à mesure de son enseignement. C’est à partir de ce séminaire sept qu’il va distinguer entre désir et jouissance. Ce qui n’était pas encore le cas jusqu’à présent.

Lacan intervient au tout début dans les années 60, à une époque où il s’oppose à une certaine dérive de l’IPA, donc des freudiens orthodoxes, dont il cherche pourtant à être intégré. Il dénonce les buts moraux de l’analyse. L’idée que l’analyste devrait adapter son patient aux demandes sociales, il dénonce une moralisation rationalisante de la psychanalyse derrière l’idée que les psychanalystes voudraient faire exister un certains nombre d’idéaux, l’idéal de l’amour humain, l’idéal de l’authenticité, l’idéal de la non-dépendance, et Lacan, tout au long de ce séminaire, s’emploie à défaire ces idéaux défendus par les analystes de l’IPA. Lacan pose ainsi la question : est-ce que l’action de l’analyste doit conduire à une harmonisation psychologique ? Est-ce qu’on doit faire accéder les patients à la possibilité d’un bonheur sans ombres ? C'est-à-dire adapter les patients aux idéaux de l’époque ? La réponse de Lacan est évidemment négative.

Il va proposer une analyse de la dimension morale, de la conscience morale, de la question de la culpabilité à partir du grand thème de cette époque, ce thème du désir. Il revendique cette question du désir comme une dimension qui était jusqu’à présent exclue de l’analyse éthique et morale.

La réflexion éthique de la philosophie s’emploie à considérer les objets d’abord comme des objets du besoin, des bons objets qui satisfont l’individu mais qui n’ont rien à voir avec l’objet du désir. L’objet du désir c’est quelque chose qui ne sert à rien. Ce sont ces objet a : les seins, le regard, la voix. Ce sont des objets qui ne sont pas utiles, ils servent uniquement au plaisir, ils n’ont aucune fonction sociale.

Et puis, le séminaire précédent à propos de la pièce d’Hamlet, Lacan avait repéré dans la figure de Gertrude, la mère d’Hamlet, un désir étranger à tout bien. Un désir excédentaire à la métaphore paternelle, un désir qui la conduisait à épouser le meurtrier de son mari. Ce repérage de ce désir féminin qui était excédentaire à la métaphore paternelle était déjà pour Lacan un premier repérage de la jouissance.

La jouissance n’est pas réductible au sens que l’on emploie de jouissance sexuelle. La jouissance pour Lacan c’est quelque chose que le sujet, le névrosé, a du mal à toucher mais qui est d’abord de l’ordre de l’excès. Quelque chose de toujours excédentaire pour le sujet, quelque chose de très singulier, la jouissance n’est pas partageable. A ce titre on pourrait dire que rien n’est plus autistique que la jouissance et cette jouissance, à moins d’avoir des traits de perversion, elle est très souvent livrée avec honte. Les analysants ne parlent pas facilement de leur rapport à la jouissance, cette jouissance privée, ce truc qui n’est qu’à eux et auquel ils tiennent plus que tout.

Lacan va s’inspirer des analyses de Georges Bataille pour insister sur la dimension de franchissement, de transgression. Il confond jouissance et désir en disant que le désir c’est d’abord ce qui se trouve au-delà de la loi, ce qui se trouve une foi la loi franchie, traversée. Il s’inspire, il lit ça dans Saint Paul et son « Epître aux Corinthiens » : « Je n’ai connaissance de la chose que je désire uniquement par la loi. Sans la loi, la chose est morte ». Lacan radicalise cette phrase de Saint Paul en disant : « Ce qui crée le désir, c’est la loi. Et c’est précisément à cela que sert la loi, c’est à créer des désirs. » Donc c’est une vision très radicale. L’éthique traditionnelle c’est : il y a des lois pour que le bien existe et pour que le sujet vive sous le règne du plaisir. Lacan dit, au contraire, que la jouissance se trouve au-delà de la loi, au-delà du bien commun, et qu’il y a cette nécessaire transgression dans le désir.

Il relit également la Torah pour y retrouver le sens véritable des Dix Commandements. Tous ces commandements, tu ne mentiras point, tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, etc., tous ces commandements, on passe son temps à les transgresser dans la vie sociale. Ce n’est pas ça qui fonde la vie sociale c’est au contraire leur transgression qui organise la vie sociale. Ce n’est pas un abolissement de la loi, il faut que la loi soit là pour créer le désir.

Aujourd’hui, nous sommes dans une inflation de ces commandements sociaux, de ces règles : interdiction de fumer dans les lieux publics, limitation de vitesse, plus de fessées aux enfants, plus d’insultes sur les réseaux sociaux. On est dans une inflation de commandements, de négations, d’empêchements. Bien sûr, il faut se réjouir de toutes ces limitations, mais du point de l’analyse, ce n’est pas parce qu’il y a ces règlements, ces interdictions que ça va faire cesser les transgressions et, au contraire, ça risque bien plutôt de les multiplier. Tous ces règlements modifient une chose par rapport aux Dix Commandements de Moïse, c’est l’idée que c’est à l’Etat, finalement, que revient le règlement des relations sociales, c’est à lui que revient la charge de régler cet antagonisme, cette tension, cette agressivité, qui lie les humains. Il ne s’agit plus de commandements qui seraient dévolus à la religion ou à l’éducation mais, voilà, ces modifications contemporaines induisent l’idée que c’est véritablement l’Etat le tiers qui doit s’occuper de ça.

Pour illustrer cette question de la valeur de la transgression, Lacan s’intéresse à Kant. Vous savez que Kant a établi une œuvre presque folle du fait de son idéalisation du commandement morale, et du fait que, tous les philosophes s’y accordent, du fait que ces principes sont inapplicables. Mais il reste un philosophe extrêmement important car il a épuré cette question de la morale puisqu’il a fait le bonheur non pas comme un but en soi mais comme un résultat de la vie morale. Pour Kant, c’est parce que on obéit à la conscience morale, parce qu’on suit ses devoirs, qu’au bout du compte, on peut obtenir le bonheur. Mais que celui-ci ne doit pas être recherché en propre.

Dans «  Critique de la raison pratique », Kant invente un petit apologue. Il s’agit de nouveau d’un personnage auquel on propose un choix, celui d’avoir la possibilité de satisfaire sa passion chez sa dame mais à la condition que immédiatement après il soit exécuté. Il a le choix entre soit éviter la rencontre avec la dame de son cœur, soit la coucherie mais avec les conséquences, la pendaison. Pour Kant, qui voit là la valeur de la punition, pour lui, tout homme de bon sens dira forcément non. Pour Kant la question ne fait pas un pli.

Mais Lacan voit les choses autrement. Si vous concevez que passer la nuit avec la dame ce n’est pas en termes de plaisir mais en termes de jouissance, voire en termes de mal, alors là, les choses se posent autrement. C'est-à-dire qu’il est tout à fait possible de concevoir que quelqu’un se fasse un point d’honneur de passer la nuit avec sa dame, dans les termes même où on lui dit que s’il le fait il sera exécuté. Ce n’est pas que la personne en question ferait tout pour jouir avec la dame et que même la mort n’est pas un prix trop élevé pour cette fin. Le point essentiel est différent. En acceptant la mort dans ces conditions, le personnage rend hommage à la place de la jouissance, même si cette place peut rester vide. Autrement dit, la jouissance ne consiste pas en cette nuit qu’on passe avec la dame désirée mais dans cet au-delà du principe du plaisir qui devient palpable dans l’acceptation possible de la mort. A ce moment-là c’est un renversement de la loi morale puisque cette fois-ci c’est elle qui sert d’appui à la jouissance.

Lacan propose un autre exemple pour bien comprendre cette conception de l’analyse. La pièce d’Antigone, c’est un problème tournant pour l’éthique et de nombreux philosophes l’ont remis en question depuis Aristote, Goethe, Hegel. Même Judith Butler a proposé son interprétation de la pièce de Sophocle.

Vous connaissez les ressorts de l’intrigue : Antigone veut à tout prix rendre les derniers hommages à son frère, un traitre aux lois de la cité. Et pour ce faire elle va non seulement s’opposer à Créon mais elle va aussi aller contre son bien propre, puisque, pour cette action, elle sait qu’elle encourt le châtiment suprême, c'est-à-dire la mort. Et la décision d’Antigone est prise dès le début de la pièce, elle choisit de rendre hommage à son frère, elle choisit la mort.

A quoi s’oppose Antigone ? Antigone s’oppose à Créon. Créon qui est le tyran c'est-à-dire le dirigeant de la cité. En tant que chef de la communauté, il veut le bien de tous. Donc il est parfaitement conforme aux principes kantiens. Il s’occupe des biens de la cité et pour lui un traitre à la cité n’a pas le droit à une sépulture. S’il fait une exception ça va être le début de l’anarchie et il ne pourra plus organiser les choses dans sa cité. Donc il est obligé de faire respecter cette loi.

Il est du côté du ravalement du désir, du côté de la modestie, de la tempérance, de la voie médiane qui est qu’il faut, comme Aristote l’enseignait, choisir de ménager la chèvre et le chou pour pourvoir le bien de tous et que la cité tienne encore debout.

Antigone, elle, s’oppose à ce bien général au nom de son désir. Un désir singulier, un désir individuel, et donc qui n’est valable que pour elle-même. C’est ce ressort de la pièce, cette lutte entre cette volonté affichée d’Antigone et le bien commun de la cité qui fait que tous les philosophes se sont référés à cette pièce et pour laquelle nous-mêmes on peut se référer quand notre action s’inscrit en porte-à-faux par rapport à une loi valable pour toute la communauté.

Donc qu’est-ce-qui mène Antigone ? Antigone n’est pas simplement animée par la défense des droits de sa famille. Elle est animée par une passion, par une passion sans limite, par une passion qui la déborde. Et Antigone est nommée dans la pièce comme « Auto-nomos » c’est à dire « celle qui édicte sa propre loi ». La loi de son désir, la loi qui est valable pour nous-mêmes.

Et Lacan souligne combien Antigone est fascinante. Même si elle est folle, même si son désir va jusqu’à sa propre mort, on la regarde avec fascination. C’est, dit Lacan, qu’Antigone nous fait voir le point de visée qui définit le désir. Cette visée va vers une image qui définit un mystère inarticulable. Cette image fascinante c’est celle d’Antigone elle-même. Donc Lacan propose Antigone comme un exemple pour une cure analytique, pour un analysant qui lui-même pourrait donner à son désir cette même place, cette même importance qu’Antigone elle-même qui la conduit à conduire jusqu’à l’accomplissement, ce désir.

Je vous ai dit tout à l’heure que c’est la loi qui crée le désir et que le désir et la jouissance, c’est la transgression de la loi. Pourtant pour le névrosé, au moins lui, il y a au moins deux lois qu’il ne transgresse pas. Ces lois sont : l’inceste et le meurtre du père. Il y a au moins ces deux lois-là qui font exception dans l’ordre des lois puisque celles-ci ne sont pas transgressées. Pourquoi ? C’est la question que pose Lacan, puisqu’il dit que Freud n’a pas répondu.

Freud  répond mais ça ne satisfait pas complètement Lacan. Freud a répondu, notamment par rapport au meurtre du père que c’est l’amour du père qui empêche de le tuer. Il a inventé ce mythe du meurtre du père mais il n’y a jamais eu de meurtrier du père. On ne peut pas tuer le père car on est arrêté par l’amour qu’on lui porte. L’amour plus fort que la jouissance. Mais cette réponse ne satisfait pas complètement Lacan.

Concernant la loi d’interdiction de l’inceste, Freud identifie l’inceste comme le désir le plus fondamental et en même temps, celui qui reste couvert. C’est là le désir essentiel mais il reste voilé au sujet. Avant la psychanalyse personne ne savait que c’était là la loi du désir. Le désir pour la mère ne peut être satisfait parce qu’il est la fin, le terme, l’abolition de toute demande, de tout désir. Et c’est justement ça qui structure l’inconscient de l’homme. 

Ces deux lois, dit Lacan, sont des lois de structure. Des lois de structure parce que le sujet est un être marqué par le langage, par le signifiant. C’est la dette du sujet au symbolique. Si le petit humain couchait avec sa mère, dit Lacan, il y aurait collapsus de toute demande, de tout désir mais aussi collapsus de tout langage. Le langage, le signifiant c’est d’abord ce qui met à distance les objets du désir ou l’objet tout court.

Lacan travaille sur le désir. Le fait que la demande est obligée de passer par les signifiants et que le sujet est aliéné dans son rapport au désir par les signifiants, par cette promesse, par cette anticipation de quelque chose qui n’aura jamais lieu. Cette rencontre avec l’objet du désir comporte en elle-même une perte, une perte qui ne peut pas se combler et qui est liée à la structure du langage.

Il y a souvent des raccourcis pour dire qu’aujourd’hui nous serions dans une époque où tout le monde revendiquerait l’accès à son désir. On accuse même Lacan, avec sa formule « La seule culpabilité serait celle de céder sur son désir », d’avoir soutenu cette perspective, à savoir l’idée qu’il faudrait revendiquer ses désirs, revendiquer sa jouissance et ne jamais céder sur elle au sens où on l’abdiquerait au nom d’un bien commun.

Ce n’est pas tout à fait ce que disent Freud et Lacan. J’écoutais pour aujourd’hui une conférence de Patrick Guyomard sur l’éthique de la psychanalyse, qui disait que finalement  les partisans de Daesh, on pourrait dire qu’eux ne cèdent pas sur leur désir.

Il me semble que c’est une conception du désir qui serait très problématique. On ne peut pas dire que les combattants soient animés par un désir au sens de l’analyse quand elle indique l’idée que le désir est quelque chose qui se construit dans l’analyse et qu’elle est quelque chose à quoi on n’aboutit jamais. Les combattants de Daesh sont d’abord animés par une volonté de jouissance de mort qui n’a rien à voir avec le désir.

Pour conclure, je dirais que Lacan a une position moraliste aussi au sens où, pour lui, il n’y a pas de bien pour le sujet et ce que l’analyse peut apporter à un sujet, c’est d’abord la rencontre avec son propre désir mais jamais avec l’idée de la rencontre avec un objet adéquat, avec un objet qui serait complètement harmonieux à lui-même, qui lui apporterait une satisfaction tranquille et c’est tout ce que Lacan va ensuite développer du côté du « non rapport » et du  non rapport sexuel. Il y a une foncière inadéquation entre le sujet et le monde, entre le sujet et son désir, entre le sujet et par exemple son partenaire amoureux.

Ce que le sujet conquiert dans l’analyse, dit Lacan, c’est sa propre loi. Lui aussi doit être «  auto-nomos », le sujet dépouille son scrutin, une loi propre à lui-même qu’il voit s’articuler dans les générations précédentes.

Pour conclure je vous proposerais aussi de mettre en question cette fin d’analyse telle que Lacan nous la propose dans les années 60, à partir de cet exemple d’Antigone qui me semble aussi un exemple un peu problématique quand même dans cette exaltation du désir et d’un désir qui va jusqu’à l’exaltation de la mort. Il y a dans cette conception, quelque chose de l’ordre de l’exaltation du geste héroïque, par exemple chez Hamlet et même chez Antigone, et un oubli du symptôme, de la valeur de son déchiffrement et qu’il me semble que Lacan a heureusement poursuivi.

 

Voilà, je me propose de discuter de cela avec vous. Merci

 

Céline :

Merci beaucoup Clément pour ton intervention qui, je trouve, est tout à fait intéressante dans la manière dont elle peut re-situer nos positions de thérapeutes surtout à notre époque. En effet, je repensais à ce que c’était d’être psychiatre dans une institution ou ce qu’on demandait socialement à un psychiatre envers ses patients, notamment en termes de résultats, en termes de contrat social etc. Je trouvais que c’est toujours rafraîchissant de rappeler comment se situe un sujet par rapport aux soins et une possible cure.

 

Docteur Fromentin :

Peut-être que la position du psychiatre est un petit peu différente. Disons que là, pour la clarté de l’exposé, je me suis surtout centré sur la question d’une cure chez un névrosé. Mais, bien entendu que les questions pour la psychose n’ont rien à voir. Le névrosé se défend de la jouissance par son désir, au contraire le psychotique, lui, est plutôt envahi par la jouissance, et le travail du psychiatre ou des soignants en général est plutôt d’essayer de l’éloigner de cette jouissance. Et dans ce cas, une certaine vision aristotélicienne est bienvenue, c'est-à-dire une position médicale du coté de la tempérance de cette jouissance est forcement quelque chose qui est plutôt recommandé.

C’est une question assez sensible effectivement, qui est celle de : comment on peut, sans se trahir, faire entendre une position analytique dans une institution qui est traversée par un certains nombres d’idéaux, d’idéaux de plus en plus présents, et d’idéaux qui viennent d’ailleurs, de l’ARS, du Parlement. C'est-à-dire d’un certain nombre de bien qu’on réclame pour les sujets et qui sont des questions nécessaires également.

Je ne sais pas si tu voulais qu’on parle de ce qui se passe à Lille ? Cette question de la crise de la psychiatrie dont les journaux ont beaucoup parlé ces derniers temps. Tous ces mauvais traitements qu’on découvre dans les hôpitaux psychiatriques ? Je ne sais pas si c’est là-dessus que tu voulais qu’on discute ?

 

Céline :

Ce n’est pas ce qui m’était venu de prime abord mais ce qui est intéressant c’est qu’on découvre ces atrocités qui émaillent les journaux et, en même temps, de façon assez congruentes et parallèles, on n’a jamais autant devisé et protocolisé la « bien traitance ». Pas une institution qui ne s’est pas penchée non pas sur comment on fait pour ne pas maltraiter ou pour soigner mais sur cette notion de «  bien traitance ». C’est ce parallèle qui me parait assez ironique.

 

Docteur Fromentin :

 Effectivement, je vois une dimension contemporaine essentielle : c’est à l’Etat qu’est remis le règlement de la relation humaine. Là dans une relation soignante, ça serait le protocole qui déciderait de la façon dont on conçoit la relation, et auquel il faudrait se référer à ce protocole extérieur au sujet pour régler ce qui fait une relation humaine dans un lieu de soin, fait de questions très compliquées souvent violentes, très souvent déchirantes.

Au lieu que cela se fasse à partir d’une analyse de ce que c’est qu’un désir de soigner ? Qu’est-ce-que c’est que la parole ? Car il me semble aussi que si on a autant besoin de chambre d’isolement ou de matériel de contention c’est surement aussi parce qu’il y a une dévaluation de la parole et qu’il n’y a pas d’autre façon, croit-on, de régler les situations des personnes qui vont mal. Il y a là une dévaluation de la parole au profit du protocole, au profit de la parole d’une espèce de surmoi extérieur qui est assez inquiétant.

 

Céline :

Oui, d’ailleurs peut-on la qualifier de parole ?  Un protocole est-il un effet de discours ? Ce n’est même pas sûr. Le présupposé du désir du soignant est évacué au profit de protocolisation des dites « bonnes pratiques ». Voilà à quoi on doit obéir finalement. C’est évider la parole de sa dimension équivoque et sujet à l’interprétation

 

Docteur Fromentin :

Oui. Le protocole, on aurait du mal à le mettre du côté de la parole, il n’y a pas de sujet, c’est plutôt le discours du maitre qui s’applique. Pas un sujet qui a analysé son désir de guérir ou ce que c’est qu’une position de pouvoir. Car je pense aussi que les hôpitaux psychiatriques sont des lieux de pouvoir. C’est du Foucault à bon compte mais il y a beaucoup de pouvoir sur un sujet. Il est enfermé, il est privé de ses effets personnels, il n’a pas de moyens de communication, donc il y a un énorme pouvoir qui est du côté des soignants. De quelle façon ce pouvoir est-il utilisé si on n’a pas un minimum questionné, interrogé sa propre agressivité ? Sous couvert du bien du patient, sous couvert qu’on fait le mieux pour lui, on le bourre de médicaments, on l’enferme ou on l’attache.

 

Céline :

On va demander à la salle s’il y a des questions.

 

Question dans la salle :

C’était pour enchainer sur ce que vous disiez. Je me disais que sous couvert de ce bien du patient c’est là que se pose la différence que vous aviez un peu esquissé entre volonté et désir, peut-être en faisant référence à ce que disait Monsieur Guyomard sur la question du désir et que vous ne voyiez pas ça comme un désir mais comme une volonté et une tension vers une pulsion de mort. Là, finalement, il y aurait peut-être une tension entre volonté de guérir et désir qui ne serait pas ? Peut-être que ce qui est protocolisé est de l’ordre d’une volonté et non pas d’un désir ?

 

Docteur Fromentin :

Oui, ça me parait une remarque tout à fait pertinente. Oui, il n’y a pas tellement de désir en jeu. A part un désir de maîtrise mais c’est plutôt une volonté de maitriser ce qui échappe et qui a toujours échappé. C’est extrêmement ironique quand même car la psychiatrie s’est bâtie  sur les idéaux de la Révolution avec justement les chaines qu’on enlevait aux patients, Pinel doit se retourner dans sa tombe à voir qu’aujourd’hui on y est revenu. Ce qui m’apparait dans cette histoire, c’est que les choses sont connues depuis plusieurs années, il y avait déjà eu des rapports sur ce problème, et qu’ils ont essayé de le régler manifestement et que les soignants en sont désolés, ils disent ça nous plait pas mais on le fait quand même.

Il y a une impuissance comme ça.  Pour rebondir sur la question de la volonté, ce qui est affiché, c’est une impuissance. « On ne peut pas faire autrement de toute façon, c’est quelque chose qui nous dépasse ». Il n’y a vraiment pas de sujet en jeu comme si c’était les rouages d’une machine.

 

Céline :

Après aussi, il ne faut pas non plus … On l’évoquait quand on a un peu traité de l’hospitalisation contrainte et de ce glissement un peu sémantique de l’hospitalisation au soin, et au fait qu’on est face aussi à de terribles injonctions paradoxales qui sont à la fois de maîtriser les débordements sociaux de la maladie, parce qu’on en est là quand même, il s’agit, de maitriser l’agitation, de maitriser ce qui vient faire irruption dans le décor, tout en n’hospitalisant pas, car l’hospitalisation devient le lieu de privation de liberté et du coup les lits d’hospitalisation sont réduits alors que la demande psychiatrique explose. La psychiatrie en tant que dispositif est prise dans une espèce d’étau d’injonctions paradoxales. C’est la formule de Daumezon : «  Toute hospitalisation est abusive et toute sortie est prématurée »

 

Docteur Fromentin :

Est-ce que quelqu’un veut poser une question ?

 

Question dans la salle :

Je voudrais poser une question par rapport aux Dix Commandements, par rapport à l’inceste et la mort du père. Vous avez dit : « c’est la transgression qui organise la vie sociale et non pas l’inverse. » Et que ces deux lois sont « des lois de structure ». Ne peut-on pas prendre les Dix Commandements aussi comme des lois de structure dans la mesure où les uns comme les autres de toute façon sont transgressées ?

 

Docteur Fromentin :

Ce que dit Lacan c’est qu’il sépare quand même. Il dit que les Dix Commandements soutiennent le rapport du sujet à sa propre parole et en fait, pour dire les choses simplement, pour reprendre un commandement sur lequel il a longuement digressé qui est : « Tu ne mentiras point ». C’est le fameux paradoxe d’Epimenide que reprend Lacan tout au long de son enseignement, qui est le menteur qui dit «  je ne suis pas un menteur » ou «  je suis un menteur ». C’est une phrase qui ne peut aboutir qu’à une aporie, à moins de concevoir les choses en termes de séparation entre énoncé et énonciation. Ce sont des discussions qui vous sont familières ? Oui ?

Donc effectivement il y a cette séparation qui fonde le rapport du sujet à sa parole, que les énoncés ne doivent pas être pris comme des choses brutes, auxquelles le sujet colle, mais qu’il y a toujours cette distance et cette position d’énonciation à partir de laquelle le sujet prend la parole. Et ces Dix Commandements effectivement, le père de famille dit : « Tu ne mentiras pas » à ses enfants et va l’instant d’après transgresser ce commandement. Et c’est là que gît le désir, c’est dans cette distance à l’injonction, au commandement moral que se situe le sujet. Par contre, il y a deux commandements mais qui ne font pas partie des Dix Commandements en fait.  L’interdiction de l’inceste et l’interdiction du meurtre du père, que Lacan aborde d’un côté à partir de Freud qui a fondé ce mythe de « Totem et tabou » et puis ce désir de l’inceste que Freud a repéré dans les rêves. Et là, il conçoit les choses autrement, là, c’est que par rapport à l’objet du désir, l’objet de la pulsion, le langage instaure cette distance nécessaire, cet écart avec l’objet qui est visé par le sujet. Sinon on est chez les animaux, qui eux n’ont que des objets de besoin, qui se contentent de l’objet adéquat et n’en demandent pas plus. Pour l’Homme et la Femme c’est beaucoup plus compliqué que ça puisque la pulsion fait le tour de l’objet mais qu’elle est toujours à distance. Il n’y a jamais une satisfaction complète dans ce rapport à l’objet, du fait que sa demande doit passer par les signifiants.

 

Question du Forum :

Le désir du soignant est-il plutôt remplacé par le droit du soignant et de l’usager sur un même niveau ?

 

Docteur Fromentin :

C’est vrai qu’il y a une dimension juridique qui prend de plus en plus d’importance dans nos vies actuellement. Toujours cette question du tiers qui est chargé de juger ce qui est bien, mal, permis, licite. Il y a une augmentation du droit des usagers, ça il faut s’en réjouir, une augmentation des places des usagers, depuis les lois Jospin, on peut s’en réjouir. Le problème c’est quand ça vient suturer la rencontre entre deux personnes. Si on s’en réfère uniquement au droit, c’est quand même très gênant.

 

Céline :

On vient aussi, je crois, déplacer la question de l’autorité. Dans un rapport soignant, on est face à un patient, et quand même dans l’idée de se dire  qu’il est face à quelqu’un dépositaire d’un savoir, oui d’un savoir soignant, qu’il est dans un lien de confiance qui se tisse avec, à mon sens, l’autorité qu’il présuppose dans la relation. Même s’il y a une égalité en droit, il n’y a pas une égalité des places. Or, je crois qu’il y a, en effet, une  confusion entre le droit et la place. Ce n’est pas parce qu’on est égaux en droit que, pour autant, les  places de chacun sont équivalentes.

 

Docteur Fromentin :

La question du pouvoir qui infiltre aussi les rapports soignants. Non seulement en psychiatrie mais en médecine, en général. Le pouvoir médical qui n’est pas forcément un pouvoir incarné dans la figure du médecin mais quand même un pouvoir qui traverse l’action du praticien et qui est un pouvoir énorme, un pouvoir de vie ou de mort, un pouvoir de contrainte, un pouvoir sur les corps. C’est pourquoi je trouve que toute la question qu’on voit émerger, depuis quinze vingt ans, autour de ce savoir qui se développe autour des usagers est très enthousiasmante. Cette parole donnée aux usagers à travers les associations de patients mais aussi, dans le domaine de la psychiatrie, tous ces ouvrages qui sont donnés à l’expérience des patients, leurs hospitalisations ou leur rapport à la maladie. Cette expérience du patient devrait avoir une place plus importante, ça, ça me parait quelque chose d’extrêmement passionnant dans l’exercice de la médecine aujourd’hui. Quelque chose qui existait très peu auparavant et on pourrait rêver d’une époque où par exemple quand un médecin apprendrait ce que c’est que le diabète, le médecin qui parlerait de la maladie ou le physiologiste qui parlerait du glucose aurait autant de place qu’un patient qui parlerait de ce que c’est que de vivre pendant 40 ou 50 ans en se faisant des piqures tous les jours, en ayant les artères abimées, en ayant une espérance de vie diminuée. Ça c’est deux choses qui mériteraient d’avoir une place égale dans la  formation des cliniciens.

 

Question dans la salle :

J’ai une question sur «  avoir cédé sur son désir ». J’ai compris que vous aviez rappelé que Lacan disait que la seule culpabilité qu’on pouvait avoir c’est celle d’avoir cédé sur son désir. Je le comprends comme étant «  avoir renoncé »  à son désir,  avoir renoncé à être un être désirant. Pour autant je ne suis pas sûre que ça aille jusqu’à l’acception, l’interprétation, avoir satisfait son désir. Ça ne va pas jusque là, ça reste sur ne pas renoncer à être un être désirant. Du coup, je comprends par rapport à Freud qui lui n’a pas pris partie entre pulsions et refoulement, entre suivre le bien pour l’individu versus ce qui serait le bien pour la société. Il ne s’exprime pas là-dessus. L’avancée de Lacan par rapport à cela ? Considérant qu’il n’irait pas jusqu’à dire qu’il faut satisfaire son désir, mais plutôt ne pas céder dessus, c'est-à-dire l’entretenir en quelque sorte ou en tout cas y faire face, le regarder, en être conscient et à tout moment être conscient du choix de ne pas le satisfaire par exemple. C’est ça ?

 

Docteur Fromentin :

C’est une question complexe le désir. Qui va évoluer au cours des enseignements de Lacan. Ce n’est pas tellement ne pas le satisfaire. Je vais vous donner un exemple un peu bateau. Quand Picasso est mort, il  a dit «  La peinture reste à faire ». L’idée que tout ce qu’il avait produit durant sa vie n’avait pas réussi à épuiser son désir de peinture. Ce n’est pas tant qu’il s’était employé à laisser ce désir béant, mais l’idée que, de toutes les façons, il y avait quelque chose, là, qui restait, de par nature. La peinture ne sera jamais faite, de par nature. Il y a toujours quelque chose qui sera insatisfait, laissé pour compte, dans ce vide, dans ce reste. Et pourtant c’est ça qui nous anime. Lacan va placer le désir, dans le séminaire 10, non plus comme une intention, quelque chose qu’on vise mais quelque chose qui cause, qui se cause soi-même. Et donc effectivement quelque chose qui nous rend vivant. Et ça fait le lien avec la question de la « lâcheté morale » où il a parlé d’une façon un peu provocatrice d’une certaine conception de la dépression. Certaines dépressions comme une lâcheté morale, dans ce sens que vous avez rappelé de  «  céder sur son désir ». Cela se repère très bien en Clinique. C’est structural. Quand quelqu’un cède sur son désir, quand quelqu’un se limite à mener une vie pour le bien, pour le plaisir et non plus au sens du désir, on voit que c’est quelqu’un qui n’a plus de ressource, qui est dévitalisé.

 

Nouvelle question du Forum : 

Ces pratiques sont-elles des particularités françaises ? Comment cela se passe dans les pays anglo-saxons concernant la contention, l’isolement, etc. C’est une question sur la clinique française et comment ça se passe à l’étranger.

 

Céline :

Pour ce que j’en sais, ce n’est pas une spécificité françaises d’attacher les malades. Même le retour à la contention, parce que c’est un retour, il y a eu une période où on a essayé de faire sans donc c’est un retour à la contention qui est assorti là encore de protocoles, il y a des protocoles de contention élaborés pour la plupart au Canada. Il y a une manière d’attacher les patients qui est extrêmement randomisée : allongé comme ci, attaché comme ça, avec ce type de traitement etc. Je ne suis pas une grande spécialiste des usages, j’aurais même tendance à essayer de les éviter. Donc je ne lis pas toute la littérature sur la question mais non ce n’est pas une spécificité française d’attacher ses malades. C’est une spécificité de la perte des moyens surtout.

 

Question du Forum :

Les usagers sont enthousiastes mais ne tiennent pas compte des aléas du métier de médecin. Les médecins sont de plus en plus tenus à garantir un résultat. En psychiatrie, on peut se demander, qu’est ce qu’on peut considérer comme un résultat ? Donc mis dans une impossibilité, donc Antigone est-elle seule ?

 

Docteur Fromentin :

 Il y a plusieurs questions en une. Vous pouvez relire la question ?

(La question du forum est relue)

C’est la même personne qui pose la question ? Antigone, au sens où l’action du médecin serait identique à celle d’Antigone, aussi impossible ? C’est ça ? Non ?

Ça dépend de la situation clinique, quand même, je ne sais pas si on parle là des patients les plus difficiles, des placements. Effectivement, il y a plusieurs objectifs : il y a celui de la loi qui est de garantir la sécurité de l’espace publique. C’est une motivation du psychiatre qui pèse constamment sur son exercice, oui.

 

Intervenant (précisant la question du Forum) :

Une précision : C'est-à-dire qu’Antigone suit son désir et parfois le médecin n’est pas autorisé.

 

Céline :

Pas autorisé à suivre son désir ? Alors, oui, effectivement. Qu’est-ce que le désir du médecin ? Parce que le médecin est un sujet. C’est un sujet désirant soit, certainement que le médecin souhaite le rétablissement de son patient, pour autant ce n’est pas forcément son désir comme également le patient souhaite son propre rétablissement mais ce n’est pas forcément son désir. Après effectivement, en médecine, on a une obligation de moyens et pas de résultats.

Qu’est ce qu’un résultat en psychiatrie ? C’est vaste comme question. Est-ce que parce qu’il y a des dimensions sociales, de contrôle social, des dimensions familiales, qui viennent un peu télescoper la question. Et puis des questions modernes de déficience, de bien-être, de sujet tout puissant qui télescopent un peu la question d’être un sujet désirant. Je ne pense pas que la psychiatrie se donne comme objectif de permettre de construire des sujets désirants même si elle n’ignore pas non plus la dimension subjective et le désir des patients et que ça fait partie aussi de son éthique de ne pas l’ignorer.

 

Question dans la salle :

C’était juste pour donner un avis par rapport à la question précédente. Moi, j’ai travaillé plusieurs années dans des hôpitaux psychiatriques au Brésil et la contention est très utilisée là-bas. Donc, oui, on n’a pas de chambre d’isolement ni d’électrochoc. Et donc je pense que ça dépend un peu de chaque pays. Je pense aussi que la maltraitance, elle n’est pas dans la pratique, si on utilise ou pas la contention, mais comment elle est appliquée. J’ai déjà vu des contentions qui étaient dans la clinique et qui étaient vraiment, comment dire, indispensables, elles faisaient clinique. Et j’ai vu plusieurs fois aussi des contentions qui étaient juste de la maltraitance. Donc c’est vraiment comment nous, qui travaillons dans les hôpitaux, comment nous nous allons utiliser ces contentions, c’est vraiment une question très discutable. Il faut en discuter, en parler.

 

Docteur Fromentin : 

Oui, tout à fait. En vous écoutant, ça me fait penser qu’il y a quelques années le S (??) de Lyon avait été assigné au tribunal pour conduite maltraitante car il faisait des packs. Vous voyez ce que c’est des packs ? C’est des enveloppements avec des draps froids qui étaient dénoncés pour leur pouvoir maltraitant mais bien sûr, là aussi c’était vécu non comme une privation ou une punition mais comme un acte clinique avant tout. Des fois on y est malheureusement contraint. Mais il ne faut pas que ce soit pris par des considérations de morales ou autres qui viendraient infiltrer le raisonnement clinique.

 

Question dans la salle :

Par rapport à la psychiatrie et aux résultats attendus. Ce qui me frappe, parce que vous avez fait la comparaison avec le diabète par exemple, c'est-à-dire des maladies chroniques, et aujourd’hui, du fait des avancées de la médecine, on vit beaucoup plus longtemps avec ces maladies chroniques. Par exemple les neuroleptiques, en psychiatrie ça apportait le bénéfice de pouvoir envisager une vie avec cette maladie au quotidien. Et c’est différent de l’urgence. C’est ça que je veux dire. Quand je vais voir un médecin c’est différent d’une chose que je peux opérer. Avec l’opération, il y a un avant et un après, alors qu’en psychiatrie et dans les maladies chroniques, il n’y a pas ça. La comparaison avec le diabète est intéressante car cela pose la question à la fois, vous l’avez abordé par le biais de la personne elle-même qui aura un savoir, comment vivre avec la maladie par exemple, et ça pose la question quand même est-ce qu’elle a toujours besoin d’un médecin.

 

Docteur Fromentin :

Oui, oui vous avez tout à fait raison. C’est aussi une grande transformation de la médecine contemporaine. C'est-à-dire que toutes les maladies qu’on croyait aigües deviennent des maladies chroniques. Aujourd’hui par exemple les cancers sont devenus des maladies chroniques. On parle de rémission, ça ne veut pas dire que la maladie ne peut plus surgir. C’est toute une transformation du rapport à la maladie et donc une autre vision de ce qu’est un résultat. Un résultat, ce n’est pas un pouvoir thaumaturgique qui va guérir définitivement le problème, c’est plutôt un accompagnement dans le temps.

 

Céline :

Alors après je pense qu’en psychiatrie, il y a quand même aussi un courant, la tentation positiviste d’enfin trouver le noyau intracérébral de la paranoïa, le gène responsable de la schizophrénie, une bactérie qui va provoquer ceci ou cela etc. Je pense que ça existe aussi. Depuis le 19eme, on a aussi ces mouvements. Et il ne faut pas oublier quand on se place dans une perspective lacanienne que la psychose, c’est un type de rapport au monde et une structure. Je pense que la recherche est fondamentale et je serai ravie qu’on puisse faire de la thérapie génique pour guérir la psychose mais en attendant, pour l’instant, on prend en charge des patients avec un certain type de rapport au monde et c’est avec ça qu’on travaille.

 

Docteur Fromentin :

 Oui, tout à fait. Et les neurosciences travaillent justement à partir du bien du patient par rapport à des objets satisfaisants, homogènes, ils ne prennent pas du tout en compte la question du désir. Et c’est là que la psychanalyse continuera à avoir sa place. Même si par la thérapie on fait une sélection des individus et si tous ceux qui ont une possibilité d’entendre des voix et d’être tristes sont évacués de la planète, il faudra quand même compter avec cette question du désir et pour l’instant le seul discours qui le prend en charge, c’est le discours de la psychanalyse. Merci beaucoup